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POUR OU CONTRE L'INTERDICTION DE L'ÉCRITURE INCLUSIVE ?

CHAQUE JEUDI, C'EST LE MATCH. ON CONFRONTE DEUX OPINIONS AUTOUR D'UNE QUESTION D'ACTUALITÉ … ET À VOUS DE FORGER VOTRE
PROPRE POINT DE VUE// AUJOURD'HUI, LE DÉ BAT PORTE SUR L'É CRITURE INCLUSIVE : FAUT-IL L'INTERDIRE DANS LES DOCUMENTS
ADMINISTRATIFS ?

L'initiative a remis le débat sur le devant de la scène. François Jolivet, publications officielles sur internet…) l'usage de l'écriture dite
député LREM de l'Indre, a soumis fin février une proposition de loi 'inclusive' par les administrations […] » Dimanche dernier, Valérie
visant à « l'interdiction de l'usage de l'écriture inclusive pour les Pécresse a dit avoir elle-même « supprimé l'écriture inclusive à la
personnes morales en charge d'une mission de service public ». région Ile-de-France ».
Plusieurs autres députés de la majorité et LR ont co-signé la
proposition, qui a pour objectif de bannir « dans les documents Alors faut-il (ou pas) interdire l'écriture inclusive dans
administratifs (rapports, études, comptes rendus, procès-verbaux, l'administration et les écoles ? D'un cô té Eliane Viennot, linguiste et
statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, professeure émérite de littérature de la Renaissance argue que
avis, décisions, courriers électroniques envoyés aux usagers, l'écriture inclusive existe en réalité depuis des siècles et qu'elle
permet, entre autres, d'éviter l'autocensure des femmes. De l'autre
cô té, Franck Neveu, linguiste et professeur des universités perçoit le «
prélude à un délabrement de l'Etat » et la manifestation langagière
d'une idéologie.

POUR - Franck Neveu, linguiste, professeur des universités à


Sorbonne Université

La proposition de loi portant interdiction de l'usage de l'écriture dite «


inclusive » par les personnes morales en charge d'une mission de
service public, comme le stipule d'ailleurs l'exposé des motifs, doit être
comprise comme le prolongement des préconisations énoncées en
novembre 2017 par le Premier ministre. Celui-ci rappelait dans une
circulaire que l'administration de l'Etat doit se conformer aux règles
orthographiques et grammaticales en vigueur.

Autrement dit cette proposition de loi marque la volonté de souligner


que dans ce domaine les préconisations n'ont pas d'effet, et qu'elles
doivent être solidifiées par un socle juridique.
Toutefois, il ne faut pas être naïf, la France est spécialiste des lois sans s'évertue à dénoncer en permanence la prétendue mainmise du
applications, décrétées à la hâ te sous l'effet d'un contexte politique patriarcat sur les emplois de la langue française, et à revendiquer la
particulier. Cette habitude de subordonner le juridique à visibilité, dans les échanges privés comme institutionnels, des usages
l'événementiel n'est pas sans danger pour la démocratie puisque cela communautaires de la langue.
contribue au bout du compte à affaiblir l'institution parlementaire, et à
renforcer des convictions antiparlementaristes. Dès lors, le recours à la loi peut être jugé légitime, car même si cela
reste de peu d'effet sur les pratiques linguistiques institutionnelles, ces
Concernant l'écriture dite « inclusive », nombre d'études ont fait dispositions auront au moins la vertu de rappeler que la
apparaître ses incohérences, l'irrégularité de son application, le déconstruction de la langue est le prélude à un délabrement de l'Etat.
développement des aberrations linguistiques qu'elle impose (on a pu
voir récemment préconisé au Québec l'usage de « membresse » pour Ce que la loi doit protéger, c'est l'intégrité de la morphologie de la
membre au féminin, alors que le nom est épicène (dont la forme ne langue française, afin de ne pas laisser se diffuser, avec l'assentiment
varie pas selon le genre) ; ou plus proche de nous une affiche diffusée ravi d'une bureaucratie déculturée, les paralogismes grammaticaux
dans la ville de Montreuil portant les mentions « marché paysan.ne », « dont les conséquences sont dévastatrices sur les apprentissages
produits fermier.e.s »). linguistiques.

