Vous êtes sur la page 1sur 8

Le dossier

Endocardite infectieuse

Etio-épidémiologie et pronostic
de l’endocardite infectieuse

RÉSUMÉ : Le profil épidémiologique, clinique et microbiologique de l’endocardite


infectieuse (EI) s’est profondément modifié durant ces dernières décennies, avec
l’éradication du rhumatisme articulaire aigu et l’apparition de nouveaux facteurs
favorisants (toxicomanie intraveineuse, prothèses valvulaires, scléroses valvulaires
dégénératives liées au vieillissement de la population, réalisation d’actes invasifs à
risque de bactériémie). Son incidence est assez stable.
Sur le plan microbiologique, les staphylocoques prennent de plus en plus d’importance.
L’EI reste une maladie grave, avec un taux de mortalité initiale de 15 % à 20 %, plus élevé
encore en cas d’EI sur prothèse. Le taux global de survie est de l’ordre de 50 % à 60 % à
5 ans et de 35 % à 40 % à 10 ans.

e profil épidémiologique, clini- Incidence et démographie

L que et microbiologique de l’en-


docardite infectieuse (EI) s’est
profondément modifié durant ces
L’enquête française de 1999 [1] porte
sur 390 cas (277 hommes, 113 fem-
dernières décennies. Les valvulopa- mes) d’EI certaine, définie comme
thies rhumatismales sont aujourd’hui telle selon les critères de la Duke
beaucoup moins fréquentes dans les University [2] modifiés [3]. Elle chif-
pays développés avec l’éradication fre l’incidence brute annuelle de l’EI
du rhumatisme articulaire aigu. Dans de l’adulte à 30 cas par million d’ha-
le même temps, sont apparus d’autres bitants. L’incidence est plus élevée
facteurs favorisants : les scléroses val- chez l’homme que chez la femme : 44
vulaires dégénératives liées au vieil- vs 17.
lissement de la population, les pro-
➞ F. DELAHAYE, S. CHAUVEAU, thèses valvulaires, la réalisation La figure 1 montre que l’incidence
V. CART-REGAL,
G. DE GEVIGNEY d’actes invasifs à risque de bactérié- de la maladie augmente de façon
Service de Cardiologie, mie, la toxicomanie intraveineuse. majeure avec l’âge, particulièrement
Hôpital Louis Pradel, BRON.

200
Nombre de patients

150
Femmes
Hommes
100

50

0
15-19 20-24 25-29 30-34 35-39 40-44 45-49 50-54 55-59 60-64 65-69 70-74 75-79 80-84 85-89 90-94

FIG. 1 : Incidence de l’endocardite infectieuse.


