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L'Homme

Le Mariage pende
Paul Jorion, Gisèle De Meur, Trudeke Vuyk

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Jorion Paul, De Meur Gisèle, Vuyk Trudeke. Le Mariage pende. In: L'Homme, 1982, tome 22 n°1. pp. 53-73;

doi : https://doi.org/10.3406/hom.1982.368256

https://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1982_num_22_1_368256

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LE MARIAGE PENDE

par

PAUL JORION, GISÈLE DE MEUR et TRUDEKE VUYK

Au cours des trente dernières années, les théoriciens de la parenté,


anthropologues et mathématiciens, ont exploré le domaine de ce que C. Lévi-Strauss
baptisa en 1949 « structures élémentaires de la parenté » : les espaces définis dans
la plupart des sociétés humaines par l' obligation (de principe) d'épouser un parent
précis, c'est-à-dire une personne appartenant à une catégorie déterminée de la
terminologie de parenté.
Aux structures élémentaires s'opposent les « structures complexes » dans
lesquelles les époux ne se reconnaissent pas comme parents préalablement à leur
mariage (nos définitions s'écartent quelque peu de celles de C. Lévi-Strauss pour
des raisons qui apparaîtront par la suite) . Bien entendu, les démographes sont dans
ce cas à même de déterminer la connexion de parenté moyenne des époux, mais
celle-ci se répartit alors de façon non structurée dans l'espace des parents éloignés.
A la fin de la préface de la deuxième édition des Structures élémentaires de la parenté
(1967), C. Lévi-Strauss appelait anthropologues et mathématiciens à se pencher
sur certains systèmes d'alliance intermédiaires selon lui entre les structures
élémentaires et les structures complexes, les systèmes d'alliance crow-omaha :

«... des systèmes qui ne font qu' édict er des empêchements au mariage,
mais qui les étendent si loin par l'effet des contraintes inhérentes à leur
nomenclature de parenté, qu'en raison du chiffre relativement faible de
la population, n'excédant pas quelques milliers d'individus, on peut espérer
obtenir leur converse : système de prescriptions inconscientes qui
reproduirait exactement, mais en plein, les contours du moule creux formé par le
système des prohibitions conscientes » (p. xxiv).

L'intuition de Lévi-Strauss était exacte. En fait, il suffit — nous espérons le


montrer dans un avenir proche sur un cas empirique — qu'il y ait une tendance à
se marier dans les lignages interdits dès que cela redevient possible, pour qu'un
nombre significatif de mariages aient lieu entre cousins éloignés, mais strictement
définissables sur l'espace de parenté. En somme, il existe une possibilité pour

L'Homme, janv.-mars]ig82, XXII (1), pp. 53-73.


54 PAUL J ORION, GISÈLE DE MEUR, TRUDEKE VUYK

l'anthropologue de traduire des règles négatives en termes de parenté, mais


explicites, en règles positives en termes de parenté, mais implicites. Les systèmes
d'alliance crow-omaha susceptibles d'être « traduits » de cette façon se révèlent
alors comme autant de structures élémentaires.
Mais une telle traduction n'est-elle possible que dans le cas de règles exprimées
négativement en termes de relations de parenté ? Bien entendu, non. Un cas
banal est celui des systèmes à classes ou à sections australiens : un anthropologue
ayant quelque familiarité avec la littérature n'éprouve aucune difficulté à traduire
en termes de parenté les mariages entre sections. Par exemple, le système kariera
à quatre sections équivaut au mariage entre cousins croisés bilatéraux. Mais n'y
a-t-il pas d'autres cas où un certain décryptage des règles de mariage explicites
mais en termes autres que de parenté renverrait à des structures élémentaires ?
Ces dernières années, les travaux de L. de Heusch, puis de F. Héritier et de
A. Kuper ont montré que certains systèmes d'alliance africains dont la logique
explicite est formulée en termes politico-économiques font apparaître la
récurrence systématique de mariages entre cousins au deuxième degré1. Il semble dès
lors, et ce n'était que trop prévisible, que toute structuration des alliances en termes
de groupes organisés sur une base permanente (groupes de filiation, résidentiels,
économiques, etc.) autorise une traduction en termes de catégories de parenté,
c'est-à-dire renvoie en fin de compte à des structures élémentaires. Cette
affirmation est programmatique et ne sera pas illustrée ici dans sa généralité. Dans le
présent article, nous nous limiterons à dégager la structure élémentaire implicite
dans le système d'alliance des Pende, une société zaïroise pour laquelle les données
qui nous intéressent furent rapportées en 1955 par L. de Sousberghe2.
Notre thèse est simple, le mariage pende est un mariage préférentiel entre
cousins au deuxième degré : un homme épouse la fille de la fille de la sœur du père
de la mère (mfzdd) qui se trouve être aussi la fille du fils de la sœur du père du père
(ffzsd). Ce type de mariage n'est pas équivalent aux mariages des systèmes à
sections australiens, il exige en particulier un autre traitement de l'objet
mathématique (le mariage d'un homme en fonction de celui de ses parents et le mariage
d'une femme en fonction de celui de ses parents ne peuvent pas être considérés
comme les générateurs du groupe de permutations constituant le modèle, comme
dans les cas australiens). Une des conséquences du système — c'est elle qui
explique la perplexité des analystes antérieurs — est que dans certains cas les
cousines au deuxième degré « convergeront » (l'expression est de Rivers) avec des

