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MUSIQUE ET TEMPS

I - QU’EST-CE QUE LE TEMPS MUSICAL ?


A) Généralités
B) Le rôle de la mémoire

II - LE TEMPS MUSICAL AVANT LE XXe SIECLE


A) Le temps éternel: Le chant grégorien
B) La rationalisation du temps au XIIIe siècle et sa complexification au XIVe
C) Le temps musical classique (XVIe au XIXe siècles)

III - LE BOULEVERSEMENT DU TEMPS MUSICAL AU XXe SIECLE


A) La perte des points de repère traditionnels: L’école de Vienne: Arnold Schönberg
B) L’exploration de nouveaux langages musicaux au début du XXe:
Claude Debussy et Igor Stravinsky
C) Une approche très personnelle du temps en musique: Le quatuor pour la fin du temps d’Olivier
Messiaen
D) Les ambiguïtés de la perception du temps: Gyorgy Ligeti
E) L’éclatement du temps dans la «forme ouverte»: Pierre Boulez - Karlheinz Stockhausen
F) Le Miserere d’Arvo Pärt (né en 1935)

IV - L’ŒUVRE DANS SON TEMPS


A) Les rapports d’une œuvre au passé
B) Un exemple de retour au passé: le néo classicisme (vers 1920): Maurice Ravel.

I - QU’EST-CE QUE LE TEMPS MUSICAL ?


A) Généralités

La musique est un art du temps. Elle est un équilibre entre des événements sonores (timbre, hauteur,
harmonie) et leur placement réfléchi et inspiré dans le temps (rythme, tempo). Ces événements sonores
peuvent être observés tant au premier degré (note, thème, motif) que plus largement: structure d’un
mouvement ou d’une œuvre entière. La notion de temps en musique peut se décliner sous plusieurs
aspects:

a) Le temps de l’œuvre elle-même, son déroulement:


* une architecture avec une forme et une logique temporelle bien affirmées (Bach, Mozart, etc…)
* une succession de moments, d'ambiances différentes (Debussy)
* une masse sonore au déroulement continu (Ligeti)

b) Temps traduit par la notation:


Les partitions révèlent de nombreuses ambiguïtés, en particulier pour ce qui concerne le tempo- le
métronome ne sera inventé qu'en 1816) : les indications temporelles sont-elles précises lorsqu'elles
existent ou laissent-elles une marge de manœuvre à l'interprète

c) Temps musical de l'interprète: problème du choix du tempo, de l'interprétation? y a-t-il un tempo idéal?

d) Temps de l'auditeur: comment perçoit-il la musique? Quels rôles jouent sa mémoire et sa connaissance
des structures musicales ? en quoi son état psychologique modifie-t-il sa perception du temps ?
B) Le rôle de la mémoire

La mémoire joue un rôle essentiel dans les mécanismes de l’écoute et de la compréhension de la musique.
On peut distinguer trois mémoires:

a) La mémoire immédiate détecte en temps réel les évènements sonores


b) La mémoire à court terme (6-7 secondes) permet d'identifier des mélodies et figures simples
c) La mémoire réfléchie (mémoire à long terme) classe et organise les informations en même
temps que se déroule la musique, elle les globalise et en dégage une structure. La musique se
déroule dans un temps linéaire, mais la perception auditive ne se fait pas dans cette linéarité: la
mémoire réorganise le temps. Au moment de l'audition de l’œuvre musicale, la mémoire
réfléchie ne s'attache pas seulement au passé (c’est-à-dire à la partie déjà écoulée du discours
musical) mais elle se projette dans le futur, et anticipe ce qui n’a pas encore été entendu - ce
qui lui permet de retenir et d'organiser ce qui s'est écoulé. L'auditeur prend soudain conscience
de toutes les connexions structurelles du morceau, de la place de chaque détail dans l’ensemble
de son architecture formelle. Ce mode de perception n'est possible que lorsque la musique fait
référence à des structures préétablies (phrases, thèmes, développements, cadences, alternances
de tensions et de détentes créés par l'harmonie, reprises) et qu'elle est construite sur une
conception du temps réversible, basé sur le souvenir et l'anticipation

«La première mesure d’un mouvement de symphonie de type classique est perçu seulement quand on a
entendu aussi la dernière, qui justifie la première mesure ". On a alors "l’illusion de la suspension
temporelle, c’est-à-dire l’illusion que certains mouvements de symphonie ... ne durent pas sept ou
quinze minutes, mais – si bien exécutés – un seul instant", Théodore Adorno, Philosophie de la
Nouvelle musique

II - LE TEMPS MUSICAL AVANT LE XXe SIECLE


A) Le temps éternel: Le chant grégorien
B)
Le chant grégorien est un chant de prière louant le dieu chrétien. Il est composé d’une seule et même
mélodie chantée par un ensemble de moines. Il n’y a pas de pulsation, le rythme est non mesuré, souple
et suit la courbe naturelle de mélismes (plusieurs notes pour une syllabe) plus ou moins longs

L’absence de mesure, de pulsation et de temps mesuré fait qu’il symbolise l’éternité de Dieu.

