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© ADOBE STOCK
PRISE EN CHARGE
DES DYSTHYROÏDIES
Le dépistage des dysthyroïdies est en hausse, mais elles sont probablement surdiagnostiquées.
Les algorithmes de prise en charge sont maintenant bien codifiés, ce qui permet d’éviter
les examens et traitements inutiles. Les indices cliniques et les antécédents du patient
tendent à révéler les causes et orientent le diagnostic.
L
es dysthyroïdies sont fréquentes chez l’adulte. En nombre important de surdiagnostics, donc de traite-
Europe, une méta-analyse a estimé la prévalence ments par excès.
de l’hyperthyroïdie à 0,75 % de la population En effet, un taux de TSH anormal (selon les seuils du
(femmes et hommes confondus), avec une inci- laboratoire) n’est pas forcément synonyme de dys
dence de 0,51 cas pour 1 000 personnes par an. thyroïdie : les valeurs de référence peuvent différer
La prévalence européenne de l’hypothyroïdie, selon les populations, l’état de santé et l’âge du patient,
quant à elle, se situe entre 0,2 et 5,3 % (selon la défini- par exemple ; par ailleurs, les variations de cette
tion utilisée) avec une incidence de 0,6 cas pour hormone sont fréquentes au cours de la phase aiguë
Service de 1 000 hommes et 5 cas pour 1 000 femmes par an.1 d’une pathologie non thyroïdienne, sans pour autant
médecine interne, Depuis une dizaine d’années, les études épidémiolo- être pathologiques.
endocrinologie et
nutrition, hôpital
giques montrent une augmentation de la prévalence Hormis les cas exceptionnels du coma hypothyroïdien
de Hautepierre, des dysthyroïdies. Elle est probablement liée, en par- ou de la cardiothyréose sévère dont les diagnostics
CHU de Strasbourg ticulier dans les pays développés, à l’accroissement sont le plus souvent posés en service de réanimation,
philippe.
baltzinger@ des prescriptions du dosage de la thyroid-stimulating les anomalies de la fonction thyroïdienne ne néces-
chru-strasbourg.fr hormone (TSH, ou thyréostimuline), entraînant un sitent que très rarement une prise en charge urgente.
Insuffisance thyréotrope
TSH 4-10 mUI/L TSH > 10 mUI/L
Pas de Traitement
traitement à discuter
Figure 1. Suspicion d’hypothyroïdie : conduite à tenir. TSH : hormone thyréostimulante ; Ac anti-TPO : anticorps antithyropéroxydase ; T4 : thyroxine.
Les seuils et prises en charge indiqués sont communément admis ; ils ne doivent pas être lus comme des valeurs absolues.
EN CAS DE SUSPICION D’HYPOTHYROÏDIE à titre indicatif. Ils ne doivent pas être perçus comme
Si l’interrogatoire et l’examen clinique font suspecter une valeur absolue conduisant au basculement d’un
une hypothyroïdie, il est recommandé de prescrire en état « euthyroïdien » à un état « hypothyroïdien ».
première intention uniquement le dosage sanguin de Ce sont l’examen clinique et la singularité du patient
la TSH. Plusieurs situations sont alors possibles (fig. 1). qui doivent orienter la prise en charge.
En cas de TSH élevée, le dosage des anticorps anti
Si le dosage de la TSH est normal thyropéroxydase (TPO) peut être également réalisé.