1. Nous traduisons ainsi pour simplifier l'anglais « second cousin ».


2. Notre ambition n'est pas d'ajouter à la littérature africaniste, mais de faire progresser
l'étude formelle et algébrique des structures élémentaires. Nous n'entrerons donc pas dans
les détails des analyses antérieures de L. de Hkusch (1955, 1971 et 1981) et de R. B. Lane
(1962) ; nous reconnaissons toutefois notre dette envers ces auteurs dont les analyses ont
facilité notre travail.
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cousines au premier degré, les cousines croisées, fille du frère de la mère (mbd) et
fille de la sœur du père (fzd) ; celles-ci resteront toutefois distinctes et ne
convergeront pas en une cousine bilatérale.
En 1955 paraissait un petit livre de L. de Sousberghe intitulé Structures de
parenté et d'alliance d'après les formules pende (ba-Pende, Congo belge). Son objectif
était de mettre en rapport la pratique du mariage pende avec un certain nombre
de « formules de motivation » (normes ou règles de comportement idéal) énoncées
par les Pende à propos de leur système d'alliance. L'ouvrage est constitué d'une
part d'un ensemble de telles formules, accompagnées d'explications quant à leur
sens, d'autre part, de commentaires interprétatifs dont le but avoué est de
reconsidérer la distinction analytique entre cousine croisée matrilatérale (mbd) et
cousine croisée patrilatérale (fzd), en raison du fait que les Pende eux-mêmes la
jugent inessentielle, et semble-t-il à juste titre.
La société pende que L. de Sousberghe décrivait en 1955 était une société à
chefferies et à clans matrilinéaires partagée entre les provinces de Léopoldville
(aujourd'hui Kinshasa) et du Kasai. Bien que cette société constituât alors une
unité culturelle, une « tribu », L. de Sousberghe constatait une différence majeure
dans la pratique matrimoniale des chefferies « kasai » et des chefferies « léo ». Dans
les premières, il était recommandé à un homme d'épouser sa cousine croisée
patrilatérale (fzd) et il lui était interdit d'épouser sa cousine croisée matrilatérale
(mbd). La différence se marquait dans les termes d'adresse : un homme appelait sa
fzd « mon épouse », alors qu'il appelait sa mbd « mon enfant » (p. 37). Dans les
secondes, un homme devait se marier de préférence avec sa fzd, mais la mbd était
considérée comme une épouse légitime de second choix. Un jeune homme qui
n'avait pu obtenir de son père une fzd (appartenant au clan de son père, selon la
logique matrilinéaire) devait s'adresser au frère de sa mère (mb) afin d'obtenir de
lui pour épouse une de ses filles (mbd). La terminologie pende-léo n'établissait
d'ailleurs aucune différence entre les deux types de cousines croisées.
La difficulté pour l'anthropologue réside non dans la divergence des principes,
mais dans un commentaire que font les Pende des différentes chefferies sur la
pratique de leurs compatriotes de l'autre province : « Finalement », disent-ils,
« cela revient au même » (p. 65). Là où l'anthropologue aperçoit une différence
essentielle, les acteurs eux-mêmes la considèrent comme négligeable.
En l'absence de données statistiques, l'anthropologue doit prendre une
décision : ou bien il infère de la différence des principes que la pratique doit être
nécessairement différente et il conclut que les Pende refusent de se rendre à
l'évidence ; ou bien il admet que la pratique peut être effectivement semblable, mais
au prix d'une transgression des principes (c'est cette branche de l'alternative que
L. de Heusch envisage dans ses approches successives). Les deux solutions
supposent toutefois une certaine rouerie de la part des Pende : soit un aveuglement
quant à leur pratique, soit un laxisme dans l'application des principes. Aucun des
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deux termes de l'alternative ne présente une interprétation « charitable » de leur


pratique globale.
Il existe toutefois un tertium non datur, la seule interprétation qui soit
véritablement charitable : celle qui imaginerait que les Pende respectent leurs propres
principes et qu'en même temps ils soient fondés à soutenir que leurs pratiques sont
quasiment identiques. C'est cette troisième voie que nous emprunterons en
montrant qu'elle permet de rendre compte des faits tout en faisant l'économie d'une
« rouerie pende ».
Comment procède un jeune Pende qui cherche à se marier ? Il va d'abord
trouver son père et lui dit : « Père, donne-moi une femme de derrière ton dos, que
je retourne ta face dans ton clan. » Son père comprend qu'il lui réclame ainsi une
des filles d'une de ses sœurs. Si le père ne peut lui trouver de fzd, le fils se tourne
alors vers un autre parent. Il existe à ce stade deux versions différentes dans le
texte de L. de Sousberghe ; on verra que la différence est sans conséquence, mais
ne l'ignorons pas ici. Dans la première version intervient une différence dans la
procédure selon qu'il s'agit des Pende-Kasai ou des Pende-Léo :

« Chez les Pende du Kasai, quand le père ne peut trouver dans son clan
une épouse pour son fils, celui-ci ira demander l'aide de son grand-père
maternel (le grand-père qui a engendré sa mère). Partout ailleurs, chez les
Pende de la province de Léopoldville, on nous a répété la formule du chef
Kangu : ' Si moi, son père, je ne puis trouver une épouse pour mon fils,
il ira demander l'aide de son lemba (son oncle maternel) ' » (pp. 50-51).

