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APOLLONIUS DYSCOLE
DE LA CONSTRUCTION
INTRODUCTION, TRADUCTION
NOTES EXÉGÉTIQUES
INDEX
PAR
JEANLALLOT
VOLUME 1
*
INTRODUCTION,
TEXTE ET TRADUCTION
PARIS
LIBRAIRIE PHILOSOPHIQUE J. VRIN
6, Place de la Sorbonne, v··
1997
La loi du Il mars 1957 n'auwrisant. aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41. d'une part.
que les «copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du c o pi s te et non
destinées à une utilisation collective» et. d'autre parr. que les analyses et les eourres citation'
dans un hut d'exemple et d'illustration. «toute représentation ou repro d u ction intégrale. ou
partielle. faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ay:mts droit ou ayants cause. est
illicite» (Alinéa 1er de l article 40).
'
Cette représentation ou reproduction. par quelque p rocédé que ce soit. constituerait donc une
contrefaçon sanctionnée par les Articles 425 ct suivants du Code pénal.
VOLUME!
Abréviations 7
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Notice technique sur le texte grec et la traduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ... . . . . . . . 85
DE LA CONSTRUCTION .......................................................................... . 87
Sommaire analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . .... . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .... . . . . . . . 88
Livre I ............................................................................................................ 96
Livre II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . .. . . . . ......... . . . . . . . . . . . . . . . . . . .... . . . . . . .... . . . . . . . ... . ... . . . . . . . .... . 148
Livre ID ........................................................................................................ . 207
Livre IV ........................................................................................................ . 270
Adverbes de lieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 294
VOLUME II
N.B. Pour les noms propres d'auteurs et d'ouvrages, voir la section "Références abrégées" de
la bibliographie. - Les abréviations propres aux Notes critiques du texte grec sont signalées
dans la Notice technique sur le texte grec et la traduction, p. 85, note 2.
Sommaire
prépositions.............................................................................. 35
2.2.2.3.2. La partie perdue du livre IV..................................... 38
2.3. Théorie et discours syntaxiques ................ .................................... ......... ........... 41
2.3.1. Le programme ..................... ....................... .............................. ...........
. . 41
2.3.1.1. L'étude des assemblages; la complétude .......... ........ ............. 41
2.3.1.2. La congruence (katallel6tës) .................................................. 45
2.3.1.3. Limites de la congruence morphologique: la 'coïncidence'
(sunémptosis) ..... ..... .. .... ... ....... ......... . ...... .......... ...... ...... ... . . ... .... ......
. . . . . 47
2.3.1.4. Ordre et désordre :les clivages du logos ................................ 48
2.3.1.5. Analogie et pathologie ............................................................ 51
10 DE LA CONSTRUCTION
2.4. Les ressorts de la syntaxe apollonienne ............ ............. ............... ........ .. . . ..... . . . 58
2.4.1. Addition.. . ......................... .......... ...... ...................... ........... . . . . . ......... . . . . 58
2.4.2. . . . selon u n ordre naturel. . ..... ............... ............... ..... ....... .... . .. .. ..... ... . . . . . 58
2.4.3. Cas d 'ordre inversé .. ................... ............ ....... .. .. ........................ . .... .. . .
. . 60
2.4.4. L'ordre 'naturel' comme signe de la relation ... . ........... ......... ... ........... . 60
2.4.5. Un discours codé .... ........ ... ..... .. . .. . ............ ... ............ ..... . ......... ...........
. . . . 61
2.5. Les relations syntaxiques................................................................................... 62
2.5.1. Donner: Apollonius, un syntacticien prisonnier de la
'grammaire du mot' ........... ...... ... ........ .. . ..... .. . .. .... ...... . ... . ...... . .. . ......... .... .
. . . . . . . . . 62
2.5.2. Bécares Boras : Apollonius fonctionnaliste malgré lui ..... .................... 63
2.5.3. Essai de repérage des relations syntaxiques.. .. . ... . . .. . ... ... . . . .. ..... . . . ...... .. . 64
2.5.3. 1 . Relation perçue et relation nommée . . ...... . ............. ............ . . . . . 65
2.5.3.2. Vocabulaire des relations syntaxiques . . ........ . .. ...... . ..... .. . . . .. . . . 67
2.5.3.2.1. Un vocabulaire motivé .... . ... . ... .. . ..... .. ......... . .... . .. . . . . . . 67
2.5.3.2.2. Relations interphrastiques: vocabulaire spéci fique 68
2.5.3.2.3. Transitivité et réflexivité ... . .... . ....... . . . . . .. . . .. ... .. . ... .. . . .. 68
2.5.3.2.4. Sujet et prédicat: absence de désignations
spécifiques . . .............. ..... ........ ............. .. .. ........ ... ............... .....
. . 69
2.5.3.2.5. Une syntaxe des parties de phrase ....... . .. . ...... . ... ... . .. 71
2.5.3.2.6. Syntaxe des phrases complexes . .. ... . . .. . .. .. .. . .. .. .. . .. . . . . 72
3.1'RADUIRELASYNTAJŒ .... ... ... . ... . . . ...... .. . . .. .. .... . ......... .. .. . .. ... .. . . .. .. . . .....
. . . .. .. .. . . . . . . . . .. . .. .. . . . . .. 73
3.1. Le texte grec ................. ....................................................................... . . .............. 73
3.1.1. Histoire . . .... ... .. .... . ....... . . ...
. . .. . ... ... . .. . ... ...... .. . . . . . .. . . . .. .
. . .. . .... ... . . . .. . . . . . . . . . ... .. 73
3.1.2. Le texte et les notes critiques du présent ouvrage . .... . .. . . .. . . .. . .. .. . . . . . .. . . .. . 77
3.2. Le 'style' d'Apollonius .. . . ..... . .. . .. .. . . . .. ...... .. . .. .. . . . . .. . ..... .. . ....
. . . . . . . . .. . . ... . . ... . .. . . ... . ... . 78
3.3. La traduction e t les notes................................................................................... 79
3.3.1. Traduire pour l e lecteur non helléniste .. . . . . . .. . .. . . ... . ... .. . .. . . .. ... . . . . . ... . . .. . .. . . 80
3.3.2. Traduction et interprétation . . ....... ..... . . . .......... .. . ... . . ... . . . .. . ...
.. . . . . ... . . .... ... . . 81
beauc o up d e sens e n peu d e mots), o u bien parce qu'il avait mauvais caractère,
ou bien parce que, dans ses cours, il posait des problèmes difficiles à résoudre
(c'était en effet l usage chez les savants d' autrefois, de se rassembler quelque
' ,
dureté ou parce qu'il lui avait imposé une marâtre. (Hérodien) arriva à Rome
sous Marc Antoine ( ... ) et devint son ami ...
Il est toujours délicat d ' interpréter de telles notices, où le légendaire côtoie
volontiers et concurrence le réel . Il n ' y a guère de raisons de douter des
informations topographiques : A. semble avoir résidé non loin du Musée, le
quartier de 'Proukheion' - le mot pourrait être une déformation de puroukheîon
' silo à grain ' - s ' étendant entre la résidence royale et le port6. On n ' a jamais mis
en doute non plus qu ' A . fût le père d ' Hérodien ; à défaut d ' indication
chronologique concernant A. lui-même, cette paternité, avec l ' information sur le
séjour d ' Hérodien à Rome sous Marc-Aurèle ( 1 6 1-1 80), nous permet de situer la
période d' activité d ' A. vers le deuxième tiers du 2< siècle de notre ère.
En revanche, rien ne permet de contrôler les informations relatives à sa
pauvreté et à sa sévérité envers son fils. Il se peut fort bien qu ' i l n ' ait pas été
riche, mais personne ne croit vraiment qu' il ait écrit son œuvre - certainement
plusieurs milliers de pages d ' une édition moderne - sur des tessons de poterie !7
Quant à l ' éducation du petit Hérodien, même si son père nous dit en passant
(S. rn, § 172) que l ' amour (phileîn) de l ' éducateur implique une certaine énergie
qui le distingue de la p ass i v it é amoureuse (erân), on ne saurait en conclure
q u ' elle ait été d' une dureté propre à i ndu ire une rupture entre le fils et le père .
Lentz (GG III I, p. VIII), en tou t cas, faisant fond sur les expressions qu ' utilise
H érodien pour parler de l ' œuvre d ' A . , notamment quand il est en désaccord
avec lui, ne trouve rien qui accrédite la légende d' une brouille familiale. Est-il
permis néanmoins de suggérer une interprét ation métaphorique des indications
dont la littéralité éveille la suspicion? Pour la première, on pourra penser que la
légende du grammairien écrivant sur des tessons nous informe indirectement sur
la condition précaire du professeur indépendant, qu i n'a pas eu la chance,
l ' habileté, ou la servilité, de se faire protéger par un puissant (comme son fils
par Marc-Aurèle!) ou subventionner par une institution (comme Aristarq u e et
les autres savants de la grande époque du Musée d ' Alexandrie); s ' il était vrai
(j ' y reviens) que notre homme eût m a uvai s caractère, on ne s au r ai t , après tout,
s ' étonner q u ' il ait eu à p âtir économiquement de compréhensibles difficultés
relationnelles . S ur l ' autre po in t le différend entre père et fils, il pourrait fort
,
bien avoir ex i s t é , mais sur un t o u t autre plan que celui des règlements de
comptes entre un jeune homme et un pater familias à la ma in un peu leste.
Erbse ( 1 960: passim, en particulier 363s.) a montré avec beaucoup de rigueur et
de finesse qu' Hérodien et A. ne pratiquaient pas la grammatike de la même
Ménandre- qu'à des propriétés de la production langagière, orale ou écrite- cf. 'un auteur
difficile'.
5. Ou 'des propos' (variante de la tradition manuscrite).
6. La 'rue', dr6mos. sur laquelle donnait la maison d'A. pourrait avoir été la rue de Canope
qui traversait le Proukheion. J'emprunte ces précisions à Blank (1982:5, avec les notes).
7. Il se pourrait qu'on ait affaire ici à une sorte de lieu commun de la biographie antique: on
sait en tout cas que Cléanthe, le successeur de Zénon à la tête de l'école stoïcienne. est
censé avoir écrit, "faute de pouvoir s'acheter du papier, sur des tessons et des omoplates de
bœuf' fDiog. La. VII 174).
12 DE LA CONSTRUCTION
p ourra j uger sur pièces, selon ses standards personnels , si notre auteur
outrepasse ou non les limites d' une saine correction fraternelle entre savants. La
troisième explication est sans doute pour nous la plus i ntéressante, dans la
mesure où elle replace A. dans le cadre de son activité - celle d ' un professeur
qui pose des colles quasi insolubles à ses élèves. Même si, ici encore, il faut
sans doute faire la part de la légende, il est probable que cette brève évocation
des usages des 'savants d' autrefois' nous fait entrevoir quelque chose de ce
qu'étaient les 'leçons' (skhola{) auxquelles A. lui-même fait allusion au début
de la S. (l, § 1 ) et du traité Des conjonctions (213, 1)8. Householder ( 1 9 8 1 :6) a
relevé dans la S., peut-être avec un peu de complaisance, toute la panoplie des
exemples inventés qui renvoient à des scènes de salle de classe ( voir, entre
autres, I, § Ill fin; Il, § 32 ; Ill, § § 26, 5 7 , 1 80, etc . ) ou à des leçons de
grammaire (I, § § 37, 46-49, 52 ; 93; III, § 1 5 2, etc . ) . Il en conclut que de tels
exemples
paraissent clairement évoquer une salle de classe dans laquelle un maître essaie
de maintenir l'ordre et d'apprendre à un groupe de garçons à lire la poésie
(surtout lyrique) et à écrire, posant parfois aux élèves des q uestion s de
grammaire sur le texte étudié. Qu'il ait été pauvre ou non, Apollonius était
certainement un maître d ' école.
Je ne nie pas q u il puisse être légitime de 'faire parler' ces phrases apparemment
'
insignifiantes que sont les exemples de grammaire9, mais, dans le cas présent, je
ne trouve pas les conclusions de Householder particulièrement convaincantes.
Avec Blank (1993 :7 1 0), j ' ai peine à m ' imaginer A. essayant d' inculquer sa
8. On notera. dans le texte des Conjonctions, l'expression skholikai sungumnasiai qui fait
écho aux gumnasiai 'exercices·, de la Vie.
9. Chevalier (1976) a bien montré les implications théoriques et idéologiques du choix des
exemples tel qu'on peut l'observer dans les grammaires françaises depuis le xvre siècle.
Mais son analyse suppose un décodage plus fin que celui que nous propose Householder:
ce dernier me paraît procéd er un peu mécani qu ement en prétendant trouver dans une
collection d'exemples inventés le reflet direct de données biographiques concernant
l'auteur.
INTRODUCTION 13
and serious students ' (Blank, l.c.); quant aux exemples de salle de classe, ils
peuvent parfaitement appartenir, avec les autres où ' le cheval court' , où on
'pioche un champ ' , où ' mon père philosophe' , où 'si Dion marche, il bouge '
etc . , à une panoplie technique accumulée au fil des ans et dans laquelle puise à
loisir le grammairien du 2• siècle.
Tant il est vrai qu'au 2• siècle la grammatike a déjà derrière elle une longue
et féconde tradition - c ' est d' elle qu 'il me faut dire quel ques mots maintenant.
ont été pratiquées en Grèce, comme on sait, longtemps avant 1' époque
classique : si, pour la philosophie, la chose est évidente et bien connue - il suffit,
pour le rappeler d'un mot, d'évoquer Je foisonnement de la pensée dite
'présocratique' -, il est peut-être moins trivial de souligner que l' acti vité
philologique, entendue comme examen exégétique, esthétique et critique des
monuments de la tradition littéraire, homérique en particulier, a été pratiquée
naturellement, pour ainsi dire, comme la prose par Monsieur Jourdain, dans les
corporations de rhapsodes à qui il incombait de cultiver, de conserver et de faire
connaître les chefs-d' œuvre de la tradition épique archaïque. On ne saurait
imaginer que ces professionnels de la récitation homérique ne se soient pas
posé, dans le cadre strict de 1' exercice de leur métier, tous les types de
probl è me s voués à devenir le p ain quotidien du grammatikos alexandrin:
comment prononcer les hexamètres archaïques? quelles variantes p rivi légi er
1 O. Publiée par Cramer. An. Gr. Ox. III, p. 261-278: voir p. 269,26.
1 1. Outre les articles synthétiques des encyclopédies de l'Antiquité, Je lecteur pourra
consulter sur ce sujet Lersch ( 1 838- 1 841 ) . Steinthal (1890-1 891). Pohlenz ( 1 939), Robins
( 1951). Pfeiffer ( 1968). Pinborg ( 19751.
14 DE LA CONSTRUcnON
et, comme son maître, interprète d' Homère (cf. Pfeiffer 1968: 267; Linke 1 977:
1 3-33), fut aussi le célèbre technographe que la tradition a fait de luii4• Quelque
réponse qu ' on donne à cette question précise, on ne faussera certainement pas
l'histoire de la grammatik� alexandrine en faisant observer que, si J' art du
commentaire philologique culmine au 2• siècle av . J.-C. dans l ' œuvre
d'Aristarque, la réflexion linguistique systématique caractérisant en propre la
tékhnë continue à se développer dans les siècles qui suivent et ne culminera,
précisément, qu' avec Apollonius.
Cela dit, qui reste très général, l' histoire de la grammaire alexandrine entre
Aristarque et Apollonius n'est pas facile à faire, faute d ' informations précises
sur les œuvres de bon nombre des grammairiens dont la tradition nous a
conservé les noms - et souvent pas grand chose de plus que les noms. Egger
( 1854:10s.), recoupant les notices biographiques de la Souda, a dressé une liste
permettant de baliser, à vrai dire très partiellement et approximativement, la
suite des générations reliant régressivement Apollonius à Aristarque. Je laisserai
de côté cette liste, qui appellerait beaucoup de correctifs et de compléments
qu' il n'est pas de mon propos d ' apporter ici. Je me contenterai de considérer
celle des grammairiens que mentionne A. dans la partie de son œuvre qui
nous est parvenue, et de faire observer que, sur la vingtaine de noms propres
qu' elle contient, les deux noms de philologues abondamment cités sont ceux de
deuxiS grandes figures des 3•-2• siècles : Zénodote (une quinzaine de mentions)
et Aristarque (vingt-cinq mentionsi6), tandis que ceux dont il signale ou discute
l'opinion en tant que tekhniko{ sont dispersés chronologiquement sur les
presque quatre siècles qui le séparent d' Aristarquei7 :
préférence qu'il accordait à la désignation du pronom par le mot antimomasia (au lieu de
antimumia dont leu sonnait éolien); C. 230,7, pour signaler qu'il rangeait kata panni les
conjonctions; S. Il, § 99, pour son interprétation d'Il. 5.63 par une hyperbate.
16. Ce chiffre ne donne en fait qu'une idée très approximative et nous place bien au-dessous
de la réalité des références à l'œuvre de philologie homérique d ' Aristarque: il apparaît en
effet que, dans un très grand nombre de cas, les leçons et les interprétations d'Homère que
discute A. remontent à Aristarque, ce que prouve leur mention, souvent dans des termes
identiques à ceux que nous lisons chez A., dans les Scholies A de l'lliade; cf., sur ce point,
Erbse (1960). On trouvera à mainte reprise dans mes notes la confirmation de cette
dépendance étroite d'A. par rapport à la tradition philologique aristarchéenne (v. p. ex.,
entre bien d'autres, la n. 261 du 1. 1): s'agissant du corpus 'classique', homérique en
particulier, il se présente a:1 tekhnik 6s du 2• s. de n. ère comme déjà abondamment
'grammaticalisé'- si l'on veut bien entendre ici par ce terme: accompagné d ' un com
mentaire grammatical (paraphrases, discussions, interprétations) qui est devenu comme
son double indissociable. Mais, il faut le souligner, tradition n'implique pas servitude: A.
sait montrer à l' occasion qu'il peut s'écarter des thèses aristarchéennes (v. p. ex. la
justification du pronom h eautous II, §§ 150-160), ou que, lorsqu'il s'y rallie, il a ses
propres raisons de le faire et ne s'incline nullement devant l' argument d'autorité (v. p. ex.
1, § 62 et n. 163).
17. A. mentionne certes encore, pour la même période. divers noms de philologues post
aristarchéens. Mais ces mentions. peu nombreuses et très sporadiques. confirment par leur
rareté et leur dispersion mêmes que les savants qu'elles contribuent à sauver de l'oubli
16 DE LA CONSTRUCTION
d'Athènes sont cités P. 5, 1 9s., non pour leurs travaux de philologie homérique,
mais pour l'usage qu'ils faisaient du mot drthron 'article' appliqué à des
pronoms tB.
Tyrannion l 'Ancien, disciple de Denys et auteur d'un ouvrage Sur les
•
parties de la phrase, est cité P. 4,2 , pour sa désignation des pronoms par le
terme sëmeioseis 'signaux' (frag. 5 8 Haas).
Tryphon, fils (ou élève?) d'un Ammonius lui-même élève d'Aristarque,
•
semble bien être, dans la 2• moitié du 1 er siècle av. J.-C . , le premier grand
tekhnik6s préapollonien. En tout cas, c'est lui qu'A. honore du plus grand
nombre de références (40, dont 1 1 dans la S.), et surtout dont il discute les thèses
de la manière la plus approfondie. À cause du prestige dont il jouissait
manifestement, et que l' imponance que lui accordait A. n'a certainement pas
peu contribué à renforcer, son œuvre, bien qu'accessible uniquement par la
tradition indirecte, est loin d'être pour nous, comme il arrive trop souvent, une
de ces coquilles (presque) vides, simplement ornées de quelques titres
d'ouvrages dont le contenu se réduit à des bribes plus ou moins significatives.
Des 1 3 8 fragments recueillis par Velsen (1853) - et dont les deux cinquièmes
environ proviennent de mentions dans l'œuvre conservée d'A.-. il ressort que
Tryphon avait exploré, de manière sans doute assez systématique, les principaux
secteurs entre lesquels se répartissait la matière formant l'objet de l'analyse
'technique' de la langue grecque. Il avait en particulier consacré plusieurs
ouvrages, visiblement riches d'une réflexion personnelle de haut niveau, à la
théorie des parties de la phrase et aux questions les plus difficiles qu'elle
soulevait: traités Des articles (cf A., S. I, §§ 50, 74-75 , 84, 1 06, 1 36 ; IV, § 6),
Des pronoms (cf. A., P. 1 6, 1 4 ; 5 1,4 ; 56,4 ; 60, 1 7 ; 6 1 , 1 7 ; 65 , 18 ; 79,23 ; 89, 1 4;
S. II, § § 1 3 3 , 1 48 ) ; Des personnes (cf. A., P. 5 1 ,9 et S. III. § 35), D e s
prépositions (cf. A., S. IV, § 36), Des conjonctions (cf. A., C. 220,6 ; 223,30 ;
225, 1 ; 227,25 ; 228, 1 1 ; 230,5 ; 23 1 ,8 ; 235,5 ; 237, 1 4 ; 238, 1 5 ; 240,4 ; 240,20 ;
n ' étaient rien de plus que les honnêtes continuateurs des grands fondateurs des 3c.2e
siècles av. J.-C. On trouve ici les noms suivants:
• Denys de S i don, (P. 81.4). Ptolémée Pindarion. dit 'l ' analogiste' ( cité P. 79.25;
C. 241,1) et Démétrios Ixion (P. 79,26; 89,3 et 14). tous les trois philologues disciples
d'Aristarque, sont mentionnés pour des problèmes de morphologie pron ominale
homérique;
• Seleucus Homericus (IC moitié du 1er s. de n. ère). p h i l ologue de l'école
d'Aristarque, est cité deux fois: A. 195.3. pour sa critiq ue du syntagme homérique
ouran6thi pro; S. Il, § 130, pour son opinion sur la forme pronominale de 2• pers.
ho m é ri q u e sphôi. A utre philologue de la même époque (?) et de l a même tradition.
Ptolémée d'Ascalon, grand spécialiste de prosodie homérique. est cité P. 78.3 1 pour son
opinion sur une forme de réfléchi homérique ;
• Didyme l'Ancien (2' moitié du 1 cr s. de n. ère), l'un des q uatre abréviateurs
d ' Aristarque et l'auteur d'une œuvre gigantesque qui lui valut une réputation de travailleur
infatigable et un surnom éloquent: Chalcentère ('aux entrailles de bronze'). est mentionné
une fois (A. 1 59 . 1 3). pour l'étymologie qu'il donnait de la forme dïnterlocution orân ·mon
bon';
• Apion Mochthos ('la Peine'), grammairien de la 1 c moitié du 1 cr s . de n. ère. di sciple
242, 1 8; 246,2 8; 247,23; 248 ,14; 255 ,9; 257, 1 ), Des adverbes (cf.A.,
A. 1 37,20; 1 46,15; 150,2 0;153,7 ; 159 ,15; 162 . 8; 164 ,4; 167,24 ; 174,3 ;
1 88, 1 1 ; 1 8 8 , 1 9; 197, 1 9; c. 232,4)19.
• Hab ro n, élève de Tryphon, tekhnik6s comme son maître, est loin
d'avoir produit une œuvre aussi riche et diversifiée que lui. Des 21 fr ag ments de
lui qu'a réunis Berndt ( 1 9 1 5), 2 sont rapportés à u n traité Des possessifs, 7 à un
tr ai té Des paronymes, 3 à des ouvrages di ver s, et 8 à un trai té Du pronom. Ces
derniers sont tou s connus par des citations d'A. (qui ne livre aucun fragment de
ses autres ouvrages): cf. P. 5 1 ,4 ; S. 1, § 1 0 1 ; II, §§ 1 5, 38, 53; 68; 1 5 1 ; III, § 45 .
• Héraclide (de Milet), sans doute de quelques décennies plus âgé qu'A.,
auteur, semble-t- il, du premier traité s ys té matiqu e d'accentuation et d'un
ouvrage sur la flexion des verbes irrégu liers est cité trois fois: A. 174,6 pour
,
l' éty mo logi e qu'il donnait de l'adverbe autôs 'en vain', S. IV, § § 56, pour s on
accentuation de eisho, et 6 1 , pour son étymologie de epe{.
