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Attitude, changement d'attitude et comportement

Chapter · January 2013

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2 authors:

Fabien Girandola Robert-Vincent Joule


Aix-Marseille Université Aix-Marseille Université
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Chapitre
9
2e épreuve - 27/09/13

Attitudes,
changement d’attitudes
et comportement 1

Sommaire

1. L’attitude 223
2. Persuasion et changement des attitudes 229
3. Comportement, dissonance cognitive
et changement des attitudes 236
4. Agir sur les comportements et les attitudes :
la soumission librement consentie 244
5. La communication engageante 247

1.  Fabien Girandola et Robert-­Vincent Joule, Aix-­Marseille Université.

2e épreuve - 27/09/13

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L’attitude 223

1. L’attitude
Le concept d’attitude est central en psychologie sociale. Dès 1935, Allport
tenait ce concept pour indispensable et même incontournable. Aujourd’hui, on ne
relève pas moins de 50 000 articles, livres ou thèses lui étant consacrés (Visser &
Cooper, 2007). Les attitudes façonnent nos perceptions du monde social et physique et
contribuent à forger notre compréhension de la réalité sociale. L’attitude, dans sa défi-
nition la plus simple, renvoie à une évaluation d’un objet de notre environnement
social ou physique. Nous possédons des attitudes sur des choses abstraites (e.g., le
matérialisme, la consommation), concrètes (e.g., la voiture élec-
trique, le dernier film de Claude Chabrol), sur des individus (e.g
le Président des États-­Unis, le Dalaï-­lama) ou encore sur des
catégories d’objets (e.g., les jeux vidéo, les boissons alcoolisées).
Ces attitudes nous permettent de porter rapidement des juge-
ments, de nous adapter à la société en apprenant les comporte-
ments, croyances et affects qui y sont valorisés. Enfin, les
attitudes font partie de notre identité (Murray, Haddock, &
Zanna, 1996).
Eagly et Chaiken (1993, 2007) proposent une définition géné-
rale de l’attitude : « L’attitude est une tendance psychologique
exprimée en évaluant une entité particulière avec un certain
degré de faveur ou de défaveur. » Autrement dit, une attitude
est une tendance psychologique, ou une disposition, à évaluer
de façon favorable ou défavorable, négative ou positive un Gordon Allport (1897‑1967), de l’Université
objet particulier ou une classe d’objets (cf. Cunningham, Zelazo, Harvard, tient pour central le concept
Packer, & van Bavell, 2007). d’attitude.

1.1 Quelle définition de l’attitude ?


La définition d’Eagly et Chaiken (2007) bénéficie d’un large consensus (e.g.,
Albarracin, Johnson, & Zanna, 2005 ; Bohner & Wänke, 2002, 2009 ; Crano & Prislin,
2006, 2008 ; Erb & Bohner, 2007 ; Fazio & Petty, 2008 ; Forgas, Cooper, & Crano,
2010 ; Haddock & Maio, 2004 ; Maio & Haddock, 2007, 2009). Un numéro spécial de
la revue Social Cognition publié en 2007 (« Qu’est-­ce qu’une attitude ? ») présente les
définitions ainsi que les modèles les plus récents.
La définition d’Eagly et Chaiken selon laquelle l’attitude reflète une tendance psycho-
logique indique que cette dernière est stable dans le temps. Les attitudes sont conçues
ici comme relevant de la mémoire à long terme. Elles sont activées lors de la rencontre
avec l’objet d’attitude (File-­drawer models, cf. Bohner, Erb, & Siebler, 2008). Dans ce
sens, certains modèles considèrent l’attitude comme stable, stockée ou emmagasinée en
mémoire (Fazio, 2007 ; Petty, Briñol, & De Marree, 2007). D’autres modèles considè-
rent que les attitudes dépendent du contexte et de l’information dont les individus
disposent à un moment donné (cf. Online models, Schwarz, 2007a). Les attitudes
­n’émaneraient donc pas d’une disposition psychologique mais seraient dépendantes du

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224 Chapitre 9 – Attitudes, changement d’attitudes et comportement

contexte ou construites dans le contexte (Conrey & Smith 2007 ; Gawronski & Boden-
hausen, 2006, 2007). Certains auteurs (e.g., Schwarz, 2007a) suggèrent de combiner
ces deux types d’approches dans un modèle plus général, celui de la force de l’attitude
(Petty & Krosnick, 1995). Une attitude forte possède des qualités de stabilité, de résis-
tance à l’influence, et d’impact à la fois sur le traitement de l’information et sur les
comportements (e.g., Bassili, 2008). Une attitude forte serait stable dans le temps quels
que soient les situations, contrairement à une attitude faible, plus malléable et donc
dépendante du contexte (Fabrigar & Wegener, 2010 ; Holland, Verplanken, & van
Knippenberg, 2002).
Une attitude forte possède trois principales caractéristiques  ou dimensions  :
1) l­’accessibilité de l’attitude : sa mesure est opérationnalisée à l’aide de la vitesse de
réponse que prend un objet pour provoquer une évaluation favorable ou défavo-
rable. Les attitudes fortement accessibles peuvent être prédictives d’un comporte-
ment aussi socialement valorisé que le vote. L’évaluation des attitudes fut recueillie
trois mois et demi avant la période de scrutin. Les attitudes des individus ayant
répondu le plus vite s’avérèrent plus prédictives de l’issue du vote que celles des
individus ayant répondu le moins vite (Fazio & Williams, 1986 ; Fazio, Powell, &
Williams, 1989). 2) l’importance de l’attitude est mesurée en demandant aux indivi-
dus si l’objet d’attitude est important pour eux, s’ils se sentent personnellement
concernés. Les attitudes importantes sont plus stables et prédisent mieux le
c­ omportement (Eaton & Visser, 2008 ; Visser, Bizer, & Krosnick, 2006). 3) La cer-
titude de l’attitude fait référence à la confiance dans la validité ou la justesse de sa
propre attitude. Les individus ayant une forte certitude sont plus résistants à une
tentative d’influence (Petty, Briñol, Tormala, & Wegener, 2007 ; Tormala & Petty,
2002).
Ainsi, la force de l’attitude et ses dimensions détermineraient la stabilité ou la dépen-
dance au contexte d’une attitude. Certaines des dimensions sont liées à la structure
même de l’attitude (i.e., l’accessibilité), d’autres à la fonction de l’attitude (i.e., l’impor-
tance, la certitude ; Fabrigar & Wegener, 2010 ; Petty & Briñol, 2010b). Par ailleurs,
Ajzen, Albarracin et Hornik (2007), puis Fishbein et Ajzen (2010) ont montré que
l’attitude peut prédire l’intention comportementale, cette dernière pouvant constituer
un prédicteur du comportement (Cestac & Meyer, 2010 ; Glasman & Albarracin,
2006 ; cf. Giger, 2008 pour une revue critique).

1.2 L’origine de l’attitude


L’attitude est le plus souvent abordée dans le cadre d’un modèle tripartite
composé d’une dimension cognitive, d’une dimension affective et d’une dimension
comportementale distinctes (Breckler, 1984 ; Eagly & Chaiken, 2007 ; Olson &
Kendrick, 2008 ; Zanna & Rempel, 1988). La dimension cognitive de l’attitude prend
appui sur les croyances, pensées, attributs associés à l’objet d’attitude. La dimension
affective prend appui sur les sentiments ou émotions associés à l’objet d’attitude (cf.
Bornstein, 1989 ; Zajonc, 2001). Les attitudes peuvent avoir aussi une origine com-
portementale qui prend appui sur les comportements passés envers l’objet. Nous
nous situons souvent à l’égard d’un objet, surtout lorsque nous ne sommes pas sûrs

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L’attitude 225

de nos sentiments (Nisbett & Wilson, 1977), en fonction de ce que nous faisons ou
avons fait dans le passé (Albarracín & Wyer, 2000 ; Bem, 1972 ; Dolinski, 2000 ;
Hofmann, De Houwer, Perugini, Baeyens, & Crombez, 2010). Par exemple, les indi-
vidus infèrent posséder une attitude négative envers la pollution automobile s’ils se
souviennent avoir signé une pétition contre la pollution. Bien que distinctes, les
dimensions cognitives et affectives varient dans le même sens. Posséder des
croyances positives envers un objet est associé à des réponses affectives positives
sur ce même objet, posséder des croyances négatives est, à l’inverse, associé à des
réponses négatives affectives.

1.3 La mesure de l’attitude


L’attitude est une construction hypothétique, c’est-­à-­dire une entité dont on
déduit l’existence mais qui n’est pas directement observable. Les techniques de mesure
de l’attitude explicite les plus courantes sont les réponses autorapportées (Thurstone,
1928 ; Thurstone & Chave, 1929 ; Likert, 1932). Par exemple, l’utilisation d’une
échelle de Likert implique que le répondant exprime son degré d’accord ou de désac-
cord sur un objet d’attitude. L’échelle, composée d’items, contient en général cinq, voire
sept, niveaux permettant de nuancer le degré d’accord (par exemple : de 1 « pas du tout
d’accord » à 5 « tout à fait d’accord »). L’attitude correspond à la moyenne des réponses
du répondant à l’ensemble des items de
l’échelle. L’échelle de différenciation séman-
tique (Osgood, Suci, & Tannenbaum, 1957)
permet d’évaluer un objet d’attitude à partir
d’items en 7 points concernant une série d’ad-
jectifs bipolaires (e.g., ­bon-­mauvais, favorable-­
défavorable, agréable-­désagréable). La somme
des moyennes des items permet de recueillir
l’attitude explicite du répondant. Ces tech-
niques de mesure sont particulièrement sen-
sibles au contexte. Des variations mineures
dans la formulation, l’ordre, le format ou
encore dans le nombre de points de l’échelle
peuvent affecter les réponses (Krosnick & Des variations mineures dans la formulation des questions,
Fabrigar, sous presse ; Schwarz, 2007b, 2008 ; leur ordre ou leur modalité de recueil peuvent influencer
Tourangeau, Rips, & Rasinski, 2000). les réponses.

