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Rationnement du crédit dans le modèle de Stiglitz et Weiss (1981)

De nombreux emprunteurs ne peuvent obtenir le prêt qu’ils demandent même s’ils sont
prêts à payer un taux d’intérêt supérieur à celui exigé par le prêteur. Ce phénomène, appelé
rationnement de crédit, implique que certains projets au rendement net positif ne trouvent
pas de financement. Le rationnement du crédit s’oppose à l’hypothèse néoclassique standard
qui prédit que tout prêteur peut toujours augmenter le prix (ou le taux d’intérêt) d’un prêt
afin d’équilibrer offre et demande de crédit. Ainsi, dans la théorie néo-classique, il ne peut y
avoir d’excès de demande de crédit.
Le rationnement du crédit peut se justifier soit par la présence de coûts de faillite très élevés
(Freimer et Gordon, 1965), soit par une situation dominante des prêteurs (Jaffee et
Modigliani, 1969 ; Jaffee, 1971), soit enfin par la présence d’asymétrie d’information (Jaffee
et Russell, 1976). C’est en tenant compte de l’asymétrie d’information que Stiglitz et Weiss
(1981) vont proposer la modélisation la plus célèbre du phénomène de rationnement du
crédit.
Dans ce modèle, les prêteurs ont une information incomplète sur les caractéristiques des
emprunteurs. Ils connaissent la rentabilité anticipée du projet mais pas le niveau de risque
associé. Les prêteurs ne peuvent donc pas ajuster les taux d'intérêt en fonction du risque des
projets à financer et offrent un taux d’intérêt unique à tous les emprunteurs. Augmenter les
taux d’intérêt n’est pas suffisant pour couvrir la totalité des risques car cela provoquerait des
phénomènes de sélection adverse (élimination des meilleurs emprunteurs) et d’aléa de
moralité (en modifiant le comportement des emprunteurs) de sorte que plus le taux d’intérêt
augmente et plus le risque augmente aussi. Le taux d'intérêt influence donc le type
d’emprunteurs intéressés par le contrat de prêt (si le taux est élevé, seuls les emprunteurs
les plus risqués vont être attirés) et modifie leurs comportements (un taux élevé va les inciter
à prendre plus de risque). Par conséquent, si le taux d’intérêt affecte la nature des
transactions, il ne peut plus servir de mécanisme d’équilibrage du marché.
Stiglitz et Weiss proposent un modèle dans lequel le taux d’intérêt ne joue aucun rôle comme
instrument de rationnement. Le rationnement va découler de la réaction de la banque face
aux problèmes d’asymétrie d’information qui influence sa rentabilité. Deux cas se
présentent :
1. Sélection adverse : les emprunteurs détiennent de l’information privée avant que le contrat
ne soit signé (information cachée). L’existence de la sélection adverse affecte la rentabilité
de la banque. Le rendement de la banque dépend de la probabilité de remboursement des
prêts. Elle souhaite donc identifier les emprunteurs qui ont la plus grande probabilité de
rembourser les prêts. Cependant, la banque ne peut identifier les « bons » des « mauvais »
emprunteurs et doit donc recourir à des mécanismes révélateurs d’information
(« screening devices »). Le taux d’intérêt qu’un emprunteur est prêt à payer peut être utilisé
à cette fin. Les emprunteurs qui sont prêts à payer des taux d’intérêts élevés sont supposés
être en moyenne plus risqués. Ils correspondent aussi à ceux dont la probabilité de
remboursement est faible. Ainsi, plus le taux d’intérêt est élevé, plus le risque moyen des
emprunteurs augmente. Cette augmentation de la probabilité de défaut exerce un effet
négatif sur le profit de la banque. Cet effet négatif est compensé par l’effet positif venant
de l’augmentation des montants de remboursement. Cependant, il existe un taux d’intérêt
optimal au-delà duquel l’effet négatif l’emporte sur l’effet positif. La banque aura donc
intérêt à rationner le crédit pour des emprunteurs qui seraient prêts à payer un taux
supérieur au taux optimal.
2. Aléa de moralité : les actions des emprunteurs ne sont pas vérifiables ou bien ils reçoivent
de l’information privée après la signature du contrat de prêt (action cachée). Une fois le
crédit accordé, un effet d’aléa de moralité peut empêcher la banque d’augmenter ses taux
d’intérêt au-delà d’un certain niveau. En effet, une augmentation des taux d’intérêt va
inciter les emprunteurs à prendre plus de risque pour pouvoir maintenir la rentabilité de
leur projet. Or cette prise de risque supplémentaire augmente la probabilité de faire défaut
sur la dette contractée et peut réduire la rentabilité de la banque. Il existe donc à nouveau
un taux d'intérêt qui maximise le profit de la banque et un rationnement du crédit peut
apparaître.
Pour ces deux raisons, le rendement anticipé de la banque augmente moins rapidement que
les taux d’intérêt, et baisse au-delà du niveau optimal représenté par 𝑟̂ ∗ sur le graphique A.

Graphique A – Rendement anticipé et taux d’intérêt

Taux d'intérêt

La demande et l’offre de crédit sont fonctions du taux d’intérêt. L’offre est déterminée par le
taux optimal de la banque, 𝑟̂ ∗ . Il se peut qu’à ce niveau de taux, la demande de fonds excède
l’offre. L’analyse traditionnelle suppose que dans cette situation, les demandeurs offrent un
taux d’intérêt supérieur. Toutefois, cela est impossible ici, car le taux 𝑟̂ ∗ est un taux
d’équilibre, de sorte que la banque ne fournira pas de prêts à des emprunteurs à un taux
supérieur. Un tel prêt serait trop risqué et le rendement attendu de ce prêt serait inférieur
au rendement d’un prêt au taux 𝑟̂ ∗ . En conséquence, les taux d’intérêt n’équilibrent pas
l’offre et la demande et un rationnement du crédit apparaît.

Références :
FREIMER, M. et GORDON M.J. (1965), “Why Bankers Ration Credit”, Quarterly Journal of
Economics 3: 397-416.
JAFFEE, D.M. (1971), Credit Rationing and the Commercial Loan Market, New York, Wiley.
JAFFEE, D.M. et MODIGLIANI, F. (1969) “A theory and test of credit rationing”, American Economic
Review 59: 850–72.
JAFFEE, D.M. et RUSSELL T., (1976), “Imperfect Information, Uncertainty, and Credit Rationing”,
Quarterly Journal of Economics 90(4): 651-666.
STIGLITZ, J.E. et WEISS, A. (1981), “Credit rationing in markets with imperfect information”,
American Economic Review 71: 393–410.

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