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Terrain

Numéro 34  (2000)


Les animaux pensent-ils ?

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Jean-Louis Labarrière
Raison humaine et intelligence
animale dans la philosophie grecque
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Référence électronique
Jean-Louis Labarrière, « Raison humaine et intelligence animale dans la philosophie grecque »,  Terrain [En
ligne], 34 | 2000, mis en ligne le 09 mars 2007. URL : http://terrain.revues.org/index996.html
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Éditeur : Ministère de la culture / Maison des sciences de l’homme


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© Terrain
Raison humaine et intelligence animale dans la philosophie grecque 2

Jean-Louis Labarrière

Raison humaine et intelligence animale


dans la philosophie grecque
Pagination originale : p. 107-122

« Si nous voulons savoir ce qu’est l’homme, nous devrons savoir d’abord ce qu’est l’animal.
»
Sextus Empiricus (M, VIII, 87)
1 “L'homme, entre bêtes et dieux”: cet énoncé, vrai en soi, est devenu un slogan sitôt qu’il s’agit
d’évoquer la place de l’homme dans le cosmos des Anciens. Partant, il a pris les allures de
l’arbre qui cache la forêt, ne serait-ce que parce que cet énoncé porte bien plus notre signature
que celle des philosophes grecs, lesquels, à la notable exception des cyniques, situaient
plus volontiers l’homme du côté des dieux que dans cet hypothétique entre-deux. Qu’il
suffise à ce sujet de rappeler la définition platonicienne de la vertu comme « ressemblance à
Dieu » (Théétète, 176 b), plus tard reprise par Plotin dans son Traité des vertus (Ennéades,
I, 2 [19]). Rappelons aussi qu’Aristote considère le nous, l’intelligence ou l’intellect, comme
ce qu’il y a de divin en nous et comme ce par quoi l’homme est le plus proprement homme,
ce qui devrait le conduire à tâcher de « s’immortaliser » (EN, X, 7, 1177 b 29-1178 a 4). Et
comment oublier la doctrine stoïcienne de la communauté formée par les hommes et les dieux
en raison de leur commune et exclusive possession du logos (Sextus, M, IX, 130-132) ? Ce à
quoi l’on opposera la chiennerie de Cratès : « Je brigue pour tout bien le bonheur de l’escarbot,
l’aisance de la fourmi » (apud Julien, Discours, VII, 9, 213 c).
2 Le rappel de ces quelques points, auxquels il convient d’ajouter la formule d’Aristote selon
laquelle « l’homme est le seul des animaux à posséder le logos » (Pol., I, 2, 1253 a 9-10 ;
VII, 13, 1332 b 5), devrait suffire à clore le dossier de la pensée animale dans la philosophie
grecque. Et cela d’autant plus que, toujours d’après Aristote, largement suivi sur ce point
par ses petits camarades, l’« âme pensante » (dianoêtikê psukhê, noêtikon) est le propre des
êtres humains. Mais c’est précisément la raison pour laquelle la question du statut comparé de
l’homme et de l’animal devient véritablement intrigante. Rappelons en effet, avant d’y revenir,
que le même Aristote n’hésite pas à attribuer la phronêsis, l’intelligence pratique, à nombre
de ceux que nous appelons les animaux par opposition aux humains, tout en situant à un très
haut niveau les capacités cognitives et comportementales de ceux qu’il désignait, quant à lui,

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comme « les autres animaux » dans ce qu’on peut appeler ses livres d’éthologie, à savoir,
les livres VIII et IX de l’Histoire des animaux. D’où le fait que certains ont considéré ces
livres comme inauthentiques sous prétexte de contradiction manifeste avec ce que le Stagirite
professe ailleurs. Telle n’est pas mon opinion 1. Qu’en est-il donc de cette phronêsis ? Voilà ce
qu’il faudrait examiner avant de balayer d’un revers de main la question de la pensée animale
sous prétexte que l’homme seul possède le logos et que l’homme grec s’est pensé plus près
des dieux que des bêtes (Labarrière 1990).
3 De même, quoique dans un tout autre registre, la doctrine de la métensomatose chez Platon
semble nécessairement conduire à admettre que des corps d’animaux puissent être dépositaires
de l’âme pensante des êtres humains, même si ces animaux ne font que peu ou pas du tout usage
de cet intellect (Brisson 1997). Ajoutons encore, avant d’avoir également à y revenir, que la
question de la possession ou de la non-possession du logos par « les autres animaux » fut l’objet
d’une belle polémique entre les stoïciens et leurs contradicteurs de la Nouvelle Académie,
polémique encore vive du temps de Plutarque et qui continuera jusqu’aux néoplatoniciens,
comme en témoigne le De abstinentia de Porphyre. Il y a donc bien là, pour pasticher
Théophraste dont on sait qu’il avait écrit un traité Sur l’intelligence et les comportements des
animaux (D.L., V, 49), « des choses à rechercher ». Et c’est moins le fait que la question ait ou
non été réglée d’avance qui doit retenir notre attention que la façon même dont elle fut traitée :
il y va autant de la définition de l’animal que de celle de la pensée. Pouvons-nous dire, ou les
Grecs auraient-ils pu dire : « l’homme, entre animaux et dieux » ?

