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MISE AU POINT

Glucocorticoïdes et diabète :
quels sont les risques ?
Ils sont fonction de la galénique
Par Bleuenn Dreves, Yves Reznik
Service d’endocrinologie, diabète et maladies métaboliques, CHU Côte-de-Nacre, Caen
dreves-b@chu-caen.fr

L
a physiopathologie de l’hyperglycé- TABLEAU. PROPRIÉTÉS PHARMACOCINÉTIQUES DES PRINCIPAUX GLUCOCORTICOÏDES
mie sous glucocorticoïdes (GC) est DE SYNTHÈSE COMPARÉS À L’HYDROCORTISONE
proche de celle du diabète de type 2,
Équivalence de Délai d’action Durée d’action
associant insulinorésistance et défi- Pic (heures)
dose (mg) (heures) (heures)
cit d’insulinosécrétion.1 Si les gluco-
corticoïdes peuvent être à l’origine Hydrocortisone 25 1 3 6
d’un diabète de novo dans certaines
Prednisolone 5 4 8 12-16
conditions, ils sont quasi systématique-
ment responsables d’une altération de Méthylprednisolone 4 4 8 12-16
l’équilibre glycémique chez un patient
préalablement diabétique. Seule cette Dexaméthasone 0,75 3-8 Variable 36-54
deuxième situation est traitée ici.
Bétaméthasone 0,75 3-8 Variable 36-54

D’après F. Aberer, et al. J Clin Med 2021 (réf. 2)


TOUTES LES GALÉNIQUES
NE SE VALENT PAS !
Le risque d’hyperglycémie sous GC n’est de soirée et un retour à la normoglycémie (encadré), ou en cas d’utilisation prolon-
pas le même selon la galénique utilisée. entre 20 h et 8 h le lendemain matin. 2 gée, avec cumul de fortes doses.3
Ce profil pharmacocinétique implique
GLUCOCORTICOÏDES ORAUX : d’examiner les glycémies à jeun mais éga- GLUCOCORTICOÏDES OPHTALMIQUES :
LES PLUS DANGEREUX lement post-prandiales et/ou vespérales EFFET VARIABLE SELON LA VOIE
Les GC administrés par voie orale ou pa- pour apprécier l’effet hyperglycémiant D’ADMINISTRATION
rentérale sont les plus à même de provo- – la glycémie au réveil étant la moins af- Les GC ophtalmiques peuvent être admi-
quer une hyperglycémie chez le patient fectée. nistrés par différentes voies : en intravi-
diabétique. Ce risque dépend de trois tréen et en collyre, avec un faible risque de
paramètres  : la molécule (tableau), la DERMOCORTICOÏDES : PAS ANODINS ! passage systémique ; par voie périoculaire
dose prescrite rapportée au poids et la Les dermocorticoïdes (DC) ont un poids sous-ténonienne, avec une concentration
durée d’exposition. moléculaire permettant le passage trans- plasmatique comparable à celle de la voie
Les GC à cinétique intermédiaire (pred- cutané du principe actif, donc sa diffu- orale. L’effet hyperglycémiant varie selon
nisone et prednisolone), classiquement sion sanguine. L’odds ratio moyen de le profil du patient (y compris pour les
prescrits en prise unique le matin, pro- diabète incident sous DC se situe autour cures courtes) : il est accru chez les patients
voquent une augmentation glycémique de 1,3. Le risque d’hyperglycémie sous diabétiques, a fortiori en cas de mauvais
diurne progressive avec un pic en début DC augmente dans certaines situations contrôle glycémique préthérapeutique.3,4

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MISE AU POINT GLUCOCORTICOÏDES ET DIABÈTE :
QUELS RISQUES ?

