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Sujet 25 Dissertation juridique

Durée de l’épreuve :
Vous traiterez le sujet suivant :
3 heures
Document autorisé : « La responsabilité personnelle du préposé »
Code civil
 Mots clés  Responsabilité - Pré-
posé - Commettant - Fait des
choses - Faute - Indemnisation

OBSERVATIONS DU CORRECTEUR (Th. Goujon-Bethan)

Le sujet invite à exposer l’état du droit sur la responsabilité personnelle du


préposé. Plusieurs points de vigilance doivent être formulés.
- D’abord, il convient de veiller à éviter tout hors sujet, par exemple en se
concentrant sur le régime de responsabilité du commettant.
- Ensuite, l’exposé doit être exhaustif, n’omettre aucun élément essentiel, sans
pour autant avoir une vocation encyclopédique.
- Enfin, il ne doit pas se réduire à une récitation de cours. La problématisation
et le plan doivent donc être particulièrement travaillés. Il convient de définir
de manière très claire l’orientation du droit positif tout en confrontant les
solutions acquises aux cadres généraux du droit de la responsabilité civile.

Victor Hugo a écrit que « tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité ».
Le premier paragraphe de La réciproque est-elle vraie  ? Autrement dit, tout ce qui diminue la liberté doit-il
l’introduction constitue l’accroche diminuer la responsabilité ? En droit, lorsqu’une personne cause un dommage en
dont le but est de poser les enjeux
généraux de la réflexion, ici en des obéissant aux instructions d’un tiers, et donc avec un degré de liberté moindre
termes philosophiques. que si elle avait agi de son propre chef, cela peut-il conduire à une diminution de
sa responsabilité ? Telle est la question fondamentale qui se retrouve au centre de
l’appréhension de la responsabilité personnelle du préposé.
Cornu G. (dir.), Vocabulaire juridique,
13e éd., 2020, PUF, Quadrige, vo Selon le Vocabulaire juridique, le préposé est une personne « qui accomplit un acte
Préposé.
ou exerce une fonction sous la subordination d’une autre », cette autre personne étant
V. spéc. : Flour J. et Aubert J.-L., dénommée le commettant. La doctrine tend à considérer que c’est la possibilité
Les obligations, t. 2 : le fait juridique, de donner des ordres au préposé, d’exercer sur ce dernier une autorité, qui consti-
14e éd., 2011, Sirey, Université,
nos 209 et s. tue la marque la plus sûre du lien de préposition. Cela permet à cette relation
juridique de s’appliquer à des configurations variées, allant de la relation de travail
La définition des termes du sujet est aux simples directives occasionnelles données par une personne à une autre.
un passage très important.
La relation unissant le commettant et le préposé se retrouve au cœur d’un principe
de responsabilité du commettant du fait du préposé, consacré par le Code civil
en son article 1242, alinéa 5. Toutefois, la focalisation des textes sur le commettant
laisse entière la question de la responsabilité personnelle du préposé. À première
vue, conformément à la philosophie classique du droit de la responsabilité civile,
l’on pourrait penser qu’un préposé, à l’instar de toute autre personne, doit répondre
de sa faute. Cette idée orienta d’ailleurs le droit positif pendant la majeure partie

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du XXe siècle. Des préposés fautifs virent ainsi leur responsabilité engagée, soit par
leurs victimes soit par leurs commettants dans le cadre d’actions récursoires.
Cela étant, le lien de préposition, s’il constitue un facteur de responsabilisation du
commettant, peut aussi, à certains égards, apparaître comme un facteur d’atté-
V. notamment : G. Viney,
nuation de la responsabilité du préposé. Comme l’a fait observer une partie de la
« La responsabilité personnelle
doctrine, le préposé agit pour le compte et dans l’intérêt d’un autre. Ces considé- d’un préposé ne peut être recherchée
rations expliquent que le droit français ait progressivement infléchi sa rigueur quant s’il n’a pas outrepassé les limites de sa
à la responsabilité personnelle du préposé. mission », D. 1994, p. 124.

