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Chapitre 1

Épidémiologie des épilepsies


Introduction chez le nourrisson, accident ischémique céré-
bral (AIC) ou maladie d’Alzheimer chez le sujet
L’épilepsie représente la deuxième maladie neu- âgé) (fig. 1.1) ;
rologique mondiale par ordre de fréquence avec : • du type de crises (focales versus généralisées)
• 70  millions de patients épileptiques dans le (fig. 1.2) avec une surreprésentation des crises
monde [1] ; focales, notamment après 50 ans [6] ;
• entre 2,6 [2] et 6 millions [3] en Europe ; • du niveau de développement socio-économique
• 600 000 en France. du pays  [5]  : oscillant entre 45/100  000/an
L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) dans les pays développés et 81,7/100  000/
considère de ce fait l’épilepsie comme un pro- an dans les pays émergents (différences relatées
blème majeur de santé publique [4]. Depuis 1997, aux causes infectieuses surreprésentées dans les
elle mène en collaboration avec la Ligue interna- pays émergents et aux différences de prise en
tionale contre l’épilepsie et le Bureau international charge de la périnatalité) ;
de l’épilepsie une campagne mondiale intitulée • du niveau socio-économique des patients dans
« Sortir de l’ombre », pour informer, faire mieux un même pays : une étude en population géria-
connaître la maladie et améliorer les soins. trique à faibles revenus a retrouvé des taux
d’incidence nettement plus élevés qu’attendu
pour la tranche d’âge [7].
Incidence L’incidence cumulative de faire une crise d’épi-
lepsie au cours de la vie est de 3  % et croît
●● Pour comprendre
L’incidence est le nombre de nouveaux cas de
maladies observés pendant une période donnée,
généralement une année.

L’incidence moyenne de l’épilepsie est de


50,4/100,000/an  [5] avec un sexe ratio
égal  : 46,2/100  000 chez les femmes versus
51,8/100 000/an chez les hommes [6].
L’incidence spécifique varie considérablement
en fonction :
• de l’âge avec une répartition bimodale  : on
note deux pics d’incidence de 122/100  000/
an avant l’âge d’un an et après l’âge de 65
ans  [6], rendant compte de la fréquence des
crises symptomatiques (voir chapitre 2) et de la
surreprésentation de certaines étiologies dans
ces âges (accidents ante ou néonataux, erreurs Figure 1.1. Courbe d’incidence de l’épilepsie (d’après
innées du métabolisme, maladies génétiques Hauser [6]).

Epilepsies de l'enfant, de l'adolescent et de l'adulte


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2 Epilepsies de l'enfant, de l'adolescent et de l'adulte

une étude Française plus récente datant de


2008 [12]) ;
• les pays et le niveau socio-économique des
patients (idem incidence).

Pharmacorésistance
Une épilepsie est considérée comme pharmaco-
résistante lorsque les crises d’épilepsie persistent
malgré l’essai d’au minimum deux molécules
antiépileptiques adaptées au syndrome épilep-
tique et utilisées à posologies efficaces  [13]. La
Figure 1.2. Courbe d’incidence en fonction du type pharmacorésistance touche environ un tiers des
de crises (d’après Hauser [6]). patients épileptiques et, malgré l’avènement de
nombreuses nouvelles molécules antiépileptiques,
naturellement avec l’âge passant de 1 % entre 0 et demeure stable au cours du temps. Une première
15 ans à 4,5 % au-delà de 85 ans [8]. étude publiée en  2000 sur 525  patients épilep-
tiques nouvellement diagnostiqués entre  1982
et 1997 [14] retrouvait un taux de pharmacoré-
Prévalence sistance de 37 %, la même étude sur une cohorte
élargie à 1795 patients épileptiques nouvellement
●● Pour comprendre diagnostiqués entre  1982 et  2014 retrouve un
La prévalence est le nombre de cas de mala- taux de 36,3 % de pharmacorésistance [15].
dies enregistrés pour une population déterminée,
englobant aussi bien les nouveaux cas que les
anciens cas. Focus
En Europe, la prévalence de l’épilepsie oscille Facteurs de risque de développer une épilepsie
entre 3,3 et 7,8 pour 1 000 habitants [9]. pharmacorésistante [16, 17]
Tout comme pour l’incidence, la prévalence spé-
• Antécédents familiaux d’épilepsie.
cifique va varier en fonction de différents facteurs : • Antécédents de convulsions fébriles (cela renvoie
• l’âge : chiffres plus bas de prévalence en popu- au type de lésion, notamment les scléroses hippocam-
lation pédiatrique générale (0-18  ans) (3,4  à piques très pourvoyeuses de pharmacorésistance).
5,1/1 000) [10, 11] avec toujours néanmoins, • Type de lésions : sclérose hippocampique, malforma-
comme pour l’incidence, un pic de prévalence tions corticales, double pathologie.
chez les tout-petits (<  5  ans) et chez le sujet • Épilepsie post-traumatique.
âgé [3] ; • Comorbidité psychiatrique/addiction.
• le type de crises  : chez l’adulte, on note une • Retard à la mise en route du traitement.
nette surreprésentation des crises focales (55 %
à 83 %) versus les crises généralisées, alors que
chez l’enfant, les ratios sont plus équilibrés (42 Mortalité
à 60  % de crises focales versus 30 à 58  % de
crises généralisées) [3,9] ; Très tôt, avant même que le concept de SUDEP
• l’époque : tendance avec le temps à une augmen­ (sudden unexplained death in epilepsy) ne soit
tation des chiffres de prévalence de l’épilepsie d’actualité, les études de Hauser [6,18] pointaient
(taux de prévalence de 3,5 pour 1 000 dans la une surmortalité dans la population épileptique.
cohorte historique d’Hauser datant des années Pratiquement, toutes les études épidémiologiques
1940-1980  [5] et de 5,4 pour 1  000 dans rapportent un excès de mortalité chez les patients
Chapitre 1. Épidémiologie des épilepsies 3