INJECTIONS INTRA-ARTICULAIRES :
RISQUES BREFS MAIS INTENSES
Les formes les plus utilisées en France
sont l’acétate de méthylprednisolone Facteurs favorisant le passage systémique des dermocorticoïdes
(MA), l’acétonide de triamcinolone (TA)
– Âges extrêmes (finesse de la peau des personnes âgées, rapport surface/poids
ou hexacétonide (TAH) et l’association
élevé chez l’enfant)
acétate de bétaméthasone-phosphate de – Localisations : zones humides et/ou chaudes (visage, pli sous-mammaire, aine,
sodium (BAP). Le passage systémique aisselle) ; peau lésée (plaie abrasive ou inflammation)
des GC injectés par cette voie est accru si
la solubilité de la préparation est grande – Galéniques : moindre pour les pommades que pour les gels aqueux ; usage prolongé
(MA > TA > TAH), une forte dose est injec- d’un dermocorticoïde « puissant » (clobétasol et bétaméthasone dipropionate)
tée, a fortiori si la surface synoviale ex-
– Recouvrement par un pansement occlusif
posée est conséquente (plusieurs articu-
lations en une seule procédure,
infiltration sacro-iliaque)  ; il dépend
également du degré d’inflammation in- que les nouveaux systèmes d’inhalation CAS DU DIABÈTE DE TYPE 2 NON
tra-articulaire (rhumatisme inflamma- favorisent une délivrance ciblée dans les INSULINODÉPENDANT
toire > arthrose)  ; il existe enfin une voies aériennes, in fine moins de 40 % du Si un patient diabétique de type 2 sous
grande variabilité interindividuelle principe actif y parvient ; le passage systé- traitement non insulinique a une hyper-
(concentrations plasmatiques pouvant mique des 60 % restants est atténué par glycémie modérée en regard d’une dose
varier du simple au quintuple après une la clairance hépatique. Chez les patients stable de glucocorticoïdes, le traitement
injection de MA dans le genou). Chez les diabétiques, l’effet hyperglycémiant est antidiabétique peut être renforcé en sui-
patients diabétiques, le pic glycémique mineur et s’observe surtout lors d’un usage vant les recommandations de la Société
survient en moyenne vingt-quatre à prolongé.3,6 française du diabète publiés en 2021.
trente-six heures après le geste, et le re- Une hyperglycémie post-prandiale pré-
tour au niveau glycémique préthérapeu- dominante justifie l’utilisation d’un gli-
tique est constaté en moyenne trois à
QUELLE SURVEILLANCE nide (répaglinide) préférentiellement le
INSTAURER ?
cinq jours après.5 La prise concomitante matin et le midi, ou d’un incrétinomimé-
de médicament inhibiteur du cyto- Il est recommandé de contrôler l’HbA1c tique (iDPP4 ou analogue du GLP-1),
chrome P450 A3A4 peut prolonger l’effet préthérapeutique et de prescrire un lec- éventuellement d’un inhibiteur de
systémique du produit, donc la période teur de glycémie capillaire aux patients l’alphaglucosidase (acarbose, miglitol) ;
d’hyperglycémie. diabétiques de type 2 qui n’en utilisent les sulfonylurées (SU) peuvent aussi être
Il n’y a pas de seuil établi pour contre- pas habituellement. Au démarrage de la utilisées, en contrôlant l’absence d’hypo-
indiquer le geste, mais il est raisonnable corticothérapie, deux à quatre contrôles glycémie dans la nuit ou au réveil.
de considérer qu’une hémoglobine gly- glycémiques capillaires quotidiens sont
quée (HbA1c) supérieure à 7,5 % et/ou une préconisés : avant le déjeuner ou le dîner Recours à l’insuline lente ou semi-lente
glycémie à jeun supérieure à 2 g/L doivent et une à deux heures après. Des taux su- En l’absence de traitement oral/injectable
faire différer sa réalisation. Cette précau- périeurs à 1,4 g/L avant le repas et/ou non insulinique optimisé, une insulino-
tion prise, du fait de la pharmacociné- supérieurs à 2 g/L après doivent conduire thérapie doit être instaurée. Le choix de
tique, le risque de décompensation à intensifier la surveillance capillaire l’insuline lente doit être discuté en fonc-
hyperglycémique du diabète est faible. (matin, midi, soir et coucher) et à adapter tion du profil d’hyperglycémie induit par
Il faut conseiller aux patients de renforcer le traitement antidiabétique. le GC : analogue lent de l’insuline en cas
la surveillance glycémique dans la se- d’hyperglycémie à jeun, ou insuline inter-
maine qui suit le geste et de consulter médiaire NPH (neutral protamine hage-
rapidement si les valeurs plafonnent à
PRISE EN CHARGE DES dorn) préprandiale plus adaptée à une as-
HYPERGLYCÉMIES INDUITES
2,5-3 g/L. PAR LES GLUCOCORTICOÏDES cension progressive des glycémies après le
petit déjeuner (pic d’action à quatre heures
GLUCOCORTICOÏDES EN INHALATION  : Variable selon le profil du patient, elle et durée d’action de dix-huit heures).
IMPACT NÉGLIGEABLE diffère selon la nature du diabète sous- L’initiation de l’insuline lente ou semi-
Les GC administrés par voie inhalée ont un jacent : diabète de type 2 insulinodépen- lente de 0,1 à 0,5 UI/kg dépend de cinq
effet hyperglycémiant négligeable. Bien dant ou non, ou diabète de type 1. paramètres : la dose de corticoïdes reçue,