L'ordre des demandes serait donc le suivant :

Pende-Kasai : 1) père 2) père de la mère


Pende-Léo : 1) père 2) frère de la mère.
La deuxième version apparaît un peu plus loin dans le texte de L. de
Sousberghe :

« Les Pende du Kasai nous dirent que si le père ne peut trouver une épouse
pour son fils, celui-ci ira demander aide à son grand-père maternel [...] lui
demandant de lui trouver une épouse dans son clan. Or, nous informant
plus amplement par la suite dans les chefferies de la province de
Léopoldville, on nous dit que le jeune homme qui n'aura pas reçu une femme des
mains de son père, avant d'aller demander à son lemba de lui en procurer,
ira d'abord demander l'aide de son grand-père maternel » (pp. 65-66).

On aurait alors :

Pende-Kasai : 1) père 2) père de la mère


Pende-Léo : 1) père 2) père de la mère 3) frère de la mère.
Si la procédure chez les Pende-Kasai ne varie pas d'une version à l'autre, celle des
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Pende-Léo fait intervenir un personnage intermédiaire entre le père et l'oncle


utérin : le grand-père maternel. Nous savons déjà qu'un jeune homme peut
obtenir de son père une cousine croisée patrilatérale (fzd) et de son oncle utérin
une cousine croisée matrilatérale (mbd). Cela ne peut être cependant en vertu du
même principe : le père exerce un droit sur la fille de sa sœur, l'oncle maternel sur
sa propre fille. Avant d'aller plus loin, demandons-nous quelle épouse il peut
obtenir de son grand-père maternel. Chez les Pende, un homme se marie soit au
sein de sa propre génération, soit deux générations plus loin, dans celle de sa
petite-fille. Dans la seconde éventualité il ne peut s'agir d'un premier mariage, et
cela ne doit pas nous concerner lorsque nous envisageons le cas d'un jeune homme
qui cherche à obtenir une première épouse. Dans cette hypothèse, et en raison du
principe même qui guide le père, le grand-père pourra trouver une fille appartenant
à son propre clan matrilinéaire, soit une fille de fille d'une de ses sœurs, soit une
parente plus éloignée de statut équivalent, une fille de fille d'une des sœurs de sa
mère, etc. Provisoirement, retenons seulement la fille de la fille d'une de ses sœurs
(mfzdd) et référons-nous aux autres parentes possibles comme à des équivalents
classificatoires de celle-ci. Précisément, dans un exemple qu'il donne à la page 66,
L. de Sousberghe choisit cette parente et montre un homme épousant sa mfzdd.
Si nous formulons la procédure non plus en termes de parents à qui s'adresser, mais
en termes d'épouses possibles, nous avons :
Pende-Kasai : i) fzd 2) mfzdd
Pende-Léo : première version : i) fzd 2) mbd
deuxième version : 1) fzd 2) mfzdd 3) mbd.
Dans un article récent (Jorion & De Meur 1980) sur le mariage murngin, nous
avons montré comment des modèles concurrents construits par les anthropologues
constituaient en fait autant de descriptions d'états instantanés du système. Celui-ci
étant complexe, aucune de ces descriptions n'apparaissait triviale, et chacune
avait été retenue par certains anthropologues. Dans le cas qui nous occupe
maintenant, certaines de ces descriptions « triviales » peuvent être écartées d'emblée.
Commençons par celles-ci :
1) Le système de mariage pende-kasai est un mariage prescriptif avec la
cousine croisée patrilatérale (fzd). C'est l'hypothèse choisie par Lane, et
brillamment développée par lui. A notre sens, cette définition est cependant insuffisante
puisqu'il existe des exceptions systématiques : mariage avec la mfzdd chez les
Pende-Kasai, mariage avec la mbd chez les Pende-Léo. Dès lors, même si le modèle
fzd pouvait rendre compte d'une majorité de cas empiriques, il ne pourrait éclairer
les seconds choix.
2) Le système de mariage pende-léo est un mariage prescriptif avec la cousine
croisée matrilatérale. Cette hypothèse est beaucoup moins satisfaisante que la
précédente. Il est clair que même chez les Pende-Léo le mariage avec la mbd ne
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constitue jamais qu'un second choix. Dès lors, même si localement certaines
généalogies pouvaient être décrites comme traduisant un mariage prescriptif avec
la mbd, il est clair que le modèle ne pourrait être généralisé. De plus, il serait alors
exclu que les mariages pende-kasai et pende-léo débouchent sur des pratiques
similaires. Le mariage avec la mbd implique une circulation des femmes dans une seule
direction, tandis que le mariage avec la fzd implique un renversement du sens de
la circulation des femmes à chaque génération (Fortune 1933 ; Van Wouden 1935 ;
Lévi-Strauss 1967). Dans le cas présent, ce point est très bien développé par
L. de Heusch (1971 : 74-81).
3) Le système de mariage pende-léo est un mariage prescriptif avec la cousine
croisée bilatérale. Puisqu'il existe des mariages avec les deux types de cousines
croisées, il doit certainement y avoir des cas où ces deux cousines « convergent »
dans la même personne. Cependant, comme dans le cas précédent, on ne trouvera
que localement des généalogies montrant des ensembles de mariages avec la
cousine croisée bilatérale. Ici également la description sera insuffisante. De plus,
une pratique systématique de mariage avec la cousine croisée bilatérale ne peut
déboucher sur une pratique similaire au mariage préférentiel avec la fzd, avec un
second choix sur la mfzdd.
Sans être inexactes, ces trois hypothèses sont donc insuffisantes. De plus, elles
sont contradictoires3 et ne peuvent être envisagées simultanément.
La solution du problème se découvrira progressivement à partir de cette
incohérence que constitue dans le texte de L. de Sousberghe l'existence, chez les
Pende-Léo, de deux versions quant à la procédure. Je rappelle ces deux versions :
A) 1. père 2. oncle maternel
B) 1. père 2. grand-père maternel 3. oncle maternel.
La formulation de l'auteur : « Or, nous informant plus amplement... » {cf. supra,
p. 56) suggère fortement que la deuxième version serait la plus complète.
Reproduisons le commentaire en entier :
« Or, nous informant plus amplement par la suite dans les chefferies de la
province de Léopoldville, on nous dit que le jeune homme qui n'aura pas
reçu une femme des mains de son père, avant d'aller demander à son lemba
de lui en procurer, ira d'abord demander l'aide de son grand-père maternel.
Puis on nous laisse comprendre que ces deux hypothèses ne sont pas
considérées par les Pende comme distinctes, mais comme devant normalement
se confondre, le clan du père de la mère étant celui où le lemba aurait pris
femme selon les directives d'union préférentielle » (pp. 65-66).

