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Proceedings Chapter

Les cryptomonnaies et le paiement en droit suisse

THÉVENOZ, Luc, BACHARACH, Jeremy, HIRSCH, Célian

Abstract

Bitcoin, ethereum, dai, tether, USD coin, demain peut-être diem… La liste des
cryptomonnaies ne cesse de s’allonger. Pour les consommateurs et la plupart des
entreprises, leur utilisation est marginale. Même si l'on peut acheter ou vendre les
cryptomonnaies les plus répandues dans certains distributeurs et qu'un nombre croissant de
banques offrent de conserver les cryptoactifs de leurs clients, les paiements en
cryptomonnaies n’appartiennent pas (encore ?) à la réalité quotidienne des consommateurs
et des entreprises suisses. Ils n’en existent cependant pas moins et soulèvent des questions
juridiques intéressantes que nous allons examiner en quatre parties. Nous commencerons
par expliquer la notion de cryptomonnaies et la distinguerons d’autres concepts voisins. Nous
qualifierons ensuite ces états de fait au regard des principales règles du droit suisse
applicables à la monnaie et aux dettes d’argent. Nous répondrons ensuite aux trois questions
centrales de cette contribution : Peut-on régler en cryptomonnaie une dette libellée en francs
suisses ? Qu’est-ce qu’une dette libellée en [...]

Reference
THÉVENOZ, Luc, BACHARACH, Jeremy, HIRSCH, Célian. Les cryptomonnaies et le paiement
en droit suisse. In: Pichonnaz, Pascal ; Werro, Franz. La place du consommateur au
quotidien - La pratique contractuelle 7 : Symposium en droit des contrats. Genève :
Schulthess éditions romandes, 2022. p. p. 77-125

Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:160948

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LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH*

Les cryptomonnaies et le paiement en droit suisse

Introduction....................................................................................................................... 78
I. Que sont les cryptomonnaies ? ............................................................................. 79
A. Introduction ..................................................................................................... 79
B. Contexte : les cryptoactifs............................................................................... 79
C. Cryptomonnaies pures : bitcoin, ether, etc...................................................... 82
D. Stablecoins ...................................................................................................... 82
E. Monnaie numérique de banque centrale (MNBC) .......................................... 85
II. Qualification juridique des cryptomonnaies ......................................................... 88
A. Unité monétaire : monnaie officielle et monnaie privée................................. 89
B. Moyens de paiement légaux et moyens de paiement privés ........................... 89
C. Cryptomonnaie et monnaie électronique ........................................................ 92
D. Propriété et choses mobilières ........................................................................ 93
E. Papiers-valeurs et droits-valeurs ..................................................................... 94
III. Paiement en cryptomonnaie d’une dette libellée en francs................................... 96
A. Dette libellée en francs.................................................................................... 96
B. Paiement dû en Suisse..................................................................................... 97
1. Situation entièrement domestique .......................................................... 97
2. Situation internationale .......................................................................... 98
C. Paiement dû à l’étranger ................................................................................. 99
D. Paiement en cryptomonnaie ............................................................................ 99
IV. Paiement d’une dette libellée en cryptomonnaie ................................................ 101
A. Objet de la dette ............................................................................................ 103
1. Dette libellée en cryptomonnaie pure .................................................. 103
2. Dette libellée en stablecoin .................................................................. 103

*
Luc Thévenoz est professeur à la Faculté de droit de l’Université de Genève et directeur du Centre de
droit bancaire et financier. Il est aussi avocat et pratique comme Of Counsel dans l’étude Schellenberg
Wittmer. Jeremy Bacharach est Visiting Researcher à la Harvard Law School, doctorant à la Faculté
de droit de l’Université de Genève et titulaire du brevet d’avocat. Célian Hirsch est avocat ainsi que
doctorant au Centre de droit bancaire et financier de l’Université de Genève.

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LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

3. Dette libellée en monnaie numérique de banque centrale ................... 104


4. Synthèse ............................................................................................... 105
B. Paiement d’une dette de cryptomonnaie ....................................................... 106
C. Moment du paiement .................................................................................... 109
D. Demeure du débiteur ..................................................................................... 110
1. Pas d’intérêt moratoire selon l’art. 104 CO ......................................... 111
2. Indemnisation du dommage de retard .................................................. 112
3. Transformation de la dette de cryptomonnaie en une somme
d’argent ................................................................................................ 113
E. Action en paiement et exécution forcée d’une dette en cryptomonnaie ....... 114
1. For ........................................................................................................ 114
2. Conclusions et exécution forcée .......................................................... 115
Conclusion ...................................................................................................................... 117
Bibliographie relative à la monnaie et aux cryptomonnaies ........................................... 119
Autres ouvrages cités ...................................................................................................... 124

Introduction

Bitcoin, ethereum, dai, tether, USD coin, demain peut-être diem… La liste des
cryptomonnaies ne cesse de s’allonger. Elle compte aujourd’hui plusieurs milliers de
noms, dont la plupart ne sont connus que d’un tout petit cercle d’utilisateurs. Pour les
consommateurs et la plupart des entreprises, leur utilisation est marginale. On peut
cependant acheter ou vendre les cryptomonnaies les plus répandues dans 119 distributeurs
répartis dans les principales villes de Suisse1 ainsi qu’à tous les distributeurs de billets
CFF2. Un nombre croissant de banques offrent de conserver les cryptoactifs de leurs
clients.
Si les paiements en cryptomonnaies n’appartiennent pas (encore ?) à la réalité quotidienne
des consommateurs et des entreprises suisses, ils n’en existent pas moins et soulèvent des
questions juridiques intéressantes que nous allons examiner en quatre parties. Nous
commencerons par expliquer la notion de cryptomonnaies et la distinguerons d’autres
concepts voisins (I). Nous qualifierons ensuite ces états de fait au regard des principales
règles du droit suisse applicables à la monnaie et aux dettes d’argent (II). Nous répondrons
ensuite aux trois questions centrales de cette contribution. Peut-on régler en

1
Voir https://coinatmradar.com/country/206/bitcoin-atm-switzerland/. Tous les hyperliens ont été
vérifiés le 20 septembre 2021.
2
https://www.sbb.ch/fr/gare-services/a-la-gare/services-aux-distributeurs-de-billets/bitcoin.html.

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Les cryptomonnaies et le paiement

cryptomonnaie une dette libellée en francs suisses (III) ? Qu’est-ce qu’une dette libellée
en cryptomonnaie et comment peut-elle être acquittée (IV) ? Ces analyses seront suivies
d’une brève conclusion.

I. Que sont les cryptomonnaies ?

A. Introduction

Le terme « cryptomonnaie », bien que couramment utilisé, n’a pas de définition univoque
et est utilisé de façons diverses et dans des contextes variés. Étymologiquement, le mot est
constitué du préfixe « crypto », qui se rapporte aux procédés cryptographiques permettant
de sécuriser l’information, et du suffixe « monnaie » : les cryptomonnaies constitueraient
donc des monnaies sécurisées par des procédés cryptographiques3 ? Bien que cette analyse
nous donne déjà quelques précieuses indications, il est encore nécessaire de préciser ce
dont il est question.
Dans cet article, nous utiliserons donc une définition faisant appel à une catégorie d’actifs
plus large : les cryptoactifs, qui vient de trouver sa consécration législative en Suisse et
dont il est question dans la section suivante. Nous définirons donc les cryptomonnaies
comme tous les cryptoactifs créés notamment pour servir de moyen de paiement.
Une présentation exhaustive des différents types de cryptomonnaies et de leurs
caractéristiques techniques et économiques dépasse le cadre de la présente contribution.
Nous procéderons donc en examinant de plus près les cryptoactifs en général (B), puis
trois sous-catégories de cryptomonnaies en particulier : les cryptomonnaies pures (C), les
stablecoins (D) et les monnaies numériques de banque centrale (E). Ces trois catégories
englobent la quasi-totalité des actifs qu’il est possible de nommer « cryptomonnaies », du
moins au sens de la définition que nous en avons donnée.

B. Contexte : les cryptoactifs

Les cryptomonnaies constituent une sous-catégorie d’un groupe d’actifs plus large, les
cryptoactifs, à savoir tous les actifs fondés sur la technologie des registres électroniques
distribués (TRD, en anglais : distributed ledger technology)4.

3
Cette première définition est d’ailleurs à peu de choses près celle donnée par le dictionnaire Larousse
dans son édition 2020.
4
CONSEIL FEDERAL 2019a, p. 281.

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LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

On entend par registres électroniques distribués les registres informatiques conservés et


actualisés de façon décentralisée et dont les écritures sont en principe irréversibles. Les
registres distribués ont généralement pour fonction d’enregistrer des transactions entre les
participants au système. Ces transactions sont libellées dans une unité de compte propre
au système, dont chaque unité est désignée par le terme « jeton ». La TRD est souvent
désignée par les termes « blockchain »5,6 ou « blockchain technology ». Bien qu’il existe
de fines nuances entre les deux notions7, ils sont en pratique et le plus souvent utilisés de
manière parfaitement interchangeable. Les cryptoactifs sont « fondés » sur la TRD dans la
mesure où ils sont enregistrés dans un registre de ce type et peuvent faire l’objet d’un
transfert par le biais d’une écriture dans le registre distribué.

Les cryptoactifs sont généralement détenus par leurs utilisateurs dans des portefeuilles
(ou wallets) auxquels sont associées une adresse et une clé privée. Les adresses sont
équivalentes à des numéros de compte bancaire : toute personne souhaitant transférer des
cryptoactifs vers un portefeuille en question doit en spécifier l’adresse. Il s’agit
généralement d’une suite de chiffres et de lettres. Chaque portefeuille est assorti d’une clé
privée, une sorte de mot de passe donnant accès au portefeuille et permettant de disposer
de son contenu. Les portefeuilles n’ont pas d’existence physique : par conséquent, le terme
« portefeuille » désigne simplement une certaine quantité de cryptoactifs associée à une
adresse et une clé privée.
Si les caractéristiques que nous venons de décrire sont partagées par la quasi-totalité des
cryptomonnaies, celles-ci diffèrent grandement les unes des autres en ce qui concerne leurs
autres paramètres, tels que la quantité totale de jetons, les modalités de leur transfert, la
rapidité des transactions, leur système comptable, etc.
Les cryptoactifs peuvent avoir des fonctions économiques variées. Certains cryptoactifs
ont pour fonction de servir de moyen de paiement8 : ce sont ceux-ci que l’on appelle
cryptomonnaies et sur lesquels nous nous concentrerons dans la présente contribution. Les
cryptoactifs peuvent cependant avoir d’autres fonctions économiques9. Ils peuvent
« donner accès à un usage ou à un service numériques » s’appuyant sur « l’utilisation d’une
infrastructure de type blockchain » : on parle alors de jetons d’utilité10. Ils peuvent enfin
avoir pour fonction de représenter des valeurs patrimoniales – ou des droits relatifs à des

5
Littéralement : « chaîne de blocs ».
6
Ce terme ne sera pas italicisé dans le présent article car il est considéré comme un mot français par les
éditeurs du Robert de la langue française.
7
D’un point de vue technique, la blockchain est une manière de structurer l’information de telle sorte à
ce qu’il soit difficile – voire quasi-impossible – de la modifier sans laisser de traces. Un registre
informatique peut être distribué sans que l’information qui y est stockée ne soit structurée sous la forme
d’une blockchain. A l’inverse, une blockchain peut stocker de l’information sans que son contrôle ne
soit distribué entre plusieurs acteurs.
8
Dans les publications des autorités suisses, ceux-ci sont le plus souvent désignés par le terme « jetons
de paiement ». Voir FINMA 2018, p. 3 ; FINMA 2019, in toto.
9
FINMA 2018, p. 3.
10
FINMA 2018, p. 3.

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Les cryptomonnaies et le paiement

valeurs patrimoniales –, ce qui est la caractéristique des jetons d’investissements, lesquels


peuvent représenter des actions, des obligations, des matières premières, etc.11. Un même
jeton peut avoir deux fonctions économiques : à titre d’exemple, un jeton représentant une
certaine quantité de monnaie constitue à la fois une cryptomonnaie et un jeton
d’investissement12.
La notion de cryptoactifs (kryptobasierte Vermögenswerte, beni crittografici) est
désormais une catégorie juridique consacrée par la loi13. Le Parlement a en effet adopté
le 25 septembre 2020 la loi fédérale sur l’adaptation du droit fédéral aux développements
de la technologie des registres électroniques distribués (loi TRD), entrée en vigueur en
deux étapes, le 1er février 202114 et le 1er août 202115. La loi TRD a modifié un certain
nombre de lois fédérales dans le but de renforcer la sécurité juridique des activités liées à
la blockchain et aux cryptoactifs16. Elle introduit la notion de cryptoactifs dans deux lois
de première importance. À l’art. 16 de la loi sur les banques17, un nouveau chiffre 1bis
énonce les conditions auxquelles des cryptoactifs sont des « valeurs déposées » qui, en cas
de faillite de la banque, doivent être distraites de sa masse en faillite selon l’art. 37d LB.
Le nouvel art. 242a LP précise les conditions auxquelles des cryptoactifs peuvent être
revendiqués dans la faillite d’une autre personne18. Ces deux dispositions sont entrées en
vigueur le 1er août 202119.
Contrairement notamment au droit allemand20, ces deux dispositions utilisent la notion de
cryptoactifs sans la définir. On trouve l’indication suivante dans le message du Conseil
fédéral : les cryptoactifs seraient « tous les biens dont on ne peut accorder le pouvoir de
disposer que par un processus cryptographique »21. Le processus cryptographique auquel
le message se réfère est selon toute vraisemblance celui sur lequel repose la technologie
des registres distribués. La sécurité du droit aurait mérité une définition dans la loi ou à
tout le moins dans une ordonnance.

11
CONSEIL FÉDÉRAL 2019a, p. 232 ss ; FINMA 2018, p. 3 ; FINMA 2019, p. 4.
12
FINMA 2018, p. 3 ; FINMA 2019, p. 3 s.
13
On trouvera dans KUHN 2021a, passim, une excellente taxonomie des notions juridiques employées
dans la loi TRD et dans la littérature relative à la technologie des registres distribués.
14
RO 2021 33.
15
RO 2021 33 cum 399 et RO 2021 400.
16
CONSEIL FEDERAL 2019a, p. 230.
17
Loi fédérale sur les banques et les caisses d’épargne (LB, RS 952.0).
18
Cf. BACHARACH 2020.
19
Ch. II de l’ordonnance sur l’adaptation du droit fédéral aux développements de la technologie des
registres électroniques distribués du 18 juin 2021 (RO 2021 400).
20
Cf. § 1(11) ch. 10 de la Gesetz über das Kreditwesen (KWG).
21
Le message (FF 2020 281) ajoute : « Cela inclut entre autres les jetons de paiement et les droits-valeurs
inscrits qui font l’objet du présent projet. La norme n’englobe pas d’autres biens immatériels ou
numériques, par ex. des créances (purement obligationnelles) ou des fichiers de données et des
informations appréciables en argent. »

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LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

C. Cryptomonnaies pures : bitcoin, ether, etc.

Nous entendons par cryptomonnaies pures les cryptomonnaies qui ne sont adossées à
aucun autre actif et n’ont de ce fait aucune valeur intrinsèque : elles consistent
exclusivement en des actifs virtuels enregistrés sur la blockchain, et n’ont pas de lien avec
d’autres actifs (tels qu’une monnaie officielle, un actif financier ou un métal précieux)22.
Le bitcoin et l’ethereum, les deux plus importants cryptoactifs à la date d’écriture de ces
lignes, en sont les exemples les plus connus. Dans les deux cas, la valeur de chacun des
jetons propres à ces protocoles – les bitcoins et les ethers, respectivement – ne dépend que
de l’offre et de la demande relatives à ces actifs virtuels. Il découle de ce qui précède que
la valeur des cryptomonnaies est extrêmement volatile. À titre d’illustration, le cours du
bitcoin face au dollar a fluctué entre un peu plus de USD 19'000 et un peu moins de
USD 3'200 entre janvier et décembre 2018, avant de dépasser les USD 60'000 en avril
2021, puis de redescendre à moins de USD 30’000 en juillet de la même année23.

