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Chapitre n°4 

: La Première Guerre mondiale  :


Leçon n°10  : Les civils, acteurs et victimes de la guerre
Alors qu'en 1914 les belligérants (=états en guerre) parient sur une guerre courte, les États se
retrouvent à gérer une guerre de 4 ans. Les populations des pays en guerre sont mobilisées,
tant à l'arrière qu'au front. Les efforts économiques et industriels sont mis au service du
conflit. C'est la première fois que des populations civiles sont ainsi engagées dans une guerre
totale, c'est-à-dire une guerre qui touche toutes les ressources disponibles de l'État.
Comment la Première Guerre mondiale implique-t-elle et bouleverse-t-elle la société civile ?
I-Les populations face au conflit  :
A-En 1914, le consentement des populations  :
Lorsque la guerre est déclarée en 1914, l'idée de défendre la patrie est acceptée par la
majorité des populations européennes : il y a donc un consentement de la population
qui explique la forte mobilisation.
74 millions de soldats sont mobilisés dans les pays qui entrent en guerre.
L'idée d'une guerre défensive et patriotique domine dans les opinions publiques. Dans les
différents pays européens, des partis politiques antagonistes se rassemblent dans ce qui est
appelé « l'Union sacrée ».
En France, après l'assassinat de Jean Jaurès, les socialistes se rallient à la guerre aux côtés
des partis de droite.
Les élans pacifistes sont vite étouffés, l'opinion publique est favorable à la guerre, et même si
les manifestations d'enthousiasme restent rares, on note tout de même des scènes de joie en
Allemagne comme en France au moment de la mobilisation.
B-La mobilisation des esprits  :
Tout le monde pense que la guerre sera terminée à la fin de l'année 1914. Comme elle
se prolonge, les États mettent en place une propagande et une censure efficaces pour
maintenir l'élan patriotique.
Les méthodes de propagande et de censure sont :

 Fausses nouvelles (notamment au cinéma où des scènes de batailles reconstituées sont


proposées) ;
 Contrôle du courrier des soldats et de leurs familles pour éviter les « mauvaises
nouvelles » ;
 Embrigadement des enfants par l'école.

Une carte postale patriotique


Cette mobilisation des esprits a pour but d'emporter l'adhésion des populations pour qu'elles
continuent de soutenir la guerre. Dans la propagande, on n'hésite pas à souligner la barbarie
des armées ennemies, à glorifier les exploits militaires de l'armée du pays et à pousser à la
militarisation de la société. Cette culture de guerre renforce la cohésion des sociétés. 

Toutefois, dès 1915, lorsque les soldats rentrent du front en permission, leurs récits de la
guerre ne sont pas conformes à l'image qu'en donne cette propagande : ils sont épuisés,
déprimés et commencent à exprimer leur désaccord avec le prolongement du conflit.
La propagande critique vivement les soldats « embusqués », c'est-à-dire des hommes qui
échappent à la mobilisation ou ont des positions qui les protègent. Les soldats, pour éviter de
passer pour des lâches, hésitent ainsi longtemps à raconter ce qu'ils vivent réellement.
C-Un contrôle politique accru  :
Avant la guerre, des pays comme l'Allemagne, le Royaume-Uni ou la France sont
démocratiques. Mais lorsque la guerre commence, les pratiques démocratiques sont
bafouées. Un contrôle politique accru des populations est mis en place.
Dans la plupart des pays, les gouvernements se dotent de pouvoirs plus importants pour
mener la guerre :

