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Institut Supérieur d’Education et de Formation Continue

LA PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Cours présenté par

Dr. AMMAR Mohamed

Code du cours LED 132

Année universitaire : 2016-2017


AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Objectifs

- Mettre en évidence l’importance de la psychologie pour comprendre l’enfant

- Connaitre les stades du développement de l’enfant

- Identifier les besoins de l’enfant relatifs à chaque stade de développement

- Prise de conscience des divers aspects du développement de l’enfant

- Connaitre le développement des compétences

- Identifier les compétences mises en œuvre dans chaque stade de développement

- Identifier les compétences mises en œuvre dans chaque aspect de développement

- Comprendre les mécanismes d’apprentissage

- Connaitre l’évolution des mécanismes d’apprentissage chez l’enfant

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Plan

Chapitre I- Introduction à la psychologie de l’enfant

1- La notion de développement développement

1.1. Définition du développement

1.2. Les caractéristiques du développement

2. Les facteurs du développement

2.1. Les facteurs internes

2.2. Les facteurs externes ou environnementaux

3. L’enfance : une période de développement

3.1. La notion de stades

3.2. Les stades de l’enfance

4. L’étude de l’enfant

4.1. Aperçu historique de la psychologie de l’enfant

4.2. Les méthodes de recherche en psychologie de l’enfant

Chapitre II- Le développement de l’intelligence chez l’enfant

1. L’intelligence dans la théorie de Jean Piaget

2. Les stades du développement de l’intelligence

2.1. Le stade sensori-moteur

2.2. Le stade pré-opératoire

2.3. Le stade des opérations concrètes

2.4. Le stade des opération formelles

3. Critiques de la théorie de Piaget

3.1. La théorie socio-constructiviste de Vygotsky

3.2. La théorie des intelligences multiples de Howard Gardner

Chapitre III- Le développement du langage

1. Considérations générales sur langage

1.1. Pour une définition du langage

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1.2. Les composantes du langage

2. Les théories d’acquisition du langage

2.1. L’inné et l’acquis

2.2. Le langage et la pensée

3. Les stades du développement du langage

3.1. La phase pré-linguistique

3.2. La phase linguistique

Chapitre IV- Le développement affectif ; la théorie de l’attachement

1. Définition de l’attachement

2. Le développement de l’attachement

3. Les fonctions de l’attachement et la carence affective

4. Les modèles d’attachement

5. Les effets des crèches d’enfants sur le développement de la personnalité

Chapitre V- Le développement social chez l’enfant

1. Le développement social : le rôle de la famille

1.1. Définition de la famille

1.2. Les fonctions de la famille auprès des enfants

1.3. Les ressources familiales et la socialisation de l’enfant

1.4. Les modèles parentaux

2. Les relations avec les pairs

Chapitre VI- Le développement moral chez l’enfant

1. Les stades du développement moral dans la théorie de Jean Piaget

1.1. Le stade anomique


1.2. Le stade hétéronome

1.3. Le stade autonome

2. Les stades du développement moral dans la théorie de Kohlberg

2.1. Le niveau pré-conventionnel

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2.2. Le niveau conventionnel


2.3. Le niveau post-conventionnel
Chapitre VII- Le développement du jeu

1. Les caractéristiques du jeu

2. Les types de jeu

3. Les fonctions du jeu

4. Les stades du développement du jeu

5. Jeu et éducation

Chapitre VIII- Le développement du dessin chez l’enfant

1. Définition du dessin

2. Les propriétés du dessin enfantin approches

3. Les stades du développement du dessin

Chapitre IX- Le développement des compétences scolaires

1. Le développement de la compétence en lecture

2. Le développement de la compétence d’écriture

3. Le développement de la compétence d’écriture.

NB. Chaque chapitre sera joint d’une liste de références bibliographiques

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Chapitre I-

INTRODUCTION A LA PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

La psychologie de l'enfant est une discipline de la psychologie qui a pour objet d'étude
des comportements et les processus mentaux de l’enfant humain, son développement
psychologique et ses et ses problèmes éventuels.

Elle est une partie intégrée dans une discipline plus large qui est la psychologie de
développement. Celle-ci a pour objet l'étude du développement psychologique de l’individu
durant toute sa vie, depuis sa conception jusqu’à sa mort.

La psychologie de l’enfant se consacrera donc à l’étude du développent de l’individu


pendant une période déterminée de sa vie, qui est l’enfance. Alors pourquoi cet intérêt
particulier pour l’enfance ?

Cet intérêt tient à l’intensité des processus du développement que connait cette période
de la vie, et ce à tous les niveaux : biologique, moteur, cognitif, émotionnel, social, langagier,
etc. Faut-il savoir alors c’est quoi le développement et quels sont ses caractéristiques et ses
règles.

1- LA NOTION DE DEVELOPPEMENT

1.1. Définition du développement

Le développement est un processus qui intègre à la fois la maturation et la croissance.


Toutefois, ces trois notions sont distincts.

Le développement est l'ensemble des changements qui affectent les organismes


vivants au cours du temps, sous l`effet de l`expérience et de la maturation à la fois. Ces
changements sont successifs et se produisent dans un ordre déterminé. Ils conduisent
l’organisme à la maturité. Le terme changement désigne le processus de passage d`un état à
un autre.

La maturation est l’ensemble des changements physiques déterminés par les


informations contenues dans le code génétique et communs à tous les membres d’une même
espèce. Les chercheurs en sciences humaines utilisent le terme maturation pour designer le
développement organique ou biologique.

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Le pionnier de la psychologie de l’enfant, l’américain Arnold Gesell (1880- 1961),


définit la maturation comme un processus séquentiel de changements programmés
génétiquement. Les expériences faites sur l’animal (les études sur le picorement chez les
poussins) et ensuite sur le jeune enfant attribuaient à la maturation un rôle déterminant, dès
lors qu’entre deux groupes de sujets pris au même moment de leur évolution, l’un entrainé à
une activité, l’autre privé de cet entraînement, les performances ou les comportements ne
différaient pas sensiblement. Les émergences fonctionnelles qu’on n’a pu expliquer par des
influences du milieu, ou l’expérience, dépendent bien de la maturation : par exemple, la
marche, qui apparaît normalement chez tous les enfants à peu près au même âge, quelles que
soit les conditions de vie et d’activité. A partir de tels exemple, la maturation a été opposée à
l’apprentissage.

La croissance définit un changement quantitatif graduel, par exemple en taille.


Lorsque l`on parle de croissance, on fait référence l`enrichissement du vocabulaire ou aux
transformations de son corps. Or, ces changements ne sont pas nécessairement attribuables à
des facteurs organiques l`environnement peut y jouer un rôle. Autrement dit, la croissance fait
référence à une description des changements, alors que la maturation constitue une explication
de ces changements.

Pour conclure, nous pouvons redéfinir la psychologie de l’enfant comme suit : c’est
l`étude scientifique des changements psychologiques progressifs qui surviennent pendant
l’enfance êtres humains.

1.2. LES CARACTERISTIQUES DU DEVELOPPEMENT

1.2.1. Les catégories de changement au cours de la vie


Les psychologues qui étudient le développement ont identifie trois catégories
fondamentales de changements survenant avec l`âge ; (1) les changements liés au
vieillissement, communs a tous les individus, 2) les changements propres a un groupe
d`individus qui grandissent ensemble et 3) les changements particuliers résultant de
l`expérience unique a chaque individu.
1.2.1.1. Les changements liés au vieillissement biologique
Le facteur le plus déterminant dans les changements liés à l`âge est un processus
biologique commun a tous les êtres humains. Le bébé qui commence à marcher, l`adolescent
qui voit sa barbe pousser, la personne âgée dont la peau se ride progressivement sont des

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exemples d`un processus de développement inscrit dans le code génétique. On utilise le plus
souvent le terme maturation pour décrire ce genre de changements. Les changements qui
interviennent au cours du temps sont règles génétiquement de manière bien déterminée,
comme s`il s`agit d`une horloge biologique.
1.2.1.2. Les changements liés au groupe social
En plus de l`horloge biologique, il existe une horloge sociale qui façonne la vie des
individus a cause de leur expérience commune. L`horloge sociale définit une suite
d`expériences culturelles commune, survenant généralement au même âge. Elle contribue par
conséquent à la création de modèles communs de développement. Ainsi, partout dans le
monde, les enfants commencent débutent l`école entre 5 et 7 ans.
La sociologue Mathilda White Ritley (1991) remarque que presque toutes les sociétés
sont organises autour de tranches d`age, soit des périodes de cycle de vie ou l`on trouve des
tâches, des attentes et des normes sociales communes.
1.2.1.3. Les changements particuliers
A un niveau plus personnel, il existe des changements résultant de l`expérience unique
de chaque individu. Par exemple, les rencontres fortuites avec un personnage marquant (un
professeur remarquable ou un agresseur, par exemple) peuvent bouleverser l’avenir d’un
individu.
1.2.2. Les règles de développement
Le développement de l`être humain n`est pas un processus aléatoire mais il dépend
d`un ensemble de règles fondamentaux que partage toute l`espèce humaine. Parmi ces règles
on cite :
- Le développement est un processus continu : Le développement est un processus
continu car le développement commence des le moment de la fécondation dans l`utérus et se
termine avec la mort de l`individu. C`est un processus qui ne s`arrête pas durant toute la vie
de l`individu.

- Le développement est un processus qui mène à la maturité : Il permet d`acquérir de


nouvelles expériences et d`apprendre des habiletés de plus en plus complexe. Il permet aussi
l`apparition de nouvelles caractéristiques physiques et de transformations dans l`allure
générale de l`individu. Il permet enfin l`acquisition de nouvelles capacités motrices et
mentales.

- Le développement implique la disparition de certaines caractéristiques physiques


comme par exemple les cheveux du nouveau-né ou les dents du lait, de certaines

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caractéristiques mentales et émotionnelles comme par exemple les pleurs exagérés, ou la peur
des personnes étrangères.

- Le développement est un processus intégral : Tous les aspects du développement


sont lies les uns aux autres de manière très étroite et dans une complémentarité harmonieuse.
L`être humain n`est pas un être morcelé, mais il constitue une entité qui dans une même
activité met en œuvre tous les aspects comportementaux a la fois (motricité, affectivité,
relations sociales, cognition). S`il arrive qu`un un trouble ou handicap touche un de ces
aspects, son influence touchera tous les autres aspects. Par exemple un retard mental se
répercute sur le développement moteur par une acquisition tardive de la marche et de la
motricité fine, sur le développement affectif et social.

- Le développement se réalise selon des étapes successives : Les chercheurs


considèrent que le développement se divise en des étapes successives qui s’enchaînent selon
une chronologie bien déterminée. Toutefois, cette division en stades ou étapes de
développement reste virtuelle et hypothétique car le développement est en réalité un processus
continu. Chaque étape se distingue par l`existence d`un ensemble de caractéristiques
dominantes. La notion de succession implique que chaque comportement est préparé par les
précédentes. Les acquis de chacune des phases du développement ne disparaissent pas lors de
l’accès à une nouvelle phase, mais sont intégrés à cette nouvelle organisation fonctionnelle
par le processus d’extension cumulative.

- Le développement progresse du général au particulier ou le principe de


différenciation : Pour chaque aspect de développement, les réactions de l`enfant sont d`abord
sur un mode général pour devenir ensuite particulières. Ainsi, une stimulation localisée donne
lieu d`abord a des réactions physiques globales, mettant en jeu le corps entier, ensuite a une
réponse de la partie du corps stimulée. Ainsi chez le nouveau-né, une stimulation visuelle
entraînera des modifications du rythme cardiaque, du rythme respiratoire, de la posture et de
la motricité globale. Chez le bébé plus âgé, la même stimulation visuelle n’induira plus
qu’une réaction spécifique localisée au niveau des réponses visuelles.

- Le développement est hétérochrone : Bien que la séquence du développement soit


identique pour tous les enfants, il existe d’importantes différences interindividuelles quant à
l’accession à chacune des phases de développement. Ainsi, il existe des différences, chez des
enfants ayant le même âge chronologique, dans la moyenne de leur développement général et
dans l`age d`apparition de chaque fonction. Par exemple, la station verticale et la marche

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autonomes ne sont pas possibles tant que le bébé n’est pas capable de contrôler la station
assise. Cependant l’âge auquel les bébés apprennent à s’asseoir ou à se tenir debout varie
considérablement d’un enfant à un autre. Il existe des hétérochrones de développement.

- Le développement est prévisible : Si on considère que les étapes de développement


sont successives et suivent un ordre fixe, il s`ensuit qu`on peut prédire le cours ou la direction
du développement, puisque chaque étape est influencé par l`étape précédente et influence
l`étape suivante.

- La chronologie du développement est inégale : Les différents aspects du


développement progressent à une vitesse variable, puisqu`il existe des moments de
développement rapides et d`autres plus lents. On considère que la petite enfance est la phase
de développement la plus rapide. Le développement ensuite subit un ralentissement. Il
redevient rapide à la puberté.

- L`existence de périodes critiques au cours du développement : Une période critique


est une période dans le développement durant laquelle l’organisme est particulièrement
sensible à certains stimuli ou expériences. Les mêmes stimuli n’ont guère d’effets à d’autres
périodes de développement. Par exemple, pour les canetons, la quinzaine qui suit l’éclosion
est cruciale pour le développement de l’attachement et du comportement de l’attachement et
du comportement d’escorte. Ils suivront n’importe quel canard ou n’importe quel objet mobile
autour d’eux à ce moment critique. Si rien ne se déplace n’émet le cri du canard, les canetons
n’auront aucune réaction d’attachement ni d’escorte. Chez l’enfant, la période de 6 à 12 mois
constitue une période critique pour la formation d’un lien d’attachement envers les parents.

La notion de période critique est utilisé pour designer la période durant laquelle
l`individu est disposé a acquérir une fonction organique ou comportementale ou une habileté
particulière. Au cours du développement, il existe des périodes déterminantes et sensibles
pour acquérir certaines fonctions. Par exemple, l`enfant apprend à parler généralement a la fin
de la première année. Il lui est difficile d`apprendre de parler avant cet age. De même si
l`enfant n`a pas appris à parler jusqu`à l`âge de 4 ou 5 ans, sera considéré comme personne
déficiente et nécessite une intervention clinique.

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2. LES FACTEURS DU DEVELOPPEMENT

Le processus de développement est influencé par des facteurs internes et externes. Les
facteurs internes sont ceux dont l’origine est intrinsèque à l’individu lui-même, c.-à-d. les
facteurs qu’il porte en lui-même dans son organisme à travers l’hérédité. Les facteurs externes
désignent l’ensemble des stimulations qui entourent l’individu et qui se trouvent dans son
environnement et avec lesquels il interagit. En réalité, il est impossible de distinguer les
facteurs héréditaires organiques des facteurs environnementaux parce qu’ils se recouvrent
mutuellement et leur influence est réciproque.

2.1. LES FACTEURS INTERNES

Ils sont d’ordre héréditaire et organique

2.1.1. Les facteurs d’ordre héréditaire

Les facteurs héréditaires se transmettent à l’enfant avant sa naissance par les parents à
travers les chromosomes. L’être humain possède 23 paires de chromosomes, c.-à-d. 46
chromosomes. Les facteurs héréditaires déterminent :

 les caractéristiques structurales et constitutionnelles de l’être humain de manière à ce


qu’il partage avec les individus de son genre un certain nombre de traits, par exemple,
tous les êtres humains possèdent une tête, deux yeux, une bouche, deux jambes, deux
bras, etc. et possèdent des dispositions pour apprendre à marcher et à parler.
 les différences entre les individus (différences interindividuelles), par exemple, dans
une même famille, il y a des différences entre les frères au niveau de la taille, de
l’intelligence, du caractère, etc. bien qu’ils reçoivent la même éducation, la même
nutrition, les mêmes soins sanitaires, etc.
 le sexe du nouveau-né, masculin ou féminin, s’il est mâle, il est porteur du
chromosome xy, s’il est de sexe féminin il est porteur du chromosome xx ;
 des ressemblances dans les caractéristiques physiques car ils partagent certains gênes
communs tels que la couleur des yeux, de la peau et des cheveux, la taille, etc.
 des ressemblances dans les caractéristiques mentales et plusieurs traits de personnalité
et certains chercheurs ont considéré que 60% de l’intelligence est héréditaire ; par
exemple, dans une recherche, on a comparé le quotient intellectuel de deux couples de
jumeaux, chaque couple étant élevé par la même famille. Les résultats montrent que le
uple de vrais jumeaux (homozygote) obtient le même quotient intellectuel : ils
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partagent le même patrimoine génétique. En revanche, le couple de faux jumeaux


(hétérozygote) obtient un quotient intellectuel différent : l’écart est dû à l’hérédité ;
 l’atteinte par certaines maladies connues sous le nom de maladies héréditaires et qui
sont généralement graves tels que la diabète, l’épilepsie, le cancer, l’asthme. Outre les
maladies organiques, l’hérédité est responsable de certaines troubles mentaux tels que
le retard mental dans le mongolisme. L’hérédité intervient également dans l’atteinte
par des troubles psychiques tels que la schizophrénie et les troubles du comportement.

2.1.2. Les facteurs organiques :

L’influence de l’hérédité ne s’effectue pas de manière directe mais à travers des


composantes organiques qui déterminent les dispositions de l’individu et ses capacités
d’interaction avec l’environnement. Mais contrairement aux facteurs héréditaires qui sont
innés c.-à-d. transmis par les parents avant la naissance, les facteurs organiques peuvent être
acquis après la naissance comme par exemple dans le cas des handicaps dus à des accidents.
Parmi les composantes organiques les plus importantes :

 les organes sensoriels récepteurs des stimulations externes et internes ;

 le système nerveux qui est le lieu de jonction entre les stimulations sensorielles et les
réponses motrices ou mentales ;

 le système glandulaire qui est composé de deux types de glandes, endocrines et


exocrines. Les glandes endocrines sont celles qui déversent leurs sécrétions
directement dans le sang et on appelle ses sécrétions des hormones telles que la
thyroïde, l’hypothalamus, les surrénales. Les glandes exocrines sont celles qui
déversent leurs sécrétions à l’extérieur de l’organisme par l’intermédiaire d’un canal
excréteur telles que les glandes laminaire, salivaire et sudoripare.

2.2. LES FACTEURS EXTERNES OU ENVIRONNEMENTAUX

L’environnement est le milieu dans lequel se produit le processus de développement.


Le milieu désigne l’ensemble des éléments (personnes ou objets) qui se trouvent dans
l’entourage de l’individu et sur lesquels il agit mais aussi réagit au cours de son
développement. Les facteurs environnementaux influencent l’individu avant sa naissance et
également après sa naissance.

2.1. L’environnement prénatal

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Il s’agit de toutes les stimulations qui parviennent au fœtus vivant dans l’utérus de sa
mère. Parmi les facteurs qui influencent le milieu utérin :

 les maladies de la mère telles que l’hypertension, le diabète et le SIDA ;


 l’intoxication organique par l'absorption de certains aliments ou l'inhalation de gaz
toxiques ;
 la prise de médicaments ou substances prohibés pendant la grossesse ;
 le tabagisme ou l’alcoolisme de la mère pendant la grossesse ;
 les chocs physiques accidentels ou émotionnels violents

2.2. L'environnement post-natal :

Il s’agit de l’environnement dans lequel s’effectue la socialisation de l’enfant. On


considère souvent que le premier agent de socialisation est le milieu familial, vient ensuite le
milieu scolaire et enfin le milieu extérieur au sens le plus large constitué par les compagnons
de jeu et les camarades de classe.

La famille, au-delà de la filiation biologique, exerce une influence déterminante sur le


développement psychologique en tant qu’elle est le lieu où s’établissent les premiers
attachements affectifs et les premiers modèles relationnels et où se déroulent les expériences
affectives qui conditionnent l’image que l’enfant a de lui-même et du monde qui l’entoure.
Les pratiques éducatives des parents, la façon dont ces derniers assument leur rôle en tant que
premiers agents de socialisation, ont des répercussions sur la personnalité de l’enfant. La
famille détermine sa culture et ses valeurs morales et spirituelles. Parmi les facteurs familiaux
qui influencent le développement de l'enfant :

2.2.1. Le niveau socioculturel de la famille :

Le concept de niveau socioculturel désigne le niveau scolaire des parents ainsi que
leur revenu financier. Ces facteurs ont un impact sur les pratiques éducatives des parents vis-
à-vis de leurs enfants à travers :

 les soins apportés ;


 la qualité de la nutrition ;
 le niveau des discussions et des idées échangées avec les membres de l’entourage ;
 les outils éducatifs qu’ils possèdent (matériel informatique, livres, magazines et
revues, etc.) ;

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 les activités culturelles (voyages, excursions, clubs de musique, de peinture, etc.) ;


 la qualité de la scolarité (écoles privées, cours particuliers, études à l’étranger)

Ainsi, les enfants issus de familles à niveau socioculturel élevé ont plus de chances
pour se procurer de meilleures conditions de vie tant sur le plan matériel qu’intellectuel et de
bénéficier de pratiques éducatives qui permettent de développer leur personnalité et de
stimuler leur intelligence grâce à la diversité des expériences qu’ils vivent. En revanche, les
enfants issus de familles à niveau socioculturel bas ou modeste ont peu de chances
d’épanouissement personnel et de réussite à l’école car leurs conditions de vie sont très
défavorables et se trouvent confrontés dès leur jeune âge à des problèmes matériels
contraignants pour leur développement. De même, les stimulations intellectuelles qui
permettent d’enrichir leurs connaissances et d’élever leur niveau d’intelligence sont très
limitées.

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3. L’ENFANCE : UNE PERIODE DU DEVELOPPEMENT

Pour étudier le développement, les chercheurs ont adopté classiquement axé sur les
stades. Des perspectives telle que celle proposée par Piaget ou par Freud font appel à des
modèles faisant intervenir la notion de stade, qui traduit une vision séquentielle du
développement, tout en insistant sur les différences qualitatives qui existent entre les
différentes étapes à franchir. Mais plus récemment, la perspective psychologique de
traitement de l’information adopte des modèles de développement continu (life span). Selon
cette perspective, la personne est envisagée comme une entité de plus en plus capable, au fur
et à mesure de sa croissance, de développer des possibilités d’action, ou de contrôler ses
activités de traitement de l’information. Ainsi, l’enfant connaît et utilise de multiples
stratégies de pensée, doit choisir parmi-elles, et découvre souvent de nouvelles manières
d’aborder un problèmes. Le développement ressemblerait à une série de vagues qui se
chevauchent, chacune correspond à un mode de pensée ou à une stratégie différente.

Toutefois, nous nous appuierons dans notre exposé sur les modèles classiques de
développement car, jusqu’à nos jours, elles restent les plus courants. Dans ce cadre nous
considèrerons que la psychologie de l'enfant étudie le développement des conduites durant la
période l'enfance. Bien que le développement de l’individu soit continue (life span), on a
souvent tendance à le diviser en stades ou périodes virtuelles afin de faciliter son étude.

3.1. LA NOTION DE STADES

Un stade est une étape dans le découpage de la chronologie du développement. La


notion de stade est fondée sur l’existence de discontinuités, des changements de rythme ou de
changements qualitatifs observés dans l’évolution somatique, physiologique ou
comportementale de l’être humain.

Le développement se compose des changements quantitatifs par ajout d’éléments


comme par exemple dans l’apprentissage d’une nouvelle langue, de nouveaux mots s’ajoutent
progressivement à ceux déjà appris. Mais les changements quantitatifs induisent des
changements qualitatifs. L'ajout d'éléments fait en sorte que le développement met en jeu une
réorganisation d'anciennes habiletés ou l'apparition de nouvelles stratégies (changement
qualitatif). Ainsi, l'accumulation d'unités qui s'ajoutent les une aux autres sans modifier la
structure initiale fait référence à une séquence ou une pente continue. Par contre, si la
structure change, alors on parle de stade. Le développement ressemblerait à la montée de

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marches d’escalier. Les enfants penseraient d’une certaine manière pendant un certain temps,
puis se mettraient progressivement à penser différemment, de façon plus élevée pendant la
période suivante. Par exemple, un enfant de 2 ans ne possède pas de véritables amis parmi ses
compagnons de jeu, mais à 8 ans il possède sans doute plusieurs. On peut interpréter cette
observation comme un changement dans le nombre d’amis, soit de zéro à plusieurs
(changement quantitatif), ou comme un changement de type des relations sociales
(changement qualitatif).

Plusieurs psychologues ont proposé des systèmes de stades dont les uns sont généraux
et valable pour tout le développement. D’autres ont proposé des modèles de stades qui ne
s’appliquent qu’à un domaine plus ou moins vaste : dessin, jeu, personnalité, intelligence, etc.

C’est dans le cadre d’un système de stades généraux qu’on considère communément
que l’enfance constitue la période initiale du développement humain, suivie par la période de
l’âge adulte et enfin la vieillesse. Toutefois, ce découpage ne peut aucunement se faire de
façon stricte, uniforme et chronologiquement rigoureuse. Chaque individu a son rythme
propre, qu’accélèrent ou ralentissent ses conditions d’existence ; ainsi s’explique sans doute
que chacun délimite de manière particulière la durée et les limites relatives de ces phases.

Alors quels sont les critères qui définissent la période de l’enfance, objet de notre
étude.

3.2. LES STADES DE L’ENFANCE

La durée de cette période ne peut être définie que relativement selon les sociétés, les
cultures, etc. Le terme d'enfance n'est pas spécifique et peut impliquer un intervalle
variable d'années dans le développement humain. Dans le sens commun, on considère que
l'enfance commence dès la naissance. Dans les systèmes juridiques de nombreux pays, il y
a un âge de majorité qui commence officiellement lorsque se termine l'enfance et la
personne devient légalement un adulte. L'âge varie de 15 à 21 ans 1, mais 18 ans est le plus
fréquent2. Actuellement, on considère généralement que l’enfance s'étend de la naissance
(dit moment 0) à 18ans environ. L’adolescence serait donc incluse dans la période de
l’enfance. Toutefois, pour des raisons pédagogiques relatives à ce cours visant la

1 Par exemple, la Société Américaine de Pédiatrie considère que l’enfance se termine à 21 ans.
2 La Convention Internationale des Droits de l’Enfant, déclare que l’enfance s’étend de 0 à 18 ans.

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simplification, nous insisterons sur l’enfance, mais sans exclure complètement


l’adolescence.

Il existe deux critères qui permettent de définir la notion de l’enfance :

 Le critère social : La notion de l’enfance est apparue avec la généralisation de


l’enseignement entre le 18ème et le 19ème siècle en Occident. Tout enfant doit aller à
l’école et doit être éduqué afin de s‘intégrer à la culture et à la société dans laquelle il
vit.

 Le critère biologique : L’enfant est un être biologiquement immature. C’est un être en


développement.

En effet, il existe plusieurs modèles de développement selon la perspective théorique


de chaque chercheur. Le nombre des stades de développement et la durée de chaque stade
sont relatifs et diffèrent d’un modèle à un autre et d’un chercheur à un autre. Mais pour la
clarté de la présentation on peut considérera que l’enfance est la période qui s’étend de 0 à 11-
12 ans. Cette période peut être répartie selon le modèle suivant :

3.2.1. La première enfance (early childhood) de 0 à 3 ans ;

3.2.1.1. La période néonatale (infant) de 0 à 15 mois comprenant : l’âge du nouveau-né (de 0


à trois semaines) et l’âge du nourrisson (jusqu’à douze ou quinze mois, moment où l’enfant
atteint la maîtrise de la marche.
A la naissance, le bébé a une tête surdimensionnée par rapport à l'enfant ou à l'adulte,
et des possibilités motrices très limitées : les membres sont fléchis, la tête souvent ballante ; il
a besoin d'être soutenu pour maintenir l'axe de son corps, son visage est traversé de
crispations, et ses membres s'agitent de manière incoordonnée. Ceci correspond à un état
d'impulsivité motrice décrit par Wallon.

L’étude du développement moteur montre que le nouveau-né est asymétrique et en


flexion ; progressivement, aux alentours de trois ou quatre mois, le nourrisson devient
symétrique, et la prédominance de la flexion s’atténue en même temps que diminue
l’hypertonie. A cet âge, l'activité motrice est surtout caractérisée par des réflexes3 archaïques,
qui vont progressivement disparaître dans les premières semaines ou les premiers mois ou
s'intégrer dans des comportements plus complexes, mais dont la présence à la naissance est le

3 Réflexes : comportements élémentaires, automatiques, en réponse à une stimulation sensorielle particulière

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signe d'un équipement neurologique normal. Certains de ces réflexes sont particulièrement
intéressants pour le psychologue, du point de vue de l'évolution comportementale :

 le réflexe de Moro s'observe lorsque la tête et le corps du bébé sont brusquement


privés de support : celui-ci étend les bras en croix et les ramène dans un
mouvement d'embrassement ;
 le réflexe de succion : le nouveau-né suce tout objet qui touche ces lèvres. Ce
réflexe est joue un rôle centrale pour sa survie car il lui permet de se nourrir et,
donc de survivre, en suçant le sein de sa mère ou le biberon ;
 le réflexe de fouissement consiste, pour le bébé, à tourner la tête dans la direction
de tout objet qui effleure sa joue ; ce réflexe a un intérêt évident pour la
localisation du sein ou du biberon ;
 le réflexe d'agrippement est provoqué par la stimulation de la face interne des
doigts du bébé : il fléchit les doigts et serre fortement l'objet qui l'a effleuré ; ce
réflexe sera à la base du comportement de préhension ;
 le réflexe de marche automatique : le nouveau-né marche lorsqu'on le tient debout,
le pied touchant le sol et les genoux fléchis ou lorsque son pied touche le bord
d'une table ; ce réflexe disparaît vers 2 mois, c'est-à-dire bien avant l'apparition de
la marche proprement dite, activité coordonnée, précise et volontaire. Certains
auteurs pensent qu'il faut plutôt parler d'atrophie du réflexe par défaut d'exercice
que de disparition.

D'une manière générale, les automatismes du bébé, présents dans les premières
semaines de la vie, correspondent à un fonctionnement cérébral de type sous-cortical. Ils
disparaissent vers trois mois, avant de réapparaître plus tard, sous la forme de
comportements volontaires liés à un fonctionnement cortical contrôlé. En ce sens, les
acquisitions de l'enfant ne sont pas une accumulation ou une simple augmentation de ses
capacités, mais résultent d'une réorganisation de l'état antérieur pour intégrer des éléments
nouveaux.

3.2.1.2. Le stade de déambulation (de 15 mois à 3 ans) « toddler stage » disent les auteurs
anglophones (to toddle, trottiner), mettant ainsi l’accent sur l’importance des activités
d’exploration et du langage chez l’enfant.
3.2.2. La deuxième enfance (middle childhood) de 3 à 6 ans (ou la période
préscolaire)

18
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

A un an, l’enfant est capable de se tenir debout, d’abord avec appui, puis sans appui,
en élargissant son polygone de sustentation, jambes écartées. A l’hypertonie des premiers
mois a succédé une hypotonie telle que l’on peut faire prendre aux différents segments du
corps des positions véritablement acrobatiques : témoin la souplesse avec laquelle l’enfant de
cet âge suce son pied.

3.2.3 La troisième enfance ou la période scolaire (prepubescence) de 6 à 11 ans

Sur le plan biologique, le développement de l'enfant continue avec un rythme ralenti.


Sur le plan social, cette période est caractérisée par l'entrée de l'enfant à l'école primaire :
c'est l'âge de la scolarité. L’école prend ici une place essentielle où se passe la plus grande
partie de la vie de l’enfant. La réussite ou l’échec scolaire sont généralement au premier rang
des préoccupations parentales à son égard, ce qui donne à la scolarité une dimension affective
évidente. Les contacts sociaux se multiplient et se diversifient. L'enfant va nouer d'autres
relations, que celles qu'il a connues pendant la période précédente et qui étaient constituées
essentiellement par l'entourage familial. Il aura des contacts plus ou moins étroits avec les
enfants de son voisinage, ses camarades de classes, ses enseignants. Ces contacts seront
déterminants dans la construction mentale, affective et sociale de sa personnalité.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

4- L’ETUDE DE L’ENFANT

4.1. APERÇU HISTORIQUE SUR LA PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Jusqu’au 18ème siècle, la psychologie de l’enfant n’existe pas, et les écrits sur l’enfance
sont principalement pédagogiques. Les écrivains et les philosophes d’autrefois étaient plutôt
préoccupés de l’homme adulte et beaucoup moins de l’enfant en qu’ils ne voyaient qu’un
adulte en miniature. Les auteurs de l’Antiquité et du Moyen-Age se sont intéressés
énormément à l’éducation en publiant plusieurs traités d’éducation et des recommandations
pédagogiques. Cependant, les auteurs classiques n’éprouvaient nullement le besoin d’appuyer
leurs prescriptions pédagogiques sur l’étude psychologique.

C’est le philosophe français Jean Jacques Rousseau qui est le premier à reconnaître
l’importance de la psychologie dans l’éducation avec la publication de son célèbre ouvrage
« Emile » en 1762. Il déclare aux pédagogues dans la préface d’Emile : « commencez donc
par bien étudier vos élèves, car, très assurément, vous ne les connaissez point ». Auteur de la
phrase célèbre : « le petit de l’homme n’est pas simplement un petit homme », il prend
conscience d’une réalité psychologique propre à l’enfant. Le petit de l’homme n’est pas
simplement un petit homme affirme Rousseau. L’enfance est une vie, elle a ses réalités et ses
valeurs propres différentes de celles du monde adulte. ». A chacune des étapes fixées par la
nature doit correspondre une éducation particulière. Mais malgré ces déclarations de principe,
l’histoire de la psychologie n’identifie pas de réel psychologue de l’enfant qui propose une
réelle description précise et systématique de ses capacités avant le milieu du 19ème siècle.

C’est dans la seconde moitié du 19ème siècle que se répand la pratique de tenir une
biographie ou un journal détaillé des progrès de l’enfant. Les psychologues influences par la
théorie évolutionniste de Darwin commencent à chercher une description évolutive du
développement psychologique. A la même époque Stanley Hall fonde aux Etats-Unis la
« National Association for the study of children » (1893), qui a permis par leur publications la
création de périodiques et d’associations spécialisées dans la psychologie de l’enfant. Stanley
Hall est considéré également comme fondateur de la psychologie de l »adolescence. Dans son
livre (Adolecence, its psychology, NewYork, 1903) il décrit l’adolescence comme une
seconde naissance (new birth) et comme une période marquée par un profond changement de
la personnalité qui la distingue de l’enfance et de l’âge adulte. Le même courant se retrouve
dans plusieurs pays, en Grande Bretagne avec Sully (1895), en Allemagne (1899) et en France
avec Binet (1900). A Vienne, le psychanalyste Sigmund Freud (1856-1939) a établit, par

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

l’analyse clinique des personnes névrosés, le rôle déterminant de l’enfance dans la formation
de la personnalité. Le début du 20ème siècle établit la psychologie de l’enfant comme science.

Dans les décennies qui suivent la première guerre mondiale, la psychologie de


l’enfant gagne énormément en diversité et en complexité. A cette époque, Freud a crée et a
développé la psychanalyse, Pavlov (1932) a entrepris l’étude des réflexes, Watson (1913) a
publié le « manifeste béhavioriste », Gesell (1956) à l’université de Yale a conceptualisé le
développement humain comme réglé essentiellement par des mécanismes de nature
biologique, Piaget (1896-1985) a fondé la théorie constructiviste du développement cognitif et
l’épistémologie génétique.

4.2. L LES METHODES DE RECHERCHE EN PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

La psychologie de développement utilise plusieurs méthodes de recherches semblables


à celles employées dans d’autres champs et de psychologie. Mais souvent les jeunes enfants
ne peuvent pas être testés de la même manière que les adultes. Pour cette raison, on utilise des
méthodes différentes pour étudier leur développement.

Afin d’étudier les changements qui surviennent chez les individus au cours du temps, les
psychologues du développement font appel à des méthodes variées :

4.2.1. La méthode longitudinale

Elle est appelée aussi diachronique, c.-à-d. à travers le temps. Le chercheur observe
plusieurs individus nés en même temps (la cohorte) et mène des nouvelles observations avec
l’évolution de l’âge des membres de la cohorte. Elle est la première à être utilisée dans
l’histoire pour étudier le développement. L’objectif initial des chercheurs était de décrire
l’évolution de l’enfant pas à pas, notamment grâce à des biographies. Cette méthode consiste
en un examen répété d’un seul individu ou d’un groupe d’individus à des âges successifs. Le
développement est suivi à travers l’examen des personnes à des moments différents. La durée
de l’étude peut varier de quelques semaines à plusieurs années. Cette méthode peut être
utilisée afin d’arriver à des conclusions concernant le type de développement universel, c.-à-d.
celui qui est partagé par la majorité des membres de la cohorte. Les chercheurs observent
aussi la manière dont le développement varie entre les individus et font des hypothèses
concernant les causes des variations observées. L’avantage d’une recherche longitudinale est
sa très grande précision scientifique dans l’étude de l’évolution du comportement d’un

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

individu, tout en préservant sa singularité. Toutefois cette méthode présente plusieurs


inconvénients :

- Elle n’est pas économique car elle nécessite un investissement très élevé en temps et
en ressources : le chercheur peut rester plusieurs années sur une seule recherche dans
l’attente de résultats concluants.
- Le phénomène de mortalité expérimentale : la durée de l’étude longitudinale conduit
souvent à perdre un certain nombre de participants et la chance de retrouver les
individus de départ se restreint à cause par exemple de déménagement, des maladies
de la situation familiale de l’enfant etc.

