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DOSSIER

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PRISE EN CHARGE
DES DYSTHYROÏDIES
Le dépistage des dysthyroïdies est en hausse, mais elles sont probablement surdiagnostiquées.
Les algorithmes de prise en charge sont maintenant bien codifiés, ce qui permet d’éviter
les examens et traitements inutiles. Les indices cliniques et les antécédents du patient
tendent à révéler les causes et orientent le diagnostic.

Une démarche bien codifiée pour l’hyperthyroïdie


comme pour l’hypothyroïdie
Par Philippe Baltzinger, Elsa Fasciglione, Bernard Goichot

L
es dysthyroïdies sont fréquentes chez l’adulte. En nombre important de surdiagnostics, donc de traite-
Europe, une méta-analyse a estimé la prévalence ments par excès.
de l’hyperthyroïdie à 0,75 % de la population En effet, un taux de TSH anormal (selon les seuils du
(femmes et hommes confondus), avec une inci- laboratoire) n’est pas forcément synonyme de dys­
dence de 0,51 cas pour 1 000 personnes par an. thyroïdie : les valeurs de référence peuvent différer
La prévalence européenne de l’hypothyroïdie, selon les populations, l’état de santé et l’âge du patient,
quant à elle, se situe entre 0,2 et 5,3 % (selon la défini- par exemple ; par ailleurs, les variations de cette
tion utilisée) avec une incidence de 0,6 cas pour hormone sont fréquentes au cours de la phase aiguë
Service de 1 000 hommes et 5 cas pour 1 000 femmes par an.1 d’une pathologie non thyroïdienne, sans pour autant
médecine interne, Depuis une dizaine d’années, les études épidémiolo- être pathologiques.
endocrinologie et
nutrition, hôpital
giques montrent une augmentation de la prévalence Hormis les cas exceptionnels du coma hypothyroïdien
de Hautepierre,­ des dysthyroïdies. Elle est probablement liée, en par- ou de la cardiothyréose sévère dont les diagnostics
CHU de Strasbourg ticulier dans les pays développés, à l’accroissement sont le plus souvent posés en service de réanimation,
philippe.
baltzinger@ des prescriptions du dosage de la thyroid-stimulating les anomalies de la fonction thyroïdienne ne néces-
chru-strasbourg.fr hormone (TSH, ou thyréostimuline), entraînant un sitent que très rarement une prise en charge urgente.

