L’endettement et les institutions financières internationales
Introduction: Ce chapitre est destiné à préciser les notions et mécanismes liés à l'endettement. En effet, derrière l'apparente simplicité de ces notions se cachent des subtilités qui faussent parfois les analyses. Une dette est une promesse de payer dans le futur des sommes suivant des modalités qui font l'objet d'un accord entre le créancier et le débiteur. Pour qu'il effectue le prêt, le créancier doit croire en la promesse qui lui est faite. Elle consiste en principe à rembourser le montant du capital emprunté (ou principal, ou amortissement) et à verser des intérêts sur le montant non remboursé. Mais il se peut aussi que le prêt se fasse sans intérêts (on ne rembourse que le principal), ou à l'inverse que l'emprunt soit perpétuel (on ne rembourse jamais le capital, mais le débiteur continue à verser les intérêts pour l'éternité). Les deux éléments de la promesse, remboursement du capital et des intérêts, ne doivent pas être mis sur le même plan. Les intérêts constituent un revenu courant (payer les intérêts ne fait pas diminuer la dette). Ils sont la raison même du prêt, les prêteurs gagnant un revenu grâce à la différence entre les intérêts qu'ils reçoivent et les intérêts qu'ils paient à ceux qui leur confient des fonds. C'est pourquoi le versement des intérêts à bonne date est considéré comme essentiel. Le remboursement du capital peut être repoussé sans grande difficulté, tant que les intérêts sont payés au taux du marché. Si le débiteur paie correctement les intérêts, le créancier a en effet avantage à ce qu'il soit endetté le plus longtemps possible – toutes choses égales par ailleurs… La question de la dette publique, de sa gestion, de son utilisation, de sa réduction, de la fixation d’un seuil au-delà duquel elle deviendrait intolérable, ou en tout cas nocive et peut-être génératrice de désordres économiques, éventuellement sociaux, voire politiques, constitue l’une des préoccupations majeures des organismes internationaux et des États nationaux. Confrontés à l’explosion de leurs déficits publics, pays développés ou en développement cherchent des voies pour limiter le poids de la dette accumulée au cours des décennies passées. Il s’agit de se conformer aux strictes règles de l’orthodoxie financière, qui ont longtemps condamné toute tolérance à l’égard d’un déséquilibre même temporaire des finances publiques. La tendance dominante des politiques financières est en effet aujourd’hui de limiter de manière drastique le niveau de l’endettement, voire de l’éradiquer totalement, tout en réduisant autant que faire se peut le niveau des prélèvements fiscaux ou sociaux. Véritable quadrature du cercle qui oblige à des acrobaties budgétaires et politiques. Jean Andreau, Gérard Béaur et Jean-Yves Grenier (dir.)« La dette publique dans l’histoire » http://books.openedition.org …Date de publication : 12 mai 2006 L’endettement public et la dette publique proprement dite ont un passé très riche, […]et qui pourrait être plein d’enseignements. I) Dette et institutions financières internationales: essai de définitions A) Essai de définitions: Dette: nom commun. 1) somme due ; 2) situation du débiteur ; 3) sentiment de gratitude pour une faveur ou un service….Oxford English Dictionary 1)Dette: La dette d’un agent économique est un engagement à rembourser un capital emprunté assorti éventuellement du paiement de l’intérêt correspondant. Une dette a donc pour contrepartie une créance détenue par le prêteur sur le débiteur 2)Endettement L'endettement désigne une situation marquée par une accumulation de dettes(processus), c'est-à-dire de sommes qu'une personne, physique ou morale, est tenue de rembourser à une autre personne. Dans le monde de l'entreprise, l'endettement est bien souvent directement lié aux investissements réalisés, ces derniers nécessitant un certain nombre de créances à long terme. Qualifié de net, l'endettement équivaut dans ce secteur au solde des dettes financières d'un côté, du disponible et des placements financiers de l'autre. Dans le monde des ménages et de la consommation, l'endettement caractérise une situation où les dettes prennent le dessus sur les ressources d'un individu ou d'un ménage. Un ménage endetté est un ménage dont la valeur des créances cumulées est supérieure aux capitaux détenus. Lorsque l'endettement devient trop important, on utilise la notion de surendettement. 