4.2.2. La méthode transversale

Elle s’appelle aussi synchronique, c.-à-d. à un moment précis du temps. Le chercheur


observe les différences entre des individus d’âge différents en même temps. Ainsi plusieurs
groupes d’individus d’âge successif sont sélectionnés et sont examinés une seule fois, au
même moment. L’évolution du comportement est évaluée à partir de la comparaison des
performances obtenues par chaque groupe d’individus. L’avantage de l’approche transversale
est qu’elle requiert généralement moins de temps et moins de ressources que la méthode
longitudinale. Toutefois la méthode transversale est moins précise et moins efficace pour
étudier les différences entre les individus, car ces différences peuvent résulter non des
différences d’âge mais de leur exposition à des événements historiques différentes.

4.2.3- La méthode longitudino-transversale.

Elle est appelée aussi la méthode transversale séquentielle. Elle combine les deux
méthodes précédentes. Elle consiste à réaliser plusieurs examens dans le temps (l’aspect
longitudinal) sur plusieurs groupes d’individus. Ici le chercheur observe les membres de
différentes cohortes d’âge en même temps, et suit ensuite tous les participants à travers le
temps, en traçant la courbe des changements à travers le temps. A travers la comparaison des
différences et des similarités dans le développement, le chercheur peut aisément déterminer
quels sont les changements qu’on peut attribuer à l’environnement individuel ou historique, et
s’ils sont vraiment universaux. Toutefois ce type de recherche nécessite encore plus de temps
et de ressources que l’étude longitudinale.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Pour aller plus loin...

Bee, H. (1997). Psychologie de développement : les âges de la vie. Paris, Bruxelles : De


Boeck Université.

Cloutier, R., Gosselin, P. & Tap, P. (2005). Psychologie de l’enfant. 2ème édition. Montréal :
Gaëtan Morin.

Cloutier, R. & Renaud, A. (1990). Psychologie de l'enfant. Québec : Gaétan Morin.

Guidetti, M., Lallemand, S. & Morel, M.F. (2000). Enfance d’ailleurs, d’hier et
d’aujourd’hui. Paris : Armand Collin.

Houdé, O. (2011). La psychologie de l’enfant. Que sais-je. PUF.

Hurtig, M. et Rondal, J.A. (1994) Introduction à la psychologie de l’enfant. Tome 1. Liège :


Magada,.

Kail, M. & Fayol, M. (2003). Les sciences cognitives à l’école : la question des
apprentissages. Paris : PUF.

Siegler R.S. (2001). Enfant et raisonnement : le développement cognitif de l’enfant. Paris.


DeBoek Université.

Tarvis, C. & Wade C. (1999). Introduction à la psychologie: Les grandes perspectives.


Bruxelles. DeBoeck Université. (F241)

Thomas, M.R. & Michel, C. (1997). Théories du développement de l’enfant. Bruxelles.


DeBoeck Université.

Tourette, C. (2000). Introduction à la psychologie de développement du bébé à l’adolescence.


Paris. DeBoek Université.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Chapitre II.

LE DEVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE

Introduction

Durant ces dernières années, plusieurs travaux ont été réalisés sur le développement
intellectuel de l’enfant. Nous nous intéresserons ici essentiellement à la théorie de Jean Piaget
(1896-1980), car elle reste un cadre de référence obligé. Aucune autre théorie n'a pu, jusqu'à
ce jour, présenter une telle cohérence interne.

1. L'INTELLIGENCE DANS LA THEORIE DE PIAGET

Pour Piaget, l'intelligence est, avant tout, une adaptation : équilibre entre l'organisme
et le milieu, qui découle d'une interaction entre l'assimilation et l'accommodation.
L'assimilation2 consiste pour la structure qu'est l'intelligence à incorporer les éléments du
milieu (incorporation du réel à soi). L'accommodation3 est la modification de cette structure
en fonction des modifications du milieu (ajustement de soi au réel). Par exemple, attraper une
balle et attraper une aiguille sont des actions réalisées grâce au schème de préhension, mais
chacune nécessite une préhension particulière. Le schème peut donc s'appliquer à une
multitude d'objets différents (assimilation), mais doit aussi se modifier en fonction des
caractéristiques particulières de chaque objet.

La théorie de Piaget est constructiviste car il considère que la source du


développement des connaissances est dans l'action que le sujet exerce sur le monde : un
processus « d'équilibration » assure à la fois le progrès et la stabilité, qui sont également
nécessaires à l'être vivant. Au départ, le jeune enfant possède des réflexes (succion,
préhension, etc.), et un mode d'emploi pour fabriquer, à partir de ces réflexes, des structures
de connaissance plus élaborées. Pour désigner ces structures de connaissance, on parlera de
schèmes1 : organisation séquentielle d'actions susceptible d'application répétée à un ensemble
de situations analogues. Le schème peut être très simple : l'action d'attraper constitue un
schème dans la mesure où elle nécessite une organisation : tendre le bras, ouvrir la main, etc.
On parle de schème de préhension au sens où il s'agit d'une structure cognitive spécifique, une
tendance à saisir les objets avec la main de manière répétitive. Mais la préhension est aussi un
réflexe, mais celui-ci n'est pas aussi élaboré que le véritable schème de préhension.

2 Assimilation : interprétation des situations nouvelles grâce aux schèmes préexistants. Assimiler s'est rendre
familier ce qui ne l'est pas.
3 Accommodation : modification des schèmes existants en fonction des caractéristiques de la nouvelle situation.
1 Schème : entité abstraite qui correspond à la structure d'une action.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Selon Piaget, le développement s'effectue par stades successifs. La transition d'un


stade à un autre se fait selon des règles strictes :

 l'ordre de succession de ces stades doit être constant, mais la chronologie de leur
apparition peut varier d'un enfant à un autre ;
 un stade est caractérisé par une structure d'ensemble, et constitue une forme
particulière d'équilibre ;
 les structures d'un stade deviennent une partie intégrante des structures du stade
suivant ;
 dans tous stade, un niveau de préparation est suivi d'un niveau d'achèvement ;
 la préparation de certaines acquisitions se poursuit sur plus d'un stade.

Piaget distingue ainsi le décalage vertical du décalage horizontal. Le décalage vertical


est la reconstruction d'une structure à différents stade. En revanche, le décalage horizontal
s'observe lorsqu'une même opération s'applique à des contenus différents: l'opération
concrète de conservation, par exemple, s'applique à la substance dès 7-8 ans, au poids vers
9-8 ans et au volume à 11-12 ans. Dans ce qui suit, nous ferons une description des
caractéristiques de chaque stade.

Piaget décrit 4 stades du développement de l’intelligence :

- le stade sensori-moteur (de 0 à 2 ans) ;

- le stade préopératoire (de 3 à 7 ans)

- le stade des opérations concrètes (de 7 à 12 ans)

- le stade des opérations formelles ou abstraites (de l’adolescence à l’âge adulte)

2. LES STADES DU DEVELOPPEMENT DE L’INTELLIGENCE

2.1. LE STADE SENSORI-MOTEUR : 0 - 2 ANS

Entre 0 et 2 ans, l'intelligence de l'enfant est principalement sensorielle : le bébé


absorbe et traite toutes les informations qui parviennent à ses organes de sens ; il est une
véritable éponge sensorielle. L'intelligence de l'enfant est également motrice : il s'agit d'une
intelligence essentiellement pratique, sans langage ni possibilité de se représenter
mentalement les objets absents.

2.1.1. Exercices des réflexes : Entre 0 et 1 mois, l'enfant répète et exerce les réflexes
qu'il possédait à la naissance. Les réflexes vont ainsi évoluer et se perfectionner pour donner
lieu à la constitution de schèmes : un réflexe qui au départ remplit une fonction spécifique
(téter sa mère pour se nourrir) devient un schème à partir du moment où il se modifie pour

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

remplir d'autres fonctions (téter son pouce pour se faire plaisir). Cela conduit aussi à la
formation des premières habitudes (habitude de la sucette par exemple). A ce stade, l'enfant
est égocentrique, exclusivement centré sur son propre corps.

2.1.2. Stade des réactions circulaires primaires : Entre 1 et 4 mois, on voit


apparaître les premières adaptations acquises : la coordination entre la main et la bouche va
permettre à l'enfant de mettre volontairement, et non plus accidentellement, son pouce dans sa
bouche. On parle de réactions circulaires, car il s'agit de réactions en relation avec le corps
propre de l'enfant (audition, vision, succion, etc.) ; il s'agit de réactions primaires car elles
s'exercent sans interventions du monde extérieur. Par exemple, le bébé qui un jour heurte son
hochet tout à fait par hasard (ce qui produit un bruit), le touche à nouveau, recommence
inlassablement afin de reproduire le bruit et de faire durer un bruit qui l’amuse.

2.1.3. Stade de réactions circulaires secondaires : Entre 4 et 9 mois, l'attention de


l'enfant se décentre de son corps propre pour se fixer sur des objets. Il reproduit les mêmes
comportements que ceux observés au stade des réactions primaire, mais, cette fois, avec
l'intervention d'un objet extérieur. L'enfant provoque par hasard un résultats intéressant et
essaye de le reproduire : remuer dans son lit pour faire bouger un objet situé au dessus ;
déplacer des objets devant ses yeux pour en évaluer les effets.

2.1.4- Stade de la coordination des réactions secondaires : Entre 9 et 12 mois,


l'enfant ne se contente plus de reproduire des résultats intéressants, mais il essaie de les
atteindre grâce à des combinaisons nouvelles ; dans une situation nouvelle, il met en oeuvre
des schèmes, qui jusque là, étaient appliqués à d'autres situations. Citons à cet égard
l'exemple de l'enfant qui écarte un obstacle de manière à pouvoir s'emparer de l'objet de sa
convoitise, ou encore qui utilise la main de l'observateur (schème moyen) pour actionner une
poupée qui chante (schème but).

 L'intentionnalité : On assiste à ce stade à la naissance d'une forme élaborée


d'intelligence, c'est-à-dire l'intentionnalité. L'enfant choisit des moyens appropriés
pour parvenir à l'objectif qu'il s'est fixé.
 C'est à ce stade qu'apparaît aussi la permanence de l'objet : l'enfant cherche
activement un objet caché. Avant ce stade, l'objet n'existait que lorsqu'il se trouvait
dans le champ visuel de l'enfant ; l'objet n'était donc pas cherché lorsqu'il disparaît,
puisqu'il n'existait plus. Maintenant, l'objet est cherché lorsqu'il disparaît derrière un
écran. La permanence de l'objet va marquer un tournant un décisif dans le
développement de l'enfant : lorsque l'enfant réalise que les choses existent en dehors
de son regard, il peut du même coup utiliser des symboles pour se représenter les
choses ; il peut donc penser le monde.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

2.1.5- Découverte de moyens nouveaux par expérimentation active : Entre 12 et 18


mois, l'enfant ne répète plus des mouvements connus, mais il les gradue, les modifie dans le
but d'en étudier la nature. C'est ainsi qu'il tape sur une balle de plus en plus fort pour en
étudier le rebondissement, ou qu'il laisse tomber un objet de plus en plus haut. En bref, il
parvient à ses buts en employant différents moyens. Pour Piaget, l'enfant est engagé dans la
conquête du milieu extérieur.

2.1.6- Invention de moyens nouveaux par combinaison mentale : Entre 18 et 24


mois s'effectue la transition entre intelligence sensori-motrice et intelligence représentative
avec l'apparition de la fonction symbolique. L'enfant peut imaginer la trajectoire invisible
d'une balle, il imite les gens en leur absence. Au lieu de tâtonner, l'enfant arrive à se
représenter mentalement la solution à un problème : la stratégie par essai/erreur laisse
progressivement la place à des stratégies planifiées. A ce stade apparaît aussi l'imitation
différée, grâce à la formation d'images mentales : l'enfant imite le modèle en son absence.
L'enfant est donc capable de différencier le signifiant (la représentation) et le signifié (action
représentée). Cette représentation sera déterminante dans l'acquisition des activités
symboliques, tels que le langage, le dessin, etc.

2.2- LE STADE PREOPERATOIRE (2 - 7 ANS)

Le stade préopératoire est caractérisé par l'émergence de la fonction symbolique (ou


fonction sémiotique) : l'enfant peut se représenter mentalement les objets ou événements, non
perçus actuellement, au moyen de symboles. A ce niveau, l'enfant voit mentalement ce qu'il
évoque : l'action devient réfléchie (internalisation de l'action). Cette possibilité de se
représenter symboliquement les choses transparaît à travers les activités suivantes :

 L’imitation différée : constitue le premier signe de l’acquisition de la capacité de


représentation. C’est l’imitation d’une activité des heures ou des jours après son
apparition. Elle témoigne que les enfants on formé une représentation durable de l’activité
originale.
 Le langage : entre deux et quatre ans, le vocabulaire de l'enfant passe de 200 à 2000 mots.
Ce progrès très net dans le domaine du langage dénote un développement cognitif
important : l'enfant différencie les objets de leur fonction, le signifiant et le signifié.
Selon Piaget, vers 2 ans, l’enfant entre dans le premier «âge du questionneur » où il
s’informe du nom de toute chose. La fameuse question « ça c’est quoi » correspond bien à un
besoin d’extension du vocabulaire. Cette question correspond aussi à un besoin intellectuel
afin d’ordonnancer le monde matériel.

 Le jeu symbolique ou de fiction, tels que jouer à la poupée ; faire semblant de dormir,
boire dans une tasse vide, etc. Ce jeu est indispensable à l'équilibre affectif et

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

intellectuel. L'enfant doit en effet disposer d'un secteur d'activités dont la motivation
ne soit pas l'adaptation au réel mais l'assimilation du réel à soi, sans contraintes ni
sanctions : une chaussure peut ainsi servir de barque ou de landau. L'enfant transforme
le réel au gré de ses besoins et désirs.
 Le dessin constitue une activité privilégiée à travers laquelle on peut évaluer à la fois
l'évolution de la fonction symbolique et la structuration cognitive de l'espace.
 L’image mentale : Lorsque les enfants deviennent capables de décrire des situations
verbalement, ils sont également capables de les sous la forme d’images.
Cependant, la pensée préopératoire caractérisant les activités mentales de la plupart des
enfants de moins de 7 ans est limitée. Pour figurer au rang des opérations, les actions doivent
être intériorisables, réversibles et coordonnées en systèmes dont les lois sont générales. Elles
sont intériorisables, car elles peuvent avoir lieu mentalement sans pour autant perdre leur
identité d’actions. Elles sont réversibles, contrairement aux actions matérielles qui sont
irréversibles. Enfin, puisqu’elles ne sont pas isolées, elles peuvent s’organiser en structures
complètes.

La pensée préopératoire se caractérise par des limites qui se manifestent dans:

2.2.1- L'égocentrisme. La reconstruction qui se produit sur le plan de la représentation


s'accomplit à partir du sujet lui-même. Le système représentatif de l'enfant est collé à son
univers à lui, l'enfant est égocentrique. Dans une expérience, Piaget demande à des enfants de
4 ans de se tenir soit debout sois assis devant une table sur laquelle est posée une maquette
représentant trois montagnes de taille et de couleurs différentes : verte, grise et brune. On
déplace une poupée autour des montagnes. La tâche des enfants est de choisir parmi des
photographies celle qui correspond au point de vue de la poupée. Pour résoudre ce problème,
les enfants doivent reconnaître que leur propre perspective n’est pas la seule possible et faire
une rotation mentale de la maquette qu’ils voient pour la faire correspondre à ce qu’ils
verraient d’une une autre position. Cela se révèle impossible pour la majorité des enfants de 4
ans. Ils ne peuvent pas imaginer le point de vue selon d’autres positions.

Socialement, l'égocentrisme peut se traduire par la difficulté à adapter son langage aux
besoins de son interlocuteur, comme en témoignent les monologues collectifs que l'on peut
observer à cet âge. Les enfants préscolaires parlent souvent correctement à tour de rôle, mais
ne prêtent pas pour autant attention à ce que dit l’autre. Entre 4 et 7 ans, le langage devient
moins égocentrique. L’un des signes les plus précoces de progrès apparaît dans les disputes
verbales des enfants. Le fait que les énoncés verbaux d’un enfant dévoilent une désaccord
avec son compagnon de jeu indique que le joueur a au moins prêté attention à une autre
perspective que la sienne.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

2.2.2. La pensée intuitive : c’est une pensée prélogique c’est-à-dire que l’enfant ne peut
pas raisonner logiquement. Elle est encore liée à la manipulation et à l’action. La perception
immédiate l’emporte sur la logique. Elle est caractérisée par le syncrétisme et la
transduction4. On qualifie de syncrétique ce type de pensée infantile, qui par opposition à la
pensée analytique-synthétique, ne parvient pas à coordonner les détails à l’ensemble, les
parties au tout, les événements aux processus et qui, de ce fait, oscille – selon la complexité
des situations et les contraintes de la tâche – entre une appréhension globale et vague et une
lecture pointilliste.

Le syncrétisme apparaît dans l’incapacité de l’enfant d’analyser les phénomènes perçus :


c’est une perception globale. Par exemple, il n’y a pas d’équivalence entre quatre jetons
placés l’un à côté de l’autre et quatre jetons espacés.

Piaget appelle la logique caractéristique à l’âge préscolaire de transductive. Par exemple,


un jour, une petite fille qui n’avait pas fait sa sieste, ne voulait pas prendre le repas du soir,
car selon elle, ce n’était pas encore l’après–midi. Elle avait correctement associé la sieste et
l’après-midi, mais avait incorrectement prêté à ce lien un caractère directement causal.

2.2.3- La centration. L'enfant dont le raisonnement est caractérisé par l'égocentrisme


affiche de la centration sur une dimension d'une situation et néglige les autres. L'incapacité de
se décentrer amène l'enfant à raisonner de façon unidimensionnelle. Dans l'estimation de la
surface par exemple, il ne peut pas compenser un aspect de la réalité, comme la largeur d'un
champ, par un autre, comme la longueur. La pensée de l’enfant préscolaire se centre souvent
sur les caractéristiques individuelles et saillantes des objets sur le plan perceptif, en excluant
les traits les moins marquants. Un bon exemple de cette centration apparaît dans une
recherche de Piaget sur la compréhension des enfants du concept de temps. L’expérience
consiste à présenter deux trains miniatures qui roulent sur des rails en parallèle. Après l’arrêt
des trains, Piaget demande : « quel train a roulé le plus longtemps (ou a roulé le plus vite, ou a
parcouru la plus grande distance) ? ». Parmi les enfants de 4-5 ans, la plupart se centrent sur
un seul critère, le plus souvent le point d’arrêt. Selon eux le train qui a été le plus rapide, qui a
roulé le plus longtemps, qui a parcouru la plus grande distance est celui qui s’est arrêté le plus
loin sur les rails. En d’autres termes, ils ont ignoré le moment où les trains ont démarré, le
moment où ils se sont arrêté et le temps total mis pour effectuer le parcours. Ce n’est qu’à
partir de l’âge de 9 ans que les enfants répondent correctement à ces questions.

2.4- La non-réversibilité. Une des caractéristiques centrales de l'opération mentale est sa


réversibilité, c'est à dire la possibilité d'être effectuée au sens inverse, renversé mentalement.

4 Transcender (transgresser): dépasser la condition humaine, les possibilités de notre pensée.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Dans l'exemple du transvasement de liquides, la réversibilité impliquerait que l'enfant puisse


imaginer que le liquide est versée à nouveau dans le verre de départ identique au verre témoin.
Dans ce cas, l'annulation mentale de la colonne de liquide est la base de la conservation : si je
reverse le liquide dans le verre de tout à l'heure, ce sera égal, donc la transformation en
apparence peut être compensée par la transformation inverse.

2.2.5- Les pré-concepts. Ce « sont des notions attachées par l'enfant aux premiers signes
verbaux dont il acquiert l'usage. Le caractère propre de ses schèmes est de demeurer à mi-
chemin entre la généralité du concept et l'individualité des éléments qui le composent, sans
atteindre ni l'une ni l'autre ». L'enfant de la période préopératoire, lorsqu'il évoque une
maison, n'est plus au tableau individuel d'une seule maison (comme l'enfant de la période
sensori-motrice qui nommerait l'image d'une maison qu'il a devant lui), mais il n'en n'est pas
encore à la classe généralisable de « maison ». Il dispose de précurseur du concept de maison,
un pré-concept de maison. Le mot chien par exemple, ne désigne pas l'ensemble d'une espèce
animale, mais les chiens particuliers qu'il a rencontré.

2.2.6- Le finalisme
Vers 3 ans se situe le deuxième « âge du questionneur ». L’enfant ne cherche plus à tant à
connaître le nom des objets que leur raison d’être. C’est l’âge du « pourquoi ». La question
« pourquoi » a bien sûr une fonction intellectuelle d’information, mais aussi une fonction affective :
s’accrocher à l’adulte et forcer son attention, se rassurer et calmer l’anxiété suscitée par un monde qui
s’étend et dont on perçoit mieux chaque jour le caractère imprévu, explorer les règles de conduites et
les usages imposés par l’adulte. Piaget et bien d’autres auteurs ont souligné que ce « pourquoi » n’a
pas du tout une orientation causale, mais bien finaliste : ce que l’enfant cherche et vise par ces
questions ce n’est pas une explication objective qu’il ne pourrait pas d’ailleurs saisir, mais bien le
rapport qui peut exister entre l’objet de sa question et ses besoins, ses désirs ou ses craintes à lui. En
somme, son « pourquoi » équivaut plutôt à des expressions comme « à quoi cela sert ? », « à quoi est-
ce bon ? ». La répétition de sa question quand on lui répond en invoquant une relation causale révèle
bien son insatisfaction. Pour l’enfant, tout objet a nécessairement une fonction ou une utilité
(exemple : un banc c’est pour s’asseoir ; une colline c’est pour monter dessus ; la nuit c’est pour
dormir).

2.7 - L’adualisme : confond le moi et le non moi, le subjectif et l’objectif en indifférenciation


primitive. Par exemple, les rêves sont confondus avec la réalité. Il considère souvent comme réel ce
qu’il a imagine ou rêvé. C’est le phénomène de la fabulation qui traduit la difficulté de l’enfant à
distinguer le réel de l’imaginaire.
b- Les pratiques magiques qu’on peut classer en quatre catégories :
- La magie par participation des gestes : l’enfant exécute un geste dans le but d’obtenir ce qu’il
souhaite (exemple, compter jusqu’à 10 en retenant sa respiration ; marcher sur le bord du trottoir sans
perdre l’équilibre).
- La magie par participation de la pensée : l’enfant croit que sa pensée modifie la réalité
(exemple, un enfant qui joue à l’école en distribuant des bons points à ses amis et des mauvais points à

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

ses ennemies. Le lendemain il est persuadé avoir influencé le comportement de son institutrice à
l’égard de ses camarades).
- La magie par participation de substance : l’enfant est convaincu qu’une substance peut avoir
une influence sur une autre (exemple, jeter des cailloux dans un puit pou y faire naître des poissons).
- La magie par participation d’intention : par exemple un enfant qui croit qu’il est capable de
conduire à sa guise, sous son commandement, le soleil, la lune, le étoiles, etc.).
c- l’animisme : l’enfant a tendance à considérer les corps comme vivants , conscients, ayant des
intentions. Jusqu'à l’âge de 6-7 ans, tout ce qui a une activité est conscient : un caillou sent qu’on le
lance, l’herbe sent qu’on l’arrache, une porte sent qu’on la ferme.
d- La causalité morale : les êtres naturels sont conscients parce qu’ils ont une fonction à remplir. Ce
sont des règles morales plus que des lois physiques qui expliquent le déterminisme des phénomènes
(exemple : le soleil accompagne l’enfant dans sa promenade pour le réchauffer).
e- L’artificialisme : L’enfant considère que tout est fabriqué, tout se fabrique (exemple : le soleil a été
fabriqué par le bon dieu, la rivière, ce sont les. gens qui l’on faite avec de la terre et de l’eau).

2.3. LE STADE DES OPERATIONS CONCRETES (7 - 12 ANS)

La pensée de l'enfant subit une modification importante : non seulement les actions
sont intériorisées, mais en plus elles deviennent réversibles. L'enfant acquiert aussi l'inclusion,
la transitivité, etc. Autant d'opérations logiques de base qui vont déterminer la logique de la
pensée chez l'enfant. On peut distinguer deux types d'opérations : les opérations logico-
mathématiques, qui organisent les objets discontinus (classification, sériation, nombre), et les
opération infra-logiques, qui portent sur des objets continus (espace et temps).

2.3.1- La réversibilité : Ce stade est principalement marqué par l'apparition de la


réversibilité : capacité d'exécuter mentalement une action dans les deux sens de parcours,
mais en ayant conscience qu'il s'agit de la même action. Dans la période sensori-motrice, les
déplacements de l'enfant, une fois coordonnés avec leur inverses, assuraient la permanence de
l'objet, c'est-à-dire la conservation des objets, même quand ils sortaient du champs visuel.
Ceci va être reconstruit au plan de la pensée, et va permettre la conservation non plus des
objets eux-mêmes, mais de leurs propriétés quantitatives (quantité de matière, distance,
longueur, etc.). Ainsi, vu sous différents angles, un même objet est toujours identique à lui-
même, même si en apparence il est modifiée. Grâce à la réversibilité, l'enfant peut réaliser un
certain nombre d'opérations intellectuelles. La mobilité de la pensée va permettre une
décentration progressive.

2.3.2- L'invariance : L'activité cognitive de l'enfant devient opératoire lorsqu'elle est


réversible, mais aussi lorsqu'elle repose sur des invariants : une opération permet de
transformer un état A en un état B en laissant au moins une propriété invariante au cours de la
transformation. Pour un enfant avant sept ans, il peut y avoir plus à manger dans les deux

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

moitié d'un sandwich que dans le sandwich entier. Pour qu'un enfant admette qu'en mangeant
un sandwich coupé en quatre, il n'aura pas plus à manger qu'avec un sandwich entier, il faut
déjà qu'il réalise qu'il s'agit du même sandwich. C'est l'acquisition de la conservation des
propriétés de l'objet.

Afin d’observer le développement des invariants du monde physique, les chercheurs


présentent devant chaque enfant deux boules de pâte à modeler de même grosseur ; après que
l’enfant a constaté que les deux boules ont la même grosseur, on fait une transformation
devant l’enfant, une boule devenant une galette, un cylindre (saucisse) ou des morceaux en
miettes. Trois catégories d’invariants sont étudiés :

 la quantité : on demande après transformation s’il y toujours la même quantité de pâte.


 le poids : la même procédure générale est utilisée mais cette fois, on fait juger l’invariance
en demandant d’anticiper le résultat sur une balance à deux plateaux.
 le volume : l’enfant doit juger de l’équivalence, ou non, des volumes en désignant le
déplacement que va produire l’immersion des boules dans deux bocaux gradués contenant
de l’eau.
La majorité des enfants ont un jugement indiquant une invariance de la quantité vers 8
ans, du poids vers 9-10 ans, et du volume vers 11 ans.

2.3.3. La classification logique : Dans les épreuves de classification, il s'agit de


grouper les objets dans des collections qui s'emboîtent. L'expérience classique est la suivante :
on présente à l'enfant des perles en bois de couleurs différentes (8 brunes et 2 blanches, par
exemple). On lui demande : Y a-t-il plus de perles en bois ou plus de perles brunes ?. L'enfant
du stade préopératoire affirme qu'il y a plus de perles brunes que les perles en bois. Pour
comprendre que le tout est plus grand que ses parties, l'enfant doit être capable de prendre en
compte en même temps l'inclusion de la classe des perles brunes et la classe des perles
blanches dans la classe des perles en bois (A + A' = B) avec l'opération inverse (B - A = A').
L'enfant du stade opératoire parvient à emboîter les concepts selon un système cohérent
d'inclusions hiérarchisées et à les désemboîter.

3.4- La sériation : Dans l'épreuve de sériation, il peut s'agir, par exemple, d'ordonner
des bâtonnets de grandeurs variables dans un ordre croissant ; on peut observer les grandes
étapes du développement suivant :

- 4-5 ans, l'enfant procède par couples (un petit et un grand) ; il réalise plusieurs petits
tas.

- 5-6 ans, il procède par tâtonnements empiriques ; pour intercaler de nouvelles


baguettes, il préfère souvent partir à zéro, ce qui traduit bien le caractère non opératoire de sa
pensée.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

- 6-7 ans, l'enfant compare les bâtonnets 2 à 2 pour éliminer le plus grand et conserver
le plus petit. Il parvient alors à sérier l'ensemble des bâtonnets.

- 7-8 ans, l'enfant établit une véritable sériation entre les éléments. L'enfant est dit
opératoire dans la mesure où un élément quelconque de la série est compris d'avance comme
étant simultanément plus grand que le précédent et plus petit que le suivant. Lorsque la
composition des relations asymétriques est ainsi atteinte, l'enfant acquiert la transitivité. La
relation « plus petit que » est transitive car : si x<y, et y<z, alors x<z.

2.3.5- La structuration de l'espace : Au stade des opérations concrètes, on assiste


aussi à une structuration de l'espace et du temps. Les grandes étapes de la construction de
l'espace postulées dans la théorie piagétienne peuvent se résumer de la façon suivante.

 L'espace perceptif : Durant la période sensori-motrice, l'espace est un espace perceptif.


Dès sa naissance, le bébé vit et agit non point dans un espace unique, mais dans un
espace cloisonné, limité à une modalité sensorielle, à une région du corps, à une zone
de l'environnement : espaces visuel, auditif, buccal, postural, proche, etc.
L'assimilation réciproque des schèmes de sensori-moteurs vers 4-5 mois va entraîner
la coordination entre la préhension et la vision. Vers 6 mois, on assiste à l'apparition
des constances perceptifs de la grandeur et de la taille (c'est le même objet qui se
trouve à un mètre ou à dix). A 12 mois, l'enfant coordonne les différents espaces.
Cependant, les déplacements survenus dans l'environnement ne sont pas encore
détachés de l'action, l'objet est conçu comme un prolongement de celle-ci et sa
trajectoire assimilée à celle que suivent les mains du bébé.
 L'espace représentatif : Avec l'apparition de la fonction symbolique vers 18 mois, ces
espaces sont intériorisés. On passe alors de l'espace perceptif à l'espace représentatif.
Cet espace est d'abord topologique* : les figures sont considérées pour elles-mêmes
(faire un collier de perles en alternant les perles rouges et les perles blanches) ; l'enfant
constitue les objets eux-mêmes avec leur espace intérieur, mais sans pouvoir les mettre
dans un cadre plus vaste.

Vers 7 ans, l'enfant accède à l'espace projectif** grâce à une double différenciation
: différentiation entre sa propre activité et les transformations de l'objet ; différenciation
entre son point de vue et le point de vue d'autrui. A ce stade, l'objet n'est plus considéré en
lui-même, mais relativement à un point de vue, ce qui suppose une décentration de l'enfant
par rapport aux objets. Cette décentration n'est possible que si l'enfant possède un système

* La géométrie topologique : Lors d'un déplacement des figures ou d'objets, seules les relations de voisinage
(séparation, ordre, enveloppement, continuité) se conservent.
** La géométrie projective : Lors des déplacements d'un objet, les droites, les courbes et certains rapports bien
d‫ژ‬finis sont conservés. Les formes des figures, leur position relative et leur éloignement respectif sont mis en
rapport avec le point de vue de l'observateur selon un système de relations de perspective.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

de références internes qui permettent une réorganisation perceptive. Il est classique de


distinguer un référentiel égocentré dans lequel le sujet se prend lui-même comme origine
(« à ma droite ») et un référentiel exocentré dans lequel les objets sont localisés par
rapport à des repères extérieurs fixes (en face de la porte). Ce n'est qu'à 8-9 ans que
l'enfant possède un référentiel exocentré.

 Construction de la mesure spatiale : La construction de l'espace s'achève avec la


mesure, qui suppose la conservation des longueurs et des distances. Pour qu'il y ait
mesure, il faut qu'il y ait déplacement d'une unité sur l'élément à mesurer, d'où la
nécessité de la conservation des longueurs : une longueur est décomposable en
plusieurs petites longueurs, mais c'est toujours de la même longueur qu'il s'agit. Sur
une table, l'expérimentateur construit une tour avec des cubes de différentes
dimensions ; l'enfant doit refaire une tour de même grandeur sur une autre table (plus
haute que la précédente). A 4-5 ans, l'enfant évalue la hauteur « à vue de nez », sans
tenir compte de la hauteur différente de la table. Il est centré sur la tour et
n'appréhende pas la situation dans sa globalité. Puis, vers 7 ans, lorsque l'enfant a
acquis la conservation des distances, il utilise un segment corporel (par exemple,
l'écartement des deux bras) pour évaluer la hauteur des deux tours ; la référence au
corps permet alors à l'enfant de commencer à se décentrer. Il faut attendre 10 ans pour
que l'enfant utilise une unité plus stable (un bout de ficelle, un morceau de bois) pour
comparer les deux hauteurs. Il décompose alors sa tour en unités de mesure et réussit
l'épreuve.

3.6- La construction de la notion du temps : La construction de la notion du temps


est identique à celle de l'espace. Elle repose sur trois types d'opérations qui sont maîtrisées
successivement : a) sérier les événements en fonction de leur succession (avant/après) ; b)
découper les intervalles entre les événements ordonnés et les emboîter (minute<heure<jour...)
; c) prendre une durée comme unité pour établir une métrique du temps.

2.3.7- La logique durant la période des opérations concrètes.


Selon Piaget, c’est pendant cette période que l’enfant développe sa capacité d’utiliser
la logique inductive, ce qui consiste essentiellement à passer du particulier au général.
L’enfant de cet âge peut induire un principe général de son expérience personnelle. Par
exemple, il peut constater en s’amusant que s’il ajoute un jouet à un ensemble de jouets et
qu’il fait ensuite le compte, il yen aura toujours un de plus. L’enfant de 4 ou 5 ans s’arrête à
cette conclusion, mais l’enfant de 7 ou 8 ans applique cette observation au principe général
selon lequel, ajouter, c’est toujours aller en augmentant.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Toutefois, les enfants d’âge scolaire ne maîtrisent pas encore très bien la logique
déductive, qui permet de passer du général au particulier, comme émettre des hypothèses à
partir d’une théorie. Dans la logique déductive, l’individu doit imaginer des faits ou des
évènements dont il n’a jamais fait l’expérience, aptitude que l’enfant ne possède pas encore à
la période des opérations concrètes. Il est encore lié aux faits concrets, à ces propres
observations et à ses expériences personnelles.

2.3. LE STADE DES OPERATIONS FORMELLES (DE L’ADOLESCENCE A L’AGE ADULTE)

Les opérations concrètes portent sur des dimensions physiquement présentes, mais il
faut attendre un nouveau développement, entre 11-12 ans, pour des raisonnements plus
abstraits. Selon Piaget, le stade formel est l'étape finale de l'évolution de la pensée humaine.
Les principales caractéristiques de cette pensée est la formalisation, la maîtrise de la logique
hypothético-déductive et l'accès à la logique des propositions.

2.3.1- La pensée formelle : Il s'agit de la capacité d'abstraction. L'enfant du niveau


pré-formel est évidemment capable d'exécuter des opérations mentales. Toutefois, ces
opérations s'appuient toujours sur un matériel concret ; l'enfant n'est pas en mesure de se
dégager totalement de la réalité concrète lorsqu'il raisonne sur les choses. En effet, les
opérations ne s’appliquaient jusque là qu’à des objets, l’enfant effectuant en pensée des
actions possibles (par exemple, regrouper les chiens et les chats pour obtenir les animaux, ou
soustraire à ces derniers les chats pour retrouver la classe des chiens). Après 11-12 ans,
l’enfant pourrait réfléchir sur ces opérations elle-même (en appréhender la structure)
indépendamment des contenus qui peuvent alors n’être que des simples propositions. Le
raisonnement pourrait alors s’exercer sur des énoncés au contenu abstrait tenus pour vrais par
hypothèse indépendamment de toute vérification empirique. L’enfant devient ainsi capable de
combiner des idées sous la forme d’affirmations et de négations afin de tester des hypothèses.
On voit apparaître donc une pensée hypothético-déductive reposant sur des opérations
propositionnelles qui lui étaient jusqu’alors inconnus : l’implication (si… alors), la
disjonction (ou…ou…ou les deux), l’exclusion (ou…ou), l’incompatibilité (ou…ou…ou ni
l’un ni l’autre), etc.

2.3.2- La pensée hypothético-déductive : La maîtrise de cette seconde capacité


cognitive est illustrée classiquement par l'épreuve de l'oscillation du pendule. On soumet le
sujet à un appareillage très simple : il s'agit d'une potence métallique avec une corde dont la
longueur peut varier et au bout de laquelle est accrochée une boule dont le poids peut
également varier. On fait osciller la pendule et on demande au sujet : qu'est-ce qui est
responsable de la vitesse d'oscillation de la pendule ? La découverte de ce principe implique

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

la possession de trois compétences cognitives : la possibilité d'identifier les variables en jeu,


de formuler une hypothèse et de mettre cette hypothèse à l'épreuve. On constate que
l'adolescent qui maîtrise la pensée formelle commence par énumérer les variables pouvant
influencer la vitesse d'oscillation de la pendule : le poids de la boule, la longueur de la corde,
la force d'impulsion au départ, etc. Cet adolescent va également, de façon plus ou moins
systématique formuler une hypothèse : Je crois que c'est le poids qui est responsable de la
vitesse. Enfin, il va mettre son hypothèse à l'épreuve : tout en gardant la longueur de la corde
constante, il va tester la vitesse du pendule en faisant varier les poids et en découvrant, avec
surprise, que le poids n'a aucun effet. Il va formuler une nouvelle hypothèse : Si ce n'est pas le
poids qui joue, cela doit être la longueur de la corde. Il va mettre cette nouvelle hypothèse à
l'épreuve, va faire varier la longueur de la corde tout en maintenant le poids constant pour
constater cette fois que la vitesse d'oscillation de la pendule varie considérablement. Il va
pouvoir formuler la loi : plus la corde est courte, plus la vitesse d'oscillation est rapide. Les
enfants situés au stade de la pensée préformelle abordent ces problèmes de façon non
systématique, par essais et erreurs, et il leur arrive d'identifier une partie de la loi. L'adolescent
du niveau formel aborde ces problèmes de façon radicalement nouvelle : après avoir manipulé
le matériel, il va formuler une hypothèse qu'il va mettre à l'épreuve systématiquement, en
envisageant les diverses combinaisons possibles des éléments présents.

