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« Après l’expérience que nous fîmes, sous la IVème République, il était inévitable et sans
doute indispensable que dans les débuts de la Vème, le Parlement se trouvât resserré dans un
lacis de contraintes » : c’est ainsi que s’exprima Edgar Faure, homme politique français qui
fut président du Conseil et président de l’Assemblée nationale, ainsi que plusieurs fois
ministre. Il brosse ainsi le portrait d’une Cinquième République se dirigeant vers un
affaiblissement du Parlement, synonyme d’une capacité insuffisante dans le processus
législatif. Il est alors légitime de se demander, si dans ce « lacis de contraintes », le Parlement
va pouvoir conserver une certaine permanence et importance dans son pouvoir de création de
l’œuvre de la loi, et ceci de manière effective vis-à-vis des autres organes institutionnels.
S’avère-t-il encore possible d’affirmer le parlement come détenteur du pouvoir législatif, alors
même que la Vème République est venue consacrer le fait qu’il n’est plus dans une situation
de détention exclusive de ce pouvoir ? Mais est-ce dire pour autant qu’il faille appréhender la
réduction de l’étendue des prérogatives du parlement comme ayant nécessairement engendré
la réduction du parlement en une « chambre d’enregistrement », auquel cas il ne serait plus
l’actif principal de la procédure législative, mais une simple « formalité » n’intervenant qu’en
fin de processus ? On pourrait alors penser que les parlementaires ne sont plus que
« spectateurs » de décisions dont ils seraient tenus d’assumer la responsabilité, mais sur
lesquelles leur influence de fait serait minime… Mais alors, qui fait la loi sous la Cinquième
République ? Aborder le problème tout en partant de la place du Parlement paraît pertinent :
en effet, c’est son « glissement », son changement de rôle, qui permettra de situer et donc de
qualifier les « nouveaux » acteurs de la loi…
De telles interrogations semblent ainsi imposer la nécessité d’opérer une focalisation sur la
mesure et l’étendue du poids effectif que conserve le parlement : « humiliation » n’est qu’un
des qualificatifs qui furent usés pour définir la position de cet organe sous la Vème…
Toutefois, une telle stigmatisation ne porte-t-elle pas sa propre limite ? On peut, alors,
légitimement questionner la pertinence d’une telle stigmatisation, laquelle pousse à une
appréhension exclusive du parlement comme n’étant plus qu’un vassal obéissant d’un exécutif
dominant… Il s’avère ainsi nécessaire de se demander si cette stigmatisation ne s’avère pas
exagérée et fondée sur une approche réductrice et manichéenne : la possibilité d’affirmer la
permanence du parlement comme acteur et élaborateur de la loi ne peut être appréhendée dans
la perspective d’une réponse positive, ou négative.
En quelque sorte, il ne s’agit donc pas de se demander si le parlement fait encore la loi, mais
plutôt ce pourquoi la controverse se pose, et entraîne de ce fait une réponse nuancée. Dans
quelle mesure les maximisations des pouvoirs et compétences du gouvernement tendent-elles
à empiéter sur ce qui était originellement l’acte par excellence du parlement, à savoir
l’élaboration de la loi ?
Il est nécessaire de souligner que la Constitution de la Vème République a tenu à établir une
délimitation du domaine d’intervention du législateur, dans la perspective d’une réduction du
champ d’intervention du Parlement (lequel était très vaste sous la IIIème et IVème
République). Cette restriction du domaine dans lequel le Parlement est en droit de légiférer
induisait déjà l’idée que le parlement ne ferait plus « toute la loi ».
On peut par ailleurs remarquer qu’il s’agit d’une obligation pour le parlement de demeurer
dans le champ d’activité qui lui a été imposée… Comme en témoigne l’article 41, « fin de non
recevoir », qui affirme la possibilité qu’une irrecevabilité soit opposée aux propositions et
amendements d’origine parlementaire dès lors qu’il serait admis qu’ils dépassent le domaine
de la loi.
Cette possibilité d’intervention manifeste la fin de l’exclusivité d’une fonction qui était
précédemment entièrement sous le joug du parlement.
Le recours à l’article 49-3 rend de plus possible l’adoption forcée et l’article 44 donne la
possibilité d’un vote bloqué. Sur demande du gouvernement, l’Assemblée saisie peut n’avoir
à se prononcer que par un seul vote et ce sur tout ou une partie du texte : elle ne peut y ajouter
aucun amendement. Il s’agit donc d’une logique relevant du « tout ou rien », exprimant une
certaine restriction.
Certaines prérogatives revenant au parlement ne le sont donc dans une certaine mesure qu’en
apparence. Si le parlement conserve formellement sa compétence budgétaire, celle-ci est
concrètement réduite à néant : les parlementaires ne peuvent baisser les impôts ou augmenter
les dépenses de l’Etat.