Le dossier
Endocardite infectieuse

des valvulopathies dégénératives du


Définitions
sujet âgé – souvent méconnues avant
Selon la localisation de l’infection et la présence ou non de matériel intracardiaque, on la greffe infectieuse –, enfin la meil-
peut classer les EI en 4 catégories : leure application des règles de pro-
● EI sur valve native du cœur gauche. phylaxie de l’EI chez les cardiaques
● EI sur prothèse valvulaire du cœur gauche (précoce : moins de 1 an après le geste chi- connus peuvent contribuer à l’expli-
rurgical ; tardive : plus de 1 an après le geste). quer [1]. Le pourcentage des EI sur
● EI du cœur droit.
prothèse valvulaire est plus faible :
● EI liée à un stimulateur ou à un défibrillateur.
16 % en 1999 versus 22 % en 1991, ce
Selon le mode d’acquisition, on peut aussi classer les EI en 4 grandes catégories : qui peut également s’interpréter
● EI “communautaire” : les signes d’EI sont apparus moins de 48 heures après le début comme témoignant de la meilleure
de l’hospitalisation chez un patient n’ayant pas les critères d’infection liés à des soins. application des règles de prophylaxie
● EI liée à des soins : de l’EI chez ces patients où le risque
– EI nosocomiale : EI chez un patient hospitalisé depuis plus de 48 heures après
d’EI est parfaitement identifié. 7 %
le début des signes d’EI,
– EI non nosocomiale : signes d’EI débutant moins de 48 heures après le début
des malades de l’enquête française de
de l’hospitalisation chez un patient ayant des soins tels que : hémodialyse, thé- 1999 étaient porteurs d’un stimula-
rapeutique par voie intraveineuse… teur cardiaque, mais, chez plus du
● EI liée à une toxicomanie par voie intraveineuse. tiers d’entre eux, l’EI intéressait un
orifice valvulaire du cœur gauche, et
non le matériel de stimulation intra-
chez l’homme où elle atteint 145 cas Atteinte cardiaque cardiaque (tableau II).
par million d’hommes de la hui- préexistante
tième décennie d’âge. Ces chiffres Le risque de récidive d’EI est
sont voisins de ceux rapportés dans L’état du cœur avant l’EI est présenté aujourd’hui bien documenté. Dans
diverses études en provenance de dans le tableau I, qui se réfère aux les grandes séries d’EI récentes, 10 %
pays industrialisés. La comparaison chiffres de l’enquête française de 1999 en moyenne des patients avaient pré-
avec les données françaises antérieu- [1]. Ces chiffres sont peu différents de senté un premier épisode d’EI ; dans
res montre : ceux notés dans d’autres séries récen- l’enquête française de 1999, l’inter-
– une diminution significative de l’in- tes. Le pourcentage des patients qui valle moyen entre les deux épisodes
cidence de l’EI, standardisée par rap- n’ont pas d’atteinte cardiaque anté- d’EI était de 7,5 ± 4,0 années.
port à la population française de 1991 : rieurement connue s’accroît : 47 %
26 cas par million d’habitants en 1999 dans l’enquête française de 1999 ver- Parmi les EI sur cardiopathie préexis-
versus 31 en 1991 (p < 0,001), sus 34 % dans celle de 1991 [5]. Cette tante, il y a lieu de distinguer celles
– une élévation de l’âge moyen des augmentation, signalée par d’autres qui surviennent sur cardiopathie
patients : 50 ans dans l’enquête fran- [6], peut être diversement interprétée : “native” et celles observées chez des
çaise de 1986, 56 ans dans celle de le déclin des cardiopathies rhumatis- patients ayant subi une intervention
1991, 59 ans dans celle de 1999. males, l’augmentation du pourcentage cardiaque.
Cette élévation de l’âge moyen des
patients atteints d’EI, notée égale-
ment aux Pays-Bas [4], n’est peut- Cardiopathie N %
être que le reflet de l’augmentation
Valvulopathie native 119 31
de l’espérance de vie dans les pays
Cœur gauche : 112 ; cœur droit : 6 ; atteinte bilatérale : 1
industrialisés. Elle n’est pas sans
conséquences sur les modifications Prothèse valvulaire 63 16
du profil de la maladie : changement 1 prothèse : 53 ; 2 prothèses : 10
Prothèses mécaniques : 33 ; prothèses biologiques : 40
de la distribution des micro-organis-
mes en cause, élargissement de Cardiopathie congénitale 4 1
l’éventail des portes d’entrée, pro- Souffle connu, sans plus de précision 19 5
nostic global de la maladie peu amé-
lioré en dépit des progrès thérapeuti- Absence de cardiopathie préalablement connue 185 47
ques réalisés, la mortalité tendant à
croître avec l’âge. TABLEAU I : Répartition des cardiopathies sous-jacentes dans l’enquête française de 1999 [2].
Localisation N %
tive (EI mitrale, aortique ou pariétale)
et chez ceux présentant des calcifica-
Orifice aortique 136 35 tions de l’anneau mitral font figure de
Orifice mitral 112 29 raretés. C’est aussi le cas des EI mitra-
les chez les sujets présentant un
Orifices aortique et mitral 55 14
myxome de l’oreillette gauche.
Orifice tricuspide 37 9