Nom d’animal
4 Si l’expression « pensée animale » est pour nous immédiatement compréhensible, quelles que
soient nos réserves à l’égard de la pertinence de cette expression et envers la réalité de la
chose, rien n’assure qu’elle l’aurait été pour les Grecs. Non pas que l’idée d’une « pensée
animale » eût été incompréhensible pour eux car impensable, mais parce que le terme zôion,
que nous traduisons aussi bien par « animal » que par « vivant », était d’extension bien plus
large (comme le montrent d’ailleurs ces deux traductions possibles) que notre concept d’«
animal » tel qu’il s’oppose à celui d’« homme », laquelle opposition remonterait, semble-t-il, à
Varron. Au demeurant, méfions-nous de l’usage : comme tout dictionnaire de langue française
le dit, « animal » s’oppose à « végétal » avant que de s’opposer à « homme ». Voilà qui est bien
plus proche de l’usage aristotélicien, voire platonicien, du terme zôion que de notre emploi, le
plus fréquent, du terme « animal ». En effet, si zôion (zôia au pluriel), qui provient du verbe
zên, vivre, signifie avant tout « vivant » et englobe donc les plantes (mais le terme peut aussi
désigner « une peinture », Aristote, Catég., 1, 1 a 2-3…), les zôia renvoient le plus souvent
chez Platon et quasiment toujours chez Aristote, du moins dans sa « zoologie », aux animaux,
humains compris, par opposition aux végétaux, qu’Aristote, quand il ne dit pas phuta, « plantes
», nomme tout simplement zônta, « vivants ». C’est pourquoi, thêrion désignant en grec plutôt
la bête féroce, quand Aristote entend ne parler que de ceux que nous appelons « animaux », il
utilise l’expression « les autres animaux (ta alla zôia) », sous-entendu, évidemment, « autres
que les hommes ». Voilà qui montre que pour les Grecs l’homme fait partie des animaux et
se situe plutôt, comme chez Platon, entre les plantes et les dieux, même s’il lui revient de se
hisser à la hauteur des dieux et non de se faire bête.
5 Si donc nous devions traduire «  pensée animale  » en grec, nous n’aurions guère d’autre
choix que de dire zôê dianoia ou zôos nous, expressions qui n’auraient sans doute pas été
très « parlantes » pour un Grec, tandis que les formules thêriakê dianoia ou thêriakos nous,
«  pensée bestiale », auraient sans doute été plus compréhensibles dans la mesure où elles
peuvent désigner aussi bien les pensées bestiales de certains êtres humains que ce qui anime
certaines bêtes sauvages. Resterait à savoir si des expressions comme zôion dianoêtikon ou
zôion noêtikon, «  animal pensant », construites sur le modèle du fameux zôion politikon,

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« animal politique », auraient d’emblée désigné pour un Grec l’homme par opposition aux
autres animaux, ce qui logiquement devrait supprimer tout espace pour l’existence d’une
pensée animale aux yeux des Grecs. Or rien n’est moins sûr. En effet, si l’on peut assurer avec
quelque certitude que le « roseau pensant » leur aurait semblé une bien singulière métaphore,
à l’exception peut-être d’Empédocle (Balaudé 1997), il leur aurait paru en revanche bien plus
douteux que seul l’homme puisse être un « animal pensant », car, de façon moins paradoxale
qu’il ne le semblera aux yeux de certains de mes lecteurs, de même que zôion politikon ne
saurait renvoyer en grec aux seuls êtres humains à l’exclusion des autres animaux (et que, de
grâce, on laisse les dieux en paix !), de même zôion noêtikon ne saurait en toute rigueur ne
désigner que ceux-là.
6 J’en prendrai tout d’abord pour preuve le fait que ni Platon ni Aristote n’hésitent à employer
le terme politikon pour désigner d’autres animaux que l’homme (Phédon, 82 b  ; HA, I, 1,
488 a 1-10 ; VIII, 1, 589 a 1-2) 2, d’où le fait qu’à l’évidence un zôion politikon n’est pas
nécessairement un homme. Au demeurant, Platon ne tient-il pas la ruche pour un modèle
d’organisation politique ? J’évoquerai ensuite à l’appui de ma thèse le non moins célèbre nous
d’Anaxagore, intelligence ou intellect selon les traducteurs, bien souvent avec un I majuscule.
S’il est une phrase bien connue d’Anaxagore, c’est celle-ci : «  Toutes les choses étaient
ensemble ; ensuite vint l’intelligence (nous) qui les mit en ordre » (D.L., II, 6), ce qui valut
d’ailleurs à Anaxagore d’être surnommé nous, poursuit Diogène Laërce. Or, quand Aristote
rapporte cet énoncé, voici ce qu’il écrit : « Quand un homme vint dire qu’il y a dans la Nature,
comme chez les animaux (kathaper en tois zôiois), une Intelligence, cause de l’ordre et de
l’arrangement universel, il apparut comme le seul en son bon sens en face des divagations
de ses prédécesseurs » (Méta., A, 3, 984 b 15-18). On remarquera qu’il semble tout naturel
à Aristote de préciser que cette Intelligence organisatrice du monde est « comme celle des
animaux », ce qui sous-entend de toute évidence que selon Anaxagore, relu et peut-être corrigé
par Aristote, ces derniers en étaient dotés et qu’il se servait de cela pour rendre compte de
l’ordre et de l’arrangement du monde. Ainsi l’arrangement de la nature ne saurait être dû
au hasard, pas plus que les conduites animales. Remarquons encore que, si dans nos sources
relatives à Anaxagore, Aristote semble bien seul quand il fait état de cette comparaison, il y
revient cependant ailleurs : « A plusieurs reprises Anaxagore appelle intellect (nous) la cause
du bien et de l’ordre, ailleurs il identifie celui-ci à l’âme : l’intellect est attribué en effet à
tous les animaux (en apasi tois zôiois), grands et petits, supérieurs et inférieurs. Mais il ne
semble pas que l’intellect entendu au sens de prudence (phronêsis) appartienne au même degré
(homoiôs) à tous les animaux, ni même à tous les hommes  » (De l’âme, I, 2, 404 b 1-7).
L’on observera maintenant que si Anaxagore passe aux yeux d’Aristote pour être celui qui
a gratifié d’un nous tous les animaux, quels qu’ils soient, ce qui ne signifie nullement qu’il
partage lui-même ce point de vue (ni même qu’il ait été celui d’Anaxagore !), Aristote, qui
refuse par ailleurs d’identifier l’âme à l’intellect, émet encore à ce sujet une réserve relative
à la phronêsis, à cette forme d’intelligence pratique que nous rendons traditionnellement par
« prudence ». Or, cette réserve porte non seulement sur les animaux – possèdent-ils tous bien
semblablement la phronêsis ? – mais encore sur les hommes, au sujet desquels on se pose
la même question. Quelle est donc, si l’on peut leur en accorder une, la forme d’intelligence
que les animaux posséderaient et en quoi ressemble-t-elle à ou diffère-t-elle de celle des êtres
humains ? Telles sont les questions auxquelles nous convie Aristote lecteur d’Anaxagore.