Il y aurait donc un fossé significatif entre les prérogatives affirmées et la question de la mise
en œuvre effective de ces prérogatives, vis-à-vis des moyens d’actions réservés au
gouvernement, tendant à assurer une influence réelle et certaine de celui-ci dans l’œuvre de la
loi. Faudrait-il alors admettre que le renforcement de l’activité gouvernementale, associé à un
encadrement souvent jugé excessif, tendrait à porter atteinte à la mise en œuvre réelle pour le
parlement de son pouvoir ?
On peut également souligner que le Conseil Constitutionnel joue un rôle important dans la
protection de l’exécutif, même si ce rôle tendra à s’inverser au long des années.
Les propositions de loi, quant à elles, textes d’origine parlementaire, voient leur nombre
limité : elles ne constitueraient plus que des « contre-ministères » pouvant « concurrencer » le
gouvernement… Le plus souvent, elles sont détournées de leur esprit, et il s’agit la plupart du
temps de mesures préparées par le gouvernement mais dont il préfère laisser la responsabilité
à un député ou sénateur… Cela induit une idée du certaine instrumentalisation du parlement.
2) La confusion des genres due au fait majoritaire : la rupture des cadres fixes et
délimités
Il semble alors nécessaire d’effectuer une analyse focalisant le cadre politique et donc
l’importance du fait majoritaire, qui semble davantage une perte partielle d’autonomie du
parlement au travers du conditionnement d’une « majorité parlementaire » soumis à la
« discipline de parti ». Le fait majoritaire, s’il se caractérise par l’existence d’une majorité
forte au sein de l’Assemblée, semble pouvoir être appréhendé comme un facteur
supplémentaire d’effacement partiel du poids parlementaire. Le parlement ne serait alors
qu’un « passage » : les projets de lois émanant du gouvernement, soutenus par la majorité du
parlement, marquent donc une certaine supériorité gouvernementale au niveau de l’initiative
législative ; ainsi qu’une subordination de la majorité parlementaire. Celle-ci n’a alors plus de
décisions à prendre mais simplement des « acceptations ». S’illustre alors un certain rapport
« d’adéquation » d’une majorité parlementaire à la politique du gouvernement…
L’effacement partiel du parlement ne serait ainsi pas seulement du à une faille
institutionnelle exclusivement imputable à la rationalisation du parlementarisme, mais plutôt à
un problème politique s’incarnant dans le fait majoritaire…
Mais serait-il réellement pertinent de dire que le parlement ne fait plus du tout la loi sous la
cinquième république ? Le gouvernement jouit de prérogatives lui affectant un contrôle et une
portée sur l’activité législative, mais faut-il pour autant accepter une redéfinition et ainsi
assimiler de façon absolue la loi à l’œuvre du gouvernement ?
Il semble toutefois que cette réforme constitutionnelle pouvait être appréhendée comme
défavorable au parlement, elle tendait en effet à une « restriction » certaine du temps des
députés. Sous couvert de « modernisation », elle semblait au contraire manifester un
prolongement du « parlementarisme rationalisé » et paraissait s’exprimer en filigrane la
volonté de faire en sorte que le parlement ne soit plus ce lieu où l’on délibère.
Pourtant, il paraît pertinent de souligner les non-dits d’un projet apparemment valorisant, et
pourtant lourd d’ambigüités. Cette réforme de la procédure parlementaire, malgré une volonté
affirmée de tendre à une fluidification de l’exercice législatif, revêtait bien plus un risque, au
sens où on pouvait légitimement présumer qu’elle tende à priver le législateur de son pouvoir
d’empêche. Ainsi, à la volonté de faire du passage en séance publique une exception, se
greffait également la volonté d’empêcher l’opposition de revêtir un rôle d’obstruction. Or,
l’acte de « faire la loi » se situerait aussi dans le fait de « discuter, débattre » la loi, d’où
l’importance de l’opposition…
L’opposition parlementaire demeure néanmoins un garde fou de la possibilité de critique du
parlement. A la réforme semblait aussi présider la volonté de « redonner au droit
d’amendement son objectif premier : l’amélioration des tests et non l’obstruction ». Il semble
ici falloir dire que la portée d’une « prétendue obstruction » a été mise en évidence à l’excès,
de manière à justifier l’introduction d’une possibilité pour les assemblées « de déterminer les
conditions dans lesquelles les amendements déposés par les membres du parlement peuvent
être mis aux vois sans discussion ». On pouvait peut-être craindre que la pratique du droit
d’amendement, normalement garantie par l’article 44, et maintenant renvoyée au règlement
interne des assemblées, tende à ce que la majorité décide du temps de l’opposition : une fois
ce temps épuisé, les amendements ne pourraient plus être défendus. Or, la protection de ce
droit d’amendement répond à une réelle exigence, si l’on admet qu’il s’agit d’un moyen
primordial pour les parlementaires de participer à l’initiative de loi.