3. Elles sont contradictoires ; en termes de permutation, on a


- MBD uniquement : ig = gf et g2 ^ f *
- FZD uniquement : ig ^ gf et g2 = fa
- MBD/FZD : fg = gf et g2 = f2
(cf. Jorion & De Meur 1980, Appendice mathématique).
LE MARIAGE PENDE 59

Suit un schéma qui fait ressortir la chose {cf. aussi de Heusch, ibid. : 77-78) :

B Yongo
L =

6 = I A
3 1
Ngombe Sona Shandua

_ \Ngombe

Ce schéma montre en effet comment Ndua obtient de son grand-père maternel


une mfzdd qui se trouve aussi être une mbd (au lieu d'être la fille de Sona, elle
pourrait, bien sûr, être la cousine parallèle matrilinéaire de celle-ci, la fille de
Ngombe, et donc une cousine au deuxième degré). La convergence mfzdd = mbd
n'est possible que parce que l'oncle maternel de Ndua, Mulangi, a, lui, fait un
mariage préférentiel régulier avec une de ses cousines croisées patrilatérales. Le
fait qu'un mariage avec la mbd succède à un mariage avec la fzd aboutit à
maintenir le sens de la circulation des femmes pour une génération de plus. Je cite
L. de Heusch (p. 78) : « Le mariage matrilatéral n'est en quelque sorte, dans cette
perspective, qu'une redondance provisoire du mariage patrilatéral, qui règle le
système en tant que tel. »
60 PAUL J ORION, GISÈLE DE MEUR, TRUDEKE VUYK

Nous comprenons donc fort bien maintenant pourquoi il est relativement


indifférent qu'un homme qui n'aura pu obtenir de son père une cousine croisée
patrilatérale se tourne d'abord vers son oncle maternel ou vers son grand-père
maternel : la parente la plus proche que pourra lui trouver son grand-père maternel
ne sera autre qu'une de ses cousines croisées matrilatérales. En fait, le rôle de
l'oncle utérin aurait dû apparaître incohérent dès le départ : à l'inverse du père
et du père de la mère, sa fille, dont il semble disposer, n'appartient pas à son propre
groupe. Chez les Pende-Kasai où un tel mariage est interdit, Ndua ne pourra
épouser sa mbd, mfzdd, fille de Sona, mais devra réclamer à son grand-père
maternel une autre mfzdd qui ne converge pas avec une cousine issue de germains, par
exemple la fille de Ngombe.
Dans son commentaire sur ce passage, L. de Heusch pose alors la question
suivante :

« Les Pende admettraient-ils que la semence de Yongo (ou sa fiction)


revienne une troisième fois dans [son] clan, au prix d'un nouveau
déséquilibre dans la réciprocité ? De Sousberghe ne se pose malheureusement pas
cette question cruciale. Mais, dans le contexte général, il est évident que
le fils de Ndua devra d'abord, comme tout homme, chercher une épouse
parmi ses cousines croisées patrilatérales » (p. 78).

En fait, la réponse à la question que L. de Sousberghe ne pose pas, elle est là, dans
les choix qui s'offrent au fils de Ndua.
En bon fils, le fils de Ndua s'adresse à son père et lui demande une fille de sa
sœur, une de ses cousines patrilatérales. Son père lui en trouve une. Mais le fils
de Ndua trouve sa cousine très laide et fait celui qui n'a pas entendu. Il se dit :
« Je vais aller trouver mon grand-père maternel et lui dire que mon père n'a pu me
trouver d'épouse. » Aussitôt dit, aussitôt fait, et le grand-père maternel promet à
son petit-fils une des jeunes filles de son clan, plus précisément une mfzdd de son
petit-fils. Vient le jour du mariage, et notre héros n'a-t-il pas la surprise désagréable
de voir arriver la très laide cousine croisée patrilatérale que son père lui avait
alors proposée. Que s'est-il passé ? Dans son étourderie, le fils de Ndua ne s'est pas
rendu compte que son père s' étant marié avec une mbd et non avec une fzd, la
mfzdd proposée par son grand-père maternel ne pouvait en aucun cas être une
de ses mbd, mais qu'elle devait au contraire converger en une de ses fzd. Il y a là
en effet une contrainte structurale, et c'est elle qui permet de répondre avec
certitude à la question que L. de Sousberghe ne s'est pas posée : la semence de Yongo
peut-elle revenir une troisième fois dans son clan ? Non ; à la troisième génération
le sens de circulation se renverse, et cette fois-ci encore pour deux générations
{cf. fig. 2).
Examinons en détail la syntaxe que nous venons de découvrir : si le père et
l'oncle maternel ont chacun épousé une fzd, alors, à la génération suivante, les
LE MARIAGE PENDE 6l

mfzdd pourront converger avec les mbd, mais non avec les fzd. Si, au contraire,
le père et l'oncle maternel ont chacun épousé une mbd, alors, à la génération
suivante, les mfzdd pourront converger avec les fzd, mais non avec les mbd. (Nous
avons précisé père et oncle maternel, car s'ils faisaient des mariages différents
— l'un avec une mbd, l'autre avec une fzd — , le système s'effondrerait
partiellement en se simplifiant à la génération suivante, mbd, fzd et mfzdd pouvant
être une seule et même personne. On aurait alors affaire au mariage avec la cousine
croisée bilatérale, éventualité que nous avons envisagée plus haut comme un
des cas triviaux conduisant à une description insuffisante du système.)

