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Communication et langages

La stratégie du positionnement
Claude Cossette, René Dhéry

Résumé
Dans le n° 72 de Communication et Langages nous avons donné le compte-rendu de ce livre québécois sur la publicité
par un de ses meilleurs créateurs : Claude Cossette. On jugera mieux de cette importance par les quelques bonnes pages
suivantes, que nous avions alors annoncées.

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Cossette Claude, Dhéry René. La stratégie du positionnement. In: Communication et langages, n°73, 3ème trimestre
1987. pp. 106-118.

doi : 10.3406/colan.1987.996

http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1987_num_73_1_996

Document généré le 15/10/2015


LA STRATEGIE

DU POSITIONNEMENT

par Claude Cossette et René Dhéry

Dans le n° 72 de Communication et Langages nous avons donné le


compte-rendu de ce livre québécois sur la publicité par un de ses
meilleurs créateurs : Claude Cossette. On jugera mieux de cette
importance par les quelques bonnes pages suivantes, que nous
avions alors annoncées.

En 1963, un des enfants surdoués de la publicité américaine


nommé David Ogilvy, livrait, parmi un chapelet de confessions
destinées à ses collègues, un message fondamental : « Ce que
vous dites est plus important que la façon dont vous le dites ».
Ayant mûri son dogme et focalisé ses antennes sur les courants
d'ondes plus récents, Ogilvy réaffirma ses dires en 1971 dans
une version améliorée : « Les résultats de votre campagne
dépendent moins de la manière dont vous rédigez votre
publicité que du positioning qui entoure votre produit ». Ainsi le
concept du positionnement volait peu à peu la vedette,
rejoignant sur le podium des notions fortement établies comme
l'axe, l'idée-force, le thème. Une bonne communication publici-
^ taire doit marquer l'attention des récepteurs, ce n'est pas
^ nouveau ; elle doit également graviter autour d'un noyau mo-
§>
I1 teur, qu'on exprime généralement à travers le thème. Mieux
encore, l'ensemble du message reflétera la position adoptée par
^ le produit. À supposer que j'invente une serviette hygiénique
c destinée à la jeune femme active au travail comme dans le
•S sport. (Puisque la serviette en question existe depuis une
•^ éternité, il serait plus juste de parler d'une « nouvelle ser-
| viette »...) Un thème assez intéressant pour l'envol publicitaire
| ressemblerait à ceci : « Libre comme l'air ». Mais ce thème
o deviendrait à coup sûr plus intéressant s'il endossait de façon
Les stratégies du positionnement 107

explicite le profil de la consommatrice avec une expression du


genre « La liberté d'action ». Le thème transmettrait alors la
double idée à porter (liberté et action), frappant pour ainsi dire en
plein dans le mille.

En plus de s'avérer un outil précieux pour la segmentation de


marchés, le positionnement constitue vraisemblablement le
remède le plus efficace contre la « congestion commerciale ».
Si un produit ne se rattache à aucune idée ni aucun contexte
précis, les chances sont que les consommateurs ne sauront pas
le distinguer parmi l'amas de biens concurrents ; dès lors, ils ne
pourront le considérer au nombre de leurs possibilités d'achat,
ce qu'on appelle « l'ensemble évoqué ». Il apparaît d'ailleurs
que chaque individu trie et organise son champ de référence en
matière de consommation pour ne retenir que quelques
marques dominantes dans chacun des secteurs. Et puisque le
ciient base ses préférences sur sa propre perception de l'offre,
c'est donc à partir de cet agrégat de perceptions que seront
forgées les grilles de positionnement ou espaces perceptuels.
La première étape dans l'élaboration d'une stratégie de
positionnement consiste alors à bâtir une matrice à deux (ou
davantage) dimensions, représentant l'état du marché à un instant
donné.

DRESSER UNE CARTE PERCEPTUELLE


Les sondages sont à la mode. Avant de guillotiner une nouvelle
tête politique, à la veille de promouvoir un futur chef-d'œuvre
artistique, avant de lancer un produit révolutionnaire, bref au
moment d'entrer en contact avec la population, l'investigation
est de mise. Dans le cas qui nous intéresse, il s'agit d'enquêter
auprès d'un échantillon de consommateurs afin de connaître
comment ils jugent un groupe de biens en concurrence : leurs
similitudes, leurs différences, la position qu'ils occupent dans
les esprits les uns par rapport aux autres.