Orifice pulmonaire 2 1 2. EI secondaires à une intervention


cardiaque
Orifices gauches et droits 6 2

Stimulateur cardiaque 18 5 Plus de 20 % des patients atteints d’EI


Avec atteinte du cœur gauche : 5 sont porteurs d’un matériel intracardia-
Sans atteinte du cœur gauche : 13 que [1]. Les EI sur prothèse valvulaire
Indéterminée* 24 6 représentent à elles seules 16 % du
total des EI observées dans l’enquête
* 24 patients non opérés, avec défaut d’évidence échocardiographique de l’atteinte endo- française de 1999. On distingue classi-
carditique quement des EI postopératoires préco-
ces et des EI tardives, la frontière entre
TABLEAU II : Localisation de l’endocardite infectieuse dans l’enquête française de 1999 [2]. les unes et les autres se situant, selon
les auteurs, à la fin du deuxième mois
1. EI sur cardiopathie “native” avec souffle systolique de fuite postopératoire ou à la fin de la première
mitrale ou valves épaissies et redon- année. Le pourcentage d’interventions
L’atteinte valvulaire préexistante était dantes. Il ne l’est pas en l’absence de de remplacement valvulaire compli-
le plus souvent d’origine rhumatis- souffle systolique. Les EI isolées du quées d’EI précoces est de l’ordre de
male dans les séries anciennes. C’est cœur droit s’observent pratiquement 0,4 % à 1,3 %. L’incidence annuelle des
aujourd’hui sur les atteintes valvu- toujours sur valves antérieurement EI tardives est inférieure à 0,5 %.
laires dystrophiques ou dégénérati- saines (chez les toxicomanes et les
ves que se fait le plus souvent la porteurs de sondes intracardiaques). Dans la plupart des séries, le risque de
greffe infectieuse. Les insuffisances greffe infectieuse est plus grand sur
valvulaires, aortiques et/ou mitrales Les EI sur cardiopathie congénitale s’ob- bioprothèse que sur prothèse mécani-
sont beaucoup plus souvent en cause servent surtout chez les patients présen- que. Chez les congénitaux opérés, le
que les rétrécissements ; la greffe tant une communication interventricu- risque d’EI varie en fonction de la
infectieuse sur sténose aortique n’est laire, une tétralogie de Fallot ou une nature de la cardiopathie, de l’âge du
pas exceptionnelle, à la différence de sténose aortique congénitale. Les EI (ou patient au moment de l’intervention,
celle observée sur sténose mitrale. Le plus exactement les endartérites) sur et surtout du type d’intervention réa-
risque de greffe infectieuse sur pro- canal artériel persistant et sur coarcta- lisée. Ce risque est faible en cas de
lapsus valvulaire mitral a fait l’objet tion aortique ont quasiment disparu correction complète de la malforma-
d’appréciations discordantes au avec la cure chirurgicale ou interven- tion, sans implantation de matériel
cours des dernières décennies. Ces tionnelle précoce de ces malformations, prothétique : il en est ainsi pour les
discordances reflètent les divergen- mais la greffe infectieuse sur bicuspidie communications interatriales, même
ces qui ont existé en ce qui concerne aortique (isolée ou associée à une autre en cas de fermeture par patch, et pour
les critères échocardiographiques de malformation, coarctation notamment) les communications interventricu-
définition du prolapsus et les diffé- est souvent observée : on rappelle laires. Le risque d’EI est devenu
rences méthodologiques d’approche qu’une bicuspidie aortique est notée, aujourd’hui très faible dans les tétra-
du problème. Selon les récentes étu- dans une population “tout-venant”, logies de Fallot ayant bénéficié d’une
des cas-témoins, le risque d’EI serait dans 1 % à 2 % des cas; elle est présente réparation complète. Le risque d’EI
multiplié par 3,5 à 8 chez les person- dans 12 % des EI sur valve native du St après geste de cardiologie interven-
nes présentant un prolapsus valvu- Thomas Hospital de Londres [5]. tionnelle est très faible. Curieuse-
laire mitral par rapport à celles n’en ment, s’agissant de patients immuno-
présentant pas. De plus, le risque n’est Les cas de greffe bactérienne observés déprimés, les patients ayant bénéficié
significativement majoré que chez les chez les patients atteints de cardio- d’une greffe cardiaque sont très rare-
personnes présentant un prolapsus myopathie hypertrophique obstruc- ment victimes d’EI.
Le dossier
Endocardite infectieuse