2.3.3- La maîtrise de la logique des propositions : La mise à l'épreuve systématique


d'hypothèses met en jeu une série d'opérations mentales nouvelles qui vont permettre
d'envisager toutes les combinaisons possibles à partir d'un problème posé. Ceci est illustré par
l'épreuve de la flexibilité des métaux : On fait tordre une tige métallique et on demande au
sujet : qu'est-ce qui est responsable de la de la flexibilité de la tige ? Dans cette situation,
plusieurs causes peuvent entraîner le même effet. Certes, la longueur de la tige a une
incidence sur la flexibilité (plus c'est long, plus c'est flexible), mais d'autres variables ont le
même effet : la section des tiges (les tiges rondes sont plus flexibles que les carrées), le métal
(le laiton est plus flexible que l'acier), etc. Pour saisir la loi en cause ici, il faut pouvoir faire
appel à une opération logique qu'on appelle la disjonction, et qui consiste à concevoir qu'un
effet (la flexibilité) peut être dû à plusieurs causes.

Encore une fois, les enfants du niveau préformel peuvent identifier séparément
chacune des variables qui ont un effet sur la flexibilité, mais il ne peuvent pas cerner
l'ensemble du problème, car cela fait appel à la capacité de combiner les variables entre elles,
capacité qui n'apparaît qu'avec la pensée formelle.

3. CRITIQUES DE LA THEORIE DE PIAGET

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Cette théorie est néanmoins remise en question par de nombreux courants récents
(notamment les théories de traitement de l'information). En effet, les nouvelles techniques
d'expérimentation, particulièrement celles qui permettent l'étude des compétences précoces
chez le nourrisson ont apporté des informations tout à fait intéressantes sur le développement
cognitif des bébés.
La théorie de Piaget a été également remise en question par d'autres théories qui ont
abordé le développement cognitif en se fondant sur des principes différents. Ainsi, alors que
pour Piaget, le développement se fait par adaptations successives du sujet à son milieu
(régulations internes), Vygotsky (1896-1934) comme son disciple Bruner (1915- 2016),
accordent aux facteurs extérieurs (et notamment à l'entourage) un rôle prépondérant dans le
développement de l'enfant : c’est la théorie socio-constructiviste. De même, Howard
Gardner a développé une théorie critique considérant que l’intelligence n’est pas
unidimensionnelle, comme décrite par Piaget, mais multidimensionnelle : c’est la théorie des
intelligences multiples.

3.1. LA THEORIE SOCIO-CONSTRUCTIVISTE DE VYGOTSKY

Pour Vygotsky (1934), l’enfant est un être qui est voué au départ à la socialisation, par
l’incapacité dans laquelle il se trouve de faire quoi que ce soit par lui-même. Le
développement cognitif ne peut donc prendre racine que dans les interactions avec les parents
et avec les pairs. L’intelligence ne s’intérioriserait ainsi qu’après être manifestée socialement.
Vygotsky insiste particulièrement sur le rôle de l’entourage dans le développement du
langage, dont découle la mise en place des processus mentaux. Au cours de la psychogenèse,
le langage acquiert progressivement la capacité de contrôler l'action. Celle-ci est, au début,
régie seulement par des indices externes et instinctifs associés par conditionnement. Dans le
même temps, il commence à s'intérioriser : tout en continuant d'accompagner l'action,
l'émission vocale fait place peu à peu au langage intérieur. C'est cette intériorisation du
langage qui permet de passer de l'action physique à l'action mentale.

Plus tard, l’enfant ne devient capable de faire ce qu’il est potentiellement capable de
faire, que dans la mesure où il est guidé adéquatement dans ses démarches par les adultes. A
ce sujet, Vygotsky propose le concept de zone de développement proximal. Il s’agit de la
distance existant entre le potentiel réalisé et le potentiel latent. Cette distance peut être évaluée
par l’examen des réponses de l’enfant qui apprend sous la tutelle d’un adulte. Ainsi un enfant
dont les performances sont faibles, mais qui se montre très attentif aux instructions, et qui sait
profiter de celles-ci, révélerait l’existence d’un potentiel latent important. Vygotsky croit que
les activités psychologiques supérieures sont liées à l’appropriation, par l’enfant des formes
culturelles, telles que la lecture, l’écriture, le graphisme ou le raisonnement mathématique.

37
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

C’est par celles-ci qu’il pourrait accéder à l’information nécessaire pour organiser son
expérience de la réalité.

3.2- La théorie des intelligences multiples

Howard Gardner propose en 19835 une théorie selon laquelle l’être humain ne possède
pas une seule intelligence, mais plusieurs6 qui sont distinctes et indépendantes les unes des
autres. Il s’agit de :

 L’intelligence linguistique : très développés chez les hommes de lettres (romanciers et


poètes), les écrivains, les orateurs, les avocats, etc.
 L’intelligence logico-mathématique : manifeste chez les personnes qui aiment les chiffres,
l’analyse et le raisonnement logique.
 L’intelligence spatiale très développée chez les architectes, les dessinateurs, les peintres,
les géographes, les pilotes professionnels d’engins mécaniques (avion, hélicoptère, moto,
camions et voiture), les photographes et les caméramans.
 L’intelligence musicale manifeste chez les musiciens et les compositeurs.
 L’intelligence somato-kinesthésique7 : très développée chez les artisans les chirurgiens ou
les jongleurs, danseurs, les gymnastes et les sportifs.
 L’intelligence intra-personnelle : est celle de la connaissance de soi, de ses besoins, de ses
sentiments et de ses émotions, dont il faut être capable de tenir compte afin de se
comporter de façon efficace.
 L’intelligence interpersonnelle ou sociale : sollicitée chez les animateurs, les
commerçants, les politiciens, etc.
 L’intelligence naturaliste-écologiste : sollicitée chez les agriculteurs et les jardiniers mais
aussi chez les zoologistes et les botanistes.
 L’intelligence existentielle ou spirituelle : Gardner ne définit celle-ci que comme la
« huitième et demi », et non comme une intelligence à part entièr. Elle est liée à la
capacité à penser nos origines et notre destinée et à se questionner sur le sens des chose ;
elle peut prendre une forme moralisatrice qu’on retrouve chez les moralistes religieux.
Gardner insiste sur le fait qu’aucune de ces intelligences n’est prioritaire par rapport aux
autres. L’importance relative de l’une ou de l’autre diffère selon les époques et les cultures. C’est en
effet que depuis la naissance des sciences, à la Renaissance (16ème siècle), que notre société
privilégie les intelligences linguistique et logico-mathématique. Dans les sociétés de chasseurs la
survie dépend plus du contrôle du corps, de l’adresse manuelle et la capacité à connaître son chemin
dans la forêt, que la vitesse à additionner ou à soustraire.

5 “Frames of Mind: The Theory of Multiple Intelligences”, New York, NY: Basic Books.
6 Gardner a proposé initialement, en 1983, sept intelligences, mais ultérieurement, en 1989, il ajouter deux
autres
7 Kinesthésie : Ensemble des sensations de mouvement que nous procure notre corps.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Le fait que dans notre société, l’accent ne soit principalement mis que sur les deux
premières, telles que mesurées par les tests, a un effet social destructeur. Une telle évaluation
est capable de prédire la réussite scolaire, mais très peu la réussite professionnelle. Combien
d’enfants n’ont-ils pas étaient étiquetés comme peu brillants parce qu’ils possédaient de
faibles capacités linguistiques, alors qu’ils se sont révélés des plus performants sur le plan
mécanique ou artistique.

Sternberg (1988) critique cette idée, en avançant qu’il faut plutôt parler de talents
multiples, ne se situant pas nécessairement sur un même pied d’égalité. Il en veut pour preuve
que, peu importe la culture, il est toujours possible de survivre en ayant aucune aptitude
musicale, alors que l’incapacité de raisonner ou de planifier empêche, elle, une adaptation
efficace au monde normal.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Pour aller plus loin…

Deleau, M. (1990). Les origines sociales du développement mental. Paris. Armand Colin.

Dolle, J. M. (1997). Pour comprendre Piaget. Paris: Dunod.

Droz, R., & Rahmy, M. (1997). Lire Piaget. Paris : Mardaga.

Gardner, H. (2008). Les intelligences multiples : La théorie qui bouleverse nos idées reçues.
Retz.

Gardner, H. (2012). L'intelligence et l'école : La pensée de l'enfant et les visées de


l'enseignement, Paris : Retz.

Lecuyer, A. (1994). Le développement cognitif du nourrisson. Paris. PUF.

Maury, L. (1984). Piaget et l’enfant. Paris : PUF.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Chapitre III

LE DEVELOPPEMENT DU LANGAGE

Quelle est la nature du langage ? Quelles sont les grandes dimensions du langage? Quelles
sont les étapes de son acquisition ? Dans le présent cours, nous tenterons de répondre partiellement
à ces questions car le langage est un sujet inépuisable.

1. CONSIDERATIONS GENERALES SUR LE LANGAGE

Le langage est souvent considéré comme l'habileté humaine par excellence, celle qui nous
distingue des autres créatures. On sait que la plupart des animaux possèdent des signaux de
communication. Les oiseaux possèdent des cris en cas de danger, et un chant d’appel et de
reconnaissance quand vient le temps de rechercher un partenaire. Les abeilles exécutent une danse
sur le rayon de la ruche pour indiquer aux autres le distance et la direction de nectar. Certaines
espèces de singes vivant en bande possèdent plus de 20 signaux dont la signification est précise.
Certains cris sont utilisés lorsque le danger vient des airs et d’autres s’il vient du sol. Chacun de ces
signaux à donc une valeur de survie pour le groupe. Cependant pour tous ces animaux, les sons émis
ne sont que des signaux déclencheurs de réponses innées. Ils sont donc liés à une situation actuelle à
laquelle le groupe réagit plus ou moins « mécaniquement ». Ce type de signal est également présent
chez l’être humain ; les cris de douleur ou d’exaltation pour prévenir un partenaire d’un danger ou
d’une menace. De plus, suite au développement de la bipédie et à celui de la musculature du visage,
l’être humain a développé tout un registre de communication non verbale, dont le rôle est loin d’être
négligeable. Mais c’est surtout grâce au développement du cerveau et la possibilité d’émettre un
langage articulé, permettant de produire un nombre important de sons, que la race humaine va se
doter d’un outil rendant possible l’expression de ses pensées sur le plan symbolique.

Si les oiseaux, les abeilles, les singes ou les dauphins peuvent communiquer entre eux, leur
communication est de type stimulus-réponse, c'est-à-dire qu'elle est reliée à des situations précises ;
il est peu probable que les animaux puissent inventer des phrases nouvelles ajustées à des nouvelles
catégories d'expériences. Or, chez l'humain, la possibilité existe de générer un nombre infini de
phrases nouvelles, jamais entendus auparavant, pour communiquer de nouveaux contenus. Ce qui
caractérise l’être humain c’est la créativité linguistique.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Au cours des années 1970, de nombreuses tentatives ont été entreprises auprès des animaux, surtout
les chimpanzés et les gorilles, afin d'évaluer jusqu'à quel point il était possible de leur inculquer les rudiments
du langage humain. Les chercheurs ont eu recours pour cet apprentissage au langage à l'aide de signes gestuels
(utilisé par les personnes souffrant de surdité profonde), ou à des formes en plastique servant de symboles
pour différents mots, ou encore à un ordinateur, dont les touches de clavier peuvent être manipulées par
l'animal pour faire apparaître des symboles sur l'écran. On assista à des progrès rapides dans l'apprentissage du
vocabulaire. Certains sujets se sont montré capable, après quelques années, de comprendre et d'utiliser plus
de 200 termes dans des phrases de plusieurs mots. Mais les chercheurs demeurent persuadés que la plus
grande partie du langage ainsi appris, l'ait été par imitation, afin d'obtenir facilement certaines gratifications. Il
semblerait surtout qu'il manque aux singes ce qui nous caractérise, en tant qu'espèce humaine, à savoir la
dimension symbolique du langage, ainsi que l'intention de communiquer des représentations mentales.

1.1. Pour une définition du langage

Selon Ferdinand de Saussure (1916), le langage est un système de signes arbitraire et

conventionnel. C’est une faculté mentale permettant de communiquer sens. C’est une propriété

commune à tous les hommes et qui relève de leur capacité de symbolisation. Il est universel parce

que la plupart des enfants au monde franchissent les mêmes étapes d'acquisition selon la même

séquence et le même rythme. Le langage présente deux composantes ;

 La langue est un système de communication spécifique à une communauté particulière :


c’est un produit social. Il y autant de langues que de cultures.
 La parole est la composante individuelle du langage : c’est un acte de volonté et
d’intelligence. Il n'y a pas deux personnes qui parlent exactement de la même façon.
Ainsi, le langage est un phénomène qui renferme plusieurs paradoxes car il se caractérise par
la diversité de ses formes: il est universel et particulier à la fois. D'un autre côté, le langage apparaît
comme quelque chose de très simple mais aussi de très complexe ; simple parce que dans toute les
cultures, il est acquis naturellement sans que l'enfant ait à se faire enseigner formellement à parler ;
la langue « s'apprend toute seule », mais en même temps il s'agit d'un des phénomènes
comportementaux les plus complexes dont la science contemporaine est loin d'avoir percé tous les
mystères.

42
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

1.2- Les composantes du langage :

Dans le cadre de la linguistique fonctionnelle d’André Martinet, la double articulation désigne


la propriété de tout énoncé linguistique d’être segmenté à deux niveaux: à un premier niveau (la
première articulation), en unités ayant à la fois une face formelle (signifiant, dans la terminologie
saussurienne) et une face significative (signifié, dans la même terminologie); ces unités peuvent être
de longueur variable (phrase, syntagme, etc.); on appelle monème8 l’unité significative minimale
(bateau, râteau, gâteau). Ainsi, dans un énoncé tel que « les survivants furent déportés dans des
camps », les, sur-, vivant, furent, dé-, portés, dans, des, camps, sont des monèmes. Les monèmes se
répartissent eux-mêmes en deux catégories :

- Les lexèmes9, qui sont les monèmes à contenu de la langue, et qui regroupent les racines des

noms, des verbes, des adjectifs, etc. (vivants, furent, portés, camps).

- Les morphèmes10 qui sont des éléments stables d’une langue, à savoir les préfixes, les

suffixes, les articles, les prépositions, les pronoms, etc. (les, sur-, dé-, dans, des), qui peuvent modifier

la signification des lexèmes.

A un second niveau (la seconde articulation), ces unités peuvent elles-mêmes être

segmentées en unités plus petites n’ayant pas de sens, mais participant à la distinction du sens des

unités de première articulation: les unités distinctives (dans /bato/, /rato/ et /gato/, /b/, /r/ et /g/

sont les unités distinctives qui servent à distinguer le sens des trois unités significatives). On appelle

phonème l’unité distinctive minimale. Ainsi, dans l’énoncé «le chat mangera», on pourra pratiquer

deux segmentations successives. La première nous donnera cinq unités significatives (cinq

monèmes): le, chat , mang- (verbe manger), -r- (marque du futur) et -a (marque de la

personne). La seconde segmentation nous donnera huit unités distinctives (huit phonèmes): /l/, /e/,

/ʃ// ,a/, /m/, /ᾶ / /Ʒ/, /e/, /r/, /a/.

8 Monème : (du grec monos: seul, unique et -ème) Elément minimum d’une langue ayant un contenu de
signification.
9 Lexème : (du grec lexis : mot, et –ème) Monème qui n’est ni un mot de relation, ni un morphème.
10 Morphème (du grec morphé : forme et –ème). Elément de formation (préfixe, infixe, suffixe) qui, lorsqu’il est
incorporé à un mot, avant, dans ou après le radical, en modifie le sens ou la fonction.

43
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Cette double articulation constitue le fondement d’une économie importante dans la


production d’énoncés linguistiques: en effet, avec un nombre limité de phonèmes (une trentaine en
moyenne dans chaque langue), on peut construire un nombre illimité d’unités de première
articulation et donc un nombre illimité d’énoncés. Les psycholinguistes effectuent l’analyse du
langage à quatre niveaux : phonologique, syntaxique, sémantique et pragmatique.

 La phonétique : l’étude des caractéristiques physiques et physiologiques de tous les


sons possibles du langage.
 La phonologie : l'étude des sons du langage d'un point de vue de leur fonction dans le
système de communication. Elle se fonde sur l'analyse des phonèmes. Le phonèmes
sont des unités minimales, non segmentables, qui possèdent une fonction distinctive
dans un système de langue particulière : chaque phonème se caractérise par des traits
pertinents.
 Le lexique ou le vocabulaire : c’est l’ensemble des mots appris.
 La sémantique11 : c’est ce qui concerne la signification des mots.
 La syntaxe12 : Partie de la grammaire qui étudie les rapports entre les mots constituant
la phrase, ou entre les phrases dans le discours.
 La pragmatique étude des actes de parole en situation (prise de parole, conversation,
etc.). Elle s’attache à comprendre la manière dont la langue est réellement utilisée
compte tenu du contexte social dans lequel s’effectue la communication et de l’usage
qu’en font les interlocuteurs en cherchant à agir les uns sur les autres. Ce type
d’analyse, qui est inspiré par la théorie des actes du langage, émise par Austin et
Searle, tente ainsi de découvrir l’intention du locuteur et l’interprétation que
l ‘interlocuteur fait du discours. Les décisions prises lors du choix des mots, des sous-
entendus, ou des métaphores varient en effectivement selon que l’interlocuteur est un
ami, un professeur, ou un chauffard qui vient d’effectuer un dépassement dangereux.

2. LES THEORIES D’ACQUISITION DU LANGAGE

2.1. L'inné et l'acquis

On s'est longtemps demandé si le langage était inné ou acquis. Dans les années 70, deux
grands courants s'affrontent : les empiristes (représentés par Skinner) et les innéistes (représentés

11Sémantique (du grec sêmainen : signifier). Etude du sens des mots.


12Syntaxe (du grec sun : avec et –taxis : ordre). Etude de la fonction et de l’ordre des mots ainsi que des
propositions constituant une phrase.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

par Chomsky). Pour les premiers, le bébé naît sans la moindre compétence et le langage est un
comportements appris. L’acquisition du langage dépend de l’environnement dans lequel est placé
l’enfant. L’environnement de l’enfant amènerait l’enfant à intégrer la langue maternelle par
approximations successives, en renforçant certains sons plutôt que d’autres. L'apprentissage du
langage est considéré comme une succession de stimulus-réponse-renforcement. Il pourrait être
secondé par l'imitation : l'enfant imite un modèle et réalise une performance correcte qui lui vaut
encouragements de la part du modèle.

Pour les innéistes, le langage n'est pas le fruit d'un apprentissage mais d'un processus de
maturation. L'enfant humain naîtrait en quelque sorte précâblé ; sous l'effet de la maturation et
surtout de l'exposition à une langue, il y aurait une mise en place fonctionnelle de ces prédispositions
permettant alors à l'enfant de développer le langage. Il existerait ainsi une structure imposée
génétiquement au cerveau. Celle-ci serait responsable de l’habileté innée de chacun à transformer la
signification ou le sens d’une phrase donnée, ainsi que la capacité de construire un nombre illimité
de phrases. Pour désigner cette prédisposition, Noam Chomsky parle de dispositif d'acquisition du
langage (Language Acquisition Device, ou LAD).

L.A.D. : LANGUAGE ACQUISITION DEVICE

Il s'agit d'un ensemble de schèmes abstraits, règles relatives au langage en général, que tout individu
posséderait, et qui lui permettrait d'élaborer, à partir d'énoncés entendus, les règles spécifiques de sa langue
maternelle. Le langage est donc considérée comme une compétence et non comme un apprentissage social.
L'enfant naît avec l'équipement nécessaire pour l'acquisition non pas d'une langue particulière, mais du
langage en général.

La théorie de Chomsky est basée sur l'existence d'une grammaire générative transformationnelle : les
structures de surface et les structure profondes. La phrase Marie a aidé Pierre dans son travail possède une
structure de surface différente de Pierre a reçu un coup de main de Marie pour son travail, mais les deux
partagent la même structure profonde. Déjà à l'âge préscolaire, grâce à l'acquisition des règles
transformationnelles, l'enfant saura convertir les structures de surface en structure profondes et comprendre
que les deux phrases veulent dire la même chose : c'est Marie qui a aidé, et c'est Pierre qui a reçu de l'aide. Du
côté de la production, Chomsky propose le même processus abordé dans l'autre sens : l'enfant part des
structures profondes et y applique les règles transformationnelles pour produire des phrases acceptables
grammaticalement, c'est-à-dire possédant des structures de surface acceptables.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Il est admis actuellement que l'enfant vient au monde avec un certain nombre de
potentialités. Mais pour que ses potentialités s'actualisent, l'enfant doit, dans un certain délai, être
au contact d'un environnement linguistique. Il semble en effet que certaines acquisitions se fassent
de façon exclusive à des moments privilégiés. On parle alors de période critique : on ne peut
apprendre à parler n'importe quand. Le développement du langage se situe dans une période
limitée, au delà de laquelle l'acquisition d'une langue serait plus difficile. Pour l'acquisition de la
langue maternelle, la fin de cette période critique se situe aux alentours de 5 ans. Plusieurs
arguments confortent l'existence de cette période critique pour l'acquisition du langage. Tout
d'abord, le langage apparaît chez tous les enfants normaux dans des marges chronologiques très
semblables (les premiers mots apparaissent chez 75% des enfants à 12 mois). D'autre part, les
enfants sauvages (enfants abandonnés dans les montagnes et retrouvés après plusieurs années alors
qu'ils avaient été élevés par les loups) ont très difficilement pu accéder à un langage même
rudimentaire.

Tous ces arguments démontrent que le petit de l'homme vient au monde avec certaines
dispositions qui lui permettent de traiter le langage, mais il doit aussi disposer d'un environnement
linguistique pour que ces potentialités s'actualisent. Aussi élaboré soit elle, l'analyse formelle
(description formelle des énoncés comme c'est le cas dans la théorie de Chomsky) ne permet pas à
elle seule de rendre compte du fonctionnement réel du langage (qu'il s'agisse du langage des enfants
comme d'ailleurs celui des adultes). Afin de produire ou de comprendre la parole, l'enfant met en
oeuvre plusieurs modalités de traitement de l'information, qu'on appelle des stratégies, mais dont
certaines seraient plus efficaces que d'autres. Les stratégies sont différentes d'un âge à l'autre, mais
aussi d'un enfant à l'autre.

En outre, l'acte de parole est un événement qui dépend des contextes particuliers dans
lesquels il se déroule réellement. C'est le contexte situationnel qui permet d'interpréter ce qui est
dit. En d'autres termes, il ne suffit pas à l'enfant de pouvoir construire des phrases pour
communiquer adéquatement, il faut inscrire ses énoncés dans les contextes appropriés, là où ils sont
utiles pour communiquer. Pour emprunter la célèbre formule de John Austin, apprendre une langue,
c'est apprendre comment faire les choses avec les mots. L'enfant n'apprend pas ce qu'il faut dire,
mais aussi comment, où, à qui et dans quelles circonstances. Il s'agit ici de la dimension pragmatique
du langage.

2.2- Langage et pensée

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Une des grandes controverses relatives au développement du langage tourne autour des
relations qu’entretiennent à ce sujet le langage et la pensée.

2.2.1. L’hypothèse de la primauté du langage : Les observations effectuées par les


anthropologues dans différentes sociétés ont amené Sapir (1921) à penser que toute langue est
relative à une culture donnée. Chaque culture posséderait un système linguistique qui lui est propre
et qui sert de moule à la pensée des individus qui en font partie.

Selon cette théorie relativiste, on pourrait même affirmer que nos perceptions, notre
« image de l’univers » sont influencées par le langage (Whorf, 1956). Ainsi, les esquimaux dont la
langue possède des dizaines de mots pour caractériser diverses sortes de neige, posséderait de ce
fait une perception bien plus précise que la notre de celle-ci. A l’opposé, les tribus de Nouvelle-
Guinée, qui ne possèdent que deux mots pour désigner les couleurs (le sombre et le clair), auraient
une perception réduite du spectre.

Des recherches ultérieures ont cependant montré, que même si le vocabulaire se trouve ainsi
limité, les sujets étaient pourtant capables de discriminer et de reconnaître les différentes nuances
de couleurs, parmi un choix qui leur était présenté. Pour les innéistes, la différence entre les langues
prouve simplement que les langues sont différentes dans leur structure de surface, et que chacune
développe un système adapté aux besoins particuliers des membres de la culture.

Bernstein (1962) s’est intéressé, lui, aux différences entre classes sociales, au sein d’une
même culture. Il a ainsi montré que la façon dont se développe le langage est déterminée par la
classe sociale. Selon lui, le langage des classes défavorisées répondrait à un code restreint, limité à la
communication concrète, immédiate, et présentant une structure simple et souvent incorrecte sur le
plan grammatical. Le langage des classes favorisés reposerait, lui, sur un code élaboré servant
notamment d’instrument à la description du monde extérieur et de ses propres émotions. Bernstein
(1983) considère également que de telles divergences détermineraient à leur tour des différences
marquées dans la manière dont s’effectue le développement de la pensée.

2.2.2. L’hypothèse de la primauté de la pensée : Les observations effectuées par Piaget l’ont
amené à envisager le langage comme étant le résultat d’une construction progressive de
l’intelligence. Selon Piaget, le langage ne se développe pas différemment de la pensée ou de la
mémoire. Il ne constituerait qu’un prolongement de la pensée symbolique de l’enfant s’exprimant,

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

au cours des premières années, à travers ses comportement d’imitation et du faire semblant qui
caractérisaient ses jeux. L’utilisation des mots ne s’effectuerait qu’en fonction des progrès de la
pensée.

Les sons que l’enfant retrouve régulièrement dans des situations quotidiennes, deviennent
les représentants de ces situations. L’émissions de ses sons sont capables de les évoquer une autre
fois. Vers la fin de la première année les sons habituels deviennent des représentatifs, tout comme
les gestes ou les objets. L’observation montre que l’enfant est sensible à la valeur représentative du
langage : avant de commencer à produire quelques mots, il comprend déjà plusieurs. Ainsi des
expressions telles que « plus grand », « plus gros », « plus loin », etc., ne pourraient être comprises
ou employées, tant que de telles propriétés ne serait pas elle-mêmes comprises par l’enfant.

L'hypothèse de Piaget est largement remise en question maintenant, notamment suite aux
nombreuses expériences conduites avec des enfants sourds : lorsqu'on leur fait passer des épreuves
d'intelligence (tests non verbaux, ne faisant pas intervenir le langage), les enfants sourds obtiennent
des performances nettement moins élevés que celles des enfants entendants au même âge. Ainsi, un
déficit dans l'usage du langage parlé, et surtout un retard dans l'exercice du langage a de nettes
répercussions sur la façon dont l'enfant aborde et traite des problèmes matériellement non verbaux,
bref, sur la façon dont il pense. Le rôle du langage paraît fondamental dans le développement de la
pensée de l'enfant.

2.2.3. L’hypothèse de l’interaction de la pensée et du langage :

Selon Vygotsky (1923), la pensée et la parole se développeraient indépendamment l’une de


l’autre, au cours des trois premières années. Durant cette période, la pensée ne s’exercerait que
dans des situations immédiates, et la parole n’aurait, elle, qu’une fonction de communication sociale
et de dénomination d’objets, ce que Vygotsky ne considère pas comme un langage au sens propre.
Ce ne serait qu’après cette étape que l’enfant, en intériorisant peu à peu son action, en arriverait à
développer un langage rationnel et une pensée verbalisé, lui permettant de planifier ses activités et
d’anticiper les conséquences. A partir de ce moment, pensée et langage convergeraient pour
permettre notamment l’émergence de la logique.

Ainsi, le langage, en tant que fonction intellectuelle, apparaît deux fois au cours du
développement de l'enfant. Dans un premier moment, il apparaît à un niveau social (échange entre
individus, interaction de l'enfant avec sa mère), c'est le processus interpersonnel. Ensuite, au niveau
individuel (l'enfant s'auto-régule), le langage devient intériorisé et se transforme en un processus
intrapersonnel permettant ainsi la construction de l'intelligence.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

3. LES STADES DU DEVELOPPEMENT DU LANGAGE

L’âge d’apparition de la parole, la vitesse de développement ainsi que les différents types
d’erreurs articulatoires commises varient considérablement d’un enfant à l’autre. Différents facteurs
influencent le développement phonologique :

- Le sexe
- La position dans la fratrie
- Les stimulations linguistiques auxquels il est soumis
- Son état de santé
On distingue deux grandes phases d’acquisition du langage, une phase pré-linguistique et une
seconde linguistique.

3.1. La phase pré-linguistique

La première année de vie est cruciale dans l’apprentissage du langage. Cette période est
appelée phase pré-linguistique. Tout au long, le nourrisson affine grâce à son expérience croissante,
toute une série de capacités de base lui permettant de communiquer avec l’adulte.

3.1.1. Le traitement précoce de la parole

Les études de psycholinguistique ont démontré que les bébés affichent des habiletés
langagières quant à la perception des sons.

 Agés de quelques minutes à peine, ils peuvent déterminer la source d’où viennent les sons.
Les nouveau-nés sont aussi capables de percevoir la différence entre des sons variant selon
leur fréquence, leur intensité et leur rythme.
 Dès l'âge de 4 jours, ils sont principalement sensibles à l'intonation, ce qui leur permet de
distinguer la voix de leur mère de celle d'une étrangère, de distinguer entre deux langues
naturelles.
 Vers 2 semaines, ils préfèrent écouter des paroles plutôt que d'autres bruits ou du silence. La
voix humaine est plus efficace pour produire des sourires, des roucoulements et pour calmer
les cris des bébés.
 A la fin du 2ème mois, les bébés commencent à être attentifs aux aspects émotionnels des
paroles qu’ils entendent prononcer autour d’eux. Ils ont tendance à sourire à l’écoute des
voix familières et à s’agiter sous l’influence de voix agressives.
 Ils possèdent une représentation de la parole fondée sur le traitement des syllabes.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

 Vers 5-6 mois, les bébés enregistrent intonations et rythmes de la parole et essaient de
répondre par l’émission d’une variété de voix qui adopte les mêmes intonations et rythmes.
 Entre 6 et 12 mois, les enfants comprennent le langage verbal avant de pouvoir s’en servir eux-
mêmes. Ce que l’enfant comprend est souvent le résultat d’un conditionnement..
 Vers la fin de la première année, les enfants deviennent capables de distinguer dans le
langage des phonèmes ou sons individuels. Ils commencent à faire la différence entre deux
mots variant seulement par leur consonne initiales (exemple : « pa » et « da »)
3.1.2. La compétence à communiquer

Chez le nouveau-né, la faculté de communication repose sur des capacités extrêmement


précoces, notamment l'imitation et la conduite de réciprocité. A titre d'exemple, dès 4 jours le
nourrisson est capable d'imiter les ouvertures de la bouche d'un expérimentateur qui articule
exagérément et lentement. Lorsque la mère nourrit son enfant, on peut observer une adaptation
réciproque des conduites de la mère et de l'enfant: il existe un véritable échange de signaux (regard,
voix, etc.) qui permet de réguler le cours de la tétée. Ces comportements génétiquement
programmés permettent au nourrisson de structurer petit à petit des systèmes personnels
d'échanges d'informations dans un contexte de communication sociale. Ainsi, au départ, la
communication n'est pas intentionnelle. C'est l'adulte qui, en interprétant les cris, pleurs et les
différentes activités posturales et gestuelles de l'enfant, confère à ces comportements des finalités
communicatives : quand il crie parce qu'il a faim, l'enfant ne sait pas qu'il est en train de
communiquer son désir de manger ; c'est l'entourage qui interprète le cri comme un message.

Très vite, sous l'effet de ses interactions avec son entourage, l'enfant apprend à maîtriser l'effet
de son comportement et donc à communiquer avec l'intention d'obtenir un effet particulier : on
parle de communication intentionnelle.

En effet, certaines conduites de communication sont bien en place avant que l'enfant n'ait
maîtrisé le langage formel qui lui permettrait de les exprimer linguistiquement. Vers 3 mois par
exemple, apparaissent chez les bébés des pseudo-dialogues avec l'adulte : chacun, à son tour de rôle
émet des sons qui n'ont pas de signification. Ce comportement reflète la capacité de l'enfant à
prendre son tour de parole. Vers 8-9 mois apparaît l’attention conjointe : l’enfant cherche à attirer
l’attention d’autrui, porte son regard sur ce qu’on lui montre, pointe du doigt en direction d’un objet.
Ces conduites de communication seront ultérieurement incorporées dans la parole de l'enfant
lorsqu'il commencera à les utiliser.

Vers 9-10 mois, l’enfant imite consciemment les sons produits par les autres même s’il ne les
comprend pas. C’est le phénomène d’écholalie qui consiste à répéter machinalement les paroles

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

entendues. Les conversations des parents favorisent donc la fréquence des imitations vocales des
enfants

Au cours de la situation de communication, les adultes de différentes cultures utilisent un


langage simplifié pour parler à leur bébé, appelé le parler bébé. L'adulte a spontanément tendance à
adapter son langage au jeune enfant, permettant un apprentissage plus rapide et plus efficace. Les
caractéristiques particulières du parler bébé sont les suivantes :

Tableau. Résumé des principales caractéristiques du langage maternelle adressé à l’enfant entre 1 et 10 ans

selon Rondal (1983)13

Aspects Caractéristiques

1. Phonétique et phonologie

Langage adressé au jeune


enfant

- Elélvation de la hauteur tonale du discours et élargissement de l’éventail des fréquences


fondamentales avec extension du côté des fréquences élevés.

- Accentuation et allongement de la durée d’émission des substantifs et des


verbes.

- Rythme ralenti d’élocution et pauses séparant clairement les énoncés et les


phrases.

- Excellente intelligibilité du discours

2- Lexique - Réduction de la diversité lexicale.

- Utilisation préférentielle des termes lexicaux fréquents dans la langue avec majorité de mots à
référence concrète.
- Moindre usage des sous-classes formelles les plus complexes sur le plan cognitivo-sémantique
(la majorité des énoncés portent sur le présent immédiat et rares celles qui portent sur le passé
lointain).

3- Structures - Réduction quantitative et qualitative des structures sémantiques


sémantiques exprimées en structure de surface (les structures sont simplifiées et sont les
mêmes que celles qui figurent à la base du langage échangés entre adultes).

4- Morpho-syntaxe - Grammaticalité et fluidité du discours.

- Réduction de la longueur moyenne de production verbale et préverbale


(phrases courtes).

13Rondal, JA. (1983). L’interaction adulte enfant et la construction du langage. Bruxelles. Margada. Chap. I (p.
62).

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- Majorité de phrases interrogatives, suivies en fréquence de phrases


déclaratives, et ensuite impérative.

5- La pragmatique - En ce qui concerne les actes de parole, dominance en fréquence des requêtes en information,
suivies en fréquence par les phrases déclaratives et ensuite les requêtes en action (ex. « ouvre la
porte »).

- Répétitions maternelles et maintien de la référence (ex. « Ne t’assieds pas


là. Ne t’assieds pas sur le sol »).

6- Feedback verbal - Approbation (ex. c’est bien, c’est juste, d’accord, oui) et désapprobation
verbales du langage enfantin

- Répétition, expansion, correction explicite (sur le plan lexical, phonétique


ou morpho-syntaxique) et extension des énoncés enfantins.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

3.1.3. Les cris

Ils constituent les premières productions vocales de l’enfant. Ils se diversifient dès les
premières semaines en fonction des états éprouvés par l’enfant (faim, douleur, appel). Au
départ, les cris ne sont pas produits dans l’intention de communiquer. La mère leur attribue des
significations, et les fait entrer dans un système de communication. (anticipation créatrice).
Quand il crie parce qu'il a faim, l'enfant ne sait pas qu'il est en train de communiquer son désir de
manger ; c'est l'entourage qui interprète le cri comme un message. Très vite, sous l'effet de ses
interactions avec son entourage, l'enfant apprend à maîtriser l'effet de son comportement et
donc à communiquer avec l'intention d'obtenir un effet particulier : c’est communication
intentionnelle.

- Vers 3 mois apparaissent chez les bébés des pseudo-dialogues avec l'adulte : chacun, à son
tour de rôle émet des sons qui n'ont pas de signification. Ce comportement reflète la
capacité de l'enfant à prendre son tour de parole.
- Vers 8-9 mois apparaît l’attention conjointe : l’enfant cherche à attirer l’attention d’autrui,
porte son regard sur ce qu’on lui montre, pointe du doigt en direction d’un objet. Ces
conduites de communication seront ultérieurement incorporées dans la parole de l'enfant
lorsqu'il commencera à les utiliser.
- Vers 9-10 mois, l’enfant imite consciemment les sons produits par les autres même s’il ne les
comprend pas. C’est le phénomène d’écholalie qui consiste à répéter machinalement les
paroles entendues. Les conversations des parents favorisent donc la fréquence des
imitations vocales des enfants
Au cours de la situation de communication, les adultes utilisent un langage simplifié pour
parler à leur bébé, appelé le parler bébé. L'adulte a spontanément tendance à adapter son langage
au jeune enfant. C’est un phénomène universel observé dans de différentes cultures. Le langage
bébé permet un apprentissage plus rapide et plus efficace. Les caractéristiques particulières du parler
bébé sont :

- Les phrases sont courtes


- Les phrases sont complètes d’un point de vue grammatical
- Les mots sont prononcés plus lentement et avec des variations exagérées fans les tonalités
- Le timbre de la voix est généralement plus élevé

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

- Le contenu porte sur le contexte immédiat

3.1.4. Le babillage :

C’est une activité de prononciation des syllabes sans significations, appelée aussi jasis ou
lallation. Elle apparaît au cours du 2ème mois, et se poursuivra jusqu'à 1 ans ou 1 ans et demi, c'est-
à-dire même après l'acquisition des premiers mots. Cette activité de babillage est déclenchée par un
processus de maturation physique parce qu'elle apparaît à la même période dans tous les
environnements linguistiques, et que le même répertoire sonore est observé partout.