La méthode classique fait intervenir une série de


caractéristiques pertinentes au produit en question. Ces caractéristiques
représentent autant de dimensions que les consommateurs
auront à évaluer puis à situer sur une échelle. Le savon A
mousse-t-il plus que le savon B ? Sur une échelle de 1 à 7, où
posteriez-vous ces deux savons? S'il vous était donné de
concevoir le savon idéal, selon vous comment celui-ci devrait-il
mousser ? En recueillant les réponses à ces questions et à
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d'autres du même genre, il devient possible de tracer schéma-


tiquement le profil de chacune des marques étudiées, ainsi que
la physionomie de la « marque idéale ». Les coordonnées de ce
point ultime permettent à l'équipe de production de fabriquer, le
cas échéant, un agent nettoyant exemplaire, conforme en tout
et partout aux attentes des utilisateurs. Mais cette hypothèse
ne s'envisage pas aussi facilement que cela, car la réalisation,
alléchante de prime abord, peut s'avérer en fait onéreuse et
épuisante. C'est pourquoi on a également le choix d'opter pour
une stratégie qui vise à modifier le positionnement déjà inscrit.
Quelle que soit l'optique adoptée, la campagne de
communication fera des pieds et des mains pour situer « sa » marque à
l'intérieur de l'espace perceptuel des consommateurs, cela si
possible près d'un créneau « idéal ».

Un exemple concret
Soit une étude de marché afin d'identifier la perception qu'ont
les Canadiens de certains véhicules automobiles. On décide de
soumettre un questionnaire à quatre cents personnes, leur
demandant de juger plusieurs marques en fonction de sept
critères : le prix, la cote de consommation d'essence, la
rapidité, l'espace, l'élégance, la puissance et l'impression générale.
Chaque échelle est graduée de un (1) à sept (7) et délimitée par
deux qualificatifs qui s'opposent. On incite de plus les
répondants à indiquer leur vision idéale de l'automobile parfaite.
Ce genre de représentation devient rapidement embrouillé, dès
qu'on évalue plusieurs objets simultanément.

Une meilleure visualisation du positionnement respectif de


chacune des marques s'obtient par le biais d'un histogramme.
En compilant les résultats du sondage, on calcule le score
£2 moyen qu'obtient chaque voiture en fonction de chacun des
^ attributs. Des groupes différents de population, ayant une com-
§> portementalité différente, obtiendraient probablement des ré-
c* sultats différents. Notons que les cotes 1 à 7 sont en soi
^ arbitraires. Il s'agit de déterminer par un choix méthodologique
c si 1 représente la cote maximale ou la cote minimale. Par
v§ ailleurs, l'exemple présent est fictif ; les comparaisons n'ont
| donc aucune valeur réelle.

£ Si l'histogramme illustre mieux les écarts dans la perception des


<3 caractéristiques rattachées à chacune des marques, force est
Les stratégies du positionnement 109

4 5
chère économique

faibl
consommatlo grande
consommatioi

rapidt lente

étroit spacieuse

élégant laide

paresseus i fougueuse

féminine© masculine

Légende
La marque Idéale
La Victoria
Schéma 1 :
Échelle type différentiateur sémantique

Légende
H ldéal
7- H GM
6- Chrysler
5- Ford
4-
3-
2-
1-
Prix Consommation Rapidité Espace
d'essence
Schéma 2 :
Positionnement de marques représenté par un histogramme
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d'avouer qu'il ne permet pas de localiser d'un seul coup d'œil le