Lors de l’apparition de la musique mesurée au XIIe siècle (en même temps que l’invention de la
polyphonie), les conservateurs (qui s’opposaient à l’utilisation de mélodies grégoriennes dans la
polyphonie naissante déclaraient que mesurer la musique signifiait la quantifier et la marchander (à
l’image des marchands dans le temple de Dieu), ainsi que son contenu religieux. Le répertoire du plain-
chant (ou chant grégorien) était tout le contraire: uniquement mesuré sur le texte et détaché de toute
contrainte rythmique rationnelle, il symbolisait l’éternité de Dieu. C’étaient ce Dieu et ce temps éternel
que Saint Augustin (354-430) louait dans ses Confessions. D’après lui, Dieu a créé toutes les créatures y
compris le temps, il n’y a donc pas d’avant le temps, ni d’avant le ciel et la terre. Le monde et sa
création baignent dans une «éternité permanente».

C) La rationalisation du temps au XIIIe siècle et sa complexification au XIVe

a) Les modes rythmiques au XIIIe siècle: Pour faire évoluer deux voix ensemble, il fallait inventer un
système rationnel de mesure, un point de repère fixe et régulier qui sert de référence aux deux voix: la
pulsation était née (XIIe siècle). Au XIIIe siècle, la systématisation de la pulsation est telle qu’on
utilise des modes rythmiques:
Dans le motet J’ai trové qui me veut amer du XIIIe siècle, un mode rythmique est
principalement utilisé dans la voix de teneur qui est basée sur une mélodie grégorienne empruntée, ici la
mélodie In saeculum:

b) L’ars nova et ses complications rythmiques: Ars nova (par opposition à Ars antiqua qui caractérise la
musique du XIIIe siècle) veut dire science nouvelle et s’applique à la musique du XIVe siècle. A cette
époque une des préférences les plus raffinées des compositeurs était d’utiliser des rythmes des plus
complexes. On observe à cette époque l’utilisation de l’écriture isorythmique littéralement = même
rythme. Il s’agit en quelque sorte de l’élongation du principe des modes rythmiques de l’ars antiqua:
une phrase rythmique plus ou moins longue est enchaînée bout à bout en boucle à la voix de teneur.
Cette phrase rythmique se présente sur des notes d’une mélodie (empruntée au répertoire grégorien,
souvent) qui n’a pas forcément la même longueur que la phrase rythmique: d’où l’apparition de
décalages entre la mélodie et la phrase rythmique. L’écriture isorythmique est une manière très
abstraite et intellectuelle d’aborder la musique, elle illustre à un degré élevé la systématisation jusqu’à
l’excès du rythme mesuré, du rythme «pour le rythme».

Exemple: Motet Puis que la douce rousee de Guillaume de Machaut (v.1300-1377)

D) Le temps musical classique (XVIe au XIXe siècles)

A la Renaissance, c’est à dire à partir du XVIe siècle pour ce qui concerne la musique, la
musique n’est plus considérée comme une science mais comme un art au sens moderne du mot. Les
complexités rythmiques sont abandonnées au profit de rythmes simples, facilement décelables à
l'oreille. Cette évolution du rythme s’accompagne de nouveautés dans l’harmonie, l’apparition de la
3ce (donc de l’accord parfait) principalement, voir les œuvres de Josquin Desprès (v.1440 - 1521) ou
de Palestrina (v.1525 - 1594).