Ce mouvement d’atténuation a trouvé sa plus haute expression par l’affirmation


jurisprudentielle, à l’orée des années 2000, de l’absence de responsabilité du pré-
posé à l’égard de la victime lorsqu’il agit dans la limite de sa mission. Il n’en reste
pas moins que, pour être compréhensible, cette vision entre en décalage avec les
objectifs traditionnels de la responsabilité civile  : permettre l’indemnisation de la
victime et faire en sorte que l’on réponde de son fait personnel. Ne risque-t-on pas,
ce faisant, de déresponsabiliser le préposé ? Quant à la victime qui perd un débi-
teur et s’expose au risque de l’insolvabilité du commettant, n’est-elle pas moins
bien protégée ?
La pluralité des intérêts en jeu explique sans doute que la question de la respon-
sabilité personnelle du préposé fasse l’objet d’atermoiements qui rendent parfois
difficile l’interprétation des solutions. En cet état, il n’est pas forcément évident pour
une victime de déterminer si elle peut agir contre le préposé et pour le préposé
de savoir si sa responsabilité peut être mise en jeu. Il semble malgré tout possible
de dégager la tendance du droit positif : chercher à protéger le préposé sans le
déresponsabiliser.
En quoi peut-on considérer que la responsabilité du préposé n’a pas disparu en
La problématique peut être
dépit des limitations qui lui sont apportées ? Le droit positif s’emploie à circonscrire formulée sous forme de question.
la protection du préposé à ce que requiert son intérêt légitime, sans aller au-delà Ce qui importe, c’est qu’elle résulte
pour ne pas pénaliser outre mesure la victime. Ainsi, en premier lieu, si la respon- naturellement du raisonnement
qui la précède.
sabilité personnelle du préposé peut être neutralisée, cette neutralisation est déli-
mitée et strictement subordonnée au respect de sa mission par le préposé (1). En
second lieu, même lorsque le préposé respecte les termes de sa mission, la neutra-
lisation de sa responsabilité n’est pas absolue. La restauration de sa responsabilité
est possible (2).

1 • La neutralisation de la responsabilité subordonnée


au respect de la mission

La responsabilité personnelle du préposé n’est neutralisée que lorsque ce der-


nier agit bien dans le cadre de la mission déterminée par son commettant. Cette
obéissance à la mission neutralise tant la responsabilité du fait des choses, qui
est inapplicable faute de garde (A) que la responsabilité pour faute, qui se trouve
paralysée par le respect de la mission (B).

A) L’inapplicabilité de la responsabilité du fait des choses

L’impossibilité d’engager la responsabilité du préposé sur le fondement du fait


d’une chose est admise depuis longtemps. Un jalon a été posé par une décision
rendue le 30 décembre 1936 relativement à la responsabilité d’un chirurgien qui
avait causé un dommage en manipulant un porte-aiguille en qualité de préposé
de l’hôpital. Depuis, la haute juridiction affirme de manière constante que « la garde
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étant alternative et non cumulative, la qualité de gardien et celle de préposé sont
V. encore récemment : incompatibles ». En effet, le lien de préposition empêche le préposé d’exercer les
Cass. 2e civ., 16 janv. 2020,
n° 19-10489.
attributs de la garde tels que définis par l’arrêt Franck de 1941. C’est précisément
la direction de la chose qui fait défaut, puisque le préposé doit user de la chose
conformément aux instructions du commettant. Même lorsque le préposé est pro-
priétaire de la chose instrument du dommage, il est considéré que « le commettant
devient gardien de la chose appartenant au préposé quand celui-ci l’utilise dans l’intérêt
Cass. 2e civ., 24 janv. 1973, du commettant pour accomplir la mission qui lui est confiée par ce dernier », la garde de
n° 71-12861, Bull. civ., n° 72.
la chose étant transférée au commettant.
Il reste que cette incompatibilité des qualités de préposé et de gardien ne vaut que
pour autant que le préposé qui utilise la chose agisse bien dans l’intérêt du com-
V. les réf. citées dans Y. Lequette et mettant. Dès lors que l’utilisation de la chose ne peut être rattachée à l’exercice
a., Grands arrêts de la jurisprudence de ses fonctions, notamment lorsque le préposé dérobe la chose ou agit dans son
civile, t. 2, 13e éd., 2015, Dalloz,
intérêt personnel, sa responsabilité personnelle peut être recherchée, ainsi que l’a
p. 452 : Req. 10 nov. 1936 Gaz. Pal.
1936. 2. 943 ; admis la Cour de cassation.
Cass. civ., 6 juin 1952, Gaz.
Pal. 1952. 2. 123 ; Cette vision favorable au préposé sur le terrain du fait de la chose préfigure le mou-
Cass. civ., 21 nov. 1956, D. 1957. 51 ; vement qui aboutira à la neutralisation encadrée de la responsabilité pour faute
Cass. 2e civ., 20 déc. 1977,
du préposé (B).
D. 1978. IR. 203, obs. Larroumet.