3)Dette du tiers-monde La dette du tiers-monde est, à un moment donné, la somme de l’encours de la dette extérieure publique et privée des pays en développement (PED). Plus que l’encours de la dette, c’est le ratio de l’encours de la dette par rapport au produit intérieur brut (PIB) et le ratio du service de la dette publique extérieure par rapport aux exportations qui donnent une évaluation de la soutenabilité de la dette. Les experts estiment qu’au-delà de 15 % des recettes d’exportation, le service de la dette est quasiment impossible à honorer et certains pays sont ainsi pris dans un cercle vicieux de l’endettement international. La dette du tiers-monde a connu une augmentation spectaculaire au cours des années 1970, les différents chocs pétroliers ayant accentué les difficultés des pays en développement. La baisse du prix des matières premières et le retournement de la politique monétaire américaine (qui mène à une appréciation du dollar) conduit à une « crise de la dette » qui se déclenche avec la cessation de paiement du Mexique en août 1982 et se poursuit par une crise de la dette souveraine de nombreux pays émergents. (La façon dont la Grande-Bretagne s'est libérée de sa dette extérieure n'est certainement pas généralisable : Keynes (1972, p. 131) rappelle que c'est avec sa part des bénéfices sur l'expédition du pirate Drake, qui captura en 1580 un important trésor espagnol que la reine Elisabeth remboursa la totalité de la dette extérieure de l'Angleterre et équilibra son budget) (Marc Raffinot, DETTE EXTERIEURE ET AJUSTEMENT STRUCTUREL, EDICEF/ELLIPSES.1991. p.25) 4)Différence entre dette et endettement pour un pays ? Différence entre dette et endettement pour un pays ? Or, l'État n'est qu'un des agents économiques et sa dette ne représente pas la dette du pays tout entier : les entreprises et les ménages s'endettent également. L'endettement intérieur total d'un pays est donc constitué de la somme des dettes des administrations publiques, des ménages et des entreprises. …(L’endettement international ? D’un pays est égal à la somme des créances détenues sur ce pays par des agents économiques non-résidents). (L’austérité est une recette éculée(usée)…) 5)L’endettement est une construction sociale L’endettement est une construction sociale fondatrice du pouvoir. Si autrefois les débiteurs insolvables ont nourri l’esclavage, aujourd’hui les emprunteurs pauvres – qu’il s’agisse de particuliers des pays riches ou d’États du tiers-monde – sont enchaînés aux systèmes de crédit. « L’histoire montre, explique Graeber, que le meilleur moyen de justifier des relations fondées sur la violence, de les faire passer pour morales, est de les recadrer en termes de dettes – cela crée aussitôt l’illusion que c’est la victime qui commet un méfait. » Trop d’économistes actuels perpétuent cette vieille illusion d’optique, selon laquelle l’opprobre est forcément à jeter sur les débiteurs, jamais sur les créanciers. Ils oublient aussi une leçon déjà connue de la civilisation mésopotamienne : si l’on veut éviter l’explosion sociale, il faut savoir « effacer les tablettes »… Un essai essentiel et foisonnant qui nous permet de mieux comprendre l’histoire du monde, la crise du crédit en cours et l’avenir de notre économie. David Graeber, Dette 5000 ans d’histoire, Ed. Les Liens qui Libèrent,2013 (« altermondialiste ») À partir des années 1980, le règlement de cette crise donne lieu à une restructuration de la dette dans ces pays et à la mise en place de politiques d’ajustement structurel (PAS), conformes au consensus de Washington. Une libéralisation des marchés des capitaux a également lieu dans de nombreux pays