Formes d’intelligence
7 Etre privé de logos, de langage, de discours ou de raison, état qui est celui des autres animaux
selon la très grande majorité des philosophes grecs, n’impliquait donc pas nécessairement
d’être tenu pour inintelligent. Autrement dit, on pouvait fort bien considérer les animaux
comme des êtres irrationnels sans pour autant les priver de toute forme d’intelligence, à

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commencer par cette forme d’intelligence rusée, fourbe, que les Grecs appelaient mêtis et sur
laquelle Détienne et Vernant (1974) ont si bien insisté. Là encore, Aristote nous en donne
les raisons : « D’ordinaire on considère la pensée (to noein) et l’intelligence (to phronein)
comme une sorte de sensation (dans les deux cas, en effet, l’âme juge et connaît une réalité
quelconque). Les Anciens, pour leur part, identifient intelligence et sensation » (De l’âme, III,
3, 427 a 19-22). Tout dépend, en effet, de ce qui est entendu par « sensation », aisthêsis, terme
qui peut aussi désigner la perception, voire le jugement. Tout animal, qu’il soit humain ou non
humain, dispose de la sensation. Sur ce point tous s’entendent et tous admettent également
que la sensation est une forme de connaissance. Mais de quoi cette connaissance est-elle la
connaissance ? Jusqu’où s’étend-elle exactement et quelles autres facultés implique-t-elle ?
C’est sur ces questions que les auteurs divergent car on peut étendre l’acception de la sensation
jusqu’au point où elle recouvre une certaine forme d’opinion, doxa, position qui est celle de
Platon d’une certaine manière ; mais on peut aussi la réduire à la seule connaissance des objets
appréhensibles par les sens, point de vue qui fut celui d’Aristote et qui le conduisit à distinguer
fermement la pensée de la sensation.
8 Arrêtons-nous un instant sur le cas d’Aristote, ne serait-ce que parce qu’il est l’auteur
des premières œuvres conservées de grande envergure consacrées aux animaux, traités qui
représentent environ un quart de son œuvre, du moins de celle qui nous est parvenue.
9 Certes, Aristote ne fut pas le premier à s’intéresser aux animaux, mais il fut sans doute le
premier à s’y intéresser systématiquement tant il croyait avec Héraclite que « les dieux sont
aussi dans la cuisine » (PA, I, 5, 645 a 20-21) et qu’il fallait accepter d’entrer dans la cuisine
de la nature si l’on voulait y comprendre quelque chose et ne pas se payer de mots, ce qui
impliquait selon lui de mener une enquête serrée sur les animaux. Il ne fait guère de doute
à mon sens que cet intérêt porté aux animaux, que nous pourrions qualifier de « scientifique
», explique qu’Aristote ait pu soutenir que « seul l’homme possède le logos » tout en étant
celui des philosophes grecs qui, en dehors de tout souci polémique, a très certainement estimé
au plus haut les capacités de ceux qu’il appelait – on l’a vu – «  les autres animaux ». En
effet, si Aristote réserve le logos aux humains, s’il restreint la portée cognitive de la sensation
et refuse de l’identifier à quelque forme de pensée ou d’intelligence, c’est en fait pour bien
distinguer la raison humaine de l’intelligence pratique qu’il accorde à certains animaux (pas à
tous, donc) et qu’il met en relation avec la mémoire et avec l’imagination que certains de ces
animaux posséderaient en plus de la sensation (Méta., A, 1 ; APo, II, 19). Parce que ceux-là
ont la sensation du temps passé et sont capables de retenir en eux des « images », ils détiennent
une certaine capacité de prévoyance quant à ce qui est bon pour eux, capacité qui définit la
phronêsis, ou intelligence pratique, que l’on peut leur attribuer (EN, VI, 7, 1141 a 25-28).
Mieux : que l’on est obligé de leur reconnaître, car les en priver serait parler contre les faits,
ainsi que le montrent les livres VIII et IX de l’Histoire des animaux. Ces livres prouvent
aussi que la notion d’intelligence animale n’a pour Aristote rien de métaphorique, mais qu’elle
renvoie aux capacités mentales propres aux autres animaux, même si les mots manquent pour
décrire ces capacités de façon non anthropomorphique, obligeant parfois à affirmer que les
animaux agissent « comme s’ils raisonnaient » alors même que l’on soutient fermement qu’ils
ne raisonnent ni ne délibèrent faute de posséder le logos.
10 Pourtant, ce que montrent aussi les livres d’« éthologie » du Stagirite, c’est que, de même
qu’une définition générale de l’âme est insuffisante dès qu’il s’agit d’étudier les différents êtres
vivants (De l’âme, II, 2-3), de même l’est une définition générale de l’intelligence des animaux
dès qu’il s’agit d’étudier les animaux intelligents. Encore faut-il, selon Aristote, décrire la
forme d’intelligence possédée en propre par chaque espèce ou par chaque grand genre, bref,
en langage aristotélicien, rechercher les différences. En effet, selon un principe avancé dans
le traité De l’âme et qui permet à Aristote de se gausser de toute théorie de la réincarnation,
« n’importe quoi n’entre pas dans n’importe quoi » (I, 3, 407 b 21-24 ; II, 2, 414 a 24-25)