Ces changements dans le solfège s’accompagnent d’une conception de temps musical se


rapprochant de celui de la narration et de la danse: du XVIe aux début du XXe siècle, la musique est
pensée comme une histoire qu’on raconte avec un début, un milieu et une fin. La succession
temporelle des évènements musicaux se fait selon un mode narratif classique. L’utilisation de thèmes
dans un contexte tonal sont des points de repères très importants permettant à la mémoire de
conceptualiser le déroulement temporel de l’œuvre. «La conscience de succession s’accomplit avec la
distinction nette des mouvements successifs» Husserl (1859-1938)

Exemple: 1er mouvement de la sonate en do majeur de Mozart K.545. Cette pièce de forme sonate fait
évoluer une structure en trois parties: exposition, développement et réexposition. Ce sont
les deux thèmes principaux (énoncés lors de l’exposition) et leur jeu de répétition, mais
aussi les repères harmoniques clairs et fermes (début dans le ton de la tonique, fin de
l’exposition dans le ton de la dominante, nombreuses modulations dans le développement,
et fin de la pièce à nouveau dans le ton de la tonique) qui donnent à ce mouvement son
caractère temporel linéaire, classique et humain. Humain car le schéma introduction -
milieu - conclusion nous renvoie au déroulement de notre propre vie: jeunesse – âge moyen
– mort.

III - LE BOULEVERSEMENT DU TEMPS MUSICAL AU XXe SIECLE

A) La perte des points de repère traditionnels: L’école de Vienne: Arnold Schönberg (1874-1951)

* On assiste, vers la fin du XIXe dans les pays germaniques à une surenchère expressionniste de
l’expression romantique caractérisée principalement par:
* Une perte progressive du sentiment tonal par un chromatisme excessif (voir le Prélude de
l’opéra Tristan et Iseult de Richard Wagner (1813-1883).
* Des modulations incessantes à des tons très éloignés (symphonies de Gustav Mahler (1860-
1911), Klavierstücke de Johannes Brahms (1833-1897) affaiblissant une sensation tonale
stable.

* Le monde musical germanique est donc confronté à l’épuisement de la musique romantique. Il faut
absolument trouver d’autres voies pour régénérer cet art, sinon voué à la caricature de lui-même.
Certains explorent les limites de la tonalité (Scriabine (russe 1872-1915)), d’autres décident de faire
table rase du passé:

* Les compositeurs Arnold Schönberg (1874-1951), autodidacte, compositeur central dans ce qu’on
appelle la «seconde école de Vienne» dont faisaient aussi partie Anton Webern (1883-1945) et Alban
Berg (1885-1935), la «première» école de Vienne étant constituée des classiques Mozart, Haydn et
Beethoven.

* Schönberg, après constat de l'épuisement du système tonal, mit fin à ce système pour en construire un
autre, bâti de toutes pièces, fondé sur l’atonalité absolue. Il n’y a plus de degrés, de dominante, de
tonique, de modulations, etc... toutes les notes sont considérées à égalité, hors de toute échelle.

* L’atonalité mènera à l’athématisme (absence de thème) et à l’absence de répétitions. Notre


psychologie d’écoute, lié au sentiment tonal et habituée aux répétions et autres «retours» de thèmes
s’en trouve profondément modifiée voire perturbée.

* Par conséquent la perte des points de repère traditionnels que sont la tonalité, le thématisme et la
pulsation régulière amènent les œuvres du XXe à se confronter à un nouveau rapport au temps
musical. Le rapport au temps musical est profondément bouleversé: il est difficile, à l’écoute de
prédire ce qu’il va se passer, ou d’indiquer si la fin de la pièce est proche ou pas, etc...

* La forme musicale dans la musique dodécaphonique, vise à l’instauration d’une temporalité


irréversible, c’est à dire une temporalité dans laquelle la mémoire réfléchie (voir plus haut) est
beaucoup moins sollicitée. Cette temporalité particulière est liée aux caractéristiques de la musique
sérielle : imprévisibilité, discontinuité, monde sonore d'où sont bannis la thématique, les retours et
répétitions rythmiques ou mélodiques

«La pensée sérielle dérive d’une réaction totale contre la pensée classique, qui veut que la forme soit pratiquement une
chose préexistante, ainsi que la morphologie générale. Ici, il n’y a pas d’échelle préconçue, c’est-à-dire des structures
générales dans lesquelles s’insère une pensée particulière ; en revanche, la pensée du compositeur, utilisant une méthodologie
déterminée crée les objets dont elle a besoin et la forme nécessaire pour les organiser, chaque fois qu’elle doit s’exprimer. La
pensée tonale classique est fondée sur un univers défini par la gravitation et l’attraction ; la pensée sérielle sur un univers en
perpétuelle expansion», p. 297. P. Boulez, Relevés d’apprenti, Seuil, Paris 1966

Mots-cléfs:

Atonalité: Pratique de composition apparue au début du XXe dans laquelle on évite toute tonalité en
écartant les polarités et hiérarchies propres au langage tonal.