 En Allemagne, au Royaume-Uni et en Italie, on procède à des modifications du


fonctionnement des institutions pour la durée du conflit. 
 Le parlement français, ajourné en août 1914, se réunit en session extraordinaire en
décembre 1914 pour ratifier les décrets pris en son absence.
Le cabinet de Clemenceau, en 1917 et 1918, gouverne de façon autoritaire et justifie ses
actes par l'impératif de gagner la guerre.
« [...]
La seconde [chose], dans les circonstances actuelles, c'est que nous sommes en guerre, c'est
qu'il faut faire la guerre, ne penser qu'à la guerre, c'est qu'il faut avoir notre pensée tournée
vers la guerre et tout sacrifier aux règles qui nous mettraient d'accord dans l'avenir si nous
pouvons réussir à assurer le triomphe de la France.
[...]
Ma politique étrangère et ma politique intérieure, c'est tout un. Politique intérieure, je fais la
guerre ; politique étrangère, je fais la guerre. Je fais toujours la guerre. »
Discours de Georges Clemenceau, ministre de la Guerre et président du Conseil, le 8 mars
1918
Le pouvoir militaire va peu à peu prendre le pas sur le pouvoir civil. Chargé théoriquement
de la conduite de la guerre, les gouvernements laissent en réalité le contrôle aux états-majors.
Entre août et décembre 1914, le général Joffre est le commandant des forces armées du Nord
de la France. Il a une totale autonomie dans la conduite de la guerre, le gouvernement s'étant
déplacé à Bordeaux avec son accord.
Toutefois, à partir de 1915, des voix discordantes s'élèvent. Les pacifistes et les
antimilitaristes, d'abord engagés dans « l'Union sacrée », se remettent à militer à partir de
1915-1916. Ils publient des journaux pacifistes depuis la Suisse. Les auteurs de ces feuillets
pacifistes sont pourchassés et l'influence de ces publications reste minime durant tout le
conflit.
L'écrivain français Romain Roland, trop âgé pour être mobilisable, publie le livre Au-dessus
de la mêlée en 1915. C'est un grand manifeste pacifiste.
II-Une mobilisation industrielle, financière et scientifique inédite  :
A-Une mobilisation industrielle  :
La guerre se prolonge, il faut donc produire de nombreuses armes et du matériel pour
les armées. Cela demande un énorme effort de production, et donc des ouvriers.
Seulement, la plupart des hommes sont à la guerre. Il faut donc trouver une nouvelle
main-d'œuvre.
En France, les ouvriers qualifiés mobilisés en 1914 sont rapidement réaffectés dans les
usines en 1915. Les autres, qui représentent 23 % de la population active en France, sont
remplacés par les femmes, la main-d'œuvre coloniale ou étrangère (les Chinois en France) ou
encore les prisonniers de guerre. 

Les Allemands vont même jusqu'à faire travailler de force les civils des zones occupées en
Belgique et dans le Nord de la France. On parle de « front de l'arrière » pour qualifier cet
enrôlement massif dans l'effort de guerre.

Production annuelle des usines En 1914 En 1918


Renault

Voitures 1 484 553

Camions 174 1 793

Chars d'assaut 0 750

Obus de 75 et 155 mm 0  2 000 000

     

Effectifs des usines (dont femmes) 6 300 22 500


(3,8 %) (31,6 %)

Bénéfices réalisés (indice) 100 366

L'effort de guerre chez Renault


D'après R. Fridenson, Histoires des usines Renault, éd. Le Seuil, 1972
B-Une mobilisation économique  :
Pour financer la guerre, les gouvernements doivent trouver de l'argent et mobilisent la
population et les industries.
Ils procèdent à des hausses d'impôts, multiplient les emprunts et ont recours au crédit
bancaire international. De même, ils réorientent les productions et organisent le
rationnement. Ils réquisitionnent également la main-d'œuvre.

L'or combat pour la victoire, Faivre, 1915


Les États s'entendent avec les grands industriels pour assurer une production régulière. Ces
industriels réalisent des profits importants de plus en plus mal perçus par les populations au
fur et à mesure que le conflit perdure.
Les patrons des usines Renault réalisent d'énormes profits durant la guerre.
C-La science en guerre  :
La Première Guerre mondiale est la première à être considérée comme « scientifique ».
La science évolue dans la recherche d'armes plus performantes et en médecine.
« La guerre, à mesure qu'elle se prolonge, prend de plus en plus le caractère d'une lutte de
science et de machine. »
Déclaration du ministre de l'Instruction publique français, Paul Painlevé, en 1915
La science est en effet tournée vers la guerre : 

 Elle développe de nouvelles armes (chars, avions, gaz de combat, etc.).


 Elle progresse dans le domaine médical.
 

En 1918, les progrès techniques sont considérables par rapport à la situation en 1914. Il y a
eu une accélération de l'innovation et un élargissement de la circulation des informations
scientifiques.