Dans ce cas, aucun examen complémentaire n’est né- S’il est positif, il oriente vers un diagnostic de thyroï-
cessaire (en dehors des rares situations d’insuffisance dite auto-immune, cause la plus fréquente des hypo-
thyréotrope qui nécessiteraient un dosage de la thy- thyroïdies. Il n’est jamais nécessaire de contrôler le
roxine libre [T4L]), et un dosage de contrôle n’est jus- titre des anticorps, car il n’est pas corrélé à l’évolution
tifié qu’en cas de modification clinique. clinico-biologique.4
thyroïdie, de l’âge et des comorbidités du patient. daire est nécessaire les six premières semaines afin de ne
De manière générale, une prise en charge en fonction pas négliger une agranulocytose toxique. Rare, avec une
de la cause de l’hyperthyroïdie est nécessaire, et un incidence de 0,4 % en moyenne (proportionnelle à la po-
avis spécialisé peut faciliter la prise de décision. sologie), le patient doit être informé de sa survenue pos-
sible, avec des consignes simples : nécessité de réaliser
Traiter en fonction de la cause un hémogramme en urgence et de consulter en cas de
Pour une hyperthyroïdie avérée, trois types de traite- fièvre ou d’infection ORL. Sa survenue est plus fréquente
ment sont indiqués : en cas de dose importante et en début de traitement, mais
Les antithyroïdiens de synthèse, ou ATS (méthima- elle peut survenir à tout moment lors du traitement. La
zole, carbimazole, propylthiouracile), inhibent la fonc- surveillance du bilan hépatique n’est pas obligatoire mais
tion thyroïdienne, avec un effet qui dépend de la dose. il peut être réalisé toutes les deux semaines durant les
La diminution des hormones thyroïdiennes s’observe en deux premiers mois de traitement. Chez les femmes en
quelques semaines (selon l’augmentation initiale) et né- âge de procréer, une contraception efficace est nécessai-
cessite un suivi régulier. Un hémogramme hebdoma- rement proposée, vu le risque tératogène des ATS.
Que dire à vos patients ? ments peuvent être discutés en première intention. Les
pratiques françaises7 sont de proposer les antithyroï-
• Les dysthyroïdies sont fréquentes, de faible diens de synthèse en première ligne (durant 12 à 18 mois)
gravité et ne nécessitent pas toujours un et un traitement chirurgical ou par iode 131 en cas
traitement immédiat. d’échec ou de récidive. La Société française d’endocrino
logie a rendu un consensus sur le diagnostic et la prise
L’ESSENTIEL
• La symptomatologie étant aspécifique,
les symptômes rapportés ne sont pas forcément en charge de la maladie de Basedow en 2016.8
en lien avec une anomalie du dosage de la TSH
qui est bien souvent ponctuelle et dont le contrôle Cas de l’hyperthyroïdie fruste Le dosage de la
à distance peut montrer une normalisation Dans ce cas (TSH abaissée, hormones thyroïdiennes TSH est indiqué en
première intention
spontanée. normales), les causes et les traitements sont inchangés.
en cas de
• Le traitement d’une dysthyroïdie avérée ne En revanche, leur temporalité et leurs indications sont suspicion clinique
permet pas toujours la correction de tous discutées en fonction de la situation du patient en de dysthyroïdie.
les symptômes ; la recherche d’autres pathologies parallèle d’une surveillance clinico-biologique. Aucun autre
peut être nécessaire. dosage
QUAND LE TRAITEMENT EST-IL INUTILE ? systématique
n’est initialement
Le traitement par lévothyroxine est réservé aux situa- recommandé.
tions d’hypothyroïdie (clinique et biologique). Ainsi, il
Le traitement par iode 131 équivaut à une radiothé- n’est pas nécessaire de traiter un patient avec une symp-
Un taux de TSH
rapie interne vectorisée : une gélule ou une solution tomatologie, même très évocatrice, mais dont le bilan normal élimine
d’iode 131 administrée per os est métabolisée par les hormonal est normal. Il n’est pas non plus utile dans le une dysthyroïdie
cellules thyroïdiennes, qui sont ensuite détruites par cas de nodules thyroïdiens puisqu’il n’en modifie pas et ne nécessite un
le rayonnement bêta émis par cet isotope. Ce traite- l’histoire naturelle. Concernant les goitres non nodu- contrôle qu’en cas
ment est réalisé en ambulatoire car il ne nécessite laires, certaines études ont montré un bénéfice modéré de modifications
cliniques. Un
qu’une faible dose. Son efficacité est progressive sur et transitoire du traitement (qui disparaît en quelques taux de TSH
plusieurs semaines et permet un retour à l’euthyroïdie. mois après son arrêt) sur le volume du goitre. Ce bénéfice anormal n’est
Toutefois, plusieurs effets indésirables sont possibles, a un intérêt clinique apparemment limité. pas forcément
dont l’hypothyroïdie définitive est le plus fréquent. Un Liens d’intérêts des auteurs : voir site internet de La RDPMG. synonyme de
traitement insuffisant peut évoluer vers une récidive. dysthyroïdie.