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Si, globalement, l’intelligence des animaux se manifeste principalement au travers des actes
accomplis dans la quête de leur nourriture, en vue de la reproduction et dans le domaine des
soins donnés à leurs petits, il convient alors de s’efforcer de dessiner une typologie des grandes
formes d’intelligence animale, car les actions de certains animaux peuvent révéler une plus
grande intelligence familiale les conduisant à continuer d’entretenir des rapports d’amitié avec
leurs petits devenus adultes, comme c’est le cas chez certains quadrupèdes et chez l’homme
(GA, III, 2, 753 a 7-17). Tandis que d’autres peuvent, au contraire, témoigner d’une plus
grande intelligence dans la façon de se procurer leur nourriture, ainsi les aigles, bons chasseurs
mais bien souvent mauvais parents (HA, IX, 32-34), ou dévoiler une remarquable intelligence
sociale, comme dans le cas de ceux que nous appelons les insectes sociaux et qu’Aristote
appelait pour sa part des « animaux politiques ». Ainsi, le type d’intelligence mise en œuvre
par une abeille dans la fabrication du miel et l’ordonnancement de la ruche ne se confond-
il pas avec la façon qu’a le dauphin de faire « comme s’il calculait » le temps qui lui reste
avant de devoir respirer en fonction de l’espace restant à parcourir avant de se saisir de sa
proie (HA, IX, 48, 631 a 23-30).
11 Et il faut encore distinguer ces modalités d’intelligence des ruses ou roublardises que d’autres
animaux déploient pour se protéger, protéger leurs petits ou capturer leurs proies. Je n’en
donnerai qu’un exemple, bien caractéristique de la manière d’Aristote. La seiche (sêpia) et
le poulpe (polupous) sont, parmi d’autres, deux céphalopodes qui lâchent leur encre sous
l’effet de la peur. Mais la seiche est considérée comme «  le plus rusé  » (panourgotaton)
des céphalopodes parce qu’elle utilise (khrêtai) son encre aux fins de se dissimuler, tandis
que le poulpe est estimé stupide (anoêton) dans la mesure où il lâche son encre sous le seul
effet de la peur. Aristote précise ainsi les choses : « La seiche établit une sorte de rempart
(hoion phragma) devant son corps, en noircissant et en troublant l’eau […] et après avoir fait
mine d’avancer, elle revient en arrière dans l’encre » (HA, IX, 37, 621 b 28-622 a 3 et PA,
IV, 5, 679 a 4-14). Tout se passe donc comme si la réaction de la seiche était une réaction
réfléchie – sur le modèle des actes d’Ulysse le roublard, elle « ourdit un complot » –, tandis
que celle du poulpe serait seulement mécanique. On accordera donc une forme d’intelligence à
la première, mais pas au second. De même, l’intelligence travailleuse ou laborieuse, ergastikê,
des insectes n’est pas uniforme : les araignées chassent, mais ne stockent pas ; les fourmis ne
chassent pas, mais stockent ; les abeilles ne chassent pas non plus, mais elles fabriquent elles-
mêmes leur nourriture et la conservent (HA, IX, 40, 623 b 13-18). Il en résulte encore que si
l’intelligence laborieuse peut faciliter la vie sociale, ce n’est pas toujours le cas : parmi les
animaux qu’Aristote considère comme des insectes travailleurs, seules les fourmis, certaines
guêpes et certaines abeilles sont qualifiées d’animaux « politiques », c’est-à-dire d’animaux
qui non seulement vivent ensemble, mais encore conduisent de concert une œuvre commune,
ce qui est aussi le fait des hommes et des grues (HA, I, 1, 488 a 7-9 ; IX, 40, 623 b 8-13).

L’intelligence animale comme menace


12 Toutefois, accorder une forme d’intelligence aux animaux, n’est-ce pas là entamer notre statut
privilégié ? En aménageant une proximité entre les animaux et nous, ne risquerions-nous pas
de finir par en faire nos frères, brisant de la sorte ce qui nous unit aux dieux ? En fin de compte,
ces longues enquêtes au sujet des animaux ne seraient-elles pas dangereuses du fait qu’elles
favoriseraient l’impiété ? C’est ce qu’a explicitement soutenu Philon d’Alexandrie : « Ceux
qui étudient l’histoire des animaux font bien d’autres affirmations relatives aux vertus et aux
vices qu’ils trouvent chez eux. Je songe ici à ceux qui ont coutume de parler abondamment sans
principes et d’une façon insupportable. Il existe assez de preuves pour qui veut entreprendre de
réfuter leurs prémisses. Les animaux ne font rien avec préméditation comme l’effet d’un choix
délibéré. Bien que certains de leurs actes ressemblent à ceux de l’homme, ils les accomplissent
sans penser (sine intellectu 3). Selon la constitution première de la nature, ils répandent partout

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leur progéniture selon leur espèce » (Alex., § 97). Pourquoi donc tant d’animosité envers ceux
qui s’intéressent aux capacités des animaux ? Parce que Philon, qui partage sur cette question
les vues des stoïciens dépossédant les animaux de toute forme de raison, conclut un dialogue
ayant mis en scène son neveu apostat Alexandre, lequel s’y présentait comme le disciple des
néoacadémiciens dans leur polémique contre les stoïciens à ce sujet.
13 Remettons les choses en place afin de mieux saisir les termes du débat. Bien qu’ils ne se
soient guère intéressés aux animaux, ni pour eux-mêmes ni en tant que partie intégrante de
leur physique, les premiers stoïciens (Zénon, Cléanthe et surtout Chrysippe, qu’on peut tenir
pour le second fondateur du stoïcisme) mobilisèrent cependant le cas des animaux pour bâtir
l’un des éléments fondamentaux de leur doctrine, à savoir ce qu’il est convenu d’appeler
la «  doctrine de l’oikeiôsis », la doctrine de la première «  appropriation ». Ils entendaient
en effet montrer, contre les épicuriens, que le premier objectif recherché par les animaux
(et par les bébés  !) n’était pas le plaisir, mais la conservation de leur propre constitution.
C’est ce qu’on appelle le « premier approprié » (to prôton oikeion). De cela, les animaux ont
une représentation (phantasia), cependant cette représentation n’est pas une représentation
réfléchie, comme chez les hommes, mais seulement, pourrions-nous dire, « une représentation
impulsive ». Epictète, qui, sur bien des points, opère un retour aux premières doctrines,
soulignera plus tard que si les animaux ont certes un « usage » (khrêsis) des représentations,
ils n’en ont pas pour autant la « conscience réfléchie » ou « intelligence » (parakolouthêsis ;
Entretiens, I, 6 : II, 8), laquelle implique « le logos qui juge les représentations, refuse les
unes et accepte les autres » (Origène, Princ., III, I, 3). Pour continuer à parler comme Origène,
lequel, comme Philon, utilise la doctrine stoïcienne sur ce point, l’animal est limité à sa
« nature imaginative » (phantastikê phusis), à laquelle l’homme, animal raisonnable (logikon
zôion), ajoute par définition le logos. Soutenir le contraire serait donc impie, car ce serait
défaire ce qu’a fait Zeus si l’on s’appelle Epictète, Yahvé ou Dieu si l’on se nomme Philon
ou Origène. Or, la doctrine de l’oikeiôsis avait aussi un second versant chez les stoïciens,
concernant les relations de justice entre les hommes et entre les hommes et les dieux fondées
sur la commune possession du logos — l’amour des autres provient de l’amour des siens qui,
lui-même, provient de l’amour de soi, ce que les animaux pouvaient être admis à exhiber, du
moins l’amour de soi et l’amour des siens ; d’où le fait que s’attaquer aux stoïciens par ce
biais pouvait conduire à ruiner leur système.
14 Or, c’est bien à ce travail de sape que semblent s’être livrés les membres de la Nouvelle
Académie, qui, d’Arcésilas à Philon de Larissa, n’eurent de cesse, au nom de la nécessaire
suspension du jugement qu’ils professaient, de soumettre à la question la philosophie
dogmatique des stoïciens. Puisque nous ne connaissons qu’indirectement cette polémique au
sujet de la raison des animaux, il serait aussi téméraire que vain de chercher à savoir ce que
professaient exactement, à supposer qu’ils aient explicitement professé quelque chose au sujet
des animaux, des gens dont nombre d’entre eux, à commencer par Carnéade, se refusaient, tel
Socrate, à écrire. Tout ce que nous pouvons affirmer avec quelque certitude est que, de manière
tout à fait cohérente avec leur pratique, les néoacadémiciens durent chercher à « déstabiliser »
les stoïciens en les poussant dans leurs derniers retranchements. D’où sans doute deux grands
types d’arguments : qu’est-ce qui vous assure que nos représentations sont plus fiables que
celles des animaux ? Si vous ne pouvez le prouver, alors c’est votre doctrine du critère de la
vérité qui s’écroule. D’autre part, si vous acceptez qu’on puisse distinguer entre le « discours
extérieur » (logos prophorikos) et le « discours intérieur » (logos endiathetos), qu’est-ce qui
vous assure qu’on puisse posséder le premier, ainsi que vous le concédez à nombre d’animaux,
sans nécessairement posséder le second, réservé par vous aux hommes et aux dieux ? Enfin,
peut-être n’était-il pas impossible qu’ils aient aussi manié un argument de ce type : il est tout
de même un peu facile de se servir du cas des animaux quand vous en avez besoin, puis de
les abandonner en chemin dès que vous abordez la question de la raison, au point d’en faire