Porte d’entrée du micro- à 30 bactéries par mL de sang) et de la tant était autrefois représenté par les
organisme qualité des systèmes de détection streptocoques oraux, qui ne représen-
actuels, une série de trois hémocultu- tent plus que 17 % des EI de l’enquête
Dans l’enquête française de 1991, une res prélevées dans une période de française de 1999 [1]. Ces streptoco-
porte d’entrée a été retrouvée, cer- 24 heures est actuellement considérée ques oraux, auparavant appelés “viri-
taine ou probable, dans 67 % des cas comme suffisante pour établir le diag- dans” par opposition aux streptoco-
[5]. Sur l’ensemble des patients où la nostic de la majorité des EI. Sous ques pyogènes bêtahémolytiques,
porte d’entrée fut retrouvée, celle-ci réserve de prélever un volume de sang comportent un grand nombre d’espè-
était dentaire dans 36 % des cas, adéquat (7 à 10 mL par flacon), ce ces commensales de la cavité buccale
digestive dans 19 %, cutanée dans schéma procure un taux de positivité et des voies respiratoires hautes de
8 %, urinaire dans 6 %, otorhinola- satisfaisant et suffisant pour affirmer l’homme. Parmi ces streptocoques
ryngée dans 4 %, autre dans 27 % des la bactériémie et faire la distinction oraux, S. sanguinis (ex-S. sanguis),
cas. Dans une étude anglaise, 13 % entre bactériémie vraie et contamina- S. mitis, S. gordonii, S. oralis, S. para-
des EI sur valve native étaient d’ori- tion. sanguinis, et dans une moindre
gine nosocomiale [8]. Dans la majorité mesure S. mutans et S. salivarius, sont
de ces EI nosocomiales, la porte d’en- Néanmoins, le diagnostic microbiolo- les principales espèces impliquées.
trée était un cathéter vasculaire. Les gique de l’EI requiert une attention Les “S. milleri” sont maintenant écla-
auteurs anglais soulignent l’augmen- particulière de la part du microbiolo- tés en trois espèces différentes :
tation de pourcentage des EI nosoco- giste, afin de mettre en œuvre des S. anginosus, S. constellatus et
miales au sein de l’ensemble de leurs investigations plus poussées en cas S. intermedius. Ce sont des bactéries
EI : ce pourcentage passe de 6 % en d’échec de cette première approche. des flores oropharyngée, digestive et
1985 à 22 % en 1995. Parmi les méthodes de diagnostic de génito-urinaire.
deuxième intention, on retient le repi-
quage des hémocultures sur différents Les streptocoques à croissance diffi-
Microbiologie milieux, la prolongation de la durée cile, dits “streptocoques déficients”,
d’incubation des flacons, le prélève- ont été reclassés dans deux nouveaux
La microbiologie des EI s’est sensible- ment d’une nouvelle série d’hémocul- genres appelés Abiotrophia, qui com-
ment modifiée au cours des dernières tures, éventuellement sur des milieux porte une seule espèce, A. defectiva,
décennies sur deux plans : contenant des résines adsorbant les et Granulicatella, qui comporte plu-
– la modernisation des systèmes antibiotiques, la prescription d’exa- sieurs espèces, dont deux ont été
d’hémocultures, qui se sont automati- mens sérologiques, les prélèvements identifiées comme responsables d’EI :
sés, et l’optimisation de la composi- en vue d’un diagnostic moléculaire… G. adiacens et G. elegans. G. adiacens
tion des milieux de culture (par exem- et A. defectiva peuvent être isolés
ple par l’adjonction systématique à Un élément déterminant de l’amélio- dans la cavité orale et dans les tractus
ceux-ci de cystéine et de phosphate de ration du diagnostic de l’EI est l’exis- digestif et génito-urinaire. Ces espèces
pyridoxal), qui ont simplifié le diag- tence d’une collaboration étroite entre sont responsables de 2 % à 4 % des EI.
nostic microbiologique des principa- clinicien, microbiologiste et anatomo- Du fait de leur difficulté de détection
les causes de l’EI, pathologiste en cas d’intervention car- et d’identification, ces bactéries peu-
– le développement de techniques de diaque, permettant d’optimiser la vent être responsables d’EI à hémocul-
diagnostic sophistiquées (cultures cel- stratégie du diagnostic en fonction du tures négatives. Par ailleurs, leur
lulaires, méthodes moléculaires), qui a contexte clinique et des résultats para- résistance in vivo aux traitements
permis de reconnaître l’implication de cliniques obtenus. antibiotiques peut être à l’origine
micro-organismes jusque-là non soup- d’échecs thérapeutiques.
çonnés (Bartonella, Tropheryma…).
Micro-organismes responsables Les streptocoques du groupe D d’ori-
L’hémoculture reste l’examen de choix d’EI gine digestive sont responsables de
pour le diagnostic de l’EI. Le moment 20 % à 25 % des EI. S. bovis, reclassi-
du prélèvement, le nombre de flacons 1. Streptocoques et entérocoques fié récemment comme S. gallolyticus,
et le volume prélevés sont des para- S. infantarius et S. pasteurianus est
mètres déterminants. Compte tenu du Les streptocoques et entérocoques l’espèce le plus souvent identifiée.
caractère habituellement constant sont responsables d’environ 60 % des L’émergence des streptocoques du
mais faible de la bactériémie des EI (1 EI. Parmi eux, le groupe le plus impor- groupe D dans les 20 dernières années
est très nette, l’ensemble des trois molyticus, S. hominis, S. saprophyti- culture sur milieu acellulaire restant