émergents qui bénéficient au cours des années 1990 et 2000 d’un afflux de capitaux. Le concept de dette du tiers-monde a perdu une partie de sa pertinence puisque l’unité du tiers-monde est remise en cause. Aujourd’hui, il y a un problème plus général d’endettement, privé et public, qui concerne également les pays développés 6)Dette extérieure brute La dette extérieure brute correspond à l’encours de l’ensemble des emprunts contractés par les agents économiques résidents d’un pays auprès de créanciers non-résidents. Ainsi, une entreprise au Maroc, qui s’endette auprès d’une banque ou d’un obligataire américain, accroît la dette extérieure du Maroc. Les emprunts contractés auprès du Fonds monétaire international (FMI) ou de la Banque mondiale élèvent également la dette extérieure des pays. 7)Dette extérieure nette La dette extérieure nette correspond à la différence entre la dette extérieure brute et l’ensemble des créances que les agents économiques résidents dans un pays détiennent sur le reste du monde. La dette extérieure nette est considérée comme un indicateur économique plus pertinent que la dette extérieure brute lorsqu’il s’agit d’apprécier la dépendance d’un pays aux financements extérieurs. ratio dette/PIB II)Controverses :FMI, Bque Mondiale, BAD,…servir les créanciers ou les débiteurs?!! (J. Ziegler , Penny Goldberg, J.Stiglitz,…) « […]En tant que professeur (J.STIGLITZ , La grande désillusion, Ed. Fayard, 2002. Introduction ) , j’ai consacré beaucoup de temps à la recherche et à la réflexion rigoureuse sur les problèmes économiques et sociaux dont je me suis occupé pendant ces sept ans à Washington. Durant mon séjour à la Maison- Blanche en qualité de membre, puis de président du Council of Economic Advisers, et à la Banque mondiale, j’ai malheureusement constaté —ce n’était évidemment pas une surprise —que les décisions étaient souvent prises sur des bases idéologiques et politiques. D’où de nombreuses initiatives malvenues, bien incapables de résoudre les problèmes mais conformes aux intérêts ou aux convictions des dirigeants. L’intellectuel français Pierre Bourdieu a conseillé aux responsables politiques d’agir davantage en universitaires —d’engager un débat scientifique fondé sur les faits et les chiffres. Hélas, on voit trop souvent le contraire : les universitaires qui font des recommandations se politisent, ils déforment les réalités en fonction des idées chères aux dirigeants politiques ». Remarques (Penny Goldberg????? Penny Goldberg resigns(13/02/2020) as Chief Economist at the World Bank. 28/02/2020 demission effective) (De la Banque mondiale aux paradis fiscaux, "l'itinéraire" de l'aide financière???) Elite Capture of Foreign Aid: Evidence from Offshore Bank Accounts. A)Les prescriptions du FMI et la Banque Mondiale et asymétrie d’informations Les prescriptions du FMI, en partie fondées sur l’hypothèse dépassée selon laquelle le marché aboutit spontanément aux résultats les plus efficaces, n’autorisent pas les interventions souhaitables de l’Etat sur le marché : les mesures qui peuvent guider la croissance économique et améliorer le sort de tous. Ce qui est en cause, donc, dans la plupart des affrontements que je vais rapporter, ce sont des idées, et les conceptions du rôle de l’Etat qui en découlent. Si certaines idées ont beaucoup contribué à orienter mes prescriptions pour le développement, la gestion des crises et la transition, elles sont également au cœur de ma pensée sur la réforme des institutions internationales qui sont censées pro- mouvoir le développement, gérer les crises et faciliter la transition. Mes recherches m’ont rendu particulièrement attentif aux conséquences du manque d’information. J’ai été heureux de voir combien on a souligné, pendant la crise financière de 1997- 1998, l’importance de la transparence, mais attristé par l’hypocrisie des institutions —le FMI et le département du Trésor des États-Unis —qui la réclamaient en Asie : elles comptaient elles- mêmes parmi les moins transparentes que j’aie jamais connues dans la vie publique. C’est