• Quelques autres tekhnikof, vi si ble men t d'importance moindre aux yeux
d'A., sont mentionnés ici ou là, pour la plupart une seule fois. Ce sont parfois,
on ne s'en étonnera pas, des personnages peu connus et éventuellement mal
identifiés: Dionysodore de Trézène est cité P. 3 ,16 pour 1' appell ation de
paronomas{a qu'il appliquait aux pronoms; Dracon, P. 1 7, 1 pour celle de
dipr6sôpos biperso nne l ' (cf. S. I, § lOO e t III, § 1 1 2) par laquelle il d ésig nai t les
'
double composante signalée plus haut, philologique d ' abord, li nguis tique
( tech nique ) ensuite. Pour être solidaires l'un de l'autre, ces deux aspects de la
' '
semblent bien avoir été cult ivés chacun par des grammatikof relati ve me nt
spécialisés. En tou t cas, si le nom de grammatik6s, gardant l' ambiguïté d'un
terme g én é riqu e , peut effectivement s ' appliquer à tous, la nomenclature
'professionnelle' s'est dotée du terme spécifique de tekhnikos pour désigner
ceux dont l'œuvre avait un caractère tec hni qu e m arqu é A. est de ceux-là: la
' · .
19. Pour une vue d'ensemble sur l'œuvre d e Tryphon. cf. C . Wendel. R E I I 7 1 (1939): 726-
745.
18 DE LA CONSTRUCilON
20. Pour rn ' en tenir aux ouvrages les plus i mportants (rangés chronologiquement) : Lersch
( 1 83 8 - 1 84 1 }. R. T . Schmidt ( 1 839}. Steinthal ( 1 890- 1 89 1 ) , Pohlenz ( 1 93 9 } , Mette ( 1 952},
B arwick ( 1 95 7 } . Pinborg ( 1 975 }, Baratin & Desbordes ( 1 98 1 ). Blank ( 1 982), Frede ( 1 987),
B aratin ( 1 989b. c , d, 1 99 1 ). Sluiter ( 1 990). lldefonse ( à par. 1 997 ) .
INTRODUcriON 19
s ' agisse d e leur état intérieur (affections : ptithë) o u d e l ' état d u monde autour
d' eux (objets, événements, etc. : pragmata). L ' articulation entre ces différents
niveaux2 • , les termes utilisés pour les désigner ont naturellement varié, et il
n' entre pas dans mon propos d ' étudier cette variation. Je me contenterai
d ' indiquer qu ' il y a là une source i mportante de concepts et de termes
grammaticaux. J ' en énumère un certain nombre qui se retrouvent chez A. :
• fortement articulée chez Platon (Rép. 392 c ) , Aristote (R h é t.
1 403 b 15 )22 et les Stoïciens (Diog. La. VII 62), l ' opposition entre Je dit comme
contenu (lùJ lektéon , logos , ditinoia, sëmain6menon, lekt6n) et la forme du dire
(hôs le ktéon, léxis, phône, sëmaînon) s e retrouve chez A., qui distingue
nettement, en particulier pour l ' entité centrale qu' est le mot (cf. 1 .2.4.3.), entre
ce qui relève du sémantique - sens (énnoia, émphasis23 ) , signifié
(sëmain6menon ou dëloumenon), valeur (dunamis) , connotation (parémphasis),
contenu de pensée (noëton) etc .24) - et ce qui relève du phono-morphologique
forme vocale, soit générique (phône, litt. ' voix'25, prophorti, litt. ' émission,
prononciation ' , plus rarement skhêma 'forme' ), soit fonctionnellement spécifiée
(skhëmatism6s, kharaktêr, désignant une 'formation ' en tant que caractérisant
un mot, une classe, une flexion). Cette opposition a notamment trois domaines
d ' application particulièrement importants : 1 ) à l ' analyste de la langue en
'parties de phrase' , elle fournit deux ordres de critères complémentaires et, en
principe, hiérarchisés : le sens prime la forme (cf. 1 .2.4.4. ) ; 2) corrélativement,
mais à un autre niveau 'technologique' , elle fournit au grammairien en tant
qu' auteur d ' un ouvrage consacré à une partie de phrase le cadre de sa
description : a) le sens, b) la forme26 ; 3) elle permet de faire passer une frontière
particulièrement nette entre variation morphologique fonctionnelle ( flexion,
dérivation) et variation 'pathologique' : la première affecte la forme et le sens, la
seconde la forme seule (cf. 2.3. 1 .5.).
• beaucoup moins nette dans la tradition philosophique est la distinction
entre signification et référence telle qu' elle s ' est élaborée depuis le Moyen Âge
et a acquis droit de cité tant chez les linguistes que chez les logiciens modernes.
Plus exactement, si cette distinction est nécessairement impliquée dans la
réflexion des anciens sur le rapport des mots aux choses et dans la
problématique du ' dire vrai ' , si même elle a parfois donné lieu à des
formulations nettes27, il n ' apparaît pas qu'elle ait été approfondie pour elle -
2 1 . Elle est présentée de manière particulièrement nette, chez Aristote, dans le premier
chapitre du Peri hermeneias.
22. S ur la continuité notionnelle et le renouvellement terminologique, touchant notamment le
mot léxis, entre Platon et Aristote, cf. Dupont-Roc & Lallot ( 1 980:307ss.).
23. S ur l' emploi des ces termes, ainsi que de ceux de la famille du second, cf. Van Ophuijsen
( 1 993:755ss.).
24. Sur pa rémphasis, voir Caujolle-Zaslawsky ( 1 97 8 ) . Chez A . . l ' usage de noët6n est
strictement limité aux considérations théoriques liminaires de la S. (!, § 2. cf. n. 10).
25 . L'histoire de ce terme, de ses origines prégrammaticales à son usage technique chez les
-
grammairiens grecs et latins (vox), a fait l' objet d' une étude approfondie par Ax ( 1 986a).
26. Cf. A . 1 1 9 , 1 : "L' étude de tout mot implique une double approche (duo /6goi), celle du
sens (ho peri tes ennoias) et celle de la forme (ho peri toû skhema tos tes phones)" ; voir
une application de cette dichotomie, Synt. ! , § 75 : 63 , 1 6 et 64,2.
27. Je rappelle q u ' au début du Peri hermeneias ( 1 6 a 4), Aristote distingue les ' choses' ou
' états de choses ' (prtigmata) des ' affections de l ' âme' (pathemata tes psukhes) qui les
reflètent et dont les formes vocales (phOna[) sont les 'symboles ' (sumbola) ou les ' signes'
(sëmeîa). - De leur côté, les Stoïciens, selon Sextus Empiricus, Adv. math. Vlll 1 1 - 12 ,
20 DE LA CONSTRUCTION
même dans l' antiquité, ni q u ' elle ait débouc hé sur l ' i nstauration d ' une
terminologie différenciée et rigoureuse dont les grammairiens auraient pu se
saisir. S ' agi ssant d ' A. , s ' il serait impertinent (malgré certains indices allant
occasionnellement dans ce sens : voir par exemple S. Ill , § 59 et n . 1 37 , la
polysémie de p r6sopon 'personne ' ) de lui prêter une confusion de principe entre
le niveau du signe linguistique et celui du référent extralinguistique, on ne
constate pas, cependant, qu' il fasse usage d ' un vocabulaire différencié pour
rendre respectivement les notions de signification et de désignation.: pour ne
prendre qu ' un exemple, j ' attire ici l ' attention sur la synonymie, à mes yeux
indiscutable, entre les verbes sëmainein et dëloûn ' signifier, indiquer, désigner'
- deux verbes qui a prio ri auraient fort bien pu se prêter à exprimer la
d i stinction en question2 s . Inversement, i l apparaît q u ' un terme comme
h up oke imenon - qu'on doit traduire par 'sujet' au sens logique dans nombre de
textes aristotéliciens - a fondamentalement chez A. le sens de 'référent' (c ' est
du moins ainsi que je crois pouvoir le traduire de manière presque constante :
cf. l ' Index technique s. v. ) . Parallèlement à h upokeimen on, qui désigne le
corrélat extralinguistique d'un terme de type substantivai, on peut dire, je crois,
que des termes comme prâgma acte , état de choses' , prâxis ' action ' , diathesis
'
distin guaient aussi ( écriture mise à part) tro is entités mutuellement soli daires (suzugeîn
(to sëmaÎnon ) , q u i n ' est autre que la forme vocale (phfmë) ; le
allëlois ) : le signifiant
signifié (to sëmainàmenon ) . défini comme "le contenu (prâgma) même qui est indiqué par
la voix et que nous appréhendons comme subsistant dans notre pensée. tandi s que le�
b arbares n ' y ont pas accès bien q u ' i ls entendent la forme vocale'' : l ' é vénement (to
runkhanon ) . à savoir 'le substrat extérieur' (là ektàs hupokeimenon ) . J e me contente de
noter ici la tripartition qui ne peut pas n e pas évoqu er pour nous l a tri ade signifia/li·
s ig n ifi é- référe n t - l aissant de côté J ' analyse critique du témoignage de Sextus et
l ' interprétation ( controversée) du terme wnkhanon : cf. B aratin ( 1 982: 1 5 et n . 1 6) : Frede
( 1 9 87 [ 1 978] : 304 et [ 1 977] : 349 1 : Long & Sedley ( 1 987 : 1. p. 1 9 7 ) .
28. Pour un exemple de fl exibilité sémantique dans le champ lexical d e l a signification . voir
III, § 1 1 2 et n . 262. Sur la synonymie entre sema{nei et dëloûn, c f. *A .. § 17 et n . 3 5 . § 27
et n . 58.
2 9 . Sur les emplois respectifs de prâgma el de diath esis. cf. l 'étude approfondie de V an
Ophuij sen ( 1 99 3 : 7 3 3 s s . ) .
INTRODUcnON 21
les constituants(ex hôn suntithentai) des noms et des verbes3° ; puis encore, à
1 ' aide des noms et des verbes, nous formerons maintenant un ensemble
(sustesomen) grand et beau, un tout (holon) : le logos - qui sera à l' onomastique
ou à la rhétorique ou à tout art appproprié ce qu ' était tout à l ' heure à la peinture
l 'être vivant du tableau.
La récurrence dans ce texte de termes composés à l ' aide du préverbe su(n)-, qui
exprime l ' association, impose déjà l ' idée selon laquelle parler, c ' est mettre
ensemble, composer (suntithénai), coordonner ou construire (suntassein) des
constituants selon un processus répété d ' intégration d ' unités de rang inférieur
dans des unités de rang supérieur, jusqu ' à ce que soit atteint un niveau, celui du
lOgos, 'phrase ' , ' énoncé ' ou même 'texte ' , qui se singularise par un caractère de
complétude ( l ' autotéleia d ' Apollonius) qui permet d ' y voir un 'tout ' . En un
mot, le texte cité du Cratyle est gros du futur concept de suntaxis.
30. Je garde la traduction reçue de 6noma par ' nom' et de rhema par 'verbe ' , mai s , bien
qu' elle puisse s ' appuyer sur les exemples, respectivement de lion. cerf, cheval pour le
premier, de marche, court, dort pour le second en Sophiste 262 b, cette traduction. qui
anticipe sur l ' usage de ces termes chez les grammairiens, a chance d ' être anachronique :
les on6mata sont plutôt ici les termes propres à fournir des sujets, les rhëmata les termes
ou locutions propres à fournir des prédicats.
31. Les guillemets veulent ici attirer l ' attention sur l ' ambiguïté du verbe grec sëmafnein que
je traduis par 'signifier' . Aristote ne paraît pas être sensible à la différence sémiotique,
mise en lumière par les logiciens modernes, entre le nom commun, qui renvoie à une
classe d ' i ndividus en signifiant la qualité qui leur est commune, et le nom propre, qui
renvoie à un individu en le désignant par le nom qu 'il porte, sans que ce nom signifie par
lui-même la moindre qualité : pour reprendre l ' exemple donné par Jakobson ( 1 957: 1 77 ) . si
deux chiens s ' appellent Fido, cela n ' i ndique nullement qu'ils ont en commun une qualité
de 'fidoïté ' . Les Stoïciens ont-ils aperçu ce qui a échappé à Aristote ? S ' il faut faire
confiance au résumé de leur doctrine que Diogène Laërce empru nte à Dioc l è s de
Magnésie. on ne manquera pas d'observer (VII 58) que les définitions des deux parties du
discours distinctes que sont l ' appellatif (prosêgoria, notre ' nom commun ' ) et le nom
(propre, 6noma) n e recourent pas au mê me verbe : si le premier "signifie (sëmaÎnon) une
qualité commune". le deuxième "désigne (dëloûn) une qualité propre " . Mais c ' est peut-être
beaucoup prêter à une tradition de seconde ou de troisième main que de spéculer sur l a
22 DE LA CONSTRUCTION
chose une : non p as ' beau cheval ' ou ' (le) cheval (est) beau' , mais bien
1' i ndiv id u unique appelé ' C al l i ppe ' . Ce faisant, Ari stote in au g ure , en termes
sémantico-référentiels, la réflexion sur l a composition comme phénomène
linguistique sui generis ; le s grammairiens, qui en pousseront plus avant la
théorie (en particulier dans le cadre de la syntaxe prépositionnelle : cf. A.,
S. IV), ret i endro n t, pour l ' analyse des noms propres composés, l ' intuition
première du Stagiri te (cf. A., S. II, § 1 6 1 et n. 355).
1 .2.4.4. Parties de la phrase : c las sement fonctionnel
Les considérations q ui précèdent, avec les références à Pl at on (Cra tyle,
Sophiste), à Aristote (Poétique, Peri hermeneias) et aux Stoïciens (Dioclès de
M agnés ie chez Diogène Laërce VII 49ss.), nous ont déjà fait entrevoir un
,
aspect capi tal de la réflexion des p hi losophes sur le langage : l ' analyse d u logos
en constituants fonctionnellement différenciés, les fameuses 'parties d u
d iscours ' , mérë (toû) logou32. C' est, pour nous a u moins, le Platon du Sophiste
(261 d-262 d) qui f ormul e pour la pre mi ère fois avec une netteté parfaite : 1 ) la
subdivision en deux (ditton génos) des éléments de la lan gue qui font référence
à la réalité - les 'verbes ' rhemata, qui renvo i ent à des ' ac tions' ou à des 'états
,
de chose s ' (p rcixe is), et les ' noms ' , onomata, qui renvoient à ceux q u i
accomplissent les acti ons ou sont i m pli q u és dans les états de choses
(prcittontes) ; 2) la nécessité, pour qui c onqu e veut parler, légein, de former son
énoncé, logos, en entremêlant de mani è re ré g l ée ces deux types d ' éléments
différenciés. Cette double intuition fondamentale donne alors le branle, dans la
tradition philosophique. à u ne enquête systém ati que et de plus en plus raffinée
sur les espèces de mots d on t se constitue la langue grecque. Ce n ' est pas ici le
lieu de retracer les étape s de cette quête33. Je me contenterai, pour en donner une
idée, de citer Qu i n ti l ien (l IV 1 8) qui les résume sommairement34 :
les noms et les conjonctions ( . . ). Peu à peu, le nombre [des parties du discours]
.
fut augmenté par les philosop hes , surtout stoïciens : les articles furent ajoutés aux
différence des verbes quand ils ont l ' un et l ' autre pour complément le même substantif :
qualité. Quoi qu ' il en soit de la s émio tique stoïcienne en la matière, il est clair que les
grammairiens s ' en tiennent, ou reviennent, à une conception unitaire de la signification
nominale : dans la Technè attribuée à Denys le Thrace ( 34,6 U = ch. 1 2,59176 L). les deux
espèces du nom que sont le nom propre (ku rion) et l ' appellatif (prosëgorikon) sont définis
parallèlement comme signifiant (sëmaînon), l ' un la substance (ousia) particulière, l ' autre
la substance commune. Si A., en cela plus stoïcien que la Technè . définit plutôt le nom en
termes de ' qualité' (cf. S. !, § 7 8 ) . je ne trouve pas trace chez lui de la distinction
sémiotique moderne entre nom propre et nom commun.
32. Ce syntagme voué à devenir un des vocables techniques les plus caractéristiques de la
tradition grammaticale gréco-latine n ' apparaît pas chez Platon. Chez Aristote, la Poétique
( 1 456 b 20) parle de mérë léxeos 'parties de l 'expression ' , et le Peri hermeneias ( 1 6 b 27)
fournit les éléments du futur syntagme technique : logos dé esri phone sêmantike hés ton
merôn . . . ( S u r la d i stinction entre mérë logou et mérë léxeos dans la tradition
péripatéticienne, cf. Ammonius, ln A r. de int .. p. 1 2 , 16ss. Busse.) Chez Diogène Laërce, Je
résumé de Dioclès de Magnésie fait alterner méros log ou ' partie du logos ' et stoikheîon
logou 'élément du logos' : selon une sch ol ie à la Technè (5 1 4,35), la deuxième expression
était celle des ' philosophe s ' . stoïciens selon toute vraisemblance (cf. Galien, De Plar. et
Hipp. dogm. , p. 673.6 Müller. qui J ' attribue à Chrysippe) . (Pour une interprétation de la
distinction méros-stoikheîon, voir lldefonse 1 992:4 l ss . )
3 3 . On en trouvera u n e bonne description dans Robins 1 966 ; on peut consulter aussi Lallot
1 988b.
34. On lit un texte de contenu très voisin, et probablement de même source , chez Denys
d' Halicarnasse. De comp. verb. Il 1 -3 .
INTRODUCTION 23
3 5 . Doxographie de ce débat : Sch. Technè 5 14-52 1 . Pour A., la liste ordonnée des h u it mére
logou q u ' il présente au début de la S. (l, §§ 1 2-36) a manifestement le caractère d ' un
élément de doctrine dont la remise en cause est exclue. Nul doute que sa position en la
matière ait contribué à renforcer Je caractère canonique de la liste.
36. C ' est déjà le cas chez Aristote, Pr. Anal. 49 a 1 ss. Il faut donc prendre avec c ircons
pection la doxographie tardive (e.g. Ammonius, ln Ar. de int. , p. 42,30ss. Busse) selon
laquelle le nominatif, pour Aristote, n ' était pas un cas.
3 7 . Cf. Diog . La. VII 64-65 . Je donne la traduction reçue des noms grecs des cas, sans
préjudice de ce q u ' ont pu être les motivations premières (mal connues) de ces dénomi
nations : voir sur ce point De Mauro ( 1 965), Lallot ( 1 989: 1 39ss.) Sur J 'histoire du terme
ptosis, cf. Hiersche ( 1 955), Delamarre ( 1 980). Dupont-Roc & Lallot ( l 980:332s. ) ; sur la
conception proprement stoïcienne des 'cas ' , cf. Müller ( 1 943:94- 1 2 1 [sommairement
résumé dans Pinborg 1 975:86]), Frede ( 1 987 [ 1 978] : 304s. et [ 1 977]:347s.), lldefonse
( 1 997 : 1 55 - 1 87 ) .
24 DE LA CONSTRUCflON
3 8 . Le document de base en matière de nomenclature stoïcienne des temps verbaux est une
scholie à la Technè, due au grammairien byzantin Stéphano s (GG I 3 , p. 250.26) . Sur ce
texte qui a fait couler beaucoup d ' encre. on pourra lire Pohlenz ( 1 93 9 : 1 77), Lohmann
( 1 9 5 3 : 1 8 5 ). Barwick ! 1 95 7 : 5 3 ) . Pin borg ( 1 975 : 92-94 [qui résume les trois précédents et
propose sa propre lecture] ) . Hiersche ( 1 9 7 7 ), Caujolle-Zaslawsky ( 1 98 5 ) , Lallot ( 1 985 et
1 989: 1 7 1 ss. ). B errettoni I l 989a el b).
INTRODUCfiON 25
l ' étude, morphologique et sémantique, des modes verbaux telle que nous la
voyons développée au livre lli de la Syntaxe d'A. ( § § 55- 1 46).
Comme J ' a noté Benveniste ( 1 95 8 : 57ss.), quatre des dix catégories
d ' Aristote renvoient à des catégories verbales, dont troi s relèvent de la
'diathèse' , entendue comme disposition (diathesis) de l' actant sujet par rapport
au verbe. Ce sont : l ' agir (poieîn), illustré par les verbes actifs ' c oupe, brûle ' ,
qui ren ;roie à l ' actif ; l e pâtir (paskhein) , illustré par les verbes passifs 'est
coupé, est brûlé ' , qui renvoie au passif, et la postu re, désignée et illustrée p ar
des verbes media tantum (keîsthai 'être dans une position ' , anakeitai ' est
étendu ' , kdthëtai 'est assi s ' }, qui renvoie au moyen39 ( Cat. 2 a 3). Aristote ,
cependant, ne donne pas de développement linguistique à J ' intuition dont
témoigne le regroupement de ces trois catégories. C ' est, ici encore, aux
Stoïciens (Diog. La. VII 64-65 ) que revient le mérite , dans le ' lieu ' consacré
aux signifiés, d ' avoir distingué entre quatre types de prédicats spécifiés par leur
diathèse : prédicats transitifs-actifs , dits 'droits ' (ortha), prédicats transitifs
passifs, dits 'renversés' (huptia), prédicats intransitifs, dits 'neutres ' (oudétera),
et prédicats réfléchis, dits ' antipassifs' (antipeponthota) . Les grammairiens
tireront parti de ces distinctions sémantiques et s' efforceront de les mettre en
rapport avec la morphologie, moins différenciée, de la voix verbale : on peut
voir dans la Syntaxe d'A. (III , §§ 1 47- 157) que la tâche n ' était pas facile, et que
la diathèse moyenne en particulier n ' a pas reçu chez lui un traitement vraiment
satisfaisant40.
1 .2.4.6. La détermination
Même sommaire et incomplet4 ' , le recensement qui précède met bien en
lumière tout ce que la grammaire technique doit à la réflexion philosophique sur
le langage : il est peu de notions et de termes gramm a ticaux dont on ne puisse
retracer l ' ascendance dans les grands textes platoniciens, aristotéliciens, ou dans
les témoignages que nous possédons sur la théorie dialectique des Stoïciens.
D ' autant plus remarquable est l ' absence, dans ce que nous pouvons ressaisir de
cette tradition, du terme et du concept de personne (prosôpon) - au sens de
catégorie morpho-sémantique verbo-pronominale : bien que les trois 'personnes '
grammaticales apparaissent comme aussi bien intégrées à la théorie alexandrine,
dès ses débuts42 , que les accidents du cas, du nombre, du genre, etc . , on ne
39 . Sur la valeur de la diathèse dite 'moyenne' (mésë) par les anciens, on se reportera à
l ' article fondamental de Benveniste ( 1 950). Si la relation de la ' posture' au moyen est
moins immédiatement évidente que celles de l ' agir et du pâtir à l ' actif et au passif, la
forme et la valeur des trois verbes que choisit Aristote pour la désigner et l ' illustrer ne
laissent guère de doute sur l ' intuition qui l'a conduit à instituer cette catégorie. On peut
même admirer, en contraste avec la médiocrité de la description du moyen par les
grammairiens (cf. Rijksbaron 1 986), le bonheur avec lequel le S tagirite a su sélectionner
des exemples particulièrement représentatifs de ce que Benveniste appelle, avec bonheur
lui aussi, la 'diathèse interne' .
40. Les commentateurs d e l a Technè, très dépendants d ' A . comme o n sait, n ' ont pas fait
mieux que le Maître : cf. Rijksbaron ( 1 986). Lallot ( 1 989: 1 66s. ) .
4 1 . Je me s u i s volontairement limité, i ntroduisant à un traité de syntaxe, à un inventaire
rapide des entités de 'première articul ation ' . Si je m ' étais i ntéressé aux niveaux
asémantiques du phonème et de la syllabe, il serait apparu que. dans ce domaine où les
philosophes sont encore pour nous des témoins précieux du passé pré- alexandrin de la
grammaire, ils étaient eux-mêmes l argement dépendants des musiciens et des métriciens
(cf. . entre autres, Ar., Poét. 1456 b 34) .
42. Les trois personnes sont définies dans la Technè attribuée à Denys le Thrace (p . 5 1 ,4 U =
chap. 1 3 , 1 7/2 1 L). Dans l ' hypothèse où l ' ouvrage serait tardif. on invoquera le témoignage
des plus anciens papyrus grammaticaux. comme le Pap. Yale 1 . 25 (= 1 Wouters. 1 er s . de
26 DE LA CONSTRUCI10N
trouve rien qui les annonce directement dans les textes antérieurs. Peut-on
supposer que les professeurs de l' époque classique parlaient déjà de ' personnes'
pour décrire les pronoms 'je ' et 'tu' et les formes de la flexion verbale, et que
l ' absence de témoignage sur cet usage est à mettre au compte du hasard ?