D. Stablecoins

La volatilité des cryptomonnaies pure est généralement perçue comme un obstacle à leur
adoption comme moyens de paiement reconnus et largement utilisés. Par conséquent, de
nombreux acteurs ont entrepris de travailler à la création d’une cryptomonnaie dont la
valeur serait stable, ce qui permettrait de profiter du caractère décentralisé des
cryptomonnaies sans avoir à pâtir de leur volatilité. Les cryptoactifs émis dans ce but sont
désignés par le terme « stablecoins »24.
La stabilité des stablecoins peut être assurée par plusieurs types de mécanismes. Le plus
notable d’entre eux consiste à adosser les cryptoactifs émis à d’autres actifs, tels que des
matières premières, des produits financiers, ou une monnaie officielle25. En pratique, cet
adossement consiste le plus souvent à octroyer à tout détenteur d’un jeton un droit de

22
Cette catégorie correspond à ce que l’EUROPEAN BANKING AUTHORITY et la FINANCIAL CONDUCT
AUTHORITY nomment les « exchange tokens » : voir EUROPEAN BANKING AUTHORITY 2019, p. 7 ;
FINANCIAL CONDUCT AUTHORITY 2019, p. 9. Dans son Guide ICO de 2018, cette catégorie
correspondait à celle de « jeton de paiement » (FINMA 2018, p. 3) ; néanmoins la catégorie de « jeton
de paiement » au sens où l’entend la FINMA inclut désormais des jetons adossés à des actifs financiers
« réels » (voir FINMA 2019, in toto).
23
Données recueillies sur CoinMarketCap.com. Le cours de la paire BTC/USD est plus fiable que celui
de la paire BTC/CHF.
24
Concernant les stablecoins, voir BULLMANN/KLEMM/PINNA 2019, in toto ; FINANCIAL CONDUCT
AUTHORITY 2019, p. 18 et 38 ; FINMA 2019, in toto ; G7 WORKING GROUP ON STABLECOINS 2019,
in toto. Les autres méthodes de stabilisation consistent en l’utilisation d’algorithmes tentant de
répliquer (sous certains aspects) les opérations des banques centrales : voir BULLMANN/KLEMM/PINN
2019, p. 20 ss.
25
BULLMANN/KLEMM/PINNA 2019, p. 9 ss ; FINANCIAL CONDUCT AUTHORITY 2019, p. 18 et 38 ;
FINMA 2019, p. 1 ; G7 WORKING GROUP ON STABLECOINS 2019, p. 1 et 3.

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Les cryptomonnaies et le paiement

créance vis-à-vis de l’émetteur, c’est-à-dire le droit d’échanger le jeton contre une certaine
quantité de l’actif sous-jacent26.
À titre d’exemple:

- Le tether. Chaque tether est – en théorie du moins27 – adossé à un dollar américain ;


cela signifie que les détenteurs de tethers peuvent à tout moment les échanger contre
une somme (en dollars) équivalente au nombre de tethers qu’ils détiennent28. Ce
mécanisme permet de garantir au tether une relative stabilité par rapport au dollar, le
cours d’un tether oscillant généralement entre USD 0.98 et USD 1.0229. Par
conséquent, et d’un point de vue économique, un paiement en tethers est identique –
du moins extrêmement similaire – à un paiement en dollars. En date du 12 septembre
2021, plus de 68 milliards de tethers étaient en circulation30. Notons enfin que le tether
n’est pas le seul stablecoin fondé sur le dollar américain : l’USD Coin est un autre
exemple notable, émis à hauteur de 29 milliards de dollars31.
- Avant son abandon en mai 202132, le projet de monnaie numérique diem
(précédemment libra), lancé par Facebook en Suisse, était conçu sous la forme d’un
écosystème composé de plusieurs stablecoins33. Aux côtés d’une cryptomonnaie à
ambition transnationale, le Libra Coin, Facebook envisageait la création de plusieurs
cryptomonnaies, chacune adossée à une monnaie officielle, telle que la LibraUSD, le
LibraEUR ou encore la LibraGBP. Certains acteurs de l’écosystème Libra auraient eu

26
BULLMANN/KLEMM/PINNA 2019, p. 10 ; FINMA 2019, in toto.
27
Beaucoup s’interrogent sur la réalité des assertions de tether, qui affirme disposer d’une réserve en
dollars couvrant intégralement la somme de tethers émis : voir l’enquête de BITFINEX’ED, « Bitfinex
never ‘repaid’ their tokens, Bitfinex started a ponzi scheme », 29.10.2017,
https://medium.com/@bitfinexed/bitfinex-never-repaid-their-tokens-bitfinex-started-a-ponzi-scheme-
86a9291add29, reprise notamment par le New York Times, « Warning Signs About Another Giant
Bitcoin Exchange », 21.11.2017, https://www.nytimes.com/2017/11/21/technology/bitcoin-bitfinex-
tether.html.
28
Tether, Legal – Terms of Service, 12.05.2020, https://tether.to/legal/.
29
Voir https://CoinMarketCap.com/currencies/tether/.
30
Ibid.
31
https://www.circle.com/en/usdc.
32
FINMA, Diem retire sa demande d’autorisation en Suisse, Communiqué de presse du 12.05.2021,
https://www.finma.ch/fr/news/2021/05/20210512-mm-diem/
33
Dans une première version dévoilée en juin 2019, Facebook envisageait de lancer un stablecoin unique,
censé être utilisé par tous, indépendamment de son pays de domicile (ASSOCIATION LIBRA, « An
Introduction to Libra : White Paper », non daté, https://libra.org/en-US/wp-
content/uploads/sites/23/2019/06/LibraWhitePaper_en_US.pdf). Face aux difficultés politiques et
réglementaires rencontrées par ce premier projet, Facebook introduisit en avril 2020 une seconde
version, fonctionnant, elle, sur la base d’une gamme de plusieurs stablecoins (ASSOCIATION LIBRA,
Livre blanc v2.0, 2020, https://libra.org/fr-FR/white-paper/#cover-letter). Il est par ailleurs intéressant
de noter qu’au cours de sa phase de développement, et avant son échec, le projet Diem avait fait l’objet
d’un nombre non négligeable de recherches et de publications académiques : voir notamment ARNER,
BUCKLEY/ZETSCHE/DIDENKO 2020 ; MÜLLER/LAGO 2020 ; ZELLWEGER-KUTKNECHT/NIEPEL 2019 ;
ZETSCHE/BUCKLEY/ARNER 2019.

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LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

le droit d’échanger leurs Libras adossées à des monnaies officielles contre une
quantité correspondante de monnaie officielle sous-jacente. Économiquement, la
stabilité des Libras aurait donc été maintenue de la même manière que celle du
tether34.
- D’aucuns voient avec scepticisme l’existence de stablecoins fondés sur la gestion
centralisée d’une réserve d’actifs, arguant qu’un tel modèle entrerait en contradiction
avec le but premier des cryptoactifs, à savoir la décentralisation des transactions
financières. C’est sur la base de cette réflexion que se sont développés certains
stablecoins gérés de manière décentralisée sur la base d’un smart contract
fonctionnant – en grande partie – de manière autonome (algorithmique)35. L’exemple
le plus notable à la date d’écriture de ces lignes est le dai. Un dai est censé
correspondre, à tout instant, à USD 1. Chaque unité de dai est émise par le smart
contract y relatif en contrepartie du dépôt, par un utilisateur, d’une certaine quantité
de cryptoactifs36. Le smart contract déploie en outre plusieurs stratégies – que nous
ne présenterons pas en détails ici – afin de garantir l’équivalence entre le dai et le
dollar37.
Comme le relève JORDAN, la stabilité effective d’un stablecoin et donc son aptitude à être
utilisé comme une monnaie dépend du contenu et de la crédibilité de la promesse qui est
faite par son émetteur38.

34
ASSOCIATION LIBRA, Livre blanc v2.0, 2020, https://libra.org/fr-FR/white-paper/#cover-letter.
35
Ces opérations se veulent similaires, sous certains aspects, aux opérations open market des banques
centrales.
36
Le « taux de change » applicable est déterminé par le smart contract et il est variable. La valeur en
dollars des cryptoactifs déposés excède généralement la valeur des dai émis (overcollateralization ;
HARVEY/RAMACHANDRAN/SANTORO 2021, p. 72 ss ; SCHÄR 2021, p. 164).
37
Voir HARVEY/RAMACHANDRAN/SANTORO 2021, p. 69 ss ; SCHÄR 2021, passim.
38
JORDAN 2019, p. 4.

84
Les cryptomonnaies et le paiement

E. Monnaie numérique de banque centrale (MNBC)

Le rôle des banques centrales dans la création monétaire et la gestion du trafic des
paiements consiste principalement à :
- émettre de la monnaie sous la forme (i) de pièces de monnaie39 et de billets de
banques et (ii) d’avoirs à vue40 à destination d’un cercle limité d’institutions
financières éligibles et
- exploiter un ou plusieurs systèmes de paiement41.
Toutefois, la dématérialisation des moyens de paiements ainsi que l’apparition de
nouveaux phénomènes monétaires – tels que les cryptomonnaies – ont largement remis en
cause cette vision traditionnelle du rôle de la banque centrale42. C’est pourquoi la plupart
des banques centrales des pays développés réfléchissent activement à la conception de
monnaies numériques de banque centrale (MNBC ; en anglais : central bank digital
currencies, CDBC). Bien que ce terme ne soit pas défini de façon précise43, il désigne
généralement un nouveau type de moyens de paiement émis par une banque centrale de
façon numérique, libellé dans la même unité monétaire (infra II.A), mais sous une forme
différente des moyens de paiement légaux actuels (billets, pièces, comptes courants tenus
par la banque centrale)44. Le rythme des travaux relatifs aux MNBC connaît une forte
accélération depuis la fin de l’année 2020, en réponse à la multiplication des moyens de
paiements innovants et, surtout, à l’utilisation grandissante des stablecoins comme moyens
de paiement45.
Dans le monde des banques centrales, de nombreux projets de MNBC sont à l’étude, et
certains ont fait l’objet de tests46. À l’heure actuelle, peu de certitudes existent au sujet des
MNBC, dont les caractéristiques de base font encore l’objet de discussions, de

39
En Suisse, les pièces sont frappées par Swissmint pour la Confédération.
40
On parle en Suisse d’avoirs à vue en francs auprès de la BNS, ce qui correspond à la notion « bank
reserves » dans la littérature économique.
41
BANQUE NATIONAL SUISSE 2018, p. 3 ss ; COUPPEY-SOUBEYRAN 2014, p. 127 ; VALDEZ/MOLYNEUX
2016, p. 54 ss.
42
CONSEIL FÉDÉRAL, 2019b, p. 10 ss. Voir également BANK OF CANADA et al. 2020, p. 5 ; BANK FOR
INTERNATIONAL SETTLEMENTS 2021, p. 66 ss.
43
BANK FOR INTERNATIONAL SETTLEMENTS 2018, p. 3.
44
BANK FOR INTERNATIONAL SETTLEMENTS 2018, p. 3 ; voir toutefois BANK FOR INTERNATIONAL
SETTLEMENTS 2021, p. 65 et BANK OF CANADA et al. 2020, p. 3 : « CBDCs are a form of digital
money, denominated in the national unit of account, which is a direct liability of the central bank. »
45
Voir BANK FOR INTERNATIONAL SETTLEMENTS 2021, p. 65 ss ; CHENG/LAWSON/WONG,
Introduction ; PEOPLE’S BANK OF CHINA 2021, p. 1 ss. Voir également, pour un exposé des motivations
des principales banques centrales, BANK OF CANADA et al., p. 5 ss. Pour une excellente synthèse des
questions-clés : LASTRA/DIETZ (2021).
46
Voir en dernière date BANQUE NATIONALE SUISSE/BIS INNOVATION HUB/SIX 2020, passim ;
EUROPEAN CENTRAL BANK et al. 2021, passim ; PEOPLE’S BANK OF CHINA 2021, passim.

85
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

questionnements et de recherches47. Les banques centrales s’interrogent notamment sur le


choix du fondement technologique de leurs futures MNBC : ces dernières pourront
fonctionner soit sur la base d’un système informatique ordinaire – c’est-à-dire centralisé –
ou bien sur la base d’un registre électronique distribué, qui fonctionnerait donc de manière
analogue à la technologie blockchain48,49. Parmi les classifications conceptuelles opérées
par la littérature spécialisée, on trouve en outre la distinction entre les MNBC réservées à
certains acteurs du système financier et celles ouvertes au grand public, c’est-à-dire aux
particuliers ainsi qu’aux entreprises50.
Le débat sur l’opportunité de créer une MNBC et le cercle des personnes qui pourraient
l’utiliser existe aussi en Suisse. La position actuelle des autorités ressort d’un rapport du
Conseil fédéral sur la « Monnaie électronique de la banque centrale » publié le 13
décembre 2019. De l’avis du gouvernement, « une monnaie électronique de banque
centrale universellement accessible n’apporterait aucun bénéfice supplémentaire à la
Suisse actuellement »51. La BNS s’est exprimée à plusieurs reprises dans le même sens52.
Quant à une MNBC réservée aux acteurs des marchés financiers, la BNS souligne qu’elle
aurait l’avantage de permettre des gains d’efficience grâce à des transferts quasiment en
temps réel53. Pour explorer cette possibilité, la BNS a mis en place une plateforme de
recherche avec la Banque des Règlements Internationaux (BRI)54 et a constitué un groupe
de travail avec plusieurs autres banques centrales55.

47
Voir BANK FOR INTERNATIONAL SETTLEMENTS 2021, p. 70 ss ; BANK OF CANADA et al. 2020,
p. 12 ss ; CHENG/LAWSON/WONG 2021, passim ; EUROPEAN CENTRAL BANK et al. 2021, p. 3.
48
Voir à ce sujet BANK FOR INTERNATIONAL SETTLEMENTS 2021, p. 79 ; BANK OF CANADA et al. 2020,
p. 12 et 14 ; CHENG/LAWSON/WONG 2021, Broad Stakeholder Support ; EUROPEAN CENTRAL BANK
et al. 2021, p. 7 et passim ; PEOPLE’S BANK OF CHINA 2021, p. 10.
49
Le cas échéant, se poserait encore la question du sous-type de registre distribué utilisé ainsi que de ses
diverses caractéristiques techniques.
50
BANK FOR INTERNATIONAL SETTLEMENTS 2021, p. 70 ss ; CONSEIL FÉDÉRAL 2019b, p. 8 s. et p. 43.
Voir également le débat connexe relatif aux MNBC à « single tier » (c’est-à-dire accessibles
directement auprès de la banque centrale), à distinguer des MNBC à « two tiers » (c’est-à-dire
accessibles par l’intermédiaire d’institutions financières ou de prestataires de services dans le domaine
des paiements) : BANK FOR INTERNATIONAL SETTLEMENTS 2021, p. 77 ss ; EUROPEAN CENTRAL
BANK et al. 2021, p. 3 et passim ; PEOPLE’S BANK OF CHINA 2021, p. 8.
51
CONSEIL FEDERAL 2019b, p. 43.
52
JORDAN 2019, p. 6, position récemment confirmée par Andrea MAECHLER dans Le Temps, 03.09.2021,
https://www.letemps.ch/economie/andrea-maechler-1000-milliards-bns-ne-solution-changement-
climatique.
53
BANQUE NATIONALE SUISSE 2019, p. 7.
54
BANQUE NATIONALE SUISSE, La BNS et la BRI signent un accord opérationnel relatif au centre suisse
du hub d’innovation de la BRI, Communiqué de presse du 08.10.2019,
https://www.snb.ch/fr/mmr/reference/pre_20191008/source/pre_20191008.fr.pdf.
55
BANQUE NATIONALE SUISSE, Un groupe de banques centrales évaluera les possibilités d’utilisation de
monnaies numériques de banque centrale, Communiqué de presse du 21.01.2020,
https://www.snb.ch/fr/mmr/reference/pre_20200121/source/pre_20200121.fr.pdf.