espèces citées devenant nettement cus et S. schleiferi ne constituent que extrêmement longue et fastidieuse.
prépondérant par rapport aux entéro- des cas isolés. La particularité de Ainsi, au sens strict, il s’agit d’EI à
coques comme Enterococcus faecalis. S. lugdunensis doit être signalée, car hémocultures négatives. En revanche,
L’augmentation de la prévalence des cette espèce est responsable d’EI rares le diagnostic est établi par la culture
EI à “S. bovis” (au sens large) est peut- mais graves sur valve native, dont la d’un échantillon de sang hépariné ou
être en rapport avec le vieillissement présentation clinique, l’évolution et la de tissu valvulaire sur cellule, par la
de la population et avec l’association mortalité en l’absence d’intervention sérologie (titre ≥ 1/800 en immuno-
étroite entre une EI à S. gallolyticus de remplacement valvulaire (60 %), fluorescence) et par les techniques
(ex. : S. bovis de biotype I) et une sont très similaires à celles des EI à moléculaires. La spécificité de la séro-
tumeur colique. De plus, des travaux S. aureus. Au plan microbiologique, logie n’est pas parfaite, des réactions
ont montré que des protéines de paroi cette espèce peut être assimilée, à tort, croisées existant entre les espèces des
de S. infantarius étaient procarcinogè- à un S. epidermidis, ce qui peut avoir genres Bartonella et Chlamydia.
nes dans un modèle expérimental. des conséquences graves sur l’adéqua- Ainsi, des EI initialement attribuées
tion de la prise en charge thérapeuti- aux Chlamydia se sont révélées être
Les streptocoques bêtahémolytiques que, car seule une chirurgie précoce d’authentiques EI à Bartonella après
des groupes A, B, C et G sont isolés permet de réduire la mortalité de ces réanalyse des échantillons. Les EI à
dans environ 5 % des EI, avec une EI. Cela justifie l’identification com- Chlamydia sont exceptionnelles.
nette prédominance de S. agalactiae. plète (au niveau de l’espèce) de tous
Ces EI sont caractérisées par leur sévé- les staphylocoques isolés d’hémocul- Les EI à Coxiella burnetii sont la
rité. De même, les EI à pneumocoques tures dans un contexte clinique d’EI. manifestation principale de la fièvre
constituent une cause rare (1 % dans Q chronique (définie comme une
l’enquête française de 1991) mais 3. Bactéries à développement durée d’évolution des symptômes
grave d’EI. intracellulaire obligatoire ou supérieure à 3 mois). L’EI de la fièvre
prédominant Q représente en France 5 % des EI
2. Staphylocoques diagnostiquées. C. burnetii ayant un
Les bactéries des genres Chlamydia, développement intracellulaire obliga-
17 à 30 % des EI sont dues à Staphy- Coxiella et Bartonella occupent toire dans les cellules de type mono-
lococcus aureus, et même jusqu’à maintenant une place importante cyte-macrophage, les hémocultures
47 % dans certaines séries américai- parmi les responsables d’EI. Les Bar- conventionnelles restent négatives et
nes. Les EI à S. aureus surviennent tonella (ex. : Rochalimea) ont été le diagnostic n’est réalisé que par
préférentiellement chez les porteurs récemment reconnues comme agents l’isolement sur cultures cellulaires ou
de prothèse ou de cathéter intravei- d’EI. Elles sont responsables d’envi- par la sérologie. Celle-ci doit être
neux et chez les toxicomanes. Ce der- ron 3 % de l’ensemble des EI. Les effectuée en recherchant les anticorps
nier facteur est vraisemblablement à deux espèces principalement respon- dirigés contre les antigènes des phases
l’origine des différences importantes sables d’EI sont B. quintana (environ I et II. Un titre d’immunoglobuline IgG
de prévalence observées pour 2 fois sur 3) et B. henselae (environ en phase I ≥ 1/800 et d’IgA en phase I
S. aureus selon les études, en fonction 1 fois sur 3). B. quintana est l’agent ≥ 1/100 est caractéristique d’une fiè-
de la population incluse dans celles- étiologique de la fièvre des tranchées, vre Q chronique.
ci. Dans les EI sur valve native, de l’angiomatose bacillaire, de septi-
S. aureus est plus souvent responsa- cémies, d’EI et d’adénopathies chro- Les EI à Tropheryma whipplei consti-
ble si la valvulopathie n’est pas niques chez les immunodéprimés. tuent une cause non exceptionnelle
connue que si elle est connue (19 % vs Les EI à B. quintana surviennent pré- d’EI. L’atteinte de l’endocarde est rela-
4 %). férentiellement chez les sujets à fai- tivement fréquente au cours de l’évo-
ble niveau socio-économique, sou- lution de la maladie de Whipple, se
Les staphylocoques à coagulase néga- vent sans domicile fixe. B. henselae présentant comme une valvulite ou
tive (SCN) sont responsables de 3 % à est l’agent étiologique de l’angioma- une EI de la valve mitrale ou aortique.
8 % des EI, essentiellement sur pro- tose bacillaire, de la péliose viscérale, Si, dans certains cas, les lésions car-
thèse et rarement sur valve native. de septicémies, d’EI et de la maladie diaques sont précédées de ou asso-
Parmi les SCN, S. epidermidis est l’es- des griffes du chat. Le diagnostic ciées à des signes d’atteinte polyviscé-
pèce la plus fréquente (plus de 80 %). microbiologique de ces EI est rare- rale, notamment digestifs, articulaires
Des espèces comme S. capitis, S. hae- ment fait par les hémocultures, la et neurologiques, l’atteinte cardiaque
Le dossier
Endocardite infectieuse