Quoi qu' il en soit de cette petite énigme historique, une chose est certaine :
l e s philosophes, notamment stoïciens, ont certainement précédé les
grammairiens dans l eur réflexion sur les procédés linguistiques de l a
détermination . Brunschwig ( 1 984) a bien mis en lumière avec quel soin les
dialecticiens du Portique avaient analysé la contribution respective du nom
commun, du nom propre (dont ils faisaient deux parties du discours différentes,
ce qui n' est évidemment pas sans signification), des pronoms et de l ' article à la
détermination du groupe nominal. On sait par ailleurs (A., P. 6 ,30) q u ' ils
avaient rangé dans une même classe, subdivisée en définis (hôrisména ) et
indéfinis (aoristodë), les pronoms( -adjectifs) démonstratifs et 1 ' article des
grammairiens. C ' est manifestement dans la continuité de leur réflexion, même
si c ' est pour en contester les conclusions, qu'A. s ' attache à montrer, notamment
dans le Pronom et aux livres 1 et II de la Syntaxe , comment la troisième
personne s' oppose aux deux premières par une indétermination constitutive (e. g.
S. 1, § 17), et comment, par le double jeu de la déixis et de l ' anaphore, pronoms
et article opèrent la détermination des troisièmes personnes (e.g. S. II, §§ 1 3 et
1 7 ; l, § 1 1 2). Le grammairien n' est pas moins intéressé que le dialecticien par la
question de savoir comment on indique avec le maximum de précision de qui ou
de quoi on parle.
1 .2.4.7 . La phrase complexe
ll est notoire que la théorie de la phrase complexe remonte à la logique
stoïcienne, qui distinguait des 'jugements simples' (axiomata haplâ) les
'jugements non simples' (axiomata oukh haplâ), ces derniers comprenant, à en
croire le résumé de Dioclès de Magnésie qu'exploite Diogène Laërce (VII 7 1 -
73) : l e jugement ' connecté ' (s unëmméno n ) , de type s i p, q ; le jugement
' subconnecté' (parasunëmménon), de type puisque p, q ; le jugement couplé
(sumpeplegménon), de type p et q; le jugement 'disj oint' (diezeugménon), de
type p ou q ; le jugement ' causal ' (aitiodes), de type parce que p, q; le jugement
'explicitant le plus ' (diasaphoûn tb mâllon), type plutôt p que q, et le jugement
'explicitant le moins ' (diasaphoûn tb hetton), type moins p que q. Les logiciens
du Portique avaient décrit le matériel conjonctif qui permettait de joindre deux
jugements simples pour en faire un j ugement complexe de 1' un ou 1' autre type.
et ils s ' étaient attachés à préciser à quelles conditions de vérité étaient soumis
ces assemblages conj oints43 . Ce qui nous reste du traité Des conjonctions,
montre combien la tradition grammaticale, apollonienne en particulier, était
restée tributaire de cette approche logique des phrases complexes : même si, au
début de son ouvrage, A. a des mots durs pour les Stoïciens ' dont la doctrine
transmise n ' est pas trop utile pour le traitement méthodique qui est celui de la
grammaire' (hOn hë paradosis ouk agan khreiodës pros ten eis grammatiken
sunteinousan technologian ), le contenu de son traité montre bien que
l ' originalité revendi quée par le grammairien ré side plus dans l ' analyse
philologique des formes des conjonctions que dans une approche syntaxique
inédite des phrases complexes.
1 .2.4 . 8 . La syntaxe des signifiés
On manquerait un aspect capital de la dépendance de la grammaire
alexandrine, et singulièrement apollonienne, par rapport à la philosophie du
langage, et singulièrement stoïcienne, si l ' on se contentait, comme je viens de le
faire, d' énumérer des catégories et des termes métalinguistiques hérités, sans se
demander dans quel projet d 'ensemble tout ce matériel trouvait sa signification
et sa justification - et si une continuité est décelable entre philosophie et
grarnmaire au niveau même de ce projet.
Pareille question, qui au demeurant n ' est pas neuve, appelle indis
cutablement une réponse nuancée. Il est incontestable, d ' un côté, que le pro
gramme philologique dans lequel s ' inscrivent la constitution et le dévelop
pement de la grammaire technique ne se confond pas avec le projet des dia
lecticiens - et il est facile de montrer que les impératifs de l ' écrit, notamment
sous leur aspect 'éditorial ' , orientent largement le choix des problématiques
grammaticales : l' exemple le plus net qu' on en puisse citer est sans doute celui
de la construction des prépositions, telle qu' elle est traitée au livre IV de la
Syntaxe d'A., l ' objectif visé étant d' établir quand la préposition doit être soudée
au mot suivant ( composition) et quand elle demeure un mot indépendant
Uuxtaposition) - cela sans que jamais soit évoqué, fût-ce en passant, le
problème syntaxique de la rection casuelle des prépositions44. Corrélativement à
cette tyrannie de l ' écrit, il est peu douteux que la grammaire se soit
tendanciellement distinguée de ses sources philosophiques par une attention
accrue portée au détail de la morphologie, c ' est-à-dire par une prégnance
particulière, chez les gramm airiens, de la théorie du signifiant.
Cela dit, on se tromperait lourdement si, durcissant ce contraste, on donnait
à croire que la grammaire se construit essentiellement en rupture avec le
discours philosophique qui l ' a précédée et préparée. Des voix concordantes se
sont élevées récemment pour montrer combien le projet syntaxique d ' un
Apollonius était fondamentalement consonant avec l ' image qu ' on peut se faire
de la théorie stoïcienne des signifiés. La difficulté en la matière tient au
caractère fragmentaire et gravement lacunaire de notre information, et à la
nécessité où l ' on se trouve de reconstruire par spéculation la démarche
proprement linguistique du Portique ; mais les travaux décisifs de Frede ( 1 987
[ 1 977] et [ 1 97 8]), modèles de spéculation rigoureuse, ont permis de dégager des
conclusions capitales : 1 ) il y avait, à proprement parler, une g ra m m a i r e
stoïcienne ; 2) cette grammaire incluait une syntaxe dont l ' objet était l ' étude de
la combinaison des lektd ; 3) c' est ce type de syntaxe , dominé par le concept de
'congruence des contenus de pensée" (katallëlotës ton noëton, S. l, § 2), qui sert
de modèle à Apollonius. Blank ( 1 982), par une étude systématique de la
démarche 'rationaliste' d'A., prolonge et illustre les vues de Frede en montrant
tout ce que la démarche analogiste du maître alexandrin doit à la syntaxe des
intelligibles inaugurée par le Portique . Ce sont là des acquis solides que des
44. La chose est d ' autant plus remarquable que l ' étude des constructions verbales (Ill,
§ § 1 5 8 - 1 90) montre qu'A. a une théorie sémantique des cas. La question de la rection
prépositionnelle apparaît seulement, et alors comme une obligation canonique, dans les
traités de syntaxe byzantins - sans doute en rappon avec la disparition progressive, dans la
langue populaire, des oppositions casuelles dans les syntagmes prépositionnels.
28 D E L A CONSTRUCDON
The work of Apollonius (and, to a lesser extent, that of his son Herodian)
illustrates a period in the history of g rammar in which the influence of
philosophy and philology in parti cu l ar , should still not be underrated - it makes
itself felt on nearly every page. However, it forms the background to their work,
rather than its aim. Far from being a Stoic philosopher doing technical grammar
as a sideline, Apollonius is a grammarian whose work is based on scientific
principles which happen to be philosophical in origin. The exact philosophical
drift of the concepts and ideas he employs, is alive no longer - not at !east to the
grammarians - and it is certain! y not prod u ctive : The even tua! outcome of
Apolloniu s' studies was not necessarily in accordance with Stoic tenets, even if
the starting-points were.
45 . Blank ( 1 993 : 723s.) relève cette orientation interprétative chez Camerer ( 1 965). II appelle
de ses vœux (725) "a comprehensive stu d y of the important and difficult group of words
used by Apollonius to speak of the things meant by verbs : prâgmo., parémphasis. énnoia.
diathesis. skhésis, enérgeia, paratasis, suntéleia, gegonos". On ne peut q ue l ' approuver, et
saluer la parution, dans le même volume d'ANRW, de l ' étude philologique minutieuse de
Van Ophuijsen portant notamment sur les quatre premiers de ces termes.
46. Si la �ammaire prolonge la philosophie du langage, elle le fait dans sa perspec tive
propre. A cet égard, Baratin & Desbordes ( 1 98 1 : 60-62) signalent le poids d on t pèse la
morphologie dans la dé marche du grammairien alexandri n. Donnet ( 1 96 7 : 3 8 ) avai t déjil
montré - et dénoncé comme un han d i c ap 'néfaste' - combien la syntaxe alexandrine (et
byzantine) restait tributaire d' une 'grammaire du mot' (cf. infra 2.5 . 1 . ).
47. Pour écouter la grande leçon sur le sujet, il fallait acquitter ( selon le Socrate du Craryle) le
droit d ' entrée exorbitant de cinquante drachmes. - Le Craryle lui-même est présenté
comme un débat d on t l ' objet est la 'correction des noms ' , orthotës tôn onomaton (383 a ) .
INTRODUC!lON 29
2. LA S YNTAXE D 'APOLLONIUS
Je présenterai l ' ouvrage en trois temps. J ' en indiquerai d' abord le plan
(2. 1 .), en marquant, mais sans encore les commenter, les subdivisions qui rn ' ont
paru se dégager à la lecture49 . J ' esquisserai ensuite (2.2.) une réflexion sur la
structure du traité. Enfin (2.3.), je tenterai de dégager les lignes directrices de la
réflexion d ' A . sur la syntaxe.
48. Sluiter ( 1 990:61) souligne avec rai son l ' originalité de la 'technologie' apollonienne par
rapport aux grandes tâches traditionnelles de la gramma i œ - critique te x tu e ll e (diorthiis is),
théo rie du bon u sage ( hellënismos). o rthog raphe - : tout en apportant des matériaux aux
praticiens de ces dis c iplines . l ' œuvre d ' A . "functions on a differe n t leve!. . . A knowledge
of the system of languo.ge on the leve/ of rhe meaning [ c ' es t moi qu i souligne] . as described
by Apollonius. is necessary to justify the decisions one takes in any one of the e ther
disciplines".
49. Po ur une synopsis plus complète de l ' ouvra ge , le lecteur peut se reporter au somma ire
a naly tiq u e donné ci - ap rès (p. 8 8 ) , qui reflète la structure hiérarchisée du texte d ' A . Les
subdivisions que j ' y propose - et que s i g n a lent, mais 'à p l at ' , sans les emboîtemen t s
hiérarchiques. les sous-titres placés dans ma trad u ct i o n - coïncident souvent, mais pas
touj ours. avec celles q u ' i ndiquent les mss en tête de chacun des livres. Elles peuvent
également différer. par plac e, de celles qui apparaissent (en latin) en ti tre courant et dans
les marges de r éditi o n Uhlig. J ' ai apporté un soin particulier à ce tr av ai l qui me parait
relever. déjà. de 1 ' interprétation.
30 DE LA CONSTRUCTION
2. 1 . 1 . Livre 1
Présenté, dans Je ms B, comme traitant "De la construction des articles",
ce premier livre comporte en fait une première partie ( § § 1 - 36) - que j ' ai
intitulée 'Prolégomènes' - dans laquelle A . présente e t j ustifie son proj et
d ' écrire "sur la construction" ; ce texte recèle évidemment des éléments capitaux
pour notre réflexion ci-après (2.2. et 2.3.). La suite du livre est effectivement
consacrée à la construction des articles : d ' abord ( § § 37- 1 4 1 ) à celle de l ' article
appelé 'prépositif - il s' agit de l' article défini ho (masc. ) 1 hë (fém.) 1 t6 (nt.) , le
seul que possède le grec ancien -, puis, plus brièvement ( § § 142- 1 57), à celle de
l ' article dit ' postpositif - qui n ' est autre, dans la terminologie moderne, que le
pronom relatif hos 1 hi 1 ho.
La section sur l ' article prépositif, après une introduction ( § § 37 -45 )
destinée à clarifier la valeur - fondamentalement anaphorique - d e cette partie
de phraseso, examine analytiquement ses conditions d 'emploi, essentiellement
en recensant les parties de phrase auxquelles il peut vs ne peut pas se préposer,
et, dans le premier cas, ce qui commande son emploi vs son non-emploi ( § § 46-
1 4 1 ).
La construction du postpositif est étudiée ( § § 1 42- 157) par contraste avec
celle du prépositi f : outre l' anaphore, le postpositif comporte un sème conjonctif
qui induit l ' ajout d ' un nouveau verbe après l ' article ( § § 1 42- 1 47 ) ; c' est par
rapport à ce verbe que se détermine le cas du postpositif ( §§ 148- 1 54 ).
2. 1 . 2. Livre Il
Comme le signalent les mss AL, le livre II traite "de la construction des
pronoms " . Après une section générale ( § § 1 -27) dans laquelle sont recensés les
traits spécifiques (fonctionnels, morphologiques, sémantiques) de la classe
pronominale, A. examine une série de problèmes induits par ces spécificités.
À la fonction de base de remplacement du nom se rattachent les problèmes
de transposition (metalëpsis) de l ' article en pronom ( § § 28-39), puis l ' examen
approfondi de la raison d' être des pronoms ( § § 40-47) et de leur fonction auprès
des verbes ( § § 4 8-56).
À la spécificité accentuelle des pronoms (personnels) primaires5I se
rattache l ' étude détaillée des valeurs et des conditions d ' emploi de leurs formes
respectivement orthotoniques et enclitiques ( § § 57 - 1 02).
Certaines formes ambiguës de génitif pronominal ( § § 1 03- 1 32) et les
formes composées des pronoms réfléchis (§§ 1 3 3 - 1 60) ont en commun
d' appeler le raisonnement syntaxique au secours de la morphologie. L' analyse
morpho-sémantique du paradigme défectif des dérivés pronominaux en -dapos ,
à valeur eth nique, i l lustre pour finir ( § § 1 6 1 - 1 70) une singularité de la
combinatoire pronominale.
50. Cette valeur, bien q u ' illustrée uniquement sur le prépositif, se révélera ( § 1 44) caractériser
également le postpositif - raison de poids pour ranger ho et h6s dans la même panie de
phrase.
5 1 . 'Primaire· s' oppose à ' dérivé' (possessif) : les pronoms primaires sont les formes de types
je, les déri vés les formes de type mon. 'Personnels' est entre parenthèses pour la raison
exposée 1. n. 264.
INTRODUCTION 31
2. 1 . 4. Livre IV
Le livre IV tel qu' il nous est parvenu - incomplet - traite de la construction
des prépositions52 , Après un préalable consacré au phénomène paradoxal de la
préposition postposée ( ' anastrophe ' , §§ 4- 1 1 ) , A. passe en revue
systématiquement la combinatoire des prépositions avec les différentes parties
de phrase, en distinguant soigneusement, et si possible en justifiant, construction
composée et construction j uxtaposée (§§ 1 2-78).
Bien q u ' on n ' en ait pas de preuve formelle, on admet généralement que la
partie perdue du livre IV traitait de la construction des deux autres parties de
phrase invariables, adverbes et conjonctions. Considérant personnellement
comme très vraisemblable qu'A. ait traité là des adverbes après les prépositions,
j ' annexe à ma traduction du livre IV celle de la fin postiche du traité Des
adverbes (p. 20 1 -2 1 0 Schneider), consacrée aux adverbes de lieusJ.
52. C ' est-à-dire, pour la langue grecque, de dix-huit mots mono- ou disyllabiques caractérisés
par leur propriété commune de se préposer à toutes les parties de phrase en formant avec
elles tantôt un (mol) composé (un seul accent), tantôt un (syntagme) juxtaposé (deux
accents ) .
5 3 . S u r ce rattachement, proposé p ar O. Schneider ( 1 845), cf. ci-dessous 2.2.2.3.2.
54. Lange ( 1 8 5 2 : 2 ) cite deux ten tatives antérieures à la sienne : celle - parti elle - d'O.
Schneider ( 1 845) "qui. pour démontrer l ' appartenance de la partie finale des Adverbes au
li vre IV de la Sy n taxe , a dû examiner la question du plan de la Syn taxe", et celle
- médiocre - de W . Frohne ( 1 844), notamment dans I ' Exkurs IV "De i nterna syntaxis
condicione". [Malgré ce que les dates de publication donnent à croire, Frohne connaît et
critique l ' article de Schneider.]
32 DE L A CONS'IRUCTION
2.2. 1 . Le programme
Le plan de la S. se comprend par référence à la théorie des parties de la
phrase telle qu' elle est exposée au début du livre 1 ( § § 1 2 -29), et plus
précisément par rapport à la représentation hiérarchique qui place le couple
nom-verbe au centre du dispositif syntaxique. Cette vue est si capitale au yeux
d ' A. qu'il l ' illustre spécialement à la fin de son introduction ( § § 30- 35) sur
l ' exemple des ' inquisitifs ' (peustikd, mots de type 'qui . ? ' , 'quand . . ? ' , etc.,
. . .
55. Sur mon désaccord avec Lange dans l ' interprétation de ce passage. cf. la n. 1 08 ad !, § 36.
56. Les futurs dede{xetai 'on montrera ' , eireserai ' on dira· laissent entendre ici que l a Syntaxe
est postérieure aux Adverbes. ce que confirment. dans la S. . les références aux A. par des
verbes au passé (285.4 ; 3 3 3 . 1 5 ) . Mais d ' autres passages (A . 1 22, 1 1 : voir aussi 1 22 . 33 )
feraient conclure à la chronologie inverse. D' une manière générale. la chronologie relati ve
des œuvres d ' A . pose un problème d é l i ca t et a été beaucoup disc utée : cf. Lange ( 1 8 5 2 : 1 2.
n. 1 6 ) . Dronke ( ] 857:562s s . ) . M aas ( 1 9 1 2 : 1 4s . ) . Thierfelder ( 1 9 3 5 : 2 , n. 1 ) . B l a n k
( 1 99 3 : 7 1 0) s e rallie à l ' opinion majoritaire. défendue notamment p a r M aas. I. e . , selon
laquelle la S . . manifestement œuvre de synthèse, est postéri eure. en tre autre s . aux
monograph ies consacrées aux parties de phrase sur lesquelles elle fait fond. C ' es t aussi
INTRODUCfiON 33
pour qui veut tenter d ' élucider la logique du plan décrit au point précédent. Ils
font attendre que 1' étude des constructions soit organisée en fonction des
' domaines' 5 ï que sont respectivement ceux du nom et du verbe, et, dans ces
domaines, en tenant compte des fonctions d ' accompagnement et de
remplacement qui sont au fondement des aptitudes syntaxiques des diverses
parties de phrase.
mon opinion. que me paraît solidement étayer. à elle seule. la première phrase de r ouvrage
( cf. Dronke, I.e. ) .
5 7 . J ' emprunte c e terme à Lambert ( 1 985: 1 26).
58. On verra plus loin (2.5 .3 .2.4.) que Je métalangage auquel j ' ai recours ici est étranger à A.
M a i s les entités linguistiques qu'il envisage n'en sont pas moins celles que je dis : le noyau
minimal tinthropos épesen '(un) homme chut' , auquel A. aboutit par réduction d ' u ne
phrase présentant d ' autres constituants accessoires (p. 1 7, 1 4), n ' est pas J ' assemblage
quelconque d ' un nom et d'un verbe, c ' est un syntagme sujet-prédicat. héri tier en ligne
directe de ' ( ! ' ) homme apprend' de Platon (Soph . 262 c ) , de 'Philon se-pone-bien '
d ' Ari stote (en filigrane De int. 1 6 b l ss. et 1 7 s s . ) et du ' Socrate écrit' d e s Stoïciens
(Diog. La. Vll 63).
5 9 . Invoquée au � 24 pour justifier. un peu artificiellement, le classement de J ' anicle avant le
pronom dans la l iste des parties de phrase, la priorité de la fonction d' accompagnement sur
celle de remplacement trouve ici une justification de meilleur aloi dans la mesure où le
pronom est décrit comme remplaçant un nom accompagné de l 'article ( § 25).
34 DE LA CONSTRUCDON
60. On ne saurait tirer aucun argument décisif de la pré s en ce de la form ule hexes rheréon,
traduite 'le moment est venu de parler. . . ' . Attestée 10 fois dans la S., cette formule de
transition peut introduire aussi bien des développements hiérarchiquement m ineurs et
limités à quelques § § (1. § 94, § 1 3 1 ; Il, § 1 1 7 ; III, § 78 ; IV, § 56 [ voir la n . 1 36 ad loc . ] .
§ 64) que des sections hiérarchiquement majeures et éventuellement de grande ampleur (1,
§ 1 42 ; III, § 54, § 1 23).
6 1 . Peri res karholikes sunuixeiis tôn rhëmtiton . § 54 . Sur l ' i nterprétation de l ' adjectif
ko.rholike dans cette formule. cf. ma note 1 2 1 ad loc.
62. Cf. Lange ( 1 852:34) : "(Par suntaxis tôn rhëmatiin ' construction des verbes' (§ 30 ;
296.3 )). A. n' entend pas la pure syntaxe du verbe, mais bien plutôt la présentation des
constructions appartenant au dom ai ne des relations syntaxiques réciproques entre nom er
verbe - vues maintenant sous un angle où le terme principal n' est plus le nom. auquel
l ' autre se rattache (antigerm). ma is le verbe".
INTRODUCilON 35
63. Cette brève mention d ' un problème de syntaxe pronominale au début du livre est
évidemment responsable du titre, par ailleurs peu heureux. donné à ce livre dans le ms A
"De la construction des pronoms et des autres parties de phrase".
64. Cette 'justification· pourra à bon droit paraître faible. Je préfère en faire J ' aveu plutôt que
de me rallier sur ce point à l 'explication peu convaincante de Lange ( 1 852:27s.), selon qui :
1 ) placé au début du livre !, J ' exposé en question aurait trop allongé J ' introduction ; 2) le
concept de congruence n ' était pas indispensable pour l ' étude du domaine nominal au
même degré que pour celui de la construction verbo-nominale. Il est certes vrai q u ' aux
§§ 1 3-34 et 4 8 - 5 3 . A. donne surtout des exemples de con structions verbales, mais :
1 ) puisque de toute façon il s' agit d' une prétérition, rien ne J 'empêchait de le faire plus tôt ;
2) en droit, la théorie de la congruence vaut pour l' ensemble des constructions, et il n ' y a
aucune raison de tenir pour mineures ses applications au domaine nominal telles q u ' A . a
les a déjà rencontrées dans les livres 1 ou II (voir le serment 'par les deux déesse s ' . 1. § 84
et III. § 28 : la question du composé pluriel heautoûs et de heruiélwtoi Il, § § 1 50- 1 60 et I II,
§ 3-7. 1 1 - 1 2 : quant au changement de genre ou de nombre dans 1 ' anaphore, étudié Ill,
§ 1 O. il n'a rien à voir avec la syntaxe verbale).
65 . Pour une meilleure appréciation du rôle que (ici indépendamment de Lange) je fais jouer à
la ' personne' dans la logique impl icite du 1. I l l . on pourra se reporter, notamment. à mes
notes 1 22 et 1 39.
36 DE LA CONSTRUCTION
66. Sans remettre en cause cette réserve. l ' étrange remarque du § 66 sur le mimétisme auquel
est soumis l ' adverbe par rapport au verbe i ndique i ndirectement que cette polarité tend à
'diffuser' du noyau central du système vers ses parties secondaires.
INTRODUCTION 37
des parties de phrase fléchies67, il reste donc à s' occuper des non fléchies - dans
J ' ordre canonique : préposition, adverbe, conjonction. Le retour à la liste pour
s' acquitter de ce qui reste, mentionné sans états d' âme par Portus68, constitue+
il un argument ' avouable' ? Face à cette question, la position de Lange ne me
semble pas nette : d ' une part, nous avons vu plus haut qu' il ne dédaigne pas (37)
de tirer argument de l ' ordre de la liste pour justifier qu' après le pronom, dont
J ' étude se termine au début du livre Ill , la préposition soit abordée au livre IV
mais d' autre part il commente comme suit (38, n. 70) la phrase de Portus (citée
note 68) :
C ' est certes vrai extérieurement, mais on prête ai nsi à Apollonius un point de vue
qui l ui est complètement indifférent.
