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Les centres de vacances et les centres de loisirs,


espaces éducatifs en crise

Colloque International « Crise et/en éducation », Université Paris Ouest,


Nanterre 2011

Busy Jean-Gabriel
* Université de Paris Ouest – Nanterre – La Défense
Doctorant en Sciences de l’Éducation, ED 139 Connaissance, langage, modélisation, EA
1589 – CREF, Équipe Crise, école, terrains sensibles
Université Paris Ouest Nanterre La Défense
200, Avenue de la République
92001 NANTERRE CEDEX
Jg.busy@free.fr

RÉSUMÉ. Les centres de vacances et les centres de loisirs, structures de l’éducation non
formelle, sont régis par des projets. Les projets, éducatif de l’organisateur, et
pédagogique de l’équipe d’animation, prévoient en amont de l’action les principes, les
valeurs et les modalités organisationnelles de ces structures. Ces structures sont en crise.
Au-delà de la crise financière qui touche nombre de ménages ou du déficit d’image
principalement lié au traitement médiatique des accidents ou des affaires de mœurs, les
séjours de vacances et les accueils de loisirs traversent une crise identitaire. En effet,
dans une perspective existentialiste, l’identité de ces structures, « l’identité pour soi »,
perçue par les organisateurs se trouve mise en tension, voire en opposition, avec son
autre versant, « l’identité pour les autres », perçue par d’autres acteurs. Deux valeurs, la
laïcité et la lutte contre le consumérisme, la première explicite, la seconde implicite,
favorisent cette analyse.

MOTS-CLÉS : Crise identitaire, laïcité, consumérisme, socialisation, éducation non


formelle.

Colloque « Crise et/en éducation », Octobre 2011, UPO Nanterre La Défense


2 Colloque « Crise et/en éducation », Octobre 2011, UPO Nanterre La Défense

Introduction

Les accueils de loisirs sans hébergement et les séjours de vacances, structures de


l’éducation non formelle, sont remis en cause dans leurs principes, leurs buts et les valeurs
qui président à leur organisation. Ce constat ne s’arrête pas à des affirmations théoriques qui
viennent percuter les projets éducatifs et pédagogiques, mais à des phénomènes observables
qui impactent ces structures non seulement dans leur organisation générale et quotidienne,
mais aussi au niveau de leur fréquentation. Les accueils collectifs de mineurs à caractère
éducatif doivent répondre à des sollicitations, voire à des injonctions, contraires à certains
principes, buts et valeurs qui les animent.
La crise « identitaire » (d’identification) à l’œuvre dans les accueils de loisirs sans
hébergement et les séjours de vacances est, comme je vais tenter de le montrer dans cette
communication, multi-causale. En outre, elle remet en cause ces structures jusque dans leur
fonction.
D’une part, les enfants, les jeunes et les familles potentiellement concernés, participants
ou non, demandent à ce que leur situation particulière, leurs exigences personnelles et leurs
convictions soient prises en compte, ce, indépendamment des valeurs, des principes et des
objectifs affirmés dans les projets éducatifs des organisateurs et les projets pédagogiques des
équipes d’animation, voire des limites inscrites dans les règlements intérieurs quand ils
existent.
D’autre part, les organisateurs, élus comme administrations, et les équipes d’animation,
directeurs ou animateurs, ne définissent ni ne s’approprient de la même façon les principes,
les valeurs et les objectifs énoncés et défendus dans ces projets. Dans ce sens, des différences
d’interprétation notoires apparaissent d’une structure à l’autre, voire au sein d’une même
structure et en perturbent la lisibilité.
Je vais m’attacher à montrer ici qu’au-delà de victimes de la crise économique ou d’un
déficit d’image, les accueils collectifs de mineurs à caractère éducatif, en tant qu’institutions
de l’éducation non formelle, connaissent une crise identitaire. Celle-ci apparaît à la fois dans
l’écart qui se creuse entre leur « identité pour soi » et leur « identité pour les autres » et dans
l’incertitude quant à l’aboutissement de ces tensions.
En effet, d’un côté, les discours institutionnels tendent à accentuer les aspects collectifs
d’abord, éducatifs ensuite, de l’autre, les revendications des participants, voire de certains
acteurs, tendent vers l’individualisation. Les accueils collectifs de mineurs à caractère
éducatif sont, d’un côté, remis en cause dans les valeurs et les objectifs qui leur sont assignés,
dans leur fonctionnement, voire jusque dans leur existence, en tout cas pour les séjours de
vacances. Tandis que, de l’autre côté, les valeurs, les objectifs et le modèle organisationnel
dominant perdurent.