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226 Chapitre 9 – Attitudes, changement d’attitudes et comportement

Quelles que soient les échelles de mesure autorapportées, les répondants peuvent
déformer leurs réponses par souci de désirabilité sociale, c’est-­à-­dire de se présenter
sous un jour favorable à ses interlocuteurs (Eagly & Chaiken, 2005). Les répondants
sont aussi limités dans ce qu’ils peuvent dire ou penser d’eux-­mêmes (difficultés d’ac-
cès à nos déterminants internes : Joule, 1989 ; Nisbett & Wilson, 1977 ; Wilson, 2002).
Afin d’atténuer, voire de supprimer la désirabilité sociale, certains chercheurs ont eu
recours à un faux détecteur de mensonges (bogus pipeline, Jones & Sigall, 1971). On fait
croire aux répondants qu’un appareillage apparemment sophistiqué, mais factice, per-
met de savoir ce qu’ils pensent vraiment. Vingt ans de recherches ont montré que le
faux détecteur de mensonges permet d’obtenir des réponses plus sincères (Tourangeau,
Smith, & Rasinski, 1997 ; Roese & Jamieson, 1993).
D’autres mesures indirectes de l’attitude ont été développées, au nombre desquelles le
test d’associations implicites (Implicit Association Test ou IAT, Greenwald, McGhee &
Schwartz, 1998). Il s’agit de l’outil qui a suscité le plus d’intérêt et de travaux. L’IAT est
une mesure implicite de l’attitude (cf. Blaison, Chassard, Kop, & Gana, 2006). Une atti-
tude implicite est une attitude dont l’individu n’est pas conscient et qu’il ne contrôle
donc pas (De Houwer, Teige-­Mocigemba, Spruyt, & Moors, 2009 ; Fazio & Olson, 2003 ;
Gawronski & Bodenhausen, 2010 ; Petty, Fazio, & Briñol, 2009). Elle mesure l’associa-
tion automatique existant entre un objet d’attitude et son évaluation dans la mémoire.
La mesure de l’attitude implicite permet de réduire et même d’éliminer le biais de dési-
rabilité (Ferguson, Hassin, & Bargh, 2008). L’IAT a pour objectif de comparer l’écart des
temps de réaction entre des associations congruentes, d’une part, et des associations non
congruentes, d’autre part. Greenwald et al. (1998) ont montré que l’association compa-
tible débouche sur des temps de réponse plus petits que l’association incompatible.
L’écart, en temps, entre ces deux combinaisons rend compte d’une association implicite
ou de la force associative entre les concepts-­cibles et les pôles évaluatifs (e.g., Hofmann,
Gawronski, Gschwendner, Le, & Schmitt, 2005 ; Greenwald, Nosek, & Banaji, 2003). La
technique de l’IAT a été utilisée dans différents domaines (e.g., ségrégation, violence,
consommation, santé). Greenwald, Poehlman, Uhlmann, & Banaji (2009) montrent, dans
une méta-­analyse portant sur 184 recherches (N = 14 900), que les mesures implicites
du type IAT (r = .274) et les mesures explicites (r = .361, N = 13 068) peuvent prédire
les jugements et les comportements, essentiellement dans les domaines de la consomma-
tion et de la politique. Mais c’est dans le domaine des thématiques sociales fortement
sensibles comme la ségrégation interraciale et de la discrimination que le test s’avère le
plus intéressant : l’attitude implicite prédit mieux les jugements et croyances que l’atti-
tude explicite. Plusieurs instruments implicites ont été spécialement créés afin de
c­ ompléter et renforcer la mesure IAT (e.g., Extrinsic Affective Simon Task ou EAST, De
Houwer, 2003 ; Go/No go Association Task ou GNAT, Nosek & Banaji, 2001).
Les mesures physiologiques peuvent également être prises en compte dans l’évaluation
des attitudes explicites ou implicites. Par exemple, de faibles activations ou des
contractions minimes des muscles faciaux imperceptibles à l’œil nu peuvent refléter la
valence (négative ou positive) et l’intensité de l’attitude. La mesure de l’activité céré-
brale est, elle aussi, utilisée (Cunningham, Packer, Kesek, & van Bavel, 2009 ; Ito &
Cacioppo, 2007).

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L’attitude 227

Focus
Le conditionnement évaluatif2

La question de la façon dont les attitudes se forment vis-­à-­vis d’un objet, social ou non, comme par exemple
un produit ou une marque a fait l’objet de nombreuses recherches en psychologie cognitive et sociale
depuis des décennies. Parmi les mécanismes d’apprentissage et d’émergence des attitudes, un des plus
documentés et des plus robustes est le conditionnement évaluatif (Martin & Levey, 1978 ; Gast, Gawronski,
& De Houwer, 2012). Héritier du conditionnement pavlovien, le conditionnement évaluatif fait référence à
une famille de mécanismes mentaux par lequel l’évaluation d’un objet initialement neutre affectivement va
devenir plus positive ou négative du fait du couplage de cet objet avec un stimulus chargé émotionnelle-
ment, de manière négative ou positive. Le premier est appelé stimulus conditionné, c’est-­à-­dire dont la
valence affective qui lui est rattachée est neutre et/ou de faible intensité, qui ne fait donc l’objet d’aucune
préférence préalable par l’individu. Le second stimulus est appelé stimulus non conditionné, et est davan-
tage chargé affectivement que le stimulus conditionné.
La procédure de conditionnement évaluatif consiste donc à coupler de manière itérative un stimulus condi-
tionné (e.g., une image neutre, par exemple un logo de marque) avec un stimulus non conditionné (e.g., une
image fortement chargée affectivement, par exemple un acteur ou sportif célèbre) ce qui aboutira au fait
que l’image initialement neutre sera jugée comme plus positive ou négative, en fonction de la valence du
stimulus non conditionné). Afin de s’assurer que l’on dispose bien des stimuli neutres et positifs ou négatifs,
ces derniers sont prétestés auprès d’un échantillon indépendant d’individus avant la procédure, ou tirés de
bases de données de stimuli dont la valence est connue (e.g., IAPS). On observe alors un transfert affectif
d’un stimulus à l’autre résultant de l’association en mémoire de ces deux stimuli. De nombreux facteurs
viennent moduler cette relation entre exposition répétée d’une paire de stimuli et le changement évaluatif.
Par exemple, plus les stimuli seront proches d’un point de vue perceptif, plus ils seront catégorisés comme
étant similaires et plus le processus de conditionnement sera fort (Davey, 1994). Également, plus le nombre
d’occurrences où les deux stimuli sont présentés ensemble est élevé, plus le conditionnement sera impor-
tant. Il n’est pas non plus nécessaire que le stimulus conditionné soit systématiquement couplé avec le sti-
mulus non conditionné pour qu’un conditionnement ait lieu  : même si leur probabilité d’apparition
conjointe est faible, cela n’influence que très peu le transfert affectif (Baeyens, Crombez, Van den Bergh, &
Eelen, 1988). De plus, lorsque le stimulus conditionné est présenté seul après le processus de conditionne-
ment, l’intensité du conditionnement diminue et le stimulus conditionné est jugé moins négativement (ou
positivement).
Établir que le conditionnement évaluatif peut se produire de manière non consciente (ou automatique,
pour une revue des composantes de l’automaticité, voir Moors et De Houwer, 2010) reste un sujet
débattu en dépit d’avancées importantes cours de la dernière décennie (De Houwer, 2007 ; Jones, Fazio,
& Olson, 2009). Ainsi, les méta-­analyses ont montré que le fait d’être conscient que les stimuli présentés
dans une tâche de conditionnement sont associés (conscience de la contingence) est le modulateur le
plus important du conditionnement évaluatif (Lovibond & Shanks, 2002 ; Hofmann et al., 2010 ; Mitchell,
De Houwer, & Lovibond, 2009), même si certaines études rapportent des occurrences de conditionne-
ment évaluatif en l’absence de conscience (Baeyens, Eelen, & Van der Bergh, 1990 ; De Houwer, Baeyens,
& Eelen, 1994). En effet, dans la majorité des études sur le conditionnement évaluatif, les participants
reportant une connaissance des associations entre les stimuli conditionnés et non conditionnés mon-

2.  Oulmann Zerhouni, Université de Grenoble-­Alpes.

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228 Chapitre 9 – Attitudes, changement d’attitudes et comportement

trent systématiquement un conditionnement plus important lorsqu’ils sont conscients que les stimuli
sont associés, cet effet ne pouvant être attribué à un biais de demande (i.e., la représentation que le
participant se fait des hypothèses expérimentales, et sa volonté de les confirmer ; Pleyers, Corneille,
Luminet, & Yzerbyt, 2007). De plus, de nombreuses études rapportent des effets plus faibles du condi-
tionnement évaluatif chez les enfants, ce qui peut être expliqué par le fait que les enfants sont en
moyenne moins conscients du fait que les stimuli que l’on leur présente sont supposés être associés
(pour une méta-­analyse  : voir Hofmann et al., 2010). Les modèles propositionnels stipulant que les
associations entre stimuli se font grâce à un des mécanismes liant les stimuli de manière consciente et
raisonnée semblaient donc être les plus susceptibles de rendre compte des phénomènes de condition-
nement (De Houwer, 2009).

Le conditionnement des attitudes.


Un groupe cible de jeunes hommes,
initialement indifférents à une marque
de bière donnée et à son logo,
peut acquérir des attitudes positives
envers ce produit après association
répétée entre le logo de cette marque
avec le stimulus inconditionnel
représenté par une femme attractive.

