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déficit varient beaucoup d’un malade à l’autre et chez un même


malade au cours de l’évolution.
132 L’atteinte des muscles oculaires est d’une particulière fréquence.
Elle peut être responsable d’un ptosis uni- ou bilatéral parfois à
bascule et alors très évocateur du diagnostic. La paralysie des muscles
MYASTHÉNIE oculomoteurs entraîne une diplopie variable, transitoire ou perma-
nente, voire une ophtalmoplégie. Il n’y a pas d’atteinte de la
P. Gajdos musculature intrinsèque de l’œil.
La paralysie des muscles pharyngolaryngés entraîne des trou-
bles de la phonation rendant la voix nasonnée, celle-ci s’épuisant au
cours de la conversation jusqu’à devenir inintelligible, et surtout des
La myasthénie est une maladie liée à une atteinte auto-immune
troubles de la déglutition, de la simple difficulté à avaler à de vérita-
de la jonction neuromusculaire. Elle se manifeste par un déficit des
bles fausses routes. Les muscles masticateurs sont souvent intéressés
muscles volontaires. Son évolution est caractérisée par des épisodes
au point de gêner fortement l’alimentation solide. La difficulté de la
d’aggravation dont les plus sévères, appelés crises myasthéniques,
phonation et de l’alimentation peut encore être aggravée par une
entraînent une paralysie des muscles respiratoires. Les crises myas-
atteinte de la langue. Le déficit des muscles de la face se traduit par
théniques ont vu leur pronostic transformé par la ventilation
un aspect inexpressif de la mimique, l’impossibilité de siffler, de
mécanique puis plus récemment par des thérapeutiques d’immuno-
retenir les liquides dans la bouche.
modulation. Leur prise en charge nécessite une stratégie
La faiblesse de la musculature axiale est objectivée par une
thérapeutique précise.
chute de la tête en avant ou au moins une difficulté à la soulever du
plan du lit. Aux membres, le déficit prédomine aux racines, perma-
PHYSIOPATHOLOGIE nent ou n’apparaissant qu’à l’effort. Enfin un point essentiel sur
lequel nous reviendrons, la myasthénie peut concerner les muscles
Le déficit musculaire de la myasthénie est provoqué par un respiratoires déterminant une réduction plus ou moins marquée de
défaut de la transmission neuromusculaire et plus précisément par la capacité vitale.
une atteinte de la membrane post-synaptique : des altérations de Les premiers signes à apparaître sont très variés. Les plus
cette membrane sont visibles en microscopie électronique et le fréquents sont les signes oculaires qui sont présents de façon isolée
nombre de récepteurs membranaires de l’acétylcholine est réduit de au début dans environ 50 % des cas. Les muscles des territoires
70 à 90 % par rapport à la normale [1]. L’origine auto-immune de la bulbaires sont atteints en premier dans environ 30 % des cas, les
myasthénie est bien établie : une myasthénie expérimentale a pu muscles des membres et du tronc dans 10 à 25 % des cas. Une
être créée chez l’animal par injection de récepteurs d’acétylcholine atteinte des muscles respiratoires sans aucune autre atteinte préa-
de poissons torpilles, avec apparition d’anticorps antirécepteurs de lable est rarement révélatrice de la maladie, autour de 1 % dans les
l’acétylcholine (ac anti-RACh) [2]; 85 à 90 % des sujets atteints de différentes séries. Les myasthénies avec anticorps anti-MuSK sont
myasthénie généralisée ont des ac anti-RACh appartenant à la classe caractérisées par une plus grande fréquence de l’atteinte faciale et
de IgG; la maladie est transférable à la souris par injection d’IgG bulbaire que les formes avec anticorps anti-RACh.