2 = à =
I Mulangi Shandua
L
6 ■= À 6 =
Ndua I

= O

Figure 2

Ce que nous voyons se dessiner ici, c'est un modèle global (idéal bien sûr»
comme tout modèle) capable de rendre compte de l'ensemble des mariages attestés
dans les deux types de sociétés pende : mariage avec la cousine croisée patrila-
térale, mariage avec la cousine croisée matrilatérale, mariage avec la fille de la fille
de la sœur du père de la mère, confondue ou non avec une des cousines croisées.
Je dis « confondue ou non » afin de rendre compte à la fois du mariage pende-léo
— la mfzdd pourra être confondue avec la mbd — et du mariage pende-kasai : la
mfzdd devra rester distincte de la mbd prohibée.
Construisons ce modèle dans le cas le plus simple, le cas pende-léo, l'autre
cas, pende-kasai, pouvant alors être considéré comme une variante facile à définir.
La seule simplification majeure que nous avons introduite d'emblée — nous nous
en sommes déjà expliqué — est que nous prenons comme prototype de la parente
qu'un grand-père maternel peut procurer à son petit-fils la mfzdd, tout en sachant
qu'il se trouvera peut-être des parentes plus éloignées faisant aussi bien l'affaire :
mfmzddd, etc. Le modèle est alors le suivant : un Pende épouse une mfzdd qui
sera, selon les générations, soit une mbd, soit une fzd {cf. fig. 3) .
Il apparaît clairement sur le modèle que la mfzdd est aussi un autre type de
cousine au deuxième degré, la ffzsd. L'intérêt de cette constatation ressort
62 PAUL JORION, GISÈLE DE MEUR, TRUDEKE VUYK

= è 1 = 6 1 = 6
MFZ MF

MFZD = MB
A iM = L 6 = L i =

A
MBD
MFZDD Ego

= 6 I = 6 1 = 6 1
MFZ MF

= <T~1 =-<5 1 =
MFZD M

{ MFZDD Ego
IFZD

Fig. 3. Pende-Léo.
LE MARIAGE PENDE 63

dans la Note 2 (infra, p. 65), où nous envisageons le même système appliqué cette
fois à une société africaine patrilinéaire, les Ewé Abutia du Ghana. Une des
caractéristiques du modèle est d'être intermédiaire (cette notion est précisée dans
l'Appendice mathématique, infra, p. 67), entre l'échange restreint et l'échange
généralisé, la circulation des femmes s'inversant non à chaque génération, mais
toutes les deux générations.
L'indifférence professée par les Pende quant au fait de savoir si on épouse une
cousine croisée patri- ou matrilatérale s'explique aisément : ils entendent épouser
non pas une cousine croisée d'un certain type mais une mfzdd, ce qui est toujours
le cas. Disons plutôt, afin d'éviter une conceptualisation qui est celle de
l'anthropologue et non celle du Pende : un homme épouse une femme du clan du père de
sa mère. Ajoutons même, pour être plus près encore de la conceptualisation pende :
un homme se marie ainsi pour que, ayant vu revenir sa semence dans son clan à la
génération suivante/il n'en soit pas moins heureux de lui assurer un second retour
à la seconde génération (de Sousberghe, p. 66).
Le fait que les Pende-Kasai prohibent formellement la cousine croisée
matrilatérale introduit une contrainte supplémentaire. (Nous n'envisageons pas
l'hypothèse — peut-être justifiée — que la simple possibilité qu'une cousine soit
définissable comme mfzdd rende indifférent le fait qu'elle soit aussi une mbd.) Chaque
fois que la mfzdd pourra converger avec la fzd (une génération sur deux dans
chaque lignée), un tel mariage sera non seulement autorisé, mais bienvenu. En
revanche, chaque fois que la mfzdd pourra converger avec la mbd, les cousines
pour lesquelles cette convergence sera effectivement réalisée seront prohibées, et
un homme devra se tourner vers une de ses mfzdd qui aura uniquement statut de
cousine au deuxième degré (cf. fig. 4).

Figure 4
64 PAUL J ORION, GISÈLE DE MEUR, TRUDEKE VUYK

N O TE I
Bien que dans de nombreux cas de mariages dits gérontocratiques en Afrique,
on ait affaire en réalité à un simple chantage familialo-politique — le grand-père
se contentant de brandir la menace d'épouser la jeune femme qui pourrait revenir
à son petit-fils — , nous envisageons ici brièvement la possibilité qu'un tel mariage
existe chez les Pende et qu'il soit général.
Deux possibilités de mariage gérontocratique existent : ou bien un homme
épouse la fille du fils de sa sœur (zsd), cas évoqué par L. de Sousberghe (pp. 74-
76) ; ou bien un homme épouse la fille de sa fille (de Heusch 1971 et trad. angl.
1981).
Dans le premier cas, on a g = fgf .