Néanmoins, s’il semble que la conscience de l’association soit une condition importante pour que le condi-
tionnement évaluatif ait lieu, cela ne signifie pas nécessairement que l’on puisse conclure à l’absence de
conditionnement non conscient. Si les tailles d’effet sont systématiquement plus importantes lorsqu’il y a
conscience que les stimuli sont associés, les cas de conditionnement non conscient existent. En parallèle
aux modèles propositionnels, des modèles associatifs ont pour objectif de rendre compte des processus de
conditionnement non conscient. Ainsi, si le conditionnement non conscient est possible, il obéit à des
mécanismes différents de celui du conditionnement conscient, notamment par le biais de fausses attribu-
tions affectives où l’individu, ne sachant pas déterminer la source des affects déclenchés par l’exposition au
stimulus non conditionné, attribuerait faussement ces affects au stimulus conditionné (Jones, Fazio, &
Olson, 2009). Ce modèle est plus proche de la conception d’origine de Martin et Levey (1978), qui considère
que le lien entre les stimuli se fait de manière non consciente. Ce processus de fausse attribution affective
serait un processus implicite, de bas niveau cognitif et perceptuel, ce qui le rendrait insensible aux modula-
tions de processus propositionnels, explicites et de haut niveau. Le conditionnement non conscient aurait
alors plus de chance de se produire lorsque la source des affects est opaque pour l’individu, par exemple
lorsque les affects provoqués par le stimulus non conditionné sont peu intenses ou que le stimulus non

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Persuasion et changement des attitudes 229

conditionné dispose d’une valence parfaitement neutre ou n’a pas de sens d’un point de vue sémantique
(e.g., non-­mot). Par conséquent, tous les facteurs qui viendraient augmenter l’ambiguïté de la source des
affects sont susceptibles de maximiser le processus de fausse attribution. La plausibilité de ces modèles a
été renforcée par des avancées méthodologiques récentes concernant la mesure de la conscience de la
contingence (Hutter et al., 2011, 2012).
Enfin, les modèles les plus récents cherchent à concilier les deux approches propositionnelles et associatives,
où les attitudes implicites et explicites sont des réponses distinctes d’un système intégrant des mécanismes
propositionnels interagissant avec des attitudes implicites fonctionnant sur le principe du réseau associatif
(e.g., modèle APE ; Gawronski & Bodenhausen, 2006). Ces approches permettent de réconcilier les résultats
issus d’études ayant montré que des changements d’attitudes explicites pouvaient n’avoir aucun effet sur les
attitudes implicites liées à un même objet (Gawronski & Strack, 2004), et qu’à l’inverse, un changement d’atti-
tude implicite pouvait n’avoir aucun effet sur les attitudes explicites (Dasgupta & Greenwald, 2001 ; Karpinski
& Hilton, 2001 ; Blair, 2002 ; Olson & Fazio, 2006 ; Gawronski & LeBel, 2008).
Ainsi, plutôt que de savoir si la conscience de la contingence est une condition centrale du conditionnement
évaluatif, la recherche s’oriente davantage vers des modèles dits « meta-­conditionnels », dont l’objet est de
déterminer quelles sont les conditions dans lesquelles la conscience de la contingence est nécessaire pour
que le conditionnement ait lieu, et dans quelles conditions un conditionnement non conscient pourrait se
produire.

2. Persuasion et changement des attitudes


Nous sommes constamment exposés à des messages conçus pour nous
influencer : débats politiques, éditoriaux, publicité, etc. Le changement des attitudes
constitue une particularité centrale dans la vie sociale. Il peut, notamment se pro-
duire lorsqu’un individu est confronté à une argumentation. Les psychologues
sociaux travaillant dans le champ de la persuasion ont, depuis une soixantaine d’an-
nées, cherché à mieux à comprendre les processus en jeu dans le changement des
attitudes. Petty et Cacioppo (1986, p.  5) pro-
posent de la persuasion la définition suivante :
« La persuasion est un changement des
croyances et attitudes résultant d’une exposi-
tion à une ­communication. »
McGuire (1985) puis Prislin et Crano (2008)
identifient quatre générations de recherches
sur les attitudes. La première génération
(années 1920 à 1940) concerne uniquement
les recherches sur la nature et la mesure des
attitudes (Thurstone, Likert et Osgood). La
seconde génération (années 1950 à 1970) fait
état des travaux expérimentaux ayant pour
cadre les théories de l’apprentissage (École de Nous sommes constamment exposés à des messages
Yale  : Hovland, Janis et Kelley, 1953), la qui visent à nous influencer.

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230 Chapitre 9 – Attitudes, changement d’attitudes et comportement

t­ roisième (années 1980 à 1990) porte sur la connaissance de la structure des attitudes
et les modèles duels du traitement de l’information (Chaiken, 1987 ; Petty & Cacioppo,
1986). Enfin, la quatrième génération (années 2000) se focalise pour l’essentiel sur les
mesures implicites de l’attitude.

2.1 Les théories de la persuasion


2.1.1 L’école de Yale
Les premières recherches expérimentales sur la persuasion furent réalisées
pendant la Seconde Guerre mondiale. Elles concernent, en particulier, l’évaluation
de l’impact des films de propagande américains sur le moral des soldats et des
familles américaines (Hovland, Lumsdaine, & Sheffield, 1949). Carl Hovland créa
l’école de Yale peu de temps après la fin de la guerre (« Yale Communication and
attitude change program », Hovland, Janis, & Kelley, 1953). Dans les années 1950,
alors que le behaviorisme est le paradigme dominant en psychologie, les cher-
cheurs de l’École de Yale appliquaient au changement d’attitude les principes de
l’apprentissage : une attitude est nouvellement acquise ou changée parce que l’en-
vironnement renforce son apprentissage. Le renforcement joue donc un rôle essen-
tiel. De ce renforcement dépend l’adhésion ou pas de l’individu au message. Les
travaux de l’École de Yale ont identifié quelques variables susceptibles de renfor-
cer cette adhésion selon la formule « Qui dit quoi ? À qui ? Par quel canal ? À qui ?
Avec quel effet ? » (Lasswell, 1948). Ainsi, une persuasion efficace (quels effets sur
les attitudes et/ou comportements ?) serait-­elle dépendante des variables source
(qui parle ?), message (qu’est-­il transmis ?), canal (comment est-­ce transmis ?), cible
ou public (à qui ?), et de leurs interactions. Hovland et Weiss (1951) montrent, par
exemple, que l’attribution d’un message à une source de forte crédibilité conduit un
plus grand nombre de participants à exprimer, immédiatement après sa lecture,
une attitude allant dans le sens de ce message comparativement à celui attribué à
une source de faible crédibilité. Mais cet effet ne perdure pas (cf. Albarracín &
Kumkale, 2004 ; Hovland & Mandell, 1952). Au fil des recherches, les résultats
s’avérèrent assez souvent contraires aux attentes. Par exemple, dans certains tra-
vaux, l’adhésion obtenue au message s’avérait plus forte avec une source faible-
ment crédible que fortement crédible et des sources peu crédibles étaient
considérées comme plus convaincantes que des sources crédibles. Ces résultats
contradictoires conduisirent les chercheurs à abandonner peu à peu ce modèle (cf.
Petty & Briñol, 2008).

2.1.2 La théorie de la réponse cognitive


Selon Greenwald (1968), la clé de la formation ou du changement d’attitude
ne réside pas dans l’environnement mais dans la tête des individus, plus précisément
dans leurs pensées ou réponses cognitives. Pour lui, en effet, les individus génèrent
des pensées positives (e.g., « c’est intéressant », « cet argument me convainc »), néga-
tives (e.g., « ce n’est pas intéressant », « je ne comprends pas ») ou même neutres lors

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Persuasion et changement des attitudes 231

de la lecture d’un message. La méthode de listage des pensées, proposée par


Greenwald (1968), permet de contrôler et catégoriser les pensées ou réponses cogni-
tives. Les participants inscrivent sur une feuille les pensées qui leur sont venues à
l’esprit pendant la lecture du texte. Les pensées ainsi recueillies sont ensuite classées
selon trois catégories (positives, négatives, neutres). Les pensées positives sont pro-
duites à la lecture d’arguments de bonne qualité, contrairement aux pensées néga-
tives qui, elles, accompagnent la lecture d’arguments de mauvaise qualité. Les
pensées positives ou réponses cognitives favorisent le changement d’attitude. Les
pensées négatives entravent, à l’inverse, le changement d’attitude. Les pensées déter-
minent aussi l’ampleur du changement d’attitude : plus les pensées favorables sont
nombreuses, plus le changement est important. Plus les pensées défavorables sont
nombreuses, plus il y a résistance à la persuasion. Nous verrons plus loin que les
réponses cognitives doivent remplir d’autres critères pour affecter le changement
d’attitude.

2.1.3 Le modèle de probabilité d’élaboration (ELM « Elaboration


Likelihood Model »)
Le modèle E.L.M est une approche à la fois cognitive et motivationnelle de la
persuasion. Petty et Cacioppo (1986), puis Petty et Briñol (2007, 2010a), montrent que
des individus exposés à des arguments à visée persuasive peuvent se former, modifier
ou changer une attitude en empruntant soit la voie centrale du traitement de l’informa-
tion, soit la voie périphérique, soit encore les deux à la fois. L’emprunt de la voie cen-
trale conduit les individus à traiter ou à considérer soigneusement et quasi objectivement
chaque argument contenu dans le message (« cet argument est-­il valable ? Est-­ce que je
le prends en compte ? ») et, par conséquent, nécessite un certain effort cognitif.
L’emprunt de la voie périphérique consiste à traiter ou à considérer superficiellement
les arguments persuasifs. Elle demande peu d’effort cognitif. Le changement d’attitude
est ici le résultat de la présence d’indices périphériques au message comme, par
exemple, une information sur la crédibilité de la source (« quel est l’auteur du message ?
Est-­il crédible ? Puis-­je lui faire confiance ? »). L’emprunt d’une voie plutôt que l’autre
est, notamment, déterminé par le degré de motivation et d’habileté des individus à
traiter ou à évaluer les arguments persuasifs. Parmi les différentes variables ayant un
impact sur la motivation, l’implication occupe la plus grande place. On considère qu’il
y a implication lorsque le thème traité est important pour l’individu. Par exemple,
Petty, Cacioppo et Goldman (1981) ont montré que lorsque des individus sont motivés
à traiter ou à évaluer soigneusement le message persuasif (forte implication), la qualité
de l’argumentation a plus d’impact sur le changement d’attitude que l’expertise et donc

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232 Chapitre 9 – Attitudes, changement d’attitudes et comportement

que de la crédibilité de la source. Le contraire est observé lorsque les individus ne sont
pas motivés à traiter ou à évaluer les arguments (faible implication). Le traitement de
l’information est, selon Petty et Cacioppo, relativement objectif. Toutefois, il peut s’avé-
rer biaisé dans certaines circonstances. Par exemple, des individus ayant une bonne
connaissance du thème traité sont plus facilement aptes à réfuter certains arguments,
que ceux n’en ayant qu’une faible connaissance. Ce traitement biaisé, plutôt partial,
dépendrait aussi des buts que se fixent les individus : parvenir à une conclusion plutôt
qu’à une autre, réagir contre une tentative d’influence, etc. (cf. Girandola, 2003, pour
une revue).

Nous tirerons trois conclusions de la présentation du modèle E.L.M.