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des « machines » agies de façon automatique par la nature, ce qui impliquerait selon vous que
nous n’ayons pas à entretenir de relations de justice avec les animaux du fait que « cela ne
pense point ».

Raison animaleet salut de l’âme


15 Il est sage de ne pas poursuivre plus avant cette petite reconstruction. Insistons en revanche
sur l’utilisation de cette polémique par Plutarque et par Porphyre, deux de nos sources
essentielles d’information à ce sujet, les deux autres étant Philon d’Alexandrie et Sextus
Empiricus (seul Philon prenant le parti des stoïciens et Sextus étant peut-être le plus proche
des néoacadémiciens). En effet, s’il est quasiment impossible de retrouver la signification des
arguments néoacadémiciens (on peut d’ailleurs douter qu’ils aient « cru » que les animaux
soient doués de raison), les motivations de Plutarque et de Porphyre sont en revanche
fort claires : en privant indûment les animaux de raison, les stoïciens font preuve non
seulement d’une incommensurable mauvaise foi, mais encore – et c’est bien plus grave – d’un
extraordinaire « égoïsme » (philautia ; Fontenay 1997). Si Plutarque est sans doute celui de nos
auteurs qui se montre le plus sensible à la question animale en elle-même, Porphyre retourne
quant à lui le compliment d’impiété à ses auteurs : les stoïciens se trompent totalement au
sujet de l’attitude que nous devons adopter au sujet des animaux et le sage devrait s’abstenir
d’en manger s’il entend honorer Dieu qui ne les a nullement privés de raison. Ainsi, thème
devenu sans doute académique comme en témoigne le titre même d’un des traités de Plutarque
– Quels animaux sont les plus avisés, ceux de la terre, ou ceux de l’eau ? où les interlocuteurs
rivalisent d’arguties dans un sens ou dans l’autre –, le sujet devint aussi et peut-être surtout
une question de morale : le problème de la pensée animale s’ouvre, en effet, sur celui du droit
des animaux (Sorabji 1993).
16 Insistons sur ce tournant car il marque un net changement de perspective aussi bien par rapport
à Aristote que par rapport à ce que nous pouvons supposer avoir été les motivations des
attaques néoacadémiciennes contre les stoïciens. En forçant un peu le trait et pour résumer
les choses, nous pourrions dire que, d’Aristote à Porphyre, le sujet de la pensée animale s’est
déplacé du champ d’une théorie de la connaissance, une question scientifique donc, vers une
problématique morale et religieuse. Autrement dit, si dans le premier cas l’intelligence des
animaux pouvait constituer l’objet même de l’enquête, même si ce n’était que pour mieux
souligner la différence entre l’intelligence des autres animaux et la pensée humaine – mais
encore fallait-il pouvoir établir cette différence sur des bases solides, «  scientifiquement
recevables », et donc chercher à préciser la nature et la fonction de l’intelligence des différents
animaux –, dans le second, on cherche moins à prouver que les animaux sont doués de raison
pour démontrer qu’ils le sont effectivement que pour définir ce que doit être l’art de vivre du
sage. M’inspirant ici d’un mot de Hegel, je dirai que, durant cette évolution, la philosophie
a cessé de chercher à décrire les faits pour se vouloir édifiante. C’est ce qui explique qu’on
cherche moins à établir les faits pour eux-mêmes – on les trouve déjà établis ailleurs – qu’à
servir la cause qu’on entend défendre. Sans doute était-ce déjà le cas au Portique et dans la
Nouvelle Académie puisqu’il s’agissait alors soit de défendre soit d’attaquer un système, mais
la polémique même semble s’être nourrie d’arguments et de contre-arguments, puisés les uns
dans une tradition fort riche depuis Homère, les autres chez Aristote, d’autres encore bâtis
pour cette occasion et destinés à prouver qu’on ne saurait remonter du « discours extérieur
», comme celui des perroquets ou des pies, au « discours intérieur », propre aux hommes, ou
bien à l’inverse qu’on ne saurait posséder le premier sans posséder le second. Or, c’est cette
polémique dont nous trouvons la trace dans les traités de Philon, Plutarque, Porphyre et Sextus.
Mais, quelles qu’aient été les opinions respectives de ces auteurs sur la validité des positions
stoïciennes, telles ne sont plus les motivations qui les animent principalement et c’est ce qui
explique, que leurs traités aient eu ou non une source commune, le côté extraordinairement