86
Les cryptomonnaies et le paiement

La création envisagée du Swiss Digital Exchange (SDX), une bourse et un dépositaire


central d’actifs numériques récemment autorisé par la FINMA56, pourrait ouvrir la voie à
l’exécution de transactions sur ces actifs contre des jetons monétaires en francs suisses.
Dans ce contexte, la BNS a étudié l’opportunité d’émettre une MNBC réservée aux acteurs
financiers, en collaboration avec le SDX. Elle a procédé à des essais (proofs of concept)
dont les conclusions positives ont été rendues publiques en décembre 202057.
Une MNBC réservée aux acteurs du système financier ressemblerait à bien des égards aux
avoirs à vue auprès de la BNS. Elle constituerait un nouveau système de paiement aux
côtés du Swiss Interbank Clearing System (SIC), mais présentant des caractéristiques
différentes et fondé sur une technologie distincte.
Au moment où nous achevons cet article, une MNBC « tous publics » n’existe qu’aux
Bahamas (le sandollar)58. La Banque centrale de la République populaire de Chine
travaille très activement à la création d’un eRMB, qui est en phase de test dans quelques
villes mais pourrait rapidement être étendu à l’ensemble du pays59. En octobre 2020, la
Banque centrale européenne (BCE) a mis en consultation un rapport esquissant les
contours de ce que pourrait être un « digital euro » ; les 8221 réponses recueillies
témoignent de l’actualité du sujet60. À notre connaissance, aucune MNBC réservée aux
acteurs financiers (wholesale CDBC) n’existe encore nulle part61.
Dans cet article, nous envisagerons les MNBC dans la mesure où elles répondent à la
définition d’une cryptomonnaie, c’est-à-dire qu’elles sont émises sous la forme de jetons
dans un registre électronique décentralisé. Comme on le verra, leur régime s’écarte à bien
des égards des autres cryptomonnaies dans la mesure où les MNBC seraient
vraisemblablement des moyens de paiement légaux (infra II.B), c’est-à-dire des espèces

56
Voir FINMA, La FINMA autorise pour la première fois une bourse et un dépositaire central à négocier
des jetons, Communiqué de presse du 10.09.2021, https://www.finma.ch/fr/news/2021/09/la-finma-
autorise-pour-la-première-fois-une-bourse-et-un-dépositaire-central-à-négocier-des-jetons/.
57
Communiqué de presse du 03.12.2020, https://www.snb.ch/en/mmr/reference/pre_20201203/source/
pre_20201203.en.pdf ; voir surtout « Project Helvetia : Settling tokenised assets in central bank
money », https://www.bis.org/publ/othp35.htm (03.09.2021).
58
https://www.sanddollar.bs/about.
59
PEOPLE’S BANK OF CHINA 2021, passim.
60
EUROPEAN CENTRAL BANK 2020 et 2021.
61
Le cours légal du bitcoin au Salvador, qui résulte de l’entrée en vigueur en septembre 2021 de la « Ley
Bitcoin », décret n° 57 du 8 juin 2021 paru au Diario Oficial le 9 juin 2021,
https://www.diariooficial.gob.sv/diarios/do-2021/06-junio/09-06-2021.pdf, ne transforme pas le
bitcoin en une monnaie numérique de banque centrale, mais en un moyen de paiement ayant cours
légal au Salvador. On rappelle qu’en décembre 2000, le Salvador a défini la valeur de son unité
monétaire (le colón) comme une fraction du dollar US, lequel a depuis cours légal illimité dans le pays.
Depuis septembre 2021, les prix peuvent être indiqués en USD ou en BTC et toute dette peut être réglée
en BTC ou en USD, au choix du débiteur, le rapport entre la valeur de ces deux moyens de paiement
n’étant pas défini par un acte d’autorité mais par le marché.

87
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

monétaires ayant cours légal qui ne se distinguent des billets et pièces de monnaie que par
leur support technologique, et non par leur nature juridique.

II. Qualification juridique des cryptomonnaies

Les économistes caractérisent une monnaie par les trois fonctions qu’elle remplit : un
instrument de mesure (ou une unité de compte), un instrument de paiement ou d’échange,
et un instrument de réserve de valeur62. Les monnaies émises par les États (ou par une
union monétaire à laquelle des États ont délégué cet aspect de leur souveraineté, telle que
l’Union économique et monétaire, émettrice de l’euro depuis 2001) remplissent
généralement ces trois fonctions. On appelle monnaies officielles (fiat money) ces
manifestations d’une compétence souveraine. À côté de celles-ci existent de nombreuses
monnaies privées, qui remplissent dans une mesure plus ou moins étendue ces trois
fonctions au sein de cercles d’utilisateurs plus ou moins restreints. Ainsi, la Suisse connaît
notamment le WIR63 et le Léman64.
Aucune des cryptomonnaies existant actuellement – qu’il s’agisse de cryptomonnaies
pures telles que les bitcoins et les ethers ou des rares stablecoins – ne répond pleinement
à la notion économique de monnaie. Toutes ont une circulation limitée ; leur utilisation
comme moyens de paiement est généralement restreinte à des groupes limités ; leur
utilisation à titre d’investissement a le plus souvent un caractère spéculatif, leur volatilité
limitant beaucoup leur utilité comme instrument de réserve. Cela pourrait changer si une
banque centrale émettait une monnaie officielle sous forme de jetons (monnaie numérique
de banque centrale, supra I.C) ou si un projet semblable à celui qui était promu par
l’Association Libra65 aboutissait et s’avérait un succès.
Dans cette section, nous qualifions les cryptomonnaies au regard de diverses définitions et
institutions légales du droit suisse ou du droit européen.

62
CONSEIL FEDERAL 2018, p. 55. Cf. également PROCTOR 2012, N 1.08, qui souligne que l’élément
principal est désormais l’instrument de paiement ou d’échange.
63
« La monnaie WIR est un système de paiement sans espèces dans lequel les participants WIR font des
paiements réciproques non pas en espèces mais en WIR, le débiteur émettant un chèque WIR à
l'intention du créancier. Les avoirs WIR [en compte auprès de la Banque WIR] n'autorisent pas leur
détenteur à retirer des espèces, mais lui permettent seulement d'obtenir des biens et des services offerts
par d'autres participants WIR sur le marché. La monnaie WIR n'est pas de l'argent au sens juridique du
terme, mais représente une créance d'un type particulier. Les inconvénients qui lui sont attachés font
que sa valeur marchande est inférieure à sa valeur nominale. », TF, 2C_308/2016 du 09.12.2016,
consid. 2.3. Pour une bonne explication de l’histoire du système et de son fonctionnement, ATF 95 II
176.
64
Le Léman existe tant sous la forme de billets de banque que de « monnaie électronique » au sens défini
infra sous II.C, https://monnaie-leman.org/le-leman-concretement.
65
Supra I.D.

88
Les cryptomonnaies et le paiement

A. Unité monétaire : monnaie officielle et monnaie privée

Afin de déterminer ce qu’est une monnaie officielle (fiat money), on peut commencer le
raisonnement avec l’art. 147 al. 1 LDIP. Cette norme prévoit que la monnaie (Währung,
moneta) est définie par le droit de l’État d’émission. Chaque État désigne ainsi
souverainement sa monnaie officielle (lex monetae)66 ou adopte celle d’un autre.
En Suisse, l’art. 1 de la loi fédérale sur l’unité monétaire et les moyens de paiement
(LUMMP) prévoit que l’unité monétaire suisse (Währungseinheit, unità monetaria) est le
franc. Pour sa part, le Liechtenstein a adopté le franc suisse comme monnaie officielle67,
créant de facto une petite union monétaire. Pour les États ayant adoptés l’euro, l’art. 2 du
Règlement 974/9868 dispose que la monnaie (currency, Währung) des États membres
participants est l’euro.
L’unité monétaire ne désigne ainsi pas un moyen de paiement concret, par exemple un
billet de dix francs, mais une unité de compte abstraite, sous une forme reconnue par l’État
et légalement établie69.
A contrario, toute monnaie qui n’est pas définie par un État (ou une union monétaire)
constitue une monnaie privée. Constituent ainsi des monnaies privées le WIR, le Léman,
mais également les cryptomonnaies pures70, car celles-ci tirent leur existence et leur
définition d’initiatives privées (et anonymes en ce qui concerne le Bitcoin) et non d’un
acte public d’un État.

B. Moyens de paiement légaux et moyens de paiement privés

L’exercice de la souveraineté monétaire par un État consiste en principe à définir une


monnaie (unité monétaire) et à émettre des moyens de paiement que tout débiteur peut
utiliser pour acquitter ses dettes libellées dans cette monnaie.

66
ZK IPRG-VISCHER/MONNIER, art. 147 IPRG N 5 ; THEVENOZ 1999, p. 161 ; CR LDIP-BONOMI,
art. 147 LDIP N 2 ; BÄRTSCHI/JACQUEMART/MEYER 2018, p. 185 s.
67
« Die ausschliesslich gesetzliche Währung ist der Schweizerfranken als Liechtensteiner Franken »
(art. 1 al. 1 Gesetz vom 26. Mai 1924 betreffend die Einführung der Frankenwährung).
68
Règlement (CE) nº 974/98 du Conseil du 3 mai 1998 concernant l’introduction de l’euro.
69
BÄRTSCHI/JACQUEMART/MEYER 2018, p. 184.
70
BÄRTSCHI/JACQUEMART/MEYER 2018, p. 204.

89
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

En Suisse, c’est l’art. 2 LUMMP qui énumère les moyens de paiement légaux pour le
franc suisse (gesetzliche Zahlungsmittel, mezzi legali di pagamento), à savoir :

a. les espèces métalliques émises par la Confédération ;


b. les billets de banque émis par la BNS ;
c. les avoirs à vue en francs auprès de la BNS.
On parle de moyens de paiement légaux (art. 2 LUMMP) ou de « moyens de paiement
ayant cours légal » (art. 84 al. 1 CO), car tout créancier est tenu de les accepter en paiement
d’une dette libellée en francs suisses. L’art. 3 LUMMP dispose ainsi que toute personne
est tenue d’accepter en paiement :
- les billets émis par la BNS ;
- jusqu’à 100 pièces de monnaie courante71 ;
- pour tout titulaire d’un compte à la BNS72, des avoirs à vue en francs auprès de
la BNS.
Ces moyens de paiement légaux permettent toujours d’acquitter les dettes en francs suisses
avec effet libératoire au sens de l’art. 84 al. 1 CO73. Un créancier qui refuse un paiement
offert en moyens de paiement ayant cours légal tombe en demeure : son débiteur peut se
libérer en consignant (art. 92 CO)74.
En Suisse, l’essentiel des paiements se fait par des virements entre comptes bancaires75.
Ces virements sont exécutés entre un compte à vue du débiteur et un compte à vue désigné
à cette fin par le créancier. Parce qu’ils servent à effectuer la plupart des paiements des
ménages, des entreprises et des entités publiques, les avoirs à vue auprès des banques
constituent donc, selon les statistiques de la Banque nationale, près de 80% de la masse
monétaire au sens étroit (M1)76. Cette forme de monnaie, dite scripturale (Bankgeld ou
Buchgeld, moneta contabile) parce qu’elle existe sous forme d’écritures dans des comptes
tenus par des banques commerciales77, n’a cependant pas le caractère de moyen de

71
La BNS et les caisses publiques de la Confédération sont tenues d’accepter les pièces courantes sans
limitation de somme, art. 3 al. 1 LUMMP.
72
Il s’agit de la Confédération, des banques et d’établissements financiers suisses ou étrangers, et des
collaborateurs de la BNS. Les paiements sous cette forme sont la règle entre établissements financiers,
mais ne concernent pas les consommateurs.
73
CONSEIL FÉDÉRAL 1999, p. 6546.
74
BSK OR I-LEIMGRUBER, Art. 92 N 2 ; CR CO I-LOERTSCHER/TOLOU, art. 92 N 1 ; BK OR-WEBER,
Art. 92 N 21.
75
Les comptes postaux sont des comptes bancaires depuis que PostFinance est autorisée et surveillée
comme banque par la FINMA. Il n’est donc plus nécessaire de distinguer entre compte bancaire et
compte postal (ou, anciennement, compte de chèques postaux).
76
En juillet 2021. Données économiques de la BNS au 12 septembre 2021, Agrégats monétaires M1, M2
et M3 https://data.snb.ch/fr/topics/snb#!/cube/snbmonagg?dimSel=D0(B),D1(B,S0,ET,GM1,S1,GM2
T,GM3).
77
« Banques commerciales » désigne, dans ce contexte, des banques au sens de l’art. 1a LB, pour les
distinguer de la banque centrale, en Suisse la BNS. Comme on l’a vu plus haut, un avoir à vue et en
francs auprès de la BNS est un moyen de paiement légal.

90
Les cryptomonnaies et le paiement

paiement légal. Les autres moyens de paiement, tels que les cartes de crédit ou de débit78
ou les cryptomonnaies, ne constituent pas moyens de paiement légaux au sens de l’art. 84
al. 1 CO79. Ils sont considérés comme des moyens de paiement privés80.
Une MNBC constituerait néanmoins une exception si elle devait être adoptée en Suisse.
En effet, sans avoir pris encore de décision quant à sa création, la BNS la conçoit comme
un moyen de paiement ayant cours légal, ce qui la distinguerait des autres cryptomonnaies.
La distinction entre les moyens de paiement légaux et les moyens de paiement privés
connait un fondement économique. Le détenteur d’un moyen de paiement légal n’assume
qu’un risque macro-économique, c’est-à-dire celui de la baisse du pouvoir d’achat. De son
côté, celui qui détient un moyen de paiement privé court en plus le risque micro-
économique de l’insolvabilité de l’émetteur du moyen de paiement privé, par exemple la
faillite de la banque qui tient le compte sur lequel il reçoit ses paiements81. À notre avis,
pour des moyens de paiement privés moins établis (comme le Léman ou de nombreuses
cryptomonnaies), il court également le risque qu’ils ne soient plus utilisés, et donc acceptés
par les autres participants. Ce risque peut néanmoins être évité si l’émetteur du moyen de
paiement garantit le droit au remboursement dans un moyen de paiement légal, sans
cependant exclure le risque de contrepartie sur cet émetteur.
Les moyens de paiement privés peuvent éteindre une dette d’argent lorsque les parties en
sont convenues, même tacitement82. C’est une expression de la liberté contractuelle. En
pratique, la désignation au débiteur d’un compte bancaire du créancier sera en principe
interprétée comme signifiant l’acceptation d’un paiement par monnaie scripturale,
paiement qui aura pour effet d’éteindre la dette d’argent83. Toujours en vertu de la liberté
contractuelle, les parties peuvent convenir d’un paiement en cryptomonnaie84.

78
Les paiements par carte relèvent de la monnaie scripturale car ils se traduisent par des écritures dans
les comptes bancaires respectifs du client et du commerçant. Les systèmes de cartes sont en cela
identiques aux virements bancaires ordinaires ; ils se distinguent en réalité des autres moyens de
paiement par la confirmation quasi-immédiate de chaque transaction, cette rapidité étant essentielle au
bon déroulement des transactions financières de détail.
79
5A_792/2019 consid. 3.4 ; 2C_705/2016 consid. 4.3.3 ; CONSEIL FEDERAL 1999, p. 6550 ; CR CO I-
LOERTSCHER/TOLOU, art. 84 N 5a ; TERCIER/PICHONNAZ, 2019, N 1188 ; MÜLLER/ONG, 2020,
p. 202 ; THEVENOZ, 1999, p. 158.
80
BÄRTSCHI/JACQUEMART/MEYER 2018, p. 187.
81
CONSEIL FÉDÉRAL 1999, p. 6549 s.
82
CONSEIL FÉDÉRAL 1999, p. 6550 ; CR CO I-LOERTSCHER/TOLOU, art. 84 N 6 ; TERCIER/PICHONNAZ,
2019, N 1188 ; THÉVENOZ, 1999, p. 158.
83
ATF 124 III 145 consid. 2a ; TERCIER/PICHONNAZ, 2019, N 1188. Cf. également art. 6.1.8 des
Principes UNIDROIT qui prévoit que, à moins que le créancier n’ait indiqué un compte particulier, le
paiement peut être effectué par transfert à n’importe quel établissement financier où le créancier a fait
savoir qu’il possède un compte.
84
Cf. infra IV.B.