1) La première concerne l’existence de deux voies différentes (centrale vs
périphérique) conduisant chacune à la persuasion. Cela ne veut pas dire
que l’emprunt d’une voie exclut systématiquement le recours à l’autre.
Lorsque, par exemple, la probabilité d’élaboration de l’argumentation per-
suasive est forte, la voie centrale et les processus cognitifs qu’elle implique
auront plus d’impact sur les attitudes que la voie périphérique et ses pro-
cessus.
2) La seconde conclusion concerne les rôles multiples des variables et para-
mètres dans la dynamique persuasive, celles et ceux servant d’indices péri-
phériques (e.g., attrait de la source, humeur) lors d’un traitement superficiel
de l’information pouvant aussi servir lors d’un traitement approfondi de
cette information. C’est le cas lorsqu’ils biaisent le traitement de l’argumen-
tation persuasive (e.g., une humeur positive rend plus accessible des pensées
favorables à l’argumentation) ou lorsqu’on les évalue pour se décider à trai-
ter ou pas l’information persuasive (« est-­ce que la beauté de cette personne a
un lien avec ce qu’elle raconte dans le message ? Sa beauté va-­t‑elle m’inciter à
lire ou m’intéresser à son message ? »).

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Persuasion et changement des attitudes 233

3) La troisième conclusion concerne les conséquences que la voie empruntée va


pouvoir avoir sur les attitudes et les comportements. Les nouvelles attitudes
formées à partir de la voie centrale prédisent mieux les comportements, sont
plus accessibles, durent plus longtemps et sont plus résistantes au change-
ment (i.e., attitude forte) que les attitudes formées à partir de la voie
­périphérique.

2.1.4 Le modèle de l’autovalidation


Les derniers développements dans le cadre de l’ELM proposent un modèle de
l’autovalidation (e.g., Briñol & Petty, 2009a,b ; Briñol, DeMarree, & Petty, 2010 ; Petty,
Fazio, & Briñol, 2009 ; Petty, Briñol, Tormala, & Wegener, 2007). Selon ce modèle, le
traitement du message ne détermine l’attitude que dans la mesure où l’individu a
confiance en ce traitement. Selon Briñol et Petty (2009a), deux types de variables
cognitives exercent un impact sur les attitudes  : les variables cognitives de premier
ordre et celles de second ordre. Les premières relèvent du traitement de l’information
et prennent la forme de pensées (ou réponses cognitives) produites lors de la lecture de
l’information. Les secondes concernent la validité que les individus attribuent aux
cognitions de premier ordre produites (Petty, Brinõl, Tormala, & Wegener, 2007).
Briñol et Petty (2009a) ont pu montrer que la production de pensées (ou réponses
cognitives) est une condition nécessaire, mais non suffisante, au changement d’attitude.
Pour obtenir un changement, il faut que les personnes valident cognitivement leurs
pensées (i.e., métacognitions). La validation cognitive s’exprime essentiellement par la
confiance témoignée en ses pensées (« j’ai confiance en mes pensées »).
La source du message peut influer sur le niveau de confiance dans la validité des réponses
cognitives (Briñol & Petty, 2009b). Tormala, Briñol et Petty (2007) ont montré que dans
certains cas – lorsque l’argumentation est de mauvaise qualité – une source faiblement
crédible produit plus de changement d’attitude qu’une source fortement crédible. Ils pré-
sentaient à certains participants des messages de bonne
qualité en faveur d’un nouvel analgésique, et à d’autres
des messages de mauvaise qualité sur le même produit. Ils
leur donnaient, après le traitement du message, c’est-­à-­
dire après le listage des réponses cognitives, des
r­ enseignements sur la source : soit un organisme fédéral
chargé de vérifier les produits médicaux (forte crédibi-
lité), soit un dossier scolaire réalisé par un élève de
q
­ uatorze ans (faible crédibilité). Les résultats montrent
qu’un message de bonne qualité associé à une source for-
tement crédible produit une attitude plus favorable
envers le produit que le même message associé à une
source ­faiblement crédible. La source fortement crédible
a renforcé la nature positive des réponses cognitives
émises pendant la lecture de ce message de bonne qualité. « J’ai besoin de ton conseil, je veux dire par là de ton
Ici, la source fortement crédible valide les réponses cogni- approbation. »
tives ­positives. Un message de ­mauvaise qualité ­produit « Comment les autres influencent-­ils la validation
l’effet inverse  : les participants adoptent une attitude de nos pensées ? »

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234 Chapitre 9 – Attitudes, changement d’attitudes et comportement

plus ­défavorable envers le produit lorsque la source est fortement crédible que lorsqu’elle
est faiblement crédible. La source fortement crédible a renforcé la nature négative des
réponses cognitives émises pendant la lecture du message de mauvaise qualité. Ici, la source
fortement crédible valide les réponses cognitives négatives  : les sujets ont davantage
confiance en leurs pensées négatives.
Tormala, Briñol et Petty (2007) ont identifié
deux conditions produisant les effets d’au-
tovalidation cognitive : 1) ces effets ont plus
de chances de se produire lorsque les parti-
cipants réfléchissent activement au contenu
du message ; 2) la crédibilité de la source ne
modifie la confiance des individus que
lorsque l’information sur la source suit le
traitement du message (cf. aussi l’autovali-
dation affective, Briñol, Petty, & Barden,
2007). Dans le cadre de l’autovalidation, on
intervient après le traitement du message.
Lorsque l’argumentation est de mauvaise qualité, une source La place d’une variable dans la succession
fortement crédible produit moins de changement d’attitude des stimuli peut donc exercer une influence
qu’une source faiblement crédible. sur la persuasion.

2.1.5 Le modèle du Traitement Heuristique-­Sytématique


(HSM, « Heuristic Systematic Model »)
À l’instar du modèle ELM, le modèle Heuristique-­Systématique propose deux
voies de traitement de l’information persuasive (Chen & Chaiken, 1999 ; cf. Meyer,
2000). La voie systématique correspond à un traitement soigné de l’argumentation,
l’autre voie impliquant, pour se forger une attitude, des règles de décisions simples (« ce
que dit un expert est toujours vrai ») et accessibles en mémoire. L’emprunt d’une voie
plutôt que l’autre est guidé par le principe de suffisance selon lequel les individus cher-
cheraient un équilibre entre un minimum d’effort cognitif et la satisfaction de leur
besoin de précision. Si la voie heuristique ne leur permet pas d’atteindre un jugement
précis, alors ils s’efforcent de traiter l’information par la voie systématique jusqu’à
atteindre leur seuil de suffisance, qui correspond au seuil à partir duquel ils considè-
rent leur jugement précis ou fiable. Le H.S.M n’exclut pas l’intervention conjointe du
traitement systématique et heuristique dans le traitement de l’information (e.g., Chaiken

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Persuasion et changement des attitudes 235

& Maheswaran, 1994). Cette cooccurrence des traitements peut produire divers effets
sur les attitudes : a) un plus fort impact (ou additivité) lorsque les conclusions issues de
ces deux traitements ne sont pas contradictoires ; b) une atténuation  lorsque les
conclusions issues du traitement systématique contredisent celles issues du traitement
heuristique ; c) des biais  dans la mesure où des arguments peuvent être jugés de
meilleure qualité lorsqu’une source experte les expose. De même, la perception de la
source peut être influencée par la qualité des arguments présentés : une source paraît
d’autant plus experte que ses arguments sont jugés de bonne qualité.
Selon le H.S.M, la motivation à traiter l’information varie selon les buts que se donnent les
individus (e.g., détenir de l’information correcte et précise, résister à une tentative d’in-
fluence, faire plaisir à autrui). Des niveaux de motivation sont aussi définis, par exemple,
la motivation défensive préserverait le Soi (e.g., valeurs, identités, croyances) de toute
menace le remettant en cause. Ce type de motivation biaise le traitement de l’information
systématique et heuristique et, au-­delà, prépare à contre-­argumenter et résister à une
tentative de persuasion ultérieure (e.g., « si cette information va dans le sens de mon opinion,
alors je la considère comme vraie. Si elle s’y oppose, alors je ne la prends pas en compte »).

2.1.6 Le modèle unimodal ou à processus unique (Unimodel)


Kruglanski et ses collègues (Kruglanski & Thompson, 1999a, b ; Kruglanski,
Thompson, & Spiegel, 1999) ont proposé un modèle qui se démarque très sensible-
ment des précédents. Selon ce modèle, l’impact persuasif des indices périphériques,
des heuristiques et des arguments est, contrairement à l’ELM ou au THS, indépen-
dants du degré d’implication, de la motivation ou encore de la capacité des individus
à traiter l’information. Kruglanski et Thompson (1999a) ont présenté une source
experte (ici nommé indice) en quelques lignes (profession, études) suivies par une
argumentation persuasive de longueur équivalente. Ils s’attendaient à ce que cet
indice ait un impact persuasif en situation de forte implication. Rappelons que, selon
le modèle ELM, les indices ne sont pas systématiquement pris en compte lorsque
l’implication est forte. Leurs résultats ont montré que les participants fortement
impliqués se laissaient plus facilement persuader par cette source  –  experte
donc – que ceux faiblement impliqués. Le traitement d’un indice long et complexe (ici,
quelques lignes) requiert, de la part de l’individu fortement impliqué, une forte moti-
vation et une capacité cognitive importante équivalente à un traitement de l’argumen-
tation. Ce traitement inciterait au changement d’attitude (Erb, Kruglanski, Chun,
Pierro, Mannetti, & Spiegel, 2003 ; Erb, Pierro, Mannetti, Kruglanski, & Spiegel,
2007 ; Kruglanski, Erb, Spiegel, & Pierro, 2002 ; Kruglanski, Pierro, Mannetti, Erb,
& Chun, 2007). Il existe des indices périphériques faibles et forts comme il existe des
arguments forts ou faibles. Par exemple, la recommandation d’achat d’une marque de
télévision par un magazine indépendant de défense des consommateurs est un indice
fort, probablement plus fort qu’un argumentaire portant sur les qualités techniques
de ce même objet. Au contraire, l’information publicitaire selon laquelle le joueur de
golf Tiger Woods vante les qualités d’une prestigieuse marque de montre est un indice
faible car cela en dit implicitement plus sur la rétribution financière versée au joueur
pour en faire la publicité que sur les réelles qualités de la montre (« si Tiger Woods a
accepté de faire cette publicité, c’est parce qu’on lui a donné en échange une forte somme