provenant de sujets myasthéniques [3]. L’importance des ac anti- L’évolution est très variable d’un malade à l’autre. Dans
RACh dans la pathogénie de la myasthénie est indéniable. Toutefois l’ensemble, la tendance est à l’extension à d’autres territoires et à
il n’existe aucune corrélation entre le taux des ac anti-RACh et la l’aggravation, le maximum des signes étant atteint dans les
gravité ou l’ancienneté de la maladie. Le mécanisme d’action des 3 premières années dans 84 % des cas [6]. Un cas particulier est
anticorps est mal élucidé : ils pourraient agir en accélérant la dégra- représenté par les myasthénies qui, ayant débuté par des signes
dation du récepteur ou par blocage fonctionnel ou encore par oculaires, restent localisées à ces territoires. Les myasthénies
destruction en présence de complément de la membrane post- oculaires pures, que l’on peut affirmer comme telles lorsqu’après
synaptique. Il faut enfin noter que 10 à 15 % des patients myasthé- 3 ans d’évolution aucune autre atteinte n’apparaît, représentent 10 à
niques n’ont pas d’ac anti-RACh. L’existence d’anticorps dirigés 15 % des myasthénies.
contre un récepteur musculaire spécifique de la tyrosine kinase (ac
anti-MuSK) a été mise en évidence chez environ 40 % de ces patients
[4]. DIAGNOSTIC
La myasthénie s’associe avec une remarquable fréquence à des Le diagnostic de myasthénie est en général évoqué devant la
anomalies thymiques : thymome dans 10 à 20 % des cas, hyper- variabilité du déficit et l’étendue de l’atteinte musculaire. Il peut
plasie thymique dans environ un cas sur deux. Des lignées de toutefois être difficile à affirmer, des maladies neuromusculaires très
lymphocytes T et B spécifiques du RACh ont été établies à partir du diverses étant susceptibles d’induire des tableaux semblables.
thymus de sujet myasthénique. En culture, les lymphocytes thymi-
Un élément essentiel en faveur du diagnostic de myasthénie est,
ques prolifèrent en présence de RACh et produisent des ac anti-
en dehors du déficit moteur, l’absence d’autre signe neurologique.
RACh. Enfin le RACh, ou des molécules voisines sont présents dans
En particulier, il n’y a aucun signe sensitif et les réflexes ostéotendi-
le thymus au niveau des cellules myoïdes. Le thymus est peut-être le
neux sont normaux. Trois arguments vont pouvoir conforter le
siège de l’autosensibilisation initiale contre le RACh mais selon des
diagnostic :
modalités qui restent inconnues [5].
– l’injection d’un anticholinestérasique d’action rapide est un bon
test diagnostique lorsqu’elle entraîne une régression nette et objec-
ÉPIDÉMIOLOGIE tive des signes cliniques (ou électriques). La négativité du test
n’élimine pas le diagnostic. En pratique on utilise :
La prévalence de la myasthénie se situe dans les différentes – soit le Reversol (édrophonium) intraveineux dont l’action
études épidémiologiques autour de 60 par million avec une inci- débute 45 à 60 secondes après l’injection et ne dure qu’une
dence annuelle de nouveaux cas de 3 à 4 par million d’habitants. dizaine de minutes. On injecte 2 mg puis en l’absence d’amélio-
La myasthénie peut débuter à tout âge mais avec deux pics de ration 8 mg supplémentaires,
fréquence l’un entre 20 et 40 ans et l’autre autour de 50 ans. Pour les – soit la Prostigmine, 1 à 2 mg par voie intramusculaire dont
myasthénies débutant entre 20 et 40 ans, le sex-ratio femme/homme l’action débute au bout d’une dizaine de minutes mais dure
est de 2/1. Après 40 ans, les deux sexes sont également atteints. environ deux heures, ce qui rend l’appréciation de son effet
plus facile.