91
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

C. Cryptomonnaie et monnaie électronique

La « monnaie électronique » est une notion du droit de l’Union européenne, consacrée


par la Directive 2009/110/CE85 (communément appelée « e-money directive »), qui crée
un cadre juridique et réglementaire pour les émetteurs de monnaie électronique86. On
entend dans ce contexte par « monnaie électronique » toute valeur monétaire qui est
stockée sous une forme électronique, représentant une créance sur l’émetteur, qui est émise
contre la remise de fonds aux fins d’opérations de paiement et qui est acceptée par une
personne physique ou morale autre que son émetteur87.
La notion de monnaie électronique n’a pas été adoptée pour réglementer les
cryptomonnaies, qui n’en étaient qu’à leurs balbutiements en 2009. Cependant, une
cryptomonnaie sera qualifiée de monnaie électronique si les conditions suivantes sont
remplies :

- Sa valeur est stockée sous une forme électronique (ici dans un registre
électronique distribué) ;
- Sa valeur repose sur une monnaie reconnue comme moyen de paiement ayant
cours légal ;
- Son détenteur dispose d’une créance contre l’émetteur ;
- Elle est acquise à l’aide d’un moyen de paiement (légal ou privé)88 ;
- Elle est émise aux fins d’opérations de paiement ;
- Elle est acceptée par d’autres personnes que l’émetteur89.

L’Autorité bancaire européenne, dans son rapport à la Commission européenne sur les
cryptoactifs, donne un exemple de cryptomonnaie qui pourrait remplir ces conditions et
pourrait, par conséquent, être qualifiée de monnaie électronique90. Elle imagine une société
créant un système de paiement fondé sur la blockchain. Le système est accessible tant par
des commerces que par des particuliers. La société émet des jetons qui serviront de moyen
de paiement au sein du système. Chaque jeton est émis en contrepartie du paiement d’une
certaine somme en euros91 et la cryptomonnaie est adossée à l’euro (« EUR 1 to 1 token »).
Les détenteurs de jetons peuvent à tout moment se faire rembourser la contrepartie en

85
Directive 2009/110/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 concernant l’accès
à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance
prudentielle de ces établissements, modifiant les directives 2005/60/CE et 2006/48/CE et abrogeant la
directive 2000/46/CE.
86
Dénommé « établissements de monnaie électronique » (art. 2 par. 1).
87
Voir l’art. 2 al. 2 de la Directive 2009/110/CE pour une définition complète.
88
Cf. également PROCTOR 2012, N 1.80.
89
EUROPEAN BANKING AUTHORITY 2019, p. 13 ; FINANCIAL CONDUCT AUTHORITY 2019, p. 17 ss.
90
EUROPEAN BANKING AUTHORITY 2019, p. 13.
91
Étant précisé qu’il n’est pas nécessaire, aux fins de la qualification d’une cryptomonnaie de « monnaie
électronique » au sens de la Directive, que la monnaie officielle de référence soit l’euro.

92
Les cryptomonnaies et le paiement

euros de leurs jetons par la société émettrice. Cet exemple, encore hypothétique, indique
que certains stablecoins adossés à des monnaies officielles sont susceptibles d’être
qualifiés de monnaie électronique, alors que tel n’est pas le cas des cryptomonnaies pures,
qui échappent à cette qualification.
En Suisse, l’émission de monnaie électronique n’est pas réglementée de manière
spécifique. Ses émetteurs tombent potentiellement dans le champ d’application de la loi
sur les banques92, de la loi sur le blanchiment d’argent93 et, dans certains cas exceptionnels,
de la loi sur les infrastructures des marchés financiers94,95.

D. Propriété et choses mobilières

Les cryptomonnaies et, d’une manière plus générale, les cryptoactifs inscrits dans un
registre distribué sont-ils l’objet de droits de propriété et bénéficient-ils de la protection
erga omnes qui résulterait de cette qualification, notamment un droit de suite en mains de
tiers et un privilège dans la faillite des dépositaires ?
Dans les pays issus de la common law, la notion de property est large et la réponse semble
être affirmative96.
En vertu de l’art. 641 al. 1 CC, le droit de propriété ne s’exerce que sur des « choses ». Il
s’agit donc de déterminer si les cryptoactifs sont susceptibles d’être qualifiés de « choses »
au sens de l’art. 641 al. 1 CC. La doctrine interprète ce terme comme signifiant que la
propriété ne peut s’exercer que sur des objets matériels97. STEINAUER, en particulier, définit
la notion de chose comme une « portion délimitée et impersonnelle de l’univers matériel,

92
Tel est le cas si l’émetteur prend des engagements envers ses clients (voir art. 1a et 1b LB, art. 5 al. 1
et al. 3 let. e de l’Ordonnance sur les banques et les caisses d’épargne du 30 avril 2014 [OB ; RS
952.02] ; FINMA, Circulaire 2008/3 du 20 novembre 2008, Dépôts du public auprès d’établissements
non-bancaires, N 18.1). On notera que l’art. 1b LB « promotion de l’innovation » instaure (depuis le
1er janvier 2019) un régime allégé pour les entreprises qui acceptent à titre professionnel des dépôts du
public jusqu’à concurrence de CHF 100 millions. Cette exception, encore très peu utilisée, devrait
faciliter le développement de services financiers innovants, comparables à ceux proposés par les
établissements de monnaie électronique au sein de l’Union européenne, qui sont actuellement réservés
aux banques.
93
LBA ; RS 955.0. Voir art. 2 al. 3 let. b LBA ; art. 4 de l’Ordonnance sur la lutte contre le blanchiment
d’argent [OBA ; RS 955.01] ; FINMA, Circulaire 2011/1 du 20 octobre 2010, Activité d’intermédiaire
financier au sens de la LBA, N 63 ss.
94
LIMF ; RS 958.1. Voir art. 4 al. 2 et 81 s. LIMF ; SK FinfraG-JUNGO/ZIBUNG/ROTH, FinfraG 4 N 25 ;
BSK FinfraG-WINZELER, FinfraG 4 N 4.
95
FLÜHMANN/HSU/ENDER 2017, p. 20 ss. Voir également TF 2C_345/2015 du 24.11. 2015, consid. 4 ss.
96
AA v Persons Unknown [2019] EWHC 3556. Voir ég. FINANCIAL MARKETS LAW COMMITTEE 2016,
p. 7 ; LAWTECH DELIVERY PANEL 2019, p. 11.
97
BSK ZGB II-WOLF/WIEGAND, Vor Art. 641 ff. ZGB N 5 et les réf. citées ; CR CC II-FOËX, Intro. aux
art. 641-645 CC N 16 et les réf. citées ; STEINAUER, N 63 ss.

93
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

qui est susceptible d’une maîtrise humaine et n’est pas un animal »98. Or, les
cryptomonnaies sont des actifs virtuels sans existence physique. Par conséquent, le Conseil
fédéral et la doctrine majoritaire sont d’avis qu’elles ne constituent pas des « choses » au
sens de l’art. 641 CC et ne font pas l’objet de droits de propriété99.
L’idée que les cryptoactifs puissent faire l’objet d’un droit de propriété est néanmoins
soutenue par plusieurs auteurs100. HARI note en particulier que considérer les cryptoactifs
comme une chose permet une certaine protection contre le risque de faillite du
dépositaire101, une protection qui résulte désormais (à certaines conditions) de
l’art. 242a LP. GEIGER/KELLER soulignent notamment que les forces naturelles sont
considérées comme des choses mobilières (art. 713 CC). Cela démontre que le caractère
incorporel des cryptoactifs ne s’oppose pas en soi à ce qu’ils fassent l’objet d’un droit de
propriété102.

E. Papiers-valeurs et droits-valeurs

Jusqu’au milieu du vingtième siècle, l’utilisation de papiers-valeurs était le principal


moyen par lequel il était possible de négocier et transférer des valeurs mobilières, telles
que des actions ou des obligations. Les papiers-valeurs rattachent en effet des droits ou
des créances à un support matériel – la plupart du temps du papier – si bien que le transfert
du support (la transmission du papier) est nécessaire au transfert du droit qui y est
incorporé103. Cette construction juridique permettait une circulation rapide, efficace et
relativement sûre des droits rattachés aux valeurs mobilières. Leur circulation physique a
disparu progressivement à compter des années 1960, remplacée par des inscriptions dans
les comptes tenus par des chaînes d’intermédiaires (dépositaires, sous-dépositaires,
dépositaires centraux) permettant d’identifier à chaque instant les titulaires des droits en
question. Ce changement de paradigme a mené à l’adoption de la loi fédérale sur les titres
intermédiés du 3 octobre 2008104.
La technologie des cryptoactifs permet de répliquer certaines caractéristiques propres aux
papiers-valeurs, avec l’avantage de la dématérialisation et de la décentralisation105. En

98
STEINAUER, N 62.
99
CONSEIL FÉDÉRAL 2018, p. 48 s. ; BÄRTSCHI/MEISSER 2015, p. 141 ; GOBAT 2016, p. 1098 ; PILLER
2017, p. 1428 s. ; MAURENBRECHER/MEIER 2017, N 20 ; EGGEN 2018, p. 562 ; MÜLLER/LONG 2020,
p. 206 ; LÖRTSCHER 2021, N 308.
100
HARI 2017, p. 465 ss ; MEYER/SCHUPPLI 2017, p. 219 s ; SEILER/SEILER 2018, N 37 ; LOMBARD 2019,
p. 254 ; GEIGER/KELLER 2021, p. 263.
101
HARI 2017, p. 465 ss.
102
GEIGER/KELLER 2021, p. 263.
103
Techniquement parlant, les papiers-valeurs se définissent plus précisément comme des titres de
créances munis d’une clause de présentation double (cf. CR CO II-BOHNET, Intro. art. 965-973c N 36).
104
LTI ; RS 957.1.
105
Cf. BACHARACH 2019.

94
Les cryptomonnaies et le paiement

effet, les transactions intervenues sur des jetons sont enregistrées au sein des registres
électroniques, si bien qu’il est possible106 de les attribuer à chaque instant à leur titulaire,
même si l’identité de celui-ci n’est généralement pas connue En outre, il n’est guère
possible de dupliquer un jeton enregistré au sein d’un registre distribué107. Sur cette base
technique, il est possible de rajouter une strate juridique : on peut, comme pour les papiers-
valeurs, rattacher un droit de créance à un jeton, si bien que la transmission du jeton
emporte la transmission du droit qui est y incorporé. Dans cette constellation, le jeton a
une fonction similaire à celle du papier dans le contexte des papiers-valeurs, à savoir servir
de support à des droits de créance ou à d’autres droits, support qui facilite leur
transmissibilité.
C’est pour favoriser le développement de cette construction juridique – dont les usages
possibles font l’objet d’études et de conjectures depuis quelques années – que le Code des
obligations a été modifié par la loi fédérale sur l’adaptation du droit fédéral aux
développements de la technologie des registres électroniques distribués du 25 septembre
2020, modification entrée en vigueur le 1er février 2021108. La novelle a introduit une
importante modernisation du concept de droit-valeur (art. 973c ss CO), définissables
comme des droits inscrits au sein de registres qui permettent d’identifier leurs titulaires.
La nouvelle loi se fonde sur cette notion et élabore pour certains droits-valeurs fondés sur
un registre électronique distribué – les droits-valeurs dits « inscrits » – un régime juridique
complet109. Les droits-valeurs inscrits sont définis par l’art. 973d al. 1 CO comme tous les
droits qui sont inscrits au sein d’un registre remplissant les conditions de l’art. 973d
al. 2 CO et qu’il n’est possible de faire valoir et de transférer que par ledit registre. Les
registres de droits-valeurs visés par l’art. 973d al. 2 CO sont – en résumé – les registres
présentant les caractéristiques des registres électroniques distribués. Par conséquent, sont
visés par l’art. 973d al. 1 CO tous les cryptoactifs incorporant des droits vis-à-vis de leurs
émetteurs de manière analogue aux papiers-valeurs.
En ce qui concerne les cryptomonnaies dont il est question ici, certaines d’entre elles
peuvent constituer des droits-valeurs pour autant qu’elles remplissent les conditions de
l’art. 973d CO, c’est-à-dire qu’elles incorporent des droits pouvant être exercés par leurs
titulaires auprès de leurs émetteurs. C’est en particulier le cas des stablecoins qui sont
adossés à des actifs réels, tels qu’une certaine quantité de monnaie officielle110 de telle

106
Techniquement parlant, cela n’est possible qu’en lien avec les jetons non-fongibles. Sur les jetons
fongibles et non-fongibles, voir ANTONOPOULOS/WOOD 2019, p. 221 ss ; NARAYANAN et al. 2016,
p. 219 ss.
107
CONSEIL FEDERAL 2018, p. 21.
108
RO 2021 33.
109
Relatif, notamment, à leur titularité (art. 973e al. 1 CO), leur transfert (art. 973f CO) et leur mise en
gage (art. 973g CO).
110
Supra II.D.

95
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

manière qu’ils constituent de véritables créances contre leur émetteur111. Par exemple,
chaque tether112 incorpore le droit à obtenir sa contre-valeur en dollar auprès de son
émetteur113. Si le droit suisse lui était applicable114, le tether serait un droit-valeur inscrit au
sens des art. 973d ss CO. Cela serait également le cas des autres stablecoins qui donnent
à leur titulaire le droit de requérir la livraison de certains actifs auprès de leurs émetteurs
respectifs115.

III. Paiement en cryptomonnaie d’une dette libellée en


francs

Une dette libellée en francs suisses peut-elle être acquittée par un paiement en
cryptomonnaie ? En droit suisse, la réponse est en principe négative, mais elle appelle une
démonstration et quelques qualifications.

A. Dette libellée en francs

En Suisse, la plupart des dettes d’argent sont explicitement ou implicitement libellées en


francs suisses116, que l’on abrège souvent « fr. » ou « Fr. » ou « SFr. », et toujours plus
fréquemment « CHF »117. Lorsque la dette résulte d’un contrat, déterminer l’unité
monétaire choisie (par exemple, « dollar » désigne-t-il le dollar US, canadien ou celui de

111
Cet adossement entre un stablecoin et un actif réel peut être réalisé d’une autre manière que par
l’existence d’une créance contre l’émetteur, de sorte qu’il n’est pas possible d’affirmer de manière
générale que les stablecoins sont des droits-valeurs.
112
Supra II.D.
113
Voir le settlement agreement intervenu entre les opérateurs du tether et l’Attorney General de l’État de
New York le 18 février 2021 (https://ag.ny.gov/sites/default/files/2021.02.17_-_settlement_agreemen
t_-_execution_version.b-t_signed-c2_oag_signed.pdf [12.09.21]), para. 11, « Tether represents to
users that any holder of tethers can redeem them from Tether the company at the rate of one tether for
one U.S. dollar ».
114
Cf. art. 145a LDIP.
115
KUHN 2021b, NN 95–97, considère que, même s’il ne représente aucun droit personnel ou réel (ce qui
est le cas des cryptomonnaies pures), un jeton (un enregistrement dans une blockchain) peut néanmoins
être qualifié de droit-valeur inscrit si les conditions relatives à l’intégrité du registre électronique
distribué et à la convention d’inscription sont réalisées.
116
La précision était utile lorsqu’existaient encore le franc français et le franc belge, avant que ceux-ci ne
soient remplacés par l’euro. Elle conserve une certaine utilité puisqu’il existe encore, notamment, un
franc CFA, qui est l’unité monétaire de l’Union monétaire économique et monétaire ouest-africaine
(abrégé XOF) et celle de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (abrégée
XAF).
117
Abréviation internationale selon la norme ISO 4217. Sur les abréviations du franc, cf. art. 1 let. a de
l’Ordonnance sur la monnaie (RS 941.101).

96
Les cryptomonnaies et le paiement

Singapour ?) est affaire d’interprétation du contrat et relève donc de la loi qui est
applicable.

B. Paiement dû en Suisse

Nous sommes donc ici dans l’hypothèse où une dette porte sur une certaine somme en
francs suisses. La question est celle de savoir de quelle manière cette dette peut être
acquittée par son débiteur.