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236 Chapitre 9 – Attitudes, changement d’attitudes et comportement

d’argent »). Il n’est donc guère possible de développer des critères permettant de dis-
tinguer objectivement indices forts et arguments forts, d’une part, et indices faibles et
arguments faibles, d’autre part. L’interprétation de ces indices ou des arguments
dépend des croyances des individus sur tel ou tel objet (Lay Epistemic Theory,
Kruglanski, Dechesne, Orehek, & Pierro, 2009). Par ailleurs, les indices contenus dans
le message sont utilisables dans une règle courte du type « si X alors Y » ou « si c’est
un expert alors il a raison ». Cette règle ou heuristique serait préférentiellement
construite et/ou utilisée par des individus ayant un fort besoin de clôture cognitive
(« Need for Closure »), besoin défini comme « le désir d’obtenir une réponse sur un sujet
donné, n’importe quelle réponse, plutôt que la confusion ou l’ambiguïté » (Klein &
Webster, 2000 ; Kruglanski & Webster, 1996 ; Webster & Kruglanski, 1994).
Les trois modèles (ELM, HSM, Unimodel) partagent deux idées importantes.
D’abord, les ressources cognitives limitées ne permettent pas un traitement en
profondeur des messages. Ensuite, l’effort alloué au traitement est déterminé par
la motivation et la capacité de l’individu. Les modèles duels (ELM et HSM) font état
d’un processus asymétrique  : seuls les indices périphériques ou les heuristiques,
présentés avant le message, sont en mesure de biaiser le traitement de ce message.
Pour l’Unimodel, les indices peuvent biaiser le traitement des arguments au même
titre que les arguments peuvent biaiser le traitement des indices (i.e., équivalence
entre indices et arguments). D’autres modèles de la persuasion insistent sur les
différentes étapes ou séquences dans le processus de persuasion (Albarracín,
2002 ; Albarracín, Cohen, & Kumkale, 2003 ; Albarracín, McNatt, Findley-­Klein,
Ho, Mitchell, & Kumkale, 2003).
Les recherches dans le cadre de ces modèles bénéficient, depuis peu, de différentes
méthodologies et théorisations permettant la prise en compte des attitudes implicites
(Petty, Fazio, & Briñol, 2009 ; Wittenbrick et Schwartz, 2007). Les recherches fon-
damentales, mais aussi appliquées, devraient rapidement tirer profit de ce nouveau
champ d’étude (cf. Bohner et Dickel, 2011) dans différents domaines (e.g., la persua-
sion par la peur, De Hoog, Stroebe, & de Wit, 2007, 2008 ; Girandola, 2000a ; ou
encore la prédiction des comportements, Perugini, Richetin, & Zogmaister, 2010).

3. Comportement, dissonance cognitive


et changement des attitudes
En 1957, Léon Festinger propose une nouvelle théorie : la théorie de la disso-
nance cognitive, qui peut être considérée aujourd’hui comme une des plus importantes
en psychologie sociale (Olson & Stone, 2005 ; Fointiat, Girandola & Gosling, 2013).
L’univers de pertinence de cette théorie concerne les cognitions et leurs relations.
Selon Festinger, une cognition est « une connaissance, une opinion ou croyances sur
l’environnement, sur soi-­même ou sur son propre comportement » (e.g., « j’ai soif », « je
joue de la guitare », « j’aime le jogging »). Pour Festinger, les cognitions doivent être
analysées à l’aide de l’implication psychologique qui renvoie à l’idée d’un lien que l’in-
dividu se représente comme optimal entre deux cognitions prises isolément.

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Comportement, dissonance cognitive et changement des attitudes 237

Cette théorie permet de définir trois « Je suis musicien »


types de relations  : les relations de est une opinion ou croyance
consonance, les relations de dissonance sur soi-­même ou sur son
et les relations de neutralité. Soit deux propre comportement
et correspond à la définition
cognitions A et B, on parlera de relation
d’une cognition
de dissonance si  la seconde cognition selon Festinger.
est l’opposée de celle que l’on devrait
avoir par implication psychologique de
la première  : A (non-­B. Par exemple  :
« j’ai soif » et « je ne bois pas ». On par-
lera de relation de consonance si  la
seconde cognition correspond à celle
que l’on doit avoir par implication psychologique de la première : A (B. Par exemple :
« j’ai soif » et « je bois ».

3.1 L’éveil de la dissonance et ses conséquences


Pour Festinger, quelqu’un ayant deux cognitions ne s’accordant pas (disso-
nance) ne va pas conserver ce désaccord. Il va s’efforcer de le réduire, en modifiant
l’une d’entre elles dans le sens d’un meilleur ajustement avec l’autre (réduction de la
dissonance). Ainsi, un individu ayant simultanément les cognitions « j’ai faim » et « je
me prive de nourriture » pourra réduire la dissonance générée par le désaccord entre
ces deux cognitions en se disant qu’il n’a pas vraiment faim. Plus précisément, la disso-
nance produite par le désaccord entre deux cognitions s’accompagne d’un inconfort
psychologique (tension). C’est cet inconfort psychologique qui va mettre en marche la
dynamique cognitive en vue de sa réduction. Ainsi, Festinger attribue-­t‑il à l’inconfort
psychologique un rôle médiateur dans l’obtention des effets de dissonance : l’incohé-
rence cognitive entraîne de l’inconfort, et cet inconfort déclenche le travail cognitif
orienté vers la réduction de la dissonance (cf. Elliot & Devine, 1994 ; Lecrique, 2007).
Pour réduire leur dissonance, les individus, le plus souvent, justifient a posteriori leur
comportement (rationalisation) en modifiant leur attitude dans le sens d’un meilleur
accord avec ce qu’ils ont fait. Pour Festinger, plus la dissonance est forte et plus le
travail de réduction de la dissonance est élevé. Le test de cette prédiction suppose que
l’on sache quantifier la dissonance globale. C’est la fonction du taux de dissonance. Si
l’on appelle D la somme de toutes les dissonances impliquant une cognition particulière
et C la somme de toutes les consonances, le taux global de dissonance est donné par le
rapport D/D+C.
On doit à Festinger et Carlsmith (1959) d’avoir, les premiers, testé dans le paradigme
de la soumission forcée (quelquefois rebaptisé soumission induite) les prédictions déri-
vées de la théorie de la dissonance. Dans ce paradigme, les participants sont amenés à
réaliser un comportement problématique, c’est-­à-­dire contraire à leurs opinions (e.g.,
défendre une position à laquelle il n’adhère pas) ou à leurs motivations (e.g., manger un
plat qu’il n’aime pas). La réduction de la dissonance se traduit en phase post-­
expérimentale par un ajustement des cognitions au comportement de soumission.

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238 Chapitre 9 – Attitudes, changement d’attitudes et comportement

Dans l’expérience de Festinger et Carls-


mith (1959), les participants réalisaient
dans un premier temps des tâches fas-
tidieuses.
L’expérimentateur leur faisait ensuite
croire qu’il s’intéressait aux attentes
des individus sur leurs performances
et qu’il avait besoin que le prochain
participant pense que les tâches étaient
intéressantes. Il leur demandait alors
un service : dire au participant suivant
que les tâches qu’ils venaient juste de
réaliser étaient amusantes et non pas
Leon Festinger (1919‑1989) propose en 1957 la théorie
de la dissonance cognitive. fastidieuses. Il leur offrait en échange,
soit un dollar, soit vingt dollars. Les
participants mentaient donc à la demande de l’expérimentateur (comportement de
soumission). Juste après avoir quitté le laboratoire ces derniers étaient invités à rem-
plir un questionnaire permettant de savoir comment ils trouvaient les tâches qu’ils
avaient réalisées. Selon Festinger et Carlsmith, les participants payés un dollar – c’est-­
à-­dire ceux ayant le taux de dissonance le plus élevé – ajusteraient le plus leur attitude
à l’égard des tâches à ce qu’ils venaient de dire et donc à leurs propos mensongers).
Cette prédiction découle de la comparaison des taux de dissonance des participants
rémunérés un dollar et des participants rémunérés vingt dollars. La cognition à partir
de laquelle le taux de dissonance doit être établi correspond au comportement de sou-
mission : il s’agit de la présentation en termes élogieux de la tâche. L’attitude des parti-
cipants envers la tâche est en relation de dissonance avec le comportement de
soumission (mentir). En revanche, savoir que l’on a été rémunéré constitue une cogni-
tion consonante avec ce même comportement. Soit G la cognition relative à la conduite
de soumission, D la cognition relative à l’attitude et C la cognition relative à la récom-
pense (C1  =  1  dollar et C2  =  20  dollars). On a bien par implication psychologique  :
D=>­non-G et C=>G. Soit alors D/D+C1 le taux de dissonance des participants rému-
nérés 1 dollar et D/D+C2 le taux de dissonance des participants rémunérés 20 dol-
lars. Le taux de dissonance est plus élevé lorsque les participants ont perçu une
rémunération d’un dollar puisque, dans ce cas, le dénominateur est le plus faible : D/
D+C1>D/D+C2. La dynamique cognitive de réduction de la dissonance devrait, par
conséquent, être plus forte chez ces participants. Les résultats furent conforment aux
attentes des chercheurs : les participants les moins bien rétribués modifièrent davan-
tage leur opinion dans le sens de la rationalisation (accord attitude/comportement)
que les autres. En d’autres termes, ce sont eux qui, au terme de l’expérience, trouvè-
rent les tâches les moins fastidieuses.
Les recherches qui suivirent montrèrent que l’effet de la dissonance se traduit pas
un changement d’attitude inversement proportionnel à l’importance de la sanction
qu’il s’agisse de récompense ou de punition. On sait aujourd’hui que cet effet n’est
obtenu que lorsque l’acte de soumission a été réalisé dans certaines conditions d’en-
gagement (Beauvois & Joule, 1998, 2002 ; Girandola, 2005 ; Kiesler, 1971, cf. sec-
tion  IV sur la soumission librement consentie)  : il faut en particulier que les

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Comportement, dissonance cognitive et changement des attitudes 239

participants aient réalisé cet acte dans un contexte


de liberté, sans pression situationnelle excessive
donc. Dans l’expérience de Festinger et Carlsmith,
comme dans beaucoup d’autres, les individus
confèrent à l’acte de soumission qu’ils viennent de
réaliser une certaine valeur en adoptant après
coup une attitude explicite conforme à ce qu’ils
ont fait (cf. Gawronski & Strack, 2004). On appelle
rationalisation le processus psychologique par
lequel s’opère le réajustement de l’attitude au com- Les participants à l’étude de Festinger et Carlsmith
portement réalisé. Ce réajustement peut perdurer devaient réaliser une tâche fastidieuse :
(Sénémeaud & Somat, 2009). Certaines variables faire pivoter des chevilles d’un quart de tour.
affectent le changement d’attitude, par exemple,
les participants fortement cohérents – c’est-­à-­dire attachant une grande importance
aux implications de leurs comportements et de leurs engagements – ressentent plus
le besoin de réduire la dissonance, afin de réajuster leur attitude à leur comporte-
ment, que ceux faiblement cohérents (Heitland & Bohner, 2010 ; Sénémeaud, 2003 ;
Sénémeaud & Somat, 2008).
Il est maintenant bien établi que la dissonance possède certaines propriétés motivation-
nelles. Martinie, Olive et Milland (2010) ont montré, récemment, que l’état de disso-
nance facilite la performance à une tâche simple (i.e., temps de réaction plus courts)
n’impliquant pas la mémoire. En revanche, il affaiblit la performance à une tâche plus
complexe (i.e., mémoriser et se souvenir d’une longue liste de nombres). La dissonance
étant coûteuse en mémoire, elle rend plus difficile la mémorisation (cf. Cooper, 1998,
2007 ; Joule, 1987, 1993a).