pourquoi j’insiste tant sur la nécessité d’accroître la transparence de ces institutions, de mieux informer les citoyens sur ce qu’elles font et de donner à ceux qui vont subir les effets de leurs décisions la possibilité d’intervenir davantage dans la conception de ces mesures. Mon analyse du rôle de l’information dans les institutions politiques découle tout naturellement de mon travail antérieur sur son rôle en économie. B) Mêmes prescriptions pour des économies différentes spatiotemporellement (Les structures économiques sont très différentes selon les régions du monde). Quand les crises frappaient, le FMI prescrivait des solutions certes « standard», mais archaïques et inadaptées, sans tenir compte des effets qu’elles auraient sur les habitants des pays auxquels on disait de les appliquer. J’ai rarement vu réaliser des études prévisionnelles de leur impact sur la pauvreté. J’ai rarement vu des débats et des analyses réfléchies sur les effets d’autres orientations possibles. Il y avait une ordonnance et une seule. On ne cherchait pas d’avis différents. Le débat franc et ouvert était découragé —on ne lui faisait aucune place. L’idéologie guidait la prescription, et les pays étaient censés suivre sans discussion la ligne du FMI. Ces façons d’agir m’atterraient. Pas seulement parce qu’elles donnaient souvent de mauvais résultats. Elles étaient antidémocratiques. C) Les effets néfastes des solutions aux problèmes de l’endettement Les problèmes des pays en développement sont difficiles, et le FMI est souvent sollicité dans les pires situations, quand il y a crise. Mais ses remèdes ont échoué aussi souvent —ou même plus souvent —qu’ils n’ont réussi. Ses politiques d’ajustement structurel (les mesures censées aider un pays à s’ajuster face à des crises et à des déséquilibres chroniques) ont provoqué dans de nombreux cas des famines et des émeutes; et même quand leurs effets n’ont pas été aussi terribles, même quand elles ont réussi à susciter une maigre croissance pour un temps, une part démesurée de ces bénéfices est souvent allée aux milieux les plus riches de ces pays en développement, tandis qu’au bas de l’échelle la pauvreté s’était parfois aggravée. Mais ce qui me paraissait stupéfiant, c’est que, chez beaucoup de hauts dirigeants du FMI et de la Banque mondiale, ceux qui prenaient les décisions cruciales, il n’y avait pas le moindre doute sur le bien- fondé de ces politiques. Des doutes, il y en avait, certes, chez les gouvernants des pays en développement. Cependant, beaucoup craignaient tant de risquer de perdre les financements du FMI, et avec eux bien d’autres fonds, qu’ils les exprimaient avec la plus grande prudence —quand ils le faisaient —,et seulement en privé. Mais, si personne ne se réjouissait des souffrances qui accompagnaient souvent les plans du Fonds monétaire international, à l’intérieur de l’institution on postulait simplement que c’était l’une des expériences douloureuses par où un pays doit nécessairement passer pour devenir une économie de marché prospère, et que les mesures du FMI allaient en fin de compte alléger les épreuves que ce pays aurait à affronter à long Il est hors de doute qu’une certaine souffrance était inévitable, mais, à mon sens(J.STIGLITZ), celle qu’ont subie les pays en développement dans le processus de mondialisation tel qu’il a été dirigé par le FMI et par les autres institutions économiques internationales a été de loin supérieure au nécessaire. Le choc en retour contre la mondialisation doit sa force à la prise de conscience de deux phénomènes : les ravages qu’ont opérés dans ces pays des politiques inspirées par l’idéologie, mais aussi les injustices du système commercial mondial. Peu de gens aujourd’hui —sauf ceux qui bénéficient personnellement de l’exclusion des produits des pays pauvres —défendent cette grande hypocrisie : on prétend aider les pays en développement alors qu’on les force à ouvrir leurs marchés aux produits des pays industriels avancés, qui eux-mêmes continuent à protéger leurs propres marchés. Ces