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L’ESSENTIEL
Le risque d’hyperglycémie Renforcer la Chez un patient DT1, il y a un Pour le patient DT2, envisager
cortico-induite dépend de la surveillance glycémique risque d’acidocétose : sensibiliser rapidement de remplacer le
galénique : risque avéré pour les pré- et post-prandiale, le patient et adapter le traitement traitement non insulinique par
voies orale et injectable (surtout notamment si l’HbA1c insulinique (même en cas de une insulinothérapie basale-
si traitement prolongé) ; risque faible préthérapeutique est cure courte) pendant et après la bolus ou prémix lorsque les
pour la voie inhalée. élevée. corticothérapie (effet rémanent). glycémies dépassent 2 g/L.

la ration calorique du patient, l’âge, l’in-


dice de masse corporelle et le débit de
filtration glomérulaire.
Le traitement non insulinique peut être
Que dire à vos patients ?
maintenu en combinaison avec l’insuline La prise de glucocorticoïdes chez un patient diabétique n’est pas anodine, quelle
(il faut parfois, selon le profil d’hyperglycé- que soit la galénique.
mie, réduire le dosage des SU en parallèle). Les galéniques des glucocorticoïdes les plus à même de favoriser une
hyperglycémie sont les voies orale et injectable. Seule la prise par inhalation est
Adaptation de l’insulinothérapie : à moindre risque.
ajout d’un analogue rapide L’utilisation d’un lecteur glycémique est le moyen le plus pertinent de surveiller
En cas de persistance de l’hyperglycémie, la glycémie, notamment si une corticothérapie est envisagée.
en particulier en période post-prandiale, La prise en charge d’une hyperglycémie avérée sous corticothérapie diffère
selon le type de diabète sous-jacent : diabète de type 2 insulinodépendant ou non,
l’intensification de l’insulinothérapie
ou diabète de type 1.
peut être envisagée en ajoutant une ou
plusieurs injections d’analogue rapide de
l’insuline (aspart, lispro ou glulisine),
selon le profil d’hyperglycémie, éven- CAS DU DIABÈTE DE TYPE 2 Sous dexaméthasone, la dose d’insuline
tuellement jusqu’au schéma basal/bolus INSULINODÉPENDANT basale est augmentée en première inten-
à quatre injections. Dans le cas d’un diabète de type 2 préala- tion.
Dans ce cas, le traitement oral est inter- blement traité par insuline basale, il faut Un traitement par pompe à insuline
rompu (à l’exception du biguanide s’il successivement majorer l’insuline basale sous-cutanée peut faciliter le contrôle
peut être maintenu). de 10 à 20 % sur deux à trois jours, puis glycémique.
Une alternative consiste à mettre en ajouter un bolus quand la basale est titrée En cas d’hyperglycémie marquée et
place une ou plusieurs injections d’une en débutant au repas correspondant à la persistante, un contrôle de la cétonémie
insuline prémix (NPH + 30 à 70 % d’ana- prise des GC (avec un protocole d’insuline ou de la cétonurie par bandelette est pré-
logue rapide), administrée au moment de correction aux autres repas) avant de conisé, avec application du protocole