J' avoue être moins sûr que Lange de ce qui était indifférent à A., et je ne verrais
pour ma pan rien de surprenant à ce qu'un grammairien qui a argumenté avec
tant de conviction en faveur de l ' ordre canonique des parties de phrase au début
de son traité (1, §§ 1 2-36) fasse fond, implicitement sinon mécaniquement, sur sa
liste quand il doit choisir un nouveau thème à aborder. Encore ne faudrait-il pas
accentuer exagérément l' aspect mécanique et irraisonné de la chose : si, prenant
la liste par la fin, on tient compte 1 ) du caractère proprement marginal de la
conjonction (cf. I, § 1 4 ; 1 7 ,5) - dont on admettra facilement q u ' il doive se
traduire par un traitement à pan de sa construction -, 2) de la variété et de la
singularité constructionnelles qui caractérisent les prépositions (associations
avec toutes les parties de phrase, alternative composition 1 j uxtaposition ,
anastrophe) opposées à la relative uniformité de la syntaxe adverbiale, on ne
trouvera, une fois de plus, rien d' incongru à ce que le syntacticien qui a fait le
tour des parties de phrase fléchies "passe aux constructions des prépositions"69.
Quoi qu ' il en soit des justifications, seulement conjecturales, de la
thématique du livre IV, nous constatons, dans la partie qui nous en est parvenue,
qu'A., après une brève introduction ( § § 1 -3 ) et l ' exposé sur l ' anastrophe dont
j ' ai déjà parlé (§ § 4- 1 1 ) , traite méthodiquement, à propos des prépositions, d' un
unique problème : quand - c' est-à-dire avec quelles parties de phrase, et
éventuellement sous quelles conditions - leur construction avec le mot auquel
elles sont préposées est-elle une composition, quand une juxtaposition. J ' ai déjà
67. C'est le lieu de noter (avec Lange 1 852: 1 5ss.) que le participe , hybride de nom et de
verbe, ne fait pas l ' objet d · une étude séparée. Ses constructions nominales. notamment
avec l ' article, sont étudiées en bonne place au livre 1 ( § § 1 1 0- 1 1 4 ; 1 36- 1 37 ) ; ses
constructions verbales sont exécutées par une simple allusion au livre III ( § 1 90 ; voir aussi
1, § 1 4 1 ) ; son comportement, mixte, avec les prépositions est exposé au l i v re IV ( § § 5 0-
5 2 ; cf. aus si § 1 3) . I l resson enfin de A. 1 22,33 que la construction des adverbes avec les
participes était étudiée dans la Syntaxe ( parti e perdue du 1 . IV) : cette étude mettait en
évidence que cene construction était la même qu' avec les verbes (cf. A. 1 2 1 ,2 : "l' adverbe
(ne peut donner une phrase complète) sans verbe ou sans participe, ce dernier possédant
potentiellement ce qui fait l ' identité du verbe (dunamei idloma ékhei to toû rhëmatos) - je
ne veux pas dire par là que les participes expriment une pensée complète, mais que les
adverbes se rapportent aux participes") .
6 8 . Dans l ' éd. de Syl burg ( 1 590:378) : I n superioribus libris docuit Apollonius de
"
constructione partium orationis, quae inclinantur : consequens erat, ut de iis. quae non
inclinantur, jam praecepta daret". Cf. Egger ( 1 854:20) : "le quatrième livre de la Syntaxe . . .
devait comprendre la syntaxe des trois espèces de particules indéclinables".
69. En l ' absence d ' u n paradigme suffisamment fourni de formules de transition, il serait
imprudent de spéculer sur l ' emploi de la forme métimen n ou s allons passer' dont nous
'
avons ici l u n i q ue emploi chez A. Tout ce q u ' on peut (peut-être) en dire est q u ' elle a une
'
all u re parfaitement banale et q u ' à ce titre elle conviendrait bien à quelq u ' un qui voudrait
dire simplement q u i l va 'passer à la suite ' .
'
38 D E LA CONSTRUCTION
70. Je souligne en passant que, contrairement à une idée répand ue - cf. Egger ( 1 854:220) : "la
syntaxe des adverbes, qui commence au chapitre X [de l ' éd . B ekker, soit Je
§ 56 Uhlig] . . . " ; Householder : titre courant du 1. IV "PREPOSITIONS ; ADVERBS" et, après
le § 55 . "End of the Section on Prepositions" -, la ' syntaxe des adverbes ' . au sens que
cette expression peut évoquer aux oreilles d ' un moderne, n 'est pas traitée dans la partie
conservée du livre IV : je renvoie, pour la démonstration de ce point à Lange ( 40ss.) e t à
ma note 1 36 ad III , § 56.
7 1 . Sous réserve. évidemment, que les renvois internes soient fU:! bles : rien ne nous garantit a
priori que, quand A. nous annonce qu ' il parlera de telle question 'dans la suite ' , ou 'en son
lieu ' , ou peut-être même quand il nous dit q u ' il en a déjà parlé ailleurs, il ait forcément
toujours existé un texte où ladite question était traitée . . . S ' agissant de la fin 'perdue ' du
1. IV. il n ' est nullement exclu qu ' elle n ' ait j amais existé que dans la tête d ' A . : Buttmann,
qui traite ce point avec beaucoup de circonspection, fait remarquer (XIIJ. n. 4) que le livre
IV tel que nous l ' avons "die Syntax mit einem vollen Satz abschliesst, ohne dass Spuren
eines unvollstandig gebl iebenen Textes. wie in den beiden Büchern de Coniunctionibus
und de Pronominibus, vorhanden sind". Le lecteur gardera donc en tête que toutes les
considérations qui suivent sur l a partie perdue du 1. IV font référence à un objet dont
l ' existence effective à un moment donné du passé reste du domaine du possible - on
pourra dire du probable si l ' on est plus optimiste, mais on ne saurait sans imprudence être
plu s caté gorique que c ela.
72. Noter encore 285 , 1 1 , où la décision déclarée d ' écarter ' momentanément' (arti) l ' étude des
conjonctions semble impliquer que cette étude viendra plus tard.
INTRODUCTION 39
Que faire de tout cela ? Si l ' on admet que la Syntaxe est le dernier en date
des ouvrages du corpus apollonien et qu il ne comportait pas plus de quatre
'
livres, si d' autre part on croit qu ' A . tenait toujours ses promesses, on aura
tendance à loger dans la partie perdue du livre IV tout ce qui vient d ' être
énuméré C ' est, à des nuances près , l ' opinion la plus largement partagée,
.
d' une réserve expresse sur la fiabilité d une promesse (ad 285,5 : "si du moins il
'
a tenu promesse") ; il suggère aussi à l ' occasion une autre localisation possible
(ad 442,7 : traité Des prépositions13) ou recoun à une formule neutre (e.g. ad
452,4 : "l ' exposé de cette question est perdu"). Je me contente de soulever ces
questions en passant, sans rien affirmer , cenes, sur ce qui ne peut que rester
conjectural , mais au moins pour problématiser l ' idée reçue que le livre IV de la
Syntaxe aurait traité, en quelque sone 'naturellement ' , des prépositions , des
adverbes et des conjonctions14 .
Je ne vois en revanche aucune raison de douter qu' i l ait traité des
adverbes : cette partie de la syntaxe verbale, qui, nous l' avons vu, ne s intégrait '
pas au programme du livre III, devait néanmoins être étudiée. Il est donc
plausible qu' une fois achevée l ' étude des prépositions7s , A. ait 'passé' à celle
des adverbes. La question qui se pose ici est de savoir si les dernières pages
(20 1 - 2 1 0 Schneider) données comme appartenant au traité Des adverbes dans le
ms A doivent être tenues pour une partie égarée de cette étude. L ' idée q u ' il
puisse en être ainsi est venue indépendamment à O. Schneider ( 1 845) et à Egger
( 1 852: 1 9ss.), et la démonstration qu' en a faite le premier a paru si convaincante
7 3 . Le renvoi est formulé au futur : Uhlig admettait-il que le traité Des prépositions pût être
postérieur à la Syntaxe ?
74. Je note encore l ' absence de référence à 1 7 1 , 1 0 dans l ' apparat ad 497, 1 1 , où Uhlig
récapitule ce qui devait figurer dans la partie manquante du 1. IV . En revanche, il
mentionne là 288.3 : il considère donc qu'il y avait dans le 1. IV une section sur la ' syntaxe
des conjonctions' où étaient étudiées les combinaisons de tin avec les temps verbaux -
mais il s' agit là en vérité d ' un fonctionnement nettement adverbial de la 'conjonction tin' .
S i l ' on hésitait à inclure l e traitement des conjonctions dans l a partie perdue d u livre
IV, il serait tentant, plutôt que d' inventer gratuitement un cinquième l ivre de la Syntaxe
dont il n ' est fait aucune mention dans la tradition, d' imaginer que la référence prospective
de 1 7 1 , 1 0 et 1 9 fait signe tout simplement vers le traité Des conjonctions - qui devrait
alors être postérieur à la Syntaxe. En soi, la chose n ' aurait rien d ' incongru : traitant par
définition de syntaxe de la phrase complexe (cf. ce qui nous est effectivement parvenu des
Conjonctions d ' A.), un traité des conjonctions n ' aurait-il pas sa place naturelle après une
syntaxe consacrée aux sept autres panies de phrase ? Il semble cependant q u ' il faille
renoncer à ce genre de rêve théorique : dans la Syntaxe, deux références explicites à deux
passages nettement identifiables des Conjonctions (respectivement à 247,22ss. et 235,5 et
26) sont énoncées au passé : parestësamen ' nous avons montré' (379, 1 ) , ëkribosamen
' nous avons précisé' (457 ,9) ; cf. aussi le passé epedeixamen 'nous avons montré' ( 1 1 7 ,9).
7 5 . Lange ( 1 852 :42) souligne avec raison que nous ne sommes pas en état de préciser quelle
pouvait être l ' étendue de la panie manquante de cette étude. Il ne dit pas si, selon lui, les
'promesses ' ( ! ), (3) et (4) recensées ci-dessus y étaient tenues, mais nous avons vu qu'il
l ' affirme pour la deuxième : "jedenfalls . . . folgte die Erêinerung der prothéseis anastreph6-
mena i " .
40 DE LA CONSTRUCTION
qu' elle a emporté d ' emblée l ' adhésion des meilleurs spécialistes76 et a acquis
ainsi le statut d ' une certitude sur laquelle on ne revient pas.
La démonstration d'O. Schneider, que je résumerai ici en quelques mots
seulement, se déroule en deux temps . Dans un premier temps (446-455),
l ' auteur met en évidence que les pages en question ne peuvent pas appartenir
aux Adverbes : la raison décisive en est le nombre très élevé de répétitions des
mêmes propos avant et après la césure de la p. 201 . S ans exemple par ailleurs à
l ' intérieur d ' une même monographie d ' A . , ce type de reprise fait au contraire
penser aux nombreux échos qu ' on peut observer, par exemple, entre le Pronom
et le livre II de la Syntaxe . D' autre part, le déplacement du texte est comme
signé par la récurrence en deux endroits (202,33 et 207,24) d ' un renvoi à un
exposé donné ailleurs77, dans le traité . . . Des adverbes. Dans le deuxième temps
(455-459) sont présentés les arguments qui permettent d ' établir que le site
originel du texte déplacé était bien le livre IV de la Syntaxe. Ils sont de deux
ordres. Il y a d ' abord ceux que je nommerai des arguments ' en creux' ; nous les
connaissons déj à : ce sont les textes d ' A. indiquant, plus ou moins directement,
que la Syntaxe, plausiblement au livre IV, faisait place à un exposé sur les
adverbes. Viennent ensuite les arguments positifs, tirés du texte réputé déplacé
lui-même ; ils se résument en un mot : dans ce texte, les adverbes de lieu sont
exami nés dans Je cadre d ' une problématique typique de la Syntaxe
(cf. notamment III, § § 1 3 , 1 7 , 27 7 8 ) - la problématique de la congruence
(katallël6tës, cf. notamment *A. , § 1 7 )79.
76. Egger, I. e. , parle à so n propos d'un "luxe de preuves, qui ne laisse rien à désirer" ; Lange
( 1 852:42) : "le futur éditeur d' Apollonius devra in tégrer à la Synraxe comme une de ses
parti es la panie finale des Adverbes, car la démonstration de Schneider qui en fait une
panie du livre IV ne laisse selon moi place à aucun doute" . R. Sc hn e i der ( Comm. 209) :
"0. S c h nei d er a démontré avec les arguments les plus solides que ce que nous lisons
A . 20 1 , 1 -2 1 0,5 doit être attri bué au l i vre de la Syntaxe qui traitait de la c o n s truc ti o n des
adverbe s " . Egenolff ( 1 87 8 : 844) : "dans la sectio n a ssi gnée avec raison par O . Schneider au
livre IV de la Syntaxe". Uhlig (apparat ad S. 497 , 1 1 ) : "Le reste de ce qu ' A po ll o nius avait
e xpo s é dans le livre IV de la Syntaxe est perdu, à l ' exception de l ' exposé sur les adverbes
de lieu : en effet, O. Schneider a démontré que la fin du trai té Des adverbes, p. 20 1 -2 1 0,
était une p arti e du livre IV de la Synraxe". H o u s eh o l der ( 1 98 1 : 2 5 3 ) donne comme un fait
que "quelques pages du livre IV ont été transcrites dans le ms des Adverbes", e t il en donne
la traduction en annexe sous le titre de 'Book IV a ' . Enfin B l ank ( 1 99 3 :7 1 1 ) affirme à son
tour, en renvoyant à O. Schneider ( 1 84 5 ) , que "ce que la tradition p l ac e à la fin des
Adverbes appartient en réal i té (aerually belongs ) au l ivre IV de la Syntaxe" . Si la vérité
scientifique se mesure au consensus des savants , on devra considérer, après bie ntô t un
siècle et demi de consensus, que 1' appartenance des dix dernières pages des Adverbes au
livre IV de la Syntaxe est, en matière de philologie apollonienne, une des vérités les plus
vraies qui soient.
77. Le mot 'ailleurs ' ne figure pa s , mais la forme du renvoi "nous avons dit dans le traité Des
adverbes" exclut q u ' i l puisse s ' agir d'un renvoi interne à une œuvre . La p eni nen ce de la
référenc e est par ailleurs irréprochable : on n'a aucune pei ne à trouver, dans la partie
authentique du traité, les passages auxquels il est fait allusion.
78. Blank ( 1 982:28) observe qu'en fac e de 6 exemples en tout de kattillëlos (lui-même ou mot
de s a famille) dans les Scripta minora [ s oi t 290 pages dans l ' édition Bekker] - dont deux
dans le texte qui nous occupe -, la Syntaxe [ 340 pages B ekker] en présente 1 0 1 à elle
seule.
79. Les conditions matérielles d u dépla cem e nt supposé ne semblent pas faciles à établir.
O . Schneider (454) a ri s q u é q ue l q u es suppositions à ce suj et ; Egger, I. e., en a proposé
d ' au tre s , mais en précisant q u ' i l gardait 'des doutes assez grav e s ' sur ses hypo th èse s
co di c olog i q u es . B uttmann, q ui pense que le passage, n ' ap par t ient ni aux Adverbes ni à la
Syntaxe. m a i s sans doute "à l ' un des nombreux autres écrits d ' A .". avoue ( l 8 7 7 : XIV) que
son dép l acement constitue à ses yeux ' une énigme · .
INTRODUCTION 41
de son projet par opposition à ses travaux antérieurs : alors que ceux-ci
consistaient à étudier, individuellement, des ' formes ' (phrma () , le nouvel
ouvrage "portera sur la construction qui assemble ces formes pour aboutir à la
congruence de la phrase complète". Tout est dit en ces quelques mots :
82. Le mot grec suntagma, qui. confonnément à sa morphologie suffixale, désigne l e produit
concret de l ' activité de suntaxis, est bien attesté dans divers champs sémantiques : il peut
désigner, notamm e nt, une 'fonnation' militaire, l ' ensemble ordonné d ' articles q u ' est une
' constitution' . le tout organique qu' est un ouvrage rédigé, un traité 'composé' ( ainsi chez
A. lui-même, P. 65 . 1 7 ; S. 78,4) - mais les grammairiens grecs ne l ' ont pas utilisé (sauf
très récemment par réemprunt dans le cadre de l ' internationalisation du métalangage
linguistique) pour désigner un ' syntagme' au sens de 'groupe de mots construit' (chez A.,
dans un seul exemple, A. 1 22 , 1 7 , tout à fait isolé et sans postérité, le mot se présente avec
le sens, non de ' syntagme' , mais de ' ( mot en tant que) constituant d' une construction ' ) .
Dans l ' usage standard d e la grammaire ancienne, c ' est l e mot suntaxis lu i - même qui,
pouvant désigner un ensemble construit concret, se charge de la valeur qui aurait
théoriquement pu être celle de suntagma ; on en trouve, chez A., des exemples par
centaines.
83. Autrement dit, le logos comme 'texte ' , assemblage de longueur potentiellement illimitée
(cf. Arist., Poét. 1 457 a 29, où 1'/liade est citée comme exemple de logos) , s ' il relève de la
compétence du grammatikos-philologue (et sans doute aussi, en tout cas pour une classe de
textes de prose, de celle du rhéteur). échappe à celle du tekh nikos. Il n ' y a pas de
' grammaire de texte ' .
8 4 . Ce partage, bien illustré p ar la comparaison explicite que fait A. entre s o n entreprise et
celle des traités d ' o rth ographe (!, § 8), apparente la Syntaxe à la tradition nonnative des
traités peri hellenismoû ' sur la langue grecque correcte, sur la correction linguistique' ; sur
cette tradition. cf. S ieben born ( 1 976).
INTRODUCTION 43
8 5 . Telefa s tig më vs huposrigme selon Blank ( 1 983a:59). qui restitue, à l ' arrière-plan du
système (confus) des trois ponctuations de la Technè (chap. 4) et du système ( sophistiqué)
des huit ponctuations de Nicanor, un "two-fold system of punctuation" d ' origine
stoïcienne. - Le terme ekp h o ra dans le texte de Diogène (c' est-à-dire dans le résumé de
Dioclès de Magnésie) me paraît aller dans Je sens de 1 ' interprétation de Blank ; ce mot, qui
signifie littéralement 'émission' , est fréquemment attesté, tant dans les fragments stoïciens
q ue chez Apollonius. avec une nette connotation phonique. L ' ekpho ra est normalement
une émission vocale envisagée dans sa matérialité de signifiant : son caractère achevé 1 non
achevé doit se manifester dans des phénomènes d · in tonation et de ponctuation. Quant au
participe apërtisménë, du verbe apartize in 'donner forme pleine, achevée' , qui qualifie ici
l ' ekphorci, il est notable q u ' au chap. 4 de la Technè, il s ' applique à la pensée (dianoia).
désignant en elle la qualité que la ponctuation a vocation à refléter : point final quand la
pensée est ' complète ' . poi nt inférieur (hupostigme) quand elle n ' est 'pas encore complète ' .
44 DE LA CONSTRUcnON
reposer sur ce que j ' appellerai une 'déontologie de l ' information' . J' entends par
là q u ' un locuteur qui énonce un cas direct, e.g. hoûtos ' celui-c i ' , s ' engage
implicitement - mais réellement - à satisfaire la curiosité minimale légitime de
son allocutaire qui va lui demander "eh bien, qu 'est-ce qu 'il fait ' celui-ci' ?" ;
pareillement, si la réponse est blaptei 'il nuit' , c ' est à nouveau une curiosité
minimale légitime qui s ' exprimera dans une nouvelle question à laquelle il
faudra répondre "bon, mais à qui ' nuit celui-ci ' ?". J' insiste sur la notion de
' curiosité minimale légitime' que j ' introduis ici :
( l ) elle est légitime parce que des formes de langue telles qu ' un terme au
nominatif ou un verbe transitif sont, dans le cadre d ' un usage communicationnel
du langages6, porteuses d ' une ' liaison' (au sens chimique du terme) qui
demande à être saturée : les questions prêtées ci-dessus à l' allocutaire ne font
rien d' autre qu' expliciter cette demande inhérente aux formes qu'il entend ;
(2) elle est minimale parce que bien d' autres questions sont possibles, portant
sur des circonstances diverses ("quand, où, pourquoi, etc. ' celui-ci a-t-il nui à
celui-là' ?") , mais que ces questions ne sont pas - ou en tout cas pas au même
degré - appelées par le nominatif ou le verbe transitif. La distinction entre la
s aturatio n minimale nécessaire et d ' autres formes, facultati v e s , de
complémentation apparaît bien en III, § 1 55 , où un complément de lieu auprès
d ' un verbe intransitif ' il vit dans le gymnase' est nettement distingué, du point
de vue de la complétude, du complément d' objet d ' un transitif 'Tryphon nuit à
X' : c ' est à ce dernier énoncé seulement, quand il est privé du terme à X, qu ' A .
réserve le qualificatif d ' 'à moitié complet ' (hëmitelés, 402,9)87.
n est vraisemblable, en dernier ressort, que la complétude de l ' énoncé
verbo-nominal telle que nous venons de la dessiner renvoie, par-delà le
discours, à une perception des états de choses extralinguistiques décrits par ce
type d ' énoncé : un scénario minimal réduit à une action (prâxis, prâgma) avec
son ou ses actants (prosopa). Si la réduction d ' une phrase par élimination de ses
constituants facultatifs rencontre sa limite imprescriptible dans le noyau nom
verbe (1, § 1 4) , c ' est sans doute, en dernière analyse, parce que le donné
extralinguistique qu' une phrase a vocation à communiquer ne saurait se réduire
à plus simple q u ' à une action (ou un état de chose) rapportée à son (ses)
actant(s).
o lll, § 1 1 9 :
Il ne m ' échappe pas que la complétude (autotéleia) est un indice du vocatif
(tekmerion klëtikës) ; prenons Hëlikon [Hélicon] tout seul : s ' il y a e l l i p se d ' un
verbe, c ' est un cas direct, s ' il n ' en est rien, c ' est un vocatif.
Je renvoie à la n. 282 ad loc. pour l' exégèse de ce texte et l' origine stoïcienne de
la théorie du vocatif autoteles . Je ne suis pas sûr que ce type de complétude ne
soit pas un peu marginal par rapport à celui de la phrase verbo-nominale : le
parallèle établi entre les constructions Nominatif + Verbe à l ' indicatif et
V ocatif + Verbe à l ' impératif (e. g. III, § 1 1 8 ) ne suggère-t-il pas que
86. Cette précision vise à éliminer l 'usage des mots comme simple mention (phtisis, Ar. de
int. 1 6 b 27) ou comme appellation (kl h is, An. Pr. 48 b 4 1 ), types d ' emploi q u i
neutralisent toute dynamique syntaxique des formes.
87. Il ne serait pas incongru, pour justifier ce terme, de dire. en termes tesniériens, que, dans
l 'énoncé Try•p hon nuit, le verbe nuit n ' a qu une valence sur deux de saturée. Nul doute
'
qu'A., qui pour nous est l ' i nventeur et le seul utilisateur du sens grammatical d' hëmitelés
(cf. la n. 369 ad loc. ), ait personnellement réfléchi, dans la lignée des Stoïciens. sur la
complétude et sur ses degrés : voir à ce sujet, au 1 . Ill, les fines observations du § 1 5 6 et
J ' analyse un peu laborieuse du § 1 88.
INTRODUCT10N 45
l ' autosuffisance du terme au vocatif n' est pas aussi totale que celle d ' une phrase
verbo-nominale bien bouclée ? Quoi qu ' il en soit, prenons A. au mot, et
donnons-lui acte du fait que, pour lui comme pour les logiciens du Portique,
interpeller quelqu ' un en prononçant son nom au vocatif, c ' est accomplir un acte
de langage complet en lui-même : à la différence du nominatif, le vocatif n ' est
pas porteur de liaison syntaxique avec autre chose.
Telle nous apparaît donc la ' phrase complète ' : dans l ' ordre des
assemblages linguistiques successifs déjà évoqués dans le Cratyle (424 e-425 a,
texte c ité supra 1 .2.4 .2.) et repris par A., S. I, § 2 - élément-lettre , syllabe,
mot/contenu de pensée, phrase -, elle constitue pour le grammairien (en tant que
tekhnikOs) l' assemblage de niveau supérieur ; en tant que premier assemblage
dans l ' ordre ascendant qui présente, phono- graphiq uement (intonati on 1
ponctuation) et sémantiquement, un caractère de complétude, d' auto-suffisance,
elle est l ' objet par excellence du syntacticienss . À cet objet s' applique encore,
nous l ' avons vu, la notion de 'congruence' : de quoi s' agit-il au juste ?
2 .3 . 1 .2. La congruence (katallël6tës)
Pas plus que la complétude, la congruence ne reçoit de définition chez A .