politiques sont de nature à rendre les riches encore plus riches, et les pauvres encore plus pauvres —et plus furieux. (Friedrich LIST: le protectionnisme éducateur). Les idées et intentions qui ont présidé à la création des institutions économiques internationales étaient bonnes mais, au fil des ans, elles ont peu à peu évolué et se sont totalement transformées. L’orientation keynésienne du FMI, qui soulignait les insuffisances du marché et le rôle de l’Etat dans la création d’emplois, a cédé la place à l’hymne au libre marché des années quatre-vingt, dans le cadre d’un nouveau «consensus de Washington » —le consensus entre le FMI, la Banque mondiale et le Trésor américain sur la bonne politique à suivre pour les pays en développement —qui a marqué un tournant radical dans la conception du développement et de la stabilisation. Les idées qui constituaient ce consensus avaient souvent été élaborées en réaction aux problèmes de l’Amérique latine, où des Etats avaient totalement perdu le contrôle de leur budget et mené des politiques monétaires fort peu rigoureuses qui avaient déchaîné une inflation galopante. Définition du consensus de Washington L'expression "Consensus de Washington" trouve son origine dans un article de l'économiste John Williamson en 1989 où il formule dix recommandations adressées plus particulièrement aux pays d'Amérique latine :Discipline budgétaire stricte (équilibre des dépenses et des recettes).Réorientation de la dépense publique (vers des secteurs de forts retours économiques sur investissements, diminution des inégalités de revenu).Réforme fiscale (élargissement de l'assiette fiscale, diminution des taux marginaux),.Stabilité monétaire (inflation faible, réduction des déficits du marché, contrôle des réserves d'argent),.Adoption d'un taux de change unique et compétitif,. Libéralisation du commerce extérieur,. Elimination des barrières à l'investissement direct étranger, Privatisation des entreprises publiques (pour une meilleure efficacité et pour réduire l'endettement),.Déréglementation des marchés (fin des barrières à l'entrée ou à la sortie),.Prise en compte des droits de propriété (incluant la propriété intellectuelle).Le "Consensus de Washington" désigne un accord tacite du Fonds Monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale (BM), avec le soutien du Trésor américain, pour n'accorder des aides financières aux pays en développement en difficulté (endettement, hyperinflation, déficits budgétaires, etc.) qu'à la condition que ceux-ci adoptent des politiques inspirées des thèses de John Williamson En effet, pour ces institutions internationales, le développement ne peut s'opérer que dans le cadre d'échanges marchands de nature privée et qui plus est dans un marché mondial libéralisé, c'est-à-dire sans entraves. Cette politique économique bénéficie du contexte international avec la chute du communisme et est guidée par la doctrine économique, néolibérale, voire ultralibérale Critiques du « Consensus de Washington » En fait, ce "consensus" n'en est pas réellement un car une partie de ses composantes a été rejetée par de nombreux économistes, comme Joseph Stiglitz et Maurice Allais. Il est également critiqué comme source de l'accroissement des inégalités et de la pauvreté, et parce qu'il n'est pas applicable dans tous les pays, par le mouvement altermondialiste qui, après la quasi disparition du modèle communiste, tente de proposer des voies économiques alternatives. Ce n'est qu'à partir de 2007-2008 que le FMI et la Banque mondiale prennent conscience de la nécessité de l'intervention de l'Etat dans l'économie et infléchissent leurs pratiques. Pour ne prendre que quelques exemples, la plupart des pays industriels avancés —dont les Etats-Unis et le Japon —ont édifié leur économie en protégeant judicieusement et sélectivement certaines de ses branches, jusqu’au moment où elles ont été assez fortes pour soutenir la concurrence étrangère. Si le protectionnisme généralisé n’a pas été efficace dans les pays qui l’ont mis en œuvre, la libéralisation