SIGNES CLINIQUES Il est recommandé de faire précéder l’injection de l’anticholi-
nestérasique par une injection d’un placebo. Ce dernier peut être
La myasthénie est caractérisée par une fatigabilité musculaire remplacé par une injection d’atropine 0,5 mg en sous-cutanée qui a
fluctuante. Le déficit moteur apparaît ou s’aggrave lors de l’effort et l’avantage de diminuer les effets muscariniques éventuellement
s’atténue après une période de repos. Son intensité est variable d’un gênants de l’anticholinestérasique;
jour à l’autre et d’un moment à l’autre de la journée, souvent plus – l’électromyogramme (EMG) apporte un argument important pour
marquée le soir. Tous les muscles squelettiques peuvent être touchés. le diagnostic de MG lorsqu’il montre un décrément, c’est-à-dire une
La nature des groupes musculaires atteints et l’importance de leur diminution de l’amplitude des potentiels d’action, d’au moins 10 %
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Myasthénie 1287

entre la première et la cinquième stimulation lors d’une stimulation – classe II : déficit discret des muscles autres que les muscles oculaires
répétitive supramaximale de 2 à 5 Hz. L’EMG doit être réalisé sur un (Il peut exister un déficit des muscles oculaires de quelque sévérité
muscle facial et sur un muscle squelettique. Ce test n’est cependant qu’il soit.) :
pas toujours positif. La mesure du jitter (intervalle de temps moyen – IIa : affectant de façon prédominante les muscles des
entre les potentiels d’action de deux fibres musculaires appartenant membres ou axiaux,
à la même unité motrice) qui est augmenté au cours de la myas- – IIb : affectant de façon prédominante les muscles oropha-
thénie est plus sensible, mais n’est pas totalement spécifique; ryngés ou respiratoires;
– les ac anti-RACh sont présents chez 85 à 90 % des patients myas-
théniques avec une spécificité quasi totale. La présence d’anticorps – classe III : déficit modéré des muscles autres que les muscles
anti-MuSK permet aussi d’affirmer le diagnostic. oculaires (Il peut exister un déficit des muscles oculaires de quelque
sévérité qu’il soit.) :
Dans la majorité des cas, l’histoire clinique, la topographie des
paralysies, leur caractère variable et les tests diagnostiques permet- – IIIa : affectant de façon prédominante les muscles des
tent d’affirmer la myasthénie. Une série de recherches membres ou axiaux,
complémentaires doit alors être faite notamment pour détecter un – IIIb : affectant de façon prédominante les muscles oropha-
éventuel thymome (scanner ou IRM thoracique) et des maladies ryngés ou respiratoires;
auto-immunes associées (notamment thyroïdiennes). – classe IV : déficit sévère des muscles autres que les muscles
Les fluctuations qui caractérisent l’évolution de la myasthénie oculaires (Il peut exister un déficit des muscles oculaires de quelque
imposent d’évaluer le déficit de façon objective et reproductible. sévérité qu’il soit.) :
Plusieurs scores, faciles à répéter, ont ainsi été proposés pour quanti- – IVa : affectant de façon prédominante les muscles des
fier la force musculaire. Leur variation constitue un bon élément de membres ou axiaux,
surveillance à condition que les mesures soient faites de façon rigou-
– IVb : affectant de façon prédominante les muscles oropha-
reuse et comparable (même horaire dans la journée et par rapport à
ryngés ou respiratoires;
la prise d’anticholinestérasiques). Le score le plus utilisé en France
est détaillé dans le tableau 132.1. Ce score de la force musculaire doit – classe V : nécessité d’une intubation. La nécessité d’une sonde
être complété de façon systématique par une mesure de la capacité gastrique seule place le malade en classe IV.
vitale. D’autres scores ont été proposés, notamment le Quantified
Myasthenia Gravis Score [7] qui est très étroitement corrélé au précé-
dent. Ces scores qui ne donnent qu’un reflet ponctuel du déficit
ÉVOLUTION
permettent mal d’apprécier le retentissement fonctionnel de celui-ci. L’évolution de la myasthénie est marquée, nous l’avons vu, par
Des échelles fonctionnelles plus globales et prenant en compte un une tendance à l’aggravation, surtout au cours des trois premières
intervalle de temps plus long sont donc nécessaires. La classification années. Cette évolution peut être entrecoupée par des poussées plus
la plus utilisée actuellement est celle proposée par la Myasthenia ou moins sévères marquées notamment par une majoration du
Gravis Fundation of America [7] : déficit des membres, l’aggravation des troubles bulbaires avec appari-
– classe I : déficit des muscles oculaires. Il peut exister une faiblesse de tion de troubles de la déglutition et surtout une défaillance
l’occlusion des yeux. La force de tous les autres muscles est normale; respiratoire. Dans ce dernier cas, on parle de crise myasthénique.