1. Situation entièrement domestique


Dans une situation entièrement localisée en Suisse, les parties trouvent la réponse à
l’art. 84 al. 1 CO, qui s’applique à toutes les dettes d’argent, quelle qu’en soit la cause118.
« Le paiement d’une dette qui a pour objet une somme d’argent se fait en moyens de
paiement ayant cours légal dans la monnaie due. » Une dette en francs suisses s’acquitte
donc avec les moyens de paiement légaux que sont les billets et les pièces de monnaie en
francs (mais pas plus de 100 pour ces dernières !)119,120. Le créancier qui refuse un tel
paiement tombe en demeure de créancier (art. 91 ss CO). Le débiteur peut se faire autoriser
judiciairement à consigner la somme due et se libérer ainsi de son obligation
(art. 92 CO)121.
Il n’est pas rare que les parties aient prévu dans leur contrat un paiement par virement sur
un compte bancaire. Il est très fréquent que le créancier (c’est aussi le cas des tribunaux et
des autorités administratives) signale d’avance son accord à un virement sur son compte
bancaire en envoyant un bulletin de versement, une QR-facture122 ou simplement en
indiquant son compte bancaire, aujourd’hui désigné par un IBAN123. Dans tous ces cas, le
débiteur peut (et s’oblige parfois contractuellement à) s’acquitter par un virement au
compte bancaire du créancier, c’est-à-dire par un paiement en monnaie scripturale. Il ne

118
Cf. art. 7 CC : « Les dispositions générales du droit des obligations relatives à la conclusion, aux effets
et à l’extinction des contrats sont aussi applicables aux autres matières du droit civil. »
119
Cf. art. 2 et 3 LUMMP, cf. supra II.B).
120
Entre titulaires d’un compte (avoirs à vue en francs) auprès de la Banque nationale suisse, la dette peut
également être acquittée par un virement entre ces comptes, art. 2 let. c LUMMP.
121
Curieusement, la tâche de celui qui doit livrer des marchandises est plus légère que celle du débiteur
d’une somme d’argent puisqu’il peut, même sans autorisation judiciaire, consigner dans un entrepôt.
On ne comprend pas pourquoi le législateur n’a pas étendu à la demeure du créancier la solution de
l’art. 24 LP : les cantons désigneraient les « caisses de dépôt et de consignation » et le débiteur pourrait
y déposer la somme due sans autorisation judiciaire, cf. CR CO I-LOERTSCHER/TOLOU, art. 92 N 6.
122
Les bulletins de versement BVR devraient être remplacés par des QR-factures au plus tard le 30
septembre 2022 ; https://www.paymentstandards.ch/fr/home/companies.html (08.09.2021).
123
« International Bank Account Number », souvent complété par un BIC (« Business Identification
Code »), qui identifie la banque du destinataire dans les paiements internationaux.

97
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

s’agit pas là d’un moyen de paiement légal, mais d’un moyen de paiement privé124.
L’art. 84 CO, qui est de droit dispositif125, ne s’y oppose pas. En demandant ou en acceptant
un virement sur son compte bancaire, le créancier a manifesté son consentement à ce qu’un
tel paiement libère son débiteur à due concurrence.

2. Situation internationale
Dans les situations internationales, c’est-à-dire dans un état de fait qui présente des points
de rattachement hors de Suisse (domicile ou établissement d’une partie, lieu de
l’exécution, etc.), l’analyse commence avec l’application des règles de conflits de lois
applicables. Si un tribunal suisse est saisi, il appliquera celles de la loi sur le droit
international privé. Le raisonnement se fait ainsi. L’art. 147 al. 3 LDIP dispose que le
« droit de l’État dans lequel le paiement doit être effectué détermine dans quelle monnaie
ce paiement doit être fait. »
Mais où le paiement doit-il être effectué ? L’art. 148 al. 1 LDIP soumet les modalités
d’extinction d’une créance à la loi applicable à cette dernière. À supposer donc que le droit
suisse régisse la relation entre le créancier et le débiteur, le lieu du paiement est déterminé
par la règle pertinente du droit suisse, qui est l’art. 74 CO : la volonté expresse ou
présumée des parties détermine le lieu où la prestation doit être exécutée (al. 1) ; à défaut,
la dette d’une somme d’argent (en francs suisses ou en toute autre monnaie) est payable
au domicile du créancier à l’époque du paiement (al. 2 ch. 1).
On retrouve ici l’hypothèse évoquée précédemment. Il se peut que les parties aient
convenu d’un paiement par virement sur un compte bancaire désigné, ou que le créancier
manifeste son accord à un tel virement. Dans ce cas, cette « domiciliation bancaire »
(comme on l’appelle parfois) désigne le lieu du paiement (l’établissement teneur de
compte) en même temps que le moyen (privé) de paiement.
Dans l’hypothèse contraire, celle où les parties n’ont rien prévu, le lieu du paiement est au
domicile du créancier à l’époque du paiement. Si ce domicile est en Suisse, l’art. 84 CO
s’applique (par l’effet du rattachement prescrit par l’art. 147 al. 3 LDIP) et on retrouve le
raisonnement expliqué à la section précédente. Si le créancier est domicilié dans un autre
pays, c’est le droit matériel de ce pays qui détermine de quelle manière la dette en francs
suisses, mais payable dans ce pays peut être acquittée.

124
Cf. supra II.B.
125
CR CO I-LOERTSCHER/TOLOU, art. 84 N 2 ; BSK OR I-SCHROETER, Art. 84 N 4 ; EMMENEGGER 2014,
p. 4.

98
Les cryptomonnaies et le paiement

C. Paiement dû à l’étranger

Un paiement en francs suisses peut être payable à l’étranger. La situation n’est pas
complètement rare, mais elle trouve généralement une solution simple. Lorsqu’un
créancier à l’étranger attend un paiement en francs suisses, il mentionne souvent (dans le
contrat, sur sa facture ou d’une autre manière) un numéro de compte bancaire.
Si le compte ainsi désigné est tenu par une banque en Suisse126, le créancier indique par là
qu’il souhaite recevoir le paiement en Suisse et qu’il accepte un paiement par monnaie
scripturale (virement bancaire). Le débiteur a alors le choix de payer au lieu prévu et selon
les modalités autorisées par la loi applicable au lieu du paiement, ou de procéder à un
virement au compte bancaire indiqué par le créancier. La seconde solution aura souvent la
préférence du débiteur.
Si le créancier désigne un compte bancaire dans un autre pays, il manifeste son accord à
recevoir un paiement par virement bancaire. Le lieu de paiement est donc bien à l’étranger.
Dans la mesure où la dette est libellée en francs suisses, sauf indication contraire du
créancier, le débiteur peut effectuer son virement en cette monnaie, qui sera le cas échéant
convertie dans la monnaie du compte par la banque du destinataire.

D. Paiement en cryptomonnaie

Aucune cryptomonnaie n’ayant cours légal en Suisse (puisqu’aucune ne figure à


l’art. 2 LUMMP), le débiteur d’une dette libellée en francs suisses et payable en Suisse ne
peut pas imposer à son créancier d’en recevoir le paiement par un transfert de
cryptomonnaie. Mais le créancier peut y consentir de différentes manières (a, b et c) ; en
outre, la situation serait différente si la Banque nationale venait à émettre une monnaie
numérique de banque centrale (d).
(a) L’accord du créancier à un paiement en cryptomonnaie peut résulter d’une clause
contractuelle qui prévoit des modalités alternatives de paiement en faveur du débiteur.
On parle ici d’obligations avec faculté alternative127. De telles clauses sont fréquentes
entre commerçants membres du système WIR : le débiteur est autorisé (ou parfois
même il est tenu) de régler tout ou partie du prix d’une marchandise ou d’un service
par un virement WIR. Le franc WIR étant adossé au franc suisse128, la parité facilite

126
Qui se reconnaît par les lettres « CH … » au début du numéro IBAN.
127
Cf. CR CO I–HOHL, art. 72 N 4 ; GAUCH/SCHLUEP/SCHMID/EMMENEGGER, II N 2669 ss. La faculté
pour le débiteur de payer en CHF une dette de monnaie étrangère statuée à l’art. 84 al. 2 CO est une
faculté alternative légale, CR CO I–LÖRTSCHER/TOLOU, art. 84 N 17.
128
Le franc WIR correspondant à une créance envers la banque WIR, il est grevé d’un risque de
contrepartie similaire à un compte bancaire en francs suisses auquel échappe le créancier qui reçoit des
billets et des pièces de monnaie ayant cours légal.

99
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

cette sorte de clauses. En matière de cryptomonnaies, hormis quelques commerces


avant-gardistes qui affichent accepter le règlement d’achats courants en bitcoins (en
existe-t-il encore en Suisse ?), nous n’avons pas connaissance de clauses, dans les
contrats commerciaux, permettant au débiteur d’une somme en francs suisses de
l’acquitter, à son choix, dans une ou plusieurs cryptomonnaies. Une telle clause serait
incomplète si elle ne prévoyait pas une référence suffisamment précise pour établir le
cours de conversion entre la cryptomonnaie convenue (moyen de paiement) et le franc
(unité monétaire de la dette) au moment du paiement. Il n’existe bien sûr aucun « cours
officiel » du bitcoin, de l’ether ou du monero. Le cours de référence du bitcoin contre
le dollar US (BTC/USD) est, à l’heure de l’écriture de ces lignes, probablement celui
publié par CoinMarketCap129. Mais les auteurs de ces lignes ne connaissent pas à ce
jour une référence de marché largement reconnue pour fixer le cours de conversion des
principales cryptomonnaies pures contre le franc suisse.
(b) L’accord du créancier peut aussi s’exprimer par une déclaration anticipée au débiteur
qu’il acceptera un paiement en certaines cryptomonnaies. On se souviendra que Elon
Musk avait annoncé que Tesla accepterait le paiement en bitcoin des voitures vendues,
avant de se rétracter130. Le 4 septembre 2020, le canton de Zoug a annoncé accepter
désormais le paiement des impôts en bitcoin ou en ether à concurrence de CHF 100'000
au maximum131. En faisant une telle déclaration, le créancier accepte de recevoir une
prestation différente de celle qui lui est due. La chose n’est pas rare pour d’autres
formes de paiement132. En l’absence d’un accord explicite des parties sur cette question,
on présumera que la cryptomonnaie est reçue en vue de paiement (solvendi causa),
c’est-à-dire que sa valeur sera imputée sur la dette après conversion en francs. Mais il

129
CoinMarketCap.com est un site web agrégeant les données de plusieurs milliers de bureaux de change
et plateformes de négociation en ligne afin de déterminer le taux de change d’un grand nombre de
cryptomonnaies (dont le bitcoin) contre le dollar et contre les autres cryptomonnaies. Le taux
BTC/USD publié sur CoinMarketCap fait généralement office de référence dans la pratique. Ses
données font même office de référence à l’admission à la négociation de dérivés de cryptoactifs par la
SIX (SIX EXCHANGE REGULATION AG, Circulaire n° 3 – Pratique relative à la cotation d’instruments
dérivés, 07.12.2018, https://www.ser-ag.com/dam/downloads/regulation/listing/circulars/CIR3-fr.pdf,
N 27). CoinMarketCap ne fait toutefois pas l’unanimité, dans la mesure où sa fiabilité dépend en
dernière hypothèse de la fiabilité des données qu’elle agrège (« garbage in, garbage out »). Or, la
fiabilité des données publiées par les bureaux de change et plateforme de négociation, et reprises par
CoinMarketCap, a fortement été remise en question au cours des dernières années. Des institutions
telles que la Security and Exchange Commission (SEC) américaine rejettent par conséquent
l’utilisation de CoinMarketCap pour la valorisation des cryptomonnaies : on se référera pour plus de
détails aux nombreuses décisions négatives de la SEC relatives aux ETF de cryptoactifs, telles que, en
dernière date, SECURITY AND EXCHANGE COMMISSION, Release No. 34-87267 Bitwise Bitcoin ETF
Trust, 09.10.2019, https://www.sec.gov/rules/sro/nysearca/2019/34-87267.pdf.
130
« Elon Musk, plus que jamais le parrain des cryptos », Le Temps, 14.05.2021,
https://www.letemps.ch/economie/elon-musk-plus-jamais-parrain-cryptos.
131
https://www.zg.ch/behoerden/finanzdirektion/steuerverwaltung/zahlen-mit-kryptowaehrungen.
132
Cour de justice du canton de Genève, ACJC/130/2019, 25.01.2019 (remise d’un chèque en euros pour
le paiement d’une dette en francs).

100
Les cryptomonnaies et le paiement

reste préférable de clarifier d’avance la manière dont le paiement en cryptomonnaie


sera imputé sur la valeur en francs.
(c) Les clauses permettant un paiement alternatif en cryptomonnaie pourraient se
développer si un stablecoin en francs suisses venait à s’établir en pratique. Ce n’est
pas le cas actuellement, mais on ne peut pas exclure un développement dans ce sens.
(d) La situation serait radicalement différente si la Banque nationale venait à émettre des
jetons de paiement en francs suisses qui puissent être détenus par quiconque (comme
les billets de banque) ou, comme c’est plus probable, par un nombre limité de
personnes, principalement des entreprises du secteur financier (comme c’est le cas des
avoirs à vue auprès de la Banque nationale)133. Cette monnaie numérique de banque
centrale134 aurait pour ses titulaires les mêmes qualités que des billets de banque : elle
serait soustraite à tout risque de contrepartie et serait probablement dotée du cours légal
pour les personnes autorisées à les détenir. Son effet libératoire résulterait alors de la
loi, et non pas de l’accord des parties ou du consentement du créancier.

IV. Paiement d’une dette libellée en cryptomonnaie

Les cryptomonnaies sont le plus souvent utilisées pour acquitter des dettes libellées en
cryptomonnaie. C’est le cas lorsqu’un titulaire de bitcoins procède à une opération de
change, à un automate (ATM), auprès d’un bureau de change ou sur une plateforme de
négociation (exchange) : il s’engage par exemple à livrer une certaine somme de bitcoins
en échange d’une certaine somme de francs (ou d’une autre monnaie officielle) ou encore
d’une certaine somme d’une autre cryptomonnaie. C’est aussi le cas, lors d’une transaction
sur Internet, lorsque le prix d’un service ou d’un produit libellé en bitcoins est payé par un
transfert de bitcoins. C’est encore le cas lorsque l’auteur anonyme d’un rançongiciel
(ransomware) prétend avoir crypté les données d’un ordinateur et promet de les libérer
moyennant un paiement tout aussi anonyme d’une certaine somme en bitcoins.
Dans les limites de l’ordre juridique (art. 19 CO), la liberté contractuelle permet aux
parties de convenir librement de l’objet et de l’étendue d’une obligation. Une partie peut
s’engager à livrer un tableau, une certaine quantité de pétrole de telle qualité ou une
certaine somme de telle cryptomonnaie.

133
Ces avoirs à vue ne peuvent être détenus que par un nombre limité de titulaires d’un compte de virement
à la BNS, cf. Note sur l’accès au système SIC et aux comptes de virement du 2 septembre 2019
https://www.snb.ch/fr/mmr/reference/sicgiro_access/source/sicgiro_access.fr.pdf. Les titulaires de ces
comptes sont obligés d’accepter ces avoirs à vue en paiement sans limitation de la somme ce qui
confère à ces avoirs à vue un cours légal limité, cf. art. 2 lit.c et 3 al. 3 LUMMP.
134
Cf. supra I.E.

101
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

Unité de valeur inscrite dans un registre électronique distribué, une cryptomonnaie n’est
pas une chose mobilière135. Les cryptomonnaies ne sont donc pas des choses fongibles à
proprement parler et une dette en cryptomonnaie n’est pas tant une dette de genre (dette
de chose déterminée par son genre) qu’une dette de somme. Lorsque A doit à B 0.82 BTC
(ou ETH ou XMR…), elle est tenue de lui procurer une quantité précise (et généralement
fractionnaire) de bitcoins, ce qu’elle fait en causant une modification de la blockchain
Bitcoin (ou Ethereum ou un autre registre électronique distribué) par laquelle la quantité
transférée est soustraite du portemonnaie (wallet) de A et ajoutée au portemonnaie dont
l’adresse lui a été indiquée par B. Aucun transfert de cryptomonnaie n’est possible sans
que le créancier communique au débiteur l’adresse (publique) à laquelle des unités de
cryptomonnaie doivent être ajoutées.
Du point de vue juridique, une dette en cryptomonnaie pose notamment les questions
suivantes :
1. Quel est l’objet de la dette ?
2. Comment la dette peut-elle être acquittée ? La débitrice peut-elle se libérer
autrement que dans la cryptomonnaie convenue ? En particulier, peut-elle se
libérer en « monnaie légale » ?
3. Que se passe-t-il en cas de paiement partiel ?
4. Quels sont les effets du retard (demeure du débiteur) sur la dette et sur le rapport
d’obligations dans lequel elle s’inscrit ?
Lorsque la dette a un fondement contractuel, déterminer son objet et son étendue relève de
l’interprétation du contrat, et donc de la loi applicable au contrat (art. 116 à 122 LDIP).
Une dette de cryptomonnaie peut aussi résulter de l’enrichissement illégitime d’une partie
ou d’une gestion d’affaires sans mandat, dont le rattachement international suivra ses
propres règles (art. 128 LDIP136). On peut même imaginer qu’un dommage doive être
mesuré en cryptomonnaie, et donc une créance en cryptomonnaie fondée sur une
responsabilité extracontractuelle (art. 132 ss LDIP).
Pour des raisons de concision et de clarté, nous limiterons la suite de cette analyse à des
obligations contractuelles soumises au droit suisse, de sorte que c’est le droit suisse qui
fondera l’interprétation de l’accord des volontés et, notamment, la détermination de l’objet
et de l’étendue de la dette, ainsi que le sort du contrat ou le sort de certaines obligations en
toutes sortes de circonstances (retard dans l’exécution de l’une ou de l’autre partie,

135
Même si quelques auteurs vont dans ce sens, cf. supra II.D.
136
Le rattachement de la gestion d’affaires sans mandat est différent pour la gestion altruiste
(art. 419 ss CO : assimilation à un mandat) de la gestion dite égoïste de l’art. 424 CO (usurpation,
Geschäftsanmassung), dont le rattachement suit celui de l’acte illicite ou de l’enrichissement illégitime,
cf. CR LDIP–BONOMI, art. 112–149 NN 29 ss.