1. Des structures régies par des projets

Les accueils collectifs de mineurs à caractère éducatif, nouvelle appellation institutionnelle


des centres de vacances et des centres de loisirs, accueillent des enfants et des jeunes à
l’occasion de leurs vacances et de leurs loisirs. Ces accueils sont organisés par des
associations, des comités d’entreprise, des collectivités territoriales, des entreprises
commerciales.
Ce sont des structures de l’éducation non formelle, c'est-à-dire de l’éducation qui, bien
que dispensée en dehors du cadre scolaire, relève de l’intentionnalité, de la formalisation, du
Les centres de vacances et les centres de loisirs, espaces éducatifs en crise 3

projet, qui vise principalement la socialisation, l’acculturation. Ces structures sont


explicitement reconnues par les professionnels comme structures de l’éducation.
Les centres de vacances et les centres de loisirs sont régis par des projets. Les différents
projets qui président à l’organisation des accueils collectifs de mineurs ne sont ni de même
niveau ni de même portée. En outre, certains projets relèvent, pour ces accueils, de
l’obligation règlementaire. Je vais, les présenter dans l’ordre hiérarchique donné par la
Direction de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire (DJEP), administration attachée au
ministère de la Jeunesse et de la Vie associative.

1.1. Les projets obligatoires


Il s’agit du projet éducatif et du projet pédagogique. Ces deux projets sont exigés par le
ministère de la Jeunesse et de la Vie associative.

1.1.1. Le projet éducatif


Le projet éducatif est élaboré par l’organisateur. Chaque organisateur rédige son propre
projet éducatif. La Direction de la Jeunesse et de l’Éducation populaire (DJEP) indique que
« le projet éducatif traduit l’engagement de l’organisateur, ses priorités, ses principes. Il
définit le sens de ses actions. Il fixe des orientations et des moyens à mobiliser pour sa mise
en œuvre »1. Elle précise : « il s’agit d’un projet pluriannuel qui vise à favoriser la continuité
de l’action », dans lequel « l’organisateur fait le lien avec les accueils qu’il organise ». Il
s’agit, « pour l’organisateur, de permettre et de faciliter la mise en œuvre de l’action ».
Ce projet doit être communiqué. Il permet, toujours selon la DJEP :
- aux familles, « de mieux connaître les objectifs de l’organisateur à qui elles confient
leurs enfants et de confronter ces objectifs à leurs propres valeurs et/ou attentes » ;
- aux équipes pédagogiques, « de connaître les priorités de l’organisateur et les moyens
que celui-ci met à leur disposition » ;
- à l’autorité de tutelle et de contrôle, entre autres, « de repérer les intentions
éducatives développées dans chaque accueil » et « d’observer les éventuels
dysfonctionnements et incohérences entre le fonctionnement de l’accueil et les
objectifs énoncés ».
Nombre d’organisateurs d’accueils collectifs de mineurs à caractère éducatif (ACM),
outre favoriser l’autonomie, la citoyenneté, l’éducation à l’environnement, la construction de
l’acteur de demain… font référence à la laïcité, voire s’affirment laïcs, dans leur projet
éducatif. En outre, nombre d’entre eux disent refuser les pratiques consuméristes.
Le projet éducatif doit, selon la DJEP, indiquer les choix de l’organisateur. Il est, dans ce
sens, un instrument de communication vers les équipes d’animation et vers les familles. Les
équipes d’animation doivent le mettre en place.