S ans doute en bonne partie parce que l' adjectif kauillëlos, vraisemblablement
déjà d ' un usage courant dans la littérature grammaticale préapollonienne (B lank
1 982:55-57), avait en plus une formation assez limpide : il se prêtait bien,
étymologiquement, à désigner la convenance (kat- ) mutuelle (-allëlos) entre les
éléments constitutifs d ' un ensemble. Or c' est justement de cela qu ' il s ' agit avec
la congruence syntaxique . Mais il faut préciser de quelle nature est l a
convenance e n question .
Disons-le d' emblée, il ne s ' agit pas simplement d ' un ' accord ' au sens
purement morpho-syntaxique du terme : récurrence de certaines m arques
catégorielles (genre, nombre, cas, etc.) à l ' intérieur de groupes de mots soumis à
un type déterminé de construction. Comme nous l ' avons vu plus haut, la
congruence qui caractérise la phrase est, à la base, celle des ' c o ntenus de
pensée ' (noëta). Une phrase bien construite (katà suntaxin) est fondamen
talement un agencement cohérent de noëta, c' est-à-dire d' éléments de signifié
lexicaux et catégorielss9. Cette cohérence impose par exemple, comme l ' avait
déjà noté Platon (Soph. 262 a-d), que les constituants de la phrase soient pris
dans différentes catégories dont le mélange est nécessaire à la bonne formation
du tout - intuition originaire et fondamentale dont on retrouve l ' écho dans des
88. Objet par excellence en tant que construction douée de complétude. 1 ' assemblage de mots
q u ' est la phrase complète est aussi un assemblage de groupes de mots non auto-suffisants,
les ' constituants immédiats ' de Bloomfield. Ce niveau des assemblages de niveau sub
phrastique n · est pas explicitement décrit. ni théorisé, par le grammairien ancien - ce qui ne
l ' empêche pas , pratiquemem. de fractionner son étude de la phrase complète en s ' attardant
sur la construction de tels groupes : la description donnée ci-dessus du plan de la Syntaxe
d ' A . a bien montré que les deux premiers livres de cet ouvrage sont pour l ' essentiel
consacrés à J ' étude du 'groupe nominal ' .
8 9 . C e point a bien été m i s e n évidence par Blank ( 1 982: 30ss. ) . Sluiter, commentant l a
formule d e B lank (23) selon laquelle "Apollonius Dyscolus put semantic considerations at
the very heart of his syntactical theory", s' exprime sur Je sujet de manière particulièrement
heureuse ( 1 990:4 1 s . ) : "In fact, to Apollonius mi nd. this so-called ' syntacti cal ' theory
would probably not differ i n any fundamental sense from a semantic theory, syntax being
nothing more than the exterior representation of combined meanings. Although in practic e
t h e result is a combination of words. i . e . combinations on t h e l eve! of expression. the
explanation for these combinations is always sought on the leve! of meaning. syntax being
a function of semantics. no more" . Tout le chap . II du livre de Sluiter (p. 39- 1 42 ) constitue
une illustration très convaincante de ce propos.
46 DE LA CONSTRUCTION
90. Les marques accordées sont en gras . Les accidents placés entre crochets appellent un mot
d ' expl icatio n . Les crochets signalent que ces accidents n ' ont pas de marq ue
morphologique dans la forme considérée : anrhrôpoi n'est masculin q u ' en raison de son
accord avec l ' article hoi ; il est de la 3• personne en tant que nom, parce que tous les noms
sont de la 3• personne par fondation (cf. II, § 43).
9 1 . Les PETITES CAPITALES signalent les marques non accordées, au sens syntagmatique du
terme.
92. La notion de 'congruence' couvre donc indistinctement les phénomènes qui relèvent de ce
que la grammaire ultérieure appellera ' syntaxe de concordance' et ' syntaxe de régime '
(cf. la Grammaire générale et raisonnée d' Arnauld et Lancelot, chap. 24 ) . L' absence de
terminologie différenciée pour décrire les deux ordres de phénomènes (déplorée entre
autres par Egger 1 854:237. cf infra 2.5 . 1 . ) ne signifie nullement, comme on le voit, qu'A.
.
ne peut s ' agir ici que d' une adéquation référentielle entre lesdits signifiés et
certaines déterminations de l ' objet désigné (plusieurs personnes, de sexe
masculin ou, au moins93, désignables par un nom masculin). La syntaxe est-elle
comptable de cette congruence-là ? Cette question, évidemment cruciale pour la
délimitation du champ syntaxique, avait dû être débattue contradictoirement par
les grammairiens. L'exemple classique, cité par Sextus (Adv. gramm. § 2 1 0) et
étudié par A. aux §§ 8- 1 0 du livre III, était celui de la faute de genre dans un
déictique : dire, par exemple, 'celui-ci (hoûtos, masc .) m'a frappé' quand on a
été frappé par une femme. À en croire Sextus, les uns y voyaient un barbarisme
(faute de morphologie, hoûtos étant employé par erreur à la place du fém .
hautë), d ' autres u n solécisme (selon une interprétation qui ne pouvait être que
celle de l ' incongruence référentielle, la phrase ' celui-ci m ' a frappé' étant
formellement irréprochable). La réponse d'A. est ici catégorique : 1' i nadéquation
référentielle est extérieure à la syntaxe, qui ne connaît de congruence qu inte rn e '
à la phrase94•
2 .3 . 1 .3 . Limites de la congruence morphologique : la ' coïncidence' (suném
ptosis)
La ' congruence des contenus de pensée' , en particulier des ' signifiés conjoints '
associés aux mots, qui définit la correction syntaxique, tend à se matérialiser,
nous l ' avons vu, par la présence des marques morphologiques, en général
flexionnelles, qui sont les signifiants distinctifs de tels signifiés. Dans une
langue à morphologie flexionnelle riche comme le grec, cette s ituation est
tellement typique qu' elle est donnée comme la norme par rapport à laquelle
divers écarts sont recensés. Ces écarts sont de deux types :
1 ) les mots non fléchis sont indifférents à la congruence manifestée, dans
d ' autres mots , par des marques flexionnelles (III, § § 1 7- 1 8) - mais ils restent
soumis, le cas échéant, à la congruence sémantique entre leur propre signifié
catégoriel (e.g. 'modalité impérative' exprimée par l ' adverbe age) et le signifié
conjoint de la même catégorie attaché à une forme fléchie entrant dans la même
construction (dans l ' exemple choisi, 'modalité impérative' du verbe) ( § § 1 9-2 1 ) ;
2) les mots fléchis à flexion défective (e. g. un nom de genre commun
comme the6s, qui signifie à la fois 'dieu' et 'déesse' ) sont en quelque sorte
'dispensés ' de congruence morphologique pour les signifiés que leur flexion ne
distingue pas (en l ' espèce, accord congruent de the6s, malgré sa forme de type
masculin, avec un adjectif marqué comme féminin). Il s ' agit ici du large
93. Sur cene variante, cf. III, § 10 avec les nn. 29 et 30.
94. Je laisse aux spécialistes de la pensée stoïcienne le soin de nous dire si la position nette
q u ' adopte ici A. le situe en continuité ou au contraire en rupture avec la 'linguistique' du
Portique. - Pour ce qui est d'A. lui-même, il me semble qu'il se trouve parfois un peu à
l ' étroit dans des principes aussi stricts : ainsi, quand, au 1. III, § 1 0, il prétend étendre au
pronom anaphorique la latitude syntaxique reconnue 'lU déictique, il se trouve conduit à
défendre une conception paradoxale de l ' anaphore (qu'il renie ailleurs : 1 46,5 ). D ' un autre
côté, 1 ' interprétation par 1 'hyperbate de deux vers de l ' Odyssée en I, § I l montre bien qu'il
accorde implicitement une pertinence à la réalité extralinguistique (en l ' occurrence à
l ' ordre de succession des actions) pour la détermination de la normalité linguistique (cf. la
n. 43 ad loc. ). - Quintilien, qui évoque le problème du solécisme limité à un seul mot en
cas de discordance entre le dit et le geste (cum aliud uoce aliud nut u uel manu
demonstratur, 1 V 36 - 38 ) , lui donne une solution mitigée qui correspond assez bien à la
position 'assouplie ' d'A. : considérant que la déixis est J ' équivalent d ' un mot ( a l iquid quod
uim alterius uocis obtineat), Quintilien ne voit pas d'objection à appeler solécisme le
conflit entre mot prononcé et mot impliqué dans la déixis ; il se résume en disant que, selon
lui, un solécisme peut résider "parfois dans un seul mot, jamais dans un mot seul"
(aliquando in uno uerbo, nunquam in solo uerbo).
48 D E L A CONSTRUCTION
système linguistique relativement homogène, offre bien l ' image d ' un ensemble
sous-tendu par des régularités remarquables, en tant, au contraire , qu ' il reflète
une large diversité diachronique (presque un millénaire de tradition littéraire à
l ' épo que d'A.) et géographique (dialectes), diversité elle-même soumise aux
aléas de la transmission manuscrite (variantes, fautes, hypercorrections, etc. ) - à
quoi il faut ajouter l ' instabilité inhérente à l ' usage courant, avec ses variétés
d ' usages sociaux, de niveaux de langue, ses approximations, ses 'fautes ' , son
mélange inextricable de conservations et d ' innovations, etc . - dans cette
mesure, donc, l ' objet du grammairien alexandrin se présente aussi c o m m e
émaillé d e bigarru res e t d' irré gularités (anomalia ) .
Face à cette situation, deux attitudes s ' opposent95 . L ' une e s t celle d e
l ' empirisme scepti que, dont l e s thèses sont exprimées avec une clarté e t une
vigueur particulières par Sextus Empiricus dans son réquisitoire Contre les
grammairiens. J e n extrais deux citations :
'
[Pour savoir c e q u i e s t d u bon grec] point n ' est besoin d e recourir à l ' analogie
(ou khreia tes analogias), ce qu' il faut, c'est observer (paratëreseos) comment
parle le grand nombre, ce qu'il admet comme du grec et ce qu'il rej e tte comme
non grec. (§ 1 89)
Sextus, de quelques décennies postérieur à A., connaissait-il son œuvre ? Je ne
sais (il ne J e mentionne j amais nommément ), mais il connaissait bien,
incontestablement, l a grammaire alexandri ne dans une version de type
apollonien : à preuve qu' il suffit de prendre Je contre-pied radical de ce qu' écrit
S extus pour retrouver les grands traits de la doctrine d ' A . Lisons simplement,
pour nous en convaincre, quelques phrase de la Syntaxe (!, § 60) :
Certains penseront pouvoir re spec ter la construction [correcte) même sans
prendre en compte la théorie (lagon). Ces gens-là se trouveront dans la même
situation que ceux qui ne tiennent leur connaissance de la forme des mots que de
l' usage routinier (ek tribes) , sans le renfort de la tradition [garan te ] de la grécité
(paradosin ton Hellenon) e t de la régularité morphologique (analogias) à
laquelle ces formes sont soumises. Il se passe alors ceci : s ' ils commettent une
erreur sur une forme, l' incompétence q ui est la leur les rend incapables de la
corriger (me dunasthai diorthoûn zo hamd rtëma) En fait, de même q u ' il est
.
de l ' usage courant de la langue (katorthoûsa mèn zen ton poiëmaton andgnosin
ten te anà kheîra homilian) et permet de discerner la valeur des mots chez les
anciens, de même la présente recherche sur la congruence permettra de corriger
les fautes de toute espèce affectant la phrase (hë prokeiménë zétësis tes
katallë/6tëtos tà hoposdepote diapes6nta en 16goi katorth0sei)96.
Si le médecin-philosophe empiriste et le grammairien analogiste s ' accordent sur
1 ' opportunité de prendre un point de vue normatif sur la langue en distinguant
entre correct et incorrect, grec et non grec, pour le reste tout les sépare. Alors
que le premier ne reconnaît comme critère que J ' observation (pa ratùësis) de
l ' usage du grand nombre, Je second, sans récuser le recours à l ' usage courant
(cf. I, § 64 et n. 1 69) - entendons par là celui des locuteurs de la Koinè
contemporaine, comme le dit bien J ' expression d ' A. hë anà kheîra homilia 'la
conversation ordi naire ' 97 - en relativise considérablement J ' autorité . Dans la
mesure où cet usage recèle des fautes qui ne se dénoncent pas d ' elles-mêmes à
la simple observation, il y a lieu de le contrôler à partir d'un autre point de vue.
Ce point de vue sera fourni en partie par un autre usage, celui de la
tradition de la grécité. Il s ' agit en principe ici d ' un usage épuré, du 'bon usage '
des auteurs à qui on s ' accorde pour reconnaître une autorité en matière de
96. On comparera ce texte avec un autre. d ' orientation et de contenu très voisins. en Il, § 49.
97. Cf. la même expression, mais avec une détermi nation supplémentaire q u i accentue
l ' aspect ' l angue de tout le monde ' . chez Sextus. Contre les gramm. § 64 : hai anà kheîra
ton idiôton kai anepistëmônôn homiliai ' les conversations ordinaires des gens simples et
non savants ' ; Sextus oppose cet usage à l ' usage littéraire. 'ce qui se dit chez les poètes et
les prosateurs ' . dont Denys le Thrace fait l ' objet de la grammaire.
50 DE LA CONSTRUCfJON
langue grecque . Cette nouvelle référence cependant, pour précieuse qu' elle soit,
recèle elle-même des failles - de deux ordres. Il y a d' abord le fait q ue les
textes, qui sont les témoins par excellence de la tradition, comportent des fautes
- q u ' i l faut savoir corriger - et, d ' un manuscrit à l ' autre , des variantes
graphiques - entre lesquelles il faut savoir choisir - : c' est sans doute à ce travail
philologique de diorthosis qu'A. fait allusion quand il mentionne d ' un mot la
'lecture98 des poèmes ' et signale qu' elle a besoin d ' une norme qui la régule.
L' autre faille, particulièrement sensible dans la langue poétique, tient à la place
qu'y occupe, à tous les niveaux de la langue, le phénomène de la variation ; il ne
s ' agit plus ici de variantes à éliminer, mais bien de formes peu ou prou
équivalentes à enregistrer dans leur diversité, tout en maîtrisant cette diversité
dans la description qu ' on en donne - autrement dit en rendant raison de la
variation.
C ' est ici qu' i ntervient de manière décisive , chez le grammairien, tout
l ' appareil théorique et technique que récuse Sextus. À tout ce q ue ce dernier
déclare inutile (ou khreia) - la mise en œuvre d ' un raisonnement relevant d ' un
art grammatical (tekhnikos tis kai grammatikàs logos ; cf. atekhnos 'étrangère à
l ' art ' pour qualifier l ' observation de l ' usage, réputée seule utile) et prenant la
forme de l ' analogie (analogia) -, A. attribue une importance cruciale : logos
' théorie, raisonnement ' , analogia 'régularité (mise en évidence par le
raisonnement sur les faits observés)' dans le domaine morphologique, zhësis tês
katallëlotëtos 'recherche sur la congruence ' , forme que prend, dans le domaine
des constructions, 1' établissement de 1' analogia. Le rôle de ces instruments et de
ces démarches ' techniques ' est fondamentalement de permettre un filtrage
qualitatif des données . L' opération de filtrage aboutit à une répartition des
formes (morphologie) ou des constructions (syntaxe) en trois couches :
• une couche fondamentale, couche de référence dans la mesure où le logos y
règne sans partage : c ' est le domaine des paradigmes réguliers et des
constructions congruentes - les premiers se présentant comme des séries
paradigmatiques (suzugiai) soumises à une régularité sans faille (akolouthia), les
secondes étant caractérisées par un enchaînement naturel (phusike akolouthia)
de signifiés (paruphistamena) cohérents entre eux ( ' congruence ' ) . On a affaire
là à la partie saine (hugies) par excellence de la l angue, où tout est exactement
ce q u ' il doit être (déo n ) - les formes des mots et les constructions des
syntagmes étant pleines (plerës) et entières (holoklëros), sans rien en moins, en
trop ou en désordre (anelleipes), bref parfaites (ente/es) ;
• une couche de déchets , celle des formes et tours fautifs (hamartëmata),
entachés de vices (kakia) d ' expression inacceptables (aparadektos, anéphikros) ;
ce sont des formes ou des tours déficients (endees) sous quelque rapport, en tant
qu' ils ne satisfont pas à la raison linguistique (alogos) . Éc arts en principe isolés,
sortes de faux-pas (diapes6nta) ou de négligences (oligorëména) des locuteurs
ou des scripteurs, elles ne peuvent attendre le salut que d ' un 'redressement' par
correction (diorthàsis, katorthàsis) ;
• entre les couches extrêmes du parfaitement régulier et de l ' inacceptable
trouve place , capitale pour le système, la couche des formes - morphologiques
ou syntaxiques - altérées (peponth6ta) . Ce sont, au regard de 1' analogie
vari ation, la faute devient figure. Nous touchons ici, avec la mention de la
variation dialectale, à ce que Wackemagel ( 1 876) a montré être la source même
de la ' p athologie' linguistique . Je dois en dire ici quelques mots car la
pathologie est une pièce essentielle du dispositif théorique de la grammaire
alexandrine.
2.3 . 1 .5 . Analogie et pathologie
Aucune langue naturelle, même saisie dans une synchronie très resserrée,
n ' est parfaitement homogène - c ' est une banalité de le rappeler. Aussi, dans
toute communauté l i nguistique , les sujets parlants engagés dans l a
communication sont-ils habitués à composer avec toute espèce d e variation
(phonétique, morphologique, lexicale, syntaxique). Les Grecs de l ' antiquité
n ' ont pas échappé à cette règle universelle. Mais il y a plus. Il me semble que,
dans le cas de la communauté hellénique, dès le seuil de l' histoire, la conscience
de la variation, sous les espèces de la diversité dialectale, a été et est toujours
restée particulièrement vive. Ce n' est pas le lieu de nous attarder sur ce fait, au
demeurant bien connu, qu' un Grec de l ' Athènes classique sait que son parler
particulier - 1' attique - appartient au rameau dialectal ionien, distinct des
rameaux éolien et dorien ; il sait aussi que, dans les différentes cités de l ' Hellade
et dans leurs colonies, on parle, sous des fom1es plus ou moins diversifiées, l ' un
ou l ' autre des trois grands dialectes ; en règle générale, il comprend le parler des
autres hellénophones (il n ' y avait pas d ' interprètes dans les négociations entre
cités grecques) et, s ' il sait lire, il constate que certains textes, épigraphiques et
littéraires, font place à la diversité dialectale (inscriptions bi-dialectales,
coloration dorienne de la lyrique chorale et des parties lyriques de la tragédie,
existence d' une poésie éolienne, etc. - pour ne pas parler de la bigarrure
complexe de la langue homérique). Un Grec du 5• siècle qui voyage tant soit
peu, pour commercer ou pour guerroyer, ou qui, restant dans sa cité, va au
théâtre ou assiste aux récitals des aèdes est donc comme immergé dans le
polydialectalisme, et par là conscient d ' un certain nombre de correspondances,
de règles d ' équivalence, en tre des formes de référence, qui sont évidemment
celles de son idiome, et les formes ressemblantes, mais un peu différentes, qui
leur correspondent dans le parler d' une autre cité ou dans un chœur de tragédie.
Ainsi un Athénien moyennement cultivé non seulement sait que ce qui se dit
' normalement' (c' est-à-dire à Athènes) hëmérli 'jour' se dit hëmérë chez les
52 D E L A CONSTRUCll ON
99. Aristote a parfaitement vu et exprimé (Poét. 1 457 b 3ss.) que la notion d ' emprum
(interdialectal entre autres) ne pouvait être que relative et s ubj ec ti ve : "J ' a ppelle 'courant'
(kurion ) un nom qui appartient à l ' u s age de tout l e monde (hbi khrbntai hékasroi), et
' emprunt ' (gloua) c el u i qui appanient à un usage étranger (hOi héteroi), si bien qu ' un
même nom peut évidemment être· à la foi s nom courant et emprunt, mais pas pour les
mêmes personnes : ainsi sigunon, qui est courant pour les Chypriotes. est un emprunt pour
nous". En prenant, l' espace d'un instant, le point de vue de Sirius. le philosophe esquisse
l ' image d ' une dialectologie dont le centre est partout. Mais on constate que, dans les faits.
les grammairie ns grecs, comme 1 'homme de la rue pour qui son propre usage est la mesure
de toutes choses, tiennent sur les dialectes, en règle gé n éral e . un discours d' orientation
fondamentalement égocentrique.
l OO. Ce qui 'est arrivé' au nom de l ' homme, anthropos, c ' est que "de locution il est devenu
nom", ek rhëmatos 6noma gégonen ; ce c h an g e me nt de statut s ' est accompagné de
q uelques m o difi c a ti o n s phoné t i q u es , puisq u ' on est p a s sé de anathron hà 6pope à
tinthropos . . .
1 0 l . On e ntrevoi t dans ces trois p artic ipe s - e t c · était déjà l e cas dans l a citation précéde n te
du Cratyle - le souci de classement méthodique des altérations, qui aboutira. chez les
gramm airi en s . au schéma q uad rip an it e addition -soustraction-substitutirm-transposirion .
Sur l ' h i s to i re de ce schéma et les usages divers. notamment rhétoriques. auxquels il s ' e st
prêté. voir Des bordes ( 1 983. avec le renvoi à Barwick 1 95 7 ) et A x ( ! 986b ).
INTRODUCI10N 53
102. S ' il est permis de tirer argument d'un silence, on suggérera que celui de Sextus, q ui ne
dit pas un mot, ni sur ni contre la pathologie, dans le Contre les grammairiens, peut passer
pour une preuve particulièrement forte de l ' évidence que revêt aux yeux d ' un Grec (fût-il
Sextus ! ) l ' existence d ' une pathologie de la langue. Notons en tout cas. pour nous en tenir à
un seul exemple, q ue. mentionnant ( § 243) l étym ol o gie, bien dans le style 'cratylien ' . de
'
lukhnos ' l ampe ' par luein to nukhos 'dissiper l' obscurité' , Sextus ne lui reproche
nullement l ' arbitraire de la manipulation phonétique qu' elle suppose - il se contente de
faire observer qu e si l ' étymologie est bien celle-là. elle ne fait que reculer le problème de
.
l ' origine pui s qu il faudra se demander quelle est l ' étymologie de nukhos, et ainsi de suite
'
1 03 . Je ne donne ici qu' une ou deux références. On trouvera les autres dans l ' Index technique
sous les rubriques appropriées.
INTRODUCflON 55
1 04. 'Position ' , plutôt que 'fonction ' . Dans la lignée de Donnet ( 1 967), j ' ai soutenu (Lallot
1 994a: l 3 8s.) qu'on ne pouvait sans anachronisme prêter à A. le concept moderne de
fonction syntaxique. En revanche, on trouve un ou deux emplois de topos, litt. 'lieu,
place ' . où ce mot a incontestablement des connotations ' fonctionnelles' : cf. l, § 55 et
n . 1 5 1 . L' expression 'position syntaxique', par son vague même. me semble constituer un
équivalent assez heureux du 'topos ' apollonien.
1 05 . Lallot (à paraître) .
1 06 . J ' ai relevé, loc. c it. , le vocabulaire q u i sert à exprimer c e s notions : sungenés (S. 23,3 :
1 68. 1 0 : 249,5 ), sumpatheia (*A. 202,8), prospatheia ( *A. 202, 1 ) , oik.eioûn (P. 54,2 1 ), pour
ne citer que les termes les plus caractéristiques.
56 DE L A CONSTRUCTION
1 07 . L ' article ton. qui manque ad /1. 1 6 .3 1 7, est rétabl i par Erbse ( 1 960:36 1 . n. 1 ) d ' aprè> la
scholie A ad IL 3 . 2 1 1 .
INTRODUCTION 57
Cet octroi aux figures d' une sorte de 'droit de cité' dans la langue va avoir
à son tour une conséquence capitale : la figure va trou_ver place dans l 'usage de
référence lui-même, qui de ce fait va se trouver clivé. A deux reprises dans la S. ,
A. fait observer expressément, une fois pour 1' hyperbate (Il, § 77), une fois pour
l ' ellipse (III, § 1 66), que ces figures se rencontrent non seulement chez les
poètes, mais aussi dans l ' usage courant (lwtà tb sunëthes, 1 8 3 , 1 5 ) , dans les
phrases usuelles (sunerheis l6goi, 4 1 3 , 1 4). C' est cette constatation qui fonde en
dernier ressort la nécessité de la théorie, seule capable, en raison de sa
rationalité interne et de sa compacité sans faille (hë toû l6gou sunékheia, 52,2),
de mettre en évidence quelle est 1 ' expression de base naturelle (phusike
akolouthfa, 1 77 , 1 1 ; cf. phusike parakolouthësis, 52,5) par rapport à laquelle se
qualifient les écarts figurés : cf. 1, §§ 6 1 -62. L' omniprésence possible des figures
crée pour le grammairien l ' obligation d' établir, pour chaque construction, quelle
est sa forme 'naturelle ' , c ' est-à-dire en fait de décider de lui faire correspondre
une forme réputée fondée en raison - pour pouvoir ensuite, le cas échéant,
diagnosti quer par quels écarts l a construction effectivement attestée se
différencie de cette forme 109.