positionnement global de ces fameuses marques. Il en résulte
un certain embarras lorsqu'on travaille avec cinq, six ou sept
attributs compte tenu de la clarté, de la concision et des
possibilités de synthèse qu'on escompte généralement d'un
graphique. Heureusement qu'intervient le génie rationnel des
analystes et des statisticiens : il apparaît à la lumière de leurs
réflexions que certains des attributs ne sont pas mutuellement
exclusifs, c'est-à-dire indépendants les uns des autres.
Revenant à notre investigation fictive sur l'automobile, on s'aperçoit
par exemple que la variable « prix » et la variable «
consommation d'essence » signifient dans la tête des gens à peu près la
même chose, soit le concept bipolaire d'économie/gaspillage,
etc. Une analyse multifactorielle permet de prouver leur
similitude relative et le fait qu'ils se rattachent tous à la dichotomie
voiture sport (normalement rapide, étroite, élégante et
fougueuse) et voiture familiale (plutôt lente, vaste, d'allure
classique et paresseuse). Ainsi, grâce aux tests de corrélation, aux
analyses de régression multiple et aux analyses discriminantes,
le directeur de la recherche peut ramener son corpus à deux
dimensions cruciales et dresser alors la conjoncture du marché
sur un « espace perceptuel dérivé ». On obtient une carte à
deux dimensions où figurent en abcisse et en ordonnée les
variables dites indépendantes. Rien de tel pour palper en un rien
de temps le positionnement de chacun des concurrents. Et rien
de tel pour camper une stratégie à moyen terme.

Les nombreux modèles se départagent selon leur prix tel que


perçu par le consommateur et selon leur allure (sportive ou
familiale). Les étoiles représentent les positions idéales aux
yeux des utilisateurs. Lorsque plusieurs de ces étoiles se
chevauchent, on a affaire à une réelle opportunité de marché. Les
^ cercles en sont deux exemples, vraisemblablement issus de
^ deux mentalités différentes dans la population.

c| Les espaces perceptuels à deux dimensions tel que celui pré-


^ sente au schéma 3 restent pour le moment la forme la plus
c adéquate pour illustrer la répartition des forces à l'intérieur du
■•§ marché. Qu'elles soient conçues suite aux étapes normales
•| d'une recherche ad hoc, incluant le traitement mathématique et
| le dépouillement des résultats par ordinateur, ou qu'elles
E naissent de l'expertise pure et simple de gens fortement
implies qués dans le domaine en question, les cartes perceptuelles
Les stratégies du positionnement 111

Sportive

' Économique

Familial*
Schéma 3 :
Carte perceptuelle des voitures automobiles
constituent un relais primordial parmi le long cheminement que
nécessite la conquête d'une clientèle. Délimitant les attitudes
des consommateurs, elles facilitent l'investissement
stratégique ainsi que le choix des options à suivre. Car si le public
réclame une voiture tout à fait agressive, notre deux cylindres à
moteur de coccinelle ne cadre vraiment pas avec ses
aspirations... Il s'agit alors de passer à l'action. Souvenons-nous
cependant que les opportunités commerciales ne sont pas
éternelles, que les goûts de la masse fluctuent avec le temps,
que les produits assortis vont et viennent au fil des jours. C'est
dire que les espaces perceptuels évoluent eux aussi. Il faut donc
maintenir à un rythme assidu les sondages et autres incursions
en quête d'opinions, histoire de se tenir à jour, histoire de
remodeler, peut-être, un positionnement dépassé.

ÉLABORER UNE STRATÉGIE DE POSITIONNEMENT


Que devrais-je avancer à la jolie blonde pour l'amener à sortir
avec moi ce soir ? Que j'adore le cinéma et qu'un bon film passe
en ville ? Que nous pourrions danser ? Que son style me plaît
beaucoup ? Que je suis rigolo et de saine compagnie ? Quelle
magie devrais-je transmettre au beau grand brun ? Que je suis
timide et un peu portée vers la chose ? Que je suis un fer de
lance de l'émancipation féminine ? Que je suis romantique ou
sportive ? Que je suis raffinée, cultivée, brute, authentique... ?
Voilà un éventail de cartes dont une est un atout. Parmi ces
diverses positions hypothétiques, quelques-unes paraîtront
sans doute acceptables, mais en réalité une seule maximise les
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chances de réussite si l'on tient compte de toutes ces


circonstances en jeu. Il en est de même en communication et en
marketing. Si plusieurs voies s'ouvrent devant nous, une
analyse approfondie de la situation doit conduire à emprunter LE
chemin, conséquence logique de toutes les démarches
entreprises jusqu'à date, voie royale pour réaliser ses ambitions. Si
plusieurs créneaux semblent accessibles et alléchants, seuls
quelques-uns peuvent résoudre efficacement les conflits issus
de la dynamique du marché et répondre adéquatement aux
objectifs commerciaux et aux objectifs publicitaires.