rapide du commerce ne l’a pas été davantage. Contraindre un pays en développement à s’ouvrir à des produits importés qui vont rivaliser avec ceux de certaines de ses industries, dangereusement vulnérables à la concurrence de leurs homologues étrangères bien plus puissantes, peut avoir de désastreuses conséquences —sociales et économiques. Les paysans pauvres des pays en développement ne pouvant évidemment pas résister aux produits massivement subventionnés en provenance d’Europe et des États-Unis, des emplois ont été systématiquement détruits avant que les secteurs industriel et agricole nationaux aient pu engager une dynamique de croissance forte et en créer de nouveaux. Pis : en exigeant que les pays en développement suivent des politiques monétaires restrictives, le FMI leur a imposé des taux d’intérêt qui auraient interdit toute création d’emploi même dans le contexte le plus favorable. Et, comme le commerce a été libéralisé avant la mise en place de filets de sécurité sociale, ceux qui ont perdu leur emploi ont été précipités dans l’indigence. Donc, trop souvent, la libéralisation n’a pas apporté la croissance promise mais a accru la misère. Et même ceux qui ont conservé leur emploi se sont sentis beaucoup moins en sécurité. Aujourd’hui, ces institutions sont devenues des acteurs dominants de l’économie mondiale. Les pays qui sollicitent leur aide, mais aussi ceux qui recherchent leur « approbation » pour avoir une meilleure image sur les marchés financiers internationaux, doivent suivre leurs prescriptions économiques, lesquelles reflètent leur idéologie et leurs théories du libre marché. PS: commentaires Derrière le problème du F.M.I, de toutes les institutions économiques internationales, il y en a un autre : celui de leur direction. Qui décide ce qu’elles font? Elles sont dominées non seulement par les pays industriels les plus riches, mais aussi par les intérêts commerciaux et financiers en leur sein. Naturellement, leurs orientations reflètent cette situation. Le choix du plus haut dirigeant illustre parfaitement ce qui pose problème dans ces institutions, et ce choix a trop souvent contribué à leur dysfonctionnement. […]L’une des distinctions importantes entre l’idéologie et la science, c’est que la science reconnaît les limites de ce que l’on sait : il y a toujours de l’incertitude. Le FMI, lui, n’a jamais aimé discuter des incertitudes liées aux politiques qu’il recommande. (J.Stiglitz, op.cit. p.297) Alors que la quasi-totalité des activités du FMI et de la Banque mondiale (et certainement l’ensemble de leurs prêts) s’exercent aujourd’hui dans le monde en développement, ces institutions ont à leur tête des représentants du monde industrialisé (par coutume ou accord tacite, le FMI est toujours dirigé par un Européen, la Banque mondiale par un Américain). Les dirigeants sont choisis à huis clos, et l’on n’a jamais jugé nécessaire de leur demander la moindre expérience préalable du monde en développement. Les institutions internationales ne sont donc pas représentatives des nations qu’elles servent. J.STIGLITZ , La grande désillusion, Ed. Fayard, 2002. p.45.(LA PROMESSE DES INSTITUTIONS INTERNATIONALES) […]S’il y a un mécontentement contre la mondialisation, c’est parce que, manifestement, elle a mis non seulement l’économie au-dessus de tout, mais aussi une vision particulière de l’économie —le fanatisme du marché —au- dessus de toutes les autres. (Idem, p.286) Mais cette petite phrase a continué à résonner plusieurs jours dans ma tête. « Il est clair qu’on doit toujours payer ses dettes. » Pourquoi la dette ? D’où vient l’étrange puissance de ce concept ? La dette des consommateurs est le sang qui irrigue notre économie. Tous les États modernes sont bâtis sur le déficit budgétaire. La dette est devenue le problème central de la politique internationale. Mais nul ne semble savoir exactement ce qu’elle est, ni comment la penser. Les États endettés du Tiers-Monde sont presque exclusivement des pays qui, à un moment ou à un autre, ont été agressés et occupés par des