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La méthode est bien connue des « gilets jaunes ». La préfecture de police a multiplié, ces derniers jours, les arrêtés interdisant les
manifestations non déclarées dans plusieurs secteurs de la capitale. Du mardi 21 au mardi 28 mars, des arrêtés préfectoraux ont
été pris chaque jour pour interdire aux manifestants de se réunir spontanément en fin d’après-midi et en soirée dans une grande
partie de la ville – la place de la Concorde, l’avenue des Champs-Elysées, le Trocadéro, la place de la République, la place de la
Bastille ou encore la place d’Italie. Les contrevenants risquent ainsi une amende forfaitaire de 135 euros pour participation à une
manifestation interdite.
Un arrêté préfectoral a interdit tous les cortèges, défilés et rassemblements non déclarés du vendredi 24 mars à 17 heures au
samedi 25 mars à 3 heures dans plusieurs secteurs de Paris. Des arrêtés similaires ont été pris chaque jour entre le 21 et le
28 mars.
Source : Préfecture de Paris
Le préfet de police de Paris, Laurent Nunez, justifie ces décisions au vu des violences et des interpellations qui ont eu lieu depuis
l’annonce, le 16 mars, du recours à l’article 49.3 par le gouvernement pour faire adopter au Parlement sa réforme des retraites.
Invoquant des « rassemblements présentant des risques de troubles graves à l’ordre public », il assure que le « périmètre dans
lequel des restrictions sont mises en œuvre » vise à « garantir la sécurité des personnes et des biens, celle des sites et institutions
sensibles et symboliques ».
En signant ces arrêtés, le préfet semble appuyer le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, qui avait affirmé, à tort, qu’« être dans
une manifestation non déclarée est un délit, [qui] mérite une interpellation ». En effet, si le rassemblement n’a pas été interdit,
« aucune autre disposition légale ou réglementaire n’incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée », a
rappelé la Cour de cassation en juin 2022. Les arrêtés pris par le préfet de police permettent ainsi de contourner cet état du droit.
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Décryptage : Manifestation interdite ou spontanée, « technique de la nasse », motifs d’interpellation… les réponses à vos questions
sur les droits des manifestants
Forte présence policière à République, plusieurs personnes sont contrôlés aléatoirement et verbalisés à hauteur
de… https://t.co/YXkN2M60Vf
Vendredi soir, il fallait se rendre sur le site de la Préfecture de Paris pour trouver une trace de l’arrêté interdisant certains secteurs,
dont la place de la République. Le document a été mis en ligne plus d’une demi-heure après le début de l’interdiction, à 17 h 30,
comme le montrent les données de création du document. Quelques jours plus tard, mardi 28 mars, il fallait chercher le site de la
préfecture de police de Paris, distinct du précédent, pour prendre connaissance d’une nouvelle interdiction.
Quant à l’arrêté interdisant les rassemblements non déclarés pour samedi soir, il n’a même pas été mis en ligne. Le document a été
simplement affiché devant la préfecture de police de Paris, comme a pu le constater l’avocat David van der Vlist, membre du
Syndicat des avocats de France (SAF, classé à gauche). Pour prendre connaissance de l’interdiction, les manifestants auraient
donc dû se rendre préalablement rue de Lutèce, dans le 4e arrondissement.
Plusieurs organisations, avocats et élus se sont émus de la difficulté pour le citoyen d’avoir accès à ces informations, en plein
mouvement de contestation de la réforme des retraites. « Imaginez l’absurdité de la situation : on punit des jeunes gens en leur
disant “vous n’avez pas le droit de vous rassembler dans tel ou tel endroit” sans qu’ils aient pu savoir au préalable qu’ils n’avaient
pas le droit de le faire », a par exemple déploré, dimanche, le député Nupes de l’Essonne Antoine Léaument.