Un slogan ronflant, un texte épicé, une image ahurissante, cela


ne suffit pas à créer une communication qui vaille. Le message
doit être positionné conformément à l'optique marketing
adoptée. Lorsque la carte perceptuelle laisse voir que l'entreprise
touche un bon filon, les consommateurs sont prédisposés
envers le produit. Il serait logique de conserver le
positionnement tant qu'il est gagnant, de rappeler aux cibles, par le biais
de la publicité, qu'elles sont avisées de miser sur ce merveilleux
produit, et enfin d'anticiper les évolutions du marché et préparer
le terrain pour les changements éventuels. Mais lorsque le
positioning semble en dehors de la route du succès, comme le
démontre par exemple un chiffre d'affaires rachitique, et
comme l'indique au suplus une situation excentrique sur la carte
perceptuelle, il y a lieu de déménager ses pénates.

Un positionnement ne se modifie jamais aisément. Il est au


départ si onéreux d'établir une image de marque autoportante
que cela nécessite persévérance. La crédibilité du public ne
s'obtient qu'à la longue, suite à une série de communications à
la fois honnêtes et captivantes et à des expériences heureuses
avec le produit. Pour combler un positioning boiteux, introduire
tw un nouveau produit demeure évidemment une solution, mais
drastique. Si l'on se reporte au schéma et à notre cas sur
!*
cd types
l'automobile,
de voitures,
il semble
soit exister
une sportive
une place
plus pour
économique
au moinsque
deux
la
^ Porsche, et une intermédiaire de bonne qualité. Une option
c mitoyenne consiste bien sûr à améliorer les modèles déjà
■S existants. Plutôt que de bâtir de toutes pièces une Trans-Am
y encore plus puissante, on peut toujours rajouter un peu de
| chrome sur la version actuelle et rapetisser le silencieux ! Mais
£ ces décisions concernent davantage les producteurs que les
S communicateurs... Quant au publicitaire, cinq stratégies se
Les stratégies du positionnement 113

présentent pour adapter l'offre à la demande. Toutes ne font


que jouer sur l'image du produit. Est-il plus facile d'abaisser la
rivière ou de remonter le pont ? Les trois premières possibilités
visent à rapprocher la marque d'un créneau idéal.

Modifier la perception des caractéristiques du produit


Une étoffe blanche paraît immaculée lorsqu'elle habille une
personne particulièrement bronzée. Mais la même semble
jaunâtre quand on la dispose à côté du piano à queue blanc d'Elton
John... Psychologiquement parlant, le phénomène de la
perception dépend de la relation fond/forme et du contexte de
référence dans lequel est présenté l'objet. Si l'administrateur
publicitaire ou le directeur de la recherche prend conscience
qu'un produit est très bien coté en regard d'un attribut
particulier, mais que ce critère détient relativement peu d'importance
dans l'esprit des consommateurs, on aura intérêt à rehausser
l'impact du fameux critère. Il faut auparavant s'assurer que les
biens concurrents ne jouissent que très faiblement de l'attribut
en question ; sinon on pavoiserait éventuellement pour le
voisin. Voyons comment la compagnie Ford pourrait utiliser cette
stratégie. Rappelons une fois de plus que la situation est fictive.
Supposons que le modèle Escort enregistre un excellent chiffre
de ventes mais que la compagnie a du mal à se différencier de
ses adversaires sur la carte perceptuelle. Il serait peut-être
ingénieux de clamer sans fausse modestie le succès enregistré
avec l'Escort dans l'espoir que le public prenne conscience de
ce fait peu connu. Le positionnement se lirait alors comme suit :
« La Ford Escort transporte plus de Canadiens que tout autre
voiture. »

Changer la perception de la marque


Cette seconde alternative a des affinités évidentes avec la
précédente. Car l'aura d'une marque relève bien sûr de ses
composantes intrinsèques. Le tout symbolise davantage que la
somme de ses parties, mais une entité n'est rien sans ses
constituantes. Il arrive que Madame ou Monsieur le
consommateur développe une perception biaisée d'une certaine marque,
cela dû à un manque d'information, à la prééminence de la
compétition, ou à une foule d'autres raisons telles la politique, le
snobisme, la tradition, les effets d'entraînement, etc. Mais des
corrections pour redresser une image de marque boiteuse
peuvent être imaginées. Évidemment, il faut que le produit
concorde avec les qualités mirifiques qu'on lui attribuera... Gare
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à la publicité dite trompeuse qui essaie de rendre la grenouille