A cette période, le bébé est beaucoup plus compétent que l'adulte en matière de sons. Il est
capable de produire une somme de sons que l'on ne trouve jamais réunis à la fois dans une seule
langue, ni même dans une famille de langues. Puis petit à petit, par suppression sélectif, l'enfant va
abandonner les sons non pertinents et étrangers par rapport à sa langue maternelle. A 10 mois, les
bébés babillent dans leur langue maternelle.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

3.2- La phase linguistique

Elle correspond à la période où l’enfant prononce des mots du langage.

Le développement lexical. Le développement du langage s’opère dans les différents niveaux du


langage.

3.2.1. Le développement lexical

A son premier anniversaire, l'enfant est généralement en mesure d'utiliser quelques mots, et déjà il
en comprend plusieurs. D'un point de vue quantitatif le répertoire des mots va très vite s'enrichir. A
20 mois, l'enfant possède environ 100 mots, 300 à deux ans, 1000 à trois ans, environ 10.000 mots à
6 ans. (20 à 40.000 mots chez l'adulte cultivé). Selon Carey (1982), entre 2 et 5 ans, l’enfant apprend
un nouveau par heure d’éveil. Les psychologues appellent ce phénomène l’explosion du langage.

Deux raisons permettent d’expliquer l’accélération du rythme d’acquisition :

- L’enfant doit comprendre le rôle fonctionnel des productions verbales de l’adulte, à savoir
que les objets, les qualités, les événements sont dénommables et que les mots ont une
valeur stables dans la communication. Il doit aussi comprendre quelles sont les dimensions
du réel auquel réfère généralement le langage.
- l’accélération du rythme d’acquisition du langage est liée au développement moteur. Les
enfants dont la maîtrise articulatoire est tardive, c.-à-d. dont les programmes articulatoires
correspondant aux mots, sont construits plus tard, auraient un développement lexical moins
rapide (Clark, 1993).
Les premiers mots se manifestent par une utilisation, de façon plus ou moins régulière, des
séquences phoniques dans des situations relativement déterminées. Les mots ne sont
interprétable que dans le contexte situationnel dans lequel ils sont émis. Par exemple, l’enfant
indique un biscuit, un jouet, un objet et dit « da ». Ses parents croient comprendre « donne-moi
ça » ou « je veux ça ». L’enfant montre la porte et dit « pa-ti ». Dans le contexte de la situation
cela signifie « je veux aller dehors » ou « maman est parti ». Ainsi, l'enfant serait capable de
produire des énoncés qui ne comportent qu'un seul mot mais qui, parce qu'ils apparaissent dans
des contextes précis, tiennent lieu de phrase compréhensibles par son entourage ; ce sont des
holophrases (ou phrases-mots). Vers 2 ans, l’enfant commence à utiliser le non, qui marque un
progrès de son individuation..

56
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

3.2.2. Le développement sémantique

Apprendre la signification des mots constitue un élément central dans l'apprentissage d'une
langue. Le mot sert de représentant d'un concept : le mot est le signifiant et le concept est le signifié.
Généralement, l’accroissement rapide du nombre de mots connus s’accompagne d’une connaissance
de plus en plus précise des différents sens des mots. Les premiers mots acquis peuvent être classés
en trois catégories, selon la fréquence de leur apparition chez l'enfant :

 les mots désignant des objets familiers (auto, ballon, souliers biberon, cuillère, eau,
banane,), des personnes familiers (papa, maman) des animaux (chien, chat), des
parties de corps (yeux, nez),
 les mots désignant des actions c.-à-d. les verbes ;
 les mots désignant les états c.-à-d. les adjectifs.
D'un point de vue qualitatif, les premiers mots sont souvent des sur-extensions : le mot
« chien » désigne tout à la fois un chien, un éléphant et plusieurs autres animaux à quatre pattes ;
papa désigne le père mais aussi tout personne adulte de sexe masculin. On peut aussi, mais plus
rarement, relever des sous extensions : le mot jeu ne désignant par exemple que le ballon.

3.2.3- Le développement syntaxique

Le développement syntaxique correspond à l'acquisition de la grammaire, c'est-à-dire à


l'ensemble des règles concernant l'organisation des énoncés. La combinaison des mots étant une
caractéristique fondamentale à la grammaire, les progrès de l'enfant en ce domaine sont évalués à
partir de la longueur moyenne des énoncés (LME)14 déterminé en fonction du nombre de
morphèmes qui s'y trouvent. Le morphème correspond à la plus petite unité significative de la
langue. Par exemple papa part pas contient 3 morphèmes (papa, part, pas) tandis que papa part en
contient deux. Ou encore ami vient contient un morphème de moins que ami viennent parce que la
forme plurielle « viennent » indique qu'il y a plusieurs amis, ce qui constitue une unité
supplémentaire de signification. L’application de cette mesure en fonction de l’âge donne une très
bonne indication sur la forme de l’évolution des compétences syntaxiques chez l’enfant. Cette
évolution est linéaire : les compétences syntaxiques augmentent progressivement et de manière
continue.

14 Les anglo-saxons l’appellent MLU pour Mean Length of Utterance.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

La syntaxe apparait avec les énoncés binaires (les phrases à deux mots). A partir de 18 mois,
l'enfant commence à combiner ensemble des mots pour produire ce que l'on appelle des énoncés
binaires : papa pati pour papa est parti, maman bulo pour maman est au bureau, pas dodo pour je ne
veux pas me coucher, etc. Il est intéressant de souligner que cette façon nouvelle de combiner des
mots deux par deux ouvre les portes à toute une série de possibilités de communiquer. Par exemple,
en combinant l'ordre des mots, la tonalité de leur prononciation avec le contexte dans lequel ils sont
produits, les énoncés binaires permettent déjà toute une gamme d'intentions expressives que
l'entourage peut comprendre. Ainsi, vers l'âge de 2 ans, l'enfant qui dispose d'un nombre croissant
de mots, maximise leur potentiel expressif en jouant sur leur ordre d'apparition, sur l'intonation et
sur le contexte dans lequel il les utilise : c'est le début de la grammaire parlée ou de la syntaxe.

La production des énoncés binaires, période que l'on appelle aussi celle du « langage
télégraphique » parce que seuls les mots essentiels sont prononcés. L'ordre dans lequel les mots sont
prononcés, aidé par l'intonation et le contexte, constitue une première forme de traitement
syntaxique de la phrase. Ainsi maman biscuit et biscuit maman peuvent avoir des significations
différentes. Selon que l'un ou l'autre des deux mots sert de pivot à la phrase, l'autre mot étant ouvert
(moins accentué en tonalité), l'énoncé aura une signification différente. On considère donc que la
phrase grammaticale apparaît vers 2 ans. Avec une rapidité déconcertante, on voit surgir ensuite les
prépositions, les formes verbales, etc. L’essentiel de la structure syntaxique est en place vers 3 ans.

Toutefois, de nombreuses maladresses syntaxiques subsistent. Par exemple, l’enfant trouve


des difficultés à contrôler les flexions, c'est-à-dire ces éléments variables qui s'ajoutent aux mots
pour en faire varier le sens. Les erreurs que l'enfant fera dans cette appropriation du code sont
d'ailleurs révélatrices des relations établit dans l'organisation des mots : il dira par exemple je l'ai
prendu au lieu de je l'ai pris. Puisque l'enfant n'entend pas dans son environnement de telles forme
grammaticales révèlent sa propre activité dans l'organisation de son langage. L'usage excessif de
certaines transformations grammaticales donne lieu, chez les enfants de 3 à 5 ans, à des erreurs de
sur-généralisation. Il témoigne de la conscience de la règle et d'une large volonté de l'utiliser comme
véhicule de signification.

L’acquisition des pronoms personnels également des problèmes pour l’enfant. Jusqu’à 2 ans,
il se désigne lui même à la troisième personne du singulier. Ce n’est que vers 3 ans et demi que la
première personne (le « je ») fait son apparition, et l’usage de la deuxième et de la troisième
personne se précise par conséquent.. Ceci implique une certaine prise de conscience de soi : l’enfant
distingue les rapports qu’il a avec lui-même de ceux qu’il a avec autrui. Certains chercheurs ont
signalé que l’apparition du «je» est plus tardive chez les aînés et les enfants uniques qui, du fait de

58
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

leur situation, sont probablement amenés à prendre conscience d’eux-mêmes moins vite que ceux
qui sont entourés d’autres enfants.

2.4. Le développement de la pragmatique du langage

Les fonctions du langage et l'évolution de celles-ci chez l'enfant ont fait l'objet de
nombreuses recherches, tant dans le domaine de la linguistique que dans celui de la psychologie.
Pour Austin (1955) parler c’est d’abord agir. Le langage est donc un outil qui permet d’exercer une
action sur les choses, sur les autres et sur le monde, en créant une nouvelle réalité. Parler c’est
produire des actes du langage. Le fait d’énoncer une phrase ne consiste pas à simplement
transmettre une information décrivant un fait. Searle (1972), prétend que, au contraire, dans
chacune des phrases prononcés, nous faisons quelque chose en le disant. Ainsi dans un énoncé aussi
banal que : « je viendrait demain », on peut mettre en évidence trois types d’actes simultanément, à
savoir :

- un acte locutoire consistant à produire des sons articulés entre eux, avec un contenu
porteur de sens. Le simple fait de parler est déjà un acte ; c’est agir en produisant des sons.

- un acte illocutoire constitué par le fait de dire quelque chose, de livrer une information qui
présente une affirmation, une promesse une gratitude ou encore une menace. Il fait référence à
l’interprétation de ce que je dis par mon interlocuteur.

- un acte perlocutoire posé vis-à-vis de l’interlocuteur, qui cherche à le convaincre, à le


rassurer, à l’intimider, et chez lequel il provoque une réaction émotionnelle. C’est un acte langagier
dont l’objectif est de produire un effet sur le l’interlocuteur (ex., quand je dis « il fait froid » pour
obtenir que soit fermée la fenêtre).

Cette dernière fonction du langage qui n'est pas directement inscrite dans l'énoncé, mais qui
a un effet indirect sur l'interlocuteur (flatter, faire plaisir, faire peur etc.). Par exemple, une
interrogation peut avoir pour objet non pas d'obtenir une information, mais de faire croire à son
interlocuteur qu'on le fait participer à la décision (fausse interrogation).

Cette distinction a donné lieu à des recherches sur le développement d actes du langage.
L'enfant doit apprendre à formuler des énoncés bien construits, mais doit il aussi apprendre à
maîtriser la dimension perlocutoire de ses demandes ; il doit pouvoir réaliser des actes indirects du
langage.

En production, la façon dont les actes indirects du langage sont traités par l'enfant repose
sur l'évolution suivante :

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

 Avant 2 ans, les requêtes sont explicites et essentiellement de type télégraphique (j'ai faim,
je veux, etc.).
 Vers 2 ans, l'utilisation des interrogations, puis un peu plus tard leur association à des
formules de politesse et/ou à des verbes modaux (tu peux jouer avec moi, s'il te plaît)
marquent le début des actes indirects.
 Vers 4 ans, l'enfant procède par allusion (les inférences15) en mentionnant son problème,
mais sans demander explicitement à l'adulte de l'aider (je ne sais pas faire mon puzzle).
 Après 4 ans, les stratégies deviennent élaborées ; les demandes ne font qu'en partie
référence à l'action recherchée (il y a longtemps que je ne suis pas allé au zoo).
2.4. Les stratégies de gestion du discours.

Dans une expérience, on a demandé à des enfants âgés de 4 à 9 ans de produire à partir
d'images sans texte, qui raconte une histoire (les images sont présentées une par une par
l'expérimentateur). L'analyse des productions conduit à distinguer trois phases :

 Phase procédurale (4-5 ans) : L'enfant gère son discours directement à partir de ce qu'il voit
sur l'image ; il ne planifie pas à l'avance ce qu'il va dire. Ainsi par exemple, il décrit chaque
image successivement sans établir des liens entre elles. Les énoncés sont syntaxiquement
corrects, mais sont seulement juxtaposés ; ils ne sont pas organisés à un niveau global,
organisation qui permettrait de construire un discours unifié.
 Phase méta-procédurale (6-7 ans) : C'est à partir d'une représentation d'ensemble que
l'enfant va gérer son discours et produire un texte cohérent. Par exemple, il part du héros
(un petit garçon) et il établit des liens entre les paragraphes grâce à l'anaphore (il). Mais
cette fois, contrairement à ce qui se passait dans la phase précédente, l'enfant vise
l'organisation de son discours (au détriment de ce qu'il voit sur l'image). Les énoncés sont
organisés et forment une unité narrative, mais faute d'avoir porté son attention sur les
images, l'histoire est pauvre (peu de détails).
 Stratégie interactive (8-9 ans) : Un va-et-vient entre l'image et les connaissances du sujet va
permettre de produire des récits très riches ; l'enfant utilise en permanence ses
connaissances pour interpréter ce qu'il voit. Ainsi, il peut par exemple produire des énoncés
qui ne correspondent pas à ce qu'il voit directement sur l'image, mais qui y soient reliés de
manière indirecte et qui se découlent de la représentation que l'enfant s'est construit du
texte présenté (inférences).

15 Inférence : opération par laquelle on tire une conséquence ou on génère une information à partir d’autres
informations d’ordre sémantique, contextuel ou affectif.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Dans le cadre de recherches comparées dans différentes sociétés, des chercheurs américains en
anthropologie linguistique (Ochs & Schieffelin,1990)16 se sont intéressés au rôle du langage dans
le développement de l'enfant et ont développé la théorie de la socialisation du langage. Ils ont
découvert que les processus d'inculturation et de socialisation ne se produisent pas en dehors du
processus d'acquisition du langage, mais que les enfants acquièrent la langue et la culture
ensemble dans un processus intégré. Les membres de toutes les sociétés socialisent les enfants à la
fois pour et à travers l'utilisation de la langue; En acquérant la compétence dans une langue,
l’enfant est socialisé dans les formats et les normes de la culture, tandis que la culture fournit à son
tour les normes de l'usage du langage.

16Schieffelin, Bambi B. (1990). The Give and Take of Everyday Life: Language Socialization of Kaluli
Children. Cambridge: Cambridge University Press.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Pour aller plus loin ...

Aimard, P. (1996). Les débuts du langage chez l’enfant. Paris : Dunod.

Boysson-Bardies. de B. (1996). Comment la parole vient aux enfants (de la naissance à deux
ans). Paris : Odile Jacob.

Bonin, P. (2003). Production verbale des mots. Bruxelles : DeBoek Université.

Bernicot J. (1992). Les actes du langage chez l'enfant. Paris : PUF.

Bruner J. (1987) Comment les enfants apprennent à parler ? Paris : Retz.

Chomsky, N. (1981), Réflexions sur le langage. Paris : Flammarion

Fayol, M. (2002). Production du langage. Paris : Hermès-Sciences-Publications.

Florin, A. (1999). Le développement du langage. Paris : Dunod.

Kail, M. & Fayol, M. (2000). L’acquisition du langage. Paris : PUF. Vol. I & II.

Kekenbosch, C. (1994). La mémoire et le langage. Paris : Nathan.

Muccielli, A. (2001). Les motivations. Paris : PUF. Coll. Que-sais-je.

Rondal, J.A. & Seron, X. (1999). Troubles du langage : bases théoriques, diagnostic et
réeducation. Liège : Margada.

Rondal J.A. (1983). L'interaction adulte enfant et la construction du langage. Liège :


Margada.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Chapitre IV

LE DEVELOPPEMENT AFFECTIF : LA THEORIE DE L’ATTACHEMENT

L'affectivité est l'ensemble de réactions psychiques de l'individu qui se manifestent par des
sentiments, des émotions, des tendances, des passions, etc. La notion d'affectivité a été développée par
la psychanalyse en introduisant le concept d'inconscient dès le début du 20ème siècle. Toutefois, cette
théorie a été contestée d’abord parce qu’elle considère que la sexualité constitue le moteur du
développement affectif. Ensuite parce qu’elle s’appuie sur une méthode basée sur l’interprétation
clinique de personnes névrosés. Dans les années 1960 est apparue la théorie de l’attachement et a
donné de nouvelles perspectives à l’étude de l’affectivité.

1- DEFINITION DE L’ATTACHEMENT

On définit l'attachement comme le lien affectif d'une personne avec une autre, ou d'un
animal avec un congénère. Chez l’être humain, l’attachement se produit entre l’enfant et la
personne qui s’occupe souvent de lui. En règle générale, c’est la mère qui procure à son
enfant les soins nécessaires à sa survie. Mais en l’absence de la mère, ce rôle peut être assuré
par une autre personne, et c’est avec celle-ci que l’enfant établirait son attachement.

Freud a construit une théorie selon laquelle le nouveau-né, à partir de la satisfaction de


ses besoins biologiques, fait l'expérience d'une forme d'attachement. Cet attachement est
secondaire, en ce sens qu'il dérive de cette satisfaction biologique et ne constitue pas en soi
un véritable lien affectif. Mais les observations des éthologistes17 sur le comportement des
animaux ont corroboré cette hypothèse. Elles ont porté à penser qu'en ce qui concerne le petit
de notre espèce, la possibilité d'instaurer un rapport privilégié avec la personne s'en occupant
constitue une forme d'attachement primaire (Bowlby, 1969). Ce type d'attachement serait le
prototype de tous les liens affectifs et sociaux postérieurs.

17 L’éthologie est l’étude des comportements des espèces animales dans leur milieu naturel

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Les singes de Harlow


L'éthologue Harlow a démontré combien l'attachement de l'enfant à une personne
s'occupant de lui est davantage déterminé par le contact que par le besoin de nourriture. Dans
l'expérience, de jeunes singes furent séparés de leur mère dès leur naissance. On leur fournit
alors des mères de substitution représentées par deux types d'objets : un cylindre de fil
métallique ou un cylindre semblable recouvert d'une étoffe douce. La nourriture provenait
d'un biberon qui pouvait être placé dans les deux cylindres. Toutes les expériences
démontrèrent que c'était non pas la nourriture, mais le plaisir de contact qui provoquait des
comportements d'attachement. Par exemple, tous les petits passaient la majeure partie de leur
temps agrippés à la mère recouverte d'étoffe, indépendamment du fait d'être nourris ou non.
De plus, en situation de danger ou en présence d'un nouvel objet susceptible de déclencher
une réaction de peur, le jeune singe, élevé avec une mère d'étoffe ne l'allaitant pas, se dirigeait
immédiatement vers elle et s'y agrippait. Ensuite, une fois passé la peur initiale, le jeune
animal était capable de s'éloigner du simulacre et même d'aller explorer l'objet qui auparavant
le faisait peur. Dans cette même situation, un petit allaité par une mère métallique se
comportait de manière tout à fait différente : il ne recherchait pas le contact avec le simulacre
mais demeurait effrayé et incapable d'explorer.

La théorie de l'attachement considère la propension à établir des liens affectifs forts


avec des personnes particulières comme une composante fondamentale de la nature humaine,
existant déjà chez le nouveau-né, et qui se maintient à travers l'âge adulte jusqu'à la vieillesse.
Le comportement d'attachement se manifeste, parfois dans le rôle de celui qui cherche des
soins (careseeking), parfois dans le rôle de celui qui les donne (caregiving).

L'exploration de l'environnement est considérée comme la troisième composante principale du


comportement d'attachement. Lorsqu'un individu (quel que soit son âge) se sent en sécurité, il a
tendance de s'éloigner de sa figure d'attachement.

Quand il se sent alarmé, angoissé, fatigué ou mal à l'aise, il ressent un besoin de proximité.

2- LE DEVELOPPEMENT DE L’ATTACHEMENT

Bowlby étudie le lien qui unit l’enfant à sa mère : il l’appelle l’attachement. Il s’agit
pour lui d’un comportement instinctif présent chez l’individu par empreinte : « phénomène
(observé par Lorenz en éthologie) par lequel, dans les premiers moments de l’existence, le
jeune animal « fixe » d’une manière irréversible l’aspect du premier objet en mouvement qu’il

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

rencontre (en général un des parents ou congénère) et qu’il suivra désormais (réaction de
poursuite).
L’attachement consiste en une interaction – une communication – qui vise à
rapprocher la mère de l’enfant. Elle comporte :
- des signaux pour attirer l’attention de la mère : crier, appeler, sourire, babiller, tendre
les bras ;
- des comportements d’approche : chercher, suivre par le regard ensuite par la
0locomotion, s’agripper, sucer.
Le développement de l’attachement comporte 4 phases :
- Vers 3 mois, les signaux existent mais ne s’adressent pas à une personne
particulière.
- Vers 6 mois, l’attachement est nettement établi, d'après la théorie de Bowlby. Les
signaux sont dirigés vers une ou plusieurs personnes biens particulières que l’enfant
discrimine. grâce à la formation d’une relation objective « a goal corrected partenership » où
la mère devient un objet indépendant, permanent dans le temps et dans l’espace.
- Vers 9 mois, l’attachement s’accentue. L’enfant préfère rester à proximité de la
figure d’attachement. Il préfère sa mère à d’autres personnes pour le calmer. Il explore son
environnement à partir de sa mère et, pour se rassurer, retourne fréquemment auprès d’elle. A
9 mois, l’enfant manifeste une angoisse à la présence d’une personne étrangère.
- Mais à 2-3 ans, il peut s’attacher à une figure secondaire s’il s’agit de quelqu’un de
familier qu’il a connu avec sa mère.
3- LES FONCTIONS DE L’ATTACHEMENT

Pour Bowlby, le comportement d’attachement a plusieurs fonctions


- une première fonction de demande de protection : le contact mère-enfant permet à la mère
de réduire et de contrôler les agressions provenant du milieu extérieur et dont l’enfant peut
être la victime, par exemple, les agressions visuels ou sonores très intenses pour le bébé de
quelques, ou les chutes et les accidents qui peuvent nuire à son intégrité corporelle quand
il accède à l’autonomie motrice.
- Le comportement d’attachement a également une fonction de socialisation dans la mesure
où l’enfant apprend à communiquer avec sa mère de telle façon qu’elle identifie ses
besoins et y réponde. Ce premier système de communication sert de base au
développement des autres systèmes de communication qui évolueront avec l’âge.
- Enfin, l'attachement a pour fonction de base de fournir des certitudes affectives ce qui
favorise l’autonomie et l’adaptation sociale.

65
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Les travaux sur l’absence d’attachement, c.-à-d. les situations de carence affective, sont
déjà anciens. Ils reviennent aux éthologistes sur les primates. Dans l’expérience, Harlow
(1969) a sélectionné un groupe de jeunes singes entretenant des relations normales avec leurs
mères. Il a trouvé que la privation de contact avec les pairs de jeunes singes (des rhésus)
entraine des répercussions sur le comportement social à l’âge adulte. Les singes devenus
adultes affichent de l’immaturité dans leurs jeux, de l’agressivité, des craintes excessives et
coopèrent difficilement avec le groupe.

Mais sur l’être humain, les travaux sur la carence affective reviennent pour l’essentiel à R.
Spitz suite à ses observations sur des enfants placés très tôt dans des instituts en raison d'une
hospitalisation, ou de l'incapacité des parents à assumer leur rôle. Bien que les enfants
reçoivent la nourriture et les soins adéquats, ils manquent considérablement de contact
humain (une nurse pour 12 enfants). R. Spitz (1965) a observé qu’entre 6-8 mois, une
séparation d’avec la mère de 3 mois entraîne une dépression anaclitique18. Au delà d’une
durée de 5 mois, elle provoque l’hospitalisme.

Les enfants atteints de dépression anaclitique restent la plupart du temps couchés dans
leur lit, sur le dos, sans initiative, le visage inexpressif, coordonnant mal leurs mouvements
oculaires. Ils se frappent la tête contre les barreaux, s’arrachent les cheveux, pleurent tout le
temps et refusent tout contact. Dans l’hospitalisme, le quotient de développement diminue : la
marche, l’apprentissage de la propreté, et le langage sont retardés. Ils se nourrissent très mal
et sont particulièrement fragiles sur le plan somatique (tendance à contracter les maladies
intercurrentes).

L’insécurité et les traumatismes que créent les séparations répétées sont responsables
de troubles de comportements, parfois sévères, invoqués notamment dans les antécédents des
délinquances, des toxicomanies ou lors d’évolutions psychiatriques.

4- LES MODELES D’ATTACHEMENT

Il est certain que le nourrisson naît avec le besoin de contact humain et qu'il va former
très vite des liens émotionnels spécifiques avec les adultes qui sont proches et ont le plus
d'échanges avec lui (sa mère, le plus souvent, mais aussi d'autres personnes). On distingue
trois modèles d'attachement :

18 En grec, « anaclitos » signifie : couché.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

• L'attachement sécurisant : l'individu a confiance dans le fait que son parent (ou sa figure
parentale) sera disponible, lui répondra et l'aidera dans le cas où il serait confronté à des
situations adverses ou effrayantes. Avec cette assurance, il se sentira encouragé pour ses
explorations du monde. Ce modèle est favorisé par un parent, au cours des premières années,
notamment par la mère lorsqu'elle est facilement disponible, sensible aux signaux de son
enfant et qu'elle réagit avec amour lorsqu'il cherche protection et réconfort.

• L'attachement angoissé ambivalent : l'enfant n'est pas certain que son parent sera disponible,
lui répondra ou l'aidera, s'il fait appel à lui. Du fait de cette incertitude, il est toujours sujet à
l'angoisse de séparation, tend à s'accrocher, et se montre angoissé pour aller explorer le
monde. Ce modèle est favorisé par un parent qui est disponible et secourable dans certaines
occasions et non dans d'autres.

• L'attachement angoissé évitant : l'individu n'a aucune confiance dans le fait que s'il cherche
des soins, il lui sera répondu de manière utile, mais il s'attend au contraire, à être repoussé. Il
tente de vivre sa vie sans amour ni soutien de la part des autres. Il essaie de se suffire à lui-
même sur le plan affectif. Il est passif, inactif, et/ou très agressif. Ce schème est favorisé par
un parent qui maltraite son enfant de manière exagérée ou le néglige totalement.

Les recherches ont montré que ce qui est décisif pour le mode d’attachement n’est pas
la quantité mais la qualité de l’interaction au cours de la première année de vie. Ainsi, les
enfants des parents qui travaillent peuvent aussi développer des relations d’attachement
sécurisant.

Selon son entourage, l’enfant peut développer différents modèles d’attachements à


différents personnes. Il peut par exemple avoir un attachement sécurisant avec sa mère mais
un attachement angoissé avec son père, et inversement.

Ainsworth et ses coll. (1978)19 ont étudié les différents modèles d’attachement dans une
expérience avec des enfants de 1 ans et 1an et demi. Ils ont observé leurs réactions à des
courtes séparations d’avec la mère (3mn), la manière de se comporter avec une étrangère, et la
manière dont ils accueillent la mère à son retour. Ils ont trouvé trois modèles typiques de
comportements dans ces situations :

19Ainsworth, M. D. S., Blehar, M. C., & Waters, E. (1978). Wall. s.(1978). Patterns of attachment: A
psychological study of the strange situation.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

- Un 1èr groupe d’enfants qui montrent des signes de chagrin lorsque la mère quitte la
pièce. Ils interrompent le jeu et, dans certains cas la recherchent activement. Ils ne se laissent
consoler par l’étrangère, que de mauvaise grâce, mais se laissent parfois persuader de
reprendre leur jeu. Lorsque la mère revient, ils l’accueillent avec joie, recherchent la
proximité et le contact corporel et recommencent à jouer peu de temps après. Ces enfants ont
un attachement sécurisant.

- Un 2ème groupe d’enfants ignore le départ de la mère. Ils poursuivent leur jeu comme
si rien ne s’était passé et ils jouent avec l’étrangère parfois avec plus de vivacité qu’avec la
mère. Le retour de la mère est aussi ignoré. Les enfants évitent le contact avec le regard, ne
l’accueillent pas ou bien seulement vaguement et recherchent à peine sa proximité. Ils
agissent tranquillement, mais les mesures physiologiques montrent qu’ils subissent un fort
stress. Ce sont les enfants ayant un attachement angoissé évitant.

- Le 3ème groupe d’enfants ayant un attachement angoissé ambivalent devient très


inquiet lorsque la mère quitte la pièce. Ils ne se laissent aller qu’à contre cœur et ne se laissent
pas très bien consoler par l’étrangère. Certes, ils accueillent la mère à son retour et
recherchent sa proximité, mais ils montrent en même temps également des signes d’irritation.
Ils se calment à peine, repoussent les jouets, s’agrippent à la mère mais ne sont pas réellement
calmés par le contact et veulent qu’on les lâche le moment d’après. Il règne une humeur de
fond insatisfaite et geignarde (plaintive, pleurnicharde). Chez certains elle est contrariée et
agressive, chez d’autres elle a une forte coloration passive.

D'autres recherches ont montré que les schèmes d'attachement, une fois mis au point,
ont tendance à persister ultérieurement. Ainsi un enfant ayant un attachement sécurisant a plus
d’interaction avec sa mère sur le mode de la coopération , il est plus ouvert aux nouveaux
contacts avec les adultes et les enfants ; il a un comportement social plus adéquat à la
maternelle et à l’école, plus de fantaisie et d’affects positifs dans les jeux libres, des périodes
d’attention plus grande et plus longue ainsi qu’un sentiment plus élevé de confiance en soi. Il
est aussi moins exigeant qu'un enfant angoissé. L'enfant "angoissé ambivalent" a facilement
tendance à pleurnicher et à s'accrocher : il a une faible estime de soi et manque d’initiative. En
revanche, l'enfant "angoissé évitant" préfère la solitude et a tendance à agresser les autres
enfants : il est souvent hostile et antisocial.

5- EFFETS DES CRECHES SUR LE DEVELOPPEMENT DE LA PERSONNALITE.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Actuellement, de nombreuses femmes travaillent à l'extérieur de leur foyer et se


trouvent incapables de s'occuper de leurs enfants. Il est donc pratique courante de placer les
bébés dans les crèches ou garderies. La question qui s'impose est la suivante : un nourrisson
peut-il développer un attachement fort à l'égard de son père ou de sa mère s'il est
continuellement séparé d'eux ?

Il existe actuellement un large consensus entre les chercheurs pour considérer que le
fait de placer un enfant en garderie après l'âge de 18 mois n'influe pas sur la qualité de
l'attachement à ses parents. Le désaccord concerne les enfants qui sont placés en crèche avant
l’âge de 18 mois. Alors que pour certains chercheurs il n'y a pas d'effet apparent, d'autres
chercheurs ont trouvé un effet néfaste : les enfants placés en crçche avant l'âge d'un an
couraient un risque d'être faiblement attaché. Mais dans une étude récente (Clarke-Stewart,
1990), il a été démonté que 36% des enfants qui passent plus de 20 heures par semaine en
garderie sont faiblement attachés, comparativement aux enfants qui restent à la maison ou qui
passent moins de 20 heures par semaine en crèche. Par ailleurs, d'autres chercheurs pensent
que la qualité de l'attachement dépend étroitement de la qualité des services offerts par la
crèches : meilleur est le service, meilleur sera le développement affectif de l'enfant.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Pour aller plus loin…

Bowlby, J. (1975). Attachement et perte : Séparation, colère et angoisse, Paris : PUF.

Bowlby J. (2014). Amour et rupture : Les destins du lien affectif (Trad., The making and
breaking of affectional bonds, 1979). Paris, Albin Michel.

Glasser, D. & Prior, V. (2010). Comprendre l’attachement et les troubles d’attachement.


Paris : De Boeck Université

Guédeney, N. & Guédeney A. (2010) L’Attachement : approche théorique. Du bébé à la


personne âgée, Paris : Masson,

Mitjkovitch, R. (2001). L'attachement au cours de la vie, Paris, Presses universitaires de


France, 2001

Pierrehumbert B. (2003). Le premier lien. Théorie de l’attachement. Paris : Odile Jacob.

70
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Chapitre V.

LE DEVELOPPEMENT SOCIAL

Grâce aux techniques modernes d'observation, on considère actuellement qu'il existe


des prédispositions chez l'Homme à reconnaître et à développer des relations avec les autres
individus de son espèce. Par exemple, on a remarqué1 que quelques minutes après sa
naissance, le nouveau-né préfère fixer une image reproduisant fidèlement les caractéristiques
du visage humain plutôt que les images qui s'en éloignent en raison du manque ou du mélange
des éléments. On pourrait donc affirmer que dès sa naissance, l'enfant est socialement
compétent.

Le développement social implique l’ensemble des interactions sociales de l’enfant


avec d’autres personnes membres de la société. Ces interactions peuvent conduire à la
socialisation de l’enfant. La socialisation est le processus d'apprentissage des comportements
socialement acceptables et des comportements répréhensibles ou interdits. Elle recouvre aussi
la compréhension des concepts de la morale sociale. Le but de la socialisation est de rendre
l’enfant conforme aux prototypes du groupe (famille, école, association) à la fois dans ses
comportements et dans ses croyances. La sociabilité est la tendance à rechercher la
compagnie de ses semblables. C’est l’attirance éprouvée par une personne envers les autres.
C’est la capacité de s’orienter vers d’autres êtres humains, d’entrer en contact avec eux. La
socialité est l’instinct social.

Généralement, les premières relations de l’enfant commencent d’abord au sein de la


famille et se poursuivent ensuite avec les pairs.

1. LE DEVELOPPEMENT SOCIAL : LE ROLE DE LA FAMILLE

La famille constitue le groupe de personnes le plus proche de l’individu et, par


conséquent, a le plus d'impact sur le processus de socialisation. De nombreuses influences de
la famille seront à la base de la formation de sa personnalité et de son identité. La famille
impose à l'enfant sa langue, sa culture, sa race, sa religion et sa classe sociale. L’échec de la
famille à se présenter comme source primordiale d’influence dans la vie de l’enfant peut
conduire celui-ci à des comportements déviants plus tard. En outre, la personnalité des parents

1 Goren, Starty & Wu (1975).

71
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

qui entourent l’enfant au cours de la socialisation ainsi que leurs comportements envers les
autres affecteront le processus de socialisation de l’enfant.

1.1. DEFINITION DE LA FAMILLE

Dans une optique sociologique : la famille est un groupe domestique, c.-à-d. un


ensemble de personnes qui partagent le même espace de vie. Il est aussi possible d’employer
le concept de ménage pour décrire l’entité sociale composée d’un couple unie par alliance
avec ces enfants éventuels. Ainsi, un groupe domestique peut réunir plusieurs ménages d’une
même génération ou de générations différentes comme dans la famille élargie où cohabitent
grands-parents, parents et enfants.

Selon l’anthropologue Claude Levi-Strauss, une famille est une communauté


d’individus réunis par des liens de parenté existant dans toutes les sociétés humaine. Elle est
dotée d'un nom, d’un domicile, et crée entre ses membres une obligation de solidarité
matérielle, censée les protéger et favoriser leur développement social, physique et affectif.

 La famille nucléaire : C'est la famille réduite à un seul degré de parenté ou d’alliance.


Elle est composée par le couple (époux et/ou épouse(s) et les enfants (fils et/ou fille)

 La famille élargie : ou on trouve plusieurs degrés de parenté tels les ascendants (grand-père
et/ou grand père) et les alliés ascendants (beau(x)-père(s) et/ou belle(s)-mère(s), grand-
oncle(s) et/ou grand-tante(s), cousin(e), etc.
Au-delà du concept de famille, la notion importante de parenté particularise les liens
sociaux entretenus entre personnes de même sang, ou réunies par alliance ou par adoption.
Mère, père, sœur, frère, tante oncle cousine belle-mère, beau-père sont autant de référents
sociaux basés sur les liens de parenté. Si l’on valorise la famille nombreuse offrant à l’enfant
des contacts soutenus avec ses parents et grands-parents qui assurent la continuité dans les
valeurs sociales ; alors la famille contemporaine est décevante, elle, qui rétrécie, ne compte
plus que quelques membres avec des parents qui travaillent à l’extérieur du foyer et confient
leurs enfants à des étrangers, en garderie.

En revanche, si l’on estime que la famille contemporaine est plus souple et plus généreuse
moins autocratique, moins contraignante que l’autre, dite « traditionnelle », et qu’elle sert
mieux l’épanouissement des personnes alors ne regrettons pas l’époque de nos grands-parents.
Mais ce débat intéressant ne peut retenir notre attentions, et la définition de la famille que
nous adapterons est directement centrée sur notre premier sujet d’intér^t : l’enfant.

72
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

La relation fonctionnelle entre un parent et un enfant constitue le fondement de la famille.


Pour nous une famille est une unité durable de vie, comportant au moins un parent (ou son
substitut) et au moins un enfant. La famille peut compter deux parents, comme c’est le cas
pour la famille dite « nucléaire », mais dès qu’il existe une relation fonctionnelle durable entre
un adulte agissant comme parent et un enfant, nous parlons d’une famille. Mais la relation
entre un homme et une femme sans enfant définit un couple et non pas une famille.

1.2. Les fonctions de la famille auprès de l’enfant

« Pour le meilleur et pour le pire, chacun de nous transporte en soi sa famille originelle, en
tant qu’ingrédient, en tant que constituant de son organisation comportemental, tantôt au
contraire une force et une richesse » (Osterrieth, 1970, p. 152)20.