Focus
L’éveil et l’affect négatif liés à la dissonance pendant
un comportement problématique3

Festinger (1957) conceptualise l’état de dissonance comme un état motivationnel, ayant donc des pro-
priétés énergisantes ou éveillantes. En outre, pour Festinger, la dissonance créée un inconfort psycholo-
gique qui se traduit par un état émotionnel négatif (cf. Martinie, Milland, & Olive, sous presse). Les
propriétés motivationnelles conduisent alors les individus à réduire leur inconfort psychologique et,
dans le paradigme de la soumission induite, le changement d’attitude permettrait de réduire l’affect
négatif.

3.  Marie Martinie, Laurent Milland et Thierry Olive, Université de Poitiers.

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2e épreuve - 27/09/13

240 Chapitre 9 – Attitudes, changement d’attitudes et comportement

Les propriétés énergisantes de la dissonance ont été mises en évidence en analysant la performance à des
tâches après l’induction de la dissonance. Ainsi, il a été constaté que la dissonance facilite la performance à des
tâches simples et entrave celle-ci à des tâches complexes (Pallak & Pittman, 1972 ; Waterman, 1969 ; Waterman
& Katkin, 1967). Ces résultats sont en accord avec ceux obtenus par les théoriciens de l’apprentissage (Spence,
Faber, & McFann, 1956 ; Spielberg & Goodstein, 1958 ; Sanders & Baron, 1975). Selon nous, la performance à des
tâches simples serait facilitée parce que ces dernières impliquent l’émission de réponses dominantes (i.e., une
seule réponse possible) récupérées ou produites de façon quasi automatique et peu coûteuses pour l’individu
(cf. infra pour exemple). En revanche, la performance à des tâches complexes serait entravée en situation de
dissonance, parce que ces dernières impliquent la production de réponses non dominantes, qui sollicitent
donc la mémoire de travail. En effet, lorsque l’individu est confronté à une situation dans laquelle plusieurs
réponses sont possibles (i.e., réponses non dominantes), il doit sélectionner une réponse parmi plusieurs et
inhiber les réponses non choisies. Selon nous, l’implication de la mémoire de travail pour produire une réponse
non dominante annulerait les bénéfices des propriétés énergisantes de la dissonance. Nous avons mis à
l’épreuve cette hypothèse dans deux expériences, dans lesquelles les participants réalisaient un essai contre-­
attitudinel (i.e., tâche principale) en condition de dissonance ou de non-­dissonance (Martinie, Olive, & Milland,
2010). Dans ces deux expériences, l’attitude envers le thème de l’essai était mesurée à l’issue de sa production.
Pendant cette production, les participants réalisaient une tâche secondaire. Dans l’expérience 1, cette dernière
impliquait l’émission d’une réponse dominante et engageait donc peu la mémoire de travail. Plus précisément,
les participants devaient, tout en rédigeant l’essai, détecter le plus rapidement possible un signal sonore simple
en appuyant sur un bouton dès qu’ils le percevaient. Les résultats montrent que les individus détectent plus
rapidement le signal en condition de dissonance qu’en condition de non-­dissonance. Par ailleurs, en condition
de dissonance, la détection du signal est plus rapide en début d’essai qu’en fin. Ces résultats mettent en évi-
dence les propriétés énergisantes de la dissonance, ces dernières étant plus importantes en début d’essai qu’en
fin. Dans l’expérience 2, la tâche secondaire impliquait la production de réponses non dominantes. Les partici-
pants devaient, tout en rédigeant l’essai, mémoriser et rappeler des séries de chiffres dont nous manipulions
la complexité afin de faire varier la charge cognitive. Ainsi, la série de chiffres à mémoriser était soit composée
de 3 chiffres (charge cognitive faible) soit de 5 chiffres (charge cognitive forte)4. Le facteur « charge » (forte
versus faible) était manipulé en intra-­sujet, le facteur « condition » (dissonance versus non-­dissonance) l’était
en inter-­sujet. Contrairement à l’expérience 1, nous nous attendions à observer une détérioration de la perfor-
mance à la tâche de mémorisation de chiffres, particulièrement avec une série de chiffres provoquant une
forte charge cognitive. En effet, cette performance ne dépend pas directement du niveau d’éveil des individus,
mais de la capacité de leur mémoire de travail. Les résultats confirment nos attentes : les performances ne
diffèrent pas en condition de dissonance et de non-­dissonance lorsque la charge de la tâche de mémorisation
est faible. En revanche, lorsque la charge de cette tâche est forte (séries de 5 chiffres), la performance des
individus est dégradée en condition de dissonance comparativement à celle observée en condition de non-­
dissonance. Ce résultat suggère que la dissonance consomme des ressources en mémoire de travail. Néan-
moins, la réalisation de l’essai contre-­attitudinel en condition de dissonance ne semble pas nécessiter un grand
effort cognitif, puisque la performance n’est affectée que si la charge de la tâche secondaire est élevée.
Concernant la composante émotionnelle (Elkin & Leippe, 1986 ; Harmon-­Jones, Brehm, Greenberg, Simon,
& Nelson, 1996) négative (Elliot & Devine, 1994 ; van Veen, Krug, Schooler, & Carter, 2009), malgré les divers
travaux en attestant, une question demeure. Selon Cooper et Fazio (1984), l’état de dissonance serait au
départ indifférencié puis négatif, alors que pour Elliot et Devine (1994), il serait spécifiquement aversif (et
donc négatif dès le départ). Nous avons récemment (Martinie, Olive, Milland, Joule, & Capa, 2013) testé la

4.  Une charge de trois éléments est en dessous de la capacité de la mémoire de travail et une charge
de cinq éléments dépasse la capacité de la mémoire de travail (Cowan, 2005).

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2e épreuve - 27/09/13

Comportement, dissonance cognitive et changement des attitudes 241

nature de l’état de dissonance en utilisant l’électromyographie du visage, qui fournit des informations sur
le déroulement temporel des états émotionnels ressentis par les individus (Cacioppo, Petty, Losch, & Kim,
1986). Dans cette expérience, les participants étaient appareillés de deux électrodes placées au niveau des
corrugateurs supercilii dont l’activité musculaire traduit un état émotionnel négatif, et de deux autres au
niveau des zygomatiques dont l’activité indique un état émotionnel positif. Après une phase de familiarisa-
tion avec le matériel, les participants réalisaient un essai contre-­attitudinel en condition de dissonance ou
de non-­dissonance. Nous avons constaté que l’affect négatif (activité des corrugateurs supercilii) lié à la
dissonance n’apparaît pas au début de la réalisation de l’essai, mais, plus tard au cours de sa production. Ces
résultats plaident donc en faveur de la position défendue par Cooper et Fazio (1984) : l’état de dissonance
est au départ indifférencié, puis il devient négatif. Par ailleurs, nous avons observé que l’intensité de l’affect
négatif prédit le changement d’attitude des individus. Ce résultat suggère donc que le changement d’atti-
tude serait directement lié à l’inconfort psychologique. Afin de déterminer le devenir de l’affect négatif
après le changement d’attitude, nous avons mesuré l’activité faciale des participants en condition de disso-
nance pendant la réalisation de l’essai et après la mesure de l’attitude envers le thème de l’essai (Martinie,
Joule, Milland, & Capa, 2011). L’attitude était également mesurée sept jours avant la réalisation de l’essai
(attitude pré-­expérimentale). Les résultats de cette dernière expérience sont identiques à la précédente. De
plus, ils montrent que l’affect négatif diminue dans sa totalité après le changement d’attitude.
En somme, pris dans leur ensemble ces expériences montrent d’une part que l’éveil lié à l’état de dissonance
apparaît très tôt lors de la réalisation de l’essai et qu’il est plus important en début d’essai qu’en fin. D’autre
part, ils attestent que l’affect négatif lié à la dissonance n’émerge pas au début l’essai, mais apparaît plus
tardivement dans sa réalisation. Ainsi, la composante « affect négatif » intervient après la composante
« éveil ». Qui plus est, le changement d’attitude est d’autant plus important que l’intensité de l’affect néga-
tif est élevée. Enfin, l’état de dissonance consomme des ressources en mémoire de travail, sans toutefois
développer un effort mental particulièrement important.

3.2 Les interprétations, débats et remodelages


de la théorie de la dissonance
Depuis maintenant cinquante-­cinq ans, la théorie de la dissonance suscite débats
et controverses (cf. Fointiat, Girandola & Gosling, 2013, 2000b, 2001 ; Stone &
Fernandez, 2008b ; Vaidis, 2011). Si les tenants de la dissonance sont globalement d’ac-
cord avec les présupposés de Festinger (1957) – l’état de dissonance est un état d’éveil
appelant sa réduction – ils divergent quant à la façon de rendre compte de la dynamique
cognitive. Certains en appellent à la responsabilité personnelle (Cooper, 2007 ; Cooper &
Fazio, 1984 ; Wicklund & Brehm, 1976), d’autres font référence à l’appartenance grou-
pale, à la vicariance et à l’identité sociale (Cooper, 2007, 2010 ; Cooper & Hogg, 2002,
2007 ; Glasford, Pratto, & Dovidio, 2008 ; McKimmie, Terry, Hogg, Manstead, Spears, &
Doosje, 2003 ; Matz & Wood, 2005 ; Monin, Norton, Cooper, & Hogg, 2004 ; Norton,
Monin, Cooper, & Hogg, 2003) ou à l’engagement comportemental (Beauvois & Joule,
1996, 1999). Certains mettent en avant le self-­concept, le soi (Aronson, 1969, 2007), la
menace du soi (e.g., Stone & Cooper, 2001, 2003), quand d’autres mettent en avant les
caractéristiques objectives de la situation expérimentale (Beauvois & Joule, 1996 ;
Harmon-­Jones, Brehm, Greenberg, Simon, & Nelson, 1996).