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DOSSIER PRISE EN CHARGE DES DYSTHYROÏDIES

la frilosité, la constipation, la peau sèche et la modifi-


TABLEAU 1. HYPOTHYROÏDIE : SYMPTÔMES ÉVOCATEURS
cation de la voix (tableau 1).
Métabolisme Prise de poids, frilosité, fatigue La spécificité individuelle des symptômes est faible ;
Cardiovasculaire Bradycardie, fatigabilité à l’effort, voire dyspnée c’est plutôt une association de plusieurs signes qui fait
Neurocognitif Troubles de la mémoire et cognitifs, syndrome dépressif suspecter une hypothyroïdie – sans toutefois une
meilleure performance diagnostique. En effet, il a été
Gastro-intestinal Constipation
rapporté que 15 % des patients avec une hypothyroïdie
Endocrinologique Goitre, troubles de la fertilité, altération des menstruations avérée n’exprimaient qu’un seul symptôme, voire au-
(oligoménorrhée, aménorrhée secondaire), galactorrhée
cun, alors que plus de 70 % des sujets contrôles expri-
Ostéoarticulaire et musculaire Crampes, arthralgies, faiblesse musculaire, maient au moins un symptôme pouvant faire évoquer
voire augmentation des CPK une hypothyroïdie.3
Biologique Anémie, dyslipidémie, insuffisance rénale (par diminution
du DFG) THYROTOXICOSE : PAS TOUJOURS SYNONYME
Sensoriel Altération du goût, de la vision ou de l’audition, D’HYPERTHYROÏDIE
modification de la voix (raucité) En premier lieu, il est nécessaire de différencier la thyro-
Téguments et phanères Peau sèche, perte de cheveux toxicose, qui correspond aux manifestations cliniques
D’après Endotext : https://www.endotext.org/chapter/adult-hypothyroidism/
d’un excès d’hormones thyroïdiennes quelle qu’en soit
CPK : créatine phosphokinase ; DFG : débit de filtration glomérulaire sa cause, et l’hyperthyroïdie, qui suggère que la thyro-
toxicose observée est liée à un hyperfonctionnement
TABLEAU 2. THYROTOXICOSE : SYMPTÔMES ÉVOCATEURS thyroïdien (tableau 2). Par exemple, la prise excessive
Métabolisme Amaigrissement malgré une polyphagie, thermophobie d’hormones thyroïdiennes est responsable d’un tableau
de thyrotoxicose dont l’origine n’est pas thyroïdienne.
Cardiovasculaire Tachycardie de repos, palpitations, dyspnée d’effort,
La symptomatologie de la thyrotoxicose, comme celle
fibrillation atriale
de l’hypothyroïdie, est aspécifique. Certains signes
Neurocognitif Nervosité, asthénie sont néanmoins évocateurs : perte de poids, agitation
Urologique Poly-exonération psychomotrice, tachycardie, voire troubles du rythme,
Endocrinologique Polydipsie et troubles de l’humeur. Un examen cardiovasculaire
clinique avec une évaluation du rythme cardiaque est
Ostéoarticulaire et musculaire Tremblements, fatigabilité musculaire, amyotrophie,
ostéoporose alors recommandé, et des explorations complémen-
taires peuvent être nécessaires selon les antécédents
Biologique Diminution du cholestérol et des triglycérides, discrète
hyperglycémie ou décompensation d’un diabète
du patient. Des signes oculaires (inflammation des
préexistant, élévation des transaminases, leuco­ paupières, exophtalmie...) doivent être recherchés.
neutropénie avec lymphocytose relative Leur présence est clairement évocatrice de maladie
Téguments et phanères Hypersudation, prurit de Basedow et peut suffire au diagnostic étiologique.
D’après le Collège des enseignants d’endocrinologie, diabète et maladies métaboliques (CEEDMM) :
https://www.sfendocrino.org/item-240-ue-8-hyperthyroidie/
SITUATIONS POUVANT FAIRE CRAINDRE
UNE DYSTHYROÏDIE
Plusieurs situations spécifiques doivent faire recher-
Il est donc préférable de différer le dosage de la TSH cher une dysthyroïdie sous-jacente. Ainsi, une aryth-
dans des situations aiguës où la suspicion de dysthy- mie cardiaque par fibrillation atriale (ACFA) de novo
roïdie est faible. Enfin, si un premier dosage de TSH ou des troubles du rythme cardiaque doivent faire
est anormal, il doit toujours être contrôlé par un deu- rechercher une hyperthyroïdie en cause.
xième dosage après quelques jours ou semaines. De même, l’instauration de certains traitements (amio-
darone, lithium) nécessite la recherche préalable d’une
dysthyroïdie qui pourrait être précipitée par leur prise.
QUAND ÉVOQUER UNE DYSTHYROÏDIE ? Enfin, la mise en évidence d’un nodule ou d’un goitre
Le dépistage systématique de la dysthyroïdie dans la thyroïdien doit également faire rechercher une
population générale n’est pas recommandé en l’ab- dysthyroïdie sous-jacente.
sence de signes cliniques évocateurs.2

HYPOTHYROÏDIE : LA CLINIQUE PEU FIABLE ? HYPER- ET HYPOTHYROÏDIE : PLACE DE LA BIOLOGIE


DANS LA DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE
La symptomatologie de l’hypothyroïdie varie en fonc-
tion des personnes, de sa cause, de sa durée et de sa Lorsque la clinique ou la situation est évocatrice
sévérité. Généralement, un ralentissement global de d’hypo­thyroïdie ou d’hyperthyroïdie, poser le diag­
l’activité physique et mentale est observé, conduisant nostic et en chercher la cause passe par une démarche
aux symptômes les plus fréquents que sont la fatigue, simple et bien codifiée.

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Pas d’hypothyroïdie Suspicion clinique d’hypothyroïdie

T4 normale Dosage de la seule TSH

TSH normale ou basse TSH élevée

T4 basse Dosage T4 libre, Ac anti-TPO

Insuffisance thyréotrope
TSH 4-10 mUI/L TSH > 10 mUI/L

T4 normale T4 basse T4 normale T4 basse

fruste franche fruste franche

Ac anti-TPO Ac anti-TPO Traitement Proposer Traitement


négatifs positifs le traitement

Pas de Traitement
traitement à discuter

Figure 1. Suspicion d’hypothyroïdie : conduite à tenir. TSH : hormone thyréostimulante ; Ac anti-TPO : anticorps antithyropéroxydase ; T4 : thyroxine.
Les seuils et prises en charge indiqués sont communément admis ; ils ne doivent pas être lus comme des valeurs absolues.