1.1.2. Le projet pédagogique


Le projet pédagogique est, selon la Direction de la Jeunesse et de l’Éducation Populaire
(DJEP), « spécifique aux caractéristiques de chaque accueil. Il résulte d’une préparation
collective et traduit l’engagement d’une équipe pédagogique dans un temps et un cadre

1 In Projets éducatif et pédagogique en centres de vacances et en centres de loisirs sans hébergement (2003),
Paris, Ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche, Bureau des Centres de Vacances et de
loisirs, Centres de vacances et de loisirs
4 Colloque « Crise et/en éducation », Octobre 2011, UPO Nanterre La Défense

donné ». Il permet « de donner du sens aux activités proposées et aux actes de la vie
quotidienne. Il aide à construire les démarches pédagogiques ». Il prend en compte les
particularités d’un public donné, pendant une période bornée dans le temps.
Le projet pédagogique varie d’une structure et d’une équipe à l’autre, tant dans sa forme
que dans son contenu. Il « concrétise le projet éducatif », « les préoccupations de
l’organisateur y sont repérées »2. Pour l’institution de tutelle et de contrôle, le projet
pédagogique découle du projet éducatif.
Nombre de projets pédagogiques visent comme objectifs :
- Le développement de l’autonomie,
- La prise de parole, l’expression,
- La découverte et le respect de l’environnement…
La laïcité, pas plus que le refus, voire la lutte, contre les pratiques consuméristes ne sont
pas systématiquement évoquées dans les projets pédagogiques. Cependant, il est permis de
supposer que la référence « obligatoire » au projet éducatif oriente les pratiques dans le sens
voulu par l’organisateur. Par exemple, au niveau de l’organisation quotidienne, l’élaboration
des menus, le service de plats de substitution, de viande hallal, relève davantage de
l’organisateur que de l’équipe d’animation.
D’autres projets, président à l’organisation des centres de vacances et des centres de
loisirs. C’est le cas des projets fédéraux ou associatifs des mouvements de jeunesse et
d’éducation populaires, organismes de formation et des projets d’animation ou projets
d’activité.

1.2. Les projets facultatifs

1.2.1. Les projets fédéraux ou associatifs des mouvements de jeunesse


On compte, en France, 23 organisations habilitées à dispenser la formation BAFA et
BAFD, au niveau national et de manière permanente. Le ministère de la Jeunesse et de la Vie
associative compte 220 000 inscriptions aux BAFA et BAFD3, pour environ 55 000 BAFA et
2 400 BAFD délivrés chaque année4.
La plupart de ces organisations se disent laïques ou affirment leur engagement dans « dans
une société laïque et pluraliste ». Ces organismes agissent dans le domaine des séjours de
vacances et des accueils de loisirs à plusieurs niveaux. Tout d’abord, comme nous venons de
le voir, par le biais de la formation dispensée et des stagiaires formés. Ensuite, par la
reconnaissance, voire l’adhésion, de nombre d’organisateurs à leurs principes et à leurs
valeurs. Encore, par l’intermédiaire de publications, d’enquêtes, de manifestations... Enfin,
parfois, par l’organisation d’accueils. Cependant, avoir été formé par un organisme ne
préjuge ni d’une adhésion, ni d’un engagement à ses valeurs et à ses principes. De ce point de

2 In Projets éducatif et pédagogique en centres de vacances et en centres de loisirs sans hébergement (2003),
Paris, Ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche, Bureau des Centres de Vacances et de
loisirs, Centres de vacances et de loisirs

3 Le site du BAFA et du BAFD :

http://www.bafa-bafd.gouv.fr/

4 Le portail de la modernisation de l’État :

http://cequecachangepourvous.modernisation.gouv.fr/bafa-bafd.htm
Les centres de vacances et les centres de loisirs, espaces éducatifs en crise 5

vue, nous verrons que l’adhésion d’un organisateur, voire l’organisation directe d’accueils
collectifs ne suffit pas toujours à diffuser les valeurs et les objectifs jusqu’au terrain.