aussi grosse que le bœuf... Une tactique semblable est illégale.
L'histoire nous a appris qu'elle mine la popularité d'une
entreprise en deux temps trois mouvements. On peut à la rigueur
duper quelqu'un une fois mais on ne l'y prendra pas deux fois...
Les circonstances idéales pour remanier la perception de notre
marque surviennent quand le produit et ses proches rivaux ont
mauvaise réputation sur un aspect précis, alors que le nôtre jouit
d'un net avantage. Le conte de fée se concrétise si nos
concurrents ne disposent pas des ressources suffisantes pour égaler
notre produit sur cet aspect. Je conviendrai avec vous que cet
amalgame de facteurs ne se rencontre qu'occasionnellement.
C'est pourquoi il faut toujours envisager la solution qui consiste
à bonifier le produit de façon tangible plutôt que de foncer dans
une bataille publicitaire de sables mouvants. Il est d'ailleurs si
facile de faire peau neuve en perfectionnant un ou deux détails,
puis en accolant la mention « nouveau » sur l'emballage...
(paillettes bleues parmi les blanches de la boîte de savon).

Lorsqu'on manipule une image de marque ou un


positionnement, il reste un proverbe démontré : il n'y a guère de place
pour les erreurs, les tentatives avortées et les essais-quitte-à-
se-ressayer. Une solide planification et une recherche plus que
fiable doivent en quelque sorte former la base de toute
offensive stratégique. Cela dit, rien n'empêche de jouer le grand jeu
et de spéculer sur l'avenir quand on sent la victoire au bout... Il y
a, par exemple, possibilité de chausser un créneau que les
concurrents n'avaient pas exploité jusqu'à date. Quand la
compagnie Rolaids s'appropria l'argument dorénavant célèbre
(« neutralise 47 fois son propre poids d'acide »), qui sait si les
autres anti-acide n'étaient pas eux aussi dotés d'un pouvoir égal
de soulagement... Sauf qu'à partir du moment où le protago-
n? niste fait sien un argument inédit, les antagonistes n'ont plus
^ qu'à baisser pavillon et chercher ailleurs.
1
§ On entend souvent l'abréviation anglaise « UPS » (Unique Sel-
^ ling Proposition) pour désigner ce genre d'argument qui peut
c remorquer un produit avec la force d'une locomotive. Bien sûr,
•| quand on entrevoit de citer au premier plan de nos com-
■g munîcations publicitaires un axiome de la trempe d'un USP, il
| faut en garantir l'authenticité. Si la firme rivale peut clamer le
| lendemain que son bonbon neutralise 74 fois ou 147 fois son
o propre poids d'acide, alors il semble préférable de tenir secret
Les stratégies du positionnement 115

notre petit chiffre anémique. Donc, pas de demi-mesures, de


risques incalculés, de positions mal adossées.
« D'après vous, combien coûte ce récent modèle Volvo ? »
Ainsi sonne le slogan visant à altérer la perception du produit.
Primo, les gens s'imaginent que cette voiture européenne vaut
un prix fou. Contre-attaque : le titre interrogatif en caractères
gras et une photographie couleur retiennent l'attention. Un
texte finement rédigé démontre les mille et un avantages de
l'engin, sans compter l'ingéniosité de ses accessoires. Pour le
punch de la fin, on révèle en bas de page le prix de l'automobile,
« seulement... », que les lecteurs jugeront dérisoire en
proportion de tout l'équipement perfectionné inclus dans la version
standard, dont le message vient justement de louer les mérites.
Point d'orgue. Le consommateur repart avec une vision
embellie, il tourne la page sur ce mirage plus vrai que vrai.

Altérer la perception des marques concurrentes


Certaines campagnes à forte notoriété reposent très clairement
sur une telle stratégie. « Plus de la moitié des buveurs de Coke
préfèrent Pepsi à Coke. » De nature assez provocatrice, ce type
de communication présente théoriquement les deux côtés de la
médaille, mettant bien sûr l'emphase sur le produit annoncé en
vue de rehausser sa position relative. Certes tentante, cette
tactique doit être manipulée avec des pincettes. Car pour
résister à une guerre d'envergure, il faut avoir les reins solides...
Mieux vaut être assis au niveau des balcons... Enfin, il reste des
cas où l'assaut est de mise !
« Si vous croyez que les importées ont une bonne
consommation d'essence, essayez donc une Pontiac ou une Chevrolet. »
Tout à fait légale, cette charmante annonce défie la compétition
étrangère en positionnant de façon on ne peut plus directe le
produit national. Évidemment, lorsqu'on refoule l'adversaire, on
passe normalement devant lui par la force des choses...
Engager la lutte sans détours, ou tenir mordicus à son port
d'attache : voilà un pensez-y bien.