102
Les cryptomonnaies et le paiement

résiliation ou résolution du contrat, exécution défectueuse, bouleversement des


circonstances, etc.).

A. Objet de la dette

Comme on vient de le dire, établir la nature et l’étendue d’une obligation contractuelle


relève de l’interprétation du contrat. En droit suisse, la réelle et commune intention des
parties est déterminante (art. 18 al. 1 CO), à défaut de quoi il faut établir le sens objectif
des déclarations des parties interprétées selon le principe de la confiance (accord
normatif)137. Il nous semble qu’il faut distinguer trois types de clauses dont l’interprétation
peut être différente.

1. Dette libellée en cryptomonnaie pure


Dans notre première hypothèse, A doit à B 12 ethers ou 0.82145 BTC. Les ethers et les
bitcoins sont des cryptomonnaies pures138, dont la valeur n’est définie par référence à
aucune autre valeur. L’objet de la dette, la prestation due, est sans ambiguïté une certaine
quantité (somme) de la cryptomonnaie désignée.
Pour une dette libellée en cryptomonnaie pure, l’unité de compte (ether ou bitcoin)
détermine le moyen de paiement (jeton de paiement sur la blockchain ether ou bitcoin),
sauf accord contraire des parties. Celles-ci peuvent prévoir (même si c’est probablement
rare) un mode de paiement alternatif (obligation avec faculté alternative), par exemple par
une conversion dans une autre cryptomonnaie ou dans une monnaie officielle139. Une telle
clause régirait le paiement de la dette (moyen de paiement), et non l’objet de la dette (unité
de compte).

2. Dette libellée en stablecoin


A doit 10 XCHF (c’est-à-dire dix SwissCryptoCoins) ou 20 tethers. La dette porte ici sur
des stablecoins140, c’est-à-dire des cryptomonnaies dont la valeur est adossée d’une
manière ou d’une autre à une monnaie officielle (ici : CHF et USD respectivement) ou à

137
ATF 144 III 93 consid. 5.2.1
138
Cf. supra I.C.
139
A la différence des monnaies officielles, les cryptomonnaies ne font pas l’objet d’un marché des
changes dans la plupart des autres monnaies. Il est relativement facile d’établir à tout moment le cours
du bitcoin en dollars (BTC/USD) mais non son cours en francs suisses (BTC/CHF). Si les parties
entendent prévoir une faculté alternative de payer une dette de cryptomonnaie dans une autre monnaie
ou cryptomonnaie, il serait judicieux qu’elles prévoient la méthode pour déterminer le cours de
conversion.
140
Cf. supra I.D.

103
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

un autre actif. Comme on l’a relevé plus haut, la valeur des stablecoins présente
généralement des fluctuations relativement à la monnaie officielle qu’ils représentent141.
Cette situation est différente de la précédente, car un stablecoin a vocation à répliquer la
valeur d’un actif spécifique, le plus souvent une monnaie officielle. L’unité de compte
voulue par les parties est-elle la monnaie officielle ou le stablecoin ? Les parties ont-elles
voulu dire 10 Swiss Crypto Tokens, ou plutôt 10 francs suisses payables (exclusivement
ou alternativement) en Swiss Crypto Tokens ?
La question n’est pas sans importance dès lors que la valeur d’un stablecoin peut connaître
des fluctuations parfois importantes relativement à la monnaie à laquelle il est adossé.
Cette différence est due à la confiance limitée que les acheteurs et vendeurs du stablecoin
peuvent avoir quant à l’intégrité de sa couverture en monnaie officielle ou quant aux
assurances que le stablecoin pourra être échangé rapidement et au pair contre la monnaie
à laquelle il est adossé.
Une nouvelle fois, la réponse à cette question relève de l’interprétation de la volonté des
parties. Il est difficile d'en dire davantage puisqu’il n’existe pas pour le moment, en Suisse,
de stablecoin qui soit assez largement utilisé pour qu’on puisse rechercher une pratique
commerciale qui puisse nous guider.

3. Dette libellée en monnaie numérique de banque centrale


La troisième hypothèse est pour le moment purement théorique. Supposons que la Banque
nationale décide d’émettre une monnaie numérique de banque centrale142, que nous allons
appeler « e-francs » pour les besoins de cette hypothèse. Supposons que les e-francs soient
destinés à ne circuler qu’entre établissements financiers, à qui la BNS garantit la
conversion des e-francs en avoirs à vue en tout temps et au pair. Peut-être même les
e-francs sont-ils ajoutés à la liste de l’art. 2 LUMMP (moyens de paiement ayant cours

141
Par exemple, pour le tether, voir https://coinmarketcap.com/currencies/tether/.
142
Cf. supra I.E.

104
Les cryptomonnaies et le paiement

légal) et sont-ils mentionnés dans un nouvel alinéa de l’art. 3 LUMMP qui pourrait être
rédigé ainsi :
« Les e-francs doivent être acceptés en paiement, sans limitation de la
somme, par tout titulaire d’un compte à vue en francs à la Banque nationale
suisse. »143
Dans notre hypothèse, les e-francs ne sont pas une nouvelle unité monétaire144, mais un
nouveau moyen de paiement légal145 pour les dettes en francs suisses.
Comment faut-il interpréter la phrase « A SA doit 100'000 e-francs à B SA » ?
Cela revient à répondre à la question : les parties ont-elles adopté le e-franc comme unité
de compte ou simplement comme moyen de paiement ?
Si l’on adopte une approche fondée sur la théorie monétaire, les e-francs (comme les billets
émis par la BNS) ne sont qu’une représentation du franc suisse. La valeur de
100’000 e-francs devrait, en principe, être toujours identique à la valeur de 1’000 billets
de 100 francs, puisque le cours légal permet au débiteur de se libérer avec l’un ou l’autre
moyen de paiement. Ceci est vrai en principe, mais pourrait n’être pas vérifié à tout
moment. Par exemple, le risque de vol peut rendre les billets de banque en grande quantité
moins attrayants que les jetons de monnaie numérique de banque centrale. Ou inversement
le risque de hacking peut rendre ces derniers moins désirables que les premiers.
Ainsi, l’unité de compte entre les parties n’est pas forcément le franc comme unité
monétaire, mais une certaine quantité d’un moyen de paiement particulier (e-francs) de
préférence aux autres moyens de paiement (billets, pièces, virement sur compte bancaire,
etc.).
Ici encore, savoir ce que les parties ont voulu est affaire d’interprétation de leur accord.
Une réponse générale n’est pas possible. Au-delà du texte choisi par les parties (« doit
100'000 e-francs »), dont on sait qu’il n’est pas déterminant (art. 18 al. 1 CO146), l’absence
de toute expérience nationale en matière de monnaie numérique de banque centrale
empêche de fournir des points d’accrochage significatifs.

4. Synthèse
Comme on le voit, la notion de dette libellée en cryptomonnaie n’est pas dépourvue
d’ambiguïté. Cette ambiguïté existe pour deux raisons : les rattachements entre

143
Cette formulation est directement inspirée de l’art. 3 al. 3 LUMMP, qui vise l’obligation d’accepter les
avoirs à vue en francs auprès de la BNS.
144
Cf. supra II.A.
145
Cf. supra II.B.
146
« … il y a lieu de rechercher la réelle et commune intention des parties, sans s’arrêter aux expressions
ou dénominations inexactes dont elles ont pu se servir. »

105
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

cryptomonnaies et monnaies officielles varient beaucoup suivant la cryptomonnaie que


l’on examine (cryptomonnaie pure, stablecoin ou monnaie numérique de banque
centrale) ; la volonté contractuelle des parties s’exprime souvent de manière imprécise.
Dans les sections qui suivent, nous allons supposer que l’obligation a effectivement pour
objet une cryptomonnaie déterminée. La prestation due est une certaine quantité (ou
somme) d’unités (jetons) d’une cryptomonnaie déterminée. Nous allons maintenant nous
interroger sur la manière dont cette dette peut être payée avec effet libératoire et, à cette
occasion, allons constater qu’une telle obligation n’est pas une « dette d’argent » au sens
traditionnel du terme.
Par souci de clarté, nous parlerons désormais d’une dette de cryptomonnaie pour parler
d’une obligation qui porte sur une certaine quantité d’une cryptomonnaie particulière. La
cryptomonnaie en question n’est pas seulement une unité de compte ou une valeur de
référence, mais l’objet même de la prestation due par le débiteur. Cette notion de dette de
cryptomonnaie s’applique aussi bien à une cryptomonnaie pure qu’à un stablecoin. Une
dette libellée dans une monnaie numérique de banque centrale, laquelle serait un moyen
de paiement doté du cours légal par son État d’émission, appellerait en partie des réponses
différentes du fait.

B. Paiement d’une dette de cryptomonnaie

Le paiement d’une dette de cryptomonnaie est l’exécution (volontaire ou forcée) d’une


obligation ayant pour objet une certaine quantité d’un actif intangible qui est la
cryptomonnaie. Il n’y a en soi pas de différence fondamentale entre l’obligation de
remettre 1 action nominative Nestlé et 1 bitcoin. Les parties ont déterminé la prestation
due ; la manière de l’exécuter va différer suivant la nature de la prestation147. Comme les
cryptomonnaies existent sous la forme d’enregistrements dans un registre électronique
distribué, exécuter cette obligation consiste, pour le débiteur, à faire en sorte que le
créancier reçoive, sur l’adresse qui lui a été indiquée148, la quantité convenue de cette
cryptomonnaie.

147
Rappelons que des actions peuvent exister sous la forme d’un papier-valeur, d’un titre intermédié, d’un
droit-valeur, voire désormais d’un droit-valeur inscrit, cf. art. 622, 973c et 973d CO. Les méthodes de
transfert de ces quatre formes d’actions sont différentes. Une cryptomonnaie est un cryptoactif qui
n’est pas régi par le droit suisse (sauf en ce qui concerne sa distraction dans la faillite d’un dépositaire,
cf. supra I.B), sauf pour les stablecoins qui représentent une créance contre leur émetteur, lesquels sont
des droits-valeurs inscrits au sens de l’art. 973d CO.
148
Le créancier qui tarde à indiquer au débiteur l’adresse de son wallet est susceptible de se trouver en
demeure de créancier (art. 91 ss CO).

106
Les cryptomonnaies et le paiement

Le débiteur peut-il payer en francs suisses plutôt que dans la cryptomonnaie convenue ?
On pourrait se demander si l’art. 84 CO s’applique, qui dispose :
D. Du paiement
I. Monnaie du pays
Art. 84

1 Le paiement d’une dette qui a pour objet une somme d’argent se fait en moyens de
paiement ayant cours légal dans la monnaie due.

2 Si la dette est exprimée dans une monnaie qui n’est pas la monnaie du pays du lieu
de paiement, elle peut être acquittée en monnaie du pays au cours du jour de
l’échéance, à moins que l’exécution littérale du contrat n’ait été stipulée par les
mots «valeur effective» ou par quelqu’autre complément analogue.

Quoi que le législateur ait entendu par « dette qui a pour objet une somme d’argent »,
l’art. 84 al. 1 CO est inapplicable. En effet, à l’exception des monnaies numériques de
banques centrales qui n’existent pas encore149, les cryptomonnaies sont des monnaies
privées. Elles ne sont nulle part des « moyens de paiement ayant cours légal »150. Le cours
légal, c’est-à-dire la faculté pour le débiteur d’imposer au créancier d’accepter en paiement
certains moyens de paiement prévus par la loi, est une propriété des monnaies étatiques.
Faut-il appliquer l’art. 84 al. 2 CO au paiement d’une dette exprimée en cryptomonnaie ?
La question paraît controversée151. La réponse paraît devoir être négative pour plusieurs
raisons.
- La « dette » visée à l’al. 2 est la « dette d’argent » qui fait l’objet de l’al. 1. Comme
on vient de le voir, l’al. 1 définit implicitement les dettes d’argent comme des dettes
libellées dans une monnaie pour laquelle existent des moyens de paiement ayant cours
légal, ce qui n’est pas le cas des cryptomonnaies pures ni des stablecoins. La réponse
serait différente pour une monnaie numérique de banque centrale dont l’État
d’émission aurait statué le cours légal mais, à l’heure où nous achevons cet article, la
situation ne semble exister que dans certaines villes en République populaire de Chine
et aux Bahamas152.
- L’al. 2 s’applique à une « monnaie qui n’est pas la monnaie du pays du lieu de
paiement ». Cette formulation est récente : elle a été modifiée avec l’entrée en
vigueur, le 1er mai 2000, de la loi sur l’unité monétaire et les moyens de paiement.

149
Cf. supra I.E.
150
Cf. supra II.B.
151
Opposés à une application de l’art. 84 al. 2CO par analogie, cf. BÄRTSCHI/MEISSER 2015, p. 146 ;
BÄRTSCHI/JACQUEMART/MEYER 2018, p. 208 ; ENZ 2021, p. 587 ss. En faveur d’une application de
l’art. 84 al. 2 CO par analogie pour le bitcoin, cf. PILLET 2017, p. 1430. En faveur d’une application
de l’art. 84 al. 2 CO par analogie pour les stablecoins, cf. BÄRTSCHI/JACQUEMART/MEYER 2018,
p. 209.
152
Cf. supra I.E.

107
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

Les monnaies privées existaient depuis longtemps (en Suisse, par exemple, le système
WIR), pas encore les cryptomonnaies. En écrivant « monnaie », et en réglant une
question relevant des moyens de paiement et du cours légal, le législateur avait
clairement en vue les monnaies officielles153.
- L’al. 2 est une règle supplétive : sauf si les parties en sont convenues autrement (par
exemple par une clause de valeur effective), le débiteur d’une dette en une autre
monnaie que celle ayant cours légal au lieu de paiement est autorisé à se libérer en
cette monnaie (la « monnaie du pays », Landesmünze). Cette règle supplétive ne
correspond probablement pas à la volonté des parties qui stipulent un paiement en
bitcoins, en ethers ou en une autre cryptomonnaie. À défaut d’intention contraire
reconnaissable, on doit présumer que les parties qui ont contracté une dette en une
cryptomonnaie spécifique veulent que le paiement se fasse en cette unité et sur la
blockchain sur laquelle cette cryptomonnaie circule. En d’autres termes, l’art. 84
al. 2 CO a été conçu à un moment où les cryptomonnaies n’existaient pas ; la règle
supplétive qu’il énonce est contraire à l’intention présumable des parties à une
transaction libellée en cryptomonnaie.
Ainsi, la question de savoir en quelles espèces une dette en cryptomonnaie doit être payée
relève de l’interprétation de la volonté des parties qui l’ont stipulée. Le choix d’une
cryptomonnaie ou d’un stablecoin est autant le choix d’une unité de compte que d’un
moyen de paiement entre les parties.
La réponse n’est différente que si, en raison de la demeure du débiteur (voire du créancier,
cf. art. 95 et 96 CO) la prestation due en cryptomonnaie venait à être remplacée par des
dommages-intérêts, avec ou sans résolution du contrat. On y revient plus loin154.
Lorsqu’une dette de cryptomonnaie s’inscrit dans un rapport juridique présentant un
caractère d’internationalité, l’objet de la prestation et la libération du débiteur sont régis
par la loi applicable au rapport juridique155, désignée par les règles de droit international
privé du for. Le rattachement spécial au « droit de l’État dans lequel le paiement doit être
effectué [qui] détermine dans quelle monnaie ce paiement doit être fait » (art. 147
al. 3 LDIP) ne vise que les dettes libellées dans une monnaie émise par un État, ainsi qu’il
résulte de l’art. 147 al. 1 LDIP156, et donc pas les dettes ayant pour objet une
cryptomonnaie pure ou un stablecoin.