Environ 30 % des patients myasthéniques ont au cours de leur
Tableau 132.1. Score de la force musculaire évolution un déficit des muscles respiratoires et 15 à 20 % ont au
moins un épisode de crise myasthénique définie par une insuffisance
Membres supérieurs étendus à l’horizontale en antéroposition : respiratoire aiguë nécessitant une ventilation mécanique [8]. Les
– pendant 150 secondes 15 crises apparaissent tôt dans l’évolution de la maladie, 75 % survien-
– pendant 100 secondes 10 nent dans les deux ans après le début de la maladie [9].
– pendant 50 secondes 5
Membres inférieurs, malade en décubitus dorsal, cuisses fléchies à 90° sur FACTEURS DÉCLENCHANTS DES POUSSÉES
le bassin, jambes à 90° sur les cuisses : 15
– pendant 75 secondes 10 ET DES CRISES MYASTHÉNIQUES
– pendant 50 secondes 5
– pendant 25 secondes La survenue d’une crise myasthénique est déclenchée dans
70 % des cas par un événement intercurrent [8]. Le plus fréquent est
Flexion de la tête, le malade en décubitus dorsal : une pathologie infectieuse notamment une pneumopathie bacté-
– contre résistance 10 rienne ou virale sans qu’il y ait de correspondance entre sa gravité et
– sans résistance 5 le risque de crise. Le lien de cause à effet est cependant quelquefois
– impossible 0 difficile à établir, la pneumopathie pouvant être aussi la consé-
Passage de la position couchée à la position assise : quence de fausses routes ou d’une toux inefficace. La deuxième
– possible sans l’aide des mains 10 cause fréquente de crise est la prise de médicaments susceptibles
– impossible sans l’aide des mains 0 d’altérer la transmission neuromusculaire (tableau 132.2). La gros-
sesse est une cause de déséquilibre de la myasthénie, les périodes les
Oculomotricité extrinsèque : plus critiques étant le premier trimestre, l’accouchement et surtout
– normale 10 le post-partum. Les traumatismes, les interventions chirurgicales
– ptosis isolé 5 sont également source de décompensation. La prudence commande
– diplopie 0
Occlusion palpébrale : Tableau 132.2. Médicaments contre-indiqués au cours de la myasthénie
– complète 10
– incomplète (mais avec recouvrement cornéen) 5 Médicaments à utiliser
– nulle (sans recouvrement cornéen) 0 Médicaments contre-indiqués avec précaution
Mastication : Aminoside Neuroleptiques
– normale 10 Colimycine Benzodiazépines
– diminuée 5 Polymyxine Phénothiazines
– nulle 0 Cyclines injectables Carbamazépine
Déglutition : Télithromycine Curarisants
– normale 10 Quinine-chloroquine
– dysphagie sans fausse route 5 Quinidine
– dysphagie avec fausse route 0 Procaïnamide
Diphénylhydantoïne
Phonation : Triméthadione
– voix normale 10 Bêtabloquants (même en collyre)
– voix nasonnée 5 Dantrolène
– aphonie 0 D-pénicillamine
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1288 Affections et leurs traitements

donc de maintenir le myasthénique en milieu de réanimation bronchique, diarrhée, bradycardie et de fasciculations musculaires.
durant la période postopératoire immédiate. L’institution d’une Son importance dans la décompensation de la myasthénie est
corticothérapie s’accompagne, dans plus de la moitié des cas, d’une controversée mais probablement mineure [7]. Il est toutefois
aggravation de la myasthénie entre le 3e et le 10e jour. possible qu’il y ait quelquefois une intrication entre crise et surdo-
sage en anticholinestérasique, le myasthénique qui s’aggrave ayant
SIGNES ET DIAGNOSTIC DE LA CRISE MYASTHÉNIQUE tendance à augmenter ses prises d’anticholinestérasiques. En cas de
doute, il est raisonnable de diminuer voire d’arrêter temporairement
Le signe majeur est la défaillance respiratoire. Celle-ci se mani- les anticholinestérasiques.