La famille exerce des fonctions bio-psycho-sociales auprès de l’enfant, c.-à-d. qu’elle


exerce sur lui une influence biologique psychologique et sociale, ces zones d’influence
pouvant aussi interagir entre elles.

Sur le plan biologique, la famille engendre l’enfant, elle détermine ses caractéristiques
physiques (apparence et physiologie) et assure la satisfaction de ses besoins vitaux ou
fondamentaux : nourriture, hygiène et protection (vêtements, habitation, sécurité, etc.).

Le plus souvent, la famille met en présence une femme, un homme et un enfant. Le


lien entre la femme et l’homme est un caractère social fondé sur une alliance plus ou moins
claire, plus ou moins durable, tandis que le lien qui unit chacun des géniteurs à l’enfant en est
un d’engendrement, de transmission génétique qui définit l’enfant physique. Ce lien du
géniteur avec son enfant est permanent (on est parent pour la vie).

Sur le plan psychologique, la famille représente le principal contexte affectif et


cognitif de développement pour l’enfant. En tant que milieu de vie, elle offre à l’intelligence
du jeune des stimulations qui influent directement sur son éveil cognitif. C’est aussi dans la
famille que se créent les premiers liens d’attachement, les premières relations émotionnelles,
celles qui servent de prototypes à toutes celles qui vont suivre. Les caractéristiques de la
composition familiale (le nombre de membres, leur âge, leur sexe, etc.), les attitudes et les
valeurs humaines, les règles morales, sont d’autres exemples de dimensions psychologiques
sous l’influence de la famille.

20 Osterrieth, P. (1970). Les milieux. Traité de psychologie de l'enfant, Paris, PUF.


73
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Socialement enfin, la famille est un système en évolution qui repose sur la dynamique
des relations conjugale, parentale, fraternelle, qu’il renferme. Chacune de ces relations influe
sur les autres : le climat qui prévaut entre les conjoints (relations conjugales) influent sur les
rapports entre les parents et les enfants (relations parentale), les interactions entre les enfants
sont aussi modulées par celles qui existent avec et entre les parents. Selon sa structure
familiale, la qualité de ces liens et de ces rôles, les modèles sociaux qu’elle présente à
l’enfant, son réseau de relations extérieur, chaque famille au jeune un environnement unique.
Les ressources économiques dont elle dispose pour supporter le développement du jeune
peuvent influer sur la future position sociale de ce dernier. La famille conditionne directement
l’inscription sociale de l’enfant. En effet, les ressources humaines et matérielles de soutien
que la famille met à la disposition de l’enfant, notamment en matière de scolarité et de
patrimoine hérité conditionnenet sont statut socio-économique ultérieur. Fournir des modèles
sociaux, inscrire l’enfant dans un réseau de relationbs sociales, soutenir matériellement son
développement social (école, amis, loisirs, etc.) figurent donc parmi les fonctions sociales que
la famille assure auprès de l’enfant.

1.3. LES RESSOURCES FAMILIALES ET LA SOCIALISATION DE L’ENFANT

On peut distinguer trois catégories de ressources familiales :

 Le niveau socioéconomique des parents :


 La richesse éducative de l’environnement familial offert à l’enfant
 Les compétences parentales
1.3.1. Le niveau socio-économique :

Les enfants issus de familles défavorisés affichent généralement :

- une faible estime de soi


- un rendement intellectuel inférieur
- des rapports conflictuels avec leurs parents
- des compétences sociales moindres
- de la délinquance : ils courent deux fois plus de risques de présenter des troubles de
comportement délinquants
- des problèmes émotionnels
- un manque de persévérance dans la poursuite d’objectifs scolaires (décrochage) et
professionnels.

74
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Sur le plan des pratiques éducatives, les parents dans les familles défavorisés ont tendance
à être plus autoritaires et coercitifs avec leurs enfants. Les mères exercent plus de contrôle,
sont plus restrictives et souvent portées à blâmer leurs enfants. Elles leurs parlent moins et
s’intéressent moins à leurs productions verbales. Ces derniers ont d’ailleurs une production
langagière moins importante, comparativement à ce que l’on observe dans les familles à
niveau socio-économique élevé.

1.3.2. La richesse éducative de l’environnement familial

Cinq variables familiales jouent un rôle significatif dans la qualité environnementale


offerte à l’enfant :

- le climat émotionnel dans la famille (notamment le niveau de conflit)


- la qualité de la communication entre les membres
- la disponibilité de l’adulte auprès de l’enfant pour favoriser la réussite de ses
apprentissages
- la qualité de l’organisation pratique c.-à-d. le fonctionnement pratique bien structuré
dans l’espace et dans le temps permettant à l’enfant de prévoir ce qui lui arrive
- des expériences de vie riches et variées donnant à l’enfant l’occasion d’explorer ses
mondes physiques, psychologiques et sociales dans la mesure de ses capacités.

1.3.3. Les compétences parentales et l’éducation de l’enfant

Les parents constituent des modèles puissants pour leur progéniture qui les observe et
s’identifie à eux. Les parents possèdent leur théorie de la réussite, c.-à-d. que,
consciemment ou inconsciemment, ils se comportent selon certains valeurs, soutiennent
certains projets et en ignorent d’autres chez leurs enfants.

Depuis longtemps, les psychologues qui s'intéressent aux relations entre parents et
enfants ont identifié divers modèles parentaux. Diana Baumrind21 a classé les modèles
éducatifs des parents et a étudié les effets de chacun de ces modèles sur le développement
ultérieur de l’enfant.

1.4. Les modèles parentaux :

21 Baurmind, D. (1991) Parenting style and adolescent developpment. In R. Lerner, A. Petersen & J. Brooks-
Gunn (Eds). The encyclopedia on Adolescence. New York : Garland.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

On distingue quatre catégories de modèles parentaux :

 Autoritaire : les parents autoritaires mettent fortement l'accent sur le contrôle en


exprimant peu d'attachement. Chez les parents autoritaires, la discipline est rigide, la
supervision constante, et il n'y a pas place à la négociation. Ils tentent de modeler, de
contrôler, et d'évaluer le comportement et les attitudes de l'enfant conformément à une
norme de conduite - habituellement une norme absolue -, théologiquement motivée et
formulée par une autorité supérieure. Il considère l'obéissance comme une vertu ; il
favorise les punitions et les mesures énergiques pour freiner le libre arbitre, les actions ou
les croyances de l'enfant en conflit avec ce qui n'est pas la norme de conduite. Ils croient
qu'en maintenant l'enfant à sa place, en limitant son autonomie, et en lui attribuant des
responsabilités domestiques il lui inculquera la notion et le respect du travail. Ils
considèrent la préservation de l'ordre et de la structure traditionnelle comme une fin en
soi. Ils ne favorisent pas l'échange verbal, en estimant que l'enfant doit accepter sa parole
pour ce qui est juste.

 Démocratique : Dans ce modèle, l'exercice de l'autorité est assurée de façon ferme mais
dans un climat de chaleur et d'affection. L'autorité des parents tente de diriger les activités
de l'enfant, mais d'une façon rationnelle, axée sur la méthode. Il encourage l'échange
verbal, explique à l'enfant le raisonnement qui sous-entend ses règles et ses valeurs.
Lorsque l'enfant refuse de se conformer à ses exigences, il lui demande d'en expliquer les
raisons. L'autodiscipline et la volonté de conformité aux règles sont évaluées. Par
conséquent, elle exerce un contrôle ferme sur les points de divergence parent-enfant, sans
se limiter à l'emploi de contraintes (punitions). Il applique son propre point de vue comme
un adulte, mais il reconnaît les intérêts individuels et les buts de l'enfant. L'autorité
parentale affirme les qualités de l'enfant, mais établit aussi les normes de conduite future.
Elle se sert de la raison, du pouvoir, et de l'élaboration puis du renforcement de règles de
conduites pour atteindre ses objectifs, et ne fonde pas ses décisions sur le consensus ou les
désirs de l'enfant. Cette autorité parentale ne se considère pas elle-même comme
infaillible, ou d'inspiration divine.

 Permissif : les parents permissifs sont fortement attachés à leurs enfants, mais exercent
peu de contrôle. Ils évitent les sources de confrontation pénibles et laissent place à la
négociation. Ils se comportent avec indulgence et laxisme, cédant facilement aux caprices
et acceptant les mouvements d'humeur de l'enfant. Ils consultent l'enfant pour définir la
politique familiale et explique ses règles familiales. Ils insistent peu pour que l'enfant soit
propre, ordonné et obéissant. Ils se présentent à l'enfant comme une ressource que l'enfant
peut utiliser comme il le veut, mais pas comme un idéal à imiter, ni comme une personne
responsable construisant le comportement et la future personnalité de l'enfant. Ils

76
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

permettent à l'enfant à réguler ses propres activités, mais sans exercer de contrôle, ils ne
l'encouragent pas à obéir en dehors des normes définies. Ils tentent d'utiliser la raison et la
manipulation, mais pas ouvertement le pouvoir pour l'accomplissement de sa fin.
 Désengagé : style d’éducation décrit par Maccoby et Martin en 1983, caractérisé par
l’indifférence et par l’absence de soutien adéquat pour l’enfant. Cette indifférence peut
être due à la carrière, la drogue, ou le narcissisme.
1.3.3.2. Les effets du modèle sur le développement ultérieur de la personnalité de l’enfant
Les recherches ont pu démonter que lorsqu’ils atteignent l’âge de l’adolescence, les
enfants qui ont vécu dans le modèle démocratique :

- sont dynamiques, vifs et disposés ;


- jouissent d'une meilleure estime de soi ;
- contrôlent mieux leurs émotions ;
- sont plus indépendants tout en étant susceptibles de se soumettre aux demandes de
leurs parents ;
- sont sociables et adoptent des comportements altruistes ;
- possèdent une capacité d'empathie développée ;
- ont confiance en eux ;
- visent l'excellence à l'école, où ils obtiennent les meilleurs résultats.

Ceux qui ont vécu dans le modèle permissif :

- réussissent moins bien à l'école ;


- sont plus agressifs et manquent de maturité dans leurs comportements avec les
pairs à l'école ;
- manifestent fréquemment des comportements antisociaux : irrespect d'autrui et des
règles de sociétés, violence et délinquance ;
- persistent faiblement lors de tâches difficiles (refus de l'effort et de la contrainte) ;
- ne parviennent pas à réguler leurs émotions (égoïsme, culte de soi, intérêt
personnel surdéveloppé) ;
- assument moins la responsabilité et sont moins indépendants.

Ceux qui ont vécu dans le modèle autoritaire :

- sont très dépendants et manquent d’initiative ;


- sont anxieux, réservés, peu spontanés ;
- réagissent mal à la frustration ;
- obtiennent de moins bons résultats à l'école et affichent un concept de soi plus
négatif ;

77
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

- mais sont peu susceptibles de se livrer à des activités antisociales (toxicomanie,


alcoolisme, vandalisme, délinquance) et le taux d'actes délinquants est bas.

Le modèle négligeant est le plus pénalisant car les adolescents présentent ;

- des comportements antisociaux fréquents : irrespect d'autrui et des règles de


sociétés, violence et délinquance
- des troubles de personnalité telle que la psychopathie.

78
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

2. LES RELATIONS AVEC LES PAIRS

Si la famille joue un rôle prépondérant dans la socialisation de l’enfant, elle n’en n’est pas
le seul agent. Les pairs peuvent constituer une source importante d’influence sociale. Le
groupe de pairs peut être défini comme le groupe de personnes qui sont semblables dans l'âge
et la classe sociale. Les pairs sont les amis, les groupes spontanés ainsi que les groupes
scolaires. En se joignant aux groupes de pairs, les enfants commencent à se détacher de
l'autorité que leur a imposée la famille et commencent à faire leurs propres choix. Les pairs
jouent un rôle important sur le processus primaire de socialisation, car ils ont une influence
sur la pensée et les comportements de l’individu.

2.1. LES FONCTIONS SOCIALES DES PAIRS

D’un point de vue éthologique, les chercheurs considèrent que les interactions de l’enfant avec les
pairs constituent des schèmes de nature biologique qu’on retrouve chez les animaux. Ils soutiennent
que de tels schèmes se perpétuent chez l’espèce humaine en raison de leur utilité pour la survie de
l’espèce et de leur efficacité en tant qu’outils d’adaptation sociale à l’âge adulte.

En psychologie, les chercheurs admettent que les rapports avec les pairs permettent à
l’enfant d’explorer diverses réalités sociales, d’acquérir des concepts utiles à sa
compréhension du monde social complexe auquel il aura à s’adapter. A travers ces
interactions, l’enfant apprend différentes facettes des rapports humains qui contribuent à son
adaptation sociale ultérieure.

Les chercheurs ont identifié trois mécanismes sous-jacents à l’influence des pairs :

2.1.1. Une source de récompense et de punition :

Dés l’âge préscolaire, les enfants tendent à répéter les comportements approuvés par
leurs pairs et à inhiber ceux qui sont désapprouvés. Un enfant qui n’agira pas ainsi connaitra
assez rapidement des problèmes d’acceptation sociale.

2.1.2. La modélisation :

Les pairs servent de modèles, car l’observation des autres permet aux enfants
d’acquérir plusieurs comportements nouveaux. De plus, les enfants observent aussi les
contextes dans lesquels les pairs manifestent leurs comportements et les conséquences qui en
résultent. Il semble que les modèles les plus puissants soient les pairs que l’enfant perçoit
comme semblables à lui, donc relativement de même sexe et de même âge, et des pairs qui

79
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

sont plutôt dominants dans le groupe que de faible statut social. L’imitation entre les pairs
remplie plusieurs fonctions :

- elle permet d’apprendre, de réaliser et de maîtriser de nouveaux gestes ;

- elle permet d’expérimenter des modes de communication, d’appeler l’autre pour


entrer en relation avec lui ou encore tout simplement pour lui manifester sa sympathie ;

- l’imitation des caractéristiques et des traits de l’autre est une façon de « faire
comme » l’autre afin de mieux se séparer de lui, pour s’affirmer soi-même. L’enfant se
confirme en se différenciant de l’autre.

2.1.3. Un processus actif de comparaison.

Les pairs constituent des points de référence déterminant pour l’enfant. Pour une
bonne part celui-ci élabore son image de lui-même en se comparant aux autres. En comparant
ce qu’il réussit avec ce que les autres réussissent, et ils se créent une représentation de ses
capacités. Ce processus d’auto-évaluations » élaborera tout au cours de l’enfance pour devenir
un outil puissant de compréhension social.

2.2. L’EVOLUTION DES RELATION AVEC LES PAIRS

2.2.1. Pendant la première enfance (de 0 à 3 ans)


Avant trois mois, le bien-être digestif et postural constitue le seul souci de l’enfant : il
est complètement absorbé par lui-même.
A trois mois, l'enfant considère encore les petits enfants de son âge comme des objets
intéressants à regarder et à toucher. S’il montre encore une sorte d’indifférence en présence de
ses petits voisins, il y a pourtant une osmose (influence réciproque) : le cri entraîne le cri, les
pleurs entraînent les pleurs, le sourire entraîne le sourire.

A partir du 6ème mois, apparaissent les premiers comportements sociaux. Chaque bébé
cherche à faire la connaissance avec ses petits voisins : placés ensemble, les enfants se
recherchent, s’étreignent, s’accrochent, sans paraître d’abord s’en rendre compte. On a
observé que les bébés échangent des signaux sociaux tels que les vocalisations à tour de rôle.
Mais les séquences sont très courtes puisqu'un bébé émet un son, l'autre y répond puis cela
s'arrète.

80
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Vers 8-9 mois, l'apprentissage de la marche facilite la découverte de l’autre : les


enfants commencent à s’observer, se toucher, se sourire, s’imiter, se tendre des objets et se
livrer à toutes sortes de manœuvre d’approche. Le jeu à deux consiste à cet âge en
manifestations affectueuses ou agressives : se caresser, s’embrasser, se mordre, se tirer les
cheveux, etc.

Vers 9 mois, apparaît la jalousie : l’enfant crie, pleure… quand une grande personne
s’occupe d’un autre enfant. Les premiers conflits au sujet d’objets naissent au cours de cette
période.

Vers 1 an, les enfants peuvent se mimer l'un l'autre, agir à tour de rôle sur un jouet,
synchroniser des mouvements, jouer à se poursuivre, etc.

A 18 mois, l’enfant ne pleure pas avec l’autre mais essaie de le consoler : il éprouve de
la compassion, le désir d’aider et de soulager. La sympathie devient possible, l’enfant faisant
la différence entre soi et autrui.

A 2 ans, les enfants apprennent à changer de rôle, par exemple l'un pourra jouer à
poursuivre l'autre puis changer pour être poursuivi à son tour. Lorsqu'ils sont accompagnés de
leurs mères, les bébés affichent une préférence pour l'interaction avec leurs pairs plutôt
qu'avec leurs mères. Cependant, ces deux types d'interaction se distinguent entre elles : les
bébés interagissent surtout par le regard et les vocalisations avec un pair et davantage par le
toucher avec leur mère.

Les observations des comportements des enfants de moins de 3 ans gardés dans les
crèches ont démontré l’existence de règles hiérarchiques lors des interactions entre les pairs.
On trouve des enfants dominants par rapport à d’autres et les affrontements sont moins
fréquents lorsque la hiérarchie est connue par tous. Quand chacun connait sa place dans la
hiérarchie et qu’un conflit survient, l’enfant qui occupe un rang plus élevé dans la hiérarchie
peut signifier à l’autre, verbalement ou par des expressions faciales qui serait le vainqueur en
cas de bagarre. L’autre enfant le reconnaitra vraisemblablement et agira de façon à éviter que
le conflit dégénère en une bagarre fâcheuse.

2.2.2. La période préscolaire (de 3 à 6 ans)

Dans le courant de la troisième année, l’enfant passe par un stade de personnalisme


(H. Wallon) ; il se détache progressivement de l’état de symbiose dans lequel il vivait avec sa

81
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

mère. C’est l’âge d’une ambivalence qui s’exprime par des manifestations d’opposition
systématique alternant avec des manifestations d’attachement passionné. Par cette attitude,
l’enfant exprime la conquête de son autonomie en s’affirmant en face du monde environnant.

Entre 3 et 5 ans, l'enfant devient capable de faire l'expérience d'un rapport continu et
intense avec un ou plusieurs autres enfants. Cette expérience sociale peut avoir lieu à la rue, à
la maison, avec ses frères, sœurs et cousins, ou en Jardin d'Enfants. Une fois entré dans le
groupe, l'enfant doit trouver sa place en apprenant non seulement à collaborer ou à se
défendre, mais aussi à s'exprimer à travers différentes activités parmi lesquelles le jeu est la
plus adaptée de ses émotions et à l'organisation de ses connaissances.

A cette période, l’enfant désire être avec les autres, il s’intéresse à ce que font les
autres, mais son comportement est encore présocial. Il y a à cet âge besoin de compagnie
mais l’égocentrisme et l’instabilité de caractère constituent encore des entraves au
développement de la coopération. Les enfants d’âge préscolaire choisissent des amitiés
accessibles pour partager leur jeu. Centrées sur le jeu satisfaisant, ces amitiés pourront se
transférer assez facilement à un autre pair capable d’assumer le rôle de partenaire de jeu avec
succès ; c’est l’activité qui prime.

Les rapprochements entre les pairs naissent d’abord dans le conflit. La première prise
de contact consiste en bataille qui cessent aussi brusquement qu’elles ont commencé : les
enfants se poussent, se tirent, se bousculent, puis esquissent des tentatives de relations
pacifiques. Le tests sociométriques22 révèlent :

- des choix hétérosexuels fréquents (jusqu’à 6-8 ans) ;

- des structures simples (couples où un enfant en choisit un autre) ;

- des choix réciproques rares ;

- des cas isolés fréquents (enfants qui préfèrent des activités solitaires)

Les motivations sont égocentriques (un enfant choisit un autre parce qu’il répond à ces
propres besoins) et ont un caractère esthétique (un enfant en choisit un autre parce qu’il est
beau).

22 Sociométrie : méthode de repérage et de mesure des statuts et des rapports affectifs au sein d’un groupe
restreint, à des fins d’investigation ou d’intervention. Par ex., on demande à un enfant de classer des
photographies des enfants de sa classe selon l’amitié partagée.

82
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Les conduites d’imitation sont très fréquentes à cette période et jouent un rôle très
important dans le développement de la personnalité de l’enfant. Si les enfants imitent autant
les adultes que leurs pairs, ce n’est pas pour les mêmes comportements-cibles : les adultes
sont imités pour les conduites liées à la discipline alors que ce sont les jeux des autres enfants
qui intéressent les jeunes imitateurs, en particulier, les jeux de fiction.

Dans la description des interactions entre les pairs, certains chercheurs (ont distingué
deux types de comportements : affiliatifs23 et « agonistiques24 ». Les comportements
affiliatifs se répartissent en trois catégories :

 des comportements d’attachement secondaire : approcher, rechercher le contact, faire


signe par le sourire ou par une activité motrice afin de détourner l’attention du
partenaire, lui offrir un objet ;
 des comportements d’attention sociale : fixation du regard sur le visage du partenaire ;
 les verbalisations.
Quel que soit leur âge, les enfants présentent davantage de comportements de type
affiliatifs que d’attitudes conflictuelles. Les comportements de type affiliatif augmentent
progressivement avec l’âge mais avec des tonalités différentes. Ainsi, les comportements
d’attachement secondaire sont stables dans le temps. Les comportements d’attention sociale
apparaissent au cours de la deuxième année et diminuent peu à peu avec l’âge. Enfin, les
verbalisations peu présentes à l’âge 2 ans vont s’enrichir considérablement les relations
sociales des enfants de 5 ans.

Les comportements de type agonistiques sont des comportements qui comportent des
gestes agressifs ou conflictuelles tels que les accrochages ou les menaces. Strayer et al. (1983)
ont étudié la structure des relations agonistiques dans des groupes d’enfants à l’âge
préscolaire. Ils ont montré l’existence d’une « asymétrie dyadique », c.-à-d. des relations entre
des couples d’enfants qui ne sont pas d’égal à égal, mais de dominance. Un enfant dominant
est celui qui est capable de restreindre l’activité d’un de ses pairs. En outre, si un enfant A
domine un enfant B qui domine lui-même un enfant C, l’enfant A domine l’enfant C. Un
niveau « transitif linéaire » est ici désigné. Ainsi les conduites agonistiques s’organisent de
façon à mettre en pace une structure hiérarchique. Celle-ci étant au fil du développement de

23 S’affilier : entrer comme membre dans un groupe.


24 Agonistique : du grec agônistikos. Qui concerne la lutte.

83
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

plus en plus stable. Elle permet la résolution plus rapide des conflits d’où, d’après les
chercheurs, la diminution des conflits constatée au fur et à mesure que l’enfant grandit.

A l'âge préscolaire, les enfants affichent des différences individuelles dans les styles
d'interaction sociale, Certains sont plus présents dans le groupe que d'autres qui semblent
préférer les activités solitaires.

2.2.3. La période scolaire (6-12 ans)

Pendant cette période, l’enfant n'est plus seulement influencé par les parents, mais
également par les enseignants et les camarades de classe, qui deviennent eux aussi acteurs à
part entière du cycle d'acquisition.

A l’école primaire, les groupes de pairs constituent un lieu d’interaction permettant


l’apprentissage des relations interpersonnelles et l’adaptation à l’environnement culturel et
social. L’enfant découvre graduellement les normes qui régissent le groupe. La pression
sociale, la compétition, la popularité et le rejet social, l’altruisme, etc. sont autant de réalités
auxquelles il apprendra graduellement à s’adapter.

Entre 6 et 11-12 ans, apparaît un souci plus marqué de se faire accepter de l’autre en
tant que personne et de respecter les normes du groupe, d’éviter de provoquer le rejet des
autres. La cognition sociale devient donc beaucoup plus présente dans le processus de
sélection des personnes et des comportements.

Au cours de cette période, les commentaires négatives sur les autres font leur
apparition et deviennent parfois l’objet d’une activité solidaire entre amis à l’égard d’autres
pairs. Les jeunes se disent ou s’écrivent des remarques dévalorisant envers d’autres pairs de
leur entourage. Ce type d’activité servirait à établir des normes de conduite dans le groupe ou
encore à canaliser des sentiments agressifs à l’égard de certains pairs afin de nouer des liens
de solidarité entre ce qui les partagent.

A cette période, l’image que l’enfant se fait de lui-même sera fortement influencée par
la façon dont il est perçu par ses pairs. Un processus constant de comparaison de soi avec les
autres contribuera à façonner une image de soi de plus en plus différencié. L’enfant se rend
compte que certains sont plus forts en mathématiques, d’autres plus faibles en français,
d’autres plus forts en sport, ou issus d’une famille plus pauvre. A cette époque, l’enfant
réussit à différencier les caractéristiques personnelles de ses pairs, et il prend conscience que

84
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

des règles différentes régissent les divers contextes sociaux (classe, rue, famille, groupe de jeu
spontané, etc.).

Les tests sociométriques sur des enfants de 6 à 12 ans révèlent:

 La diminution des choix hétérosexuels avec l’âge.


 L’augmentation du nombre des pairs avec l’âge : les filles présentent davantage de
pairs que les garçons.
 La disparition quasi-totale des cas d’isolement.
 La complexification des structures : formation des petits clans (la clique)25 et des
bandes26.
 La différenciation des structures entre les deux sexes : chez les filles, il y a absence
d’unité, tendance à la décentralisation, au fractionnement et à l’individualisme (les
petits clans se font et se défont très vite). Chez les garçons, il y a cohésion, unité,
esprit d’équipe, centralisation autour d’une ou de plusieurs meneurs de jeux ou des
stars (ce ne sont pas des leaders, mais les individus qui incarnent le mieux les valeurs
et qui s’adaptent le mieux aux normes du groupe). Dans les classes de garçons, le
nombre de groupe de jeu est plus important que le nombre de groupe de travail ; c’est
l’inverse dans les classes de filles.

2.3. L’AMITIE

On peut définir l’amitié à cet âge comme « une relation affective positive réciproque et
choisie qui lie durablement deux individus ». Parmi les méthodes qui nous permettent de
détecter les couples d’amis, on peut utiliser l’observation directe des comportements. Le
nombre important d’échange caractérise d’abord le couple d’amis par rapport aux non-amis :
c’est entre amis que l’on interagit davantage au niveau affectif (rires, sourire) et au niveau
verbal. La durée moyenne des regards échangés est également plus longue.

Tout au cours de l’enfance, il semble que la familiarité, c.-à-d. que le fait de se


connaitre et de se partager des expériences, constitue une base importante à l’établissement
des relations d’amitié. Plusieurs chercheurs ont montré que dans des conditions comparables,

25 La clique est un groupe de 5 à 6 enafnts de même sexe qui émanent d’un grand groupe instituitionnel (école,
association sportive).
26 Une bande est un groupe qui s’est formé spontanément sur la base de la confiance réciproque. Contrairement à
la clique, la bande est un grand groupe mixte dans lequel des relations de couples peuvent être observées.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

les échanges réciproques, le jeu spontané, la coopération dans la résolution de problèmes sont
autant de comportements qui apparaissent beaucoup plus fréquemment entre des enfants qui
se connaissent qu’entre les pairs qui ne se connaissent pas. Les enfants qui se connaissent déjà
ajusteraient plus facilement leur interaction à leur spécificités mutuelles serait plus confiants
dans leurs explorations sociale (moins timides ou maladroit).

Les chercheurs ont trouvé que les enfants entrant en 1ère année de primaire en même
temps qu’un groupe de pairs qu’ils ont bien connus en Jardin d’Enfants aiment mieux l’école
et se comportent avec moins d’anxiété que leurs pairs qui ne connaissent pas beaucoup
d’élèves. L’acceptation par les pairs et la popularité constituent certainement des déterminants
importants dans l’établissement de liens d’amitié.

Mais la relation qui caractérise le lien privilégié entre deux enfants ne s’établit pas de
la même façon et ne correspond pas aux mêmes attentes selon l’âge :

- Avant 6 ans, l’amitié est liée à la quantité des échanges. L’enfant attend de l’ami
qu’il interagisse, même de façon négative, excepté par des agressions. Les couples d’amis
veillent à établir une communication efficace, c.-à-d. qu’ils répondent aux initiatives sociales
de leurs partenaires.

Vers 6 ans, l’amitié est déterminée par des relations de dominance. Le dominant étant
le leader. Des questionnaires et des entretiens ont mis en évidence que les intérêts des amis
sont très proches, de même que la perception de leur ressemblance. Les couples d’amis
partagent également des attentes en termes d’activités communes. L’amitié est souvent
dominée par un esprit prophylactique : l’ami est celui qui me rends des services et qui répond
à mes besoins.

- Vers 8-9 ans, l’amitié est déterminée par des relations égalitaires et loyales. L’amitié
prend un sens à deux voies : comme mon ami m’a rendu un service, je dois en contre partie
lui rendre également un service. Les couples d’amis comportent des enfants qui commencent
à avoir une conscience réciproque de la relation entre eux, de même que leurs possibles
différences. Mais jusqu’à cet âge, les amitiés se nouent et se dénouent très rapidement.
L’amitié n’est pas encore perçue comme une relation stable qui nécessite la confiance
mutuelle et qui inspire de la sécurité.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Pour aller plus loin...

Beaudichon, J. (1982). La communication sociale chez l'enfant. Paris : PUF.

Bee, H. (1997). Psychologie de développement : les âges de la vie. Paris : De Boeck.

Cloutier, R., Gosselin, P. & Tap, P. (2005). Psychologie de l’enfant. 2ème édition. Montréal :
Gaëtan Morin.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Chapitre VI-

LE DEVELOPPEMENT MORAL

La morale désigne l'ensemble des règles ou préceptes, obligations ou interdiction


relatifs à la conformation de la conduite humaine aux mœurs et aux usages d'une société
donnée. Ces règles reposent sur la distinction entre des valeurs fondamentales : le juste et
l’injuste, ou plus simplement le bien et le mal. La morale vise d'une part à la conservation des
formes collectives d'organisation sociale, de la société, de l’intérêt général, d'autre part à
l'agrément de la vie des individus en société. La morale peut être dérivée d'un code de
conduite émanant d'une philosophie, d'une religion ou d'une culture particulière, ou peut
dériver d'une norme qu'une personne croit devoir être universelle.

Les deux chercheurs de référence qui ont étudié le développement moral sont Piaget et
Kohlberg.

1. LE DEVELOPPEMENT MORAL SELON PIAGET

Piaget (1932)27 a étudié le développement du jugement moral chez l’enfant. Il s’est


basé sur l’observation et l’analyse des comportements des enfants lorsqu’ils jouent ensemble.
Il a déclaré « Si l'on veut comprendre quelque chose à la morale de l'enfant, il faut commencer
par analyser ses conduites et leur évolution dans les jeux qui font intervenir un système de
règles complexes, tel le jeu de billes ». Il a décrit trois stades de développement :

- Le stade anomique (0-3 ans)


- Le stade hétéronome (3 à 6 ans)
- Le stade autonome (6 à l’âge adulte)
1.1- LE STADE ANOMIQUE (DE 0 A 3 ANS)

28Dans les premières années de vie, il n'existe pas conscience une morale dans le sens
d'une véritable organisation intérieure des règles et des normes sociales. A cet âge, l'enfant est
anomique. Il possède plutôt de sentiments moraux tels que l'empathie3 .

27 Piaget, J. (1932). Le jugement moral chez l'enfant. Paris : PUF


28 Le mot « anomie » vient du grec : a est un suffixe désignant la privation ou l’absence, et nomos « lois ».
3 Empathie : mode de connaissance intuitive d'autrui, qui repose sur la capacité de partager et même d'éprouver
les sentiments de l'autre.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

1.2- LE STADE HETERONOME29 (DE 3-7 ANS)

L'égocentrisme, décrit par Piaget comme étant une incapacité à évaluer une situation à
partir des différents points de vue, se traduit en jugement moral hétéronome : les règles, les
normes et les valeurs sociales sont alors perçues comme intangibles et établies une fois pour
toute. Lorsqu'on les interroge, les enfants de 4-5 ans sont capables d'exprimer un jugement sur
l'attitude à adopter par rapport à un autre enfant qui désobéit, ment, commet des vols de peu
d'importance, etc. Ainsi que Piaget a pu le constater, les enfants de cet âge sont des juges
sévères : la punition est considérée la meilleure méthode éducative. Le concept de sanction est
dominé par le principe d'expiation (la punition doit être la plus sévère possible et ne doit pas
obligatoirement correspondre à la réelle importance du dommage). Le fait de se mettre du
coté de la justice la plus sévère prouve la tendance infantile à vivre la loi comme externe,
sacrée, inviolable. Ce comportement hétéronome a pour cause l'irréversibilité de la pensée,
c'est-à-dire l'incapacité intellectuelle de percevoir les nuances caractérisant des situations
semblables, mais non identiques.

1.3. LE STADE AUTONOME30 (DE 7 A 12 ANS)

L'enfant parvient à la période de jugement moral autonome grâce à la décentration


cognitive, décrite par Piaget comme une capacité de raisonnement plus souple et respectueuse
de la réalité dans ses différentes formes (la pensée réversible). Le jugement autonome consiste
en des évaluations qui chaque fois prennent en considération la valeur des normes qui peuvent
être modifiés par la volonté du groupe. L'enfant est donc en mesure de soutenir la révocabilité
des normes dictées par l'adulte, ou par l'autorité en général. Il réussit à expliquer les valeurs en
se basant sur les points de vue des autres. Piaget a par ailleurs remarqué que dans la période
de l'autonomie, tous les concepts moraux se modifient en direction d'une profonde
considération du respect entre individus. Par exemple, le concept de sanction, qui était dans la
phase hétéronome dominé par le principe d'expiation, devient dans la période d'autonomie
dominé par le principe de réciprocité, c'est-à-dire par le besoin de proportionner la peine
suivant l'importance du dommage (la justice distributive). Le développement moral peut alors
être défini comme un processus conduisant l'enfant d'une considération passive
(hétéronomie) à une prise de conscience active de la valeur des normes (autonomie).

29 Le mot « hétéronome » est un mot composé qui vient du grec : le préfixe hétéro désigne « de l’extérieur » et
nomos « loi ». C’est celui qui reçoit les lois du dehors, au lieu de la tirer de soi-même.
30 Le mot « autonome » vient du grec : auto et nomos. C’est celui qui se régit par ses propres lois. Qui
s’administre lui-même.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

2. LE DEVELOPPEMENT MORAL SELON KOHLBERG

Le chercheur américain Lawrence Kohlberg (1981)4 s’est appuyé sur les travaux de
Piaget pour étudier le développement du raisonnement moral. Pour déterminer le stade
maximal de développement moral atteint par un enfant, Kohlberg pose des dilemmes31
moraux, dont le but est d'amener le sujet à son maximum de réflexion éthique. Voici le plus
célèbre de ces dilemmes, le dilemme de Heinz :

« La femme de Heinz est très malade. Elle peut mourir d’un instant à l’autre si elle ne prend
pas un médicament X. Celui-ci est hors de prix et Heinz ne peut le payer. Il se rend
néanmoins chez le pharmacien et lui demande le médicament, ne fût-ce qu’à crédit. Le
pharmacien refuse. Que devrait faire Heinz ? Laisser mourir sa femme ou voler le
médicament ? »

Il a décrit 3 niveaux et à chaque niveau 2 stades de développement.

- Le niveau pré-conventionnel
- Le niveau conventionnel
- Le niveau post-conventionnel
2.1. LE NIVEAU PRE-CONVENTIONNEL

Ce niveau de raisonnement moral est particulièrement fréquent chez les enfants, mais il
peut se présenter chez les adultes. A ce niveau, la morale d’une action est jugée à partir de ses
conséquences directes. L’enfant du niveau pré-conventionnel n’a pas encore adopté ou
intériorisé les conventions sociales à propos du juste et de l’injuste. Ce niveau se caractérise
par l’égocentrisme, c'est-à-dire que l'enfant ne se soucie que de son intérêt propre, les règles
lui sont extérieures et l'enfant ne les perçoit qu'à travers la punition et la récompense.

Stade 1 - Obéissance et punition (3-5 ans)

4 Kohlberg, L. (1981). The philosophy of moral : Developmental stages and the idea of justice. San Francisco :
Harper and Row.
31 Dilemme ‫ معضلة‬ou double proposition le dilemme exprime la situation où se trouve un agent lorsqu'il doit faire

A et B mais ne peut faire à la fois A et B, ce qui le contraint donc à choisir entre l'un ou l'autre: quel que soit son
choix, il n'aura pas rempli l'une de ses deux obligations. Platon, dans le cadre d'une discussion sur la définition
de la justice, au livre I de La République , demande s'il faut rendre une arme qui a été prêtée à son propriétaire, si
celui-ci est devenu fou

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Les enfants centrent leur attention sur les conséquences directes de leurs actions. Par
exemple, une action est perçue comme moralement injuste parce que celui qui la commit a été
puni. Plus la punition de l’acte est dure, plus la perception de l’acte est injuste. Ceci peut
conduire à considérer que même les victimes sont coupables proportionnellement à leur
souffrance. C’est un raisonnement moral qui est égocentrique c.-à-d. il ne reconnait pas que
les autres points de vue son différents de la sienne. L'enfant adapte son comportement pour
fuir les punitions. Les normes morales ne sont pas intégrées.