peut aussi se présenter de façon isolée Un groupe hétérogène de bactéries est l’identification d’espèce, et ainsi
sans aucune autre atteinte associée. à l’origine de près de 4 % des EI. Par orienter de manière appropriée la
Compte tenu de l’impossibilité de cul- ordre décroissant de fréquence, ce recherche de la porte d’entrée, de
tiver la bactérie T. whipplei, le diag- sont les corynébactéries, les Brucella, lésions suppurées ou de localisations
nostic n’est actuellement porté que puis les Peptococcus, Neisseria, Liste- secondaires. Dans le cas des staphylo-
par des techniques de biologie molé- ria, microcoques, moraxelles et pro- coques, l’importance particulière de
culaire, associées, pour les coupes pionibactéries. certaines espèces comme S. aureus et
histologiques à la coloration par S. lugdunensis justifie également
l’acide périodique Schiff PAS qui met l’identification précise de l’espèce de
en évidence des aspects pathognomo- Classification microbiologique toute bactérie isolée des hémocultures
niques de macrophages spumeux à des EI dans un contexte d’EI.
granulations PAS positives.
Sur le plan microbiologique et théra- 2. Endocardites infectieuses à
4. Autres micro-organismes peutique, il est habituel d’opposer les hémocultures négativées (par les
EI à hémocultures positives (regrou- antibiotiques)
Les bactéries du groupe HACEK sont pant des micro-organismes aussi dif-
impliquées dans 3 % des EI. Ce férents que les streptocoques et les Le contexte habituel est celui d’une
groupe est composé de petits bacilles Brucella) aux EI à hémocultures néga- EI lente de type streptococcique
à croissance lente, qui sont des com- tives, cette deuxième catégorie chez un sujet ayant eu une prescrip-
mensaux de la cavité oropharyngée. Il regroupant aussi bien les cas où les tion de bêtalactamines pour syn-
inclut les bactéries des genres Haemo- hémocultures ont été négativées par drome fébrile. Une rechute à l’arrêt
philus, Actinobacillus, Cardiobacte- un traitement antibiotique que les cas du traitement motive souvent l’hos-
rium, Eikenella et Kingella. Il faut y pour lesquels aucun diagnostic pitalisation. L’utilisation d’hémo-
ajouter celles du genre Capnocyto- microbiologique ne peut être établi, y cultures contenant des résines
phaga. Ces bactéries sont caractéri- compris par les méthodes moléculai- adsorbant les antibiotiques est d’un
sées par une croissance parfois extrê- res et sérologiques. Afin de mieux apport limité. Parmi les EI pour les-
mement lente in vitro, pouvant rendre compte des entités nosologi- quelles aucun diagnostic microbio-
requérir pour leur détection 3 à ques très différentes qui peuvent logique n’est porté (11 % dans l’en-
4 semaines d’incubation des hémo- conduire au caractère positif ou néga- quête française de 1991), une
cultures, et éventuellement des sub- tif des hémocultures, on peut propo- antibiothérapie antérieure peut
cultures sur des milieux riches. ser une classification étiologique en expliquer une négativation des
cinq catégories. hémocultures dans environ la moi-
Les entérobactéries représentent des tié des cas. Le pronostic habituel de
causes rares d’EI (1 % dans l’enquête 1. Endocardites infectieuses à ces formes est favorable sous traite-
française de 1991), de même que les hémocultures positives ment par les bêtalactamines asso-
bacilles dit “non fermentants”. ciées aux aminosides.
Il s’agit de la majorité des EI, soit envi-
Les champignons filamenteux (prin- ron 85 % à 90 %. Les causes les plus 3. Endocardites infectieuses à
cipalement Aspergillus) et les levures habituelles restent les streptocoques et hémocultures souvent négatives
(Candida) sont impliqués dans moins les staphylocoques. Parmi les strepto-
de 1 % des EI. Ils doivent être systé- coques oraux ou viridans, de même Il s’agit des EI dues à des micro-orga-
matiquement évoqués dans les EI sur que parmi ceux du groupe D, l’identi- nismes à croissance lente ou diffi-
prothèse, chez les toxicomanes, en cas fication d’espèce n’est pas toujours cile : HACEK, Brucella, champi-
d’hospitalisation ou de traitement facile sur les seuls caractères phénoty- gnons. Globalement, cette catégorie
antibiotique prolongés et après chi- piques, comme dans le cas de Abiotro- représente environ 4 % des EI.
rurgie cardiaque. La prolongation de phia defectiva ou de Granulicatella L’amélioration du diagnostic est
la durée d’incubation des flacons adiacens. apportée par une bonne coordina-
d’hémoculture, les repiquages systé- tion entre microbiologiste et clini-
matiques et la pratique répétée d’exa- Du fait de l’habitat et du pouvoir cien, permettant de prolonger la
mens sérologiques (recherche d’anti- pathogène propres à certaines espè- durée d’incubation des hémocultu-
gènes et d’anticorps circulants) sont ces, le séquençage de certains gènes res (jusqu’à 4 semaines) et de réaliser
utiles au diagnostic de ces causes. peut être utile afin de confirmer des subcultures appropriées.
4. Endocardites infectieuses à
Facteurs prédictifs d’un mauvais pronostic à court terme
hémocultures conventionnelles
toujours négatives ● Caractéristiques liées au patient
– EI sur prothèse,
Ces EI sont dues à des bactéries à – diabète sucré insulinodépendant,
développement intracellulaire obli- – comorbidité.
● Présence de complications de l’EI
gatoire ou prédominant : Coxiella,
– insuffisance cardiaque,
Chlamydia, Bartonella, Tropheryma
– insuffisance rénale,
whipplei. Elles représentent actuel- – accident vasculaire cérébral,
lement 6 % des EI. Le diagnostic de – choc septique.
ces EI bénéficie de la réalisation de ● Micro-organismes
prélèvements spécifiques pour cul- – Staphylococcus aureus,
tures cellulaires (sang hépariné, – champignons,
– bacilles Gram-négatif.
prélèvements tissulaires) et de pré-
● A l’échocardiographie
lèvements spécifiques pour le diag- – complications péri-annulaires,
nostic moléculaire (sang, prélève- – régurgitation valvulaire sévère au niveau d’une valve du cœur gauche,
ments tissulaires en cas de chirurgie – fraction d’éjection ventriculaire gauche basse,
valvulaire). – hypertension artérielle pulmonaire,
– végétations de taille importante,
5. Endocardites infectieuses sans – fermeture prématurée de la valve mitrale.
micro-organisme identifiable