Ce serait à partir du sens de l’expression « faire la loi » qu’il s’agirait d’avoir une approche
différente, en tant que celle-ci ne serait non plus focalisée sur l’origine de l’idée de la loi, et
sur les possibilités accrues pour le pouvoir gouvernemental de détourner le passage au sein de
la voie parlementaire. « Faire la loi » ne pourrait uniquement signifier en avoir l’initiative, et
si l’initiation est révélatrice d’un effacement manifeste du poids parlementaire, il demeure que
la compréhension de l’élaboration de la norme exige de s’intéresser à l’ensemble du système,
qui combine initiation, fabrication, discussion et enfin édition de la loi.
Il s’avérerait nécessaire de nuancer l’idée d’un parlement n’étant plus qu’une chambre
d’enregistrement ; il faudrait établir un glissement de perspective visant à considérer le
parlement comme un acteur mais néanmoins important dans un système global de production
de la norme. Ainsi, quand bien même le gouvernement manifesterait une certaine
prééminence au niveau de l’initiative de la loi, le parlement demeurerait le lieu de négociation
de la décision finale. Il serait donc encore au cœur du processus législatif…
On ne pourrait donc parler d’une « dépossession totale » de son pouvoir législatif, en tant
que le Parlement conserverait un rôle important, au moins en ce qui concerne l’édition de la
norme. La loi demeurait donc, dans une certaine mesure, « l’œuvre » du parlement : le
parlement ne serait pas tant celui qui détermine, mais plutôt celui qui délibère.
La loi est soumise aux traités internationaux, et ce de manière effective grâce aux contrôles
diffus exercés par les juridictions ordinaires. On remarquera que dans sa décision dite « IVG »
du 15 janvier 1975, le conseil constitutionnel a estimé que sa fonction n’était pas de contrôler
la conformité de la loi aux conventions internationales… Ce sont donc les juges ordinaires qui
vont devoir effectuer ce contrôle, à travers ce que l’on appelle donc le « contrôle diffus »…
Ils doivent faire prévaloir un traité sur des dispositions législatives contraires dans leurs
jugements, et ce après que la Cour de cassation ait adopté cette position dans l’arrêt Jacques
Vabre de mai 1975.
Le conseil d’état n’adopta cette position qu’en 1989, soit près de quinze ans plus tard, dans
son arrêt Nicolo…
Une loi inconventionnelle n’est pas formellement annulée, mais elle n’est plus réellement
appliquée, c'est-à-dire que le juge écartera la loi visée ou l’interprètera dans un sens
compatible avec le traité international examiné, et ce pour chaque cas d’espèce.
Le juge ne peut annuler une loi mais peut annuler les dispositions réglementaires contraires à
un traité international et pris sur le fondement d’une loi : l’autorité ne doit pas s’appuyer sur
une disposition législative inconventionnelle. Une loi ne peut faire écran entre une convention
internationale, et un règlement. La loi est donc encadrée sur un plan international, et soumise
à une règlementation stricte.
Les directives ont, en terme de droit communautaire, l’objectif d’une harmonisation des
législations des Etats membres, tout en leur laissant une certaine liberté vis-à-vis des buts
fixés. Elles précisent toutefois un certain délai de transposition, durant lequel les pays
choisissent quels outils normatifs ils vont employer pour transposer la volonté
communautaire.
En France, le conseil constitutionnel exprima dans une décision du 10 juin 2004 que « la
transposition en droit interne d’une directive communautaire résulte d’une exigence
constitutionnelle », ce qui signifie donc que la loi résulte fortement des volontés
communautaires, et qu’une disposition législative de transposition ne sera censurée que si elle
manifestement contraire à une disposition de la Constitution ou à « l’identité constitutionnelle
de la France »…
A travers cette exigence, le Parlement se voit confisqué une grande partie de sa fonction : la
mise en œuvre du droit ne serait qu’une retranscription d’un droit effectué au niveau
international, étant lui-même le produit de négociations entre pouvoirs exécutifs… On assiste
en outre à une loi de plus en plus conditionnée par le contenu du droit communautaire dérivé :
cela rejoint l’idée du Parlement « chambre d’enregistrement » pourtant réfutée, dans une
certaine mesure, précédemment.
Cela contribue d’une certaine façon au phénomène général de dévalorisation de la loi, loi
dont les « créateurs » ne cessent d’évoluer…