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La crise de la Communauté d’Afrique

Centrale (CEMAC) s’amplifie


By La redaction de Mondafrique 22 mars 2022

Depuis janvier 2022, les médias de l’espace de la Communauté


Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), évoquent
régulièrement les dysfonctionnements (abus de pouvoir et de biens
sociaux, favoritisme, recrutements discriminatoires, etc.) des
institutions sous-régionales.

Une chronique Djimadoum Mandekor


Relayées par les réseaux sociaux, ces informations portent rarement sur la
réalisation des objectifs pour lesquelles ces entités ont été créées. Cet état de fait
est imputable notamment à l’opacité[1] dont elles s’entourent ainsi qu’à la nature
relativement peu intelligible des activités de certaines d’entre elles par le grand
public et par des journalistes souvent peu spécialisés. Toutefois, cet intérêt ponctuel
de la presse et des réseaux sociaux prouve l’existence d’une demande pour les
informations économiques et l’évaluation de la rentabilité de ces institutions dont
certaines s’avèrent être comme des éléphants blancs.
Ce regain d’attention, variable selon le degré de convoitise suscité par chaque
organisme, coïncide actuellement avec l’entrée dans la période de renouvellement
des postes des dirigeants desdites structures. Il y a cependant lieu de relever ici le
silence des responsables politiques, tant des partis au pouvoir dans les pays
membres, que des partis d’opposition, des associations de la société civile ainsi que
des universitaires et analystes extérieurs. Ce mutisme est peut-être imputable à la
complaisance et à la gêne des premiers ou à la faible connaissance des autres sur
les questions traitant des institutions sous-régionales.

Avant le mouvement de chaises musicales, impatiemment attendu par les chasseurs


de postes lucratifs, et ce après douze ans d’application des réformes
institutionnelles adoptées par les Chefs d’Etat de la CEMAC le 17 janvier 2010, un
bilan attentif s’avère pourtant nécessaire si l’on veut véritablement permettre aux
18 institutions communautaires, dont les principales : Commission de la CEMAC,
Cour de Justice, Cour des Comptes, BEAC, BDEAC, COBAC, COSUMAF, censées
œuvrer pour le développement économique et social des populations des six pays
membres (Cameroun, RCA, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale, Tchad), de
bénéficier des meilleures compétences, avec probité. L’aspect genre devra être
intégré, loin du folklore organisé chaque 8 mars dans les Etats et les institutions lors
de la journée internationale de la femme.

L’Acte additionnel n°16 du 17 janvier 2010 qui établit la règle de la rotation des
postes par ordre alphabétique, prescrit également le respect du critère de la bonne
gouvernance dans la gestion des institutions concernées. Pour confirmer cette
volonté des Chefs d’Etat de la CEMAC, il avait été aussi été décidé à la même date,
entre autres, « d’’instituer un audit annuel de l’ensemble des institutions, organes et
institutions spécialisées de la CEMAC sous la supervision du Président dédié aux
réformes institutionnelles ». Ce document assez laconique, a été complété
seulement en juillet 2012 sur le point des durées des mandats et leur caractère non
renouvelable. Mais les modalités pratiques de son application ne semblent pas avoir
été élaborées jusqu’à présent, dont les critères de nomination des dirigeants,
élément essentiel pour assurer la bonne conduite et l’efficacité des institutions
visées, laissé à l’appréciation de chaque institution.

S’agissant de la rotation des postes, l’interprétation de ses clauses a permis à un


membre de la Commission de la CEMAC, organe chargé du bon respect des règles
communautaires, d’être nommé, lors du renouvellement des postes cinq ans plus
tard, à un portefeuille différent de celui occupé précédemment. Cette brèche
ouverte sur une disposition édictée juste peu avant, sans doute constitutive d’une
entorse aux règles de mandat unique et de non cumul dans le temps des postes par
un ressortissant d’un pays membre, a sans doute facilité la nomination de certains
responsables dans d’autres institutions, à la fin ou non de leur mandat respectif, ou
à leur promotion au sein de la même entité. Il apparait aussi le cas unique d’une
personnalité qui s’est d’ores et déjà adjugée trois postes d’affilé.
Actuellement, certains responsables communautaires sont sur les starting-blocks
pour rebondir, sans transition, vers d’autres structures, y compris vers des
institutions installées dans leur pays origine, à l’encontre du consensus non écrit,
qui prévaut toujours, sur l’exclusion de la rotation des ressortissants des pays hôtes
du cycle des rotations. Cette soif de poste s’exprime sans scrupule, en l’absence
d’un bilan probant de leur gestion antérieure comprenant parfois des dérapages
dénoncés, en dehors d’une procédure de recrutement où leurs performances
individuelles sont évaluées concomitamment et similairement que d’autres
candidats sélectionnés de manière objective. Aucun d’entre eux n’a encore affiché
son ambition de rejoindre un organisme continental ou international, malgré des
compétences apparemment exceptionnelles à faire valoir sous d’autres cieux que
celui de la CEMAC, en partie par préférence pour des gains captables plus facilement
dans un milieu moins régulé.  Au contraire, en fin de mandat, ils partent assez
souvent exercer leurs « talents » dans leur Etat d’origine, leurs comptes bancaires
biens chargés des indemnités de départ exorbitants eu égard à leurs performances
réelles. De surcroît, quelques-uns réussissent à obtenir de leur institution, en gré à
gré et en catimini, des contrats de consultant mirobolants incluant parfois des
avantages indus et incompatibles au regard de leur statut juridique (prise en charge
de frais médicaux, etc.).