EN CAS DE SUSPICION D’HYPOTHYROÏDIE à titre indicatif. Ils ne doivent pas être perçus comme
Si l’interrogatoire et l’examen clinique font suspecter une valeur absolue conduisant au basculement d’un
une hypothyroïdie, il est recommandé de prescrire en état « euthyroïdien » à un état « hypothyroïdien ».
première intention uniquement le dosage sanguin de Ce sont l’examen clinique et la singularité du patient
la TSH. Plusieurs situations sont alors possibles (fig. 1). qui doivent orienter la prise en charge.
En cas de TSH élevée, le dosage des anticorps anti­
Si le dosage de la TSH est normal thyropéroxydase (TPO) peut être également réalisé.
Dans ce cas, aucun examen complémentaire n’est né- S’il est positif, il oriente vers un diagnostic de thyroï-
cessaire (en dehors des rares situations d’insuffisance dite auto-immune, cause la plus fréquente des hypo-
thyréotrope qui nécessiteraient un dosage de la thy- thyroïdies. Il n’est jamais nécessaire de contrôler le
roxine libre [T4L]), et un dosage de contrôle n’est jus- titre des anticorps, car il n’est pas corrélé à l’évolution
tifié qu’en cas de modification clinique. clinico-biologique.4

Si le taux de TSH est élevé Aucun autre dosage n’est nécessaire


Dans ce cas, un dosage de la T4L doit être demandé, Le plus souvent, aucun autre examen n’est utile au diag­
permettant de distinguer deux situations : nostic des patients hypothyroïdiens :
– 4 mUI/L < TSH < 10 mUI/L et T4L normale, corres- – le dosage de la thyroglobuline et des anticorps anti-­
pondant à une hypothyroïdie fruste, aussi appelée thyroglobuline n’est pas utile en cas d’hypothyroïdie
infraclinique ; primaire ; il est réservé au suivi des néoplasies thyroï-
– TSH élevée (> 10 mUI/L) et T4L basse correspondant diennes opérées ;
à une hypothyroïdie avérée ou franche. – le dosage de la tri-iodothyronine (T3) ne doit pas être
Les seuils de TSH indiqués sont usuels et donnés demandé dans les situations cliniques banales ; son