feste par une respiration rapide, d’amplitude diminuée souvent avec
une orthopnée témoin de la paralysie diaphragmatique. Cette PRONOSTIC DES CRISES MYASTHÉNIQUES
dernière est objectivée par l’absence de gonflement du creux épigas-
trique à l’inspiration, voire par l’existence d’une respiration Sous l’influence de la réanimation, la mortalité des crises myas-
paradoxale. L’atteinte des muscles abdominaux entraîne une ineffica- théniques est passée de 30 à 40 % dans les années cinquante à moins
cité de la toux. Un encombrement, conséquence de l’hypersécrétion de 5 % dans les années quatre-vingt-dix [9]. Cette mortalité est
bronchique, des troubles de la déglutition et de l’inefficacité de la actuellement plus liée à des complications ou à des comorbidités
toux, aggrave fréquemment la défaillance respiratoire. qu’à la crise elle-même. Le plus souvent le contrôle des facteurs
La gravité de l’atteinte respiratoire est en fait souvent sous- déclenchants, les mesures de réanimation et le traitement spécifique
estimée par l’examen clinique. Les gaz du sang sont également peu permettent d’obtenir une résolution de la crise en quelques
fiables dans cette situation. Ils ne permettent pas de dépister l’insuffi- semaines. Dans une série récente, [8] portant sur 73 crises, 25 % des
sance respiratoire de façon précoce. L’hypoxie et surtout l’hypercapnie patients ont pu être extubés après une semaine, 50 % après deux
n’apparaissent en effet que tardivement et témoignent alors d’une semaines et 75 % à un mois avec une médiane de durée de la crise de
insuffisance respiratoire majeure avec risque d’arrêt respiratoire. La 13 jours.
meilleure évaluation de la défaillance est donnée par la mesure
répétée, au lit du malade, de la capacité vitale dont la baisse en dessous
de 15 ml/kg représente la meilleure indication pour la ventilation TRAITEMENT
mécanique [8]. La mesure des pressions inspiratoires et expiratoires
maximales statiques, qui donnent une indication sur la force des Le traitement des patients myasthéniques se discute de façon
muscles respiratoires, peut également être utilisée. différente selon que l’on est en présence d’une poussée ou d’une
La paralysie des muscles respiratoires est associée dans 90 % des crise myasthénique nécessitant une prise en charge d’urgence ou s’il
cas [9] à une atteinte des muscles de la nuque et des territoires s’agit de la mise en œuvre d’un traitement au long cours visant à
oropharyngés avec des troubles de la déglutition qui entraînent un stabiliser la maladie et à améliorer le pronostic fonctionnel.
risque majeur de fausses routes orotrachéales. Le déficit des membres
peut être mineur ou absent. TRAITEMENT DES POUSSÉES ET CRISES MYASTHÉNIQUES
Le diagnostic de crise myasthénique est généralement aisé. Le
problème est plutôt d’identifier une dégradation plus insidieuse de
MESURES GÉNÉRALES
l’état d’un myasthénique, qui risquerait d’évoluer, parfois brutale-
ment, vers la crise proprement dite. La valeur de certains signes ne Le traitement d’une éventuelle cause déclenchante, notamment
doit pas être sous-estimée : asthénie croissante pour des efforts infectieuse, est impératif. L’existence de fausses routes ou d’une
musculaires minimes, déglutition laborieuse même sans fausse route déglutition impossible, impose la mise en place d’une sonde naso-
ou dyspnée même modérée. Deux situations peuvent prêter à discus- gastrique. Celle-ci permet l’administration des traitements et
sion diagnostique : l’alimentation. En dehors d’une pathologie digestive associée,
– rarement la crise myasthénique est inaugurale et la défaillance l’alimentation parentérale n’a pas d’indication.
respiratoire doit alors être rattachée à la myasthénie. L’histoire anté- En raison du risque toujours possible de surdosage, il est
rieure, la topographie de l’atteinte musculaire, le caractère par conseillé d’arrêter systématiquement les anticholinestérasiques au
ailleurs normal de l’examen neurologique, et les examens complé- moment d’une crise myasthénique. Ceux-ci seront repris au bout de
mentaires, permettent d’éliminer les étiologies neurologiques : deux à trois jours de façon progressive en répartissant la dose en trois
syndrome de Guillain-Barré, syndrome de Lambert-Eaton, botu- à cinq prises par 24 heures. L’administration doit se faire par sonde
lisme, myosite ou myopathie, sclérose latérale amyotrophique et gastrique (ce qui élimine l’utilisation du Mestinon Retard). L’adjonc-
lésions vasculaires du tronc; tion d’un atropinique permet le plus souvent de réduire les signes
– la crise cholinergique, liée au surdosage en anticholinestérasique, muscariniques, notamment l’hypersalivation et l’hypersécrétion
peut simuler la crise myasthénique. Elle se traduit par une faiblesse bronchique. Le délai et la durée d’action des différents anticholines-
musculaire accompagnée d’une hypersalivation, hypersécrétion térasiques sont indiqués dans le tableau 132.3.