puissances européennes – celles-là mêmes, souvent, à qui ils doivent aujourd’hui de l’argent. La dette ne se résume pas à la justice du vainqueur ; elle peut aussi servir à punir des vainqueurs qui n’auraient pas dû gagner. est l’histoire de la république d’Haïti, premier pays pauvre à avoir été mis en péonage( Esclavage pour dettes )permanent par la dette. Haïti a été fondé par d’anciens esclaves des plantations qui, avec force déclarations sur l’universalité des droits et des libertés, avaient osé se révolter, puis vaincre les armées de Napoléon venues rétablir l’esclavage. (David Graeber, Dette 5000 ans d’histoire, Ed. Les Liens qui Libèrent,2013).Préface. La France avait aussitôt déclaré que la nouvelle République lui devait150 millions de francs de dommages et intérêts pour l’expropriation des plantations et pour les coûts des expéditions militaires en déconfiture. Tous les autres pays, États-Unis compris, étaient alors convenus de mettre Haïti sous embargo jusqu’au remboursement de cette somme. Le montant était délibérément impossible (environ 18 milliards de dollars actuels), et, avec l’embargo qui en résulta, le mot « Haïti » est resté depuis cette époque un synonyme permanent de dette, de pauvreté et de misère humaine2 […] …C’était cette situation qui, dans les années 1980 et 1990, avait provoqué la crise de la dette du Tiers Monde ; pour obtenir un refinancement, les pays pauvres avaient alors dû se soumettre aux conditions imposées par le FMI : supprimer tout « soutien aux prix » des denrées de base, voire renoncer à maintenir des réserves alimentaires stratégiques, et mettre fin à la gratuité des soins et de l’enseignement ; le résultat net avait été l’écroulement total des mécanismes publics fondamentaux qui soutenaient certaines des populations les plus pauvres et vulnérables de la Terre. J’ai évoqué la pauvreté, le pillage des ressources publiques, l’effondrement des sociétés, la violence endémique, la malnutrition, le désespoir, les vies brisées. […]J’aurais pu lui faire remarquer que nombre de ces pays pauvres avaient déjà remboursé trois ou quatre fois la somme empruntée, mais que, par le miracle des intérêts composés, leurs versements n’avaient toujours pas réduit sensiblement le principal. Ou lui faire mesurer l’écart qui existe entre refinancer des prêts et imposer à des pays, pour obtenir ce refinancement, une politique économique libérale orthodoxe conçue à Washington ou à Zurich, que leurs citoyens n’avaient jamais acceptée et n’accepteraient jamais. Ce qu’il faut comprendre, c’est que, même dans le cadre de la théorie économique admise, l’énoncé « on doit toujours payer ses dettes » n’est pas vrai. ... Les différends sur « qui doit vraiment quoi à qui »?( J.Stiglitz, op.cit. pp.50-58)????? III)Repenser la dette: ( titre de Jared Bernstein. Alternatives économiques, 2012/3 n° 55 | pages 27 à 42 ): Continuité de cercle vicieux ou répudiation?
[…]Un système où dominent quelques institutions (la Banque mondiale, le FMI,
l’OMC) et quelques acteurs (les ministères des Finances, de l’Industrie et du Commerce, étroitement liés à certains intérêts économiques et financiers), mais où beaucoup de ceux qui sont touchés par leurs décisions n’ont pratiquement aucun droit à la parole. Il est temps de changer les règles qui régissent l’ordre économique international, de penser moins à l’idéologie et davantage à ce qui se montre efficace, de réexaminer comment les décisions sont prises au niveau international —et dans l’intérêt de qui. Il faut que la croissance ait lieu. Il est crucial que le développement réussi qui s’est produit en Asie orientale ait lieu ailleurs, car l’instabilité mondiale chronique a un coût énorme. On peut réorienter la mondialisation et, si on le fait, si on la gère de façon équitable et adaptée, en donnant à tous les pays le droit de s’exprimer sur les mesures qui les touchent, peut-être aidera-t-elle à créer une nouvelle économie mondiale où la croissance sera plus durable et où ses fruits seront plus justement partagés. (J. Stiglitz, op.cit, p.48)