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DOSSIER PRISE EN CHARGE DES DYSTHYROÏDIES

Elle est qualifiée de fruste ou d’infraclinique si les hor-


mones thyroïdiennes sont normales. Elle est franche
ou avérée si elles sont augmentées (fig. 2a).
1. Dysthyroïdies et grossesse
Le dépistage d’une hypothyroïdie doit s’effectuer dans la mesure Anticorps antirécepteurs de la TSH, élément
du possible en préconceptionnel en cas de facteur de risque (âge > essentiel du diagnostic étiologique
30 ans, anticorps anti-TPO positifs connus, thyroïdite auto-immune dans Les causes les plus fréquentes d’hyperthyroïdie sont la
la famille).9 En effet, l’hypothyroïdie maternelle est un facteur de risque maladie de Basedow, le goitre multi-hétéronodulaire
de fausse couche, d’hypertension artérielle gravidique, de troubles du hyperfonctionnel et l’adénome toxique ou nodule
développement embryonnaire, notamment neurologique, de mort fœtale hyper­fonctionnel (fig. 2b).
in utero mais également de retard de croissance intra-utérin. Le résultat du dosage des anticorps antirécepteurs de la
Le traitement est le même qu’en population générale. Une prise en charge TSH (TRAb pour TSH receptor antibodies) permet
spécialisée est cependant recommandée, d’autant plus si l’hypothyroïdie d’orienter le diagnostic étiologique.
est infraclinique ou s’inscrit dans un contexte d’infertilité. Leur positivité est pathognomonique de la maladie de
Il est important de rappeler que la TSH diminue physiologiquement lors
Basedow et suffit à son diagnostic. Il s’agit d’auto-anti-
du premier trimestre de grossesse en raison de la présence de bêta-HCG corps reconnaissant la partie extracellulaire du récep-
qui possède une activité TSH-like. teur de la TSH des cellules thyroïdiennes, et capables de
l’activer comme le ferait la TSH. Il en résulte un état
La majorité des cas d’hyperthyroïdies pathologiques pendant la grossesse
d’activation permanente et dérégulée des cellules thy-
sont la conséquence d’une maladie de Basedow, le plus souvent déjà
roïdiennes. Il n’est pas nécessaire de réaliser une écho-
traitée avant la grossesse mais pouvant également débuter ou récidiver
pendant celle-ci. Le traitement repose sur les antithyroïdiens de synthèse graphie ni une scintigraphie thyroïdienne.
à la posologie la plus faible possible ; le propylthiouracile est privilégié au En revanche, la scintigraphie doit être réalisée en cas de
premier trimestre de grossesse et le méthimazole ou carbimazole aux négativité des anticorps. Elle permet de rechercher une
deux derniers trimestres.10 Les patientes ayant un antécédent de maladie ou plusieurs hyperfixations focales et nodulaires, qui
de Basedow doivent bénéficier d’un dosage des anticorps antirécepteurs posent le diagnostic d’adénome toxique (nodule hyper-
de la TSH avant la grossesse afin d’apprécier le niveau de sévérité initial fonctionnel isolé) ou de goitre multi-hétéronodulaire
ou le risque de récidive. Une information concernant le risque tératogène toxique (GMNT).
des antithyroïdiens de synthèse et de la nécessité, autant que faire se La négativité des anticorps antirécepteurs de la TSH et
peut, de programmer la grossesse sont également indispensables. Un une scintigraphie blanche doivent faire rechercher à
traitement chirurgical d’emblée peut être proposé selon les situations. l’interrogatoire une surcharge iodée (injection de pro-
duit de contraste iodé dans les 6 derniers mois ou prise
d’amiodarone essentiellement) ou, plus rarement, une
i­ nterprétation peut être difficile et conduire à un sur- thyroïdite de De Quervain (thyroïdite survenant dans
traitement ; un contexte de virose avec goitre douloureux, syndrome
– en l’absence d’anomalie à la palpation thyroïdienne grippal et augmentation de la protéine C-réactive [CRP]).
(nodule thyroïdien, adénopathie cervicale) et en pré-
sence d’un tableau clinique et biologique d’hypothyroï-
die, il n’est pas recommandé de réaliser d’échographie
FAUT-IL TRAITER TOUTES LES DYSTHYROÏDIES ?
thyroïdienne : aucun critère échographique ne permet La lévothyroxine est indiquée dans l’hypothyroïdie,
d’affirmer le diagnostic ni sa cause. Si, en cas de thyroï- mais la mise en place et les modalités du traitement
dite, il est possible d’observer une hypertrophie glan- doivent être ajustées en fonction des contrôles de la
dulaire avec une hétérogénéité parenchymateuse (stig- TSH. Dans le cadre d’une hyperthyroïdie, plusieurs trai-
mates de l’atteinte inflammatoire), ces éléments n’ont tements sont possibles, selon sa cause : antithyroïdiens
pas de caractère pronostique. de synthèse, iode 131 et chirurgie.

HYPERTHYROÏDIE : SÉVÉRITÉ ET CAUSES HYPOTHYROÏDIE : MAINTENIR L’ÉQUILIBRE


À DÉTERMINER L’objectif du traitement substitutif est ici de maintenir
Le dosage de la TSH est nécessaire en première inten- la TSH dans l’intervalle de référence et de permettre
tion dans le cas d’une suspicion d’hyperthyroïdie. la disparition des symptômes.
Sa diminution confirme le diagnostic et doit amener
à la réalisation d’un bilan complémentaire. Traitement substitutif à réévaluer régulièrement
La substitution hormonale par lévothyroxine per os à
Fruste ou avérée ? une dose de 1,5 à 1,8 µg/kg est le traitement indiqué en
Le dosage de la thyroxine, ou T4 (et éventuellement T3 cas d’hypothyroïdie. Les formes galéniques combi-
si la T4 est normale, à la recherche d’une hyperthyroïdie nant lévothyroxine (T4) et tri-iodothyronine (T3)
à T3), permet de juger de la sévérité de l’hyperthyroïdie. n’ont pas fait la preuve de leur intérêt.