B) La paralysie de la responsabilité pour faute

Initialement conçu comme un simple garant du préposé, le commettant a progres-


sivement été considéré comme le véritable responsable du dommage, en appli-
V. not. : Flour J. et Aubert J.-L.,
Les obligations, t. 2 : le fait juridique, cation de la théorie du risque. Cela a conduit la jurisprudence à paralyser la mise
14e éd., 2011, Sirey, Université, en jeu de la responsabilité personnelle du préposé lorsqu’il agit dans le cadre de
spéc. n° 208. la mission définie par son commettant. Comme cela a été observé, l’on s’est alors
orienté vers un alignement de la situation du préposé avec celle du fonctionnaire,
qui, depuis le xixe siècle, n’engage pas sa responsabilité personnelle lorsqu’il com-
met une faute de service. Après une première affirmation par la chambre com-
T. confl., 30 juill. 1873, Pelletier.
merciale de la Cour de cassation, dans un arrêt Rochas rendu le 12 octobre 1993,
Cass. com., 12 oct. 1993, Rochas, l’assemblée plénière, dans un arrêt Costedoat rendu le 25 février 2000, affirma la
n° 91-10864, Bull. civ. IV, n° 338. règle suivant laquelle « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui
agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie ». Cette neutralisation est
Cass. ass. plén., 25 févr. 2000,
Costedoat, nos 97-17378 et strictement circonscrite ; elle ne joue que lorsque le préposé agit dans le cadre de
97-20152, Bull. ass. plén. n° 2. sa mission et qu’il reste donc, ce faisant, sous l’autorité du commettant.
Ainsi, d’une part, lorsque le préposé dépasse sa mission, il doit répondre du dom-
mage qu’il a causé. Le dépassement de la mission n’est pas une hypothèse
d’école ; elle ne se confond pas avec l’abus de fonctions que le commettant doit
démontrer pour s’exonérer de sa responsabilité. En effet, l’abus de fonctions est
défini depuis 1988 comme le fait pour le préposé d’avoir agi «  hors des fonctions
auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions ».
Si le dépassement de la mission semble pouvoir recouper les deux derniers critères,
Cass. ass. plén., 19 mai 1988, le premier est indifférent : un préposé peut dépasser sa mission tout en agissant
n° 87-82654 dans le cadre de ses fonctions. En ce sens, le projet de réforme de la responsabilité
civile du 13 mars 2017 prévoit en son article 1249 que le préposé engage sa res-
ponsabilité personnelle « lorsque, sans autorisation, il a agi à des fins étrangères à ses
attributions ».

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D’autre part, réciproquement, lorsque le préposé a respecté sa mission, la neutra-
lisation de responsabilité joue de manière extensive. Dans deux arrêts rendus le
9 novembre 2004 à propos d’une sage-femme et d’un médecin salarié, la Cour
de cassation a abandonné sa jurisprudence suivant laquelle les préposés jouis- Cass. 1re civ., 9 nov. 2004,
sant d’une certaine indépendance devaient continuer de voir leur responsabilité nos 01-17168 et 01-17908,
engagée. En outre, la Cour de cassation permet au préposé de se prévaloir de son Bull. civ. 1, n° 262.
immunité même lorsque sa responsabilité est recherchée sur le fondement de la loi Cass. 2e civ., 28 mai 2009,
du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation. n° 08-13310, Bull. civ. 2, n° 128.

Il résulte de ce qui précède que la responsabilité personnelle du préposé bénéficie


d’un régime de faveur mais uniquement dans un périmètre bien délimité. Cette
assertion se trouve corroborée par le fait que, même lorsque le préposé respecte sa
mission, sa responsabilité peut être restaurée dans certains cas (2).

2 • La restauration de la responsabilité possible malgré le respect de


la mission

La restauration de la responsabilité du préposé respectant les limites de sa mission


peut prendre deux formes. D’abord, la responsabilité du préposé est rétablie afin de
le responsabiliser en présence d’un comportement grave (A). Ensuite, la responsa-
bilité du préposé peut être retenue lorsque la reconnaissance de celle-ci poursuit
une autre fin que l’indemnisation de la victime par le préposé responsable (B).