Réponse possibles au dilemme de Heinz :

 « Heinz ne doit pas voler car s'il le fait il ira en prison » ou


 « Heinz doit voler car sinon Dieu le punira d'avoir laissé sa femme mourir ».
Stade 2 - Intérêt personnel (5-7 ans)

A ce stade, le comportement est considéré comme juste s’il répond à l’intérêt


personnel de l’individu. Le raisonnement de se stade montre peut d’intérêt aux besoins des
autres. Par conséquent, les relations avec les autres ne sont pas basées sur la loyauté ou le
respect. L'enfant intègre les récompenses en plus des punitions. Il réfléchit

Réponse possibles au dilemme de Heinz :

 « Heinz doit voler car sa femme l'aimera d'autant plus par la suite » ou
 « Heinz ne doit pas voler car c'est bien pire d'être envoyé en prison par le juge que d'être
détesté par sa femme ».
2.2. LE NIVEAU CONVENTIONNEL

La caractéristique principale de ce niveau est la forte tendance au conformisme. La


personne qui raisonne de manière conventionnelle juge moralement une action en
comparaison au vison de la société et de ses attentes. Le niveau conventionnel est caractérisé
par l’acceptation des conventions sociales concernant le juste et l’injuste. A ce niveau,
l’individu obéit aux règles sociales et suit les normes de société même s’il n’aucune
conséquence dans leur obéissance ou désobéissance. L’adhésion aux conventions se fait
parfois de manière rigide et l’appropriation du rôle social n’est jamais mise en question.
L'altérité prend de l'importance. L'individu apprend à satisfaire des attentes, obéir à des lois,
des règles générales

Stade 3 - Relations interpersonnelles et conformité (7-12 ans)

91
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Au 3ème stade, l'enfant recherche de l'approbation d'autrui : être en concordance


avec l'image "du bon petit garçon et de la bonne petite fille" et satisfaire les attentes
sociales à son égard. L’enfant juge moralement une action par l’évaluation de ses
conséquences en termes des relations sociales. Il intègre le respect et la gratitude dans ses
relations avec les autres. Le désir de maintenir les règles et l’autorité existe afin de
supporter les rôles sociaux. L’intention des acteurs joue un rôle plus significatif à ce stade
de développement. L'enfant intègre les règles du groupe restreint auquel il appartient. Sa
principale interrogation est : que va-t-on penser de moi ?

Stade 4 - Autorité et maintien de l'ordre social (12-15 ans)

Au 4ème stade, l'enfant oriente sa conduite au regard du respect de l'autorité, des


règles fixes et de l'ordre social maintenue. Il est important d’obéir aux règles et aux
conventions sociales de leur rôle dans le maintien du fonctionnement social. Le raisonnement
moral au quatrième stade dépasse donc le besoin de l’approbation social manifesté au
troisième stade. Il y a une idéologie idéaliste qui prescrit souvent ce qui est juste ou injuste,
comme dans le cas du fondamentalisme. Si une personne viole la loi, tous les autres vont faire
de même. Donc il y a une obligation et un devoir à maintenir les lois et les règles. Si une
personne viole loi, c’est moralement injuste. L'enfant intègre les normes sociales. Il respecte
les lois même si cela va contre son intérêt et qu'il sait pouvoir échapper à la sanction. On peut
parler d'amour des lois ou de souci pour le bien commun.

La majorité des personnes actives de la société restent au quatrième stade, dans lequel la
morale est encore dictée de manière dominante par une force extérieure.

Réponses possibles au dilemme de Heinz

 « Heinz ne doit pas voler car c'est interdit par la loi ».


 « Heinz doit voler car les tribunaux ne condamnent pas le vol s'il est justifié alors que la
non-assistance à personne en danger est condamnable ».
2.3. LE NIVEAU POST-CONVENTIONNEL

L'adolescence et l'âge adulte sont par contre caractérisés par le troisième niveau dit post-
conventionnel, où les lois sont considérées comme des contrats sociaux (stade 5), pouvant être
modifiée si leur utilité n'est pas démontrée. C'est une attitude morale concrète qui, par la suite,
devient abstraite quand l'individu parvient à raisonner selon des principes universels (stade
6). L'individu fonde son jugement moral sur sa propre évaluation des valeurs morales. Il est

92
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

prêt à enfreindre une loi s'il juge celle-ci mauvaise ou à l'inverse est prêt à condamner
moralement certaines activités et à se les interdire alors même que la loi les autorise. Un
certain nombre d'individus n'atteignent pas ces stades. C'est un raisonnement typique du stade
conventionnel, on pense ne pas être en tort moral dès lors que l'on respecte la loi. L'individu
est incapable de former son propre jugement.

Stade 5 - Contrat social

L'individu se sent engagé vis-à-vis de ses proches. Il se soucie de leur bien-être et agit
pour concilier ses intérêts aux leurs.

 « Heinz doit voler le médicament parce que chacun a le droit de vivre, sans se soucier
de la loi ». ou
 « Heinz ne doit pas voler le médicament parce que le cet homme de science a droit à
la récompense. Même si sa femme est malade, cela ne justifie son action »

Stade 6 - Principes éthiques universels

Le jugement moral se fonde sur des valeurs morales à portée universelle et est adopté
personnellement par le sujet à la suite d'une réflexion éthique (égalité des droits, courage,
honnêteté, respect du consentement, non-violence, etc.). Ces valeurs morales que se donne le
sujet priment sur le respect des lois. Ainsi, la personne est prête à défendre un jugement moral
minoritaire. Elle est capable de juger bonne une action illicite ou au contraire de juger
mauvaise une action licite.

 Heinz doit voler le médicament parce que sauver une vie humaine est une valeur plus
fondamentale que le droit de propriété.
 Ou Heinz ne doit pas voler le médicament, parce que les autres pourraient avoir
besoin de ce médicament pour la même raison que moi, et la vie des autres est aussi
importante.

D'après Kohlberg, seuls 13% de la population adulte atteindrait le stade 6.

Pour aller plus loin…

Fedi, L. (2008), Piaget et la conscience morale. Paris. PUF.

Moessinger, P. (1996). La psychologie morale. Paris. PUF, Que sais-je.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Chapitre VII

LE DEVELOPPEMENT DU JEU CHEZ L’ENFANT

Il est clair que le jeu constitue l’activité préférée de tous les enfants. C’est le symbole
même de l’enfance car il domine la majorité de leurs temps et de leurs occupations.

Alors c’est quoi le jeu ? quel est son pouvoir mystérieux de cette activité pour attirer tous
les enfants sans exception ? Est-ce que l’enfant tire un intérêt à quand il joue ? Comment
évolue cette activité chez l’enfant et quel intérêt cela représente pour l’enseignant ?

Etymologiquement, le mot jeu vient du latin jocus signifiant plaisanterie ou badinage.


En latin, le concept du jeu est désigné par ludi, qui a donné en français l’adjectif ludique.

Dans la plupart des définitions du jeu, ce concept est assimilé à ceux de divertissement et
d’amusement. De ce fait, on évoque la théorie pascalienne du divertissement qui permet à
l’homme d’éviter l’ennui en se « pipant soi-même », c’est-à-dire en s’illusionnant sur une
sorte de liberté qu’il croit ainsi acquérir par rapport à ses propres déterminations. Et l’on met
d’autre part en évidence le lien entre l’activité ludique et les distractions joyeuses, dont celles
des enfants sont l’image la plus manifeste.

On peut définir le jeu comme une activité de loisirs d'ordre physique ou bien mental,
soumise à des règles conventionnelles, à laquelle on s'adonne pour se divertir, tirer du plaisir
et de l'amusement.

I- LES CARACTERISTIQUES DU JEU

Pour H. Wallon32 (2002, p. 75), le jeu recouvre toute l’activité de l’enfant tant qu’elle
reste spontanée et « ne reçoit pas ses objets des disciplines éducatives ». Le jeu est libre,
l’enfant y reproduit des conduites déjà intégrées mais il explore aussi des conduites nouvelles.
Wallon considère différents mouvements dialectiques dans le jeu :
- dialectique entre la liberté et la contrainte : si le jeu est libre, il intègre néanmoins la
contrainte liée à la règle du jeu. Lorsque la règle devient trop contraignante pour
l’enfant, le jeu initial prend une autre forme via l’utilisation de la tricherie. En utilisant
celle-ci, l’enfant transgresse la règle, en annule l’effet contraignant et réintroduit le jeu
;

32 L'Évolution psychologique de l'enfant, A. Colin, Paris, 1941, rééd. 2002, Ed.: Armand Colin

95
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

- dialectique entre la gratuité et le désir de gagner : si le jeu est, par essence, gratuit, il
n’est reste pas moins que l’enfant a envie de gagner, même si cette victoire est
éphémère et plus souvent liée au hasard qu’aux aptitudes réelles ;
- dialectique entre la fiction et la réalité : la fiction fait naturellement partie du jeu
puisqu’elle s’oppose à la réalité. Progressivement avec l’âge, il va exiger de plus en
plus de ressemblance entre les symboles et la réalité ; dans ses jeux, il ne cesse
d’alterner et de transposer des éléments de fiction et d’observation de la réalité ;
- dialectique des relations interpersonnelles : l’importance des relations
interpersonnelles et des conflits qui les jalonnent est une constante de la pensée de
Wallon. Pour lui, le sujet se forme et se développe à travers l’intersubjectivité. Ainsi,
dans les jeux de fiction où l’identification joue un très grand rôle, cette dernière est
accompagnée de sentiments ambivalents : s’identifier c’est, en effet, à la fois
reconnaître au modèle une valeur prestigieuse mais c’est en même temps se substituer
à lui en prenant sa place.

Roger Caillois33 , quant à lui, fait du jeu une « occupation séparée, soigneusement isolée
du reste de l’existence ». Le jeu est une activité qui doit être libre, séparée, incertaine, fictive
et réglée:

1.1. Le jeu est une activité libre :

C’est une activité à laquelle le joueur ne saurait être obligé sans que le jeu perde aussitôt
sa nature de divertissement attirant et joyeux Elle doit être choisie pour conserver son
caractère ludique. Le jeu est un comportement complexe étant davantage associé à une
motivation intrinsèque plutôt qu’extrinsèque ; est habituellement spontané et plaisant. Le jeu
est considéré comme expression de la liberté. Elle est dirigée par le joueur lui-même et
implique un engagement actif non obligatoire. Le dépassement de soi (réel ou symbolique)
constitue la principale motivation du joueur. Elle constitue aussi son exploit. Le dépassement
de soi vient du plaisir d'accomplir une tâche physique ou intellectuelle qui semble à la limite
de ses propres possibilités. La notion de défi.

1.2. Le jeu est une activité séparée

Elle est circonscrite dans les limites d'espace et de temps. Il faut rapprocher cette
dimension d'une remarque de Johan Huizinga34: comme le sacré, le jeu ne vaut qu'à

33 Roger Caillois « Les jeux et les hommes » (Gallimard, 1957 )

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

l'intérieur de frontières temporelles et spatiales précises, la durée de la partie, le stade ou le


damier. Le jeu serait une expression frappante de la liberté créatrice, du triomphe, mais
parfaitement circonscrit, sur le déterminisme pesant des choses ou des statuts sociaux.

1.3. Le jeu est une activité incertaine

Dans le jeu, l'issue n'est pas connue à l'avance. Un jeu ne remplit son objet que dans la
mesure où il recèle une part suffisante d'imprévisibilité pour le joueur. Pour assurer cette
imprévisibilité, le hasard est une composante importante de beaucoup de jeux. C'est alors une
composante admise, voire recherchée (jeux de dés, ballon ovale susceptible de rebondir de
façon imprévisible). Parallèlement, un hasard trop grand empêche de faire reconnaître la
valeur technique des joueurs. Le hasard sera alors combattu par des règles très strictes et
déterministes : jeu d'échecs, dames, football.

1.4. Le jeu est une activité improductive


C’est une activité qui ne produit ni biens, ni richesses, ni élément nouveau d’aucune sorte.
Même les jeux d'argent ne sont qu'un transfert de richesse car il s’agit d’un déplacement de
propriété au sein des joueurs, aboutissant à une situation identique à celle du début de la
partie. Le jeu obéit à une logique diamétralement opposée à celle de la rentabilité. Il s’agit
d’«une finalité sans fin» (Kant). Le jeu est une recherche de la difficulté pour elle même.

Né selon Schiller35, au même titre que l'art, d'une surabondance d'énergie vitale par
rapport aux besoins, d'une pulsion de jeu (dans l'allemand de Schiller, Spieltrieb), le jeu est
donc avant tout occasion de dépense pure. L'activité déployée par le joueur est
fondamentalement superflue. Certes, cela ne semble pas tenir compte des jeux d'argents. Mais
ceux-ci ne produisent globalement rien, tout au plus enrichissent-ils certains joueurs aux
dépens des autres, remarque Caillois. En ce sens, il n'y a de jeux à proprement parler qu'à
somme nulle. Le gain n'est pas un salaire, note Johan Huizinga. Le salaire octroyé à un joueur
le transforme ipso facto en un professionnel. Le jeu « est condamné à ne rien fonder ni
produire, car il est dans son essence d'annuler ses résultats » souligne Roger Caillois.

1.5. Le jeu est une activité réglée

34 Johan Huizinga, Homo ludens : essai sur la fonction sociale du jeu, Gallimard, 1951 (traduit du
néerlandais : Homo ludens, proeve eener bepaling van het spel-element der cultuur, 1938).
35 Johann Christoph Friedrich von Schiller (1759- 1805) est un poète et écrivain allemand

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Elle est soumise à des conventions qui suspendent (interrompent) les lois ordinaires et qui
instaurent momentanément une législation nouvelle, qui seule compte. Pour jouer ensemble, il
faut d'abord un accord minimal sur le cadre de jeu : les règles. Le respect des règles du jeu a
été à l'origine d'une valeur universelle : le fair-play.

Les règles sont un ensemble de consignes qui décrivent les relations entre le ou les joueurs
et l’environnement de jeu. Elles spécifient l’étendue et la nature des actions légitimes des
joueurs et elles établissent la séquence et la structure dans lesquelles se dérouleront les actions
des participants. Les règles remplissent trois types de fonctions.

- La première fonction, les règles de procédure, décrit les composantes du jeu, soit le
nombre de joueurs ou le nombre d’équipes, le rôle de chacun des participants, leurs
activités et leurs déplacements ou les mouvements qui peuvent être faits.
- Ensuite, il y a les règles de clôture qui spécifient les résultats escomptés pour chaque
joueur ainsi que les contraintes.
- Finalement, les règles de contrôle décrivent les conséquences pour un joueur qui ne
respecte pas les règles précédentes.

Brougère (1999) spécifie que les règles résultent soit d’une régulation externe acceptée
par les joueurs, soit d’une convention ou d’une négociation entre les joueurs. Dans tous les
cas, les règles doivent être claires, organisées, complètes, préétablies et acceptées par les
joueurs avant le début du jeu. Sans ces règles pré–établies et connues du ou des joueurs, le jeu
devient une activité ludique où les participants sont libres de créer les règles ou de les
modifier au gré de leur fantaisie et du déroulement de l’activité (De Grandmont, sans date).
Notons que dans un nombre grandissant de jeux électroniques, le joueur est appelé à inférer
les règles en jouant, ajustant ses décisions au fur et à mesure qu’il affine sa compréhension
des enjeux proposés.

Il semble pourtant que le jeu de rôle de l'acteur se caractérise par l'absence de règles
strictes, par le caractère prévisible de l'action ou encore par l'absence de compétition les jeux
de rôles n’obéissent pas aux principes de la règle et de la compétition. Cependant, même dans
ce cas, il y a bien une sorte de défi car il n'est pas si facile d'agir continuellement comme un
autre. Selon Caillois, la règle du jeu est alors unique ; elle consiste « à fasciner le spectateur,
en évitant qu'une faute conduise celui-ci à refuser l'illusion ».

98
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Toutefois, dans certains cas, le jeu ne se développe dans un cadre formel mais se crée
aussi spontanément. Jouer à la poupée, à la guerre, à la classe ou avec des figurines ne
permettent ni de gagner, ni de perdre, mais se contentent de représenter le monde et
d'entraîner le joueur à affronter la vie réelle, dans un cadre où une fausse manœuvre
n'engendre que peu de conséquences.

1.6. Le jeu est une activité fictive

Le trait le plus évident du jeu n'est autre que sa différence avec la réalité. Jouer, c'est jouer
à être quelqu'un d'autre, ou bien c'est substituer à l'ordre confus de la réalité des règles
précises et arbitraires, qu'il faut pourtant respecter scrupuleusement. Il faut entrer dans le jeu,
il ne supporte pas le scepticisme (c.-à-d. l’incrédulité ou la méfiance) notait Paul Valéry.
Cependant, le jeu n'est plaisant que dans la mesure où cette entrée dans le jeu, en latin in–
lusio, c'est-à-dire illusion, est librement consentie.

C’est une activité accompagnée d’une conscience spécifique de réalité seconde ou de


franche irréalité par rapport à la vie courante. Le jeu est aussi une manière de représenter le
monde. Ainsi le jeu transpose dans un objet concret des systèmes de valeurs ou des systèmes
formels abstraits. De ce point de vue le jeu peut être considéré comme une métaphore du
monde (ou d'une de ses parties). Jouer et/ou inventer un jeu, construire une partie en
interaction avec son adversaire relève alors d'une activité culturelle de haut niveau, et chaque
partie jouée est une forme d'œuvre d'art.

2. LES TYPES DE JEU

La première tentative de catégorisation des jeux nous parvient du psychologue allemand


Karl Bühler (1879-1963) qui a proposé quatre variétés : fonctionnels, de fiction, d'acquisition et de
construction. En 1957, Roger Caillois propose également quatre catégories de jeux: ceux qui
reposent sur la compétition (agôn), le simulacre (mimicry), le hasard (alea), et enfin ceux qui
ont pour objet de procurer une impression de vertige (ilinx).

En 2012, l’institut national de jeu (NIP)36 aux Etats-Unis décrit sept types de jeux :

1- Les jeux d’attachement, qui établissent un lien d’attachement affectif, comme les jeux
entre la mère et son bébé.

36 National Institute for Play. "Play Science – the Patterns of Play". Retrieved 2012-01-16.

99
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

2- Les jeux avec le corps : dans lesquels l’enfant explore les possibilités de mouvement
de son corps et ses capacités d’interaction avec le monde, tels produire des sons ou des
sifflements, ou découvrir ce qui arrive quand il saute d’en haut. Dans la description de
Buhler, ils sont inclus dans les jeux d’acquisition car ils permettent l’exploration et la
découverte de soi et de ses propres capacités.
3- Les jeux avec les objets : Ces jeux sont motivés essentiellement par la curiosité.
L’enfant joue avec les objets pour les connaitre et savoir leurs qualités. Ces jeux
consistent essentiellement à manipuler avec les mains les différents objets qu’il trouve
dans son entourage (taper sur une casserole, lancer un verre, etc.). Dans un second
temps, les jouets prennent une place primordiale. Ils sont également décrits par Buhler
comme des jeux d’acquisition parce qu’ils permettent la découverte de
l’environnement physique.
4- Les jeux sociaux : ce sont les jeux qui impliquent d’autres personnes dans des activités
telles que faire des combats avec certains enfants et établir des relations amicales avec
d’autres. Ils s’intègrent avec les jeux de compétition décrits par Caillois où le défi est
présent lorsque les actions posées par un joueur engendrent des réactions chez le rival,
créant ainsi une compétition ou une lutte. On peut y inclure aussi les jeux
d’appartenance dans lesquels la nécessité de jouer avec d’autres personnes est motivée
par le désir de se faire accepter, d’appartenir à un groupe.
5- Les jeux de fiction ou de fantaisie dans le quels l’enfant invente des scénarios de sa
propre imagination et joue des rôles comme le jeu de la famille et du docteur ou du
maître d’école. Cette catégorie est retrouvée avec la même désignation dans la
typologie de Buhler. Pour Caillois, il s’agit de jeux du simulacre. Jean Piaget a
particulièrement bien décrit l'importance du jeu symbolique dans le développement du
jeune enfant. Il est très fréquent que le jeu soit une reprise symbolique de ce qui se
passe dans la réalité. Mais la capacité à s'investir dans le « comme si... » du jeu va de
pair avec une capacité de distinguer le littéral du métaphorique : pour que le jeu existe,
il faut qu'il reste un certain écart entre réalité et fiction. Il existe donc une certaine
ambivalence entre le joueur et le personnage qu'il incarne : il y place une partie de lui-
même mais garde toujours un regard critique sur la réalité de cette incarnation.
Institutionnalisé, cet aspect de l'activité ludique a donné naissance au jeu
dramatique puis au jeu théâtral.

100
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

6- Les jeux narratifs : ce sont les jeux qui sont basés sur le langage comme raconter à
l’enfant des histoires ou lui lire un livre à voix haute ou lui demander de reproduire
par lui-même un conte.
7- Les jeux de transformation à travers lesquels l’enfant joue avec son imagination pour
transcender ce qui est connu afin de créer un état nouveau, comme les jeux de lego ou
de puzzle. Dans la description de Buhler, ils correspondent aux jeux de construction et
consistent dans l'assemblage et le bricolage de toutes sortes de matériaux. Les
manipulations requises sont tantôt faites au hasard, tantôt prévues et planifiées. On
développe ici des habiletés en mathématiques et en géométrie. L'enfant peut y jouer ou
encore confronter ses idées en petits groupes. La coopération se fait alors sentir afin de
résoudre des problèmes communs. Ce sont des jeux de fabrication permettant de
comprendre les mécanismes de ce qui entoure l'enfant et de s'en servir.

3. LES FONCTIONS DU JEU


On peut distinguer deux de fonctions principales : la détente et le développement de la
personnalité.
3.1. La fonction de détente
3.1.1. Occuper le temps libre :
Une des premières théories concernant le jeu était qu’elle dépendait de l’évolution des
espèces: plus une espèce est évoluée, moins elle a besoin de consacrer de temps à sa survie,
en conséquence, plus une espèce est évoluée, plus elle a de temps libre qu’elle occupe en
jouant.
3.1.2. Le jeu, récupération de la fatigue :
Il est connu que les enfants, même très fatigués, semblent soudainement retrouver toute
leur énergie lors du jeu. Ce constat a donné naissance à des théories spécifiant que le jeu, au
même titre que le sommeil permet une récupération de la fatigue. Wallon considère que le jeu
est un délassement par opposition au travail. Le jeu est récréatif et ludique. Il compense
l'utilisation inégale de l'énergie par le travail
3.1.3. Le jeu, combat de l'ennui :
Des expériences ont montré que des sujets privés de possibilités de mouvement, de
stimulations ont recours à des formes de jeu pour se distraire de l’ennui. Si toutes les
possibilités de jeu sont inhibées, la situation devient insupportable. Pour certains chercheurs,
le rôle principal au jeu de délivrer l’homme de sa surabondance d’énergie.
3.1.4. Le jeu comme libération de l'autorité :

101
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Le jeu de l'enfant peut constituer une libération face aux contraintes de l'autorité; Il est un
«antidote du destin quotidien». Il permet d’éviter la répétition monotone des mêmes rôles de
la vie quotidienne, l'obéissance aux règles et la pression de l'environnement. Le jeu balance
entre la crainte d'échouer et la joie de réussir, sans que cela n'ai de conséquence sérieuses.
3.2. La fonction de développement de la personnalité
3.2.1. Jeu et développement moteur
Sur le plan physique, dès la petite enfance, jeu et mouvement sont intimement reliés.
Tout au cours de l’enfance, les jeux impliquent des déplacements, des gestes, des
mouvements (grimper, courir, sauter, glisser, etc.). Le jeu représente un lieu privilégié de
consolidation et de développement des schèmes d’action physique. Il permet la libération des
surplus d’énergie physique, l’expression de soi dans l’activité corporelle en même temps que
le maintien de la forme physique ;
L'imitation est à l'origine du développement moteur des petits enfants, d'abord à travers
des mouvements simples (par analogie), et plus tard des mouvements construits (ou patterns).
Des nourrissons tirent la langue par imitation des adultes, mais aussi en percevant un
mouvement similaire, réalisé à l'aide d'un stylo par exemple. Le jeu est une activité
structurante au niveau perceptivo-moteur, en ce qui concerne les notions d’espace temps et le
schéma corporel.
3.2.2. Jeu et développement cognitif
Le jeu contribue significativement au développement cognitif, il représente l’effort de
l’enfant pour comprendre les choses et leur donner un sens, il permet la créativité. L'imitation,
l’exploration et la répétition sont importants dans le développement des représentations
mentales. Certains chercheurs (Athey,1984) proposent quatre fonctions cognitives du jeu :
- L’accès à de nouvelles sources d’informations ;
- La maîtrise des habiletés et des concepts la rencontre : de la nouveauté,
l’interaction avec le jouet favorisent les processus d’équilibration et participent de
l'automatisation des fonctions psychiques.
- La stimulation et le maintenir un fonctionnement efficace de l’intelligence parce
qu’il requiert diverses activités mentales
- La créativité en laissant libre cours à l’usage des habiletés et des concepts dans
contexte de valorisation de l’imaginaire. Les recherches actuelles suggèrent que le
jeu développe la flexibilité mentale c.-à-d. des pratiques d’adaptation tel que
découvrir les multiples manières pour arriver au résultat désiré, ou les manières
créative pour améliorer ou réorganiser une situation déterminée.

102
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

3.2.3. Jeu et développement du langage :


Sur le plan langagier, le jeu permet de développer le vocabulaire, d’explorer de
nouvelles formes d’expression d’idées, de sentiments, etc. Le jeu d'imitation contribue au
développement du langage (voire Nadel: l'imitation est les systèmes de communication des
enfants)
3.2.4. Jeu et socialisation
Sur le plan social : le jeu est un lieu privilégié d’exploration des rôles
qu’éventuellement l’enfant sera amené à jouer plus tard. Il peut y apprendre à ajuster ses
interactions aux demandes des autres ou à résister à celles-ci. Dans ce contexte, les partenaires
de jeu constituent une source de rétroaction particulièrement riche pour apprendre à distinguer
des phénomènes comme l’agressivité et l’affirmation de soi, le partage et l’égocentrisme, la
dépendance et l’indépendance, etc. ;
Le jeu est un critère de socialisation des enfants. En premier lieu, le jeu solitaire lui permet
d’assimiler des éléments culturels et sociaux qui servent de références communes aux enfants.
En second lieu, le jeu social et les espaces dédiés au jeu sont des cadres de rencontre et
d’interaction entre individus, dans lesquels ils construisent leur identité sociale.
3.2.5. Jeu et développement affectif
Sur le plan affectif, le jeu permet de résoudre des conflits émotionnels, de faire face à
l’anxiété et à la peur, d’exprimer les affects, etc. La psychanalyse a bien documenté le rôle
cathartique que pouvait jouer le jeu sur le plan affectif : il permet l’expression de sentiments
et de fantasmes, mais aussi le jeu permet à l’enfant de réinterpréter ses expériences négatives
en les remettant en scène dans une activité ludique où il peut exercer un contrôle, ce qui n’est
pas nécessairement le cas dans « sa vraie vie ». Le jeu permet la construction et le règlement
de conflits internes autant qu’externes. Il est une expression et régulation des pulsions, dans
un contexte non critiquable. Selon Winnicott37, le jeu est une illusion se situant entre les
mondes internes et externes. C’est une activité créative, mettant en scène les rêveries et le
vécu. L’enfant crée et recrée, se procurant ainsi du plaisir.

4. LES STADES DU DEVELOPPEMENT DU JEU.


Comme tout comportement humain, le jeu passe par des stades de développement.
Jean Piaget (1896-1980) est le premier chercheur à établir une chronologie génétique des
stades du développement du jeu. Il considère le jeu est une manifestation de l’intelligence de

37 Donald W. Winnicott, Jeu et réalité : l'espace potentiel, Gallimard, 1975 (Playing and Reality, 1971)

103
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

l’enfant. Il postule ainsi l’existence d’un parallèle entre les stade du développement de
l’intelligence et les stades du développement du jeu.

Piaget a établit une nouvelle dimension du jeu, c’est entre l’activité physique et
l’opération mentale. Le jeu est ainsi source d’apprentissage. Il aurait un rôle fondamental dans
l’assimilation (apprentissage) du réel aux besoins du moi mais aussi dans l’accommodation du
moi au réel, c.-à-d. aux contraintes objectives de l’environnement

Piaget a décrit trois stades successifs du développement du jeu : les rituels moteurs (0-
2 ans), le jeu symbolique (2-7 ans) et la coopération (à partir de 7 ans).

4.1. Le stade des rituels moteurs (0-2 ans)

Au cours de ce stade, l’enfant se livre à des jeux d’exercice (ou fonctionnels). Ces jeux
consiste à reproduire des mouvements et en observer les effets, et ce, de façon répétée.
L’enfant éprouve ainsi le plaisir d’être la cause d’un effet. Par exemple, tirer sur le hochet
pour écouter les sons, lancer un objet pour connaitre ses résultats. Mais ultérieurement, ces
jeux se complexifient lorsque les gestes répétitifs se coordonnent pour devenir une série.
Exemple : saut à la corde, jeux de balles, etc.
D’autres chercheurs ont précisé les types de jeu auxquels se livrent les enfants entre 0 et 3
ans. Ils ont distingué 3 types de jeu :
 le jeu isolé qui se manifeste avant un an : l’enfant n’accorde aucun intérêt à partager
son jeu avec une autre personne et préfère jouer seul ;
 le jeu en parallèle qui apparait vers un an et demi :: l’enfant joue avec ses propres
jouets à côté d’un autre enfant qui joue aussi mais sans participation.
 le jeu d’imitation qui apparait vers 2 ans : si un enfant lance son jouet dans l’air,
l’autre enfant l’imite immédiatement.
4.2- Le stade des jeux symboliques (2-7 ans)
Ce stade correspond au 2ème stade du développement de l’intelligence : le stade
préopératoire. Sur le plan intellectuel, ce stade se caractérise par l’apparition de la fonction
symbolique qui se manifeste dans le langage, le dessin, l’imitation différée et le jeu
symbolique. Sur le plan ludique, l'action devient moins impulsive. Elle laisse une place à
l'action volontaire et contrôlée.

Dans le jeu symbolique, chaque enfant attribue aux objets et aux actions une
signification subjective imprégnée de motivations affectives : par exemple, une boîte peut

104
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

représenter un lit ou une table, pour revivre les moments de repas ou du sommeil, représenter
un rêve, etc. Au cours de cette période, nous assistons à une évolution en fonction de l’âge de
l’enfant :

4.2.1. Les jeux de fiction sympathie (vers 2-3 ans).


L’enfant s’imite lui-même ou d’autres personnes et assimile un objet à un autre. On
observe dans le jeu des mécanismes précis qui vont progressivement se coordonner et devenir
plus complexes :
 la projection de schèmes symboliques sur des objets nouveaux : l’enfant fait s’asseoir
sa poupée (préalablement, il imitait lui-même l’action : ici l’enfant déplace sur un
objet son activité propre) ;la poupée lit le journal.
 l’assimilation d’un objet à un autre (par exemple une boîte d’allumettes devient une
petite voiture), ou l’assimilation du corps propre à un objet (par exemple l’enfant joue
à être un animal).
4.2.2. Les jeux de construction (vers 3-4 ans)
L’enfant représente des scènes réelles de la vie quotidienne et multiplie les combinaisons,
c’est-à-dire une organisation, une mise en scène, voire une dramatisation d’événements liés à
la vie quotidienne. Ils sont plus complexes que les premières fictions, par le nombre des
personnages (objets), les relations entre eux, et par l’organisation spatiale et temporelle des
scènes ; le jeu symbolique devient collectif et on assiste à une répartition des rôles. Les
constructions symboliques deviennent plus ordonnées, plus cohérentes, en d’autres termes
plus proches de la réalité. L’enfant manifeste un souci de vraisemblance, de ressemblance
avec la réalité.

Au cours de cette période, on assiste à de véritables sociodrames: les enfants au sein de


groupes plus ou moins nombreux ont la capacité de reconstruire de véritables situations
sociales dans lesquelles certains personnages réels (parents, connaissances, amis, etc.) ou
imaginaires (fées, sorcières, animaux parlants, etc.) sont évoqués grâce à une reconstruction
affective et cognitive particulière.

Sur le plan intellectuel, ce stade se caractérise par l’égocentrisme et par un jugement


moral hétéronome. Sur le plan ludique, l'enfant suit les règles qui lui proviennent de
l'extérieur et qu’il considère comme fixes, inchangeables et sacrées. Mais, bien qu'il joue en
groupe, il lui est difficile d'établir un lien entre ses actions et celles des autres, même si ce lien
est la base du jeu de groupe. Dans le jeu de groupe, la règle sert à établir les capacités dont

105
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

chaque joueur doit faire preuve par rapport aux autres (compétition) et au jeu en soi
(connaissance des règles). Mais avant l’âge de 7 ans, l’enfant considère que le vainqueur est
celui qui connaît et applique mieux que les autres les règles de jeu. Étant donné que l'enfant
lors de la période égocentrique n'arrive pas à faire le lien entre les différents aspects d'une
réalité et n'accepte pas de perdre, il se peut qu'il estime avoir gagné en même temps que ses
compagnons de jeu.

4. 3- le Stade de la coopération (à partir de 7 ans)

A ce stade, l'enfant a parfaitement conscience de ce qu'est la compétition et commence à


appliquer des règles précises dans le jeu. Le fait de rivaliser avec ses camarades dénote une
capacité à garantir la réciprocité des moyens employés pour atteindre un but (coopération).
L'enfant éprouve un intérêt pour la signification des règles qui, tout en variant, doivent
toujours dépendre de la volonté du groupe. L’enfant devient capable à se livrer aux jeux de
règle. Ce type de jeu comporte des règles à suivre et chaque enfant a un rôle bien défini et
interdépendant. Pour que le jeu ait tout son sens, chaque enfant doit jouer son rôle. Les règles
sont décidées par les enfants et non par les adultes. L’enfant assimile alors peu à peu le
pourquoi des règles lorsqu'il est en groupe.

Selon Piaget, ce stade ludique correspond au stade de la pensée opératoire avec un


jugement moral autonome : l’enfant considère qu’il est capable d’opérer un changement dans
les règles du jeu mais sous condition que ce changement soit accepté par les autres partenaires
du jeu.

5. JEU ET EDUCATION

5.1. Le jeu comme outil Educatif

Le concept de l'éducation par le jeu désigne la fusion du divertissement et de l'éducation.


C'est une forme de divertissement conçue pour éduquer tout en amusant. L'éducation par le
jeu cherche typiquement à instruire ou socialiser les individus en enveloppant les leçons dans
une forme familière de divertissement.

Plusieurs philosophes ont défendu le rôle du jeu dans l’éducation au cours de l’histoire :

endant l’antiquité le philosophe grec Platon;


 au 18ème siècle, le philosophe français Jean Jacques Rousseau ;

106
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

 au début du 20ème siècle, le philosophe français Alain estimait que l'école devait tenir
le milieu entre le jeu, qui enferme l'enfant dans l'enfance, et le sérieux, qui l'enferme
dans l'utile.
 au 20ème siècle Mais le rôle du jeu dans le développement de l'enfant a réellement été
pris au sérieux. En1989, l’ONU vote la Convention Internationale des Droits de
l’Enfant et reconnait les jeux comme un droit spécifique à tous les enfants.

Les théories modernes ont examiné le jeu de manière à savoir comment il influence le
développement : « L’apprenant n’est plus considéré comme un récepteur passif de la
connaissance mais comme un constructeur actif de sens » (Dietze & Kashin, 2006). En
sciences de l’éducation, le chercheur américain John Dewey postule que les enfants
apprennent mieux par l’activité à la fois physique et intellectuelle, en d’autres termes, les
enfants devraient jouer un rôle actif dans l’opération éducative.

Dès le début du 20ème siècle, l’approche de l’éducation active a été pratiquée par
l’éducatrice et pédagogue italienne Maria Motessori dans les Jardins d’Enfants. L’approche
éducative de Montessori met l’accent sur l’individualité de chaque enfant par rapport à ses
besoins et ses talents. Le but de l’éducateur est de maintenir la joie naturelle des enfants à
apprendre (la méthode des coins de jeu).

De nos jours, l’avènement de l’outil informatique accroît de plus en plus l’intérêt pour
l’utilisation des jeux comme outil éducatif dans un contexte d’apprentissage initial (du
primaire à l’université).

5.2. L’apprentissage par le jeu

“Le jeu nourrit tous les aspects du développement de l’enfant – il forme la base des
compétences intellectuelle, sociale, physique et émotionnelle qui sont nécessaires à la réussite
à l’école et dans la vie. Le jeu pave la route de l’apprentissage ”.(Conseil Canadien de
l’Apprentissage, 2006).

Les jeux pédagogiques contribuent à l'acquisition de connaissances ou de


compétences. Ils sont de plus en plus reconnus par les pédagogues et les enseignants comme
utiles. La raison principale tient au fait que tous les enfants aiment et ont besoin de jouer. Un
contenu perçu comme ennuyeux, peut les passionner une fois formulé sous forme ludique.

107
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Vygotsky38 considère que dans le jeu, l’enfant se situe toujours au-delà de son âge
moyen, au-delà de son comportement habituel, comme s’il était au-dessus de lui-même. “ Le
jeu comporte, de façon condensée, tel un verre grossissant, toutes les tendances du
développement ”. Le jeu a des effets positifs sur les aspects suivants de l’apprentissage :

 la motivation,
 le développement des habiletés de coopération,
 la structuration et l’intégration des connaissances et,
 le développement des habiletés en résolution des problèmes.

5.2.1. La motivation

Le jeu favorise la motivation à l’apprentissage sur différents plans :

- Il soutient positivement l’estime et la confiance en soi, l’engagement, le désir de


persévérer et d’accomplir une tâche.

- Le plaisir de jouer, le défi, l’aspect compétitif, l’interaction entre les joueurs, l’effet
d’entraînement et la possibilité de gagner des points, l’excitation et l’enthousiasme
suscités par la participation au jeu.

=> La motivation de gagner renforce l'attention. Par exemple les jeux de groupe visent à
parvenir à un objectif commun. Ils contribuent à faire comprendre la valeur du travail en
équipe, essentielle dans la vie réelle. De même, le respect des règles est en soi une forme de
coopération.