Il s’agit des cas où, dans un contexte encore 25 % toutes formes confondues 2. Evolution et facteurs de pronostic à
clinique, échographique et biologique – avec un pronostic encore plus sévère moyen et long termes
d’EI et en l’absence de traitement anti- dans les formes précoces et dans les EI
biotique préalable, aucune des métho- à Staphylococcus aureus : 43 % de Les éventualités qui se présentent au
des microbiologiques conventionnel- mortalité hospitalière dans les EI sur sortir de la phase hospitalière initiale
les et moléculaires n’aboutit à prothèse valvulaire à S. aureus de la peuvent être ainsi schématisées :
l’identification du micro-organisme Duke University [9]. – guérison totale sur le plan infectieux,
en cause. Ces EI représentaient autre- sans dysfonction valvulaire résiduelle
fois 25 % à 30 % du total des EI. Grâce Ce taux de mortalité a-t-il diminué majeure, permettant d’espérer, sauf
à l’amélioration constante de l’ensem- dans les dernières années ? Deux récidive, un pronostic favorable à long
ble des techniques microbiologiques, chiffres permettent de l’espérer : terme,
elles ne représentent plus actuelle- d’une part, la comparaison des chif- – récidives, plus fréquentes après trai-
ment que 7 % environ des EI. L’iden- fres des enquêtes françaises de 1991 tement médical qu’après chirurgie,
tification du ou des micro-organismes et de 1999 (ne portant que sur les sauf lorsque celle-ci a porté sur des
en cause passe par la mise en culture malades comparables selon les critè- lésions abcédées,
des prélèvements (sang, tissus) sur de res de Von Reyn modifiés) montre – aggravation de l’insuffisance cardia-
multiples lignées cellulaires et l’utili- que le taux de mortalité hospitalière que, liée à des mutilations valvulaires
sation de l’approche moléculaire. est passé de 22 % en 1991 à 17 % en importantes et conduisant à la chirur-
1999 [1] ; d’autre part, la récente gie ; cela surtout dans les deux pre-
série franco-italienne de Thuny et al. mières années suivant l’hospitalisa-
Pronostic [10] donne un chiffre de mortalité tion initiale, et plus souvent dans les
initiale de 10 % (cette série com- EI aortiques que dans les EI mitrales.
1. Evolution et facteurs de pronostic à porte plus de 50 % d’opérés préco-
court terme ces, et 20 % d’EI à hémocultures L’année qui suit l’hospitalisation est
négatives – de pronostic dans l’en- marquée par une mortalité encore éle-
L’EI reste une maladie grave, dont le semble bon). On s’est attaché, dans vée, puis la courbe de survie se stabi-
taux de mortalité initiale atteint encore plusieurs études récentes, à recon- lise pour devenir grossièrement paral-
15 % à 20 % dans la plupart des séries naître les éléments qui permettent de lèle à celle de la population générale.
récentes. Il est plus élevé dans les EI prévoir l’évolution à court terme : ils Le taux global de survie est de l’ordre
sur prothèse valvulaire, où il dépasse sont listés dans l’encadré. de 50 % à 60 % à 5 ans et de 35 % à
Le dossier
Endocardite infectieuse