A) Le rétablissement de la responsabilité à raison de la gravité


du comportement

L’immunité ne couvre pas les comportements que le préposé n’aurait en aucun


cas dû commettre. Cela peut viser plusieurs situations.
D’une part, lorsque les faits reprochés au préposé sont susceptibles de revêtir la
qualification d’une infraction pénale, la responsabilité de ce dernier sur le plan civil
ne doit-elle pas être rétablie ? Les infractions pénales se rapportent à des compor-
tements qui sont socialement condamnables. La Cour de cassation a progressi-
vement affirmé que l’immunité du préposé ne jouait pas lorsqu’était en cause un Cass. ass. plén., 14 déc. 2001,
tel comportement. Dans un arrêt Cousin rendu en 2001, l’assemblée plénière de la Bull. ass. plén. n° 2.
Cour de cassation l’a affirmé pour la faute pénale intentionnelle ayant entraîné
une condamnation pénale. La haute juridiction prend soin de relever que l’éten-
due de la mission n’a aucune incidence  : il importe peu que l’infraction ait été
commise sur l’ordre du commettant. Le rétablissement de la responsabilité person-
nelle du préposé a été étendu à l’hypothèse d’une faute pénale non intentionnelle
mais qualifiée au sens de l’article 121-3 du Code pénal. Cela vise les infractions
qui reposent soit sur la «  violation manifestement délibérée d’une obligation particu-
lière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement », soit sur une faute
caractérisée « exposant autrui à un risque d’une particulière gravité que l’on ne pouvait
ignorer ». Là encore, il importe peu que l’infraction ait été commise dans l’exercice Cass. crim., 28 mars 2006,
n° 05-82975, Bull. crim., n° 91.
des fonctions. Faut-il aller plus loin et restaurer la responsabilité du préposé pour
toute infraction pénale, même en cas de faute pénale non qualifiée ? Dans des
Cass. 2e civ., 20 déc. 2007,
décisions rendues les 20 décembre 2007 et 21 février 2008, la deuxième chambre n° 07-13403, Bull. civ. II, n° 274.
civile de la Cour de cassation a semblé manifester son adhésion à une telle vision
des choses  : elle évoque la mise en jeu de la responsabilité du préposé en cas Cass. 2e civ., 21 févr. 2008,
d’infraction pénale, sans distinction. n° 06-21182.

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D’autre part, lorsque le préposé commet une faute civile mais de manière inten-
tionnelle, ne doit-il pas être tenu de réparer les conséquences de ses actes ? Si l’on
retenait une telle interprétation, le champ de l’immunité serait drastiquement réduit.
Seul le quasi-délit serait hors du champ de la responsabilité du préposé. Dans les
décisions précitées du 20 décembre 2007 et du 21 février 2008, la haute juridiction
a semblé aller dans ce sens puisqu’elle a précisé que le préposé pouvait être tenu
à réparation lorsque le préjudice résultait d’une faute intentionnelle. Le projet de
réforme de la responsabilité civile valide cette interprétation puisqu’il prévoit en son
article 1249 la restauration de la responsabilité civile du préposé en cas de « faute
Pour des propositions doctrinales intentionnelle ».
plus amples fondées sur ce critère :
Flour J. et Aubert J.-L., La restauration de la responsabilité personnelle du préposé est donc possible
Les obligations, t. 2 : le fait juridique, lorsque le comportement du préposé présente un certain degré de gravité. Il en va
14 éd., 2011, Sirey, Université,
e

n° 221-1 et les réf. citées.


de même lorsque l’objectif poursuivi n’est pas l’indemnisation de la victime par le
préposé (B).

B) Le maintien de la responsabilité à d’autres fins que l’indemnisation

Lorsque les enjeux attachés à la reconnaissance de la responsabilité du préposé


ne sont pas d’obliger ce dernier à indemniser le préjudice, il n’existe pas de raison
de paralyser cette responsabilité. Le maintien de la responsabilité du préposé dans
ce contexte peut conduire à diminuer l’indemnisation due au préposé victime
d’un dommage et à autoriser les actions récursoires entre assureurs.
Ainsi, d’une part, lorsque le préposé a été lui-même victime d’un dommage, il est
Cass. com., 10 déc. 2013, possible de lui opposer sa propre faute pour réduire son indemnisation  comme
n° 11-22188, Bull. civ. IV, n° 182. on le ferait pour toute victime. Cela est logique car la neutralisation de la respon-
sabilité du préposé ne vaut qu’à l’égard des tiers et non à l’égard de lui-même. Il
répond alors indirectement de sa faute.
D’autre part, dans une décision rendue le 12 juillet 2007 par la première chambre
civile de la Cour de cassation, il a été indiqué que l’immunité du préposé ne faisait
Cass. 1re civ., 12 juill. 2007, pas obstacle à ce que l’assureur qui a indemnisé la victime exerce une action
n° 06-12624, Bull. civ. I, n° 270.
subrogatoire contre l’assureur du préposé. Cette solution confirme, comme l’a indi-
S. Porchy-Simon, D. 2007, p. 2908. qué la doctrine, que l’immunité du préposé n’est pas une irresponsabilité  : il ne
V. aussi : P. Jourdain, RTD civ. 2008, s’agit que d’une « immunité procédurale  » faisant obstacle à l’action de la victime
p. 109.
contre le préposé, sans entraîner la disparition de la dette de responsabilité.

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