Dans les textes, il n’existe formellement un comité de sélection des postes de


premiers responsables qu’à la Banque de Développement des Etats de l’Afrique
Centrale (BDEAC), même si ses procédures ne semblent pas connues ou appliquées.
A la Commission Bancaire de l’Afrique Centrale (COBAC), institution à caractère
éminemment technique, qui impose des critères stricts pour la désignation des
dirigeants des banques et de leurs commissaires aux comptes, il est constaté
l’absence totale d’une énonciation dans un texte de portée générale (seule mention
connue uniquement dans le règlement portant organisation des sessions de ladite
Commission) du rôle du Secrétariat Général de la COBAC ainsi que des critères de
choix de ses responsables. Les candidatures sont donc, pour la plupart, directement
proposées aux comités ministériels de contrôles desdites institutions par des
postulants adoubés par des hautes personnalités politiques du régime au pouvoir.
Cette politisation des fonctions, en violation flagrante des dispositions des textes
réglementaires de la CEMAC et de ses institutions (Traité, conventions, statuts, code
de déontologie, etc.), a aussi pratiquement gagné celles de niveau inférieur
(Directeurs, adjoints au Directeur, etc.), créant de la sorte un climat de
positionnement permanent parmi les cadres dont l’évolution de carrière n’est plus
déterminée par leurs réalisations professionnelles.

Cette situation désolante, qui ne peut qu’impacter négativement l’efficacité des


institutions affectées, provient de l’inertie des organes de contrôle qui ne jouent
toujours pas leur rôle, oubliant que ce sont les dérives révélées par voie de presse
qui ont mené aux mesures préconisées en 2010. En notant que la question de la
rotation des postes dirigeants n’est qu’un aspect de la gouvernance globale des
institutions, il est évident que la préoccupation affirmée par les Chefs d’Etat dans
l’acte susmentionné, de soumettre la rotation à l’application de la bonne
gouvernance, semble être passée inaperçue.
Après plusieurs années d’expérience, la traduction de ce besoin d’audit dans
des dispositions adéquates, et surtout son opérationnalisation, favoriseraient
désormais la gestion vertueuse de toutes les institutions de la CEMAC. Cette
occasion pourrait être saisie pour instaurer l’audition préalable des premiers
responsables des principaux organes de la CEMAC, en l’occurrence le
Président de la Commission, le Gouverneur de la BEAC et le Président de la
BDEAC, par le Parlement de la CEMAC, et réclamer le dépôt préalable d’une
déclaration de patrimoine auprès de la Cour des Comptes, déclaration à
actualiser à la fin du mandat. A cet égard, il faut signaler que la CEMAC qui a
édicté récemment le Code de bonne gouvernance et de transparence
budgétaire imposant aux responsables des institutions nationales une telle
déclaration, ne pousse pas les Etats à l’appliquer, de peur peut-être qu’il ne
lui soit demandé de commencer par ses propres dirigeants.

La mise en œuvre immédiate, enfin, de la décision des Chefs d’Etat,


contenue dans le communiqué final de leur sommet de Bangui le 17 janvier
2010, d’auditer chaque année les institutions de la Communauté, sonnera
l’heure de la fin de l’impunité des dirigeants coupables d’indélicatesses avec
les ressources et les biens publics. Au minimum, l’audit doit être requis en fin
de mandat. Le silence entretenu jusqu’à aujourd’hui est certainement
interprété comme une tolérance de la gabegie, selon « l’adage qui ne dit mot
consent ». A date, seul un ancien Directeur central de la BEAC a été
momentanément emprisonné à Libreville en 2013 dans le cadre du
détournement commis en 2009 à la représentation parisienne de l’Institut
d’émission.