1.2.2. Les projets d’animation et les projets d’activité


Les projets d’animation ou les projets d’activité marquent indéniablement la
professionnalisation du secteur de l’animation d’enfants et de jeunes. En effet, ils se veulent
répondre à l’évolution des exigences en matière d’offre, de gestion financière et de gestion
budgétaire. Certains ne différencient pas ces deux projets, d’autres le font. Dans ce cas, ils se
définissent comme suit :
- Le projet d’animation correspond à une sous-partie d’un projet pédagogique, comme,
en centre de loisirs, une période de vacances particulière dont le projet diffère du
fonctionnement habituel, ou encore
- Tandis que le projet d’activités prévoit la mise en place d’une action particulière, du
point de vue de son importance, de son coût, du partenariat ou de son organisation.
Dans la logique de l’institution de tutelle, ces projets, en tout cas le projet éducatif et le
projet pédagogique, s’imbriquent les uns dans les autres, à la façon de poupées russes. En
outre, ces écrits prévoient en amont l’organisation, le déroulement et les principes qui
gouvernent les centres de vacances et les centres de loisirs. De ce point de vue, ils prouvent
l’identité, dans sa double acception, différenciation et généralisation, de chacune de ces
structures.
Les différents projets témoignent de « l’éducativité », de l’apport éducatif, de ces
structures. Ils devraient permettre aux différentes parties en présence, organisateur, équipe
d’animation, familles, enfants et jeunes, de s’approprier, voire d’adhérer, aux valeurs
défendues, c'est-à-dire de connaître l’identité de la structure à laquelle ils vont participer à un
niveau ou à un autre.

2. Des structures en crise

Pourtant, des dissensions, voire des oppositions, apparaissent entre les différents acteurs
concernés. Tous n’ont pas les mêmes attentes, exigences, vision et compréhension du rôle de
ces structures. Au-delà des difficultés financières que connaissent certaines familles ou du
déficit d’image dû à certains événements comme les accidents ou les affaires de mœurs, les
centres de vacances et les centres de loisirs ne sont pas perçus de la même façon par les
organisateurs, les équipes d’animation et les familles.
La volonté, les préoccupations, les valeurs et les principes exprimés par les organisateurs
ou par les mouvements de jeunesse dans leurs projets sont interpellés, interrogés, ignorés,
cachés, voire contestés ou rejetés, dans leur mise en œuvre sur le terrain. Les accueils
collectifs à caractère éducatif traversent une crise identitaire.

2.1. Des valeurs explicites et des valeurs implicites

Les centres de vacances et les centres de loisirs n’ont pas la même utilité pour les
différents acteurs concernés. Ainsi, si comme nous l’avons vu précédemment les discours
institutionnels insistent sur l’apport éducatif de ces structures, il n’est pas certain que, dans les
faits, cette convergence se vérifie lorsque l’on se place selon d’autres points de vue.
Des tensions et des dissensions se mettent en œuvre au niveau de l’identité des centres de
vacances et des centres de loisirs. Celles-ci se jouent à plusieurs niveaux :
6 Colloque « Crise et/en éducation », Octobre 2011, UPO Nanterre La Défense