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répétitif d’arguments qui n’ont plus rien de novateur et qui peuvent être utilisés dans un sens
ou dans l’autre.
17 Je n’en prendrai que deux exemples : d’une part l’art (tekhnê) déployé par certains animaux,
par exemple le tissage de sa toile par l’araignée ou la construction de son nid par l’hirondelle,
et, d’autre part, selon Chrysippe, l’usage par le chien du « cinquième indémontrable ». Dans
son De sollertia animalium ou Quels animaux sont les plus avisés, ceux de la terre, ou ceux
de l’eau  ? (974 A), Plutarque fait en sorte qu’Aristotimos, le défenseur de l’intelligence
des animaux terrestres, en vienne après de très nombreux arguments à invoquer Démocrite :
«  Mais nous sommes peut-être ridicules d’exalter l’apprentissage chez les animaux, alors
que Démocrite établit que c’est nous qui avons été leurs élèves dans les domaines les plus
fondamentaux : de l’araignée, pour le tissage et le raccommodage, de l’hirondelle pour la
construction, et des oiseaux mélodieux comme le cygne et le rossignol pour le chant, et ce
en vertu de l’imitation » (= 68 B 154 DK). Faute d’en savoir plus sur le contexte d’où est
issue cette citation, nous ne saurons sans doute jamais ce qu’a vraiment voulu dire Démocrite
(Bodson 1996), hormis peut-être le fait que c’est des animaux que l’homme a appris par
imitation les techniques. C’est en tout cas l’argument dont entend visiblement se servir
Plutarque pour défendre la « cause animale ». Mais les mêmes arguments relatifs au grand
art de certains animaux pouvaient aussi bien servir la cause inverse, ainsi qu’en témoignent
tant Philon qu’Origène. On ne saurait en effet, d’après eux, déceler dans ces conduites nul
art et en tout cas nulle pensée, mais seulement y voir une action « automatique », tetagmenôs
dit Origène (Princ., III, I, 2-3). Autrement dit, et c’est là un des arguments les plus forts des
stoïciens, si l’on peut à la rigueur dire que les animaux agissent « comme s’ils raisonnaient
», il ne faut surtout pas tenir ce comme si pour une démonstration du fait que les animaux
raisonnent, mais comme signifiant au contraire qu’ils ne raisonnent pas : ce qui est comme
si n’est absolument pas comme (Plutarque, Soll., 961 E). C’est pourquoi Philon, inaugurant
une argumentation destinée à être reprise par Descartes, souligne que le spectacle du grand
art manifesté par certains animaux devrait nous conduire à estimer qu’ils sont dénués de toute
forme d’intelligence : il n’y a là rien d’acquis ni de réfléchi, mais c’est seulement le produit
d’une nature qui agit en eux et qui les pousse à agir ainsi (Alex., § 77-96). Cela étant, le plus
remarquable, et qui montre bien que ces « faits merveilleux » pouvaient être mobilisés au
service de n’importe quelle argumentation, est que le même Philon n’hésite pas à se servir
de ces exemples quand il s’agit de magnifier la Création et la Providence divine : « L’abeille
elle-même est douée de sagesse et la fourmi de prévoyance » (Prov., I, 25), tout en continuant
d’affirmer, toujours dans la même perspective, qu’« il convient de célébrer le monde lui-même,
non de prêter attention à ce qu’il y a de vil sur terre, comme les scarabées, les fourmis, les
puces, et cætera » (Prov., II, 40). Voilà donc exprimé à nouveau le reproche d’impiété adressé
à ceux qui s’intéressent de trop près aux animaux.
18 Venons-en maintenant à l’usage du «  cinquième indémontrable  » par le chien. Chrysippe
soutenait, en effet, que lorsqu’un chien poursuit un animal et que la piste suivie débouche sur
trois chemins, alors, après avoir reniflé les deux premiers chemins, le chien choisit le troisième
sans le renifler, faisant ainsi usage du cinquième indémontrable, soit d’un raisonnement de la
forme « si… alors » 4. Chrysippe n’entendait évidemment pas affirmer que le chien raisonne ;
il voulait seulement rappeler que la logique est universelle et qu’on n’échappe pas à sa
force contraignante. Cela étant, on comprend aisément que les contradicteurs des stoïciens
et défenseurs de la « cause animale » se soient efforcés de retourner l’argument contre son
auteur. Inversement, on n’a aucune peine à admettre que Philon puisse avoir été gêné par ce
propos de Chrysippe puisqu’il pouvait être interprété comme prouvant que les animaux ne
sont pas totalement dénués de raison, ce qui explique qu’il l’ait rejeté (Alex., § 84). Nous avons
donc là un bon exemple d’argument à double tranchant : on peut l’avancer afin d’affirmer
l’universalité de la logique, car faire usage (khrêsis) du cinquième indémontrable n’implique

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nullement le fait d’en avoir une conscience réfléchie (parakolouthêsis), mais on peut tout
aussi bien l’utiliser afin de chercher à enfermer les stoïciens dans leur propre piège, ce qui
revient à critiquer leur doctrine de la Providence puisque c’est la Providence qui a distingué
les animaux des humains en réservant à ces derniers l’intelligence ou conscience réfléchie des
représentations, bref la pensée par inférence (Epictète, Ent., I, 6). Où l’on voit donc comment,
au nom de ce que l’on entendait par la Providence, un argument devenu académique fut pour
cette raison même incompris au point d’être rejeté par celui qui aurait pu s’en servir tandis qu’il
fut détourné par ceux qui l’utilisèrent afin de prouver que les animaux possèdent le « discours
intérieur ». Mais il est vrai qu’il y allait moins de la force de la dialectique ou de la raison des
animaux que du salut de l’âme…