Au regard de l’importance des budgets qui leurs sont alloués, dans un contexte
global d’insuffisance des ressources financières, et des moyens humains nécessaires
au développement des pays de la CEMAC, les opérations et les performances de
toutes les entités sous-régionales devraient être mieux scrutées pour permettre
d’évaluer leur pertinence et d’identifier les ajustements à opérer pour améliorer leur
efficacité dans le futur. Pour ce faire, les organes compétents de la CEMAC devraient
rapidement, entre autres, déterminer les conditions d’accès à tous les postes de
responsabilité des institutions sous-régionales et se prononcer sur le caractère de
l’unicité du mandat retenu en janvier 2010. Ici, tous les Etats devraient appliquer à
l’ensemble de leurs ressortissants l’exigence d’équité posée entre eux et ne pas
réserver ces fonctions sur la seule base « géopolitique » nationale, à l’instar de la
BEAC où une procédure ouverte à tous les candidats internes, remplissant les
critères définis, existe depuis 2019 pour les Directeurs centraux. Au-delà, il est
urgent de définir ou de réaffirmer les principes et les modalités générales de la
gouvernance des institutions et les moyens de les faire respecter. Il en est ainsi du
principe de la collégialité, avec particulièrement son exigence du consensus,
primordial pour le fonctionnement harmonieux des entités sous-régionales.
Assurément les dysfonctionnements des institutions, dont certains trouvent
leur cause directe dans les modalités du choix de leurs premiers
responsables, expliquent en partie que, malgré des déclarations volontaristes
et d’autosatisfaction, les pays de la CEMAC continuent à figurer aux derniers
rangs de la plupart des classements mondiaux alors que, notamment, cinq
d’entre eux sont producteurs de pétrole. Ainsi, d’après le Fonds Monétaire
International (FMI)[2][3], entre la période 2010-2017 et l’année 2020, la
croissance moyenne du PIB est devenue négative, passant de +2,8% à -2,5
%, contre respectivement 5,5 % et 1,8 % dans l’UEMOA ; le ratio masse
monétaire sur PIB, indice de la liquidité d’une économie, a évolué de 20,5 %
à 26,2 %, en-dessous des chiffres de 22,1 % et 29,1 % dans la zone ouest-
africaine ; et les réserves en devises, en mois d’importations de biens et
services, a diminué de 4,5 mois à 3,1 mois au lieu d’une progression de 5
mois à 5,8 mois pour l’UEMOA. En outre, le commerce intra régional ne
dépasse pas 4 % dans la CEMAC tandis qu’il est d’environ 13% dans
l’UEMOA. Enfin, l’indice de développement humain, calculé par les Nations
Unies, est en 2019 en moyenne de 0,432 contre 0,547 pour l’ensemble de
l’Afrique subsaharienne, 0,716 en Afrique du Nord, 0,641 en Asie du Sud et
0,747 en Asie de l’Est et du Pacifique. Ces piètres performances sont à
mettre en regard du classement mondial peu élogieux des pays de la CEMAC
en matière de corruption.

Ces mauvais résultats globaux, malgré des salaires aspirés vers le haut par celui
des dirigeants de la BEAC qui excédent par exemple ceux du Directeur Général du
FMI, du Gouverneur de la Banque de France et de leurs homologues de l’UEMOA,
prouvent à suffisance l’échec patent des institutions de la CEMAC à atteindre les
objectifs à eux assignés. Un sursaut d’orgueil, de la part des gouvernements de la
sous-région champions de la démocratisation du Conseil de Sécurité de l’ONU, de la
Banque Mondiale, du FMI, etc., est impérieux afin de s’attaquer résolument à cette
gangrène. A défaut, une frange importante de la population de la sous-région
continuera à s’enfoncer un peu plus dans la misère, facteur générateur de
frustrations et de troubles pouvant déboucher sur des révoltes extrémistes.
N’attendons surtout pas que, comme en 2009-2010, après les scandales
éclaboussant la BEAC, l’impulsion du redressement des institutions sous-régionales
soit donnée par le FMI qui inscrit de plus en plus les problèmes de bonne
gouvernance, y compris de la corruption, dans son agenda de coopération avec les
pays qui recourent à ses ressources.

[1] L’opacité est un signe d’absence de transparence, un des caractères de la bonne


gouvernance dans les institutions. Ceci se reflète dans la mauvaise qualité de la
quasi majorité des sites internet des institutions de la CEMAC : données obsolètes,
manque d’informations sur les textes fondateurs (règlement intérieur, compte-
rendu des réunions des CA, etc.), etc.

 [3][3] FMI, perspectives économiques régionales, octobre 2021

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