- Au niveau des projets eux-mêmes, dont l’intérêt et l’objet n’ont pas le même sens
d’un acteur à l’autre (définition d’objectifs, de sens, orientation, réponse à
commande, obligation réglementaire, instrument de communication…)
- Au niveau des valeurs, principes et objectifs mis en avant dans ces projets : désaccord
sur le fond entre différents acteurs (laïcité, lutte contre le consumérisme)
- Au niveau des acteurs eux-mêmes dans leurs pratiques, leurs croyances, leur
positionnement…
Comme nous l’avons vu précédemment, l’institution de tutelle accorde une importance
non négligeable aux projets, même si elle laisse une grande marge de manœuvre aux
organisateurs et aux équipes d’animation dans leur élaboration et dans leur mise en place. Les
projets, dans les discours institutionnels président à la mise en place des centres de vacances
et des centres de loisirs.
Dans la réalité, il apparaît que les projets éducatifs ou les projets pédagogiques ne
représentent pas la même chose d’un organisateur à l’autre, d’une équipe d’animation à
l’autre, voire d’une famille à l’autre. Ainsi, la référence à la laïcité est formalisée, alors que la
lutte contre le consumérisme n’apparaît pas ou que très peu.
Ainsi, d’un projet éducatif local à un projet éducatif de service, il existe de grandes
différences d’interprétation dans la définition et l’intérêt accordé au projet. Il est possible de
relever qu’ils évoquent explicitement la laïcité, même si, à ce stade, ils ne définissent pas ce
qu’est être laïc. Il est possible de supposer que cela est sous-entendu dans les autres objectifs.
En effet, fixer des objectifs, comme la socialisation ou l’apprentissage de la citoyenneté,
prouverait leur volonté de se différencier du secteur consumériste. Les centres de vacances et
les centres de loisirs ne sont pas des produits de consommation mais des lieux d’éducation.
Les projets en général et le projet éducatif en particulier prouveraient donc l’identité des
centres de vacances et des centres de loisirs, comme structure de l’éducation non formelle, en
tout cas du point de vue des organisateurs. Ces projets marqueraient l’identité « pour soi » de
ces structures. Dans une perspective existentialiste, l’identité a besoin pour exister d’être
attribuée par les autres. Comme nous allons le voir maintenant, il existe des tensions entre ces
deux perceptions de l’identité de ces structures.
En effet, le projet éducatif est un outil de communication. Il a vocation, comme le précise
la DJEP à permettre aux familles « de mieux connaitre les objectifs de l’organisateur à qui
elles confient leurs enfants et confronter ces objectifs à leurs propres valeurs et/ou attentes ».
Dans le même sens, il doit permettre aux équipes pédagogiques « de connaître les priorités de
l’organisateur et les moyens que celui-ci met à leur disposition ».
Les familles et les équipes d’animation devraient donc adhérer aux objectifs, aux valeurs
et aux priorités de l’organisateur en connaissance de cause. D’abord, les familles comme les
animateurs ont leurs propres valeurs. Ensuite, les notions employées par les organisateurs ne
sont pas explicitées. Enfin, comme nous l’avons vu précédemment, il n’est pas sûr que le
projet éducatif soit transmis, voire lu, de manière systématique.
De manière générale, les valeurs et les objectifs des organisateurs ne sont pas
rigoureusement définis. Si je n’ai pas prouvé que cela génère des tensions, il est permis de
supposer que cela ouvre la voie à des interprétations et des postures différentes, voire
contradictoires, de la part des destinataires, familles ou équipes d’animation.

2.2. La laïcité, une valeur controversée

Avant de poursuivre, il me faut préciser que j’ai retenu comme définition de la laïcité celle
donnée par la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la
Les centres de vacances et les centres de loisirs, espaces éducatifs en crise 7