Après avoir passé en revue les trois premières stratégies de


positionnement dont le but consistait à rapprocher la marque
d'un créneau idéal, tournons maintenant notre intérêt vers les
deux options suivantes qui « tirent sur la corde à partir de l'autre
bout... ». Quand on ne peut se rendre jusqu'à la mer, on peut
toujours essayer de faire venir la mer jusqu'à nous. Bref, il s'agit
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d'amener la perception d'un segment de marché vers la position


au'occuoe notre marque.
qu'occupe maraue.

Rehausser l'impact d'une caractéristique ou d'une motivation


« Oyez ! Oyez ! Vient tout juste de paraître sur étiquette CBS
un album unique en son genre : enregistré dans un studio à la
fine pointe de l'électronique et de la robotique, mixé digi-
talement et gravé au laser. Il en résulte une qualité de son
vraiment exceptionnelle, qui saura charmer les oreilles les plus
critiques... » Présenté dans un style sobre, ce message se
destine à coup sûr à une clique de mélomanes connaisseurs.
Qui plus est, il fait allusion à une série de détails techniques dont
l'homme ordinaire peut se passer mais qui font sourciller les
avides de haute technologie. Cette communication publicitaire
obtiendrait donc un succès chez les maniaques pour qui le
progrès scientifique a plus d'importance que le génie du
musicien qui a composé l'œuvre.
Réduisons à sa plus simple expression le processus d'achat que
suit le consommateur en passe d'ajouter un objet à sa
collection. Le client envisage toujours un certain nombre de besoins à
combler avant de procéder à son acquisition. H évalue ensuite
selon des critères personnels la liste d'articles qui, selon sa
connaissance, s'offrent à lui. Il se fiera alors à la perception qu'il
a développée face aux différentes marques concurrentes, pour
arrêter finalement son choix sur l'une d'entre elles. En termes
plus sarcastiques, on pourrait dire du consommateur : il va voir
ce qu'il y a, retourne voir s'il en reste, et à la troisième visite,
décide de faire l'achat... alors qu'il n'y en a plus. Si un esprit
alerte vient à connaître les trois ingrédients qui assaisonnent le
philtre de la consommation, soit un but, des critères de
sélection et un univers de perceptions, il verra se dessiner une
^ opportunité : lier sa marque à la motivation qui apparaît comme
^ dominante dans le contexte, stimulant de ce fait la demande
§j pour le produit.
c Supposons qu'une classe d'automobilistes recherche semi-
^ inconsciemment l'impétuosité dans un véhicule. Le facteur
c « puissance » ou « vitesse » aurait donc quant à eux préséance
•§ sur d'autres caractéristiques jugées secondaires telles la
•^ consommation d'essence ou l'espace disponible. Or la carte
| perceptuelle indique que les voitures GM sont cotées comme
E assez sportives, quoique nettement en dessous du rendement
<3 idéal. La compagnie devrait alors axer sa thématique publicitaire
Les stratégies du positionnement 117

sur la vivacité de ses modèles sport et l'excitation qu'on


éprouve au volant de ces petites merveilles... En catapultant au
premier plan le caractère nerveux des voitures GM, on arriverait
peut-être à dorer l'image de son produit aux yeux de cette
catégorie d'acheteurs.
Titre : « Vous partez gagnant. » Surtitre : « La GM'84 plus
fougueuse que jamais ! » Avec une telle accroche, l'entreprise
ferait-elle une percée parmi les adeptes de l'accélération ? On
peut penser que oui. Évidemment, les perceptions et les
attitudes des gens ne varient jamais aussi vite que cela... Les
changements surviennent petit à petit. Mais la publicité est là,
quasi constante dans le monde social et le monde économique,
catalyseur des divers courants qui baignent la société. La
publicité perpétue les vagues, voire même, elle les précipite.