des repas correspondant aux prises des passer au schéma basal/bolus complet. de correction par un analogue rapide de
corticoïdes et/ou induisant une hyperg- l’insuline fourni au patient pour faire
lycémie post-prandiale plus marquée.2 CAS DU DIABÈTE DE TYPE 1 disparaître l’acétone.
Il est nécessaire de sensibiliser les pa-
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien
Cas particulier de la dexaméthasone tients diabétiques de type 1 au risque ac- d’intérêts.
En cas de prise de dexaméthasone (utili- cru d’acidocétose ainsi qu’à celui d’hypo-
sée dans le traitement des formes graves glycémie nocturne à distance de l’action
de Covid-19), il est préférable de pres- des GC.
crire 0,15 à 0,3 UI/kg d’insuline NPH en La mesure en continue du glucose (MCG),
RÉFÉRENCES
deux injections, deux tiers de la dose par capteur interstitiel, facilite la surveil-
1.. Suh S, Park MK. Glucocorticoid-induced diabetes
étant administrée le matin et un tiers le lance glycémique et l’adaptation des mellitus: an important but overlooked problem.
soir. L’alternative est d’utiliser une insu- doses d’insuline. Endocrinol Metab (Seoul) 2017;32(2):180-9.
line à longue durée d’action (dégludec, Sous schéma basal/bolus, il est recomman- 2. Aberer F, Hochfellner DA, Sourij H, et al. A Practi-
cal Guide for the Management of Steroid Induced
glargine U300…), à la dose initiale de dé de majorer la dose totale quotidienne Hyperglycaemia in the Hospital. J of Clin Med
0,2 UI/kg. (somme de la dose de l’insuline basale et de 2021;16;10(10):2154.
tous les bolus) d’environ 10 % par dose de 3. Zenklusen C, Feldmeyer L. Dermocorticoïdes :
incontournables et redoutés. Rev Med Suisse
Anticiper l’arrêt de la corticothérapie 20 mg/j de prednisolone. Pour une pres- 2014;10(425):821-6.
Dès lors que la décroissance de la corti- cription d’insuline basale, il est préférable 4. Feldman-Billard F, Héron E. Tolérance systémique des
cothérapie est envisagée, il faut anticiper d’utiliser deux injections de détémir ou de corticoïdes en ophtalmologie : influence de la voie d’ad-
ministration. J Fr Oph 2008;31(10):1026-36.
la normalisation glycémique en rédui- NPH pour pouvoir administrer une dose
5. Choudhry MN, Malik RA. Blood Glucose Levels Fol-
sant la dose d’insuline de la moitié diurne supérieure à la dose nocturne si né- lowing Intra-Articular Steroid Injections in Patients
du  pourcentage de variation de dose cessaire. Si le patient utilise une insuline à with Diabetes : A Systematic Review. Jounal of Bone
des GC. Par exemple, une baisse de 50 % longue durée d’action, la majoration des and Joint Surgery 2016;4(3).
6. Egbuonu F, Antonio FA, Edavalath M. Effect of Inhaled
des GC doit conduire à diminuer l’insu- bolus du matin et du midi permet de limi- Corticosteroids on Glycemic Status. Open Respir Med
line de 25 %. ter l’ascension glycémique diurne. J 2014;31(8):101-5.

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