Physique et apologétique
19 Pour autant que nous puissions le savoir, la question de la pensée animale a donc connu deux
grands types de traitement dans la philosophie grecque. En songeant à Aristote, qui inscrivait
ses recherches sur les animaux dans sa vaste enquête sur la nature, nous pourrions qualifier le
premier de « physique », tandis qu’en prenant en considération ce qui a trait à la doctrine de la
Providence dans le second, nous pourrions qualifier ce dernier d’« apologétique ». Qu’il y ait
une relation de proximité entre ces deux projets, c’est l’évidence, ne serait-ce que parce qu’ila
bien fallu que le premier existât pour que le second puisse voir le jour en lui empruntant nombre
de ses exemples. Bien plus, le discours d’Aristote lui-même n’est pas exempt de toute visée
morale ou apologétique. Ainsi, bien que son finalisme ou sa téléologie n’ait en règle générale
aucun caractère providentialiste, lui arrive-t-il de soutenir que la nature a créé les animaux
en vue de leur utilisation par l’homme (Pol., I, 8, 1256 b 15-22). A l’inverse, ce n’est pas
parce qu’il reconnaissait une certaine forme d’intelligence à certains animaux qu’il acceptait
pour autant l’existence d’une relation de justice entre les hommes et les animaux : il n’y a
pas de relation de justice envers les êtres inférieurs, affirmait-il, car « la justice est quelque
chose de purement humain » (EN, V, 14, 1137 a 29-30). En prenant les choses d’un peu haut,
on pourrait donc soutenir qu’entre Aristote et les stoïciens les différences sont minimes : ces
deux philosophies n’affirment-elles pas que les animaux sont privés de logos et qu’il ne saurait
s’établir de relations de justice entre hommes et animaux ? Mais cette hauteur de vue traduirait
en fait une vue bien courte manquant les différences essentielles. En effet, si les stoïciens ont
dû finir par s’intéresser, si j’ose dire, à la question de la pensée animale, c’est parce qu’ils y
ont été contraints par leurs opposants, mais, en laissant ici de côté les apports de Posidonius
à la question, sans doute n’ont-ils jamais cessé de penser que c’était là une perte de temps, un
éloignement des vraies questions, frisant l’impiété. Il leur suffisait de se servir des animaux
pour chercher à démontrer ce qu’ils avaient à démontrer, à savoir que le « premier approprié »
est la conservation de sa propre constitution et qu’il n’y a pas à instaurer une relation de justice
envers les animaux, ce dernier point impliquant qu’on peut à bon droit les manger.
20 Tel ne fut pas le cas d’Aristote, dont il n’est pas exagéré de dire qu’il aborda la question en
« scientifique », même s’il pensait aussi que l’étude des animaux pouvait révéler la perfection
de la nature, révélation susceptible de « réserver à qui les étudie de merveilleuses jouissances »
et de battre en brèche l’idée selon laquelle une telle étude serait méprisable (PA, 644 b 24
– 645 a 645 a 30). D’où cette enquête minutieuse et un luxe de détails qui peuvent paraître
anecdotiques. Le malheur aura voulu que, dès l’Antiquité, on puisse considérer les nombreux
exemples d’intelligence animale fournis par Aristote dans les livres VIII et IX de l’Histoire
des animaux comme un recueil d’anecdotes ou de « faits merveilleux » dans lequel puiser
à volonté. C’est ce qui explique l’usage singulier fait d’Aristote dans toutes les discussions
sur l’intelligence des animaux : on pouvait s’en servir, comme le fait explicitement Cicéron
dans le traité De la nature des dieux (II, 124-128), pour soutenir à la mode stoïcienne le
merveilleux agencement de la nature et l’existence des dieux, mais on pouvait aussi en appeler

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à son autorité pour chercher à contredire les stoïciens, quitte à forcer les textes ainsi qu’en
témoigne Porphyre affirmant que, selon Aristote, la différence entre le « discours extérieur »
et le « discours intérieur » n’est qu’une différence entre le plus et le moins (Abst., III, 7-1).
Or on aurait peine à trouver cet argument chez Aristote car s’il reconnaît certes que la voix
des animaux, phônê, sert à communiquer les sensations de douleur et de plaisir, voire à avertir
ses congénères d’un danger, il ne la distingue pas moins nettement du logos. Dans un cas
comme dans l’autre donc, des arguments initialement construits pour servir une enquête sur
les diverses formes d’intelligence chez les animaux deviennent des anecdotes, des historiettes,
et il n’est malheureusement pas rare qu’ils soient encore trop souvent considérés comme tels.
21 Je n’en prendrai qu’un exemple. Sans la mettre apparemment en doute, Aristote rapporte une
curieuse anecdote à propos d’un jeune chameau : manquant d’étalon, on le fit s’accoupler
avec sa mère, que l’on avait préalablement recouverte d’un voile puisque les chameaux se
refusent à de tels accouplements ; or le voile étant tombé pendant la saillie, le chameau finit
sa besogne, « mais peu après (mikron d’husteron) il mordit le chamelier à mort » (HA, IX,
47, 630 b 32 - 631 a 1). On pourrait tenir cela pour une fable plaisante et hautement édifiante,
mais si Aristote rapporte ce fait, ce n’est pas seulement pour le plaisir de la fable, c’est aussi
parce qu’il en apprend beaucoup sur les représentations du jeune chameau. En effet, si, en
nous fondant sur les théories de la connaissance et de l’action du Stagirite, nous essayons de
reconstituer la démarche aristotélicienne, nous constatons que nous avons affaire, dans le cours
de la même scène, à un processus complexe : deux souvenirs, l’un, cruel, d’un accouplement
contre nature avec sa mère, et l’autre, vengeur, du chamelier, une sensation actuelle intervenant
après un certain laps de temps, à savoir la vue du chamelier félon, et enfin une action digne
des Erinyes, la mise à mort du chamelier. Il faut alors remarquer que cette action, inexplicable
si le souvenir de cette expérience passée n’avait pas été conservé, n’est en rien la répétition
d’une action antécédente mais en est la conséquence. Aussi, quitte à tomber à mon tour dans
l’anthropomorphisme reproché parfois à Aristote, je vois mal comment ne pas comprendre
l’action de ce jeune chameau à partir de ce qu’Aristote dit de la vengeance (timôria) dans la
Rhétorique, où nous lisons que, la colère entraînant l’espoir de se venger, « une représentation
(phantasia) se forme, qui fait naître du plaisir, comme dans les rêves » (II, 2,1378 b 9-10).
Sans doute marqué par ce souvenir et désireux de se venger, ce jeune chameau a-t-il, en effet,
vu apparaître dans son âme une phantasia lui faisant vivre par avance l’action qu’il projetait
d’accomplir, et sans doute également cette phantasia lui procura-t-elle du plaisir. Si tel est
le cas (et j’avoue avoir la faiblesse de croire qu’Aristote ne pourrait à partir de ses propres
principes expliquer autrement la conduite de ce jeune chameau et que c’est bien pour cela, qui
est sous-entendu, qu’il cite cette anecdote), alors nous avons tous les éléments physiques et
mentaux nécessaires pour expliquer cette action. Restituons l’enchaînement :
22 1. des sensations en actes ;
23 2. des mouvements internes, physiologiques et psychologiques entraînés par ces sensations et
laissant des traces ;
24 3. ces traces, comme dans les rêves, donnent alors naissance à des souvenirs et à une
phantasia ;
25 4. ces mouvements s’accompagnent de plaisir, mais le plaisir dû à une phantasia de vengeance
n’est pas celui de l’action elle-même ;
26 5. un animal réglant son action sur sa phantasia en fonction de ses souvenirs. Le moins que
l’on puisse dire est donc que le tableau est assez complet.