Il est un point rarement souligné. L'extension de fait de l'écriture « CONTRE - Eliane Viennot, linguiste et professeure émérite de
inclusive » est en train de se transformer en application de droit. Il littérature de la Renaissance
n'est pas besoin de loi lorsque l'on a réussi l'immixtion mentale de
L'écriture inclusive a un défaut : l'expression est récente. Elle a été
l'autocensure : pour qui est-ce que je vais passer si je ne fais pas
forgée dans les années 1970 par des théologiennes désireuses de faire
l'effort de l'inclusivisme linguistique.
autant de place aux « soeurs » qu'aux « frères », et de réviser les
Car contrairement à ce que semblent croire nombre de Français traductions tendancieuses de la Bible (Dieu a créé l'humain, pas
l'écriture « inclusive » n'a pas vocation à rester une option. Elle n'est l'homme). Quant à la chose, elle a des siècles d'existence et il serait
pas qu'une volonté d'ajustement linguistique aux évolutions de la plus que normal de la retrouver dans les textes de l'administration
société. Ce n'est pas un problème « technique », c'est la manifestation publique.
langagière d'une idéologie qui prétend étendre sa suprématie et son
La langue française est en effet parfaitement équipée pour respecter
contrô le à tous les niveaux.
l'égale valeur des femmes et des hommes, c'est-à -dire des deux genres
Déconstruction de la langue qui nous servent à parler d'eux. Oui, « d'eux » : je fais là un accord de
proximité, avec le mot homme. Si j'avais écrit le doublet dans l'autre
Car il ne s'agit pas d'équilibrer les usages du masculin et du féminin sens, j'aurais accordé avec femme : « à parler d'elles ». Et si j'avais
dans le discours, mais bien d'utiliser du « féminin ostentatoire » en parlé des caissières et des caissiers d'aujourd'hui, j'aurais pu aussi
adoptant la position du déconstructionnisme linguistique, qui écrire « d'elles », en faisant un accord de sens (ici, la majorité).
On retrouve ces accords sous la La seule vraie nouveauté est le
plume de « nos plus grands point médian
auteurs » - sans parler de nos
plus grandes auteures. Car non Le troisième principe consiste à
seulement il y en avait, des évoquer les deux genres quand on
grandes auteures, contrairement parle de groupes mixtes («
à ce que laissent entendre nos Françaises, Français ! »), ou un
manuels de littérature, mais c'est nom collectif (« la population
ainsi qu'on les appelait jusqu'au française »), au lieu d'estimer que
temps de Molière. Qui en jouait le masculin va bien pour tout le
devant Louis XIV. Qui en monde. Ce qui non seulement
subventionnait. Mme de Villedieu, n'est pas poli, mais induit des
par exemple. Il y avait aussi des dégâ ts sévères (difficultés pour
médecines, des « officières », des les enfants de se projeter dans les
peintresses, des poétesses… Mots métiers « de l'autre sexe »,
condamnés dès cette époque, car autocensure des femmes face aux
jugés correspondre à des activités annonces d'emplois au
propres aux hommes, avant que masculin…). Et le dernier principe
surgissent de nouvelles consiste à utiliser le mot humain
excommunications, en lien avec l'entrée des femmes sur les chasses- (ou toute autre expression adéquate) pour parler de l'humanité, et non
gardées masculines : avocate, chirurgienne, pharmacienne, sénatrice, pas le mot homme.
magistrate, ministre…
La seule vraie nouveauté est le point médian. Enfant non désiré du
Voilà donc deux des quatre principes que les partisan·es de l'égalité se général De Gaulle et de la parenthèse, il a tout de même une bonne
proposent de remettre en selle : nommer les femmes au féminin, au trentaine d'années. Et ce n'est qu'un signe qui permet d'écrire, un peu
lieu de faire dérailler la langue comme nous y invitaient autrefois plus vite ou avec moins d'espace, les mots qui ont un radical commun.
académiciens et hauts fonctionnaires (« le capitaine Prieur est Pas de quoi fouetter un·e chat·te, d'autant que les abréviations ne sont
enceinte »). Et user des accords traditionnels pour résoudre les « jamais nécessaires. Quant aux néologismes qui sont apparus depuis
conflits » entre les féminins et les masculins qui appellent un adjectif peu (toustes, iels, celleux…), ils ne « prendront » que si le grand public
ou un participe commun. les trouve utiles. Comme tous les termes de la langue française, qui
furent un jour ou l'autre des néologismes.
LES QUESTIONS

1. Quelle initiative a été préparée par les députés de LREM ? Quel est son but ?

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2. Quelle est l’opinion de Frank Neveu ?

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3. Dans quel contexte parle-t-on de la déconstruction de la langue ?

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4. Quelle est l’opinion d’Eliane Viennot ?

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5. Comment l’écriture inclusive influencerait notre vie quotidienne ?

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