Il doit être
La chirurgie est également envisageable : elle permet
RÉFÉRENCES contrôlé par un
une guérison définitive tout en traitant une éventuelle deuxième dosage
1.Taylor PN, Albrecht D, Scholz A, et al. Global epidemiology of hyperthyroi-
problématique nodulaire. Il est toutefois nécessaire de dism and hypothyroidism. Nat Rev Endocrinol 2018;14(5):301-16. à distance.
prendre en considération les risques liés à l’anesthésie 2. Haute Autorité de santé. Pertinence des soins hypothyroïdie. Outil d’amé-
lioration des pratiques professionnelles. Mars 2019.
et à la chirurgie (notamment en cas de lésion parathy- 3. Carlé A, Pedersen IB, Knudsen N, et al. Hypothyroid symptoms and the L’échographie
roïdienne ou récurrentielle) ainsi que l’éventualité likelihood of overt thyroid failure: a population-based case–control study. thyroïdienne n’est
d’un traitement substitutif définitif par lévothyroxine Eur J Endocrinol 2014;171(5):593-602. réalisée qu’en
4. Jonklaas J, Bianco AC, Bauer AJ, et al. Guidelines for the Treatment of cas d’anomalie
selon le type de chirurgie réalisé (exérèse totale ou par- Hypothyroidism: Prepared by the American Thyroid Association Task Force on à la palpation.
tielle par lobo-isthmectomie, par exemple). Thyroid Hormone Replacement. Thyroid 2014;24(12):1670-751.
5. Engum A, Bjøro T, Mykletun A, et al. An association between depression, Elle n’apporte
anxiety and thyroïd function. A clinical fact or an artefact ? Act Psychiatr pas ou peu
Cas particuliers : goitre multihétéronodulaire Scand 2002;106(1):27-34. d’informations
et nodule hyperfonctionnel 6. Feller M, Snel M, Moutzouri E, et al. Association of Thyroid Hormone The- supplémentaires
rapy With Quality of Life and Thyroid-Related Symptoms in Patients With sur le diagnostic
Dans le cas du goitre multihétéronodulaire (GMHN) Subclinical Hypothyroidism: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA étiologique et
ou du nodule hyperfonctionnel, le traitement par 2018;320(13):1349.
n’est pas utile à la
antithyroïdiens de synthèse n’est pas curatif. Il est 7. Goichot B, Bouee S, Castello-Bridoux C, et al. Survey of Clinical Practice
prise en charge.
Patterns in the Management of 992 Hyperthyroid Patients in France. Eur
utilisé en première ligne pour réduire les symptômes, Thyroid J 2017;6(3):152-9.
éviter les complications et préparer le traitement cu- 8. Goichot B, Leenhardt L, Massart C, et al. Diagnostic procedure in suspec-
ted Graves’ disease. Ann Endocrinol (Paris) 2018;79(6):608-17. Si la TSH est
ratif. Selon l’âge du patient, l’intensité de la fixation à normale, aucun
9. Stagnaro-Green A, Abalovich M, Alexander E, et al.Guidelines of the Ame-
la scintigraphie et la présence ou non d’autres nodules rican Thyroid Association for the diagnosis and management of thyroid di- traitement
thyroïdiens, le traitement du nodule hyperfonction- sease during pregnancy and postpartum. Thyroid 2011;21(10):1081-1125. n’est indiqué,
10. Illouz F, Luton D, Polak M, et al. Graves’ disease and pregnancy. Ann même en cas de
nel unique peut être chirurgical ou par iode 131. Endocrinol (Paris) 2018;79(6):636-46. symptomatologie
Le traitement du goitre multinodulaire hyperfonc- 11. Goichot B, Raverot V, Klein M, et al. Management of thyroid dysfunctions
très évocatrice
tionnel est le plus souvent chirurgical et permet à la in the elderly. French Endocrine Society consensus 2019 guidelines. Short
ou de nodules
version. Ann Endocrinol (Paris) 2020;81(5):511-5.
fois de traiter la pathologie fonctionnelle et nodu- 12. Cooper DS, Biondi B. Subclinical thyroid disease. Lancet 2012; thyroïdiens.
laire. 379(9821):1142-54.