40 % à 10 ans. On retrouve comme patients. Elles sont habituellement à and prognosis of native valve infective
endocarditis in non-addicts changing ?
facteurs de pronostic aggravé à long micro-organisme différent de celui
Eur Heart J, 1995 ; 16 : 1 686-91.
terme, outre trois variables biologi- noté lors de la première atteinte. Leur 07. LAMAS CC, EYKYN SJ. Bicuspid aortic
ques prédictives à la période initiale pronostic n’est pas différent de celui valve : a silent danger : analysis of 50
(taux sérique d’urée, de créatinine, de l’atteinte initiale. cases of infective endocarditis. Clin Infect
Dis, 2000 ; 30 : 336-41.
d’albumine), l’existence de troubles 08. LAMAS CC, EYKYN SJ. Hospital acquired
du rythme à l’admission, l’absence de native valve endocarditis : analysis of 22
traitement chirurgical à la période ini- cases presenting over 11 years. Heart,
1998 ; 79 : 442-7.
tiale, et surtout l’âge du patient au Bibliographie
09. EL-AHDAB F, BENJAMIN DK JR, WANG A et
début de la maladie [11]. 01. HOEN B, ALLA F, SELTON-SUTY C et al. al. Risk of endocarditis among patients
Changing profile of infective endocardi- with prosthetic valves and
tis : results of a 1-year survey in France. Staphylococcus aureus bacteremia. Am J
Tenant compte des diverses variables JAMA, 2002 ; 288 : 75-81. Med, 2005 ; 118 : 225-9.
recueillies au début de l’évolution de 02. DURACK DT, LUKES AS, BRIGHT DK and the 10. THUNY F, DISALVO G, BELLIARD O et al. Risk
la maladie, des complications éven- Duke Endocarditis Service. New criteria of embolism and death in infective endo-
tuellement survenues et des constata- for diagnosis of infective endocarditis : carditis : prognostic value of echocardio-
utilization of specific echocardiographic graphy : a prospective multicenter study.
tions opératoires en cas de chirurgie findings. Am J Med, 1994 ; 96 : 200-9. Circulation, 2005 ; 112 : 69-75.
réalisée, Hasbun et al. ont proposé un 03. LI JS, SEXTON DJ, MICK N et al. Proposed 11. BISHARA J, LEIBOVICI L, GARTMAN-ISRAEL D
score de gravité croissante pour les EI modifications to the Duke criteria for the et al. Long-term outcome of infective
diagnosis of infective endocarditis. Clin endocarditis : the impact of early surgical
sur valve native du cœur gauche, per-
Infect Dis, 2000 ; 30 : 633-8. intervention. Clin Infect Dis, 2001 ; 33 :
mettant de prévoir leur taux de morta- 04. VAN DER MEER JT, THOMPSON J, VALKENBURG 1 636-43.
lité à 6 mois [12]. HA et al. Epidemiology of bacterial endo- 12. HASBUN R, VIKRAM HR, BARAKAT LA et al.
carditis in The Netherlands. I. Patient Complicated left-sided native valve endo-
characteristics. Arch Intern Med, 1992 ; carditis in adults : risk classification for
3. Rechutes et récidives 152 : 1 863-8. mortality. JAMA, 2003 ; 289 : 1933-40.
05. DELAHAYE F, GOULET V, LACASSIN F et al.
Les rechutes précoces s’observent Characteristics of infective endocarditis
dans 2 % à 3 % des cas. Les récidives in France in 1991. A 1-year survey. Eur
Heart J, 1995 ; 16 : 394-401. L’auteur a déclaré ne pas avoir de conflit d’in-
sont assez fréquentes : leur incidence 06. TORNOS MP, OLONA M, PERMANYER- térêt concernant les données publiées dans
est de 3 à 5 pour 1 000 années- MIRALDA G et al. Is the clinical spectrum cet article.

Vous aimerez peut-être aussi