5.2.2. Le développement des habiletés de coopération

Le jeu favorise le développement des habiletés de coopération, de communication et de


relations humaines. Il peut favoriser le développement de ces habiletés de diverses manières :

 la capacité d’entrer en relation avec les autres,


 la capacité de négocier et de discuter,
 la capacité de collaborer, de partager des émotions et des idées,
 de développer des liens et des amitiés ou encore de développer l’esprit d’équipe.

38 Vygotsky, L. S. (1976). Play and its role in the mental development of the child. In Play. Ney York: Basic
Book.

108
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Par exemple les jeux de groupe visent à parvenir à un objectif commun. Ils contribuent
à faire comprendre la valeur du travail en équipe, essentielle dans la vie réelle. De même,
le respect des règles est en soi une forme de coopération.

5.2.3. Le développement des habilités de résolution de problèmes

Le jeu permet le développement chez l’apprenant des stratégies cognitives et


l’amélioration de ses capacités à :

 prendre des décisions,


 comprendre un problème,
 poser des hypothèses et
 trouver la solution au problème étudié.

=> Le jeu permet donc aux apprenants de développer la logique requise pour résoudre un
problème.

5.2.4. La structuration des connaissances

Les jeux permettent à l’apprenant la construction et l’organisation de schémas ou de


représentations afin de comprendre un concept ou une situation donnée.

=> Ils améliorent et renforcent la connaissance de la matière étudiée.

5.2.5. L’intégration de l’information

Le jeu favorise l’intégration de connaissances par l’utilisation de notions théoriques ou


de concepts dans des situations pratiques. Plus précisément, le jeu permet au joueur d’établir
le lien entre des connaissances acquises (mais qui demeurent abstraites) et des connaissances
concrètes. Il favorise également la rétention de l’information à long terme.

Certaines études, notamment celles sur le rôle des jeux multimédia dans l’acquisition
des connaissances langagières (comme le vocabulaire d’une langue étrangère), démontrent
que les jeux, avec un contenu d’apprentissage scolaire précis, ont un impact sur l’intégration
de l’information.

5.3. Jeu et pratique éducative

Selon les chercheurs, quand les adultes jouent avec les enfants, le niveau de jeu devient
plus élevé et plus diversifié.

109
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

L'accompagnement est différent du contrôle. Le contrôle conduit les enfants à suivre


les directives de leurs parents et ne favorise pas le développement cognitif autant que
lorsque les parents suivent l'exemple de leurs enfants. L’éducateur peut encourager
l’apprentissage par le jeu de diverses manières :

- Les adultes en tant que modèle doivent développer des attitudes positives envers le jeu, en
l'encourageant et en fournissant d’autres alternatifs ludiques. Quand les adultes se joignent
aux enfants, ils doivent s’engager dans le jeu, l’encadrer et l'étendre, plutôt que de le dicter
ou de le dominer.

- Aménager un environnement en variant les jouets, les matériaux et les équipements pour
jouer avec des niveaux différents de difficulté. Le choix des matériaux est important, car il
produit chez les enfants la motivation pour l'exploration et la découverte. L'environnement de
jeu doit permettre aux enfants de faire des choix et explorer les possibilités ludiques.

- Dès que l’enfant commence à jouer, il faut l’observer attentivement. L'observation est un
processus continu, fournissant des informations sur les intérêts de l’enfant et ses capacités,
ainsi que sur les possibilités d’améliorer son apprentissage et son développement.
L’observation aide les adultes à identifier les moyens nécessaires afin de guider
l'apprentissage.

- Écouter, répéter, progresser avec l’enfant en posant des questions au bon moment

110
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Pour aller plus loin…

Roger Caillois, Les jeux et les hommes, Gallimard, 1957

Donald W. Winnicott, Jeu et réalité : l'espace potentiel, Gallimard, 1975 (Playing and
Reality, 1971)

Gilles Brougère, Jeu et Éducation, L'Harmattan, 1995

Piaget, J. (1968). La formation du symbole chez l'enfant: imitation, jeu et rêve, image et
représentation (5e ed.). Suisse: Delachaux et Niestlé.

Vygotsky, L. S. (1976). Play and its role in the mental development of the child. In Play. New
York: Basic Book.

111
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Chapitre VII

LE DEVELOPPEMENT DU JEU CHEZ L’ENFANT

Il est clair que le jeu constitue l’activité préférée de tous les enfants. C’est le symbole
même de l’enfance car il domine la majorité de leurs temps et de leurs occupations.

Alors c’est quoi le jeu ? quel est son pouvoir mystérieux de cette activité pour attirer tous
les enfants sans exception ? Est-ce que l’enfant tire un intérêt à quand il joue ? Comment
évolue cette activité chez l’enfant et quel intérêt cela représente pour l’enseignant ?

Etymologiquement, le mot jeu vient du latin jocus signifiant plaisanterie ou badinage.


En latin, le concept du jeu est désigné par ludi, qui a donné en français l’adjectif ludique.

Dans la plupart des définitions du jeu, ce concept est assimilé à ceux de divertissement et
d’amusement. De ce fait, on évoque la théorie pascalienne du divertissement qui permet à
l’homme d’éviter l’ennui en se « pipant soi-même », c’est-à-dire en s’illusionnant sur une
sorte de liberté qu’il croit ainsi acquérir par rapport à ses propres déterminations. Et l’on met
d’autre part en évidence le lien entre l’activité ludique et les distractions joyeuses, dont celles
des enfants sont l’image la plus manifeste.

On peut définir le jeu comme une activité de loisirs d'ordre physique ou bien mental,
soumise à des règles conventionnelles, à laquelle on s'adonne pour se divertir, tirer du plaisir
et de l'amusement.

I- LES CARACTERISTIQUES DU JEU

Pour H. Wallon39 (2002, p. 75), le jeu recouvre toute l’activité de l’enfant tant qu’elle
reste spontanée et « ne reçoit pas ses objets des disciplines éducatives ». Le jeu est libre,
l’enfant y reproduit des conduites déjà intégrées mais il explore aussi des conduites nouvelles.
Wallon considère différents mouvements dialectiques dans le jeu :
- dialectique entre la liberté et la contrainte : si le jeu est libre, il intègre néanmoins la
contrainte liée à la règle du jeu. Lorsque la règle devient trop contraignante pour
l’enfant, le jeu initial prend une autre forme via l’utilisation de la tricherie. En utilisant
celle-ci, l’enfant transgresse la règle, en annule l’effet contraignant et réintroduit le jeu
;

39 L'Évolution psychologique de l'enfant, A. Colin, Paris, 1941, rééd. 2002, Ed.: Armand Colin

112
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

- dialectique entre la gratuité et le désir de gagner : si le jeu est, par essence, gratuit, il
n’est reste pas moins que l’enfant a envie de gagner, même si cette victoire est
éphémère et plus souvent liée au hasard qu’aux aptitudes réelles ;
- dialectique entre la fiction et la réalité : la fiction fait naturellement partie du jeu
puisqu’elle s’oppose à la réalité. Progressivement avec l’âge, il va exiger de plus en
plus de ressemblance entre les symboles et la réalité ; dans ses jeux, il ne cesse
d’alterner et de transposer des éléments de fiction et d’observation de la réalité ;
- dialectique des relations interpersonnelles : l’importance des relations
interpersonnelles et des conflits qui les jalonnent est une constante de la pensée de
Wallon. Pour lui, le sujet se forme et se développe à travers l’intersubjectivité. Ainsi,
dans les jeux de fiction où l’identification joue un très grand rôle, cette dernière est
accompagnée de sentiments ambivalents : s’identifier c’est, en effet, à la fois
reconnaître au modèle une valeur prestigieuse mais c’est en même temps se substituer
à lui en prenant sa place.

Roger Caillois40 , quant à lui, fait du jeu une « occupation séparée, soigneusement isolée
du reste de l’existence ». Le jeu est une activité qui doit être libre, séparée, incertaine, fictive
et réglée:

1.1. Le jeu est une activité libre :

C’est une activité à laquelle le joueur ne saurait être obligé sans que le jeu perde aussitôt
sa nature de divertissement attirant et joyeux Elle doit être choisie pour conserver son
caractère ludique. Le jeu est un comportement complexe étant davantage associé à une
motivation intrinsèque plutôt qu’extrinsèque ; est habituellement spontané et plaisant. Le jeu
est considéré comme expression de la liberté. Elle est dirigée par le joueur lui-même et
implique un engagement actif non obligatoire. Le dépassement de soi (réel ou symbolique)
constitue la principale motivation du joueur. Elle constitue aussi son exploit. Le dépassement
de soi vient du plaisir d'accomplir une tâche physique ou intellectuelle qui semble à la limite
de ses propres possibilités. La notion de défi.

1.2. Le jeu est une activité séparée

Elle est circonscrite dans les limites d'espace et de temps. Il faut rapprocher cette
dimension d'une remarque de Johan Huizinga41: comme le sacré, le jeu ne vaut qu'à

40 Roger Caillois « Les jeux et les hommes » (Gallimard, 1957 )

113
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

l'intérieur de frontières temporelles et spatiales précises, la durée de la partie, le stade ou le


damier. Le jeu serait une expression frappante de la liberté créatrice, du triomphe, mais
parfaitement circonscrit, sur le déterminisme pesant des choses ou des statuts sociaux.

1.3. Le jeu est une activité incertaine

Dans le jeu, l'issue n'est pas connue à l'avance. Un jeu ne remplit son objet que dans la
mesure où il recèle une part suffisante d'imprévisibilité pour le joueur. Pour assurer cette
imprévisibilité, le hasard est une composante importante de beaucoup de jeux. C'est alors une
composante admise, voire recherchée (jeux de dés, ballon ovale susceptible de rebondir de
façon imprévisible). Parallèlement, un hasard trop grand empêche de faire reconnaître la
valeur technique des joueurs. Le hasard sera alors combattu par des règles très strictes et
déterministes : jeu d'échecs, dames, football.

1.4. Le jeu est une activité improductive


C’est une activité qui ne produit ni biens, ni richesses, ni élément nouveau d’aucune sorte.
Même les jeux d'argent ne sont qu'un transfert de richesse car il s’agit d’un déplacement de
propriété au sein des joueurs, aboutissant à une situation identique à celle du début de la
partie. Le jeu obéit à une logique diamétralement opposée à celle de la rentabilité. Il s’agit
d’«une finalité sans fin» (Kant). Le jeu est une recherche de la difficulté pour elle même.

Né selon Schiller42, au même titre que l'art, d'une surabondance d'énergie vitale par
rapport aux besoins, d'une pulsion de jeu (dans l'allemand de Schiller, Spieltrieb), le jeu est
donc avant tout occasion de dépense pure. L'activité déployée par le joueur est
fondamentalement superflue. Certes, cela ne semble pas tenir compte des jeux d'argents. Mais
ceux-ci ne produisent globalement rien, tout au plus enrichissent-ils certains joueurs aux
dépens des autres, remarque Caillois. En ce sens, il n'y a de jeux à proprement parler qu'à
somme nulle. Le gain n'est pas un salaire, note Johan Huizinga. Le salaire octroyé à un joueur
le transforme ipso facto en un professionnel. Le jeu « est condamné à ne rien fonder ni
produire, car il est dans son essence d'annuler ses résultats » souligne Roger Caillois.

1.5. Le jeu est une activité réglée

41 Johan Huizinga, Homo ludens : essai sur la fonction sociale du jeu, Gallimard, 1951 (traduit du
néerlandais : Homo ludens, proeve eener bepaling van het spel-element der cultuur, 1938).
42 Johann Christoph Friedrich von Schiller (1759- 1805) est un poète et écrivain allemand

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Elle est soumise à des conventions qui suspendent (interrompent) les lois ordinaires et qui
instaurent momentanément une législation nouvelle, qui seule compte. Pour jouer ensemble, il
faut d'abord un accord minimal sur le cadre de jeu : les règles. Le respect des règles du jeu a
été à l'origine d'une valeur universelle : le fair-play.

Les règles sont un ensemble de consignes qui décrivent les relations entre le ou les joueurs
et l’environnement de jeu. Elles spécifient l’étendue et la nature des actions légitimes des
joueurs et elles établissent la séquence et la structure dans lesquelles se dérouleront les actions
des participants. Les règles remplissent trois types de fonctions.

- La première fonction, les règles de procédure, décrit les composantes du jeu, soit le
nombre de joueurs ou le nombre d’équipes, le rôle de chacun des participants, leurs
activités et leurs déplacements ou les mouvements qui peuvent être faits.
- Ensuite, il y a les règles de clôture qui spécifient les résultats escomptés pour chaque
joueur ainsi que les contraintes.
- Finalement, les règles de contrôle décrivent les conséquences pour un joueur qui ne
respecte pas les règles précédentes.

Brougère (1999) spécifie que les règles résultent soit d’une régulation externe acceptée
par les joueurs, soit d’une convention ou d’une négociation entre les joueurs. Dans tous les
cas, les règles doivent être claires, organisées, complètes, préétablies et acceptées par les
joueurs avant le début du jeu. Sans ces règles pré–établies et connues du ou des joueurs, le jeu
devient une activité ludique où les participants sont libres de créer les règles ou de les
modifier au gré de leur fantaisie et du déroulement de l’activité (De Grandmont, sans date).
Notons que dans un nombre grandissant de jeux électroniques, le joueur est appelé à inférer
les règles en jouant, ajustant ses décisions au fur et à mesure qu’il affine sa compréhension
des enjeux proposés.

Il semble pourtant que le jeu de rôle de l'acteur se caractérise par l'absence de règles
strictes, par le caractère prévisible de l'action ou encore par l'absence de compétition les jeux
de rôles n’obéissent pas aux principes de la règle et de la compétition. Cependant, même dans
ce cas, il y a bien une sorte de défi car il n'est pas si facile d'agir continuellement comme un
autre. Selon Caillois, la règle du jeu est alors unique ; elle consiste « à fasciner le spectateur,
en évitant qu'une faute conduise celui-ci à refuser l'illusion ».

115
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Toutefois, dans certains cas, le jeu ne se développe dans un cadre formel mais se crée
aussi spontanément. Jouer à la poupée, à la guerre, à la classe ou avec des figurines ne
permettent ni de gagner, ni de perdre, mais se contentent de représenter le monde et
d'entraîner le joueur à affronter la vie réelle, dans un cadre où une fausse manœuvre
n'engendre que peu de conséquences.

1.6. Le jeu est une activité fictive

Le trait le plus évident du jeu n'est autre que sa différence avec la réalité. Jouer, c'est jouer
à être quelqu'un d'autre, ou bien c'est substituer à l'ordre confus de la réalité des règles
précises et arbitraires, qu'il faut pourtant respecter scrupuleusement. Il faut entrer dans le jeu,
il ne supporte pas le scepticisme (c.-à-d. l’incrédulité ou la méfiance) notait Paul Valéry.
Cependant, le jeu n'est plaisant que dans la mesure où cette entrée dans le jeu, en latin in–
lusio, c'est-à-dire illusion, est librement consentie.

C’est une activité accompagnée d’une conscience spécifique de réalité seconde ou de


franche irréalité par rapport à la vie courante. Le jeu est aussi une manière de représenter le
monde. Ainsi le jeu transpose dans un objet concret des systèmes de valeurs ou des systèmes
formels abstraits. De ce point de vue le jeu peut être considéré comme une métaphore du
monde (ou d'une de ses parties). Jouer et/ou inventer un jeu, construire une partie en
interaction avec son adversaire relève alors d'une activité culturelle de haut niveau, et chaque
partie jouée est une forme d'œuvre d'art.

2. LES TYPES DE JEU

La première tentative de catégorisation des jeux nous parvient du psychologue allemand


Karl Bühler (1879-1963) qui a proposé quatre variétés : fonctionnels, de fiction, d'acquisition et de
construction. En 1957, Roger Caillois propose également quatre catégories de jeux: ceux qui
reposent sur la compétition (agôn), le simulacre (mimicry), le hasard (alea), et enfin ceux qui
ont pour objet de procurer une impression de vertige (ilinx).

En 2012, l’institut national de jeu (NIP)43 aux Etats-Unis décrit sept types de jeux :

8- Les jeux d’attachement, qui établissent un lien d’attachement affectif, comme les jeux
entre la mère et son bébé.

43 National Institute for Play. "Play Science – the Patterns of Play". Retrieved 2012-01-16.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

9- Les jeux avec le corps : dans lesquels l’enfant explore les possibilités de mouvement
de son corps et ses capacités d’interaction avec le monde, tels produire des sons ou des
sifflements, ou découvrir ce qui arrive quand il saute d’en haut. Dans la description de
Buhler, ils sont inclus dans les jeux d’acquisition car ils permettent l’exploration et la
découverte de soi et de ses propres capacités.
10- Les jeux avec les objets : Ces jeux sont motivés essentiellement par la curiosité.
L’enfant joue avec les objets pour les connaitre et savoir leurs qualités. Ces jeux
consistent essentiellement à manipuler avec les mains les différents objets qu’il trouve
dans son entourage (taper sur une casserole, lancer un verre, etc.). Dans un second
temps, les jouets prennent une place primordiale. Ils sont également décrits par Buhler
comme des jeux d’acquisition parce qu’ils permettent la découverte de
l’environnement physique.
11- Les jeux sociaux : ce sont les jeux qui impliquent d’autres personnes dans des activités
telles que faire des combats avec certains enfants et établir des relations amicales avec
d’autres. Ils s’intègrent avec les jeux de compétition décrits par Caillois où le défi est
présent lorsque les actions posées par un joueur engendrent des réactions chez le rival,
créant ainsi une compétition ou une lutte. On peut y inclure aussi les jeux
d’appartenance dans lesquels la nécessité de jouer avec d’autres personnes est motivée
par le désir de se faire accepter, d’appartenir à un groupe.
12- Les jeux de fiction ou de fantaisie dans le quels l’enfant invente des scénarios de sa
propre imagination et joue des rôles comme le jeu de la famille et du docteur ou du
maître d’école. Cette catégorie est retrouvée avec la même désignation dans la
typologie de Buhler. Pour Caillois, il s’agit de jeux du simulacre. Jean Piaget a
particulièrement bien décrit l'importance du jeu symbolique dans le développement du
jeune enfant. Il est très fréquent que le jeu soit une reprise symbolique de ce qui se
passe dans la réalité. Mais la capacité à s'investir dans le « comme si... » du jeu va de
pair avec une capacité de distinguer le littéral du métaphorique : pour que le jeu existe,
il faut qu'il reste un certain écart entre réalité et fiction. Il existe donc une certaine
ambivalence entre le joueur et le personnage qu'il incarne : il y place une partie de lui-
même mais garde toujours un regard critique sur la réalité de cette incarnation.
Institutionnalisé, cet aspect de l'activité ludique a donné naissance au jeu
dramatique puis au jeu théâtral.

117
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

13- Les jeux narratifs : ce sont les jeux qui sont basés sur le langage comme raconter à
l’enfant des histoires ou lui lire un livre à voix haute ou lui demander de reproduire
par lui-même un conte.
14- Les jeux de transformation à travers lesquels l’enfant joue avec son imagination pour
transcender ce qui est connu afin de créer un état nouveau, comme les jeux de lego ou
de puzzle. Dans la description de Buhler, ils correspondent aux jeux de construction et
consistent dans l'assemblage et le bricolage de toutes sortes de matériaux. Les
manipulations requises sont tantôt faites au hasard, tantôt prévues et planifiées. On
développe ici des habiletés en mathématiques et en géométrie. L'enfant peut y jouer ou
encore confronter ses idées en petits groupes. La coopération se fait alors sentir afin de
résoudre des problèmes communs. Ce sont des jeux de fabrication permettant de
comprendre les mécanismes de ce qui entoure l'enfant et de s'en servir.

3. LES FONCTIONS DU JEU


On peut distinguer deux de fonctions principales : la détente et le développement de la
personnalité.
3.1. La fonction de détente
3.1.1. Occuper le temps libre :
Une des premières théories concernant le jeu était qu’elle dépendait de l’évolution des
espèces: plus une espèce est évoluée, moins elle a besoin de consacrer de temps à sa survie,
en conséquence, plus une espèce est évoluée, plus elle a de temps libre qu’elle occupe en
jouant.
3.1.2. Le jeu, récupération de la fatigue :
Il est connu que les enfants, même très fatigués, semblent soudainement retrouver toute
leur énergie lors du jeu. Ce constat a donné naissance à des théories spécifiant que le jeu, au
même titre que le sommeil permet une récupération de la fatigue. Wallon considère que le jeu
est un délassement par opposition au travail. Le jeu est récréatif et ludique. Il compense
l'utilisation inégale de l'énergie par le travail
3.1.3. Le jeu, combat de l'ennui :
Des expériences ont montré que des sujets privés de possibilités de mouvement, de
stimulations ont recours à des formes de jeu pour se distraire de l’ennui. Si toutes les
possibilités de jeu sont inhibées, la situation devient insupportable. Pour certains chercheurs,
le rôle principal au jeu de délivrer l’homme de sa surabondance d’énergie.
3.1.4. Le jeu comme libération de l'autorité :

118
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Le jeu de l'enfant peut constituer une libération face aux contraintes de l'autorité; Il est un
«antidote du destin quotidien». Il permet d’éviter la répétition monotone des mêmes rôles de
la vie quotidienne, l'obéissance aux règles et la pression de l'environnement. Le jeu balance
entre la crainte d'échouer et la joie de réussir, sans que cela n'ai de conséquence sérieuses.
3.2. La fonction de développement de la personnalité
3.2.1. Jeu et développement moteur
Sur le plan physique, dès la petite enfance, jeu et mouvement sont intimement reliés.
Tout au cours de l’enfance, les jeux impliquent des déplacements, des gestes, des
mouvements (grimper, courir, sauter, glisser, etc.). Le jeu représente un lieu privilégié de
consolidation et de développement des schèmes d’action physique. Il permet la libération des
surplus d’énergie physique, l’expression de soi dans l’activité corporelle en même temps que
le maintien de la forme physique ;
L'imitation est à l'origine du développement moteur des petits enfants, d'abord à travers
des mouvements simples (par analogie), et plus tard des mouvements construits (ou patterns).
Des nourrissons tirent la langue par imitation des adultes, mais aussi en percevant un
mouvement similaire, réalisé à l'aide d'un stylo par exemple. Le jeu est une activité
structurante au niveau perceptivo-moteur, en ce qui concerne les notions d’espace temps et le
schéma corporel.
3.2.2. Jeu et développement cognitif
Le jeu contribue significativement au développement cognitif, il représente l’effort de
l’enfant pour comprendre les choses et leur donner un sens, il permet la créativité. L'imitation,
l’exploration et la répétition sont importants dans le développement des représentations
mentales. Certains chercheurs (Athey,1984) proposent quatre fonctions cognitives du jeu :
- L’accès à de nouvelles sources d’informations ;
- La maîtrise des habiletés et des concepts la rencontre : de la nouveauté,
l’interaction avec le jouet favorisent les processus d’équilibration et participent de
l'automatisation des fonctions psychiques.
- La stimulation et le maintenir un fonctionnement efficace de l’intelligence parce
qu’il requiert diverses activités mentales
- La créativité en laissant libre cours à l’usage des habiletés et des concepts dans
contexte de valorisation de l’imaginaire. Les recherches actuelles suggèrent que le
jeu développe la flexibilité mentale c.-à-d. des pratiques d’adaptation tel que
découvrir les multiples manières pour arriver au résultat désiré, ou les manières
créative pour améliorer ou réorganiser une situation déterminée.

119
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

3.2.3. Jeu et développement du langage :


Sur le plan langagier, le jeu permet de développer le vocabulaire, d’explorer de
nouvelles formes d’expression d’idées, de sentiments, etc. Le jeu d'imitation contribue au
développement du langage (voire Nadel: l'imitation est les systèmes de communication des
enfants)
3.2.4. Jeu et socialisation
Sur le plan social : le jeu est un lieu privilégié d’exploration des rôles
qu’éventuellement l’enfant sera amené à jouer plus tard. Il peut y apprendre à ajuster ses
interactions aux demandes des autres ou à résister à celles-ci. Dans ce contexte, les partenaires
de jeu constituent une source de rétroaction particulièrement riche pour apprendre à distinguer
des phénomènes comme l’agressivité et l’affirmation de soi, le partage et l’égocentrisme, la
dépendance et l’indépendance, etc. ;
Le jeu est un critère de socialisation des enfants. En premier lieu, le jeu solitaire lui permet
d’assimiler des éléments culturels et sociaux qui servent de références communes aux enfants.
En second lieu, le jeu social et les espaces dédiés au jeu sont des cadres de rencontre et
d’interaction entre individus, dans lesquels ils construisent leur identité sociale.
3.2.5. Jeu et développement affectif
Sur le plan affectif, le jeu permet de résoudre des conflits émotionnels, de faire face à
l’anxiété et à la peur, d’exprimer les affects, etc. La psychanalyse a bien documenté le rôle
cathartique que pouvait jouer le jeu sur le plan affectif : il permet l’expression de sentiments
et de fantasmes, mais aussi le jeu permet à l’enfant de réinterpréter ses expériences négatives
en les remettant en scène dans une activité ludique où il peut exercer un contrôle, ce qui n’est
pas nécessairement le cas dans « sa vraie vie ». Le jeu permet la construction et le règlement
de conflits internes autant qu’externes. Il est une expression et régulation des pulsions, dans
un contexte non critiquable. Selon Winnicott44, le jeu est une illusion se situant entre les
mondes internes et externes. C’est une activité créative, mettant en scène les rêveries et le
vécu. L’enfant crée et recrée, se procurant ainsi du plaisir.

4. LES STADES DU DEVELOPPEMENT DU JEU.


Comme tout comportement humain, le jeu passe par des stades de développement.
Jean Piaget (1896-1980) est le premier chercheur à établir une chronologie génétique des
stades du développement du jeu. Il considère le jeu est une manifestation de l’intelligence de

44 Donald W. Winnicott, Jeu et réalité : l'espace potentiel, Gallimard, 1975 (Playing and Reality, 1971)

120
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

l’enfant. Il postule ainsi l’existence d’un parallèle entre les stade du développement de
l’intelligence et les stades du développement du jeu.

Piaget a établit une nouvelle dimension du jeu, c’est entre l’activité physique et
l’opération mentale. Le jeu est ainsi source d’apprentissage. Il aurait un rôle fondamental dans
l’assimilation (apprentissage) du réel aux besoins du moi mais aussi dans l’accommodation du
moi au réel, c.-à-d. aux contraintes objectives de l’environnement

Piaget a décrit trois stades successifs du développement du jeu : les rituels moteurs (0-
2 ans), le jeu symbolique (2-7 ans) et la coopération (à partir de 7 ans).

4.1. Le stade des rituels moteurs (0-2 ans)

Au cours de ce stade, l’enfant se livre à des jeux d’exercice (ou fonctionnels). Ces jeux
consiste à reproduire des mouvements et en observer les effets, et ce, de façon répétée.
L’enfant éprouve ainsi le plaisir d’être la cause d’un effet. Par exemple, tirer sur le hochet
pour écouter les sons, lancer un objet pour connaitre ses résultats. Mais ultérieurement, ces
jeux se complexifient lorsque les gestes répétitifs se coordonnent pour devenir une série.
Exemple : saut à la corde, jeux de balles, etc.
D’autres chercheurs ont précisé les types de jeu auxquels se livrent les enfants entre 0 et 3
ans. Ils ont distingué 3 types de jeu :
 le jeu isolé qui se manifeste avant un an : l’enfant n’accorde aucun intérêt à partager
son jeu avec une autre personne et préfère jouer seul ;
 le jeu en parallèle qui apparait vers un an et demi :: l’enfant joue avec ses propres
jouets à côté d’un autre enfant qui joue aussi mais sans participation.
 le jeu d’imitation qui apparait vers 2 ans : si un enfant lance son jouet dans l’air,
l’autre enfant l’imite immédiatement.
4.2- Le stade des jeux symboliques (2-7 ans)
Ce stade correspond au 2ème stade du développement de l’intelligence : le stade
préopératoire. Sur le plan intellectuel, ce stade se caractérise par l’apparition de la fonction
symbolique qui se manifeste dans le langage, le dessin, l’imitation différée et le jeu
symbolique. Sur le plan ludique, l'action devient moins impulsive. Elle laisse une place à
l'action volontaire et contrôlée.

Dans le jeu symbolique, chaque enfant attribue aux objets et aux actions une
signification subjective imprégnée de motivations affectives : par exemple, une boîte peut

121
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

représenter un lit ou une table, pour revivre les moments de repas ou du sommeil, représenter
un rêve, etc. Au cours de cette période, nous assistons à une évolution en fonction de l’âge de
l’enfant :

4.2.1. Les jeux de fiction sympathie (vers 2-3 ans).


L’enfant s’imite lui-même ou d’autres personnes et assimile un objet à un autre. On
observe dans le jeu des mécanismes précis qui vont progressivement se coordonner et devenir
plus complexes :
 la projection de schèmes symboliques sur des objets nouveaux : l’enfant fait s’asseoir
sa poupée (préalablement, il imitait lui-même l’action : ici l’enfant déplace sur un
objet son activité propre) ;la poupée lit le journal.
 l’assimilation d’un objet à un autre (par exemple une boîte d’allumettes devient une
petite voiture), ou l’assimilation du corps propre à un objet (par exemple l’enfant joue
à être un animal).
4.2.2. Les jeux de construction (vers 3-4 ans)
L’enfant représente des scènes réelles de la vie quotidienne et multiplie les combinaisons,
c’est-à-dire une organisation, une mise en scène, voire une dramatisation d’événements liés à
la vie quotidienne. Ils sont plus complexes que les premières fictions, par le nombre des
personnages (objets), les relations entre eux, et par l’organisation spatiale et temporelle des
scènes ; le jeu symbolique devient collectif et on assiste à une répartition des rôles. Les
constructions symboliques deviennent plus ordonnées, plus cohérentes, en d’autres termes
plus proches de la réalité. L’enfant manifeste un souci de vraisemblance, de ressemblance
avec la réalité.

Au cours de cette période, on assiste à de véritables sociodrames: les enfants au sein de


groupes plus ou moins nombreux ont la capacité de reconstruire de véritables situations
sociales dans lesquelles certains personnages réels (parents, connaissances, amis, etc.) ou
imaginaires (fées, sorcières, animaux parlants, etc.) sont évoqués grâce à une reconstruction
affective et cognitive particulière.

Sur le plan intellectuel, ce stade se caractérise par l’égocentrisme et par un jugement


moral hétéronome. Sur le plan ludique, l'enfant suit les règles qui lui proviennent de
l'extérieur et qu’il considère comme fixes, inchangeables et sacrées. Mais, bien qu'il joue en
groupe, il lui est difficile d'établir un lien entre ses actions et celles des autres, même si ce lien
est la base du jeu de groupe. Dans le jeu de groupe, la règle sert à établir les capacités dont

122
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

chaque joueur doit faire preuve par rapport aux autres (compétition) et au jeu en soi
(connaissance des règles). Mais avant l’âge de 7 ans, l’enfant considère que le vainqueur est
celui qui connaît et applique mieux que les autres les règles de jeu. Étant donné que l'enfant
lors de la période égocentrique n'arrive pas à faire le lien entre les différents aspects d'une
réalité et n'accepte pas de perdre, il se peut qu'il estime avoir gagné en même temps que ses
compagnons de jeu.

4. 3- le Stade de la coopération (à partir de 7 ans)

A ce stade, l'enfant a parfaitement conscience de ce qu'est la compétition et commence à


appliquer des règles précises dans le jeu. Le fait de rivaliser avec ses camarades dénote une
capacité à garantir la réciprocité des moyens employés pour atteindre un but (coopération).
L'enfant éprouve un intérêt pour la signification des règles qui, tout en variant, doivent
toujours dépendre de la volonté du groupe. L’enfant devient capable à se livrer aux jeux de
règle. Ce type de jeu comporte des règles à suivre et chaque enfant a un rôle bien défini et
interdépendant. Pour que le jeu ait tout son sens, chaque enfant doit jouer son rôle. Les règles
sont décidées par les enfants et non par les adultes. L’enfant assimile alors peu à peu le
pourquoi des règles lorsqu'il est en groupe.

Selon Piaget, ce stade ludique correspond au stade de la pensée opératoire avec un


jugement moral autonome : l’enfant considère qu’il est capable d’opérer un changement dans
les règles du jeu mais sous condition que ce changement soit accepté par les autres partenaires
du jeu.

5. JEU ET EDUCATION

5.1. Le jeu comme outil Educatif

Le concept de l'éducation par le jeu désigne la fusion du divertissement et de l'éducation.


C'est une forme de divertissement conçue pour éduquer tout en amusant. L'éducation par le
jeu cherche typiquement à instruire ou socialiser les individus en enveloppant les leçons dans
une forme familière de divertissement.

Plusieurs philosophes ont défendu le rôle du jeu dans l’éducation au cours de l’histoire :

endant l’antiquité le philosophe grec Platon;


 au 18ème siècle, le philosophe français Jean Jacques Rousseau ;

123
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

 au début du 20ème siècle, le philosophe français Alain estimait que l'école devait tenir
le milieu entre le jeu, qui enferme l'enfant dans l'enfance, et le sérieux, qui l'enferme
dans l'utile.
 au 20ème siècle Mais le rôle du jeu dans le développement de l'enfant a réellement été
pris au sérieux. En1989, l’ONU vote la Convention Internationale des Droits de
l’Enfant et reconnait les jeux comme un droit spécifique à tous les enfants.

Les théories modernes ont examiné le jeu de manière à savoir comment il influence le
développement : « L’apprenant n’est plus considéré comme un récepteur passif de la
connaissance mais comme un constructeur actif de sens » (Dietze & Kashin, 2006). En
sciences de l’éducation, le chercheur américain John Dewey postule que les enfants
apprennent mieux par l’activité à la fois physique et intellectuelle, en d’autres termes, les
enfants devraient jouer un rôle actif dans l’opération éducative.

Dès le début du 20ème siècle, l’approche de l’éducation active a été pratiquée par
l’éducatrice et pédagogue italienne Maria Motessori dans les Jardins d’Enfants. L’approche
éducative de Montessori met l’accent sur l’individualité de chaque enfant par rapport à ses
besoins et ses talents. Le but de l’éducateur est de maintenir la joie naturelle des enfants à
apprendre (la méthode des coins de jeu).

De nos jours, l’avènement de l’outil informatique accroît de plus en plus l’intérêt pour
l’utilisation des jeux comme outil éducatif dans un contexte d’apprentissage initial (du
primaire à l’université).

5.2. L’apprentissage par le jeu

“Le jeu nourrit tous les aspects du développement de l’enfant – il forme la base des
compétences intellectuelle, sociale, physique et émotionnelle qui sont nécessaires à la réussite
à l’école et dans la vie. Le jeu pave la route de l’apprentissage ”.(Conseil Canadien de
l’Apprentissage, 2006).

Les jeux pédagogiques contribuent à l'acquisition de connaissances ou de


compétences. Ils sont de plus en plus reconnus par les pédagogues et les enseignants comme
utiles. La raison principale tient au fait que tous les enfants aiment et ont besoin de jouer. Un
contenu perçu comme ennuyeux, peut les passionner une fois formulé sous forme ludique.

124
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Vygotsky45 considère que dans le jeu, l’enfant se situe toujours au-delà de son âge
moyen, au-delà de son comportement habituel, comme s’il était au-dessus de lui-même. “ Le
jeu comporte, de façon condensée, tel un verre grossissant, toutes les tendances du
développement ”. Le jeu a des effets positifs sur les aspects suivants de l’apprentissage :

 la motivation,
 le développement des habiletés de coopération,
 la structuration et l’intégration des connaissances et,
 le développement des habiletés en résolution des problèmes.

5.2.1. La motivation

Le jeu favorise la motivation à l’apprentissage sur différents plans :

- Il soutient positivement l’estime et la confiance en soi, l’engagement, le désir de


persévérer et d’accomplir une tâche.

- Le plaisir de jouer, le défi, l’aspect compétitif, l’interaction entre les joueurs, l’effet
d’entraînement et la possibilité de gagner des points, l’excitation et l’enthousiasme
suscités par la participation au jeu.

=> La motivation de gagner renforce l'attention. Par exemple les jeux de groupe visent à
parvenir à un objectif commun. Ils contribuent à faire comprendre la valeur du travail en
équipe, essentielle dans la vie réelle. De même, le respect des règles est en soi une forme de
coopération.

5.2.2. Le développement des habiletés de coopération

Le jeu favorise le développement des habiletés de coopération, de communication et de


relations humaines. Il peut favoriser le développement de ces habiletés de diverses manières :

 la capacité d’entrer en relation avec les autres,


 la capacité de négocier et de discuter,
 la capacité de collaborer, de partager des émotions et des idées,
 de développer des liens et des amitiés ou encore de développer l’esprit d’équipe.

45 Vygotsky, L. S. (1976). Play and its role in the mental development of the child. In Play. Ney York: Basic
Book.

125
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Par exemple les jeux de groupe visent à parvenir à un objectif commun. Ils contribuent
à faire comprendre la valeur du travail en équipe, essentielle dans la vie réelle. De même,
le respect des règles est en soi une forme de coopération.

5.2.3. Le développement des habilités de résolution de problèmes

Le jeu permet le développement chez l’apprenant des stratégies cognitives et


l’amélioration de ses capacités à :

 prendre des décisions,


 comprendre un problème,
 poser des hypothèses et
 trouver la solution au problème étudié.

=> Le jeu permet donc aux apprenants de développer la logique requise pour résoudre un
problème.

5.2.4. La structuration des connaissances

Les jeux permettent à l’apprenant la construction et l’organisation de schémas ou de


représentations afin de comprendre un concept ou une situation donnée.