1 08 . C ' est sans doute faute d ' avoir reconnu ce point que Zénodote a rétabli des articles dans
le texte d ' Homère pour le rapprocher, chaque fois que cela était possible, de la norme de la
Koinè. Au contraire, Aristarque, plus sensible à l ' originalité de 1" usage homérique, non
seulement ne rétablissait pas d ' articles contre la tradition, mais allait à l ' occasion jusqu ' à
donner la préférence à u n e lecture s a n s article, m ê m e dans d e s c a s où la lettre du texte
transmis paraissait suggérer sa présence. Sur la différence de pratique éditoriale entre les
deux grands philologues alexandrins, cf. !, § 6.
1 09 . Householder ( 1 98 1 :4ss . ) a illustré de manière convaincante le parallélisme qu'on peut
établir e ntre une telle démarche syntaxique et celle de l a grammaire générative
transformationnelle, qu i pose pour chaque phrase une 'structure profonde' (cf. la phusikë
akolouth(a d ' A . ) et des règles rendant compte de sa transformation en ' structure de
surface ' (cf. les ' fi gures ' d ' A . ) . Une différence notable entre les deux théories est
cependant que, chez A., il n ' y a pas de théori sation explicite des deux niveaux, et que
l ' application 'transformationnelle' des figures n ' est invoquée qu'occasionnellement, dans
des explications ad hoc, ce qui n ' encourage pas à parler à leur propos de ' règles' .
58 D E LA CONSTRUCDON
2.4. 1 . Addition . . .
Une première image qui s' impose et se confirme au fil des pages est celle
de la construction comme processus additif C ' est le point de vue le plus
empirique, le moins théorique, sur la syntaxe : elle consiste à placer des mots les
uns à côté des autres. Entre autres illustrations de ce point de vue (cf. par ex. II,
§ 94 et n.202; III , § 39 et n. 86), on peut citer comme le plus net l ' exemple de la
construction des prépositions, traité, on le sait, de manière très mécaniste, dans
l ' unique perspective du statut, univerbé ou non, d' une ' construction' à premier
terme prépositionnel. Parmi les cas de figure examinés là, on trouve côte à côte,
sans allusion aucune à une quelconque différence qualitative entre eux, d ' une
part, celui de l' association étroite et sémantiquement motivée Prép. + Verbe
(IV, § 1 5 ) et, d ' autre part, celui de la 'construction' des prépositions avec
l ' article (§ 54), ou avec elles-mêmes (§ 55) - alors qu'il peut ne s' agir, dans ces
derniers cas, que de phénomènes de pur voisinage syntagmatique : appliquée au
français, l ' analyse d'A ferait conclure à une 'construction ' Prép. + Anicle dans
à la campagne, à une 'construction' Prép. + Prép. dans sans préavis.
J ' ai déjà signalé ( 1 .2.4.2.7 . ) que cette façon d ' aborder la syntaxe
prépositionnelle était largement déterminée par la problématique de l ' écriture et
de la division de la chaîne en mots. Il reste que la perspective ainsi adoptée
trahit une conception très fruste de l ' assemblage syntaxique comme addition de
mots, pris un à un : l ' idée que à la campagne doive s ' analyser syntaxiquement
comme [à (la campagne)] n ' est pas évoquée. On ne s ' étonnera pas, dans ces
conditions, que le vocabulaire descriptif d ' A. fasse une large place à des mots
signifiant ' ajouter' , ' s ' ajouter' ou ' se voir ajouter' (caractérisés par le préverbe
pros- : pros-did6na i , - tithéna i, -thesis ; p r o s-ginesthai, -iénai, -khoreîn,
-keîsthai ; pros-lambdnein, - lëpsis). Les exemples sont nombreux, dans la S. , de
constructions di verses décrites en termes d ' addition : une form e , une
construction s' adjoignent l ' article (proslambdnei tà drthron, 23 ex. dans le seul
1 . 1), l ' article postpositif a besoin d ' un verbe qui s ' aj oute à lui (proslambdnein,
prostithesthai, prosginesthai : voir une concentration remarquable de ces verbes
en I, § 1 5 6 ), un verbe s ' ajoute (pr6skeitai, III, § 86 : 345 ,3) au nom (sujet), etc.
De manière moins spécifiée, il est fait grand usage, notamment pour décrire la
syntaxe de 1' article, de la notion de 'juxtaposition ' (para-tithénai, -thesis) :
l ' article est 'placé à côté' du mot avec lequel il est construit. Inversement, mais
cela revient au même pour le fond, on pourra parler de ' construction ' pour faire
référence à une simple juxtaposition additive, compte non tenu des relations
syntaxiques mises en jeu : cf. l, § 1 1 9 et n . 262.
trivial, à savoir la position des mots qui s ' ajoutent à d ' autres avant ou ap rès
eux. D ' où un vocabulaire nettement technique de la pré- et de la post-position :
pro- vs hupo-tassein, -taxis, -taktik6s à cette famille se rattache la désignation
-
des deux variétés de l ' article, pré- et post-positif, ainsi que celle du subjonctif
comme mode ' post-positif (hupotaktikf) -, pr6-thesis, -thetik6s - c ' est le nom
même de la partie de phrase 'préposition ' , avec 1 ' adjectif dérivé - ; d ' où aussi
un verbe comme epiphéresthai, qui désigne l ' adjonction d ' un nouvel élément à
la suite d ' autre chose et renvoie à une représentation de la sûntaxis comme
processus d' accrétion, d' allongement 'par la droite' d ' une chaîne préexistante
(cf. les nn. 304 et 307 du l. I, 26 1 du l. II).
On constate ainsi que la prise en compte de J ' ordre linéaire tient une grande
place dans l ' analyse syntaxique d'A. Aussi bien le discours se construit-il selon
une certaine dynamique ordonnée . La phrase transitive active, transposant
linéairement la dynamique du scénario qu' elle décrit, place le verbe entre
( metaxù p îpton, 1 1 2,9 ; 148,3) l ' actant origine (à gauche) et l ' actant soumis à la
diathèse (à droite) : cf. III, § 8 6 ; les éléments anaphoriques (articles pré- et
postpositifs) et conjonctifs (conjonctions) reçoivent la place que leur assigne
leur fonction de chaînage l l O ; l ' ordre naturel de priorité de la déixis sur
l ' anaphore interdit que le pronom déictique soit précédé de l ' article, l ' ordre
inverse étant lui justifié {1, § 93) ; les pronoms à un cas oblique se placent avant
ou après le verbe selon qu ' ils sont orthotonés ou enclitiques (II, § 70) ; l ' ordre de
succession du nom adjectif et du nom substantif, ainsi que la place de l ' article
qui leur est associé, est en étroit rapport avec la dynamique prédicative de la
phrase (I, §§ 1 35- 1 3 6) 1 1 1 . La construction de phrases complexes à l ' aide de
conjonctions (ce sont les 'jugements non simples ' , axiomata oukh haplâ, des
Stoïciens : cf. Diog. La. VII 7 l ss. ) met aussi en jeu l ' ordre linéaire des énoncés
simples conjoints en énoncés complexes : la protase conditionnelle précède
l ' apodose (si p, q, cf. S. II, § 77), dans la phrase causale l ' énoncé de la cause
précède celui de l ' effet (parce que p, q, cf. C. 2 39, 1 2 ) . Il s ' agit clairement là
d ' un ordre ' naturel' : la langue est censée mimer la démarche de la pensée, qui
va de la condition au conditionné {II, § 77 et n. 1 60), de la cause à l ' effet. Il
n' est pas j usqu ' à la phrase couplée (p et q) qui ne soit elle aussi soumise à un
ordre naturel, celui des actions dont elle présente un récit enchaîné : cf. I, § I l et
n. 43.
Il va sans dire qu' il s ' agit, dans tous ces exemples, d ' un ordre théorique
(ou 'profond ' , pour parler comme Householder), celui de la ' séquence nonnale'
(tà hexis), qui peut toujours être altéré par transposition (méta thesis,
huperkeîsthai), hyperbate (huper-bat6n, -bibdzesthai, -bibasm6s) : cf. I, § § l i e t
1 1 3 ; Il, § 70, n. 1 40, § 77 ( 1 83 , 1 5), § 99 (202,3) ; III , § 87 (345 ,20) ; IV § 14 ,
l lO. Voir 1, § 1 44, le rapprochement explicite des fonctions d ' articulation et de conjonction.
I l l . La place de l ' adjectif épithète avant le substantif, tenue pour ' naturelle ' (proegeîsthai
thélei, A. 1 25,23 ; cf. , pour le possessif, S. 1 09, 1 7 - 1 9), ne fait l ' objet d ' aucune justification
explicite. Cela ne l ' empêche pas d' être invoquée pour fonder le postulat selon lequel
l ' adverbe. qui est au verbe ce que l ' adjectif est au substantif (cf. l, § 27 ) . précède
normalement le verbe (A. loc. cir. ) .
60 DE LA CONSTRUCTION
1 1 2 . Si Je témoignage d ' A . est digne de foi - et pourq uoi ne Je serait- il pas ? -, il nous montre
que pour Tryphon, certainement Je plus savant des syntacticiens parmi les prédécesseurs
d ' A . , le simple voisinage syntagmatique entre deux mots était la preuve indiscutable q u ' i l s
formaient u n e ' construction ' . C ' est la notion la plus fruste de ' constructi o n ' qu' on puisse
imaginer. A. a dû partir de là (et quelquefois en res t er là : cf. l ' exemple cité plus haut d e la
INTRODUcnON 61
Autrement dit, si l ' on prend au pied de la lettre , comme des règles visant à
régenter une syntagmatique effective, les décl arations relatives à la place
' normale' de la conj onction et à celle de l ' adverbe, on en déduira q u ' i l est
impossible de dire en grec 'parce que je lis bien ' sans recourir à une hyperbate.
On se doute que, dans cette perspective, il y aura beaucoup d' autres phrases qui
n ' auront de réalisation possible que figurée - on peut même faire l ' hypothèse
que, dans un corpus aléatoire de phrases attestées, celles qui présenteront un
ordre entièrement normal seront sensiblement moins nombreuses que les
phrases à hyperbate (cf. n. n . 140).
préposition ' construi te " avec elle-même. IV. § 5 5 ) . mais il a su aussi aller plus loin dans
l ' analyse.
1 1 3 . Cf. encore II. § 77.
1 1 4 . Nicolas Beauzée. Grammaire générale ( 1 76 7 ) . c i té p a r Chevalier ( ! 97 8 : 1 36 ) . Il n e
m ' échapp e pas que le propos de B eauzé e s ' applique d ' autant mieux à la démarche
62 DE LA CONSTRUCTION
Il me semble qu'A. n' aurait pas hésité à reconnaître dans un tel propos l ' exacte
description de sa propre démarche.
1 1 5 . Je n ' ai rien à redire à cette formule, mais je crois que B . B . rend son propos à peu près
incompréhensible en traduisant, en Ill, § 1 0, hupoke(mena par 'contenus' : "la coherencia o
incoherencia grammati cales no reside en los contenidos" . Comment rendre c ette
64 DE LA CONSTRUCTION
las palabras . . . distribuidas en la frase s egun sus funciones pecu li are s [= idias
théseis], rechazan en vinud de la propria secuencia a aquellas q ue aparecen en la
funci6n que no les corresponde [= ouk epibtillousan thésin]
et en commentant :
los elementes formales de la palabra (idia th és is) determinan la secuencia
adecuada (akolouthia) ; de la misma manera, el significado, o mejor, la funci6n
(idia énnoia) de cada una determina la coherencia (katallël6tës) del conJUnto.
Je note ici la volonté marquée d ' introduire, tant dans la trad ucti on que dans le
commentaire, le terme de jonction. Je note aussi que ce terme ne traduit pas dans
les deux cas le même mot grec - thésis, litt. la 'place ' , la 'position ' , dans la
traduction, énnoia 'notion' dans le commentaire - et q u ' u n peu plus bas (4 1 ) ,
c ' est le mot dunamis "et toutes ses variantes" ( ? ) q u i e s t donné comme
l ' expression du "propre concept de fonction". Outre que toutes ces traductions
me paraissent forcées , j ' ai peine à croire que, si A . avait opéré , comme le
prétend Bécares B otas, avec un "propio concepto de funci6n", l ' expression du d i t
c oncept aurait p assé par tant de signifiants divers. J ' en dirai tout autant des
fonctions particulières, que, toujours selon Bécares Botas, A . "distingue très
clairement" J J6 : c omment peut-il prétendre servir sa thèse en énumérant
complaisamme nt (4 1 ) les "manières diverses dont s' expriment les (fonctions) de
sujet-objet" - à savoir par les participes, respectivement actifs et passifs , de
verbes 'agir' (energeîn, drân) ou ' disposer' (diatithénal), ou par le couple
h upokefmenon-epigegenëménon {1, § 72, cf. ma note 1 8 1 ad loc. ) "et autres
variantes" ? Quant à la suite, où il renvoie sans commentaire à III, § 1 7 8 pour
accréditer l ' idée qu'A. disposait d ' un concept d "'objet indirect", propos élargi
avec passablement de désinvolture par "un largo etcétera" et complété plus bas
par l ' affirmation selon laquelle A. "a aussi en vue la notion de complément
quand il parle des accompagnants du verbe (Il, § 1 49)"1 17, j e ne peux voir là
q u ' une série d ' imprudentes extrapolations . Je m' interroge par ailleurs sur la
cohérence du propos de Bécares Botas, qui déclare illégitime de cherc h e r chez
A . les concepts théoriques de la syntaxe moderne (37, 48), mais s' évertue lui
même à prouver qu' ils y sont (40ss. ) .
u n génial précurseur ou pour s ' affliger des lacunes de son appareil t héori q u e .
Revenant donc ici à la question posée plus haut sur le traitement ap o l l onien des
décl aration comp atible avec l, § 2 "la oraci6n perfecta [se constituye) de la coherencia de
los significados" ? Ou bien y a-t-il une différence, qui m échapperait entre les signifiés et
' , ' '
les ' contenus ' ? En fait, les hupoke{mena ne sont pas des contenus, mais des ' référents ' ,
objets extralinguistiques d e l a déixis qui, à c e t i tre n ' ont rien à voir avec l a congruence
,
1 1 8 . Je serai prudent dans ce qui suit - peut-être trop aux yeux de certains ; mais je suis
convaincu qu ' une étude approfondie, encore à faire, du vocabulaire des relation s
g ra m m a t i c a l e s chez A. est nécessaire pour autori ser des prises de position plus
catégoriques que les miennes. ll me semble qu' une telle étude, que j ' appelle de mes vœux,
pourrait utilement s ' inspirer, pour la méthode, du travail exemplaire de Van Ophuijsen
( 1 993).
1 1 9 Le genre de l ' article est dans ce cas le plus souvent celui du nom de la partie de phrase à
.
laquelle appartient le terme cité ( 'la [préposition] dia ' , 'le [an. m. renvoyant à 6noma
' nom'] Aristarkhos ', etc .), ce qui ramène, par ellipse, au cas suivant : cf. 1, § 37. Il arri ve
aussi, mais plus rarement. que l ' article neutre fasse fonction de déterminant indifférencié.
1 20. Je rappelle la définition du mot dans la Technè (chap. 1 2) : "la plus petite partie de la
phrase construite". et le correctif qu'y apponent les scholiastes (e.g. Sch. Technè 56,22) :
"(la plus petite partie) signifiant un contenu de pensée" - correctif nécessaire pour que le
mot se distingue radicalement de la syllabe.
1 2 1 . A. affi rme ha utement, à mainte reprise, la priorité du signifié (dëloumenon,
sêmainomenon) comme critère de merismos . mais il apparaît clairement que ce 'signifié'
est en grande partie abstrait. catégoriel. et à ce titre se trouve associé indissolublement avec
des fonctionnalités syntaxiques (cf. Lallot 1 988b: 1 9). Ce point est souligné à j uste titre par
Bécares B otas ( ] 987 : 4 1 ).
66 DE LA CONSTRUCTION
ajouter, au moins dans certains de ses emplois, le verbe sunékhein 'tenir [trans.]
ensemble, assurer la cohésion de' (cf. l, § 19 et n. 66).
La bonne (ou la mauvaise) formation repose sur deux niveaux
complémentaires de congruence (katallël6tës 'convenance mutuelle' ) : d ' abord
celui de la convenance mutuelle dans l ' assemblage des parties de phrases en
tant que telles, ensuite celui de la convenance de leurs accidents. Au premier
niveau se rattachent les principes régissant, notamm ent, la constitution du noyau
phrastique minimal - nom (ou pronom) + verbe : cf. 1, §§ 1 4- 1 5 - et de s on
extension ' à droite ' en cas de transitivité (III, §§ 8 et 1 55 - 1 56), ou celle du
groupe nominal (rôles respectifs de l ' article et du pronom : l, § § 94- 1 04 ;
répétition de l ' article : I § § 13 3 - 1 35 ; construction sui generis de l ' article
postpositif : I, §§ 1 43- 147), les constructions respectives de l ' adjectif et de
l' adverbe (1, § § 5 3-56), la j uste construction des prépositions (IV, §§ 12-78
passim) . Du deuxième niveau relèvent les règles dont le principe général est
exposé au début du livre III (§§ 1 3-49 passim) et dont les applications sont
multiples : accord en nombre du verbe avec le terme au cas direct auquel il se
rattache (III, §§ 10 et 50-53), accord du verbe à la 3• personne quand ce terme
est un nom (l, § 1 9 ; II, § 46) et entorse à cette règle avec les verbes 'd' existence'
(Il, § 47 ; III, § 43, etc.) ; juste distribution des trois cas obliques à droite du
verbe transitif (III, § § 158- 190 passim), rattachement correct de l' accusatif dans
les phrases comportant un infinitif (après khre ou deî ' il faut' : Ill, §§ 75-76,
après boulomai 'je veux' : III, § 1 64), bon usage des formes pronominales
orthotonées et enclitiques des pronoms (Il, § § 57- 1 02 passim), de leurs formes
composées (scil. réfléchies) et interprétation correcte des tours homériques
correspondants (Il, § § 1 03- 1 1 6), etc.
Dans tout cela, ce sont bien évidemment des relations entre les termes qui
sont examinées. La question qui se pose - posée ci-dessus et provisoirement
laissée sans réponse - est celle du degré de spécificité, chez A . , dans
l ' appréhension et de précision dans la désignation de ces relations. Comme je
l ' ai noté ailleurs à propos de l' absence de repérage explicite des fonctions
' sujet' et 'prédicat' 1 2 2. les deux opérations ne doivent pas être confondues : si la
seconde renvoie spécifiquement à la compétence métalinguistique du grammai
rien, la première relève du domaine, aux frontières plus indécises, de l a
'conscience linguistique' , e t i l n' est pas évident que ce q u i n' est pas désigné d e
manière stable e t distinctive n' est p as , au moins confusément, appréhendé. Cela
dit - et je laisserai ainsi ouve ne la question de l ' intuition linguistique d'A. -, les
mots sont tout ce qui nous reste de la pensée grammaticale du maître alexandrin,
et c ' est leur témoignage qu' il nous faut analyser.
La tâche est énorme : je ne compte pas moins d ' une soixantaine de
verbes m , plus leurs dérivés nominaux, s' appliquant, d' une manière ou d ' une
autre, aux relations des mots entre eux. J ' ai déjà dit plus haut qu'il y faudrait
une étude spéciale. Je me contenterai ici de quelques indications générales.
1 24. Ce point est rien moins qu' anecdotique. Thierfelder ( 1 935 : 1 0), commentant le début du
Pronom, où A. consacre six pages à une discussion critique des appellations (kleseis) qui
ont été proposées pour cene partie de phrase, dégage bien ce que signifie pareille démarche
(c'est moi qui souligne) : "Doch zeigt gerade diese Behandlung auch, wie man an die
Wôrter der Fachsprache grundslitzlich die sehr berechtige Forderung stellte, daB sie das
Wesen der Sache moglichst genau wiedergiiben ; insofern standen sie den Definitionen
wirklich ziemlich nahe. Und so begreift sich leichter der erbitterte Streit, den Ap. um
termini führen kan n : es ist für ibn in hôheren MaBe ein Streit um die Sache, ais es uns
zunachst vorkomrnen mag".
1 25 . Il n' est peut-être pas déplacé de rapprocher sur ce point le discours syntaxique d ' A . de la
phraséologie monotone de nos 'analyses grammaticales' de l ' école primaire, où le verbe
' se rapporter' était le verbe 'fonctionnel' par excellence. La différence avec A .. c ' est qu'il
y a chez lui pléthore de verbes ' se rapporter' .
68 D E L A CONSTRUcrJON
1 26. A . emploie aussi arhroisrik6s pour désigner spécifiquement la copulative addirive ' e t ' :
cf. II. n. 1 1 3 .
INTRODUCfJON 69
' diathèse' , ditithesis, du verbe actif, c' est-à-dire la 'disposition' (c' est le sens du
mot diathesis) des actants, appelés 'personnes' (pr6sopa), en rappon avec leur
mode de participation à l' action : activité (pure ou mitigée) du côté du cas direct,
passivité (totale ou partielle i27 ) du côté de l ' oblique. B asiq uement, c ' est
l ' activité (enérgeia) qui transite du cas direct au cas oblique. La phrase passive,
qui résulte d ' une transformation morpho-syntaxique de la phrase active ainsi
constituée (cf. III , �§ 148, 1 5 9) , décrit le même scénario sous forme inversée : le
verbe à la forme passive assigne la passivité au cas direct et l ' activité à l ' oblique
(en l ' espèce, le génitif accompagné de la préposition hup6). La notion concrète
de transitivité, comme passage de l' activité d' une personne (active) à une autre
(passive : allopathes), fournit à A. le cadre syntaxique de référence pour décrire,
comme un cas particulier de transitivité à une seule personne, la relation
réflexive (autopatheia) dans son expression pronominale : N; cnomin.) + V trans. +
Pron. réfl.; cobl.J (cf. II, § 1 48). On notera au passage la fécondité de l ' intuition, au
départ 'réaliste' , de la transitivité, qui, à la faveur d' opérations d ' abstraction,
permet de décrire la phrase passive (transitivité inversée) et la construction
pronominale réfléchie (transitivité bouclée). C ' est aussi par rapport à elle, en
l ' occurrence par opposition à elle, qu' est identifiée la relation intransitive
(adiabfbastos, III, §§ 1 62 : 409, 1 1 et 1 64 : 4 1 1 ,9s.) illustrée sur des verbes
comme plouteîn 'être riche ' , zen ' vivre ' , etc., auxquels il suffit de se construire
avec un cas direct pour fournir un énoncé complet i28 .
2.5.3 .2.4. Sujet et prédicat : absence de désignations spécifiques
4) Que nous soyons dans un schéma transitif (opposition direct-obliques) ou
dans un schéma intransitif (cas direct sans oblique) , nous voyons se dessiner
comme une position ' distinguée' celle du cas direct par rappon au verbe. Cette
position et la fonction qui s ' y rattache, que désigne dans le métalangage
moderne le terme de ' sujet grammatical ' , donnent-elles lieu, chez A . , à un
examen particulier et à une dénomination spécifique ? Pour ce qui est de la
dénomination, on peut répondre catégoriquement : non. Il n ' y a pas de mot chez
A. qui puisse se traduire légitimement par 'sujet' : les mots en fonction de sujet
sont désignés comme des 'cas directs ' , désignation qui s ' applique aussi bien à
un nominatif en fonction de prédicat i 29 ; la fonction ' prédicat ' , souvent
rencontrée par A. qui examine à mainte reprise la spécificité des constructions à
verbe ' être ' ou ' s ' apppeler' (voir l ' Index technique français sous ÊTRE
(CONSTRUCTION A VERBE - ), EXISTENCE), ne reçoit pas non plus chez lui de
1 30. Eu égard à leur passé aristotél icien, les mots de la famille de kategoreîn étaient en
principe disponibles pour fournir une telle désignation ; mais l ' examen de leurs emplois
chez A. ( 1 4 du verbe, dont 8 dans la S.. 4 du subst. kategorema, dont 3 dans la S. , plus 1 de
katëgoria (A. 1 29.20)) donne J ' image d' une grande dispersion sémantique et fait conclure.
pour ces mots. à une véritable dissolution de leur valeur technique ancienne : voir à ce sujet
les nn. 1 42 et 241 du 1. !.