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Un contrôle de la TSH doit être réalisé huit à douze
semaines après l’instauration du traitement ou en cas
de modification de posologie, puis à six mois et de ma- Suspicion clinique d’hyperthyroïdie
nière annuelle en même temps qu’un examen c­ linique.
Il n’y a pas lieu de doser à nouveau les hormones thy-
roïdiennes ou les anticorps antithyropér­oxydase une Dosage de la seule TSH
fois le diagnostic posé et le traitement instauré.
La prise de lévothyroxine doit se faire de préférence
le matin à jeun, avec un verre d’eau et au moins trente TSH abaissée
minutes avant de s’alimenter ou de prendre tout autre
médicament. En effet, son absorption peut en être
significativement altérée, et l’équilibre hormonal dif- Dosage T4 libre, T3 libre ; TRAb
ficile à atteindre. En cas de déséquilibre inexpliqué,
ces règles doivent être rappelées au patient.

Quand l’instaurer ? T4 et T3 normales T4 et T3 augmentées


Lorsque l’hypothyroïdie est franche (tableau clinique
évocateur, TSH élevée, T4 basse), l’introduction d’un
traitement est indiscutable. L’hypothyroïdie infracli- Hyperthyroïdie fruste Hyperthyroïdie franche
nique reste à ce jour une anomalie biologique de signi-
fication clinique indéterminée. Il est nécessaire, dans ce a
cas, de réévaluer le taux de TSH six à douze semaines
après le premier dosage et à distance de tout événement
clinique, la TSH se corrigeant le plus souvent naturelle-
ment. Il devient alors inutile de répéter le dosage en Hyperthyroïdie confirmée
l’absence de modification clinique. La littérature ne fait
état, à ce jour, d’aucune donnée montrant un bénéfice à
la substitution systématique des hypothyroïdies infra-
cliniques. Ainsi, une étude prospective norvégienne n’a
TRAb positifs TRAb négatifs
pas montré de différence clinique (performances cogni-
tives et symptômes d’hypothyroïdie) entre une popula-
tion euthyroïdienne et des personnes en hypothyroïdie
Maladie de Basedow : Adénome toxique ou goitre multi-
infraclinique (TSH < 10 mUI/L), même après normalisa-
• plutôt femme jeune hétéronodulaire hyperfonctionnel :
tion de la TSH sous traitement par lévothyroxine.5
Une méta-analyse de 2018 n’a pas montré de bénéfice • peut s’accompagner • plutôt femme dans la soixantaine
clinique (qualité de vie et symptômes liés à l’hypo­ d’une orbitopathie • pas d’orbitopathie
thyroïdie) après traitement d’une hypothyroïdie infra-
clinique, malgré une diminution de la TSH.6
Il est généralement admis, quoique sans données Pas d’examen Scintigraphie :
étayées justifiant cette attitude, de débuter un traite- supplémentaire • hyperfixation nodulaire unique
ment par lévothyroxine en cas de TSH persistante supé- ou multiple
rieure à 10 mUI/L, hormis chez le sujet âgé (encadré 2). • extinction du reste du
En cas de TSH augmentée mais inférieure à 10 mUI/L, parenchyme ou non
un traitement n’est en général pas nécessaire d’emblée
mais peut être discuté selon la situation de chaque pa-
tient. La positivité des anticorps anti-TPO peut être, ici, Traitements à discuter :
considérée comme un marqueur de risque de dévelop- • antithyroïdiens de synthèse
per une hypothyroïdie franche et peut participer à la
• chirurgie
décision d’introduire un traitement.
• iode 131
b
HYPERTHYROÏDIE : PRISE EN CHARGE INDIVIDUALISÉE
Les objectifs du traitement de l’hyperthyroïdie sont
multiples : contrôler des symptômes, prévenir les Figure 2a. Suspicion d’hyperthyroïdie : conduite à tenir.
TSH : hormone thyréostimulante ; TRAb : anticorps antirécepteurs de la TSH ;
complications, tenter de restaurer une euthyroïdie
T3 : tri-iodothyronine ; T4 : thyroxine.
tout en évitant l’hypothyroïdie iatrogène. L’équilibre Figure 2b. Hyperthyroïdie : proposition de recherche étiologique.
entre ces objectifs dépend de l’origine de l’hyper­ TRAb : anticorps antirécepteurs de la TSH.