Tableau 132.3. Anticholinestérasiques utilisés au cours de la myasthénie

Médicaments Administration Début de l’effet Durée d’action


Édrophonium (Reversol) IV (ampoules à 10 mg) 1 à 2 minutes 4 à 6 minutes
Néostigmine (Prostigmine) Orale (comprimés à 15 mg) 30 minutes 2 heures
Parentérale (ampoules à 0,5 mg) en IV ou IM 15 minutes 2 heures
Pyridostigmine (Mestinon) Orale (comprimés à 60 mg) 30 minutes 4 heures
Pyridostigmine retard Orale (comprimés à 180 mg) 30 minutes 8 à 10 heures
Ambénomium (Mytélase) Orale (comprimés à 10 mg) 30 minutes 4 à 6 heures

VENTILATION MÉCANIQUE – il ne faut en aucun cas attendre d’éventuelles modifications des gaz
du sang. Mais l’existence d’une hypercapnie, si elle existe, est une
L’indication de la ventilation mécanique repose sur des critères indication à la ventilation mécanique d’urgence.
cliniques et spirométriques :
La ventilation mécanique se fait en pression positive intermit-
– polypnée, orthopnée, difficulté voire impossibilité de parler, toux tente avec éventuellement une PEP de 4 à 5 cmH2O s’il existe des
inefficace et encombrement; atélectasies. Le sevrage de la ventilation mécanique constitue un
– la mesure de la capacité vitale fournit un critère plus objectif : la problème difficile pour lequel quelques règles essentielles doivent
ventilation mécanique est considérée comme impérative dès que la être respectées :
capacité vitale est inférieure à 15 ml/kg. Une pression statique maxi-
male inspiratoire inférieure à 20 cmH2O ou expiratoire inférieure à – le contrôle du facteur déclenchant et d’une éventuelle complica-
40 cmH2O a également été considérée comme un critère d’intuba- tion intercurrente en particulier pulmonaire, est un préalable
tion [9]; indispensable;
– le sevrage ne peut être débuté que si la capacité vitale dépasse
15 ml/kg;
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Myasthénie 1289

– la toux doit être efficace car le myasthénique aura souvent à lutter ensuite être lentement réduite à partir du 30e ou du 45e jour. L’effet
après l’extubation contre l’encombrement par hypersécrétion bron- rapide des EP qui évitent l’aggravation initiale due aux corticoïdes et
chique et stase salivaire; l’action à plus long terme des corticoïdes qui maintiennent la baisse
– en l’absence d’étude contrôlée, validant un mode de sevrage parti- des ac anti-RACh obtenue par les EP expliquent l’intérêt de l’associa-
culier, celui-ci est habituellement réalisé par des épreuves de tion des EP et des corticostéroïdes.
respiration sur pièce en T de durée progressivement croissante. Les Lorsqu’une crise survient chez un patient déjà traité par la pred-
épreuves doivent être étroitement surveillées, une défaillance voire nisone, le problème qui se pose est celui de la posologie de la
un arrêt respiratoire étant toujours à craindre. La myasthénie est corticothérapie. Si la décompensation de la myasthénie a une cause
caractérisée par une fatigabilité plus ou moins rapide. Dans ces bien définie que l’on va pouvoir traiter efficacement, la logique est
conditions, la constatation d’une bonne ampliation thoracique et de poursuivre, au moins dans un premier temps, la même posologie.
d’un bon volume courant ne préjuge pas de ce que seront ces valeurs En l’absence d’amélioration après 8 à 10 jours, ou en l’absence de
une heure plus tard. La tolérance à une période de sevrage doit être cause déclenchante, il faut augmenter la corticothérapie. Habituelle-
appréciée sur des critères cliniques (stabilité de la fréquence respira- ment, on commence par doubler la dose journalière antérieure et en
toire, jeu diaphragmatique, absence de tachycardie, d’agitation ou cas d’échec on revient à 1 mg.kg–1.j–1 de prednisone.