Le Monde
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« Combien de sites Internet et de panneaux d’affichage les manifestants sont-ils censés surveiller pour savoir quand ils ont le droit
de sortir ? », s’interroge le SAF, qui reproche au préfet de publier « en catimini » ces arrêtés, dans le but que des manifestants
restent chez eux par crainte d’être verbalisés.
Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « Le préfet de police a intégré à sa politique de maintien de l’ordre le recours
systématique aux interpellations préventives »
Pourquoi les arrêtés sont-ils publiés au dernier moment ? Pourquoi ne sont-ils pas tous publiés au même endroit ? Pourquoi ne pas
avoir communiqué sur les réseaux sociaux, ce qui aurait pu permettre au plus grand nombre d’avoir accès aux secteurs concernés
par l’interdiction de se rassembler spontanément ? Contactée par Le Monde, la Préfecture de police n’a pas répondu sur ces
points, elle qui avait pourtant déjà eu recours à Twitter dans des situations similaires par le passé. La préfecture de police se borne
à dire qu’elle se conforme à l’article L. 221-2 du code des relations entre le public et l’administration qui dispose que « l’entrée en
vigueur d’un acte réglementaire est subordonnée à l’accomplissement de formalités obligatoires de publicité, notamment par la voie
d’une publication ou d’un affichage, sauf dispositions contraires ».
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Vincent Brengarth estime que cette absence de communication claire et systématique a pour but « d’entraîner une difficulté d’accès
pour le justiciable qui souhaiterait contester l’arrêté en référé-liberté devant le tribunal administratif ». Cette procédure d’urgence
permet de contester une décision administrative qui porterait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté
fondamentale. Le juge dispose alors de quarante-huit heures pour se prononcer.
Pour le SAF, la Préfecture de police de Paris « organise un état de non-droit ». « Si personne ne voit le texte, pas de recours et si le
juge saisi tardivement n’a pas le temps de statuer, pas de suspension, constate le syndicat. Or, le juge doit en théorie contrôler la
nécessité et la proportionnalité de ces arrêtés, clairement discutables. »
Lundi 27 mars, à 18 h 41, le SAF, le Syndicat de la magistrature (SM), la Ligue des droits de l’homme (LDH) et l’union syndicale
Solidaires ont déposé ensemble un référé-liberté auprès du tribunal administratif de Paris visant l’arrêté pris pour la nuit de lundi à
mardi, non affiché en préfecture et publié en ligne au recueil des actes administratifs à 17 h 30, soit trente minutes après le début
de l’interdiction. Mardi en fin de journée, le tribunal administratif a rejeté leur requête, jugeant avoir été saisi trop tard pour
convoquer une audience. Le tribunal constate par ailleurs qu’au moment où il rend son ordonnance, l’arrêté n’est déjà plus valable
et qu’il « n’y a pas lieu d’y statuer ».
« La stratégie de la Préfecture de police aura produit ses effets », a aussitôt réagi le SAF, demandant une nouvelle fois aux
autorités de publier les arrêtés « dans un délai permettant un contrôle juridictionnel effectif ».
David van der Vlist assure que son syndicat se tient prêt à saisir à nouveau le tribunal administratif pour les prochains arrêtés, afin
que la nécessité et la proportionnalité de ces arrêtés puissent être réellement questionnées. « On n’a jamais vu ça, même pendant
le mouvement des “gilets jaunes” les arrêtés étaient publiés la veille, ce n’était pas fait en cachette, et les périmètres d’interdiction
n’étaient pas aussi larges », se souvient-il. Avec la LDH, le SAF a annoncé qu’il aiderait l’ensemble des manifestants verbalisés à
contester leurs amendes devant le tribunal de police. « Il y aura alors un vrai débat sur l’heure de publication et sur les modalités de
publicité de ces arrêtés qui ne sont pas adéquates », estime l’avocat.
Mercredi à 18 h 30, avant la publication de cet article, aucun nouvel arrêté d’interdiction de manifestation non déclarée n’avait
encore été mis en ligne.
Romain Geoffroy
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