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242 Chapitre 9 – Attitudes, changement d’attitudes et comportement

Les révisions de la théorie peuvent finalement, être regroupées en deux grandes caté-
gories, celles qui rompent avec le noyau dur de 1957 et celles qui, au contraire, le
revendiquent. Les révisions ayant trait au soi du sujet (« self-­concept ») sont nom-
breuses (Aronson, 1992 ; Steele, 1988).

Eliott Aronson, de l’Université


de Californie à Santa Cruz,
a étudié l’implication du soi
dans les processus de dissonance.

En accordant au soi une place centrale dans la dynamique cognitive, ces révisions rompent
avec la théorie originale de Festinger. Festinger évoque des relations binaires entre les
cognitions (e.g., « X implique Y » ou « X implique le contraire de Y ») alors que les révi-
sions impliquant le soi font intervenir des relations ternaires (du type : « X implique Y
ou implique le contraire de Y quand Z »). Elles postulent que la nature cohérente ou
incohérente de la relation entre deux cognitions dépend d’une troisième cognition : le
soi du sujet. D’autres révisions, au contraire, revendiquent peu ou prou le noyau dur
de la théorie originale de Festinger (Harmon-­Jones, Amodio, & Harmon-­Jones, 2010 ;
Harmon-­Jones, Harmon-­Jones, Serra, & Gable, 2011). C’est le cas de la version radicale
de la théorie de la dissonance (Beauvois & Joule, 1996), dont les principales proposi-
tions peuvent être résumées ainsi :
1) L’état de dissonance est un état motivationnel
2) Le taux de dissonance se définit à partir d’une seule cognition : la cognition
génératrice (cf. Festinger & Carlsmith, 1959) qui est la représentation d’un
comportement du participant. Cette option a conduit à l’étude de deux
paradigmes originaux de la dissonance cognitive : 1) la double soumission
forcée dans lesquelles le participant est amené à réaliser, non plus seule-
ment un, mais deux comportements dont au moins un est contraire aux
attitudes ou aux motivations du sujet (Azdia, Girandola, & Andraud,
2002 ; Azdia & Joule, 2001 ; Joule, 1991a,b, 1993b ; Joule & Azdia, 2003,
2004 ; Joule & Girandola, 1995 ; Joule & Lefeuvre, 2003 ; Lefeuvre &
Joule, 2002 ; Pittau-­Aillaud & Joule, 2004 ; Renard, Bonardi, Roussiau, &
Girandola, 2007) ; 2) la rationalisation en acte : un acte problématique peut
être rationalisé par la réalisation d’un nouveau comportement plus coû-
teux allant dans le même sens, par exemple une privation inopinée de tabac
de 18 heures peut être ­rationalisée par un engagement dans une privation

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Comportement, dissonance cognitive et changement des attitudes 243

de tabac de 3 jours (e.g., Beauvois, Joule, &


Brunetti, 1993 ; Joule & Beauvois, 1998a ;
Fointiat, 1998).
3) L’adoption d’un mode de réduction de la
dissonance diminue la probabilité qu’un
autre mode de réduction soit observé
(caractère alternatif des modes de réduc-
tion de la dissonance). Par exemple, si la
tension peut être réduite par la voie cogni-
tive (changement d’attitude) alors elle ne le
sera pas par la voie comportementale La rationalisation en acte peut conduire
(rationalisation en acte). Corrélativement, à une diminution significative de la consommation
s’il est difficile, et a fortiori impossible, de tabac chez les fumeurs.
d’adopter un mode particulier de réduction
de la dissonance (e.g., changement d’attitude), alors la probabilité de voir
un autre mode de réduction emprunté augmente (e.g., rationalisation en
acte et/ou trivia­lisation, cf. 3.3).

3.3 Les modes de réduction de la dissonance


Outre le changement d’attitude, d’autres modes de réductions de la disso-
nance sont possibles, notamment en situation de soumission forcée. Simon,
Greenberg et Brehm (1995) se sont intéressés à la trivialisation. Ce mode de réduc-
tion revient, pour l’individu, à dévaloriser a posteriori son comportement problé-
matique et/ou ses attitudes privées lorsqu’elles sont particulièrement saillantes.
Ces chercheurs ont montré que les participants empruntent la première voie
ouverte de réduction de la dissonance et seulement celle-­là. Si on mesure d’abord
la trivialisation, les participants utilisent cette voie pour réduire leur dissonance,
mais pas celle du changement d’attitude. Si on mesure d’abord l’attitude, les parti-
cipants utilisent le changement d’attitude pour réduire leur dissonance mais pas la
trivialisation (i.e., Fointiat & Potier, 2000 ; Martinie, 2003 ; Martinie & Fointiat,
2006 ; Martinie & Joule, 2000a,b, 2004 ; Joule & Martinie, 2000, 2008 ; Martinie
& Larigauderie, 2007 ; Michel & Fointiat, 2003). Gosling, Denizeau et Oberlé
(2006) se sont intéressés, quant à eux au déni de responsabilité. Les participants,
en situation de dissonance, répondaient à un questionnaire incluant une mesure de
la responsabilité personnelle perçue. Le déni de responsabilité permet effective-
ment la réduction de la dissonance (cf. Denizeau, Gosling, & Oberlé, 2009). Ansel
et Girandola (2004) se sont intéressés, pour leur part, à la surconfiance comme
mode de réduction. Dans ce dernier cas, les participants réduisent leur dissonance
en se montrant surconfiants, c’est-­à-­dire en faisant montre d’une confiance exagé-
rée envers le comportement qu’ils viennent de réaliser ou envers la décision qu’ils
viennent de prendre.

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244 Chapitre 9 – Attitudes, changement d’attitudes et comportement

3.4 Hypocrisie induite, exposition sélective à l’information


En situation d’hypocrisie induite (Aronson, 1999 ; Aronson, Fried, & Stone,
1991), la dissonance est éveillée en faisant prendre conscience aux individus de l’écart
qui existe entre ce qu’ils savent de ce qu’on attend d’eux (e.g., ne pas gaspiller l’eau, se
protéger du VIH à l’aide d’un préservatif ; étape 1 : phase d’engagement normatif) et
leurs propres comportements passés transgressifs (e.g., se souvenir de ses gaspillages
d’eau antérieurs, se souvenir des fois où il n’a pas utilisé de préservatifs ; étape  2  :
phase de saillance des transgressions). La réduction de la dissonance passe générale-
ment par un changement des comportements à venir dans le sens de l’engagement
normatif (e.g., Dickerson, Thibodeau, Aronson, & Miller, 1992 ; Fointiat, 2004, 2008 ;
Fointiat & Grosbras, 2007 ; Fointiat, Morisot, & Pakuszewski, 2008 ; Fried, 1998 ;
Martinie & Fointiat, 2010 ; Priolo & Liégeois, 2008 ; Son Hing, Li, & Zanna, 2002 ;
Stone & Fernandez, 2008a ; Stone, Wiegand, Cooper, & Aronson, 1997). Par exemple,
les participants de Stone, Aronson, Crain, Winslow et Fried (1994) tenaient un dis-
cours normatif en faveur de l’utilisation de préservatif (étape 1) puis on leur demandait
de se souvenir de leurs transgressions passées (étape 2), c’est-­à-­dire du non-­usage des
préservatifs (discours contre-­normatif). Les résultats montrent que les participants
dans la condition hypocrisie (étape 1 + 2) ont acheté, par la suite, significativement plus
de préservatifs que les sujets placés dans la condition de transgression seule (étape 2).
Dans le cadre de l’approche informationnelle, Vaidis et Gosling (2011) ont montré
l’existence d’une dissonance informationnelle : le caractère contre-­attitudinel (contraire
à son attitude) d’une information est suffisant pour éveiller un inconfort psychologique
caractéristique de la dissonance (cf. aussi Burris, Harmon-­Jones, & Tarpley, 1997). Les
chercheurs ont également testé certaines prédictions issues de la théorie de la disso-
nance dans le paradigme de l’exposition sélective à l’information (Girandola, 2003 ;
Perrissol & Somat, 2009). Afin de réduire, ou de ne pas augmenter, leur taux de disso-
nance, on s’attend à ce que les individus recherchent les informations allant dans le
sens de leur attitude et évitent, au contraire, celles la remettant en cause (Frey, 1986).
Les recherches ont montré que plus l’attitude est forte, plus les individus sélectionnent
les informations allant dans son sens (Brannon, Tagler, & Eagly 2007) pour peu qu’ils
soient motivés à la défendre (Fischer, Jonas, Frey, & Schulz Hardt, 2005 ; Hart, Albar-
racín, Eagly, Brechan, Lindberg, & Merrill, 2009). Les individus attribuent aussi à cette
information une qualité supérieure (Fischer, Schulz Hardt, & Frey, 2008).

4. Agir sur les comportements et les attitudes :


la soumission librement consentie
De nombreuses recherches montrent que l’on peut influencer les attitudes et les
comportements d’autrui sans avoir recours à la persuasion et à l’autorité. Joule et Beauvois
(1998, 2002) ont regroupé ces recherches dans un même paradigme : la soumission libre-
ment consentie. Cette expression traduit le paradoxe auquel se trouvent confrontés les
participants  : ils ont à se soumettre, c’est-­à-­dire à réaliser un comportement qu’ils