d’anxiété) et non gazométriques dont la normalité risque de rassurer La discussion de l’adjonction aux corticostéroïdes d’un immu-
à tort. nosuppresseur cytotoxique est plus complexe. Le problème en fait
L’extubation sera possible lorsque tous ces critères cliniques est ici le contrôle de la maladie à long terme. L’immunosuppresseur
seront satisfaits après une période de ventilation spontanée de le plus utilisé est l’azathioprine en raison de sa bonne tolérance et
12 heures et lorsque la capacité vitale aura atteint 25 ml/kg [8]. La malgré un délai d’action de 4 à 6 mois. Il a été montré que les formes
reprise de l’alimentation orale et le retrait de la sonde gastrique ne sévères de myasthénie étaient mieux contrôlées à long terme par
seront entrepris que deux à trois jours après l’extubation. l’association prednisone-azathioprine que par la prednisone seule
L’impossibilité de sevrer le malade après deux à trois semaines [15] et que les doses de prednisone étaient réduites lorsque l’azathio-
de ventilation doit faire envisager la trachéotomie. Celle-ci a prine lui était associée [16]. La tendance actuelle est donc d’associer
plusieurs avantages : meilleur confort, plus grande facilité de sevrage d’emblée prednisone et azathioprine d’autant que la myasthénie est
et possibilité de reprendre une alimentation orale si les troubles de la plus sévère et le sujet plus âgé.
déglutition ont régressé. D’autres immunosuppresseurs peuvent être utilisés mais leurs
effets secondaires nettement plus importants les font réserver pour
ÉCHANGES PLASMATIQUES ET IMMUNOGLOBULINES INTRAVEINEUSES les formes non améliorées sous azathioprine. Le cyclophosphamide
per os à la dose de 2 mg.kg–1.j–1 entraîne une amélioration plus rapide
Malgré l’absence d’étude contrôlée, la crise myasthénique est
que l’azathioprine [17] mais le risque de cystite hémorragique, de
l’indication majeure des échanges plasmatiques (EP). Ceux-ci
cancer de la vessie et de lymphome rend difficile son utilisation à
permettent d’obtenir une amélioration dans 70 à 75 % des cas dès le
très long terme. L’efficacité de la ciclosporine à la dose de 5 à
deuxième ou troisième EP [10]. Le nombre optimal d’échanges et
7 mg.kg–1.j–1 a été démontrée par un essai contrôlé contre placebo
leur espacement sont discutés. La plupart des auteurs réalisent trois à
[18] mais un essai contrôlé comparant ciclosporine et azathioprine
cinq EP en 3 à 10 jours [10-11]. Toutefois, les EP agissent en entraî-
n’a pas montré de différence d’efficacité des deux traitements [17].
nant une chute passive des ac anti-RACh. Ceux-ci remontent à leur
Les effets secondaires de la ciclosporine, notamment la néphrotoxi-
taux initial en une vingtaine de jours. Il est donc nécessaire dans la
cité et l’HTA, en limitent fortement l’emploi.
plupart des cas pour éviter une rechute rapide d’adjoindre aux EP un
traitement par les corticostéroïdes. Il faut par ailleurs connaître les
effets indésirables potentiels des EP : complications liées aux abords TRAITEMENT AU LONG COURS DE LA MYASTHÉNIE
vasculaires, intolérance aux produits de substitution et exacerbation
des infections. Ces dernières, fréquemment à l’origine de la crise La prise en charge de la myasthénie ne s’arrête pas à un contrôle
constituent une contre-indication aux EP. Des complications de la crise. Différentes options thérapeutiques sont ouvertes et relè-
peuvent survenir en cours d’échanges : fièvre, frissons et hypoten- vent d’un avis spécialisé.