Dans le second cas, on a g = gf2 (en vertu de l'identité des germains).

De la seconde équation on tire immédiatement f2 = 1.


La périodicité de g ne peut être précisée davantage ; une solution triviale consiste
à donner à g la périodicité 1, g = 1.
Le système est alors équivalent à un simple système à matri-moitiés. On
constatera sur le diagramme qu'un tel système autorise effectivement le mariage avec la
fille du fils de la sœur (zsd) ainsi que le mariage avec la fille de la fille (dd) .

Ego \

D \ i DD
zs /
LE MARIAGE PENDE

N OTE 2
Nous laissons aux africanistes le soin de déterminer les sociétés auxquelles notre
modèle s'applique. Il est toutefois instructif de mettre en évidence que le même
système peut fonctionner selon une logique patrilinéaire, celle par exemple qui
joue chez les Ewé Abutia4. Le principe est qu'une fille appartient à sa mère qui la
renvoie dans son lignage, et il s'applique de deux façons, mutuellement exclusives :
une femme fait revenir ou bien sa propre fille, ou bien, si elle ne le peut pas, une
fille de son fils.
• Premier cas : sa fille épouse donc un cousin croisé matrilatéral, pour qui elle
est une cousine croisée patrilatérale.

6 l

\ FZD
Ô MBS
A

Figure 5

• Deuxième cas : en supposant que la petite-fille épouse le parent le plus proche


qui réponde à la définition, elle épousera un fmbss, lequel aura donc épousé une
FFZSD.

6 A

\ FFZSD
ô FMBSS
A

Figure 6

Imaginons maintenant que les deux règles ne soient pas exclusives, c'est-à-dire
qu'une femme puisse dans un premier temps renvoyer à son lignage sa fille et
dans un deuxième temps, à la génération suivante, une fille de son fils. Alors, à la
première génération, les hommes épouseront leurs fzd, et à la génération suivante

4. Nous remercions Michel Verdon de nous avoir communiqué les principes du mariage
ewé abutia. Toutefois nous ne préjugeons nullement de l'analyse qu'il fera de ses données.
66 PAUL JORION, GISÈLE DE MEUR, TRUDEKE VUYK

= 6 1 = 6 I = 6 I = 6 I
FFZ FF

FFZS M

- I 1 _ Ego
FFZSD
MBD = À i » A i =

= 6 _ FFZ
<5 I
FF = 6

= <b 1 = 6 I = 6 1 =
FFZS FZ
I
= I 1 = A
( FFZSD
iFZD E

Fig. 7. Ewé Abutia.


LE MARIAGE PENDE 67

leurs ffzsd qui pourront converger en une mbd. On se trouverait ainsi (fig. 7)
exactement dans la même situation que pour les Pende-Léo. Vérification
complémentaire : la ffzsd (identification dans un système patrilinéaire) est toujours aussi
la mfzdd (identification dans un système matrilinéaire). En interdisant qu'une
femme renvoie chez elle la fille de son fils si elle a déjà renvoyé une de ses propres
filles, les Ewé Abutia interdisent en fait le mariage avec la cousine croisée matri-
latérale, confondue par convergence avec la ffzsd. Et l'on se trouve exactement
dans la situation déjà décrite pour les Pende-Kasai. Le système ewé est dès lors
identique au système pende-kasai, si ce n'est que le système de mariage est énoncé
dans la logique d'un système patrilinéaire, alors que chez les Pende-Kasai il est
énoncé dans la logique d'un système matrilinéaire.

APPENDICE MATHÉMATIQUE

Comme nous l'avions fait dans un précédent article, (« La Question murngin, un artefact
de la littérature anthropologique » (Jorion & De Meur 1980), nous suivons la suggestion de
A. Weil (in Lévi-Strauss 1967) de considérer certains systèmes de mariage et de filiation
comme des groupes de permutation à deux générateurs et nous faisons appel à la
représentation graphique due à T. Guilbaud.
Dans les schémas du type :
père / mère les arcs représentent aussi bien les individus
(hommes en trait plein, femmes en pointillé) que
des permutations opérées sur des types de mariage
(les traits pleins x — ► — gx indiquent la
permutation opérée en assignant à un homme son type
de mariage à partir du type de mariage de ses
parents ; de même les traits en pointillé x ►- - f x
assignent à une fille un type de mariage à partir
fils fille du type de mariage de ses parents).
Soit x un type de mariage, tel qu'un homme A
épouse une femme b, les enfants étant D et d, gx sera par exemple D épousant e, et
fx sera d épousant F.
On peut considérer que la population pende P se partage en deux groupes les Px font
un mariage MBD/FZS (fg = gf), les P2 un mariage FZD/MBS (f2 = g2).

xl • X2 •
68 PAUL J ORION, GISELE DE MEUR, TRUDEKE VUYK

Ce qu'il convient de montrer, c'est que les types de mariage alternent à chaque génération
pour les hommes comme pour les femmes,
Vxj sPi i) f(x1)eP2 (e signifie « appartient à »)
Vx2 eP2 ii) fixjsPx
iii) gCx^eP,
iv) g(x2)eP1

pl P P2
— W ^
^ ^*«
xl s» gxx

gX2 ------ f»L

l-^--'"
fX2 X2

Proposition 1
Si les règles de mariage sont f 3 = gfg (un homme épouse sa MFZDD) et g3 = fgf (un homme
épouse sa FFZSD), alors des mariages de type i : f g = gf (MBD) et de type 2 : f 2 = g2 (FZD)
alterneront de génération en génération.