Introduire une caractéristique supplémentaire


II était une fois une viande pour chiens qui ne voyait pas le jour
de se vendre malgré, semble-t-il, ses composantes hautement
nutritives. Certains néophytes l'estimaient trop moite, certaines
vieilles madames la considéraient trop dure pour les dents de
leur cher toutou, certains éleveurs la qualifiaient simplement de
trop chère. Il serait superflu de vous dire à quel point les
fabricants étaient perplexes devant la situation. Prenant le mors
aux dents, l'un d'entre eux décida de s'en remettre à un
conseiller en communication-marketing. Après maintes
investigations, celui-ci proposa une solution qui s'avéra ingénieuse :
doter le produit d'une qualité tout à fait originale, pour le
positionner d'un coup comme chef de file en son domaine. Ainsi
est né WoufBouf, la seuie nourriture canine qui embaume la
maison... Du jour au lendemain, une meute de vétérinaires et de
maîtresses de maison provenant de riches banlieues se ruèrent
sur WoufBouf.
Quelques détails doivent être examinés avant d'ajouter toute
caractéristique à un produit. Il faut d'abord prouver, hors de
doute, que l'attribut que l'on mettra à l'avant sera significatif aux
yeux du public. Il ne sert à rien de rajouter une mini calculatrice
sur une horloge grand-père si les gens se foutent éperduement
qu'il y en ait une ou pas ! Les biens concurrents doivent par
ailleurs ne pas posséder cette caractéristique qui peut être le
fruit d'une innovation technologique, d'un changement dans le
mode de production, ou d'une nouvelle approche dans la
conception. Lorsque les premières autos tractions avant firent
leur apparition sur le marché nord-américain, il s'agissait là d'un
concept tout frais tout neuf.
Publicité

Mais l'attribut distinctif peut aussi émerger du néant si l'on


décide qu'un des caractères latents du produit mérite d'être
exploité.
L'adoption d'une caractéristique supplémentaire se fera
d'autant plus en douceur si le produit n'en est qu'aux premiers
stades de son cycle de vie. Il demeure en effet laborieux de
modifier une perception qui se fonde sur des années de
connaissance mutuelle. Quand un produit semble encore jeune
dans l'esprit du public, il est aisé de lui faire prendre une
tangente ; mais si le produit navigue déjà en pleine maturité,
l'inclinaison qu'on veut lui imposer risque de le plonger dans un
second départ. Si le paquet de cigarettes Export arbore une
teinte jaunâtre demain matin, cachant sous sa robe une zigoune
à sensation différente, bon nombre d'adeptes se gratteront la
tête en remettant en question leur choix global.
L'idée reste géniale. Brandir un argument inédit (un USP), c'est
faire du positioning. Il s'agit avant tout de se battre sur un autre
terrain que l'adversaire. Si la compagnie GM mise sur la
puissance pendant que Ford opte pour la popularité, les concepteurs
rusés de la troisième firme pourraient alors tabler sur la fiabilité
ou à la rigueur toute autre propriété n'ayant pas servi. La
campagne Chrysler pourrait par exemple s'échafauder sur un
plan de protection exceptionnel, une garantie à l'épreuve des^
petits et des gros incidents, avec un slogan ronflant du genre :
« Chrysler, la voiture la plus fiable au monde. »
Ainsi, chacun des géants de l'automobile parviendrait sans
doute à se tailler une place sur le marché, agrippant
respectivement leur part d'utilisateurs grâce à des stratégies
marketing distinctes, des messages publicitaires ajustés, bref, une
gamme de positionnements conçus en fonction de chaque
situation. Mais si l'établissement d'une position vise à gagner un
segment de marché, qu'est-ce qui prouve que les consomma-
teurs souscriront à l'offre qui leur est destinée ?

§> On peut trouver des réponses sous le chapeau de la prévision :


j§ avant d'envoyer les premiers messages porteurs de notre flam-
© beau distinctif, on aura tâté le pouls de la population. En quête
§ d'attitudes, de sentiments positifs ou négatifs, on aura exploré
"I la personnalité des gens, identifiant leur mode de vie, tâchant de
"| connaître leurs habitudes d'achat et leurs prédispositions face à
E notre produit. Cette enquête c'est l'étude de la comportementa-
°
I lité. Claude
et René
Cossette
Dhéry

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