Dodécaphonisme: Technique de composition dans laquelle les 12 sons de la gamme sont traités à
égalité sans hiérarchie ni attraction entre eux.

Exemple: Pièce Opus 11 n°3 Bewegt "mouvementé" d’Arnold Schönberg (1874-1951)

* c’est une pièce révolutionnaire et tournée vers l'avenir.


* une écriture très virtuose
* elle est totalement athématique (sans thème)
* elle est écrite selon le principe de non répétition
* elle est constituée d’agrégats défiants toute loi tonale
* elle constitue une ouverture vers la forme "ouverte" (forme non déterminée qui change à chaque
exécution) en sorte de constante improvisation

L’athématisme, la non répétion et l’absence de repères harmoniques implique une absence de


perception du temps linéaire

B) L’exploration de nouveaux langages musicaux: Claude Debussy et Igor Stravinsky

a) Claude Debussy (1862-1918): Dans ses Préludes pour piano, Debussy capte un instant et le dégage
de toute perspective temporelle. Dans le temps Debussyste, la juxtaposition des idées musicales
implique un déni du sentiment de durée. Par ailleurs «le statisme et la phobie du développement
discursif ont trouvé dans le prélude la forme privilégiée» (Vladimir Jankélévitch, à propos des
Préludes de Debussy)

Exemple: Voiles (Prélude pour piano n°2 du Livre I)

* C’est un véritable chef d’œuvre impressionniste. C’est un de ces préludes décrivant un objet
humain enlacé, plongé et soumis aux éléments naturels. Ces voiles révèlent la forme d’un vent
calme et doux qui, par essence, n’a pas de contours. Debussy a su rendre en musique l’immatérialité
de ce vent.
* Un motif parcourt toute la pièce (mesure 1 et 2). On peut le considérer comme un thème (car il est
clairement caractérisé et on l’entend à plusieurs reprises) mais ses répétitions ne provoquent pas un
sentiment de progression temporelle dans la mesure où il n’est pas développé ni varié.

* Gamme par ton (dès le motif du début, mais aussi dans les fusées de la dernière page). Cette gamme
est par définition une gamme sans point de repère dans laquelle aucune note n’est plus importante
qu’une autre. L’absence d’alternance de tons et de ½ tons provoque une absence de pôle tonal ou
modal

* Malgré cette absence de pôle tonal ou modal, Debussy donne une importance à une note
particulière: on observe une pédale de sib dans le grave du piano pendant toute la pièce. Accentuée
par le phénomène acoustique de résonance du piano (plus la note est grave, plus elle résonne), elle
provoque un halo sonore impressionniste, censé se rapprocher de l’image d’une voile flottant
lentement dans le brouillard.

Ces deux caractéristiques (gamme par ton, pédale résonnante de sib dans le grave) permettent à
Debussy d’évoquer de manière tout à fait poétique et impersonnelle (pas de sentiments humains ici)
un instant (donc hors du temps) où l’on observe des voiles flotter. Il y a une absence de progression
temporelle et un déni du sentiment de durée.

b) Igor Stravinsky (1882-1971): Le sacre du printemps

Ballet créé en 1913, dont l’accueil fut un scandale mémorable, Stravinsky raconte la façon dont
lui est venue l’idée du Sacre «Il avait eu soudain la vision d’un grand rite sacral païen, avec de
vieux sages assis en cercle observant la danse à mort d’une jeune fille qu’ils sacrifient pour leur
rendre propice le Dieu du printemps» (Guide de la musique pour orchestre, p.770).

* La question du temps musical dans cette œuvre ne se pose pas de la même manière que pour
Voiles de Debussy. Voulant rendre l’idée et l’atmosphère d’une nature grouillante et
fourmillante, Stravinsky utilise des combinaisons de rythmes extrêmement complexes entre
les instruments pour brouiller toute idée de pulsation.

* Dans cette même perspective, noter comme il déplace l’accent des accords répétés (Danse
des adolescentes à 3’20) pour le placer toujours de manière irrégulière.

C) Une approche très personnelle du temps en musique: Le quatuor pour la fin du temps d’Olivier
Messiaen
D’après: Gérard Moindrot, Education Musicale, Bac 2003 n°495-496 Septembre-Octobre 2002

Le quatuor à cordes - Historique

Le terme quatuor désigne une œuvre pour 4 instruments. Le genre Quatuor à cordes, tel qu’il a été
établi à la fin du XVIIIe siècle par Haydn (1732-1809), concerne des pièces pour quatre instruments à
cordes (2 violons, un alto, un violoncelle), traités selon un principe d’égalité. De même que la
symphonie ou le concerto, le quatuor se présente le plus souvent en quatre mouvements: Allegro –
Andante – Menuet – Allegro.