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thyroïdie, de l’âge et des comorbidités du patient. daire est nécessaire les six premières semaines afin de ne
De manière générale, une prise en charge en fonction pas négliger une agranulocytose toxique. Rare, avec une
de la cause de l’hyperthyroïdie est nécessaire, et un incidence de 0,4 % en moyenne (proportionnelle à la po-
avis spécialisé peut faciliter la prise de décision. sologie), le patient doit être informé de sa survenue pos-
sible, avec des consignes simples : nécessité de réaliser
Traiter en fonction de la cause un hémogramme en urgence et de consulter en cas de
Pour une hyperthyroïdie avérée, trois types de traite- fièvre ou d’infection ORL. Sa survenue est plus fréquente
ment sont indiqués : en cas de dose importante et en début de traitement, mais
Les antithyroïdiens de synthèse, ou ATS (méthima- elle peut survenir à tout moment lors du traitement. La
zole, carbimazole, propylthiouracile), inhibent la fonc- surveillance du bilan hépatique n’est pas obligatoire mais
tion thyroïdienne, avec un effet qui dépend de la dose. il peut être réalisé toutes les deux semaines durant les
La diminution des hormones thyroïdiennes s’observe en deux premiers mois de traitement. Chez les femmes en
quelques semaines (selon l’augmentation initiale) et né- âge de procréer, une contraception efficace est nécessai-
cessite un suivi régulier. Un hémogramme hebdoma- rement proposée, vu le risque tératogène des ATS.

2. Dysthyroïdies et grand âge


Les dysthyroïdies de la personne âgée sont une population plus jeune) sans que cela n’est demandée qu’en cas d’anomalie à
plus difficiles à déceler, du fait notamment ne soit à considérer comme forcément la palpation cervicale ou de bilan pré-
d’un appauvrissement de la clinique pathologique. thérapeutique (iode 131 notamment).
et de l’absence de spécificité de la En cas de suspicion d’hypothyroïdie, Concernant la prise en charge
symptomatologie. De plus, de nombreuses il est recommandé de doser uniquement thérapeutique de l’hyperthyroïdie,
pathologies aiguës ou chroniques peuvent la TSH et, en cas d’élévation de celle-ci les traitements à l’iode 131 doivent
être à l’origine de variations transitoires (à interpréter selon l’âge du patient), être privilégiés lorsqu’un traitement
du niveau de TSH dans cette population. de contrôler le résultat sur un deuxième radical est nécessaire.
Cela rend inutile la recherche systématique prélèvement un à trois mois plus tard. La prise prolongée d’antithyroïdiens de
d’une altération de la fonction Dans cette situation, aucun autre examen synthèse ne devrait être proposée que
thyroïdienne. complémentaire n’est nécessaire. chez des patients âgés (ou ayant de
La Société française d’endocrinologie
• Si la TSH est > 20 mUI/L, un traitement nombreuses comorbidités) avec une
a recommandé en 2019 le dosage de
substitutif est nécessaire. espérance de vie limitée ou pour qui la
la TSH chez les personnes âgées ayant
• Si la TSH reste entre 10 et 20 mUI/L, chirurgie ou le traitement par iode 131
une fibrillation atriale de novo, des
le traitement substitutif est à discuter sont contre-indiqués.
troubles cognitifs, un syndrome dépressif
d’apparition récente ou un tableau clinique selon la situation clinique. Un risque de fibrillation atriale de novo
évocateur.11 Aucun dosage de contrôle • Si la TSH est < 10 mUI/L, aucun a été associé à l’hyperthyroïdie fruste,
n’est néanmoins indiqué en l’absence de traitement n’est préconisé. d’autant plus lorsque le patient est
modification clinique. âgé ;12 il n’a cependant pas encore
L’introduction de la lévothyroxine
été montré que le traitement réduit le
Les valeurs de référence de la TSH doit se faire de manière prudente et
risque de passage en fibrillation atriale.
varient avec l’âge. Si une limite basse progressive en cherchant à atteindre une
Les recommandations internationales
unique à 0,4 mUI/L est admise pour tous, cible d’environ 1,2 µg/kg, en particulier
pour la prise en charge de l’hyperthyroïdie
la limite supérieure de la normale (LSN) chez les patients avec des antécédents
fruste ne sont pas univoques. La Société
a tendance à augmenter avec l’âge : les ou un risque cardiovasculaire élevé.
française d’endocrinologie propose qu’elle
seuils pragmatiques proposés sont la Privilégier l’iode 131 en cas soit personnalisée selon les comorbidités,
normale du laboratoire jusqu’à 69 ans d’hyperthyroïdie. le diagnostic étiologique, le niveau
inclus (5 mUI/L), 7 mUI/L à partir
Les causes de la thyrotoxicose de la d’hyperthyroïdie et le choix du patient.
de 70 ans, 8 mUI/L à partir de 80 ans
personne âgée sont très largement Un avis endocrinologique spécialisé peut
et au-delà.11
dominées par les goitres multinodulaires être demandé.
Des seuils de TSH différents de ceux de la ou les nodules hyperfonctionnels. L’objectif thérapeutique est le maintien
population générale pour l’hypothyroïdie
L’exploration d’une hyperthyroïdie se d’une TSH inférieure à la limite supérieure
Le vieillissement physiologique fait, comme en population générale, par de la normale du laboratoire pour les
s’accompagne fréquemment d’une le dosage des anticorps antirécepteurs patients de moins de 69 ans ; de 7 mUI/L
modification des niveaux de TSH de la TSH et la réalisation d’une pour les moins de 79 ans ; et de 8 mUI/L
(tendance à être plus élevés que dans scintigraphie. L’échographie thyroïdienne pour les patients les plus âgés.