épileptiques avec un taux de mortalité multiplié • les suicides  : on retrouve de façon constante
par  3 dans 38  études de cohorte portant sur un taux plus élevé de suicides que celui de
165 879 patients [19] (fig. 1.3). la population générale chez les épileptiques
Cette surmortalité est attribuée à quatre prin- (cf. chapitre  9, comorbidités psychiatriques).
cipales causes : Une étude de 2017  [26] montre un taux
• les morts soudaines inexpliquées de l’épilep- annuel de mortalité par suicide trois fois plus
tique ou SUDEP seraient responsables de 5,2 % élevé chez les patients épileptiques (taux de
des décès de patients épileptiques et de 36  % 16.89/100,000 habitants/an) ;
de ces décès dans la tranche 0-15 ans [20] avec • l’évolution des maladies causales de l’épilepsie :
un risque cumulatif de décès par SUDEP [21] le taux de mortalité est ainsi beaucoup plus élevé
allant jusqu’à 12 % sur 40 ans en cas de facteur dans les épilepsies symptomatiques («  structu­
de risque avéré (voir plus bas, focus « La mort relles-métaboliques) quel que soit l’âge de
soudaine inexpliquée de l’épileptique ou début (avant 20 ans ou à l’âge adulte) [19].
SUDEP »), sachant, par ailleurs, que les décès
attribués aux SUDEP sont très certainement très
sous-estimés [22] ; Focus
• l’accidentologie : noyades, accidents de la voie La mort soudaine inexpliquée de l’épileptique
publique, traumatismes crâniens, etc. On manque ou SUDEP [20-22, 27, 28]
de données épidémiologiques claires sur le taux
de mortalité attribué aux accidents provoqués Les SUDEP représenteraient 0,1  à 9  décès pour
par les crises d’épilepsie. Il apparaît néanmoins 1 000 patients/année. Il s’agit de décès inexpliqués sur-
venant directement au décours d’une crise (et donc relatés
que :
à la crise), crises de survenue le plus souvent nocturne.
– le risque de décéder de noyade est 82  fois Les facteurs de risque identifiés de présenter une
plus élevé dans la population épileptique que SUDEP sont :
dans la population générale [23], • existence d’une épilepsie pharmacorésistante ayant
– le risque de décéder d’un accident de voiture débuté dans l’enfance, de longue évolution, en poly-
lié à l’épilepsie serait faible : seulement 0,2 % thérapie ;
des décès par accident de voiture eux-mêmes • âge : adulte jeune ;
estimés à  8,6 pour 100  000  habitants  [24] • retard mental (QI < 70) ;
alors que le risque d’avoir un accident de • fréquence importante de crises généralisées tonico-
cloniques ;
voiture quand on est épileptique est multiplié
• absence de supervision nocturne.
par 1,71 [25] ; Le mécanisme suspecté est le cerebral electrical shut-
down (silence électrique cérébral) avec deux méca-
nismes possiblement conjoints :
• trouble respiratoire inaugural (apnée centrale ou obs-
tructive ou œdème pulmonaire vasogénique) ;
• puis anomalies cardiaques (asystolie ictale, ischémie
cardiaque ictale, fibrose sous-endocardique, anomalies
électrocardiographiques [ECG] interictales).
On ne dispose pas, à l’heure actuelle, de traitement
pour éviter ces SUDEP mais des mesures préventives
tendant à en diminuer la fréquence sont préconisées :
• équilibre optimal de l’épilepsie et notamment des
crises généralisées tonicocloniques ;
• observance thérapeutique optimale ;
• hygiène de vie adaptée ;
• éventuelle supervision nocturne, notamment chez
les patients présentant des phénomènes marqués de
cyanose ou bradycardie postcritiques.
Figure 1.3. Courbe de survie (d’après Hauser [6]).
4 Epilepsies de l'enfant, de l'adolescent et de l'adulte