Ainsi, Marie Curie, qui a inventé le procédé de radiographie, milite pour son utilisation sur le
champ de bataille afin de soigner les blessures des soldats. Elle participe à l'élaboration de la
voiture radiographique et va jusqu'à en conduire personnellement.
Appareil radiographique « portatif », La Radiologie et la guerre, Marie Curie, 1921
D-Une mutation des sociétés  :
1-Des sociétés fracturées  :
Au fur et à mesure que la guerre se prolonge, elle provoque des mutations dans la
société. On constate d'abord des fractures très importantes entre les différentes strates
de la société.
En France, le travail accru et les privations provoquent des grèves en 1917. Elles sont
lancées par les ouvrières du textile parisien, appelées les midinettes. Elles cessent le travail et
manifestent pour demander :

 Une revalorisation de leurs salaires ;


 La semaine anglaise (on ne travaille pas le samedi après-midi mais on est payé tout de
même) ;
 Le retour des soldats. 
 

Le gouvernement est poussé à faire des réformes. Une loi instaure ainsi la journée de
8 heures de travail en 1919. En Europe, de nombreux États sont ainsi poussés à réformer
leurs institutions. 

De plus, la population s'insurge contre la classe de profiteurs de guerre issue des mondes
industriel et politique. La société se divise nettement entre ceux du front et ceux de l'arrière.
2-L’évolution de la place des femmes  :
Durant la guerre, 50 % de la population masculine en âge de combattre (de 15 à 49 ans)
est mobilisée. Cela explique que la place des femmes évolue : elles occupent des emplois
traditionnellement masculins.
On recense 430 000 munitionnettes en France et des femmes agrégées enseignent dans les
lycées de garçons.

Munitionnettes en mai 1917 dans une usine Vickers


Les femmes gagnent en visibilité et en autonomie.
En France, les femmes constituent 40 % de la main-d'œuvre ouvrière en 1918 contre 32 % en
1913.
Dans certains pays, l'effort fourni par les femmes aboutit à l'obtention du droit de vote : c'est
le cas au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Allemagne et en Autriche. 

Toutefois, cette évolution est à tempérer : les femmes sont généralement renvoyées dans leur
foyer à la fin de la guerre sous la pression des hommes et des syndicats qui y voient un
danger. De plus, la guerre a aussi renforcé les représentations traditionnelles de l'homme viril
et combattant opposé à la femme consolante et qui soigne.
« Quelle que soit l'issue de la guerre, l'emploi des femmes constitue un grave danger pour la
classe ouvrière. Lorsque les hommes reviendront du front, il leur faudra lutter contre ces
dernières qui auront acquis une certaine habileté et toucheront des salaires différents. »
Déclaration d'Alphonse Merrheim, secrétaire des métaux CGT, en décembre 1916
III-Les civils victimes de la guerre  :
A-Les souffrances de l’arrière  :
1-De nombreuses privations  :
Les souffrances des civils qui vivent à l'arrière sont nombreuses. Ils souffrent de
l'augmentation du travail pour compenser les départs au front, mais surtout des
privations. 
La situation économique des pays en guerre est mauvaise : les prix augmentent
considérablement, ce qui entraîne une baisse du pouvoir d'achat. On parle d'inflation.
Les prix sont multipliés par 2 ou 3 entre 1914 et 1918.
En Allemagne, les réquisitions et les rationnements sont considérablement touchés par le
blocus de ses ports par les Alliés dès le début de la guerre. Dans certains pays, les famines
sont même de retour.
En Allemagne, « l'hiver des navets » de 1916-1917 a tué entre 450 000 et 700 000 personnes.
« C'est toujours la même misère pour la farine. Demain nous ne ferons peut-être qu'une seule
fournée tu vois quel métier. Nous avons reçu un mot du contrôleur des contributions directes
demandant nos bénéfices alors j'ai répondu que notre travail avait été de beaucoup réduit et
que la boulangerie était obligée de payer une taxe fixée par la préfecture, taxe qui permet à
peine de couvrir les frais généraux qui ont considérablement augmenté. Enfin avec tout cela
ils jugeront et nous verrons combien nous paierons. »
Extrait d'une lettre écrite en octobre 1918 par Marie, fille de boulanger, à son mari Jules
Vougnon, soldat
En France et au Royaume-Uni, le rationnement des populations civiles est rapidement mis en
place mais s'atténue avec l'entrée en guerre des États-Unis qui nourrissent une partie de la
population par leurs exportations.
Affiche de propagande américaine de 1917
2-Des populations déplacées  :
De nombreuses populations sont déplacées à cause des combats sur le front : ce sont des
réfugiés dont le nombres est croissant tout au long du conflit.
En France, ces réfugiés apparaissent dès le début de la guerre et leur nombre s'élève à
environ 3 millions. Ils ont fui le Nord et l'Est à cause de l'avancée des Allemands. Près de
500 000 personnes se retrouvent à Paris, les autres sont disséminées sur tout le territoire.
Elles reçoivent de la part de l'État une allocation de 1,25 franc.