Démonstration
i)
f»(Xl) = gfg(Xl)
g.gf(Xl) puisque pour E^ fg = gf.
f*.f(Xl) = g2.f(Xl)
puisque f2 = g2 s'applique à f(Xi), f(xx) appartient à E2 ; notons f(xx) = s2

fgf(x. g3(x2)
= g.f2(x2)
gg() puisque pour E2, f2 = g2
puisque fg = gf s'applique à f (x2), f(xa) appartient à Ex ; notons f(x2) =

soit gs(Xl) = fgf (Xl)


= f.fg(Xi) puisque pour E^ fg = gf
g2.g(Xl) = f2g(Xl)
puisque g2 = f2 s'applique à g(xx), g(xx) appartient à E2 ; notons g(xx) = u2
iv)

soit gfg(x2) = f.g2(x2)


f3(x2) puisque pour E2, f2 = g2
f-f2(x2)
gf.g(x2) = fg.g(x2)
puisque gf = fg s'applique à g(x2), g(x2) appartient à Ex ; notons g(x2) = vx.

Proposition 2
Si f 3 = gfg (un homme épouse sa MFZDD) et si tout mariage est soit de type 1 : fg = gf
(MBD), soit de type 2 : f2 = g2 (FZD), alors g3 = fgf (un homme épouse sa FFZSD).
LE MARIAGE PENDE 69

Démonstration
a.i. f» (Xl) = gfg(Xl) = g2f(xx)
f f(Xl) = g2.f(xx)
donc f (xx) = s2 (cf. i ci-dessus pour la notation)
2. gfg(x2) - f(X.) = f.f2(x2) = f.g«(Xl)
gf.g(x2) = fg.g(x2)
donc g(x2) = vx (cf. iv ci-dessus)
3- fg(xi) = gf(xO = g(s.)
comme s2eP2) g(s2)ePi (en vertu de a. 2.) ; notons g(s2)
donc g(x1)eP2 ; notons g(xx) = u2
et f(u2)sPi. ; notons f(u2) == tt
b.i. gs(Xl) = g2.g(Xl) = f«.g(Xl) = f.fg(Xl) = f.gf(Xl)
2. g»(x2) = g.g2(xx) = g.f(Xl) = gf.f(x2) = fg.f(x2)
donc pour tout x, g3 = fgf .

Représentation graphique
II est possible de donner une interprétation géométrique des propositions 1 et 2.
Pour une société où les permutations f et g sont toujours distinctes (frères et sœurs ne
s'épousent pas) et où chaque individu a l'une des possibilités de mariage
1) fg = gf (MBD/FZS)
2) f2 = g2 (FZD/MBS),
le système de mariage et de filiation peut être représenté par un quadrillage (nonobstant
d'éventuelles identifications). Pour assurer l'adéquation de celui-ci au système, chaque
carreau doit avoir deux de ses arêtes figurant des femmes et deux figurant des hommes selon
l'une des deux configurations I et II.

Dans le cas pende, nous connaissons les contraintes


supplémentaires qui s'exercent sur le système :
1. chacun peut réaliser un mariage f3 = gfg (et g3 = fgf)
2. les mariages fg = gf (1) alternent de génération en
génération avec les mariages f 2 = g2 (2)
Un seul quadrillage correspond à l'ensemble des
contraintes. En effet,

1) II existe trois modes de représentation pour f3 :

> <: >


• • •

(a) (b) (c)


PAUL J ORION, GISÈLE DE MEUR, TRUDEKE VUYK

On constate ainsi que la présence d'une de ces configurations en un endroit du


quadrillage implique sa répétition latérale infinie :

V,'

(a) (b)
2) Seules des configurations de type (b) sont compatibles avec la relation f3 = gfg.
Toutefois cette donnée supplémentaire oblige à étendre le quadrillage, cette fois verticalement,
à l'ensemble du plan :

(On introduit une nouvelle convention graphique : aux mariages fg = gf (1) correspon
dront des sommets blancs, aux mariages f2 = g2 (2), des sommets noirs.)
On remarque que l'adjonction des contraintes supplémentaires f 3 = gfg et g3 = fgf
implique f4 = g4 = (fg)2 = (gf)2, c'est-à-dire une translation verticale de quatre
générations sur le réseau. On pourrait montrer au contraire qu'on ne peut exprimer une
translation horizontale (plus généralement, non verticale) au moyen des générateurs f et g.

Vers une réduction du modèle


On cherche à présent des contraintes de finitude qui donneront par identification le plus
petit modèle (fini) non trivial du système pende. Par non trivial nous voulons dire que les
caractéristiques essentielles du système sont conservées ; f et g, par exemple, doivent rester
distincts et de nouvelles possibilités de mariage ne peuvent être introduites (du moins dans
l'espace qui nous intéresse : cousins germains et cousins issus de cousins germains) ; il faut
aussi conserver bien entendu l'homogénéité au sein de chacun des deux types de mariage.