République, qui, à défaut d’être parfaite, rassemble un large consensus. La laïcité « pierre
angulaire du pacte républicain repose sur trois valeurs indissociables : liberté de conscience,
égalité en droit des options spirituelles et religieuses, neutralité du pouvoir politique5
(Delahaye, 2008) ». « Liberté de conscience » est à prendre dans le sens de « liberté
individuelle ou collective de croire ou de ne pas croire » ; « l’égalité en droit » s’applique à
« tous les citoyens quelles que soient leurs convictions » ; « neutralité du pouvoir politique »
se traduit par l’obligation de l’égalité de traitement de tous les individus. Se dire la laïc
revient donc à prôner une organisation dans laquelle les individus sont égaux en droit et
traités de manière impartiale au regard de leurs convictions.
Nombre d’exigences particulières, formulées par les familles ou par des animateurs,
interpellent, voire percutent, leur engagement laïc. Celles-ci portent tant sur l’organisation
générale des accueils que sur des aménagements particuliers.
Au niveau des repas, par exemple, aujourd’hui, il est globalement admis que les enfants et
les adultes qui ne mangent pas de porc se voient servir un plat de substitution. Il arrive même
que des enfants qui disent manger du porc soient interpelés, au vu de leur apparence physique
ou de leur prénom. En revanche, certaines demandes d’ordre cultuel n’obtiennent pas la
même réponse. C’est souvent le cas des parents qui demandent que leur enfant ne mange pas
de viande, ou demandent que la viande servie soit hallal. Dans ces cas, non seulement le
service de plats de substitution n’est pas prévu, mais, le cas échéant, les plats composés
(hachis Parmentier, lasagnes...) ne sont pas toujours écartés des menus.
Au niveau de pratiques religieuses, si l’époque où les parents stipulaient sur la fiche
d’inscription leur choix de voir leur enfant aller à la messe pendant son séjour semble
révolue, d’autres revendications émergent. Il ne s’agit pas de demande d’accompagnement
vers un lieu de culte, mais plutôt de respect de certaines pratiques. Par exemple, des jeunes et
des animateurs revendiquent de pratiquer le jeun pendant le Ramadan. Certains animateurs ne
s’installent pas à table avec les enfants, voire s’écartent du groupe en fin de journée pour
rompre le jeun. Là encore, les réponses apportées à de telles demandes diffèrent d’un
organisateur à l’autre, acceptation, refus ou ignorance. Il arrive que la position adoptée se
retranche derrière des arguments autres, comme la santé, la sécurité des jeunes (risque de
déshydratation) ou l’impossibilité organisationnelle (horaires du personnel de cuisine).
Au niveau de la mixité de genre, même si beaucoup plus rarement, certains parents
s’inquiètent de la présence de garçons à proximité de la chambre de leur fille, en séjour de
vacances. De ce point de vue, un père a signifié son mécontentement lorsqu’il a su que sa
fille âgée de 12 ans avait embrassé un garçon pendant la boum. Ce père a alors prétendu être
« déshonoré ». Dans le même ordre d’idées, une maman ne voulait pas que sa fille parte car,
pour elle, les séjours étaient « mieux pour les garçons ».
Les réponses apportées par les organisateurs et les équipes diffèrent d’un lieu à un autre,
du refus à l’adaptation à la demande. Certaines collectivités servent exclusivement de la
viande hallal. D’autres ont supprimé le porc de leurs menus. D’autres encore, annoncent du
poisson le vendredi sur leurs menus.
Ces exemples montrent les tensions à l’œuvre entre un projet d’ordre général et des
exigences particulières. Ces sujets sont rarement discutés en amont, mais font plutôt l’objet
de négociations et, le cas échéant, d’adaptations à des situations singulières, pendant le
fonctionnement.

5 Laïcité in Van Zanten, A. (2008). Dictionnaire de l’éducation. Paris, Puf, Quadrige Dicos poche.
8 Colloque « Crise et/en éducation », Octobre 2011, UPO Nanterre La Défense