Impact socio-économique Références


[1] Ngugi AK, Bottomley C, Kleinschmidt I, Sander JW,
L’OMS a établi que l’épilepsie représentait 0,6 % Newton CR. Estimation of the burden of active and
de la charge mondiale de morbidité (mesure lifetime epilepsy: a meta-analytic approach. Epilepsia
2010;51:883–90.
combinant les années de vie perdues à cause de [2] Olesen J, Gustavsson A, Svensson M, Wittchen HU,
la mortalité prématurée et le temps vécu dans un Jönsson B. CDBE2010 study group; European Brain
état de santé non optimal) [4]. Council. The economic cost of brain disorders in
Outre le coût médical direct lié à la prise Europe. Eur J Neurol 2012;19(1):155–62.
en charge de l’épilepsie (consultations, hos- [3] Behr C, Goltzene MA, Kosmalski G, Hirsch E, Ryvlin
P. Epidemiology of epilepsy. Rev Neurol (Paris) 2016;
pitalisations, examens, médicaments, transports
172(1):27–36.
médicaux, etc.), il existe également des coûts [4] Organisation mondiale de la Santé (OMS). Épilepsie
indirects, notamment liés aux éventuelles diffi­ Aide-mémoire  ; N°999Février. 2018. http://www.
cultés professionnelles. L’accès à l’emploi demeure who.int.
ainsi problématique en cas d’épilepsie active, les [5] Ngugi AK, Kariuki SM, Bottomley C, Kleinschmidt I,
patients épileptiques signalant majoritairement Sander JW, Newton CR. . Neurology 2011;77:1005–
12.
des difficultés à trouver un travail ou à révéler [6] Hauser WA, Annegers JF, Kurland LT. Prevalence
leur épilepsie à l’embauche et une discrimination of epilepsy in Rochester, Minnesota: 1940-1980.
du fait de leur handicap [29]. Epilepsia 1991;32:429–45.
Ces restrictions d’accès à l’emploi sont multi- [7] Tang DH, Malone DC, Warholak TL, Chong J,
factorielles, liées à : Armstrong EP, Slack MK, Hsu CH, Labiner DM.
• un moindre niveau d’éducation, ce même en Prevalence and Incidence of Epilepsy in an Elderly
and Low-Income Population in the United States. J
l’absence de déficits cognitifs [30] ; Clin Neurol 2015;11(3):252–61.
• le niveau d’équilibre de l’épilepsie  : les patients [8] Olafsson E, Hauser WA, Ludvigsson P, Gudmundsson
avec une épilepsie bien contrôlée (pas de crises G. Incidence of epilepsy in rural Iceland: a popula-
depuis 5 ans) rapportent une absence de restriction tion-based study. Epilepsia 1996;37(10):951–5.
de leurs activités sociales dans 94 % des cas et un [9] Forsgren L, Beghi E, Oun A, Sillanpaa M. The
epidemiology of epilepsy in Europe– a systematic
frein à l’emploi dans seulement 29 % des cas [31] ;
review. Eur J Neurol 2005;12(4):245–53.
• d’éventuelles comorbidités psychiatriques ou [10] Beilmann A, Napa A, Sööt A, Talvik I, Talvik T.
cognitives ; Prevalence of childhood epilepsy in Estonia. Epilepsia
• des restrictions du mode vie comme la conduite 1999;40(7):1011–9.
automobile (voir chapitre 11). [11] Waaler PE, Blom BH, Skeidsvoll H, Mykletun
Globalement, en Europe, le coût de l’épilepsie A. Prevalence, classification, and severity of epi-
lepsy in children in western Norway. Epilepsia
a été estimé en 2010 à [2] : 2000;41(7):802–10.
• 5  221  euros/an/patient  : 3  086  euros/an/ [12] Picot MC, Baldy-Moulinier M, Daurès JP, Dujols
patient en coûts directs (majoritairement médi- P, Crespel A. The prevalence of epilepsy and phar-
caux) et 2 136 euros/an/patient en coûts indi- macoresistant epilepsy in adults: a population-based
rects (absentéisme, moindre productivité, etc.) ; study in a Western European country. Epilepsia
• 6  503  millions d’euros pour la totalité des 2008;49(7):1230–8.
[13] Kwan P, Arzimanoglou A, Berg AT, Brodie MJ,
patients épileptiques européens sur l’année 2010. Allen Hauser W, Mathern G, et al. Definition of drug
resistant epilepsy: consensus proposal by the ad hoc
Liens avec les items ECN Task Force of the ILAE Commission on Therapeutic
Strategies. Epilepsia 2010;51(6):1069–77.
UE4. Item 103. Épilepsie de l’enfant et de l’adulte.
[14] Kwan P, Brodie MJ. Early identification of refractory
UE11. Item 337 Malaise, perte de connaissance, epilepsy. N Engl J Med 2000;342(5):314–9.
crise comitiale chez l’adulte. [15] Chen Z, Brodie MJ, Liew D, Kwan P. Treatment
UE11. Item 338 État confusionnel et trouble de outcomes in patients with newly diagnosed epilepsy
conscience chez l’adulte et chez l’enfant. treated with established and new antiepileptic drugs
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Chapitre 1. Épidémiologie des épilepsies 5

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