La thématique abordée dans le Quatuor pour la fin du temps

Dans son quatuor pour la fin du temps, Messiaen se démarque du classicisme. La forme générale est en
huit mouvements qui obéissent à un programme inspiré par l’Apocalypse (partie finale de la bible qui
décrit le monde à la fin des temps, lorsqu’aura lieu le Jugement dernier au cours duquel les âmes seront
séparées selon le bilan de leur vie terrestre), et non aux structures habituelles.
Les circonstances de la composition du quatuor de Messiaen

La formation (violon, clarinette, violoncelle et piano), résulte des conditions particulières propres au
camp de détention où se trouvait le compositeur en 1940. Infirmier fait prisonnier à Görlitz en Silésie
(région aujourd’hui à cheval entre la Pologne, la république tchèque et l’Allemagne), il était jugé
suffisamment inoffensif pour que les allemands le laissent travailler et composer. Les conditions
difficiles de vie au camp lui provoquèrent les hallucinations colorées qu’il parvint à traduire
musicalement.

Les grandes étapes de la vie d’Olivier Messiaen

1908: Naissance à Avignon. Sa mère était poète. Débute le piano à 6 ans.


1918-29: Etudes au Conservatoire de Paris pendant 11 ans. S’intéresse aux modes et rythmes extra
européens.
1931: Titulaire de l’orgue de l’église de la Trinité à Paris jusqu’à sa mort.
1940: Détention à Görlitz. Composition du Quatuor pour la fin du temps
1942: Nommé professeur d’harmonie au conservatoire, puis d’analyse
1952: S’intéresse de plus en plus à l’ornithologie

Messiaen est un compositeur catholique très engagé.

Œuvres marquantes

1941: Quatuor pour la fin du temps 1944: Vingt regards sur l’enfant Jésus (piano seul)
1956-58: Catalogue d’oiseaux (piano seul) 1964: Couleurs de la cité céleste (petit orchestre)
1983: St François d’Assise (Opéra)

Le langage des Messiaen: les modes, le rythme

A) Les modes

Messiaen utilise les intervalles de la musique tempérée, c’est à dire qu’il n’a quasiment jamais
utilisé les ¼ de tons). S’il va de soi que la musique de Messiaen n’est pas tonale, elle n’est pas
dodécaphonique ni sérielle non plus mais utilise des modes et des accords pour leur couleur
particulière (c’est l’influence de Debussy). Messiaen a inventé et/ou répertorié des modes dits à
transposition limitée au nombre de 7 appelés tels car ne pouvant être transposés qu’un nombre
limité de fois (au contraire du mode de do, le do majeur traditionnel pouvant être transposé sur les
12 ½ tons).

Mode 1: C’est la gamme par tons très utilisée par Debussy et par conséquent peu par Messiaen
Mode 2: Il alterne les tons et les demi-tons

Chaque mode génère des accords particuliers. A noter l’importance du triton dans tous les modes (3
tons à partir de la fondamentale, ici do-fa#)

B) Le rythme

Influencé par le Sacre du printemps de Stravinsky (pièce pour orchestre de 1914 dans laquelle
Stravinsky utilise des rythmes tout à fait nouveaux, irréguliers et chaotiques) mais aussi par le chant
grégorien duquel il tire l’idée de rythmes non mesurés ni pulsés, se définissant autour de valeurs
longues et brèves.
Les sources d’inspiration: sa foi religieuse, les chants d’oiseaux et les couleurs

A) Sa foi

De parents non croyants, Messiaen devient et restera un croyant sincère et absolu. Sa musique
est très fréquemment jalonnée de références bibliques.