/
x' '
' X 'X X 'X ' X
LE MARIAGE PENDE 71

1) Si l'on respecte ces conditions, A doit rester distinct de B, sans quoi f = g, c'est-à-dire
que le mariage d'un frère et d'une sœur devient possible. A doit aussi rester distinct de C
sans quoi la règle f2 = g2 devient applicable à tous. A confondu avec D introduirait des
types de mariage supplémentaires : gf 2 = fg2 (un homme avec sa FMBDD) pour certains,
g2f = f2g (un homme avec sa MMBSD) pour les autres.
Par contre, les identifications A = A' et a = a' n'introduisent que des mariages plus
lointains : g2f 2 = f 2g2 pour certains et fg2f = gf 2g pour d'autres, une distorsion que nous
avons dit pouvoir admettre. Cette réduction conserve une bande infinie verticale de
largeur quatre.
2) On peut vérifier que l'identification du mariage d'un homme avec celui de son petit-fils
ou d'un homme quelconque de la génération de celui-ci (A ^ E, F, G, H) introduirait des
défauts d'homogénéité au sein des deux catégories de mariage.
L'identification verticale la plus proche serait celle d'Ego avec le petit-fils de son petit-
fils (A = A"). On aurait alors 1 = g* = f* =. (fg)2 = (gf)2.
On obtient ainsi un modèle à 16 types de mariage, répartis en deux catégories de huit.
Une représentation possible est la suivante :

Le groupe associé à ce diagramme est engendré par les quatre générateurs non indépendants
de poids 2 : f 2, g2, fg et gf ; il est muni des relations suivantes :
(f2) (fg) = (gf) (g2), (f2) (gf) = (fg) (g2)
(fg) (f2) = (g2) (gf), (gf) (f2) = (g2) (fg)
qui valent sur le réseau entier et
(f2)2 = (g2)2 = (fg)2 = (gf)2 = 1
(f *) (gi) = (g2) (f •) et (fg) (gf) == (gf) (fg) résultant des identifications.
Ce groupe, isomorphe au groupe diédrique D4 (2), partage les 16 sommets, en deux classes
de transitivité de huit points chacune, sur lesquelles il opère régulièrement.
72 PAUL J ORION, GISÈLE DE MEUR, TRUDEKE VUYK

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Fortune, R.
1933 « A Note on Some Forms of Kinship Structure », Oceania IV (1) : 1-9.

Heusch, L. de
I955 « A Propos d'une mise en question par le R.P. de Sousberghe des thèses de
M. Lévi-Strauss », Zaire IX (8) : 849-851.
197 1 Pourquoi l'épouser P Et autres essais. Paris, Gallimard (« Bibliothèque des Sciences
humaines »). (Trad. angl. : Why Marry her ? Cambridge, Cambridge University
Press, 198 1.)
Jorion, P. & G. De Meur
1980 « La Question murngin, un artefact de la littérature anthropologique »,
L'Homme XX (2) : 39-70.
Lane, R. B.
1962 « Patrilateral Cross-Cousin Marriage : Structural Analysis and Ethnographie
Cases », Ethnology 1 (4) : 467-499.
Lévi-Strauss, C.
1967 Les Structures élémentaires de la parenté. Paris-La Haye, Mouton. (ire éd. : Paris,
PUF, 1949.)
Sousberghe, L. de
I955 Structures de parenté et d'alliance d'après les formules pende (ba-Pende, Congo
belge). Bruxelles, Académie royale des Sciences coloniales.

Van Wouden, F. A. E.
I935 Sociale Structuurtypen in de Groote Oost. Leiden, Ginsberg.

Résumé

Paul Jorion, Gisèle De Meur et Trudeke Vuyk, Le Mariage pende. — Le


mariage pende pose un problème qui n'avait pas été résolu jusqu'ici :
alors que certains hommes épousent leur cousine croisée patrilatérale et
d'autres leur cousine croisée matrilatérale, il semblait bien que ces deux types
de cousines ne convergent nullement en une cousine croisée bilatérale.
En considérant que l'alternative mariage avec la cousine croisée patrilatérale
ou avec la matrilatérale est sans portée, les Pende mettent en question une
distinction analytique jugée essentielle par les anthropologues. Les auteurs
proposent une solution du problème pende : le mariage serait en fait
préférentiel avec une cousine plus éloignée, la fille de la fille de la sœur du père de la
LE MARIAGE PENDE

mère, qui, aux générations alternées, convergerait alors avec l'un des deux
types de cousines croisées. La même structure de mariage préférentiel peut se
retrouver dans une perspective patrilinéaire : il s'agit alors du mariage avec
la fille du fils de la sœur du père du père.
Dans un appendice mathématique, il est montré que de telles structures
élémentaires « lourdes » obligent le mathématicien à dépasser son approche
traditionnelle des mariages préférentiels ou prescriptifs en termes de groupes
de permutations et à faire appel à des objets mathématiques plus complexes,
susceptibles de rendre compte de structures non homogènes.

Abstract

Paul Jorion, Gisèle De Meur and Trudeke Vuyk, The Pende Marriage. —
The Pende marriage system has been so far regarded as problematic in
the anthropological literature. Although some men marry their FZD and
others their MBD, the two types of cross-cousins do not seem to converge
into a bilateral cross-cousin. Furthermore, by regarding the choice between
the two types of cross-cousins as indifferent, the Pende question an essential
tenet of the anthropologist's analytical premises. The authors suggest that the
problem gets solved when it appears that the Pende actually marry
preferentially a MFZDD who can converge with MBD and FZD at alternate
generations. Also it is demonstrated that the same structure which can be
interpreted as preferential marriage with MFZDD in a matrilineal
perspective, is liable to be interpreted as FFZSD marriage in a patrilineal
perspective.
In a mathematical appendix, the authors show that such "heavy"
elementary structures require that the mathematician transcends its
traditional approach of preferential marriage in terms of permutation
groups and turns to more complex mathematical objects which account
for non-homogeneous structures.

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