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Et pour la maladie de Basedow ?
Dans le cas de la maladie de Basedow, les trois traite-

Que dire à vos patients ? ments peuvent être discutés en première intention. Les
pratiques françaises7 sont de proposer les antithyroï-
• Les dysthyroïdies sont fréquentes, de faible diens de synthèse en première ligne (durant 12 à 18 mois)
gravité et ne nécessitent pas toujours un et un traitement chirurgical ou par iode 131 en cas
traitement immédiat. d’échec ou de récidive. La Société française d’endocrino­
logie a rendu un consensus sur le diagnostic et la prise

L’ESSENTIEL
• La symptomatologie étant aspécifique,
les symptômes rapportés ne sont pas forcément en charge de la maladie de Basedow en 2016.8
en lien avec une anomalie du dosage de la TSH
qui est bien souvent ponctuelle et dont le contrôle Cas de l’hyperthyroïdie fruste Le dosage de la
à distance peut montrer une normalisation Dans ce cas (TSH abaissée, hormones thyroïdiennes TSH est indiqué en
première intention
spontanée. normales), les causes et les traitements sont inchangés.
en cas de
• Le traitement d’une dysthyroïdie avérée ne En revanche, leur temporalité et leurs indications sont suspicion clinique
permet pas toujours la correction de tous discutées en fonction de la situation du patient en de dysthyroïdie.
les symptômes ; la recherche d’autres pathologies parallèle d’une surveillance clinico-biologique. Aucun autre
peut être nécessaire. dosage
QUAND LE TRAITEMENT EST-IL INUTILE ? systématique
n’est initialement
Le traitement par lévothyroxine est réservé aux situa- recommandé.
tions d’hypothyroïdie (clinique et biologique). Ainsi, il
Le traitement par iode 131 équivaut à une radiothé- n’est pas nécessaire de traiter un patient avec une symp-
Un taux de TSH
rapie interne vectorisée : une gélule ou une solution tomatologie, même très évocatrice, mais dont le bilan normal élimine
d’iode 131 administrée per os est métabolisée par les hormonal est normal. Il n’est pas non plus utile dans le une dysthyroïdie
cellules thyroïdiennes, qui sont ensuite détruites par cas de nodules thyroïdiens puisqu’il n’en modifie pas et ne nécessite un
le rayonnement bêta émis par cet isotope. Ce traite- l’histoire naturelle. Concernant les goitres non nodu- contrôle qu’en cas
ment est réalisé en ambulatoire car il ne nécessite laires, certaines études ont montré un bénéfice modéré de modifications
cliniques. Un
qu’une faible dose. Son efficacité est progressive sur et transitoire du traitement (qui disparaît en quelques taux de TSH
plusieurs semaines et permet un retour à l’euthyroïdie. mois après son arrêt) sur le volume du goitre. Ce bénéfice anormal n’est
Toutefois, plusieurs effets indésirables sont possibles, a un intérêt clinique apparemment limité. pas forcément
dont l’hypothyroïdie définitive est le plus fréquent. Un Liens d’intérêts des auteurs : voir site internet de La RDPMG. synonyme de
traitement insuffisant peut évoluer vers une récidive. dysthyroïdie.
Il doit être
La chirurgie est également envisageable : elle permet
RÉFÉRENCES contrôlé par un
une guérison définitive tout en traitant une éventuelle deuxième dosage
1.Taylor PN, Albrecht D, Scholz A, et al. Global epidemiology of hyperthyroi-
problématique nodulaire. Il est toutefois nécessaire de dism and hypothyroidism. Nat Rev Endocrinol 2018;14(5):301-16. à distance.