2.3. Le consumérisme, une pratique contestée

Les centres de vacances et les centres de loisirs connaissent d’autres tensions, dans la mise
en place de leurs projets. Évoquer le consumérisme ou la lutte contre le consumérisme va
nous permettre de mieux les voir. À l’instar de la laïcité, la volonté de se démarquer, voire de
réfuter, les pratiques consuméristes ne se traduit pas toujours dans les faits. Là encore, les
exigences et les habitudes des familles viennent heurter les intentions des organisateurs. Si,
majoritairement, les familles reconnaissent l’apport éducatif de ces structures, elles les voient
aussi comme des lieux de pratiques d’activités variées ou comme un mode de garde. De plus,
certains discours et certaines pratiques des organisateurs eux-mêmes télescopent ce
positionnement anticonsumériste.
Considérons le moment de l’inscription et, surtout, le choix du séjour. Pour nombre de
familles, les dates et les activités proposées pèsent davantage que les objectifs éducatifs
annoncés. D’ailleurs, le nombre de séances par activité tend à se contractualiser. Il n’est pas
rare que des parents se plaignent, voire réclament un abattement sur le montant du séjour, si,
au retour, leur enfant dit ne pas avoir pratiqué l’activité annoncée. Nombre de directeurs de
centres de loisirs, constatent une augmentation de la fréquentation des enfants les jours de
sortie. Là encore, certains parents peuvent se montrer virulents lorsque leur enfant n’a pas
bénéficié de la sortie prévue. Certains vont jusqu’à évoquer un droit du au prix payé. Dans ce
sens, certains parents s’offusquent lorsqu’on leur annonce que leur enfant va participer aux
tâches quotidiennes. La médiocrité de la prestation prend alors le pas sur les apprentissages et
l’autonomie visés.
Cette demande de « prestations » est parfois relayée par, voire provient directement, des
équipes d’animation. Sortir ou s’adresser à des prestataires participe alors de la qualité de
l’accueil. Cinéma, piscine, base de loisirs, parc, gymnase, forêt... sont fréquemment
demandés par les équipes d’animation en centres de loisirs. Dans les centres de vacances, les
activités spécifiques, sportives ou artistiques sont très demandées par les animateurs. Il arrive
parfois que certains regrettent le peu de séances programmé. Pourtant, ces sorties n’ont pas
toujours un but explicité. Par ailleurs, certaines activités exigent d’être encadrées par des
spécialistes diplômés. À l’inverse, ne pas pouvoir sortir, ne pas pouvoir faire appel à des
prestataires relève du manque de moyens. Quoiqu’il en soit, nombreuses ou pas, sorties et
prestations « améliorent » un ordinaire dénoncé comme bien terne autrement.
Ce que nombre d’organisateurs, de leur côté, ne démentent pas, même s’ils contestent les
agissements de certains « concurrents ». Ainsi, indépendamment de leur statut, associations,
comités d’entreprise, collectivités territoriales ou sociétés, nombre d’organismes proposent
des catalogues de séjours dans lesquels l’accent est mis sur des activités alléchantes, plus que
sur les apports éducatifs. Séjours thématiques, activités spécifiques planifiées d’avance,
« adaptées », encadrées par des personnels « qualifiés » sont détaillées et complètent « les
animations traditionnelles des centres de vacances »6.
D’ailleurs, plusieurs d’entre eux le déplorent, mais supprimer ces activités écarteraient les
jeunes des « colos ». Et puis, comme le rappelle l’un d’eux en préambule de son projet
éducatif : « les associations, tout comme les PME, doivent gérer des contraintes budgétaires
et parvenir au moins à l’équilibre financier »7.
De ce point de vue, les centres de vacances représentent un marché à conquérir. Rachat de
société et politique commerciale permettent alors d’augmenter le chiffre d’affaires. Une

6 http://www.quivoyage.com/index2.html

7 http://www.telligo.fr/wp-content/uploads/2009/11/Projet-educatif-v2-2-site-web.pdf
Les centres de vacances et les centres de loisirs, espaces éducatifs en crise 9

société prétend ainsi être devenue la « deuxième société française dans le secteur avec un
chiffre d’affaires consolidé de 22 millions d’euros en 2008 ». Elle développe, « en
complément de sa gamme classique », une « nouvelle gamme de séjours ». Cette « nouvelle
gamme » cible les familles modestes en offrant des séjours à des prix « 15 à 30 %
inférieurs » et fait « l’objet d’une brochure distincte ». Il est même précisé que les séjours de
cette gamme ne bénéficient pas du même « taux d’encadrement record » que les autres. Cette
autre société offre des « Pass’fidélité », c’est à dire des billets d’avion pour la destination de
son choix en Europe, aux animateurs qui donnent satisfaction et lui sont fidèles.