B) Les chants d’oiseaux

Pour Messiaen, la nature est l’une des manifestations du visage de Dieu, et il considérait les
oiseaux comme des «messagers du ciel». Dans le Quatuor pour la fin du temps, Messiaen
utilise les chants d’oiseaux pour la première fois. Il systématisera leur utilisation à partir des
années 1950 (Catalogue d’oiseaux). Les oiseaux utilisant des intervalles plus petits que le demi
ton, Messiaen «triche» en agrandissant leur intervalles jusqu’au ½ ton

B) Les couleurs

Messiaen «voyait» les sons sous forme de couleurs bougeant et se mélangeant au fur et à
mesure du développement d ‘oeuvre

La notion de temps dans le Quatuor pour la fin du temps

La remise en question d’un temps clairement mesuré, du tempo, de perceptions rythmiques


liées à une pulsation, sera une préoccupation majeure de Messiaen. Souvent il cherche à gommer la
sensation de temps. Il semble vouloir suspendre le déroulement du temps, nier le temps biologique pour
créer un temps propre, un temps interne à l’œuvre, mais un temps presque immobile. L’objectif est de
rapprocher «l’auditeur de l’éternité dans l’espace ou l’infini» (MP.Deram et C.Ormeggi)

«Musicien, j’ai travaillé le rythme. Le rythme est, par essence, changement et division. Etudier
le changement et la division, c’est étudier le Temps. Le Temps - mesuré, relatif, psychologique - se
divise de mille manières, dont la plus immédiate pour nous est une perpétuelle conversion de l’avenir
en passé. Dans l’éternité, ces choses n’existeront plus. Que de problèmes ! Ces problèmes, je les ai
posés dans mon Quatuor pour la fin du temps. Mais à vrai dire, ils ont orienté toutes mes recherches
sonores et rythmiques depuis une quarantaine d’années» O.Messiaen

Rajoutons enfin qu’en dehors du rythme, le langage harmonique de Messiaen, privé des
classiques relations dominante / tonique contribue aussi à perdre la perception du temps

DANSE DE LA FUREUR POUR LES SEPT TROMPETTES (6e mouvement) Tous les instruments

«Rythmiquement, le morceau le plus caractéristique de la série. Les quatre instruments à l’unisson affectent
des allures de gongs et trompettes (les six premières trompettes de l’Apocalypse suivies de catastrophes
diverses, la trompette du septième ange annonçant consommation du mystère de Dieu) Emploi de la valeur
ajoutée, des rythmes augmentés ou diminués, des rythmes non rétrogradables. Musique de pierre, formidable
granit sonore ; irrésistible mouvement d’acier, d’énormes blocs de fureur pourpre, d’ivresse glacée (...)»
Messiaen, préface du quatuor.

* Tous les instruments jouent donc à l’unisson, il n’y a par conséquent pas d’harmonie. Ils jouent presque
toujours ensemble.

Le thème de départ se caractérise par:


a) La gamme par tons (do - (ré) - mi - fa# - sol# - sib) sans le ré et avec un si bécarre considéré
comme note de passage.
b) L’emploi des rythmes à valeur ajoutées: le principal effet des double croches isolées est d’éviter
l’émergence d’une pulsation régulière:

Plus tard on remarque l’utilisation des diminutions ou augmentations rythmiques. Les mêmes notes (fa,
do#, la) sont jouées avec des rythmes à proportion égale à des vitesses différentes:

D) Les ambiguïtés de la perception du temps: Atmosphères de Gyorgy Ligeti

Compositeur hongrois né en 1923, il émigre en Allemagne de l’ouest en 1956. Après quelques


expériences en ce sens, il se détourne du sérialisme et de la musique électroacoustique pour se forger
son propre style. Atmosphères pour grand orchestre est écrit en 1961. C’est une œuvre qui renonce à la
notion d’intervalles et de profils rythmiques perceptibles.

* Il y a 89 instruments (dont 56 cordes) et autant de parties réelles (chaque instrument a sa propre partie
écrite)

* La perception du temps musical est brouillée par une illusion sonore: l’oreille perçoit une absence de
mouvement - donc de temps – c’est à dire un certain statisme alors que les parties instrumentales
fourmillent de notes rapides.

E) L’éclatement du temps dans la forme ouverte: Klavierstücke XI de Karlheinz Stockhausen - Pierre


Boulez

* Dans le Klavierstücke n°XI (1956) de Karlheinz Stockhausen (allemand, né en 1928), la notion de


temps est complètement éclatée. Le pianiste a devant lui une grande partition avec plusieurs fragments
de notes sur portées. Il doit les jouer dans l’ordre qui lui convient, et quand il retombe pour la 3e fois sur
le même fragment, une des réalisations possibles de l’œuvre est achevée. Ce qui fait que l’œuvre n’est
jamais la même, sa forme est dite ouverte.

* Il en va du même principe dans la 3e sonate de Pierre Boulez (né en 1925), figure marquante de la
musique contemporaine française

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