=> Ils améliorent et renforcent la connaissance de la matière étudiée.

5.2.5. L’intégration de l’information

Le jeu favorise l’intégration de connaissances par l’utilisation de notions théoriques ou


de concepts dans des situations pratiques. Plus précisément, le jeu permet au joueur d’établir
le lien entre des connaissances acquises (mais qui demeurent abstraites) et des connaissances
concrètes. Il favorise également la rétention de l’information à long terme.

Certaines études, notamment celles sur le rôle des jeux multimédia dans l’acquisition
des connaissances langagières (comme le vocabulaire d’une langue étrangère), démontrent
que les jeux, avec un contenu d’apprentissage scolaire précis, ont un impact sur l’intégration
de l’information.

5.3. Jeu et pratique éducative

Selon les chercheurs, quand les adultes jouent avec les enfants, le niveau de jeu devient
plus élevé et plus diversifié.

126
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

L'accompagnement est différent du contrôle. Le contrôle conduit les enfants à suivre


les directives de leurs parents et ne favorise pas le développement cognitif autant que
lorsque les parents suivent l'exemple de leurs enfants. L’éducateur peut encourager
l’apprentissage par le jeu de diverses manières :

- Les adultes en tant que modèle doivent développer des attitudes positives envers le jeu, en
l'encourageant et en fournissant d’autres alternatifs ludiques. Quand les adultes se joignent
aux enfants, ils doivent s’engager dans le jeu, l’encadrer et l'étendre, plutôt que de le dicter
ou de le dominer.

- Aménager un environnement en variant les jouets, les matériaux et les équipements pour
jouer avec des niveaux différents de difficulté. Le choix des matériaux est important, car il
produit chez les enfants la motivation pour l'exploration et la découverte. L'environnement de
jeu doit permettre aux enfants de faire des choix et explorer les possibilités ludiques.

- Dès que l’enfant commence à jouer, il faut l’observer attentivement. L'observation est un
processus continu, fournissant des informations sur les intérêts de l’enfant et ses capacités,
ainsi que sur les possibilités d’améliorer son apprentissage et son développement.
L’observation aide les adultes à identifier les moyens nécessaires afin de guider
l'apprentissage.

- Écouter, répéter, progresser avec l’enfant en posant des questions au bon moment

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Pour aller plus loin…

Roger Caillois, Les jeux et les hommes, Gallimard, 1957

Donald W. Winnicott, Jeu et réalité : l'espace potentiel, Gallimard, 1975 (Playing and
Reality, 1971)

Gilles Brougère, Jeu et Éducation, L'Harmattan, 1995

Piaget, J. (1968). La formation du symbole chez l'enfant: imitation, jeu et rêve, image et
représentation (5e ed.). Suisse: Delachaux et Niestlé.

Vygotsky, L. S. (1976). Play and its role in the mental development of the child. In Play. New
York: Basic Book.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Chapitre IX

LE DEVELOPPEMENT DES COMPETENCES SCOLAIRES

Ce thème a fait l’objet de plusieurs recherches, aux Etats-Unis notamment, dans le cadre
de la psychologie cognitive. Cet intérêt à ce domaine de développement émane de sa
conception de la notion d’apprentissage. Si pour les béhavioristes les mécanismes
d’apprentissage sont globaux et universels, c’est-à-dire valables à tous les domaines de
comportement, l’approche cognitiviste insiste sur l’idée qu’il n’existe pas un seul
apprentissage mais des apprentissages dont les mécanismes s’appliquent de manière locale au
domaine visée.

Au cours de son évolution, l’approche cognitiviste a été fortement influencée par la


linguistique générative de Noam Chomsky. Parmi les concepts qu’elle a emprunté de la
théorie chomskyenne, on cite l’opposition entre compétence et performance. Actuellement, en
psychologie comme en éducation, La notion de compétence a été conçu suite également à
l’œuvre de psychologue russe Vygotsky en analysant sa théorie sur « la zone proximale de
développement.

Actuellement, la compétence désigne la mobilisation d’un ensemble de


ressources (savoirs, savoir-faire, savoir être) en vue de résoudre une situation complexe
appartenant à une famille de situations problèmes. Elle correspond à la « capacité d'agir
efficacement dans un type défini de situation, capacité qui s'appuie sur des connaissances,
mais ne s'y réduit pas » (Perrenoud, 1997)46. Elle se réalise dans l'action. Elle ne lui préexiste
pas. Un potentiel d’actions efficientes dans un ensemble de situations. Une performance se
constate, une compétence s’infère. Les caractéristiques de la compétence sont :
 elle est opératoire et finalisée : « compétence à agir », elle est indissociable d’une
activité ;
 elle est apprise : on devient compétent par construction personnelle et par construction
sociale ;
 elle est structurée : elle combine (ce n’est pas une simple addition) les savoir agir, les
vouloir agir et les pouvoir agir

46 Perrenoud, Ph. (1997). Construire des compétences dès l'école. Paris : ESF (4e éd. 2004)

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

 elle est abstraite et hypothétique : on ne peut observer directement la compétence


réelle mais on peut observer ses manifestations et ses conséquences.
Les compétences scolaires s’insèrent dans ce cadre et ont fait l’objet de plusieurs études
vue les problèmes qu’elles posent pour les enfants en situation d’apprentissage. Les
compétences scolaires de base, à savoir la lecture, l’écriture et le calcul, ont été le centre
d’intérêt de ces études. Cet intérêt n’est pas seulement motivé par des raisons éducatives, mais
aussi par des raisons cliniques lors du traitement des enfants ayant des troubles
d’apprentissage de la lecture (la dyslexie), l’écriture (la dysorthographie) et du calcul (la
dyscalculie),

1. LE DEVELOPPEMENT DE LA COMPETENCE DE LECTURE

Depuis les années 1980, de nombreux modèles théoriques ont été élaborés pour tenter
d’expliquer l’apprentissage de la lecture. Une notion récurrente dans ces modèles est celle de stade.
Cependant, ces modèles se sont centrés généralement sur les étapes relatives à la reconnaissance des
mots, c.-à-d. sur l’évolution des processus d’accès au lexique en mémoire à long terme et laissent de
côté la compréhension, phénomène nettement plus difficile à modéliser. L’un des modèles les plus
cités dans la littérature relative à la lecture est celui de Frith (1985). L’auteur a proposé un modèle
d’apprentissage de la lecture en trois stades successifs, logographique, alphabétique et orthographique.
1.1. Le stade logographique :

Dans la description proposée par Chall (1983), cette étape correspond au niveau 0. Il s'agit
d'une période de pré-lecture s'étendant de la naissance au moment où l'enfant devient capable
de lire. Durant cette période, l'enfant observe l'écrit et acquiert un certain nombre de
conceptions à propos de la lecture et de l'écriture. Il saura, notamment, à quoi ça ressemble un
texte écrit, où on le trouve, et ce qu'on entend quand on le lit à voix haute. L'enfant apprend à
identifier certains signes rencontrés dans son environnement, comme « Stop », « Coca Cola ».
L’enfant s’appuie à la fois sur des indices visuels saillants pris dans le mot (e.g. position de
certaines lettres, leurs configuration…) et sur des indices environnementaux (e.g. couleurs,
logos publicitaires, etc.). Certains mots familiers peuvent également être reconnus
instantanément. Frith caractérise ce stade de logographique car les stratégies d'identification
de mots sont basées sur la reconnaissance d'un patron visuel que l'enfant a appris par cœur.
Ces stratégies s'appuient sur des indices visuo-sémantiques (ou picturaux), sans aucune
référence à la structure phonologique du mot. L’enfant utilise ce que les chercheurs ont appelé
un « système sémantique pictural » dans lequel l’information linguistique est traitée comme

130
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

une image à laquelle un mot oral est associé. L'enfant a recours pour reconnaître le mot à la
présence de certains traits visuels saillants.

D’autres chercheurs (Marsh et al., 1981) décrivent ce premier niveau en distinguant


deux stades. Au premier stade, l’enfant peut apprendre à identifier quelques mots familiers, et
par jeu de devinette linguistique, reconnaître quelques mots dans un contexte (rote learning
and linguistic guessing). Cependant il ne pourra pas lire un mot non familier présenté
isolément. Au deuxième stade (descrimination-net guessing), le jeu de devinette n’est plus
seulement basé sur des indices appartenant au contexte linguistique mais aussi sur des indices
ou des similarités visuelles par comparaison avec les mots connus. Durant ce stade, l’enfant
prend souvent en compte, en tant qu’indices visuels, la première lettre des mots.

1.2. Le stade alphabétique

Il constitue la première phase de la lecture. Il correspond dans la description de Marsh


au stade de décodage séquentiel (sequential decoding). Il se caractérise par l'utilisation de
stratégies d'identification des mots basées sur l'attribution de sons à des lettres ou groupe de
lettres. L'enfant apprend à recoder phonologiquement les mots, c'est-à-dire à transformer les
mots écrits en prononciations. Cela implique l'application des règles de conversion des
graphèmes1 en phonèmes2 (CGP). Le phénomène de subvocalisation (par chuchotement ou
par oralisation à voix haute), qu'on observe souvent chez les lecteurs débutants, témoigne de
l'application des ce type de stratégies. D'abord l'enfant a tendance à traiter les lettres une par
une, il les prononce pour lui-même et essaie de les retenir pendant qu'il traite la suivante.
Ensuite, il essaie de fusionner toutes les lettres de manière à créer un ensemble prononçable
qui ressemble à un mot réel, récupéré en mémoire à long terme (le lexique mental). Cette
procédure indirecte pour lire les mots est appelée également l'assemblage phonologique.

La lecture alphabétique implique également l'utilisation des analogies


orthographiques. Il s'agit de stratégies d'assemblage phonologique qui font valoir des unités
intermédiaires entre le mot et le graphème. Ceci est possible grâce à la récupération en
mémoire des mots analogues à l'item cible. Glushko (1979) a montré que le pseudo-mot

1 Graphème : unité graphique minimale entrant dans la composition de tout système d'écriture. Par exemple, le
mot "MAISON" est composé de six graphèmes.
2 Phonème : élément sonore minimal, non segmentable, de la représentation phonologique d'un mot, dont la
nature est déterminée par un ensemble de traits distinctifs. Par exemple, le mot "MAISON" est composé de
quatre phonèmes : /m/, /e/, /z/, /o~/.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

nade, par exemple, est lu par analogie à des mots réels qui constituent ses voisins
orthographiques, comme name, made et fade.

L’automatisation de la lecture alphabétique et l’inefficacité de la stratégie


alphabétique pour lire et écrire les mots irréguliers conduisent à l’adoption d’une nouvelle
procédure au cours du dernier stade.

1.3. Le stade orthographique

Le troisième stade est celui où l'enfant devient un lecteur expert. L’existence du


lexique mental va permettre l’appariement direct des mots les plus familiers avec leur
correspondant dans le lexique. Le lecteur utilise des stratégies fondées sur une identification
visuelle des mots globalement considérés. Au cours de la phase logographique initiale, les
mots étaient reconnus par des stratégies qui, elles aussi, s'appuient sur un traitement visuel et
global, mais qui ne sont pas spécifiques au langage. En revanche, à ce stade, la lecture d’un
mot conduit à activer directement l’élément lexical correspondant en MLT, grâce cette fois à
une analyse linguistique via l’utilisation d’un système sémantique verbal (et non plus pictural
comme au premier stade). Ainsi, les stratégies orthographiques utilisent des représentations
spécifiques des lettres, parties de lettres et séquences de lettres, et non pas des configurations
visuelles quelconques. Outre le traitement visuel, les stratégies orthographiques impliquent
également le recours à l'assemblage phonologique pour lire les mots rares.

Ainsi, selon la conception de Frith, l’acquisition de la lecture s’effectuerait grâce à la


compréhension, l’application puis l’automatisation du principe alphabétique. Dans un tel
modèle, l’apprentissage explicite des correspondances entre graphèmes et phonèmes joue un
rôle central car c’est sous l’effet de cet apprentissage que peuvent se construire le lexique
mental et un accès direct à celui-ci.

Au cours de ses premières années d’école, l’enfant doit apprendre à lire, mais par la
suite, il doit lire pour apprendre (Chall, 1983). Dans la 3ème année de l’élémentaire, on
s’attend que l’enfant ait parfaitement assimilé les processus visuels, phonologiques et
orthographiques de base, qu’il reconnaisse rapidement les mots, qu’il ait donc une bonne
vitesse de lecture et comprenne bien les textes. La complexité du matériel écrit présenté à
l’enfant augmente au fur et à mesure que le vocabulaire s’enrichit, que la syntaxe se diversifie
et que les textes s’allongent. Juel (1988) rapporte que, vers la fin de la 4ème année, les enfants
qui sont faibles en lecture n’ont pas encore atteint le niveau que les bons lecteurs avaient

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

atteint à la fin de la 2ème année. En effet, on constate que les bons lecteurs lisent beaucoup
plus en dehors de l’école et à l’école même que les faibles lecteurs.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

2. L’APPRENTISSAGE DE L’ECRITURE

L'écriture est la représentation du langage sur un support textuel par l'utilisation de


signes ou de symboles. L'écriture réfère à l'inscription de caractère sur un support pour former
ainsi des mots et des unités de langage plus larges, c.-à-d. des textes. Elle est différente de
l'illustration telle que le dessin ou la peinture, et de l'enregistrement à l’aide d’un support non
textuel telle que la bande magnétique audio.

Selon certains chercheurs, l'écriture est apparue suite aux besoins des commerçants à
compter il y a 4000 ans, en Mésopotamie. La complexité des échanges commerciales et
l'administration a pris une ampleur telle qu'elle a dépassé la puissance de la mémoire. Ainsi
l'écriture est devenue la méthode plus fiable pour enregistrer et présenter les transactions dans
une forme permanente.

L'écriture relève du même code linguistique que la lecture, mais fait intervenir des
habiletés différentes. Pour écrire, il faut connaître la nature et la forme des lettres et pouvoir
les reproduire sur papier de façon lisible. La motricité fine qui entre en jeu dans la formation
des lettres à l'aide d'un crayon est le résultat d'une longue évolution.

2.1.- LES CONNAISSANCES PRECOCES SUR L'ECRIT

Les chercheurs ont réalisé plusieurs études pour tester les connaissances des enfants
avant l'apprentissage explicite de l'écrit. De fait, les recherches ont montré que de jeunes
scripteurs sont capables de produire des écrits dont les graphies résultent de calculs
intelligents, en relation avec des procédures spécifiques que nous pouvons qualifier de pré-
orthographiques. Ces productions sont en fait des « écritures inventées » ou « orthographes
inventées », par référence aux travaux anglo-saxons qui ont vu le jour dans les années 1970, et
qui se rapportent aux invented spellings (Chomsky, 1971, 1975 ; Clarke, 1988 ; Rubin et
Eberhardt, 1996) ou creative spellings (Read, 1971, 1986).

Ces études ont permis à Gombert & Fayol (1992) de définir trois phases successives
de l'évolution de l'écriture chez l'enfant prérédacteur:

2.1.1. L'étape de conception non linguistique de l'écrit : les enfants produisent des graphismes
afin de tenter d'imiter les caractéristiques visuelles de l'écriture (gribouillages, lignes
ondulées). L'écrit semble avoir une existence autonome, indépendante du langage;

134
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

2.1.2. L'étape de conception grapho-semantique de l'écrit :

Les réalisations de l'enfant commencent à ressembler à l'écrit standard (suites de ronds


ou de marques ressemblant à des lettres). Les résultats (Gombert & Fayol, 1992) montrent que
les enfants, dès 3 ans, sont capables de différencier écrit et dessin. De plus dès cet âge les
enfants produisent des graphismes qui possèdent certaines caractéristiques de l'écrit (linéarité,
directionnalité gauche droite, et introduction éventuelle de blancs réguliers). De plus,
quelques enfants tentent de varier la quantité de l'écrit en fonction de la quantité
d'informations orales apportées ;

2.1.3- L'étape de conception graphophonologique de l'écrit :

Au cours de cette étape apparaît l'utilisation de quelques lettres, essentiellement celles


composant le prénom de l'enfant. Les enfants les plus avancés de cette phase varient la
longueur des suites en fonction de la longueur phonologique des modèles oraux;

2.1.4- La dernière étape correspond au moment où certains enfants, conscients de leurs


lacunes, refusent d’écrire.

Vers l'âge de 6 ans, les chercheurs (Adi-Japha & Freeman, 2001) ont observé
l'émergence d'un système de traitement et de production de lettres distinct du système de
dessins; le mouvement de la main devient nettement plus fluide tant dans l'écriture que dans le
dessin. Sur le plan neurologique, le dessin et l'écriture exigent le même contrôle du
mouvement de la main, mais ces deux fonctions ne se chevauchent pas complètement; chez
certains adultes victimes de lésions cérébrales, tantôt c'est la capacité d'écrire qui disparaît
tantôt c'est la capacité de dessiner. Le dessin impose relativement peu de contraintes aux
mouvements de la main contrairement à l'écriture. Celle-ci, en revanche, favorise
l'automatisation.

2.2- L'APPRENTISSAGE FORMEL DE L'ECRITURE:

Le modèle proposé par Frith (1985) d'apprentissage de la lecture présente l'avantage


de décrire aussi les étapes d'acquisition de l'écriture. Frith considère que ces deux types
d'apprentissage interagissent au cours du développement. Les trois stades décrits par l'auteur
sont les suivants :

2.2.1- Le stade logographique :

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

Cette étape est également identifiée de pré-alphabétique par certains chercheurs,


(Ferreiro et Teberosky, 1982 ; Bastien et Bastien-Toniazzo, 1993). Elle est préalable à
l'acquisition de la lecture, il existe une association directe entre les objets visuels et leur
signification. En écriture, ce stade correspond principalement au moment où l'enfant est
capable d'écrire quelques mots familiers (notamment son prénom), sans comprendre que les
lettres représentent les sons des mots correspondants. Par exemple, carton sera « lu » carré ou
écrit carte parce qu’il comprend la même suite de lettres c-a-r, d’autres mots sont confondus
parce qu’ils possèdent les mêmes éléments graphiquement saillants, par exemple, Joëlle sera
assimilé à Laëtitia sur la base du tréma ;

2.2. 2- Le stade alphabétique :

La découverte et la mise en oeuvre du principe alphabétique (étape autrement


identifiée de phonographique sur le versant de l’écriture, ou de graphophonologique sur celui
de la lecture). A l'écrit, pour orthographier les mots, l'enfant utilise également ses nouvelles
connaissances alphabétiques, ce qui peut donner lieu à des erreurs, notamment dans le cas des
mots irréguliers (par exemple, le mot "femme" écrit fame, c. -à-d. comme il se prononce). En
inscrivant la suite, lézenfenjou (pour les enfants jouent), l’enfant suit une logique de
transcription strictement phonographique avec des ajouts de lettres pour les liaisons phoniques
(*zenfen), des absences de segmentation de mots (*enfentjou), des omissions de marques
morphologiques (*jou), sans tenir compte de la polyvalence phonogrammique (en versus an) ;
Progressivement, l'enfant va pouvoir reconnaître et écrire de plus en plus de mots et ainsi
constituer un lexique mental, qui est une sorte de dictionnaire personnel en MLT.
L'automatisation de la lecture et de l'écriture et l'inefficacité de la stratégie alphabétique pour
lire et écrire les mots irréguliers conduisent à l'adoption d'une nouvelle procédure au cours du
dernier stade.

2.2.3- Le stade orthographique :

Il se caractérise par la reconnaissance des formes orthographiques des mots (étape


logiquement qualifiée d’orthographique), mais avec des habiletés à la fois extrêmement
complexes et diverses car relevant de procédures liées à la régularité et à la fréquence des
mots, par exemple, pour les consonnes doubles, coffre versus gaufre, et à des principes de
marquage morphologique le plus souvent inaudible, par exemple pour le nombre des noms,
chien versus chiens, souris versus souris, oiseau versus oiseaux, cheval versus chevaux, eux-
mêmes compris dans des chaînes d’accords également très hétérogènes, le perroquet parle/les

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

perroquets parlent versus il va bien/ils vont bien (pour une vue d’ensemble de ces problèmes
orthographiques, voir Jaffré et Fayol, 1997). De plus, des mots nouveaux peuvent être écrits
par analogie avec ceux déjà connus. Ce dernier stade, une fois automatisé, sera celui de
l'expertise à l'écrit.

Evidemment, l'écriture implique d'avantage que la capacité de former des lettres avec
un crayon; il faut aussi avoir une idée, recueillir et trier l'information relative à celle-ci, et
l'organiser de manière que le lecteur soit intéressé et comprenne l'idée. Ces habiletés sont en
relation avec le développement cognitif de l'enfant et, ainsi, la description d'une journée à la
plage faite par un élève de 3ème année diffèrera de celle d'u adolescent de 15 ans. La rédaction
d'un texte requiert tout de même plusieurs habiletés relatives au vocabulaire, aux
connaissances et leur rappel, à la structure syntaxique, etc. On peut penser qu'étant donné la
complexité des habiletés cognitives qu'un enfant doit solliciter pour exprimer ses idées dans
un texte écrit, les habiletés motrices d'écriture peuvent être considérées comme secondaire
dans l'ensemble de l'opération. Certains chercheurs (Graham & Weitraub, 1996) affirment que
les exigences de l'écriture peuvent interférer de plusieurs manières avec les processus
supérieurs de composition de texte. D'abord, s'il est très lent, l'enfant peut perdre le fil de ses
idées avant même qu'il ait commencé à écrire. Ensuite, l'alternance entre la réflexion et
l'exécution peut lui faire perdre sa concentration, ce qui peut rendre l'écrit incohérent et
démotiver l'enfant du fait de l'application soutenue que l'activité exige de lui. Jones &
Christensen (1999) ont étudié la relation entre l'automatisation de l'écriture à la main et la
compétence en matière de rédaction de texte chez les collégiens. En évaluant de façon
constante le niveau de compétence en lecture, ils ont trouvé que le score d'écriture à la main
(basé sur la rapidité et la maîtrise de l'orthographe) avait une corrélation de 0.73 avec le
résultat en rédaction de texte. Cela signifie que 53% de la variance du résultat en composition
de texte s'explique par l'automatisation de l'écriture à la main. Les auteurs en concluaient que
les habiletés motrices et orthographiques jouent un rôle essentiel dans la rédaction de textes.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

3. LE DEVELOPPEMENT DE LA COMPETENCE NUMERIQUE

Les premiers travaux dans le domaine du nombre ont été réalisés par Piaget et
Szeminska (1941). Ils ont insisté sur l’importance de l’acquisition de la notion de
conservation47 (au stade des opérations concrètes) pour le développement de la compétence
numérique. Les travaux actuels semblent montrer que la compétence numérique implique une
grande diversité d’acquisitions. Ces acquisitions concernent, principalement, la connaissance
de la chaîne numérique verbale, la connaissance des principes de comptage, la gestion de
l’ordre dans la chaîne numérique et l’utilisation du nombre dans des tâches de résolution de
problèmes.

3.1. La dénomination des nombres

Les aptitudes numériques se développent d’abord à travers la maîtrise de la chaîne


numérique verbale. Cette acquisition commence très tôt, dès l’âge de 2 ans, c’est-à-dire en
même temps que le langage. Mais elle n’est réellement maîtrisé que vers 8-9 ans. A partir
d’observations fines, Fusson (1991), distingue quatre niveaux dans son développement :

a- Le premier correspond au chapelet, dans lequel l’enfant est capable de produire une
petite suite de nombres qui n’ont aucun caractère individualisé et ne se réfèrent pas à
des objets. Cette suite apprise souvent dans le cadre de jeux ou avec une comptine, ne
peut être que récitée qu’en totalité sans qu’un élément puisse être détaché ou
individualisé.
b- Dans un deuxième niveau, la chaîne insécable (qui ne pas être coupée), les nombres
deviennent individualisés : les enfants sont capables de compter jusqu’à « n »,
éventuellement inférieur au plus grand nombre connu, mais doivent toujours
commencer à « 1 ».
c- Le troisième niveau est celui de la chaîne sécable. L’enfant accède à ce niveau dans la
mesure où il peut en extraire une partie : compter de « a » jusqu’à « b » sans
commencer nécessairement à « 1 ». Le comptage à rebours et la capacité à répondre à
des questions de type « Qu’est-ce qui vient après n ? » se développent parallèlement.
d- La chaîne terminale, enfin, implique la capacité à compter « n » éléments en partant
de « a » : compter 6 éléments à partir de 7, par exemple. La principale difficulté, à ce
47 L'opération concrète de conservation s'applique à la substance dès 7-8 ans, au poids vers 8-9 ans et au volume
à 11-12 ans.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

niveau, réside dans la valeur du « n », qui s’allongera progressivement à partir de 6


ans ou 6 ans et demi. En effet, l’acquisition de la suite des noms de nombres nécessite
beaucoup de temps.
Selon Fayol (1990), la maîtrise du système oral de dénomination exige :

 la mémorisation par cœur des noms de nombre ;


 la compréhension d’une première combinatoire linguistique qui associe à des
expressions de type AB, des quantités –dizaines, unités- organisés selon une relation
additive. Ainsi 24 combine 20 et 4 selon un ordre que nous interprétons spontanément
comme renvoyant à 20 + 4.
 La compréhension d’une seconde combinatoire qui associe des multiplicandes tels que
vingt pour le français, cent, mille avec des multiplicateurs dans des relations
multiplicatives. Là, les suites de noms de nombres de type AB s’interprètent comme
traduisant un produit et non plus une somme. Deux cents correspond à 2 x 100, quatre-
vingt à 4 x 20.

Des nouvelles difficultés surgissent avec l’accès à la symbolisation écrite des chiffres.
Celle-ci repose sur un système très simple puisqu’il ne comporte que dix symboles (0,1…9).
Toutefois, les dix symboles s’organisent selon une combinatoire dite positionnelle, de gauche
à droite pour le français et l’anglais.. Des études culturelles comparatives indiquent que
l’apprentissage de la dénomination des nombres varie avec le système numérique à
apprendre. Par exemple, le chinois à une séquence plus régulière de termes numériques que
l’anglais. Dans les deux langues, les nombres de 1 à 10 sont arbitraires et, au delà de 20, les
nombres suivent un pattern régulier consistant à dénommer la dizaine, puis l’unité (par
exemple, vingt et un). Cependant, en chinois, les nombres de 11 à 20 suivent également un
pattern régulier (comparable à l’arabe, 10-1, 10-2). Les résultats ont montré qu’à partir de 3
ans, quand la majorité de l’apprentissage est centré sur l’acquisition de la série arbitraire des
nombres de 1 à 10, les performances des enfants sont comparables dans les deux langues.
Cependant, les différences apparaissent à 4 ans, lorsque les enfants ont besoin de maîtriser les
dizaines. L’acquisition de la chaîne numérique des enfant apprenant dans le système chinois
progresse très vite, tandis que celle des enfants apprenant les termes irréguliers anglais allant
de 11 à 20 se développe lentement.
En arabe les nombres se lisent parfois de droite à gauche et parfois le contraire. En
effet les nombres décimales de 11 à 99 se lisent dans le sens de l’écriture arabe, c’est-à-dire
139
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

de droite à gauche. Mais la lecture devient plus compliquée à partir du nombre 101. Les
nombres qui associent millième, centaines, dizaines et unités se lisent dans le sens contraire à
l’écriture arabe, c’est-à-dire de gauche à droite.
3.2. La compréhension des propriétés cardinales48

Il existe plusieurs définitions de la cardinalité selon le domaine de recherche. Le


travail princeps de Piaget s’est appuyé sur la définition mathématique classique de la
cardinalité en termes de correspondance : deux collections sont de cardinale identique si, et
seulement si, leurs éléments peuvent être mis en correspondance terme à terme. Dans ses
recherches sur la conservation, Piaget a combiné cette définition avec son intérêt théorique
pour les transformations. Il ne crédite pas les enfants de la compréhension de la cardinalité
avant qu’ils n’est appris que l’équivalence entre deux collections reste inchangée lorsque leur
correspondance perceptive est rompue par la dispersion ou le resserrement de l’une des
collections.

Dans les études de Sophian (1991), il a été démontré que les enfants jusqu’à l’âge de 3
ans n’établissent pas de rapport entre le comptage et les problèmes concernant les relations
numériques entre deux collections. Ils ne comptent pas spontanément deux collections pour
les comparer ou construire des collections équivalentes ; ils ne distinguent pas les procédures
pertinentes de celles qui ne le sont pas lorsqu’ils s’agit de comparer deux collections. A partir
de l’âge de 4 ans, les performances sont bien meilleures à tous ces types de problèmes. Ces
résultats suggèrent que la cardinalité est une conquête relativement tardive dans le
développement du comptage.

Il est maintenant admis que les bébés peuvent différencier des collections comprenant
peu d’éléments, par ex. au cours de la 1ère année, après avoir été habitués à la présentation de
collection de 3 objets, ils prêterons davantage attention à des collections de 2 ou 4 objets.
Toutefois, ils ne possèdent pas de représentation de la numérosité en tant que dimension
abstraite, conférant une unité aux collections de 3 unités et les différenciant des collections de
2 ou 4 éléments.

Distinguer un nombre plus élevé d’objets pose beaucoup plus de difficultés. Ce n’est
pas avant l’âge de 4 ans. Ces résultats suggèrent que les bébés identifient les cardinalités à
travers le subitizing, un processus perceptif rapide et sans effort que les individus peuvent

48 Cardinal : en mathématique, nombre qui caractérise la puissance d’un ensemble : un ensemble fini a pour
cardinal l’entier naturel qui indique le nombre de ses éléments.

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AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

appliquer sur des collections ne dépassant pas 3 ou 4 objets. Lorsqu’on est confronté à une
rangée comportant un à 4 objets, nous savons immédiatement combien il y en a ; en revanche,
avec un nombre d’objets plus grands, nous sommes moins sûrs de nous-mêmes et nous avons
besoin de compter. Les adultes et les enfants de 5 ans se comportent de façon similaire aux
bébés dans le sens où ils sont capables de d’identifier très rapidement la valeur cardinale d’un
à trois ou quatre objets par l’intermédiaire du subitizing.

En dépit de ce départ rapide, les enfants ne comprennent pas les conséquences de


l’addition de nombre même légèrement plus grands, telles que 2+2 avant l’âge de 4 ou 5 ans.
La raison est que le seul processus que les bébés peuvent utiliser pour déterminer le nombre
des objets est le subitizing.

3.3. Le dénombrement : le comptage

Le comptage est l’action de calculer le nombre ou la quantité des objets pour les
dénombrer. Le comptage peut se réaliser physiquement ou mentalement. C’est à travers cette
activité que se manifeste d’abord la maîtrise de la chaîne numérique. Cette capacité apparaît
très tôt, dès l’âge de 3 ou 4 ans. Un certain nombre de chercheurs (ex. Baroody, 1991) ont
étudié son développement et s‘accordent sur la séquence décrite ci-après :

Dans un premier temps, le comptage s’effectue sur les collections complètes. Ainsi, si
l’enfant a dénombré 3 billes puis 2 billes et qu’on lui demande combien il en a en tout, il
réunit physiquement les deux ensembles et compte les éléments de la nouvelle collection. En
d’autres termes, il ne semble pas bénéficier du fait d’avoir préalablement déterminé la
cardinalité des deux sous-collections (3 et 2). Ceci correspond à la procédure du tout compter.

Dans une deuxième phase, la réunion matérielle des deux sous-collections en une seule
ne paraît plus indispensable. L’enfant semble désormais en mesure de s’appuyer sur le résultat
du dénombrement de la première collection pour sur-compter à partir d’elle : (3) 4 5 ou (2) 3
4 5. D’abord réalisé physiquement, ce comptage serait ensuite intériorisé. Il pourrait alors
s’effectuer mentalement, avec ou sans l’aide de support visuels (les doigts par exemple).

Selon certains chercheurs (Gelman, 1983), l’apprentissage du comptage se fait


rapidement car il est guidé par les principes suivants :

 Le principe d’adéquation unique qui implique que chaque élément d’une collection à
compter doit correspondre à une, et une seule, désignation.

141
AMMAR Mohamed PSYCHOLOGIE DE L’ENFANT

 Le principe de l’ordre stable : assigner toujours les nombres dans le même ordre.
 Le principe cardinal : le dernier chiffre compté indique le nombre d’objets de la
collection.
 Le principe d’ordre non pertinent : l’ordre dans lequel les objets sont comptés est
sans importance.
 Le principe d’abstraction : les autres principes s’appliquent à n’importe quelle
collection d’objets.
Plusieurs observations ont montré que les enfants comprennent tous ces principes dès
l’âge de 5 ans, et certains dès l’âge de 3 ans.

- Même quand les enfants font erreur de comptage, ils témoignent d’une connaissance du
principe d’adéquation unique, puisqu’ils assignent exactement un terme numérique à la
plupart des objets. Par exemple, ils peuvent compter tous les objets une fois à l’exception d’un
seul, soit en l’oubliant, soit en le comptant deux fois. Ces erreurs semblent provenir d’un
problème d’exécution plutôt que d’une mauvaise intention.

- Les enfant semblent connaître le principe d’ordre stable car ils prononcent presque
toujours les termes numériques dans un ordre stable. Habituellement, c’est l’ordre
conventionnel, mais occasionnellement c’est un ordre idiosyncratique49 comme « 1, 3, 6 ».
Cependant, même quand les enfants utilisent un ordre idiosyncratique, ils utilisent cet ordre
pour chaque comptage. Les enfants d’âge préscolaire témoignent d’une connaissance du
principe cardinal en accentuant la prononciation du dernier nombre.

- Ils montrent une compréhension du principe d’abstraction en n’hésitant pas à compter


des collections incluant différents types d’objets.

- Finalement, bien que le principe d’ordre non pertinent s’avère le plus difficile, les
enfants de 5 ans semblent le comprendre. La plupart d’entre eux reconnaissent que le
comptage peut commencer au milieu d’une rangée d’objets, à partir du moment où chaque
objet est finalement compté.

Mais ces principes doivent par ailleurs être mise en œuvre et coordonnés en temps
réel, ce qui peut, à certains moments, surtout pour les grandes collections, entraîner des
échecs et des instabilités de performance. Il s’ensuit que les phases précédemment évoqués ne

49 Idiosyncrasie: ensemble de particularismes de quelqu'un ou de quelque chose qui conduisent à un


comportement propre (soutenu).

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constituent pas des stades. En effet, en fonction de la difficulté de la tâche, de la situation, le


même enfant pourrait passer d’une procédure à une autre.

Des chercheurs américains (Siegler et Jenkins, 1989) ont montré qu’à 5 ans, les
enfants sont capables de résoudre les problèmes arithmétiques simples (5 + 3) en recourant à
différentes procédures : utilisation des jetons ; recours aux doigts ; récupération directe de la
réponse en mémoire (3 + 5 = 8).

Ces mêmes chercheurs ont confirmé que le comptage mental constitue une étape
conduisant au stockage en mémoire d’associations entre opérations (3+5) et résultats (8). Ces
associations se révèlent d’autant plus fortes qu’elles sont plus fréquemment rencontrées et
qu’elles sont positivement sanctionnées. En conséquence, même si l’enfant peut toujours s’il
n’est pas sûr de lui, il tend de plus en plus à retrouver directement les résultats en mémoire.
Peu à peu s’élabore ainsi un réseau d’associations qui deviendra de plus en plus complexe au
fur et à mesure que d’autre opérations seront introduites.

L’accès rapide et efficace des opérations élémentaires stockées en mémoire est une
condition nécessaire de réussite dans l’utilisation des algorithmes. Un algorithme est une
procédure complexe qui enchaîne une série d’opérations et qui garantit, si celles-ci sont
effectuées sans erreur et dans l’ordre, la résolution exacte du problème.. L’addition, la
multiplication, la soustraction, la division (mais aussi les équations) requièrent des
algorithmes.

3.4. Les propriétés ordinales des nombres

Les propriétés ordinales font référence aux positions relatives des nombres. Par exemple,
le fait que cinq est le cinquième nombre de la chaîne numérale. Un nombre peut être premier
ou second dans l’ordre, il peut être supérieur ou inférieur à un autre nombre. La maîtrise des
propriétés ordinales des nombres commence dès la petite enfance, entre 12 et 18 mois.

Mais la compréhension des propriétés ordinales avec des collections comprenant un


nombre élevé d’objets se développe plus tardivement. La tâche la plus couramment utilisée
pour examiner le développement de cette compétence consiste à poser des questions du type
« lequel est le plus grand : 6 oranges ou 4 oranges ? ». Il faut attendre 4 ou 5 ans pour que les
enfants résolvent correctement de telles problèmes pour les nombres allant de 1 à 9 (Siegler,
2001). Leur difficulté à déterminer quel est le nombre le plus grand s’accroît avec des
nombres relativement grands et assez proches (par exemple 7 par rapport à 8). Les capacités

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de comptage peuvent être importantes dans le développement de cette connaissance des


propriétés ordinales.

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Pour aller plus loin…

Bideaud, J. Meljac, C. & Fisher, J.P. (Eds). Les chemins du nombre (pp. 133-158). Lille.
Presses Universitaires de Lille.

Casalis, S. (2002). Lecture et dyslexie de l’enfant. Presses Universitaires du Septentrion.

Fayol, M. (1990). L’enfant et le nombre : du comptage à la résolution des problèmes.


Lausanne : Delachaux & Niestlé.

Jaffré, J.P. & Fayol, M. (1997). Orthographes : des systèmes aux usages. Paris : Flammarion.

Piaget, J & Szeminska, A. (1941). La genèse du nombre chez l’enfant. Neuchâtel. Delachaux
et Niestlé.

Siegler R.S. (2001). Enfant et raisonnement : le développement cognitif de l’enfant. Paris.


DeBoek Université.

Zesiger, P. (1995). Ecrire : approches cognitives, neuropsychologiques et développmentales.


Paris : PUF.

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