153
FF 1999 6536, p. 6546 et 6563.
154
Cf. infra IV.D.
155
Le rattachement spécial au lieu de l’exécution selon l’art. 125 LDIP ne vise que des modalités
d’exécution dépendant des conditions locales, cf. CR LDIP-BONOMI, art. 125 LDIP N 1 ; BSK IPRG-
GABRIEL, Art. 125 N 10.
156
« La monnaie est définie par le droit de l’État d’émission. » Cf. ég. BÄRTSCHI/JACQUEMART/MEYER
2018, p. 184 ss.

108
Les cryptomonnaies et le paiement

C. Moment du paiement

Une question classique relative à l’exécution d’une obligation est celle du moment où le
débiteur est libéré. Dans un paiement en billets et pièces de monnaie, c’est le moment du
transfert de la possession et de la propriété de ces espèces au créancier ou à son
représentant autorisé. Dans les virements, c’est celui où la banque du créancier a reçu
l'instruction de paiement et la disponibilité des fonds, indépendamment de celui où ceux-
ci sont crédités au compte du créancier157. Qu’en est-il pour les cryptomonnaies?
Ce moment est en réalité difficile à établir. La fiabilité des enregistrements dans une
blockchain repose sur un principe de consensus : chaque transaction est vérifiée par de
nombreux participants158 afin qu’elle puisse être considérée comme définitive. La plupart
des blockchains actuelles servant de base à des cryptoactifs fonctionnent sur le mécanisme
de la proof-of-work (ou « preuve de travail »)159. Sans entrer dans les détails160, chaque
transaction est relativement instable pendant un certain temps après son envoi, dans la
mesure où le bloc de transactions au sein duquel elle est intégrée peut se voir « annuler »
ou « remplacer » par un autre bloc de transactions qui ne la comprend pas. La probabilité
qu’un tel phénomène se produise est relativement importante au cours des premières
minutes qui suivent l’envoi d’une transaction, mais se réduit fortement à mesure que le
temps s’écoule161. Pour cette raison, il est d’usage de spécifier une durée – exprimée en
« confirmations » ou en « blocs » – au-delà de laquelle un certain paiement est considéré
comme définitif par les parties : le nombre de blocs (ou de confirmations) est choisi en
fonction des caractéristiques du cryptoactif utilisé, de sorte que la probabilité que le
paiement soit « annulé » après l’écoulement de la durée spécifiée confine à l’impossible.
Ce nonobstant, il demeure toujours une possibilité théorique – mais infime – qu’un certain
paiement soit annulé par la suite162. A titre d’illustration, il est généralement d’usage de
considérer que 6 confirmations sont requises pour considérer qu’un paiement en Bitcoin
est final, soit environ 1 heure à compter de l’envoi de la transaction, durée après laquelle
la possibilité qu’une transaction soit annulée est estimée à 0,1%163.

157
ATF 124 III 145, JdT 2000 I 220.
158
En premier lieu les mineurs (miners) (voir NARAYANAN et al., p. 27 ss et 104 ss).
159
Certains cryptoactifs fonctionnent sur la base d’un mécanisme alternatif, celui de la proof-of-stake (ou
« preuve d’enjeu ») (voir NARAYANAN et al., p. 206 ss). La généralisation de ce mécanisme est
susceptible de remettre en question les développements qui suivent.
160
Voir pour ceci, NARAYANAN et al., p. 32 ss.
161
Cf. BÄRTSCHI/JACQUEMART/MEYER 2018, p. 212 ss.
162
Pour une présentation de cette problématique par les prestataires Coinbase et Binance, voir Coinbase,
Why is my transaction « pending » ?, https://help.coinbase.com/en/coinbase/trading-and-
funding/sending-or-receiving-cryptocurrency/why-is-my-transaction-pending et Binance Academy,
Confirmation time, https://academy.binance.com/en/glossary/confirmation-time. Concernant
l’annulation délibérée de certaines transactions, voir également le « hard fork » effectué par Ethereum
en 2016 en lien avec « The DAO » (voir DUPONT 2017).
163
Voir, pour l’origine de cette pratique, l’article de ROSENFELD 2014, p. 10.

109
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

Face au caractère graduel et incertain de l’irréversibilité du transfert de cryptomonnaies, il


serait en soi judicieux que les parties qui prévoient un tel transfert clarifient
contractuellement le moment où celui-ci sera réputé achevé et le débiteur libéré. Mais il
s’agit là d’une question liée à des aspects techniques qui varient d’une blockchain à
l’autre : il est donc opportun pour les parties (et leurs conseils) de clarifier les aspects
techniques pertinents.

D. Demeure du débiteur

Si le rapport d’obligation qui fonde la dette en cryptomonnaie est soumis au droit suisse,
le retard dans son exécution relève des règles sur la demeure du débiteur (art. 102 ss CO).
Ces règles s’appliquent à l’exécution tardive de toute obligation, quelle qu’en soit la nature
ou la cause, pour autant que cette exécution reste objectivement possible (cf.
art. 119 CO)164.
Le système du droit privé, et notamment la poursuite pour dettes et la faillite, reposent sur
le principe légal que l’exécution d’une dette d’argent n’est jamais impossible165. On ne
peut pas dire la même chose d’une dette en cryptomonnaie : son exécution pourrait devenir
impossible si, par exemple, la blockchain ou le registre électronique distribué où elle est
inscrite cessait de fonctionner, pour des raisons technologiques, des raisons commerciales,
voire en raison d’une mesure étatique.
Hors de telles hypothèses, l’exécution d’une dette en cryptomonnaie est objectivement
possible. Le fait que le débiteur n’en ait pas à sa disposition, voire qu’il ne soit pas équipé
technologiquement pour en détenir, ne change rien à cette qualification juridique.
Conformément à l’art. 102 CO, le débiteur d’une dette (exigible) en cryptomonnaie tombe
en demeure à la date de paiement stipulée par les parties (terme contractuel) ou, à défaut
d’un tel terme, par une simple interpellation adressée au débiteur par le créancier. Lorsque
le débiteur n’a exécuté qu’une partie de sa dette, il tombe en demeure pour le solde.
Les règles sur la demeure du débiteur (art. 102 à 109 CO) sont parmi les plus complexes
de la partie générale du Code des obligations. Dans le contexte de cet exposé, nous nous
limiterons à en examiner les trois principaux effets pour le créancier : le droit à un intérêt
moratoire, dont on verra qu’il ne s’applique pas aux dettes en cryptomonnaie (1.),
l’obligation du débiteur fautif d’indemniser le dommage qu’il cause au créancier (2.) et la
possibilité pour le créancier de renoncer au paiement en cryptomonnaie pour réclamer des
dommages-intérêts (3.).

164
Sur la distinction controversée entre impossibilité objective et demeure, cf. CR CO I-THEVENOZ,
art. 97 N 8 ss.
165
CR CO I-THÉVENOZ, art. 97 N 17 et références.

110
Les cryptomonnaies et le paiement

1. Pas d’intérêt moratoire selon l’art. 104 CO


Même sans sa faute, « le débiteur qui est en demeure pour le paiement d’une somme
d’argent doit l’intérêt moratoire à 5% l’an » (art. 104 al. 1CO) ou à un taux supérieur
(art. 104 al. 2 et 3 CO). Le débiteur d’une dette en cryptomonnaie doit-il l’intérêt
moratoire, indépendamment de sa faute ? Le débiteur de cryptomonnaie est-il le débiteur
d’une somme d’argent au sens de cette disposition ?
Il convient de répondre par la négative à cette question, tout en réservant quelques
hypothèses particulières166.
L’obligation légale de payer un intérêt moratoire repose sur le postulat législatif que le
créancier d’une somme d’argent qui ne la reçoit pas peut se trouver en difficulté financière.
Il doit lui-même faire face à des échéances et devra peut-être emprunter pour éviter de se
trouver en demeure à l’égard de ses propres créanciers. Même si ce n’est pas le cas, il est
privé d’une somme d’argent qu’il aurait pu placer avec une certaine rémunération167 tandis
que son débiteur est potentiellement enrichi de cette somme, dont il peut encore disposer
avec profit ou qu’il se dispense d’emprunter. Comme l’argent est une forme de contre-
prestation universelle et qu’il existe un marché des crédits pour faire face à sa pénurie, le
législateur a forfaitisé l’indemnisation du créancier en fixant un taux légal à 5%. L’art. 104
al. 2 CO réserve un taux plus élevé éventuellement convenu entre les parties, tandis que
son al. 3 permet, entre commerçants, d’exiger le taux de l’escompte, un marché qui en
réalité a presque entièrement disparu.
Il est constant que l’intérêt moratoire s’applique aussi aux dettes libellées en une autre
monnaie officielle que le franc suisse. Dans ces monnaies, le retard de paiement entraîne
les mêmes conséquences, et un marché des crédits à court terme existe également.
Il existe certes aussi un marché pour un grand nombre de cryptomonnaies privées, que l’on
peut acheter ou vendre notamment sur des plateformes d’échange. Pour quelques-unes des
principales cryptomonnaies, il existe aussi un marché de crédits ou de dérivés. On notera
que c’est aussi le cas des matières premières. L’existence de ces marchés et des
fluctuations de cours qui leur sont associées, permettent de quantifier la perte éprouvée par
un créancier qui ne reçoit pas la prestation à temps, comme on le verra dans la section
suivante. Mais elle ne justifie pas d’assimiler une dette de cryptomonnaie à une dette
d’argent au sens de l’art. 104 CO. Argent et monnaie (au sens de monnaie émise par un
État dans l’exercice de sa souveraineté, cf. art. 147 al. 1 LDIP) sont ici des synonymes. Le

166
BK-WEBER/EMMENEGGER, Art. 104 OR N 55a ; GOBAT 2016, p. 110. Contra PILLET 2017, p. 1431.
Cf. ég. BÄRTSCHI/JACQUEMART/MEYER 2018, p. 222 qui considèrent que l’application par analogie
de l’art. 104 CO est justifiée pour les stablecoins.

111
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

régime particulier des dettes d’argent, en droit privé comme dans l’exécution forcée168, est
justifié par la nature très particulière de ces dettes qui les distingue de toute autre
obligation.
Conformément au principe de la liberté contractuelle, l’intérêt moratoire sur une dette de
cryptomonnaie, qui n’est pas dû en vertu de l’art. 104 CO, peut être stipulé par les parties
dans leur contrat. L’avantage d’une telle clause est de forfaitiser l’indemnisation due au
créancier et de le dispenser de prouver le dommage que lui cause l’exécution tardive,
indemnisation que nous allons maintenant examiner brièvement.

2. Indemnisation du dommage de retard


Si le débiteur en demeure d’exécuter une dette de cryptomonnaie ne doit pas un intérêt
moratoire sur la base de l’art. 104 CO, il répond néanmoins du dommage causé par le
retard (art. 103 CO) dans deux hypothèses :
a) il ne peut pas apporter la preuve libératoire qu’il se trouve en demeure sans sa faute, une
preuve libératoire qu’il est généralement très difficile d’apporter169 ; ou
b) il répond du fait d’un auxiliaire au sens de l’art. 101 CO.
Au regard de l’art. 103 CO, la responsabilité pour un paiement tardif en cryptomonnaie
n’est pas différente de l’exécution tardive de toute autre prestation. Une question délicate
peut être l’évaluation du dommage. Les dommages-intérêts sont par définition une somme
d’argent destinée à compenser le dommage subi par le créancier. En principe, il faut
évaluer le dommage et fixer l’indemnité dans l’unité monétaire (franc suisse ou monnaie
étrangère) la plus appropriée en tenant compte de toutes les circonstances du cas d’espèce.
L’art. 43 al. 1 CO (qui s’applique aussi à la responsabilité contractuelle par renvoi de
l’art. 99 al. 3 CO) charge le tribunal de déterminer « le mode ainsi que l’étendue de la
réparation » d’après (notamment) « les circonstances ». On pourrait donc imaginer une
réparation du dommage causé par l’exécution tardive par une condamnation à fournir une
certaine quantité de cryptomonnaies. En raison des difficultés de l’exécution forcée d’une
obligation de livrer des cryptomonnaies170, cette hypothèse paraît théorique.

168
L’exécution forcée des dettes d’argent est exclusivement régie par la loi sur la poursuite pour dettes et
la faillite ; celle de toutes les autres dettes ressortit au code de procédure civile, cf. infra IV.E.
169
CR CO I-THÉVENOZ, art. 103 N 11.
170
Cf. infra IV.E.

112
Les cryptomonnaies et le paiement

3. Transformation de la dette de cryptomonnaie en une somme


d’argent
En cas d’inexécution de la dette de cryptomonnaie, le créancier aura généralement intérêt
à ce que cette dette soit remplacée par une dette d’argent libellée en francs suisses ou dans
une monnaie étrangère lui permettant de poursuivre son créancier et de se faire
désintéresser selon les règles de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite. C’est
précisément ce qui résulte d’une transformation en dommages-intérêts, c’est-à-dire en une
indemnité destinée à compenser le dommage subi par le créancier.
Cette transformation intervient ispo iure aussitôt que l’exécution de la dette de
cryptomonnaie devient définitivement impossible au sens de l’art. 97 al. 1 CO. Encore
faut-il que le débiteur n’ait pas commis de faute personnelle et ne réponde pas du fait d’un
auxiliaire au sens de l’art. 101 CO. Les hypothèses relevant de l’art. 97 (ou 101) CO ne
semblent pas être légion. L’impécuniosité du débiteur qui n’aurait plus les moyens
d’acheter la quantité de cryptomonnaies due à son créancier ne relève pas de
l’impossibilité objective. La disparition définitive de la cryptomonnaie concernée serait le
plus souvent un cas d’impossibilité non imputable au débiteur, qui entraîne l’extinction de
sa dette sans indemnisation du créancier (art. 119 al. 1 CO).
Le plus souvent, le créancier pourra se prévaloir des règles sur la demeure du débiteur
pour transformer sa créance de cryptomonnaie inexécutée en dommages-intérêts. Sans
faire ici l’exposé de règles compliquées et pas entièrement satisfaisantes, on rappellera que
lorsqu’un débiteur tarde à fournir une prestation quelconque, le créancier peut lui fixer un
délai de grâce à l’issue duquel il peut, s’il le souhaite :
a) renoncer à la prestation inexécutée et exiger des dommages-intérêts (dits positifs,
Erfüllungsinteresse, performance interest) représentant la valeur que cette prestation
aurait eue dans le patrimoine du créancier ; dans cette hypothèse, le créancier reste
tenu de fournir ses propres prestations, à moins qu’il ne puisse en imputer la valeur sur
les dommages-intérêts ;
b) résoudre le contrat, ce qui libère les parties des obligations convenues, les oblige à
restituer les prestations déjà reçues et permet au créancier d’obtenir l’indemnisation de
son intérêt négatif (negatives Interesse, reliance interest)171.
Comme on l’a déjà relevé plus haut, les dommages-intérêts ne sont dus que si l’inexécution
est imputable à la faute personnelle du débiteur ou au fait de son auxiliaire (art. 101 CO).

171
La résolution permet aussi au créancier d’exiger l’indemnisation de son intérêt dit négatif (reliance
interest, Vertrauensinteresse), qui se mesure par référence à l’hypothèse où il n’aurait jamais engagé
aucune démarche pour la conclusion et l’exécution du contrat.