De l’anthropomorphisme
27 On trouvera peut-être que de telles descriptions sont bien anthropomorphiques et qu’à
tout prendre la position des stoïciens, qu’on pourrait à bon droit juger trop entière, avait
au moins pour elle l’avantage d’être autrement robuste. Anthropomorphique, l’éthologie
aristotélicienne tomberait-elle sous le coup des fortes et justes critiques que Vauclair (1992 :

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Raison humaine et intelligence animale dans la philosophie grecque 12

158-170) adresse à Griffin (1984) au sujet de la notion de pensée animale (animal thinking) ?
Certes, il est vrai qu’Aristote fait un usage fort de l’analogie et que ses descriptions emploient
souvent un langage anthropomorphique, mais cet usage est réglé et l’analogie fondée en nature
afin de ne pas se réduire à une pure métaphore. De fait, Aristote ne soutient pas que certains
animaux sont comme nous doués d’art, de sagesse et d’intelligence, mais seulement qu’il existe
chez ceux-là « quelque autre faculté naturelle du même genre » (HA, VIII, 1, 588 a 29-31) leur
permettant de présenter des états d’âme correspondant à ce qui est chez nous art, sagesse et
intelligence. Or c’est cette faculté, à dessein non nommée, qu’il s’agit d’étudier, ne serait-ce
qu’au travers de ses effets, même si on peut aussi en rendre compte à l’aide d’une « psychologie
génétique » des facultés aussi dépendante de la physique que de la théorie de la connaissance
ou « philosophie de l’esprit ». De ce point de vue, Aristote ne fait nul usage du comme si, même
s’il lui arrive de s’exprimer en employant cette locution dans ses descriptions. Au demeurant,
pour lui aussi, quelque chose qui est comme si n’est pas comme précisément parce que ce n’est
que comme si. Bref, conformément à un sain aristotélisme, l’analogie implique une différence
de nature.
28 Mais il est encore une autre conséquence qu’il faut évoquer pour conclure : tout ce qu’on
accorde aux animaux, ou du moins à certains d’entre eux, est autant qu’on retire au propre de
l’homme, que ce qui leur est accordé soit leur propriété exclusive ou un attribut partagé avec
les êtres humains. De ce point de vue, il n’est pas sans intérêt de constater qu’on a pu attribuer
certaines formes d’intelligence aux animaux sans en faire pour autant des êtres rationnels.

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Notes
1Bien que je ne puisse ici m’en expliquer faute de place, je me rallie sans état d’âme au
vigoureux plaidoyer en faveur de l’authenticité de ces livres prononcé par Balme (1991).
En un mot comme en cent, seuls des préjugés de bien mauvais aloi peuvent conduire à nier
l’authenticité de ces livres.
2Il est à noter que toutes les traductions françaises, à ma connaissance, répugnent à traduire
en ces cas politikon par « politique », comme si le grec était fautif ! En tout état de cause, il
faut remarquer que dans le célèbre passage où Aristote affirme que l’homme est un animal
politique, Aristote dit aussi que l’homme l’est plus que (mallon) les autres animaux grégaires,
ce qui signifie que ces autres animaux (pas tous, il va de soi !) le sont aussi, même s’ils le
sont moins (Pol., 1253 a 7-18).
3On ne doit pas s’étonner de trouver du latin « sous la plume » de Philon : le texte grec est
perdu et il n’en reste qu’une traduction en arménien datant sans doute du vie siècle. C’est
cette traduction qu’Aucher a traduite en latin dans son édition des traductions arméniennes
de Philon (Venise, 1822).
4Cf. Sextus, H.P. (I, 69-70) ; Plutarque, Soll. (969A-B) ; Philon, Alex. (§ 45 et 84) ; Porphyre,
Abst. (III, 6, 3-4).

Pour citer cet article


Référence électronique
Jean-Louis Labarrière, « Raison humaine et intelligence animale dans la philosophie grecque »,
 Terrain [En ligne], 34 | 2000, mis en ligne le 09 mars 2007. URL : http://terrain.revues.org/
index996.html

Labarrière J.-L., 2000, «  Raison humaine et intelligence animale dans la philosophie


grecque », Terrain, n° 34, pp. 107-122.

À propos de l'auteur
Jean-Louis Labarrière
CNRS, Centre Louis Gernet, Paris

Droits d'auteur
Propriété intellectuelle

Résumé / Abstract

 
Le problème de la pensée animale a été abordé selon deux biais principaux par les philosophes
grecs. Certains ont cherché à repérer et à définir les différentes formes d’intelligence animale
et les facultés que ces dernières impliquaient alors. Telle semble avoir été l’approche
d’Aristote. D’autres philosophes ont considéré la question comme relevant principalement de
la philosophie morale : quelle doit être l’attitude du sage s’il entend honorer les dieux ? Soit
les dieux n’ont pas accordé la raison aux animaux, et il n’existe aucune relation de justice
entre eux et nous, ce qui entraîne que nous pouvons les manger à bon droit. Soit les dieux leur
ont accordé la raison, et nous devons les considérer comme nos frères, ce qui implique qu’ils
possèdent des droits et que nous avons des devoirs. Le sage devrait ainsi s’abstenir de manger
des animaux puisqu’il s’agit d’êtres rationnels. Tel est le sens des arguments que Plutarque
et Porphyre opposent aux stoïciens.

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Mots clés :  animal, philosophie, Grèce ancienne, raison, dieux

 
Human reason and animal intelligence in Greek philosophy
Ancient Greek philosophers approached the problem of animal thought in two major ways.
Some of them, like Aristotle, sought to identify and define different forms of animal
intelligence and the thus implied faculties. Others considered the question to be mainly a
matter of moral philosophy: what attitude should the wise person adopt if he wants to honor
the gods? Either the gods did not grant reason to animals (and, consequently, since the relation
with animals is not a matter of justice, we may eat them) or else they did (and, consequently,
animals are to be considered brothers, a view that endows them with rights and us with duties).
Plutarch and Porphyry argued against the Stoics that the wise person should abstain from
eating animals since they are rational beings.
Keywords :  animals, philosophy, Ancient Greece, reason, gods
Index géographique : Grèce
Index thématique : animal (monde)
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Terrain, 34 | 2000

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