2.4. Une décision lourde de conséquences

Par ailleurs, les choix actuellement en réflexion risquent d’impacter de manière


importante sur les centres de loisirs et encore plus sur les centres de vacances. La remise en
cause du contrat d’engagement éducatif par la Cour de Justice de l’Union Européenne
(CJUE) au mois d’octobre 2010 provoque une vive inquiétude chez nombre d’organisateurs
et de directeurs. La conséquence serait, selon le journal Sud Ouest8, une augmentation de 20
à 30 % des frais ou la fermeture des centres de vacances.
Assimiler les animateurs à des professionnels et imposer un temps de repos de 11 heures
par jour obligerait à augmenter le nombre de personnes dans les équipes des centres de
vacances. De plus, cela remet en cause la mission d’initiation aux responsabilités qu’ont ces
structures. Comme le rappelle un député, « sur un plan sociétal, les accueils collectifs de
mineurs portent des valeurs éducatives et permettent à des jeunes de participer, de contribuer
ensemble durant leur temps libre, à une mission éducative d’intérêt général »9. Ce député
précise plus loin : les centres de vacances et les centres de loisirs « permettent aux jeunes
volontaires de vivre une étape dans l’accession au monde des adultes. Ils constituent un
apprentissage de la relation éducative qui pourra leur être utile dans leur future responsabilité
citoyenne ».

Conclusion

Comme nous venons de le voir, les centres de vacances et les centres de loisirs sont
bousculés dans leurs valeurs et leurs principes. L’observation de ces deux valeurs montre
bien que cette remise en cause ne se cantonne au niveau du discours mais se voit dans des
actes.
Les accueils collectifs de mineurs à caractère éducatif, séjours de vacances comme
accueils de loisirs, semblent bien transiter entre deux positions. L’une, plus ancienne, découle
des courants de l’éducation populaire et de l’économie sociale. L’autre, plus récente, s’inscrit
dans les courants de l’économie de marché.
Autant la première position n’est pas définitivement abandonnée, autant la seconde n’est
pas complètement atteinte. Ainsi, si la perception des centres de loisirs et, surtout, des centres

8 Sud Ouest, : Les colos encore menacées, Bergaoui J., jeudi 18 août 2011, consulté le 30 août :

http://www.sudouest.fr/2011/08/18/les-colos-encore-menacees-476955-4171.php

9 Régis Juanico, Député de la Loire :

http://www.juanico.fr/2011/08/12/les-colos-et-centre-de-loisirs-en-danger-mon-interpellation-de-jeannette-
bougrab-et-luc-chatel-qui-cree-un-groupe-de-travail-specifique-sur-l%E2%80%99avenir-du-contrat-
d%E2%80%99engagement-educatif/
10 Colloque « Crise et/en éducation », Octobre 2011, UPO Nanterre La Défense

de vacances comme marchés générateurs de richesses tend à se développer, cette vision n’est
pas admise par tous, voire fait l’objet d’oppositions virulentes. Il ne s’agit donc pas d’un
glissement linéaire entre deux positions, mais bien d’une crise. Une part d’incertitude quant à
son aboutissement, en termes de tendance et, surtout, en termes de délai, subsiste.
En effet, il n’est pas possible aujourd’hui de se prononcer avec certitude quant à l’avenir
des séjours de vacances ou des accueils de loisirs. Il n’est pas non plus possible d’indiquer
une échéance précise aux changements qui se jouent. L’actuel débat sur le contrat
d’engagement éducatif (CEE) montre à quel point cet avenir semble lié à des décisions à
venir.
Les accueils collectifs de mineurs à caractère éducatif traversent bien une crise. Celle-ci,
dépasse, comme nous venons de le voir les difficultés financières des familles et le déficit
d’image des structures. Bien plus profonde, la crise identitaire des centres de vacances et des
centres de loisirs reflète les débats actuels sur la laïcité.

Bibliographie

Arénilla, L., Gossot, B., Rolland M.C., & Roussel M.P. (2000). Dictionnaire de
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