113
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

Le principal avantage d’une indemnisation pour le créancier tient au fait que celle-ci se
fait en principe sous la forme de dommages-intérêts, soit une somme d’argent libellée en
francs suisses ou, éventuellement, dans une autre monnaie officielle qui permette mieux
de compenser le dommage subi par le créancier. Il y a donc une conversion de la dette de
cryptomonnaie en une dette d’argent. Le droit suisse prévoit que le dommage est calculé
au moment où le créancier renonce à l’exécution en nature ou résout le contrat. Ces
déclarations du créancier sont des actes juridiques qui prennent effet au moment où elles
sont reçues par le débiteur (et non au moment où elles sont émises par le créancier). La
preuve du moment exact peut procurer quelques difficultés ; elle sera probablement plus
facile lorsque ces déclarations sont faites par des moyens électroniques plutôt que par des
courriers postaux.
Ce moment est celui où il faudra établir et prouver le cours de la cryptomonnaie due contre
le franc suisse ou toute autre monnaie dans laquelle le dommage doit être évalué. En raison
des fluctuations importantes et rapides de nombreuses cryptomonnaies, on comprend
l’importance (en date et en heure) du moment déterminant.
Une ultime possibilité (au sens chronologique) de convertir une dette de cryptomonnaie
en dette d’argent existe devant le tribunal de l’exécution si le créancier a obtenu un
jugement à l’encontre de son créditeur. On y revient brièvement plus loin172.

E. Action en paiement et exécution forcée d’une dette en


cryptomonnaie

Le créancier qui réclame en vain le paiement d’une dette en cryptomonnaie peut s’adresser
aux tribunaux pour obtenir une condamnation du débiteur et requérir des mesures
d’exécution. Nous avons montré plus haut qu’une dette en cryptomonnaie n’est pas une
dette ayant pour objet une somme d’argent ; l’exécution forcée ne relève donc pas de la
LP (art. 38 LP)173, mais du CPC.

1. For
La dette en cryptomonnaie est en principe d’origine contractuelle. Ce sont alors les
art. 31 ss CPC, les art. 112 ss LDIP et l’art. 5 par. 1 CL qui désignent les tribunaux
compétents à raison du lieu.

172
Cf. infra IV.E.
173
BÄRTSCHI/JACQUEMART/MEYER 2018, p. 234 (qui considèrent que les stablecoins font exception et
sont soumis à la LP) ; GOBAT 2016, p. 1099. Contra ENZ 2021, p. 593. Sur les cryptomonnaies comme
objet de l’exécution forcée, cf. ZOGG 2020.

114
Les cryptomonnaies et le paiement

L’art. 31 CPC prévoit deux fors alternatifs : tribunal du domicile ou du siège du


défendeur ou celui du lieu de la prestation caractéristique. En matière internationale, les
art. 112 et 113 LDIP et les art. 2 et 5 par. 1 CL prévoient le même régime174.
En règle générale, le paiement n’est pas la prestation caractéristique du contrat. Ainsi, pour
les contrats de vente, d’entreprise ou de mandat, le fait que le paiement soit dû en
cryptomonnaie n’a pas d’influence sur le for.
En revanche, s’il s’agit d’un contrat de prêt ou d’une opération de change, la prestation
caractéristique peut être considérée comme le transfert des cryptomonnaies. Dans ces
situations, il convient de déterminer le lieu de l’exécution selon le contrat et, à défaut, si
le droit suisse est applicable à la dette, selon l’art. 74 al. 2 ch. 3 CO175, à savoir au lieu où
le débiteur était domicilié lorsque son obligation a pris naissance.
Ainsi, le créancier pourra choisir d’introduire son action en condamnation soit au domicile
actuel de son débiteur, soit au domicile de son débiteur lors de la naissance de l’obligation
(si ce domicile a changé).
Des règles spéciales, qui ne seront pas développées ici, s’appliquent s’il s’agit de contrats
conclus avec des consommateurs (art. 32 CPC ; art. 114 LDIP ; art. 15 CL).

2. Conclusions et exécution forcée


Selon l’art. 58 al. 1 CPC, le tribunal ne peut accorder à une partie ni plus ni autre chose
que ce qui est demandé, ni moins que ce qui est reconnu par la partie adverse (principe ne
ultra petita).
Le demandeur qui désire recevoir un paiement en cryptomonnaie doit prendre une
conclusion en condamnation (art. 84 CPC). Il doit requérir du tribunal qu’il ordonne au
défendeur de transférer les cryptomonnaies dues. Si le demandeur prend, à tort, des
conclusions en paiement dans une monnaie (suisse ou étrangère), le tribunal devra le
débouter176. En effet, conformément au principe ne ultra petita (consacré à l’art. 58
al. 1 CPC), le tribunal ne peut accorder à une partie ni plus ni autre chose que ce qui est
demandé177.
L’art. 56 CPC adoucit néanmoins la maxime des débats et ses conséquences rigoureuses178.
Ainsi, en cas de conclusions indiscutablement « peu claires » aux termes de l’art. 56 CPC,

174
CR LDIP-BONOMI, art. 113 LDIP N 1 ; CR CL-BONOMI, art. 5 CL N 7.
175
CR CPC-HALDY, art. 31 N 6.
176
PILLER 2017, p. 1434 ; ENZ 2021, p. 593.
177
Par exemple, le tribunal ne peut pas accorder une prestation monétaire due dans une monnaie étrangère
lorsque la conclusion du demandeur porte, à tort, sur une prestation en francs suisses (cf. ATF 134 III
151 consid. 2.4 et 2.5. Plus récemment, cf. 4A_251/2021 consid. 2.1 ; 4A_200/2019 consid. 4).
178
CR CPC-HALDY, art. 56 N 1.

115
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

le tribunal doit interpeller les parties afin de leur donner l’occasion de les clarifier et de les
compléter. Ainsi, si une même conclusion devait mentionner tant un transfert de
cryptomonnaies qu’un paiement dans une monnaie (suisse ou étrangère), le tribunal
pourrait devoir interpeller le demandeur afin qu’il précise sa conclusion179.
Afin de s’assurer de la bonne exécution du paiement, le demandeur peut déjà assortir sa
demande devant le juge du fond de conclusions en vue de l’exécution directe
(art. 337 CPC). En pratique, il conclura à l’exécution sous la menace de la peine d’amende
prévue par l’art. 292 CP (art. 343 al. 1 let. a CPC).
La question est débattue en doctrine de savoir si le demandeur peut aussi, dans sa demande
au fond, conclure à « la conversion de la prestation due en une prestation en argent » au
sens de l’art. 345 al. 1 let. b CPC180. En pratique, une telle conclusion peut s’avérer utile.
Ainsi, si le débiteur ne s’exécute pas, le créancier ne dispose plus d’une action en exécution
(in casu un paiement en cryptomonnaie), mais bien d’une créance en francs, ouvrant la
voie à la poursuite pour dettes et faillite (art. 38 LP)181.
Afin d’obtenir un paiement en cryptomonnaie, le demandeur devrait prendre les
conclusions suivantes182 :
1. Ordonner à [défendeur] de transférer [montant de la cryptomonnaie] à l’adresse
[suite de caractères alphanumériques] sous la menace de la peine d’amende prévue
par l’art. 292 CP qui réprime l’insoumission à une décision de l’autorité.
2. Dire que faute d’exécution dans les dix jours dès l’entrée en force du jugement,
[défendeur] sera condamné, sur requête de [demandeur], à une amende d’ordre de
CHF [XXX (maximum 1'000)] pour chaque jour d’inexécution.
3. Ordonner à [défendeur], faute d’exécution du chiffre 1 dans les trente jours dès
l’entrée en force du jugement, de verser CHF XXX à [demandeur] en lieu et à la
place du transfert de [montant de la cryptomonnaie], avec intérêts à 5% l’an dès le
trentième jour après l’entrée en force du jugement.
4. Sous suite de frais et dépens.

179
Cf. 4A_265/2017 du 13 février 2018 dans lequel le demandeur avait conclu au paiement de
« 158'500 euros, soit CHF 195'333.80 ». Le tribunal avait alors, à juste titre, interpellé le demandeur
afin qu’il précise sa conclusion (consid. 6).
180
Le Message du Conseil fédéral relatif au CPC mentionne expressément cette possibilité (FF 2006
6993). A notre connaissance, le Tribunal fédéral n’a pas tranché cette question, même s’il s’est retrouvé
face à de telles conclusions (4A_659/2017, consid. 5.3.2). Cf. ég. PC CPC-PIOTET, art. 345 N 22 ;
Kommentar DIKE ZPO-ROHNER/LERCH, Art. 345 N 5.
181
BÄRTSCHI/MEISSER 2015, p. 154 ; BÄRTSCHI/JACQUEMART/MEYER, 2018, p. 235 ; PILLER 2017,
p. 1434 s ; ENZ 2021, p. 594 ; GOBAT 2016, p. 1099 s.
182
Bien que BOHNET ne mentionne logiquement pas de telles conclusions dans son livre, celles ci-dessus
sont inspirées par les conclusions en exécution d’une obligation (BOHNET 2019, § 4 N 27 ss).

116
Les cryptomonnaies et le paiement

Conclusion

La notion de cryptomonnaie recouvre actuellement trois réalités économiques et juridiques


distinctes : les cryptomonnaies pures – dont le bitcoin est la plus connue (mais pas la plus
utilisée) parmi plusieurs milliers d’autres – qui constituent leur propre unité de valeur ; les
stablecoins, dont la valeur est censée refléter en tout temps la valeur d’une monnaie
officielle désignée ou éventuellement d’un autre actif ; et les monnaies numériques de
banque centrale, qu’elles reposent ou non sur la technologie des registres électroniques
distribués, qui, lorsqu’elles seront émises, constitueront probablement un de nouveaux
moyens de paiement légaux au même titre qu’un billet de banque dans la monnaie
concernée.
Parce que les futures monnaies numériques de banque centrale se rattacheront à une
monnaie émise par un État ou une union monétaire, elles relèveront d’un raisonnement
distinct de celui applicable aux cryptomonnaies pures et aux stablecoins.
Les parties à un contrat sont libres aujourd’hui déjà de convenir de prestations à effectuer
dans une cryptomonnaie pure ou dans un stablecoin déterminé. Il s’agit là de moyens de
paiement privés. En l’état actuel du droit, de telles dettes ne sont pas des « dettes d’argent »
au sens de la législation suisse. Le retard de « paiement » constitue certes une demeure du
débiteur, mais il ne fait pas courir un intérêt moratoire ex lege, ce qui n’interdit pas aux
parties de le stipuler si elles le jugent utile. Contrairement au débiteur d’une somme
d’argent en monnaie (officielle) étrangère, le débiteur d’une somme de bitcoins, d’ethers
ou de dais ne peut pas se libérer en versant des francs suisses. Quant au créancier, s’il doit
recourir à l’exécution forcée pour obtenir satisfaction, il ne peut pas procéder par la voie
de la poursuite pour dettes ou de la faillite, mais il doit prendre devant le tribunal civil
compétent des conclusions portant spécifiquement sur la prestation promise. Suivant les
circonstances, il aura d’ailleurs intérêt à se prévaloir de la demeure de son débiteur pour
renoncer à la prestation due et réclamer des dommages-intérêts, qui se calculent en francs
et peuvent faire l’objet d’une poursuite.
Les questions juridiques que suscite le développement des cryptomonnaies sont
fascinantes. Mais leur succès reste un succès de niche : il n’affecte pas la plupart des
consommateurs ni le plus grand nombre des entreprises. Pour le moment, ceux-ci
perçoivent davantage les effets des nouveaux systèmes et supports de paiement que sont
la QR-facture, les prestataires de paiements instantanés tels que Twint ou Revolut, ou
encore la dématérialisation des cartes de crédit rendue possible par Apple Pay ou Google
Pay. Les systèmes de paiement connaissent une diversification et une dématérialisation
croissantes, qui ont suscité plus de modifications législatives dans l’Union européenne
qu’en Suisse. Mais les cryptomonnaies n’ont pas encore trouvé le chemin du portemonnaie
des consommateurs.

117
LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH

L’apparition d’un stablecoin crédible ou la création d’une monnaie numérique de banque


centrale accessible à tous pourraient avoir un impact majeur sur les paiements des
consommateurs. L’innovation ne viendra pas des juristes, mais le droit – aujourd’hui
comme hier – est prêt à accueillir les nouveaux phénomènes monétaires, au prix
probablement de quelques ajustements que cette contribution ne fait qu’esquisser. Ce sera
une nouvelle étape dans une histoire déjà longue et sinueuse183.

183
Pour une histoire du droit des paiements, voir GEVA 2011.

118
Les cryptomonnaies et le paiement

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(édits.), 3e éd., Bâle 2021.
CR CO II-AUTEUR, Commentaire romand, Code des obligations II, Tercier P. / Amstutz
M. / Trigo Trindade R. (édits.), Bâle 2017.
CR CPC-AUTEUR, Commentaire romand, Code de procédure civile, Bohnet F. et
al. (édits.), Bâle 2019.
CR LDIP-AUTEUR, Commentaire romand, Loi fédérale sur le droit international privé /
Convention de Lugano, Bucher A. (édit.), Bâle 2011.
GAUCH P. / SCHLUEP W.R. / SCHMID J. / EMMENEGGER S., Schweizerisches
Obligationenrecht Allgemeiner Teil, Zurich 2020.
Kommentar DIKE ZPO-AUTEUR, ZPO Schweizerische Zivilprozessordnung, Kommentar,
Brunner A. et al. (édit.), 2e éd., Zurich / Saint-Gall 2016.
PC CPC-AUTEUR, Petit commentaire CPC, in : Chabloz I. et al. (édits.), Bâle 2020.
SK FINFRAG-AUTEUR, Kommentar zum Finanzmarktinfrastrukturgesetz, Sethe R. et
al. (édits.), Zurich / Bâle / Genève 2017.

124
Les cryptomonnaies et le paiement

STEINAUER P.-H., Les droits réels, Tome I : Introduction à l’étude des droits
réels / Possession et registre foncier / Dispositions générales sur la
propriété / Propriété par étages, 6e éd., Berne 2019.
TERCIER P. / PICHONNAZ P., Le droit des obligations, 6e éd., Zurich 2019.
ZK IPRG-AUTEUR, Zürcher Kommentar zum IPRG, Müller-Chen M. /Widmer Lüchinger
C. (édits.), 3e éd., Genève / Zurich / Bâle 2018.

125
Édité par
Pascal Pichonnaz
Franz Werro

La place du consommateur
au quotidien

La pratique contractuelle 7
Symposium en droit des contrats
Citation suggérée de l’ouvrage : Pascal Pichonnaz / Franz Werro, La place du consommateur au quotidien –
La pratique contractuelle 7 – Symposium en droit des contrats, Genève / Zurich 2022, Schulthess Éditions
Romandes

ISBN 978-3-7255-8781-0
© Schulthess Médias Juridiques SA, Genève · Zurich 2022
www.schulthess.com

Diffusion en France : LEXTENSO – La Grande Arche – Paroi Nord – 1, Parvis de La Défense – 92044 Paris – La
Défense, www.lextenso-editions.com

Diffusion et distribution en Belgique et au Luxembourg : Patrimoine SPRL, Avenue Milcamps 119, B-1030
Bruxelles ; téléphone et télécopieur : +32 (0)2 736 68 47 ; courriel : patrimoine@telenet.be

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de cette publication, par quelque procédé que ce soit (graphique, électronique ou mécanique, y compris
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expresse et écrite de l’éditeur.

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torié cette publication dans la Deutsche Nationalbibliografie ; les données bibliographiques détaillées
peuvent être consultées sur Internet à l’adresse http://dnb.d-nb.de.
Sommaire

FRANZ WERRO
Le dommage dans les contrats de consommation............................................................... 1

PASCAL PICHONNAZ
Les clauses de prix dans les conditions générales – Un enjeu pour les
consommateurs ................................................................................................................. 33

LUC THÉVENOZ / JEREMY BACHARACH / CÉLIAN HIRSCH


Les cryptomonnaies et le paiement en droit suisse ........................................................... 77

NICOLAS KUONEN
La LCD au secours du consommateur ? ......................................................................... 127

ANNE-CHRISTINE FORNAGE
Les plateformes en ligne et la protection du consommateur… vers un changement
de paradigme ................................................................................................................... 165

MICHEL HEINZMANN
L’action collective pour défendre le consommateur : l’exemple italien et son
impact en Suisse.............................................................................................................. 197

ANNE-CATHERINE HAHN
Le sort des données personnelles et droits immatériels sur Internet et dans les
applications ..................................................................................................................... 213

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