1 3 1 . Sauf en 447, 1 où la référence est tout autre.
1 32 . On en rapprochera le tour isolé, mais identiquement orienté. II, § 1 1 5 (2 1 5 , 1 0) : t à
ktitekhen rhema sunaphés esrin toi g i 'le verbe kcirekhen est relié à ge' , pour dire que g e est
le sujet de lduekhen.
INTRODUCTION 71
que l a formulation qui nous est familière "l' attribut se met au même cas que le
sujet" 133 . On pourrait donc songer à soutenir que, pour la description de la
syntaxe grecque, la distinction entre des fonctions nominales 'sujet' et ' prédicat'
ne sert à rien, qu ' il est donc vain de s' acharner à la trouver chez A., et plus vain
encore, si on ne la trouve pas, de lui faire grief de l' avoir ignorée.
B ien inspirée dans son principe, cette position polémique laisserait
toutefois de côté une donnée syntaxique qui confère de la pertinence à la
distinction fonctionnelle sujet vs prédicat pour le grec : la syntaxe de l ' article.
En position prédicative - hormis le cas de phrase équative -, un casuel ne prend
pas l ' article . A., qui ne manque pas une occasion de souligner la chose, le fait,
comme le note Donnet ( 1 967 :40s., cité plus haut 2.5 . 1 .) de manière répétitive à
propos de divers cas particuliers (1, § § 46, 1 07 , 1 09, 1 32), sans jamais proposer
d ' explication unitaire (cf. ma note 234 ad I, § 1 06) . Il nous faut en prendre acte,
tout en relevant par ailleurs des formulations qui montrent à l ' évidence qu ' A .
avait bien perçu la structure sujet-prédicat (cf. I , § 72 e t n . 1 8 1 ), ainsi que le
rapport entre prédication et absence d ' article : voir, au livre I, outre la note 234
déjà citée, les notes 237 et 24 1 .
Cet exemple suffira ici pour donner une idée de la 'physionomie ' , à nos
yeux parfois si singulière, de l ' analyse syntaxique d ' A . : faisant fond sur
l ' analyse sémantico-fonctionnelle des valeurs portées par une morphologie
flexionnelle riche (distribution du lexique en 'parties de phrase ' , inventaire
systématique des signifiés de leurs ' accidents ' respectifs), cette analyse, comme
l ' a bien vu Donnet, tend à privilégier les fonctions inscrites dans les formes,
l ' exemple le plus net étant l ' opposition cas direct-cas obliques. En revanche,
lorsque une fonction n' appelle pas une forme spéciale, comme c ' est le cas pour
le prédicat nominal, le gramm airien ne lui accorde pas une attention suffisante
pour aller jusqu ' à lui donner une dénomination univoque et stable, encore moins
pour lui faire j ouer un rôle structurant dans la démarche descriptive. À
l ' occasion, cette relative i ndifférence aux fonctions sans forme spécifique peut
donner l ' impression qu'A. ne perçoit pas la différence entre position de sujet et
position de prédicat (cf. II, § 47 et n. 89), ou entre relation de détermination et
relation de prédication (cf. I, § 46 et n. 1 33 ; § 1 22 et n. 266).
2.5.3.2.5 . Une syntaxe des parties de phrase
Plutôt que de nous risquer, bien imprudemment, à lui dénier cette
compétence, contentons-nous de constater que son discours syntaxique se
présente fondamentalement comme la description d' une combinatoire de formes
au service d ' un assemblage de signifiés. Le lexique et la morphologie
flexionnelle fournissent un répertoire de signes porteurs de signifiés riches et
complexes ; le locuteur puise dans ce répertoire pour composer par juxtaposition
une suntaxis, assemblage de signifiés congruents entre eux et adéq uats à la
situation à décrire. Lorsque l ' opération est réalisée selon les règles, katà to
déon , c ' e st-à-dire présente la bonne forme à la bonne place compte tenu du
message à transmettre , la phrase est bien formée, sustat6s, et donc
1 33 . On pourra cenes m' objecter que l a première formulation est plus gross ière que la
deuxième, dans la mesure où elle ne s' applique vraiment bien qu ' aux phrases équatives du
type X est le Pape, tandis que dans des prédications d ' appanenance comme X est facteur
ou X est blanc, la notion d' identité de ' personne ' entre sujet et prédicat relève d ' u ne
logique un peu lâche. Soit, mais pourquoi s ' en offusquer ? Ne peut-on, d' une pan, l aisser
le raffinement logique aux logiciens, et. d ' autre pan, pour assurer le bon fonctionnement
de la règle linguistique, observant que, dans les phrases considérées, le facteur et le blanc
sont indi ssociables du référent X. décider d ' assimiler cette indissociabilité à une identité ?
72 DE LA CONSTRUCTION
1 34. Je m ' en suis tenu. dans cette récapitu l ation, à la syntaxe de la phrase simple, à un seul
verbe. Si la conjonction s'y trouve mentionnée (à propos de la modalité : cf. III. § § 21 et
1 24- 1 26), cette mention n ' épuise évidemment pas ses emplois la conjonction étant
,
l ' instrument par excellence de construction des phrases complexes (cf. 1, § 14 et n . 56).
1 35. Je préfère cette expression à celle de ' syntaxe du mot' qu emplo i e Donnet. B ien mieux
'
que la notion, linguistiquement mal définie, de 'mot ' , celle de ' partie de phrase' implique.
comme je l ' ai souligné. que l ' élément de base de la phrase, en tant q u issu de sa parririon ,
'
est d' emblée porteur de fonctionnalités qui orientent sa construction et en font tout le
contrairt: d ' un matériau inerte : faite de 'parties de phrase ' , la phrase n ' est pas un tas. ni
une collection, c est bien un assemblage. au sens technique que prend ce terme dans les
'
§ 89
INTRODUcnON 73
construire hOti avec l ' optatif ; b) la construction complétive h6ti to méli gluku
esti, proph<anés> 'que Je miel soit doux , c' est évident' est rangée sous Je chef
d ' un emploi ' confirmatif de h6ti, emploi dont il apparaît par ailleurs (S. III ,
§ 89 ; IV, § 26) qu' A. ne l ' envisage pas comme réellement conj onctif : h6ti
'confirmatif ne semble pas jouer un rôle différent de celui que remplit l ' adverbe
nai 'oui' auprès d ' un verbe dont il 'confirme la modalité indicative ' , II, § 5 2 ;
Ill , § 93.
2) Proposition infinitive. Ce type de complétive est bien attesté en grec avec
des verbes de type ' falloir' , ' vouloir' , les verbes 'dire ' , etc. Il peut se décrire
comme issu de la transformation d' une proposition libre dont le sujet est au
nominatif et le verbe à un mode personnel en une proposition dépendante dont
Je sujet est à l ' accusatif et Je verbe à l ' infinitif. A. lui-même donne des exemples
de cette transformation : voir S. III, § 86, où la phrase légousi ton ouranon
periékhein t�n g�n. litt. ' on dit Je ciel (ace.) envelopper (inf. ) la terre' est dite
' provenir de ' (cf. ex hoû genesetai, 345,8) periékhei ho ouranos t�n g�n 'le ciel
(nornin.) enveloppe la terre' . Cependant - et c ' est ici Je point que je veux mettre
en évidence - A . , dans les passages où il prend explicitement position sur
l ' analyse syntaxique de l ' accusatif qui est pour nous Je sujet de l ' infinitive,
refuse de Je mettre en rapport avec l ' infinitif et préfère en faire l ' objet transitif
du verbe supérieur : voir III, § § 7 8-79 et 1 6 1 - 1 64 . En rejetant J ' analyse (sans
doute proposée par d ' autres, cf. note 1 86 ad III, § 78) de deî emè akouein 'il me
faut écouter' en deî - (emè - akouein) 'il faut (moi-écouter) ' au profit de deî
emè - akouein 'fait défaut-à moi-écouter' , A. marque nettement sa préférence
pour une syntaxe des parties de phrase (schéma transitif de base N l(nomin . ) - V
N2(cas obi.)• ici sous forme hyperbatique V - N2 - N 1 ) et sa répugnance à admettre
q u ' un groupe sujet-prédicat puisse, transformé à l ' infinitif, former le terme
unique d ' une construction deî - Pinr.
Il y aurait encore beaucoup à dire sur la théorie syntaxique d ' A . , mais le
dire ici serait alourdir à l ' excès une introduction déjà longue. Je laisse donc au
lecteur de la traduction et des notes le soin de découvrir lui-même comment
s ' organise la démarche analytique du maître alexandrin. - J'en viens pour finir à
mon travail de traducteur.
3. TRADUIRE LA SYNTAXE
1 37. Les indications fournies ici sont fondées sur les pp. IX-LV de l ' introduction de l ' édition
de G. Uhlig ( 1 9 1 0), dont je m ' efforce de condenser la substance. Je tiens compte
également de 1 " apport de publications plus récentes - et des avis éclairés q ue rn' a
généreusement prodigués Philippe Hoffmann.
1 38 . Selon Egger ( 1 854:5), l ' édition, partielle (livre 1), de J. Cheradamus (Saint-Denis, 1 535)
reproduit le texte de la Juntine.
74 DE LA CONSTRUCTION
réserve entre les savants. Le stemma établi par Uhlig (p. XLII), qui met en
évidence le bien-fondé d' une prise en considération, en plus de A , des mss
Laur. LX, 26 ( L , 1 4• siècle), Paris. gr. 2549 ( C, fin 1 3• ou déb. 14• s . ) ,
= =
1 9 1 2). Ce dernier pense que A est en fait l ' archétypei40 et en déduit logiquement
que LCB n' ont de valeur que pour la partie du texte qui manque dans A (p.
25 ,4-9 1 ,6 Uhlig) . Le bref article de Maas ( 1 9 1 1 a, repris pour l ' essentiel 1 9 1 2:7-
9) laissant malgré tout planer quelques doutes, et appelant un réexamen de la
tradition qui n ' a toujours pas été fait (notamme nt pour établir les relations dans
le groupe LCB ), j ' adopte, dans mes Notes critiques, une position prudente : pour
tout lieu variant faisant l ' objet d' une note, je mentionne la leçon de chacun des
quatre mss A, L, C et B comportant le passage concerné.
J' indique donc, dans le tableau qui suit, la partie du texte couverte par chacun de
ces quatre témoins (pages et lignes de l ' éd . Uhlig, seules les grandes lacunes
sont prises en compte) :
Il n ' entre pas dans mon propos de décrire par le menu 1' état de nos
manuscrits : je renvoie sur ce point au travail de Uhlig (p. XXIII-LI). J'y ajoute
seulement une remarque, à propos du ms A. Les désignations laudatives de
'praestantisssimus liber' , ' optimus codex' q u ' Uhlig lui applique (XXIII ) doivent
s' entendre au sens relatif du superlatif : pour être le plus complet, le plus ancien
- et à ce titre le plus précieux - de nos mss, ce Parisinus n ' en comporte pas
moins de nombreuses fautes (Uhlig, p. XXXIII) , des lacunes, une accentuation
irrégulière (et dont il est souvent difficile, quand elle est notée, de discerner si
elle remonte à la première ou à une seconde main), des grattages 142 avec des
corrections plus ou moins heureuses de la première ou d' une deuxième main,
des passages peu lisibles, tous défauts que le recours aux autres mss, bien
souvent, ne permet pas de pallier de manière satisfaisante (surtout si, comme le
pense Maas, A est à l ' origine de l ' ensemble de la tradition). Je crois donc utile,
pour tempérer l ' optimisme injustifié que pourraient inspirer au lecteur les
superlatifs de Uhlig, de citer ces mots de Maas ( 1 9 1 2 : 14) :
. . . der krause Stil des Apollonios und der schlech te Zusrand unserer
Überlieferung machen an unziihligen Srellen eine befriedigende Uisung, ja sel b st
eine Lokalisierung der Korruptel unmbglich [les italiques sont de moi].
Je place sous le signe d ' un tel jugement les notes, assez nombeuses, où je prends
la précaution de signaler que j ' interprète un texte conjectural : il ne s ' agit en
aucun cas d' une dérobade, encore moins d' une coquetterie rhétorique.
Face à une telle situation, que nous apportent les éditions de la S. ? La
première édition importante est celle de Sylburg ( 1 590) : héritière des travaux
philologiques dus à S ophianos, Ellebode, Dudith et Portus, elle se laisse
comparer, pour l ' extension du texte et pour la qualité des observations critiques,
à celles que produisit plus tard l ' érudition des 1 9• et 20• siècles l43. Les éditions
de Bekker et de Uhlig se recommandent à leur tour par une exploitation plus
judicieuse de la tradition manuscrite - avec notamment la priorité accordée au
ms A et par la compétence philologique hors de pair de ces deux savants .
-
Fondée sur celle de Bekker dont elle rappelle systématiquement les choix dans
J ' apparat critique, l ' édition de Uhlig s ' en distingue notamment : 1 ) par une
attitude plus critique à l ' égard des lectiones faciliores du Parisinus 254 7 (B) 144
et, corrél ati vement, par une tolérance plus grande envers les lectiones
1 42. La lecture de la leçon grattée ("A•c sous une rature" dans mes notes critiques) m ' a
souvent paru hasardeuse. J ' ai toutefois régulièrement signalé (A•< ) les leçons assignées à
A 1 avant correction par Uhlig (d' après la lecture du ms par J. Guttentag), mais en les
faisant suivre d ' un "(?)" chaque fois que je n ' ai pas cru pouvoir les garantir moi-même.
1 43 . Au cours d'un an de travail commun (à Padoue, mars 1562-mars 1 563), M. Sophianos
( t 1 566) et N. Ellebode ( t 1 577) ont enrichi de nombreuses notes critiques et de
conjectures personnelles le texte d' une Aldine de la Bibliothtque Ambrosienne à Milan
(S.Q. 1 . VII 1 = rn* chez Uhlig), dont ils ont par ailleurs comblé les deux grandes lacunes
( 1 9 1 .4-246,3 et 478 , 1 0-fin) à partir d'un apograpbe du ms A. II apparaît aussi que les deux
savants disposaient, pour leur révision de l ' Aldine, d'un ms 'très proche de B' (Uhlig, p.
XLIX, 1 5 ) . Ainsi rn*, pour partie imprimé, pour partie manuscrit, est le premier livre qui
contienne tout ce que nous connaissons aujourd 'hui du texte de la S. Sophianos et Ellebode
remirent chacun une copie de l'Aldine ainsi retouchée respectivement à F. Portus (t 1 58 1 )
et à A . Dudith ( t 1 5 89). Ces derniers enrichirent à leur tour de leurs observations critiques
le livre qu' ils avaient reçu, et Portus traduisit le texte en latin. L'édition de Sylburg repose
sur les exemplaires de Dudith et de Portus.
1 44. Tout porte à penser que le Paris. gr. 2547 a eu pour modèle un manuscrit dont le texte
avait été revu et 'poli' par le grammairien Constantin Lascaris ( 1 434- 1 5 0 1 ).
76 DE L A CONSTRUCfJON
1 45 . Tolérance argumen tée en note, dans tous les cas délicats, par l'appel à de s parallèles pris
dans l'ensemble de l 'œuvre transmise d'Apollonius et par l ' expl i cati on des constructions
diffic iles. On peut certes avoir des réserves sur la pertinence de cenains parallèles et sur la
plausibilité de certaines explications, mais il e st incontestable à m es yeux que, d a n s
l' ensemble, les très nombreuses remarques de cette nature qu'on trouve réparties entre
) ' ADNOTATJO EXEGETICA et l' ADNOTATIO CRITICA d e J ' édi ti on Ub J i g constituent une
contribution inestimable au déchiffrement du texte d' Apollonius. Sur les idiosyncrasies de
la langue de notre grammi ri en, la dissertation de R. Schneider, Tracta/us de Apollonii
consuetudine (GG TI 3, p. 1 4 1 - 1 6 1 ) es t égaleme nt très précieuse.
1 46. Uhlig a également pu consulter les exemplaires de J ' édition B ekker annotés par
K. Lehrs , G. F. Schoemann. L. Lange, P. Egenolff. ainsi que deux fascicules cri t i q u es de
L. Kayser . Il reconnaît enfin une dette, à vrai dire fon mince, envers B uttman n ( 1 877),
q u ' i l présente plus volontiers comme un repou sso ir q u e c o mm e u n i nsp i rateu r. ( Je n e
m ' expliq ue pas l ' extrême sévérité de Uhlig, p. LXXIVs., pour Buttmann. Maas ( 1 9 1 2 : 1 0)
p arle à ce propos de 'mépris' (V erach tung) et n ' es t visiblement pas fâché de m ettr e . à
propos de deux passages (490.6 ; 49 1 ,8 ) Uhlig dans son tort vis-à-vis de B ultmann. Bien
que je ne suive pas Buttmann-Maas dans l'interprétation du second passage, je souscris
volontiers au jugement de Maas sur la traduction de B uttrnann "plus maltraitée que cela ne
s'imposait dans J'Introduction [de Uh l i g]" : "Das B uch hat �eine Verdienste, wenn a u c h
mehr durch seine Fragen ais durch seine Antworten".)
147. Householder ( 1 98 1 : 1 ) : "This translation is made, in the main, from Uhlig ' s text. with
about seven or eight minor changes, mostly (a) wbere I have preferred a re ad i n g which
Uhlig kept in his apparatus, (b) where I have sim p l y omitted a bracketed passage.
(c) where I h a ve given the text of a quotation in a form closer to the ac c epted text of the
poet be i ng quoted (pro vided . of course, Apollonius' point is not affected in the change)."
Béc ares Botas ( 1 987:65) : "Sigo casi siempre el texto de Uhlig, salvo unas pocas lecciones
distintas, que suelen estar ya en el apparato cr lti c o , no por el placer de la conjetura, sino
porque estân mas de acuerdo con mi version . " (Suit une liste de 17 passages où B . B .
choisit de traduire u n autre texte que celui de Uhlig ; i l s' agit dan s pl us de l a moitié des c as
d'un retour au texte transmis, très rarem en t d ' une conjecture personnelle.)
INTRODUCfiON 77
consisté, pour partie à faire d' autres choix critiques que lui dans la tradition,
pour p artie à placer dans le texte même des conjectures qui paraissaient
indispensables à Uhlig, mais qu' un protocole éditorial aujourd ' hui désuet lui
laissait Je loisir de ne mentionner que dans son apparat. Me conformant pour ma
part aux usages de notre temps, sauf cas désespérés signalés par des cruces (t),
je donne à lire un texte que je tiens pour intelligible et dont ma traduction veut
être une interprétation aussi fidèle que possibJe 14S .
Cela dit, nul n ' ignore que la critique textuelle n ' est pas une science exacte,
et nul ne nie que 1 ' exercice de cet art difficile fasse place à une part non
négligeable de subjectivité. Le lecteur pourra juger cas par cas du caractère plus
ou moins bien fondé de mes propres choix : il va sans dire qu' à mes yeux
mêmes, les solutions que j ' adopte ne se distinguent qu ' en termes de degré de
probabilité de celles des éditeurs antérieurs que je rejette. Il n ' y a donc pas de
doctrine générale dont je puisse faire état ici pour justifier les écarts q u ' on
observera entre mon texte et celui de Uhlig : il n ' y a, pratiquement, que des cas
p articuliers. Tout au plus pui s-je signaler tout de même , pour nuancer
légèrement ce propos , q ue j ' ai tendance à adopter une attitude peu
interventionniste pour ce qui touche l ' emploi de certaines particules : le cas le
plus typique est celui de yoûv , agglomérat très polysémique de )'E et de o ù v
(cf. Schneider, Tract. 1 55 ,5), que je préfère, avec B ekker, garder partout tel que
nous le transmettent les manuscrits (à l ' exception de B, qui ne connaît que
'
y oùv), plutôt que de le corriger, comme le fait Uhlig en quelques passages, en
-y' oùv ( 1 3 8 , 1 1 [apparat] ; 1 5 1 , 1 ; 242,3 ; 252, 1 ; 307, 1 ; 3 1 3 ,3 ; 3 3 1 ,3 ) ; il ne me
paraît pas plus artificiel de prêter un peu plus, si nécessaire, à la flexibilité
sémantique de yoûv que de supposer qu'A. distinguait sémantiq uement des
homophones y ' oùv et yoûv . De même, pas plus que Maas ( 1 9 1 2 : 1 0) qui parle à
ce propos de ' gr arnmatische Pedanterie' , je ne vois le bien-fondé des corrections
introduites ou adoptées par Uhlig de où v en yoûv (46,5 ; 297 ,5) ou de yoûv en
oùv ( 1 69, 1 5 ; 43 1 ,8). Mais ce sont là de petites choses .
Pratiquement, les notes critiques placées sous Je texte grec , constituent un
apparat allégé qui donne au lecteur des indications différentielles, à savoir :
1 ) Pour la partie du texte présente dans le ms A, ne donnent en principe lieu à
une note critique que les écarts du texte édité par rapport à ce ms t 49 ; j ' indique
alors, outre l ' origine de la leçon ou de la conjecture retenue, les leçons des
autres témoins disponibles du groupe LCB . Lorsque deux états de A sont lisibles
(avant et après correction), je signale les leçons concurrentes si elles me
paraissent toutes les deux mériter notre attention ;
2) Pour les parties du texte manquant dans A, les notes critiques signalent
1 48 . Je reviendrai plus loin sur les pri ncipes qui ont guidé la traduc tion, et sur la
c omplémentarité entre traduction et notes .
1 49 . Pour éviter de multiplier les notes sans intérêt. j ' ai décidé de négliger les nombreuses
fautes de A qui peuvent indiscutablement être tenues pour des fautes d ' orthographe.
typiquement : confusion fréquente de o et de w [mais j · ai signalé l es flottements TO (pour
Té.) 1 TW (pour T<\) ) qui engageaient l ' interprétation syntaxi q ue), d e E et de m, des
différentes notations du son [i] : L , TJ. n [mais des flottements comme KÀLTLK"TÎ I KÀTJTLJ<lÎ
ont été relevés chaque fois qu' une hésitation entre les deux lectures était permise] .
78 D E L A CONSTRUcnON
- systénuJtiquement tous les lieux où le texte édité n' est donné par aucun
des trois mss L, C ou B (aux variantes orthographiques insignifiantes près) ;
- sélectivement les lieux où, le texte de l ' un au moins des trois mss LCB
étant retenu, une variante dans le reste de la tradition rn ' a paru sucepti ble de
mettre en cause l ' interprétation, ou au moins de donner à réfléchir.
Dans un cas comme dans l' autre, les leçons des trois mss sont indiquées.
Toutes les leçons signalées des mss ALCB ont fait l ' objet d ' un contrôle s ur
microfilm, éventuellement (pour ACB ) sur le ms lui-même I so ; chaque fois que
ma lecture permet de corriger une indication ou une implication erronée de
l ' apparat de Uhlig, l ' indication correcte que j ' introduis est suivie d ' un point
d ' exclamation en exposant ;
3) Toute différence entre mon texte et celui de Uhlig est signalée (et il est
fréquent dans ce cas qu' une note exégétique fasse écho à la note critique, pour
justifier mon choix) ;
4) Hors des cas précédents, une note critique peut signaler une conjecture
intéressante non retenue dans le texte, une donnée de la tradition indirecte, etc .
5) L 'absence de mention du nom de Uhlig dans une note critique signifie
que j 'adopte son texte l5 l .
Mon texte reposant en grande partie sur l ' édition de Uhlig (et provenant
matériellement de l ' exploitation de sa version numérisée), on ne s ' étonnera pas
que j ' aie gardé beaucoup des particularités typographiques de cette édition :
outre le respect, aussi rigoureux que possible, du contenu des lignes, maintien
de la division en paragraphes, conservation des tirets et des numéros ajoutés
par Uhlig pour marquer les étapes de l' argumentation (e.g. 1, § 83 ; Ill , § § 36-40),
etc . On notera en revanche les différences suivantes :
• je suis allé à la ligne après chaque paragraphe; quand cette façon de faire
entraîne la coupure d' une ligne de l ' édition Uhlig, les deux morceaux décalés de
la ligne d' origine comptent pour une ligne unique ;
• en règle générale, j · ai supprimé les guillemets dont Uhlig (mais non
B ekker) encadre les portions du texte où A. expose la doctrine d ' autres
grammairiens : j ' ai voulu éviter ainsi de donner l ' impression, certainement
trompeuse, qu'A. citait littéralement les écrits de ses collègues ;
• j ' ai çà et là modifié un peu la ponctuation, notamment en changeant des
points en points en haut ou inversement ; j ' ai toujours fait suivre mes points
d ' une majuscule ;
• pour faciliter la lecture du texte grammatical, j ' ai systématiquement
imprimé en gras, non seulement les exemples inventés (en typographie dilatée
chez Uhlig), mais aussi tous les mots cités avec statut autonymique (seule une
partie d' entre eux est dilatée chez Uhlig).