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Agir sur les comportements et les attitudes : la soumission librement consentie 245

n’auraient pas réalisé de leur propre chef, mais à se soumettre dans un contexte de liberté.
Le comportement occupe une place centrale dans ce paradigme qui répond ainsi aux
attentes de certains chercheurs (e.g., Agnew, Carlston, Graziano, & Kelly, 2010 ; Baumeister,
Vohs, & Funder, 2010 ; Toniolo, 2009) ayant constaté un déficit de recherches en psycho-
logie sociale dans lesquelles le comportement social a un statut de variables dépendantes.
Les chercheurs travaillant dans le paradigme de la soumission librement consentie étudient
différentes techniques d’influence sociale (Pratkanis, 2007) dont les plus connus sont le
pied-­dans-­la-­porte (obtenir un peu avant de demander davantage, Freedman & Fraser,
1966) et ses derniers développements (Fennis, Janssen, & Vohs, 2009), notamment en lien
avec la théorie des représentations sociales (Eyssartier, Joule, & Guimelli, 2007, 2009 ;
Souchet & Girandola, 2013), la porte-­au-­nez (refuser une première requête excessive avant
d’en accepter une seconde qui l’est moins), Cialdini et al. 1975 ; Sénémeaud, Somat, Terrier,
& Noël, 2008 ; Terrier & Joule, 2008), l’amorçage (prendre une décision sans en connaître
les inconvénients ou sur la base d’avantages fictifs, Cialdini et al. 1978), le toucher (toucher
quelques instants l’avant-­bras d’une personne, Guéguen & Joule, 2008 ; Marchand, Halimi-­
Falkowicz, & Joule, 2009), le « vous êtes libres de… » (demander un service à quelqu’un en le
déclarant explicitement libre d’accepter ou de refuser, Pascual & Guéguen, 2002), le leurre
(annoncer l’impossibilité de la concrétisation d’une décision avantageuse avant d’offrir la
possibilité d’une autre moins avantageuse, Guéguen, Joule, & Marchand, accepté ; Joule,
Gouilloux, & Weber, 1989), l’implémentation des intentions (faire préciser le lieu, le
moment et le comment de l’action ; Ajzen, Czasch, & Flood, 2009 ; Gollwitzer, 1999 ;
Gollwitzer, Wieber, Meyers, & McCrea, 2010 ; Prestwich & Kellar, sous presse) afin de
casser les habitudes (Andriaanse, Gollwitzer, De Ridder, de Wit, & Kroese, 2011 ; Neal &
Wood, 2009), l’influence par les normes (e.g., Cialdini & Griskevicius, 2010 ; Goldstein,
Cialdini, & Griskevicius, 2008 ; Nolan, Schultz, Cialdini, Goldstein, & Griskevicius, 2008)
ou encore la technique « perturbation-­puis-­recadrage » (Carpenter, 2009 ; Kardes, Fennis,
Hirt, Tormala, & Bullington, 2007), etc.
Le pied-­dans-­la-­porte est la procédure ayant donné lieu au plus grand nombre de
recherches (e.g., Burger, 1999 ; Cialdini, 2009 ; Guéguen, 2002 ; Goldstein, Martin, &
Cialdini, 2008 ; Guéguen & Triffaut, 2003 ; Joule, 2006). Son principe revient à deman-
der peu (acte préparatoire) avant de demander davantage (comportement attendu). Dans
une de leurs expérimentations, Freedman et Fraser (1966) demandent d’abord à des
jeunes femmes au foyer de répondre, sous couvert d’une enquête téléphonique, à
quelques questions anodines, sur leurs habitudes de consommation (acte préparatoire).
Quelques jours plus tard, les ménagères reçoivent un nouvel appel téléphonique. On leur
demande, cette fois, de bien vouloir recevoir chez elles, deux heures durant, une équipe
de plusieurs enquêteurs (comportement attendu). En procédant ainsi, Freedman et Fra-
ser constatèrent que leurs chances de voir accepter cette requête particulièrement coû-
teuse étaient significativement plus fortes (52 % d’acceptation) que dans la condition
contrôle dans laquelle les ménagères n’avaient pas été préalablement sollicitées pour
participer à l’enquête téléphonique (22 % d’acceptation).
La théorie de l’engagement est, notamment, avancée pour rendre compte des effets
observés. Les chercheurs manipulent la variable engagement en jouant sur différents
facteurs situationnels. Ces facteurs peuvent être regroupés, selon Joule et Beauvois
(1998), en deux catégories :

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2e épreuve - 27/09/13

246 Chapitre 9 – Attitudes, changement d’attitudes et comportement

(1) La visibilité de l’acte : a) le caractère public de l’acte : un acte réalisé publiquement


est plus engageant qu’un acte dont l’anonymat est garanti, b) l’irrévocabilité de l’acte :
un acte irrévocable est plus engageant qu’un acte qui ne l’est pas, c) la répétition de
l’acte : un acte que l’on répète est plus engageant qu’un acte qu’on ne réalise qu’une fois,
d) les conséquences de l’acte  : un acte est d’autant plus engageant qu’il est lourd de
conséquences, e) le coût de l’acte : un acte est d’autant plus engageant qu’il est coûteux
(en argent, en temps, en énergie, etc.)
(2) Le contexte de liberté et raisons de l’acte  : a) un
acte réalisé dans un contexte de liberté est plus
engageant qu’un acte réalisé dans un contexte de
contrainte, b) les raisons de l’acte : un acte est d’au-
tant plus engageant qu’il ne peut être imputé à des
raisons externes (e.g., promesses de récompenses,
menaces de punitions) et qu’il peut être imputé à de
raisons internes (e.g., valeurs personnelles, traits de
personnalité). Les raisons externes désengagent,
contrairement aux raisons externes qui engagent.
L’individu va, selon les circonstances, se retrouver
plus ou moins engagé dans l’acte qu’on a su obtenir
de lui. Kiesler a choisi de définir l’engagement par
le lien qui unit une personne à ses actes. Mais il ne
s’agit pas d’un engagement « interne » mais d’un
engagement externe car ce sont les circonstances,
en fonction de leurs caractéristiques objectives,
qui engagent, ou qui n’engagent pas, le sujet dans
Selon la théorie de l’engagement, un acte ses actes. Aussi, Joule et Beauvois (1998) ont pro-
réalisé publiquement est plus engageant posé une définition différente de l’engagement qui
qu’un acte anonyme.
a le mérite de souligner son caractère externe  :
« L’engagement correspond dans une situation donnée, aux conditions dans lesquelles
la réalisation d’un acte ne peut être imputable qu’à celui qui l’a réalisé. » Les effets de
l’engagement au niveau comportemental sur le court et le long terme (Dufourcq-­Brana,
Pascual, & Guéguen, 2006 ; Girandola & Roussiau, 2003) se traduisent par une stabili-
sation du comportement et parfois par l’inscription de l’individu dans un cours d’ac-
tions pouvant s’avérer très coûteux (i.e., escalade dans l’engagement, Girandola, 1999).
Lokhorst, Werner, Staats, van Dijk et Gale (2013) ont montré, dans une méta-­analyse,
l’efficacité de l’engagement à changer les comportements sur le court et long terme.

Procédure de soumission
librement consentie
(ex : pied dans la porte)

Les effets de l’engagement au niveau attitudinel se traduisent par une stabilisation des
attitudes initiales, voire dans certains cas par une extrémisation de celles-­ci, lorsqu’il
s’agit d’actes non problématiques, c’est-­à-­dire conformes aux attitudes et/ou aux

2e épreuve - 27/09/13

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2e épreuve - 27/09/13

La communication engageante 247

­motivations des individus (Kiesler, Mathog, Pool, & Howenstine, cité par Kiesler,
1971). Ils se traduisent par un changement d’attitude dans le sens de la rationalisation,
lorsqu’il s’agit d’actes problématiques, c’est-­à-­dire non conformes aux attitudes et/ou
aux motivations des individus (Joule & Beauvois, 1998, 2002).

5. La communication engageante
Récemment des auteurs (Joule, Girandola, & Bernard, 2007 ; Joule, Bernard, &
Halimi-­Falkowicz, 2008) ont proposé un rapprochement entre deux champs d’études
traditionnellement disjoints dans la littérature en psychologie sociale : celui de l’engage-
ment par les actes (Kiesler, 1971, et plus récemment, les travaux sur la soumission
librement consentie, Joule & Beauvois, 1998) et celui de la persuasion (e.g., Girandola,
2003 ; Chabrol & Radu, 2008). Les variables dépendantes prises en compte dans le pre-
mier champ d’études concernent essentiellement les comportements effectifs (e.g.,
Guéguen & Joule, 2010 ; Priolo & Milhabet, 2008 ; Joule & Beauvois, 1998, 2002). Celles
prises en compte dans le second champ concernent essentiellement l’attitude (e.g., Petty
& Krosnick, 1995 ; Briñol & Petty, 2009a ; Girandola, 2003 ; cf. Webb & Sheeran, 2006),
même si les intentions comportementales ne sont pas totalement négligées. Ce rappro-
chement a débouché sur un nouveau paradigme : la communication engageante.

Lewin (1947) a montré tout l’intérêt qu’il y a à obtenir des actes de la part de celles et de
ceux dont on souhaite obtenir de nouveaux comportements. Le principe de la communi-
cation engageante consiste à faire précéder la diffusion d’un message persuasif de la
réalisation d’un acte préparatoire. Cet acte doit, d’une part, relever de la même identifi-
cation de l’action que le comportement attendu (Vallacher & Wegner, 1985 ; Joule &
Beauvois, 1998) et, d’autre part, être réalisé dans un contexte d’engagement (libre choix,
absence de promesse de récompense ou de menace de punition). Une démarche de com-
munication engageante se différencie à la fois d’une démarche de persuasion et d’une
démarche d’engagement. Elle se différencie d’une démarche de persuasion dans la
mesure où cette dernière n’implique pas la réalisation d’un acte préparatoire. Elle se
différencie d’une démarche d’engagement dans la mesure où celle-­ci n’implique pas la
diffusion d’un message à visée persuasive. D’un point de vue pratique, recourir à la com-
munication engageante revient à amener les personnes-­cibles à réaliser des actes prépa-
ratoires cohérents avec les influences ultérieures auxquelles on souhaite qu’elles soient
sensibles (Joule, Girandola, & Bernard, 2007 ; Michelik, Girandola, Joule, Zbinden, &

2e épreuve - 27/09/13

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248 Chapitre 9 – Attitudes, changement d’attitudes et comportement

Souchet, 2012). Girandola et Joule (2012) analysant la littérature sur la communication


engageante en arrivent à cette conclusion : lorsqu’un message persuasif est précédé de la
réalisation d’un acte préparatoire (communication engageante) – surtout si celui-­ci est
fortement engageant – les effets sur le plan attitudinel, comme sur le plan comportemen-
tal, sont plus marqués que lorsque l’acte préparatoire (condition d’engagement) est réalisé
seul et/ou que lorsque le message persuasif n’est pas précédé d’un tel acte préparatoire
(condition de persuasion). Des actions de terrains ont été réalisées avec résultats promet-
teurs dans le domaine de la santé (e.g., Joule, Bernard, Geissler, Girandola, & Halimi-­
Falkowicz, 2010), mais aussi dans le champ de l’environnement qu’il s’agisse de
promouvoir de nouvelles pratiques de la part de fermiers (Lokhorst, van Dijk, Staats, van
Dijk, & de Snoo, 2010), de la part de plaisanciers en mer, de baigneurs sur la plage, ou
d’automobilistes sur les aires d’autoroutes (Girandola, Bernard, & Joule, 2010).

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