Des réfugiés belges sur les routes en 1914


Le montant de cette allocation est le même que le montant de l'allocation perçue par les
familles de mobilisés.
Ces déplacés, soupçonnés de profiter du système ou d'être des déserteurs, sont rapidement
discriminés par les populations d'accueil.
3-Les souffrances psychologiques  :
Enfin, les souffrances des populations sont aussi psychologiques.
Elles vivent dans l'angoisse des bombardements. L'absence de nouvelles du front, malgré les
4 millions de lettres échangées par jour en France, est particulièrement difficile. Les
populations restées à l'arrière craignent les visites du maire qui vient voir les familles dont un
proche a été tué au combat.
« Mon cher petit, 
Hier je comptais t'écrire mais ma journée s'est passée sans un instant de répit. Je suis allée
hier après-midi à l'enterrement d'un pauvre soldat et aujourd'hui on en enterre encore un.
Cela fera le 11e. Je t'assure que cela me fait de la peine mais chaque fois que je peux j'y vais
on doit bien cela à ces pauvres malheureux. »
Extrait d'une lettre de Marie Vougnon à son mari en octobre 1918
B-Les victimes civils du front  :
Les civils sont également victimes du front, tués, bombardés, déportés ou internés.
Plus de 6 000 civils sont tués par les soldats allemands en Belgique et dans les territoires
français envahis. 15 000 sont déportés et internés dans des camps en Allemagne.
Les villes et villages situés près du front sont bombardés et, au printemps 1918, les
Allemands tirent sur Paris avec des canons à très longue portée, faisant plus de 250 morts. 

Les raids de bombardiers allemands sur Londres font 1 400 morts entre 1917 et 1918.

Carte postale du bombardement de la cathédrale de Reims par les Allemands


C-Le génocide des Arméniens  :
Entre avril 1915 et décembre 1916, le gouvernement des Jeunes Turcs au pouvoir dans
l'Empire ottoman organise le massacre de la minorité arménienne chrétienne, accusée
de soutenir les Russes contre les troupes ottomanes.
En Turquie, les Arméniens sont perçus comme un ennemi intérieur.
« R. Lepsius : Plus de 100 000 hommes ont déjà pris le chemin de l'exil. On ne parle
officiellement que d'un changement de domicile. […]
E. Pacha : L'Allemagne a la chance de ne posséder aucun ennemi intérieur ou du moins
presque pas d'ennemi de cette sorte. Mais supposons le cas où, en d'autres conditions, elle
renfermerait de véritables ennemis intérieurs […] n'approuveriez-vous pas tous les moyens,
quels qu'ils soient, auxquels il faudrait avoir recours pour délivrer du danger interne votre
nation engagée dans un terrible combat ? […]
R. Lepsius : Vous voulez fonder un nouvel empire, Excellence. Mais le cadavre du peuple
arménien reposera sous ses fondations. […] Ne saurait-on trouver un moyen pacifique,
même aujourd'hui encore ?
E. Pacha : La paix ne peut exister entre l'homme et le microbe de la peste. »
Extraits de l'entretien entre Enver Pacha, ministre ottoman de la Guerre, et le pasteur
allemand Johannes Lepsius, en 1915
Cité par Franz Werfel dans Les Quarante Jours de Musa Dagh, © Albin Michel
1936
Entre avril 1915 et décembre 1916, la mort des 2/3 de la population arménienne est planifiée.
Cela commence par l'exécution des élites et des hommes dans les différentes villes du pays,
puis se poursuit par la déportation massive des femmes, enfants et vieillards dans des
camps situés dans le désert syrien. 
Ce massacre est qualifié de « crime contre l'humanité et la civilisation » par les Alliés dès
mai 1915. Il a causé entre 1,2 et 1,5 million de victimes.
L'organisation du génocide des Arméniens

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