1 50. En revanche, les quelques mentions de l ' Aldine d'Ellebode et Sophianos (rn*, cf. n. 1 4 1 )
sont faites de seconde main, d ' après l ' apparat de Uhlig.
1 5 1 . Pour plus de précisions sur les principes de rédaction des Notes critiques, voir ci-après,
p.85, la Notice technique sur le texte et la traduction.
INTIWDUcnON 79
caractère déroutant de son expression, 'der krause Stil des Apollonios ' , selon le
mot de Maas.
Le style d ' A . est en effet tout le contraire d' un style soigné, celui qu ' on
aimerait trouver dans un ouvrage technique dont l' objet est la langue elle-même
et la construction des phrases . . . En fait, on se demande parfois si on n ' a pas
affaire à un style oral, avec tout ce que cela implique d ' étrangeté une fois le
texte couché tel quel par écrit : redondances verbeuses qui embarrassent
l ' expression ou au contraire ellipses audacieuses t52 qui la condensent jusqu ' à
l ' opacité, usage polysémique t 53 o u acception flouel54 de termes techniques,
confusion du nom et du référent tss, recours malencontreux à des termes
imprécis tS6 ou à des formules vagues t s 7, anaphores ambiguës t ss, tours
embrouillés où deux rédactions concurrentes semblent s ' être télescopées l 59,
lapsus peut-être 1 60 . Face à ce genre de flottement, les éditeurs sont plus ou
moins tolérants et la prudence invite souvent à se demander si le choix d ' une
lectio facilior prise dans le ms B , ou a fortiori une correction de la leçon
unanime de nos mss pour rendre le texte plus satisfaisant à nos yeux, n ' est pas
une façon de corriger A. lui-même. Pareille question, bien entendu, n ' admet pas
de réponse sûre, et chaque éditeur, suivant sa sensibilité propre , laisse au
compte de l ' auteur une dose plus ou moins forte d' ellipses, de redondances,
d ' imprécisions, d ' anacoluthes, etc., pour n ' imputer à une faute de la tradition
et n ' éliminer par des corrections - que le reste considéré par lui comme
décidément intolérable.
Quoi qu'il en soit du dosage - on verra que j ' ai souvent, mais pas toujours,
suivi les décisions de Uhlig -, un texte comme celui de la Syntaxe pose au
traducteur moderne de nombreux problèmes techniques. C ' est d ' eux qu' il me
faut parler maintenant, en indiquant à mon lecteur les réponses que je leur ai
données.
peu sur l ' application que j ' ai faite de chacun d ' eux, et sur la façon dont j ' ai
essayé de pallier les di fficultés inhérentes à mon entreprise.
1 6 1 . Grâce à un jeu de onze voyelles diacritées ajoutées à l ' alphabet latin standard (il a a ë e ë
ê li o li li), cette translittération permet toujours une rétrographie sa n s pe rte d' une forme
translittérée en son original grec . Noter les conventions suivantes :
• voyelles : l ' iota souscrit du grec est adscrit en transcription (sa position après une
voyelle longue suffisant à indiquer la rétrographie correcte) : ai = Q.. ëi = lJ , oi = I!J . Quand
ces 'diphtongues ' sont accentuées, l ' accent est placé dans la transcription sur la voyelle
longue initiale : khorbi = xopQ , pêi TTij , etc .
=
par h, q u ' i l s ' agisse du phonème initial ( noté en grec par l ' esprit rude) ou du trait
distinguant les occlusives ' aspirées' des sourdes simples correspondantes : ho = 6 , rhêma =
l ' article : s' agissant de l ' article. partithesis et prostithénai sont la désignation quasi
mécanique du seul emploi possible de cette partie de phrase. sa juxtaposition, son ajout à
côté d'un mot qu il ' anicule' . Je suis sans doute plus vulnérable quand je considère que
'
méros 16gou 'partie de phrase' est un simple synonyme de léxis et que je le traduis par
'mot' (e.g. 1, § 1 0 ( 1 1 ,2), etc . ) : il y a là une question d ' appréciation, mais sur le principe, il
me paraît peu douteux que, chez A. comme dans la Technè , léxis et méros l6gou peuvent
fonctionner en variation libre.
1 66 . Littéralement, l ' imparfait est un ' extensif , l' aoriste un ' indéfi ni ' .
1 67 . J ' ai. pour c e dernier. renoncé a u néologisme ' suraccompli ' q u e j ' avais, à tort o u à raison,
utilisé dans une première traduction de la Technè : le profit sémantique (?) ne m ' appa
raissait plus justifier l ' introduction d ' un néologisme de mon cru (cf. Lallot 1 989: 1 7 1 ) .
Pour l' ' aori ste ' et l' ' imparfait ' , la raison pour laquelle je m'en suis tenu aux traductions
reçues. nullement ou faiblement motivées en français, est que les termes grecs n ' appa
raissent jamai s dans un contexte où leur valeur de base est en cause : il était donc
inopportun d'introduire une traduction inhabituelle, dont la dénotation aurait indûment
sollicité l ' attention du lecteur attentif.
82 DE !..A CONSTRUCTION
'signification ' , de 'désignation' et de 'référence ' est, dans une très large mesure,
désespérément indifférencié - ou, ce qui ne vaut pas mieux, irrégulièrement
différencié. Si 1' on met à part la zone plutôt bien circonscrite de la déixis
proprement dite - acte d' ostension ou situation d" embrayage' sur un référent
visible, désignés j ustement par deîxis, deiktik6s pour J ' acte, h upokeimenon,
ousia pour l ' objet -, on a grand peine à différencier les valeurs de verbes
comme sëmainein, dëlo ûn, paristâ n e i n , emphanizein, epang éllesth a i,
hupagoreûein, noeîsthai, paruphistasthai qui veulent tous dire peu ou prou (en
intégrant les variations de diathèse) ' si g ni fier' , ' désigner ' , ' i ndiquer ' ,
'exprimer' , 'notifier' , 's' interpréter' , 's' entendre (comme) ' . Il est naturellement
de bonne méthode, face à une telle diversité, de scruter les différences - on peut
voir dans l ' Index, s. v. SIGNIFIÉ CONJOINT q u ' il n ' est pas vain de le faire pour
paruphistasthai, même s ' il y a des 'restes ' -, et on ne peut que souhaiter que des
travaux de la précision et de la qualité de celui que Van Ophuij sen ( 1 993) a
consacré à une dizaine de termes du métalangage apollonien 1 68 viennent réduire,
autant que faire se peut, les zones marécageuses où vient s ' embourber la bonne
volonté du traducteur armé des meilleurs principes - mais on ne saurait sans
s ' exposer à de lourdes désillusions placer un trop grand espoir dans le résultat
escomptable de tels travaux d' assainissement : le krause Stil, la langue
technique trop riche et mal dégrossie du Dyscole continueront longtemps, je le
crains, à faire blanchir les cheveux des traducteurs.
Qu ' on ne voie pas là jérémiades ou artificieuse captatio benevolentiae.
L ' auteur de la présente traduction de la Syntaxe en prend 1 ' entière
responsabilité, et il sait à quoi il s ' expose : les nombreuses retouches de dernière
heure qu'il y a apportées J ' ont d' avance convaincu de sa perfectibilité . Il
considérait simplement de son devoir d ' avertir le lecteur peu informé que la
grande dispersion lexicale dont les Index techniques français et grec donnent le
spectacle est bel et bien une caractéristique du texte grec d ' Apollonius, et qu'il
faut, bon gré mal gré, faire avec . . .
pour matière des données philologiques qui constituaient par elles-mêmes des
apories, j ' ai préféré la livrer au lecteur pour q u ' il ia réexamine lui-même, plutôt
que de l ' en priver sous prétexte qu' elle était, à mes propres yeux, sujette à
discussion.
L' expérience que j ' ai faite de retravailler en séminaire des passages sur
lesquels je considérais que mes notes étaient ' au point' m ' a montré que, en de
nombreux passages, l ' argumentation pouvait être reprise, l ' interprétation
modifiée. Mais il fallait aussi savoir s' arrêter. C' est aujourd ' hui chose faite
mais j ' en ai assez dit pour donner à entendre que la publication de ce livre est
plutôt pour moi une ouverture vers une lecture et un débat élargis qu' une
véritable conclusion sur le sens d ' un texte qui n'a pas fini de se dérober. Du
combat avec Protée, on ne sort jamais vainqueur. On peut seulement le
recommencer.
Le travail dont je livre ici le résultat fut à la fois solitaire et collectif. Pour
la traduction, j ' ai eu grand profit à m' appuyer sur les mémoires de maîtrise
inédits - de Sophie Mesguich (aujourd ' hui S . Kessler-M., pour le livre I, § § 36-
fin), d' Éric Alluin (livre II), de Frédéric Lambert (livre III, § § 54-fin). J ' ai
également utilisé, pour le livre I, §§ 1 -2 et 1 3-29, la traduction annotée de Lallot
& Lambert ( 1 985). Pour 1' interprétation, j ' ai bénéficié, en plus des publications
signalées en bibliographie et des mémoires inédits qui viennent d ' être
mentionnés, des discussions en séminaire - dans mon séminaire de l ' É cole
normale comme lors des séances de travail de l ' URA 3 8 1 du CNRS "Histoire
des théories linguistiques" - et en privé, avec de nombreux élèves et collègues.
Dans la tabula gratulatoria ci-après où je consigne leurs noms, je me réfugie
lâchement derrière 1' ordre alphabétique pour n ' avoir pas à préciser davantage le
contenu de ma dette, parfois fort ancienne, envers chacun : Marc B aratin, Anne
Laure Brisac, François Brunet, Karl Martin B unz, Anne-Marie Chanet, Jean
Claude Chevalier, Catherine Da1imier, Christian Forstel , Thierry Hébert,
Philippe Hoffmann, Frédérique Ildefonse, Claude Imbert, Jacques Julien, Alain
Lemaréchal , Irène Rosier-Catach, Irène Tsamadou-Jacoberger, Sophie
Vassilaki. À eux tous, il m' est agréable d ' exprimer ici ma vive et profonde
gratitude.
Je remercie spécialement Christian Fôrstel et Philippe Hoffmann d ' avoir
mis à mon service, sans se lasser, leur compétence en codicologie et en
paléographie. Je dois aussi une reconnaissance particulière à Pierre Lardet et à
Alain Lemaréchal, qui ont pris chacun le temps de relire attentivement un
échantillon de mon travail : j ' ai tiré grand profit de leurs remarques pour la
réalisation finale du présent livre.
Mon épouse Nicole a partagé avec moi les j oies austères de la relecture des
index : elle mérite pour cela (entre autres) toute ma gratitude. Le palmarès serait
incomplet si j ' omettais d' y inscrire Francine Goujon et Georges Jobert, dont le
regard aiguisé et la mémoire agile lors d ' une ultime relecture rn ' ont évité
quelques bévues et coquilles. Il va sans dire que ces généreux acolytes sont
innocents des fautes qui restent. J ' en demande à 1 ' avance pardon à mes lecteurs :
1 ' extrême difficulté de mener à bien sans erreurs ni incohérences la folle
entreprise de l ' Index technique français me sera-t-elle un titre à leur in
dulgence ?
Ma reconnaissance va enfin au Professeur Theodore F. Brunner, Directeur
du TLG Project, qui a bien voulu mettre à ma disposition le texte numérisé,
84 DE LA CONSTRUCTION
mais non encore diffusé publiquement, de J ' œuvre d ' Apollonius. Pour bien
exploiter ce trésor, ma grande infirmité en informatique a été secourue tour à
tour par François Charpin, Daniel Béguin et Nicos GouJandris. C' est grâce à
leur aide précieuse que j ' ai pu fournir, en regard de ma traduction, le texte grec
issu de ma révision critique. Qu ' ils en soient remerciés, ainsi que M. William A.
Johnson, Assistant Director du 1LG Project, pour J ' autorisation de publication
qu' il m ' a accordée.
En complément de ce qui a déjà été dit dans l ' lntroduct;on à ce sujet, j ' apporte
ici les indications qui me paraissent indispensables à la lecture des pages qui suivent.
La présente notice est elle-même complétée par la table des abréviations placée en tête
du volume (p. 7).
celui du lemme (le nom de Uhlig n ' est mentionné ici que s ' il a adopté ou introduit une
conjecture, j amais si la leçon est attestée dans la tradition manuscrite4) ;
• ou bien d ' un autre texte, auquel cas le nom de Uhlig apparaît, à droite de ' : ' ,
1. Respecti vement , de l ' édition Schneider (GG II I) pour la fin apocryphe des Adverbes. Tout ce qui
est dit ci-après de Uhli g relativement au texte de la Syntaxe est transposable à Schneider quand i l
s ' agit du texte d e s *Adverbes.
2 . J ' y u ti l ise toutefois quelques abréviations traditionnelles d ' expressions latines consacrées : ' ac 1 pc'
= ante 1 post correctivnem ' avant 1 après correction ' , ' i l / sl ' = in linea 1 supra lineam ' sur 1 au
dessus de la ligne ' . Noter aussi 'mg' = ' (dans la) marge ' . 'add. 1 suppr . X' = 'ajouté 1 supprimé par
X'. 'om. X' = ' omi s par x · , ' conj . X' = ' conJecture de x· , ' trans p . x · = ' dépl acé par x· . ( Le point
d ' exc lam ati on en exposant après le sigle d ' un ms attire l ' attention sur une leçon q ui corri ge celle
qu ' indique, expressément ou e silenrio, l ' apparat de Uhli g . )
3. Y co m pris q u and le segment en question, condamné p a r l ' éditeur, se trouve placé entre crochets
droi ts .
4 . D a ns le c a s où le segment qui fou rnit le l e m m e est placé entre crochets droits d a n s mon tex te
( cf. n. prée . ) . l ' ab se n ce du nom de Uhlig dans la note si gn ifi e q u ' i l condamnait l u i - m ê me ce
segmen t .
86 NOTICE TECHNIQUE
Traduction
Dans la traduction, les chiffres entre accolades { . . } renvoient aux pages
.
(chiffres gras) et aux lignes (de 5 en 5, chiffres maigres) du texte grec de l ' édition
Uhlig.
Entre crochets droits simples [ . ], on trouve : 1) les traductions des exemples
. .
le segment qu' ils enferment correspond à un ajout de l' éditeur dans le texte grec
(exemple : 1, § 4 , ajout p. 4,4 Uhlig).
La traduction des citations littéraires éditées par ailleurs dans des recueils de
fragments est suivie de leur référence dans l ' édition utilisée par Uhlig et, le cas
échéant, dans une ou plus d' une édition récente faisant autorité.
Dans le texte grec et dans la traduction,
1 ) les citations grecques (res p. leur translitération) sont décalées vers la droite
lorsqu ' il s ' agit de fragments d 'hexamètres ne comportant pas le début du vers ;
2) les crochets droits doubles [[ . . . ]], qu' ils enferment du texte ou des points de
suspension, indiquent la décision de J ' éditeur de déplacer une portion de texte jugée
incongrue à l ' endroit considéré. Une note critique indique alors dans quel nouveau site
ladite chaîne est transférée : elle y apparaît alors entre crochets obliques doubles
« . . » (exemple : 1, §§ 32/33).
.
TYPOGRAPHIE
J ' ai dit que mon texte grec respectait au maximum les lignes de l ' édition de
G. Uhlig, qui reste l ' édition de référence de la Syntaxe. Le prix à payer pour cette
fidélité est une certaine irrégulanté dans les espacements, notamment q uand il y a des
mots imprimés en gras. Je prie le lecteur d' excuser cette imperfection technique.
DE LA CONSTRUCTION
SOMMAIRE ANALYTIQUE
LIVRE I
1. PROLÉGOMÈNES (§§ 1-36)
1.1. Sujet de l ' ouvrage : l ' étude des assemblages de mots formant la
phrase (§ 1 ).
1.2. Phénomènes communs aux différents niveaux de la langue (§§ 2-11)
1 .2. 1 . Existence de règles de construction ( § 2).
1 .2.2. Altérations I (redoublement, pléonasme, ellipse) ( § § 3- 7).
1 .2.3. Fautes (§ 8).
1 .2.4. Ordre syntagmatique (§ 9).
1 .2.5. Altérations II (dissociation, unification, transposition) ( § § 1 0- 1 1 ) .
1.3. Les parties de la phras e ( §§ 12-35)
1 .3 . 1 . Analogie entre les parties de phrase et les éléments (§ 1 2).
1 . 3 . 2 . Justifi c ation de l ' ordre d ' énumérati on des parties de
phrase ( § § 1 3-29).
1 . 3.2. 1 . Première et deuxième places : nom et verbe (§§ 13-18).
1.3.2.2. Pourquoi le pronom ne suit pas le nom (§§ 1 9-20).
1 . 3.2.3. Troisième place : le participe (§§ 21 -22).
1 .3.2.4. Quatrième place : l 'article ( § 23 ).
1 .3.2. 5. Cinquième place : le pronom (§§ 24-25).
1.3.2.6. Sixième place : la préposition (§ 26).
1 . 3.2. 7. Septième place : l 'adverbe (§ 27).
1 . 3.2. 8. Huitième place : la conjonction (§ 28).
1 . 3 . 3 . Raison d ' être de deux séries d ' inquis itifs , nomi naux et
adverbiaux ( § § 30- 35).
2. L 'ARTICLE PRÉPOSITIF (§§ 36- 141)
2.1. Sujets à aborder (§ 36).
2.2. Valeur propre de l 'article. Orientation de l 'étude syntaxique (§§ 37·
45)
2.2. 1 . Latitude d ' emploi de l ' article (§ 37).
2 . 2 . 2 . L' article n'a pas pour fonction de distinguer les genres des
noms ( § § 38-42).
2.2.3. Le propre de l ' article est l ' expression de l ' anaphore ( § § 43-44 ) .
2 . 1 .4. Orientation de l ' étude syntaxique de l ' article (§ 45).
2.3. Les mots qui prennent l 'article (§§ 46-69)
2 . 2 . 3 . 1 . Emploi de l ' article avec les noms des lettres de l ' alphabet
( § § 46-49).
2.2.3.2. L' infinitif articulé ( § § 50-56).
2.2.2. 1 . Précédé de l 'art icle , l 'infinitif reste un verbe (§§ 50-52).
2 . 2 . 2 . 2 . Préposé à un infinitif, 1 'article est bien un a rticle, et nor. un
adverbe (.1$§ 53-56).
2 . 3 . 3 . Pourquoi le génitif partitif exige l ' article ( § § 57-59).
SOMMAIRE ANALYTIQUE 89
2 . 3 . 4 . La théorie est l ' instance suprême dans l ' appréciation des faits de
langue ( § § 6Q-64).
2.3.4. 1 . Enoncé des principes (§§ 60-61).
2.3.4. 12 Application de la théorie à l 'ellipse de l 'article devant alloi chez
Homère (§§ 62-64).
2 . 2 . 5 . Deux cas d ' emploi de l ' article dans des formules d ' adresse
épistolaire (§§ 65-68 ).
2.4. Les mots qui n 'admettent pas l 'article (§§ 70-104)
2.4. 1 . Le réciproque altelon (§ 70).
2.4.2. Amph6teroi 'tous les deux' n ' admet pas l ' article ( § § 7 1 -72).
2.4.3. Les vocatifs n ' admettent pas l ' article : ô n ' est pas l ' article au
vo:.:atif ( § § 73-85 ).
2.4.3. 1 . L 'opinion commune : o est l 'article au vocatif(§§ 73).
2.4.3.2. La palinodie de Tryphon (§§ 74- 75).
2.4. 3.4. Réfutation de Tryphon : o n 'est pas un article, mais un adverbe
vocatif (§§ 76-85).
2.4.4. Les noms inquisitifs n ' admettent pas l ' article : dans hopoîos, ho
n' est pas l ' article ( § § 86-92).
2.4.5. Les titres d ' ouvrages ne prennent pas l ' article (§ 93).
2.4.6 . L ' appellation ' articulé 1 inarticulé ' appliquée aux pronoms ne se
j ustifie pas (§ 94).
2.4.7. Règle : les pronoms n ' admettent pas l ' article (§§ 95-97).
2 . 4 . 8 . Exceptions à la règle : pronoms admettant l ' article ( § § 98- 1 04).
2.4. 8. 1 . L 'anaphorique autos (§§ 98).
2.4.8.2. Ton erné : usage attique (§§ 99).
2.4.8.3. Exception apparente : l 'article qui précède le dérivé possessif ne va
pas avec le pronom (§§ 1 00-104).
2.5. Mots qui tantôt prennent, tantôt ne prennent pas l 'article ( § § 1 05-
132)
2.5 . 1 . Les appellatifs ( § § 1 05- 1 09).
2.5. 1 . 1 . L 'article s 'emploie en cas d 'anaphore (§§ 1 05-106).
2.5. 1.2. Cas des groupes adjectif + nom (§§ 107-1 09).
2.5.2. L' article et le participe ( § § 1 1 0- 1 1 4) .
2.5.3. Excursus : il n' existe pas d ' impératifs futurs (§§ 1 1 5 - 1 1 6) .
2 . 5 .4 . Interversion possible dans les groupes sans article ( § 1 1 7 ) .
2.5.5. L ' article d e la possession unique (§ 1 1 8) .
2.5 .6. Emploi de l ' article dans les phrases inquisitives ( § § 1 1 9- 1 30).
2.5.6. 1 . Phrases introduites par 'qui ? ' (§§ 1 1 9-123).
2.5.6.2. Phrases introduites par 'quel ? ' (§ 124).
2.5.6.3. Phrases introduites par 'qui ?, lequel ? ' + génitifpluriel (§ 125).
2.5.6.4. Phrases inquisitives introduites par un adverbe ( §§ 126- 1 30 ).
2 . 5 . 7 . L' article et les pronoms possessifs ( § § 1 3 1 - 1 32).
2.6. Répétition de l ' article ( § § 1 3 3- 1 35).
2.7. Deux articles à la suite (§§ 1 3 6 - 1 4 1 ).
LIVRE II
1. PRONOMS , GÉNÉRALITÉS (§§ 1 -27)
1 . 1 . Les pronoms remplacent les noms (§ 1 ) .
1 .2. La double flexion - casuelle et personnelle - des pronoms ( § § 2-4).
1 .3 . La double accentuation des pronoms ( § § 5-7).
1 .4. Déixis et anaphore à la troisième personne ( § § 8- 14).
1 .5. La série pronominale ( § § 1 5- 17).
1 .6. Flexion sui generis des pronoms primaires ( § § 1 8-25 ) .
1 .7 . Flexion régulière d e ekeînos e t autos (§§ 26-27 ) .
2. EMPLOIS PRONOMINAUX D E L'ARTICLE (§§ 28-39)
2 . 1 . Transposition de l ' article en pronom ( § § 28 33 )
- .
LIVRE III
1. LES CAUSES DE L ' INCONGRUENCE (§§ 1-53)
1 . 1 . Introduction ( § § 1 -7).
1 . 1 . 1 . Le sujet à traiter (§ 1 ).
1 . 1 . 2. Exemples introductifs : flexibilité personnelle de certains
pronoms de 3e personne (§§ 2-5).
1 . 1 .3 . Méthode : J ' accumulation d' exemples non raisonnés ne prouve
rien ( § § 6-7) .
1.2. Théorie d u solécisme, assemblage d e mots incongruents ( § § 8-26).
1 .2. 1 . Une erreur de déixis n ' entraîne pas de solécisme ( § § 8 - 1 0) .
1 .2 . 2. L e cas d u composé hendék.atos ' onzième' ( § § 1 1 - 1 2).
1 . 2 . 3 . Principale cause d ' incongruence : J ' usage inconséquent des
formes fléchies ( § § 1 3- 1 6).
1 . 2.4. Les mots non fléchis et la congruence ( § § 1 7 -2 1 ) .
1 . 2. 4. 1 . Les mors non fléchis sont e n principe indifférents à l a congruence
(§§ 1 7- 1 8).
92 DE LA CONSTRUcnON
LIVRE IV
ADVERBES DE LIEU
([Adverbes] p. 20 1 - 2 1 0 Schneider)