sion artérielle. La thymectomie s’impose en cas de thymome. Dans les autres
Les immunoglobulines intraveineuses (Ig IV) ont également été cas, son indication doit être plus nuancée, aucune étude randomisée
proposées pour le traitement des poussées ou des crises myasthéni- n’ayant été faite dans ce domaine. La forte prévalence d’une hyper-
ques [12]. Une étude randomisée comparant les effets de 3 EP et des plasie thymique dans les formes à début avant 40 ans et le résultat
IgG IV administrées à la dose de 0,4 g.kg–1.j–1 pendant 3 ou 5 jours d’études ouvertes rétrospectives ou prospectives, ont amené un
n’a pas montré de différence de résultat entre les deux modes théra- certain consensus pour proposer cette intervention aux patients de
peutiques [13]. Un essai randomisé n’a pas montré de différence de moins de 40 ans et dans les 3 premières années de la maladie.
résultat selon que les patients étaient traités pour une poussée myas- Certains auteurs la proposent pour les patients non améliorés par les
thénique par les IgG IV 1 g.kg–1.j–1 pendant un ou deux jours [14]. autres traitements ou de façon quasi systématique [20, 21].
Les IgG IV représentent ainsi une alternative thérapeutique aux EP La poursuite du traitement corticostéroïde et immunosuppres-
en particulier lorsqu’il existe des difficultés d’abords vasculaires ou seur doit être surveillée attentivement. La décroissance de la
des contre-indications infectieuses. Il ne faut toutefois pas négliger le corticothérapie doit être très lente pour obtenir une dose journalière
risque de complications liées au IgG en particulier l’insuffisance de 7 à 10 mg au bout d’un an. Cette posologie doit être réaugmentée
rénale, la méningite aseptique et le risque non complètement exclu en cas d’aggravation. Le traitement immunosuppresseur, s’il a été
de transmission d’agents pathogènes. entrepris, doit être poursuivi pendant plusieurs années.
Il est enfin primordial d’éduquer le patient myasthénique. Il
CORTICOSTÉROÏDES ET IMMUNOSUPPRESSEURS doit connaître les premiers signes d’une décompensation et ce qui
Lorsqu’une crise myasthénique est révélatrice et provoquée par peut la déclencher, les symptômes d’un surdosage en anticholinesté-
une cause bien identifiée, il est licite de ne recourir, dans l’immédiat, rasiques et les médicaments qui lui sont contre-indiqués.
qu’aux mesures de réanimation associées aux EP ou IgG IV. Il est en
effet impossible dans ce cas d’apprécier le potentiel évolutif de la
maladie. Une fois l’épisode aigu maîtrisé, on peut espérer un RÉFÉRENCES
contrôle durable de la myasthénie par les anticholinestérasiques et la
thymectomie. En dehors de ces cas rares, la survenue d’une crise [1] Fambrough DM, Drachman DB, Satyamurti S. Neuromuscular junction in
myasthénique traduit une myasthénie sévère avec risques de myasthenia gravis : decreased acetylcholine receptors. Science 1973, 82 : 293-
295.
nouvelles crises et de déficits importants. Le traitement par les corti- [2] Patrick J, Lindstrom J. Autoimmune response to acetylcholine receptor.
costéroïdes et les immunosuppresseurs est ici à discuter d’emblée ou Science 1973, 180 : 871-872.
dès que leurs éventuelles contre-indications auront disparu. La corti- [3] Toyka KV, Drachmann DB, Griffin DE et al. Myasthenia gravis : Study of
cothérapie est habituellement commencée à la dose de 1 mg.kg–1.j–1 humoral immune mechanisms by passive transfert to mice. N Engl J Med
1977, 296 : 125-131.
de prednisone. L’instauration de la corticothérapie s’accompagne [4] Vincent A, Palace J, Hilton-Jones D. Myasthenia gravis. Lancet 2001; 357 :
dans la moitié des cas d’une aggravation de la myasthénie entre le 2122-2128.
troisième et le 10e jour. [5] Eymard B, Berrih-Aknin S. Rôle du thymus dans la physiopathologie de la
myasthénie. Rev Neurol 1995, 151 : 6-15.
L’amélioration apparaît vers le quinzième jour et est rarement [6] Grob B, Brunner NG, Namba T. The natural course of myasthenia gravis and
maximale avant la fin du premier mois. La corticothérapie doit effect of therapeutic measures. Ann N Y Acad Sci 1981, 377 : 652-669.
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