prendre en considération les risques liés à l’anesthésie 2. Haute Autorité de santé. Pertinence des soins hypothyroïdie. Outil d’amé-
lioration des pratiques professionnelles. Mars 2019.
et à la chirurgie (notamment en cas de lésion parathy- 3. Carlé A, Pedersen IB, Knudsen N, et al. Hypothyroid symptoms and the L’échographie
roïdienne ou récurrentielle) ainsi que l’éventualité likelihood of overt thyroid failure: a population-based case–control study. thyroïdienne n’est
d’un traitement substitutif définitif par lévothyroxine Eur J Endocrinol 2014;171(5):593-602. réalisée qu’en
4. Jonklaas J, Bianco AC, Bauer AJ, et al. Guidelines for the Treatment of cas d’anomalie
selon le type de chirurgie réalisé (exérèse totale ou par- Hypothyroidism: Prepared by the American Thyroid Association Task Force on à la palpation.
tielle par lobo-isthmectomie, par exemple). Thyroid Hormone Replacement. Thyroid 2014;24(12):1670-751.
5. Engum A, Bjøro T, Mykletun A, et al. An association between depression, Elle n’apporte
anxiety and thyroïd function. A clinical fact or an artefact ? Act Psychiatr pas ou peu
Cas particuliers : goitre multihétéronodulaire Scand 2002;106(1):27-34. d’informations
et nodule hyperfonctionnel 6. Feller M, Snel M, Moutzouri E, et al. Association of Thyroid Hormone The- supplémentaires
rapy With Quality of Life and Thyroid-Related Symptoms in Patients With sur le diagnostic
Dans le cas du goitre multihétéronodulaire (GMHN) Subclinical Hypothyroidism: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA étiologique et
ou du nodule hyperfonctionnel, le traitement par 2018;320(13):1349.
n’est pas utile à la
anti­thyroïdiens de synthèse n’est pas curatif. Il est 7. Goichot B, Bouee S, Castello-Bridoux C, et al. Survey of Clinical Practice
prise en charge.
Patterns in the Management of 992 Hyperthyroid Patients in France. Eur
utilisé en première ligne pour réduire les symptômes, Thyroid J 2017;6(3):152-9.
éviter les complications et préparer le traitement cu- 8. Goichot B, Leenhardt L, Massart C, et al. Diagnostic procedure in suspec-
ted Graves’ disease. Ann Endocrinol (Paris) 2018;79(6):608-17. Si la TSH est
ratif. Selon l’âge du patient, l’intensité de la fixation à normale, aucun
9. Stagnaro-Green A, Abalovich M, Alexander E, et al.Guidelines of the Ame-
la scintigraphie et la présence ou non d’autres nodules rican Thyroid Association for the diagnosis and management of thyroid di- traitement
thyroïdiens, le traitement du nodule hyperfonction- sease during pregnancy and postpartum. Thyroid 2011;21(10):1081-1125. n’est indiqué,
10. Illouz F, Luton D, Polak M, et al. Graves’ disease and pregnancy. Ann même en cas de
nel unique peut être chirurgical ou par iode 131. Endocrinol (Paris) 2018;79(6):636-46. symptomatologie
Le traitement du goitre multinodulaire hyperfonc- 11. Goichot B, Raverot V, Klein M, et al. Management of thyroid dysfunctions
très évocatrice
tionnel est le plus souvent chirurgical et permet à la in the elderly. French Endocrine Society consensus 2019 guidelines. Short
ou de nodules
version. Ann Endocrinol (Paris) 2020;81(5):511-5.
fois de traiter la pathologie fonctionnelle et nodu- 12. Cooper DS, Biondi B. Subclinical thyroid disease. Lancet 2012; thyroïdiens.
laire. 379(9821):1142-54.

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