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INSTITUT SUPERIEUR DE REEDUCATION PSYCHOMOTRICE

Danser en Psychiatrie adulte,

ou comment Etre en Corps?

Mémoire présenté par Tiphanie VENNAT

En vue de l’obtention du Diplôme


Diplôme d’Etat de Psychomotricien

Référent de mémoire : Sylvie AUDIN Juin 2009


« La danse est un jet de vie pour sortir de l'ornière. »

Daniel Sibony.
REMERCIEMENTS

Je souhaiterais remercier :

Sylvie Audin, pour ses bons conseils, ses encouragements et sa confiance.

Jocelyne Vaysse, d’avoir pris le temps de me guider, avec gentillesse, exigence et justesse.

Caroline et Sylvie, qui pour des raisons personnelles ont souhaité que je respecte leur
anonymat, pour leur professionnalisme et leur humanité.

Les patients adultes, que j’ai accompagnés et qui m’ont fait naître psychomotricienne. Pour
m’avoir éveillée à une autre forme de normalité.

Mes enseignants, ces psychomotriciens ayant su faire naître et grandir en moi le goût du
métier, m’accompagnant dans les questionnements, les difficultés et les exaltations. Tous
ceux ayant magnifié notre nature humaine et façonné mon identité de psychomotricienne.

Mes parents, grâce auxquels j’ai pu vivre cette formation et me réaliser.

Ma sœur, pour tout ce qu’elle est.

Enfin pour tous ceux dont j’ai ici croisé la route, sur mon chemin de traverse. Ceux qui ont
pris la main que je leur tendais, à la force de leur amitié.
TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION…………………………………………………………………………….….1

THEORIE

1 LA DANSE : DE L’UNIVERSEL A L’INDIVIDU…………………………….………..3

1.1 DANSE ET UNIVERSALITE………………………………….……………….….3


1.1.1 Historique de la danse………………………………………...…………….....3
1.1.2 Conceptions de la danse……………………………………..………….…......5
1.1.2.1 Introduction à la danse par Benoît Lesage……………..………….….….6
1.1.2.2 La danse témoignée par les danseurs…………………..……………........7
1.1.2.3 La danse selon Rudolph Von Laban………………….………….…….....9

1.2 LA DANSE AU CŒUR DE L’INDIVIDU ET DE SES SPECIFICITES…..…9


1.2.1 Danse et normalité……………………………………………………....….....9
1.2.2 Danse : différence, transgression et pathologie……….…………………......10
1.2.3 Danse et thérapie…………………………………….…………….…….…...11
1.2.4 Danse et psychomotricité………………………….……………….…….......12
1.2.4.1 La danse comme articulation entre le corps et l’esprit………….…........12
1.2.4.2 La danse et son rapport à la psychomotricité……………….….……….13
1.2.4.3 La danse comme « médiation psychomotrice »………………..…….....13

2 LA SCHIZOPHRENIE : PSYCHOSE AUX CARACTERISTIQUES


PSYCHOCORPORELLES……………………………………………………..…...…..14

2.1 QU’EST-CE QUE LA PSYCHOSE ?.................................................................... 14


2.1.1 Historique…………………………………………………………..…...……14
2.1.2 Définition……………………………………………………………….....…15
2.2 LA SCHIZOPHRENIE……………………………………………………...….…16
2.2.1 Définition……………………………………………………….…….…..….16
2.2.2 Symptomatologie……………………………………….…………….…..….17
2.2.2.1 Le syndrome dissociatif……………………………………..…….….…17
2.2.2.2 L’autisme secondaire………………………………………..…….….…18
2.2.2.3 Le syndrome délirant…………………………………………..….….…18
2.2.2.4 Les troubles du comportement……………………….…………..….….19
2.2.3 Etiologie et modèles explicatifs……………………………..…………….…19
2.2.3.1 Perspective de l’organogenèse………………………………………..…20
2.2.3.2 Perspective de la psychogenèse…………………………………….…...20
2.2.4 Prise en charge…………………………………………………………….....21

2.3 L’ADULTE SCHIZOPHRENE ET SON RAPPORT AU CORPS……….….22

3 INTERET DE LA DANSE COMME MEDIATION PSYCHOMOTRICE DANS LA


PRISE EN CHARGE D’ADULTES SCHIZOPHRENES……………….………….23

3.1 SEMIOLOGIE PSYCHOMOTRICE DE L’ADULTE


SCHIZOPHRENE……………………………………………..…………….…….23

3.1.1 Le tonus chez l’adulte schizophrène……………………………….…….…..23


3.1.2 La posture chez l’adulte schizophrène……………………….………….…...24
3.1.3 La motricité chez l’adulte schizophrène (présentant un épisode aigu
particulièrement grave)…………………………………………………..…..24
3.1.4 Le schéma corporel et l’image du corps chez l’adulte schizophrène…….….25
3.1.5 L’espace-temps chez l’adulte schizophrène………………………….……...25

3.2 LECTURE PSYCHOMOTRICE DE LA DANSE…………….……….………..26

3.2.1 La danse, manifestation du tonus…………………………………………….26


3.2.2 La danse, expérience sensible du schéma corporel et de l’image du corps.....26
3.2.3 La danse, art de l’espace et du temps………………………...………………27
3.2.4 La danse, ouverture à la relation……………………………..………………29

3.3 COMMENT LA DANSE LES AIDE-T-ILS A SE VIVRE COMME « ETRES


PSYCHOMOTEURS » ?......................................................................................... 29

CLINIQUE

1 PRESENTATION DU STAGE..............................................................................................35

1.1 LIEU DE STAGE……………………………………………………………...35


1.2 POPULATON………………………………………………………..……...…35
1.3 EQUIPE PLURIDISCIPLINAIRE…………………….…………………….36
1.4 PROJET INSTITUTIONNEL…………………………….………………….36

2 ATELIER PSYCHOMOTEUR A MEDIATION DANSE : « CORPS, MOUVEMENT ET


EXPRESSION »…………………………………………………………………….……….37

2.1 CONCEPTION DE L’ATELIER……………………………………….…….37


2.2 PRESENTATION DU PROJET…………………………………….…….….38
2.2.1 Cadre…………………………………………………………….……….38
2.2.2 Déroulement d’une séance……………………………………….………38
2.2.3 Objectif………………………….…………………………….………….39
2.2.4 Contenu…………………………………………………….…………….39

3 ETUDES CLINIQUES………………………………….…………………………………..40

3.1 CAS DE DENIS………………………………………………………...………40


3.1.1 Contexte familial et conditions de vie………………………………...….40
3.1.2 Histoire de la maladie………………………………………………...…..40
3.1.3 Evolution……………………………………………….………….…..…41
3.1.4 Evaluations psychomotrices……………………………………….…..…41
3.1.4.1 Bilan d’observation………………………………………………..….41
3.1.4.2 Bilan psychomoteur…………………………………………….……..43
3.1.5 Déroulement de la prise en charge……………………………………….45
3.1.5.1 « De la dépouille de nos bois, l’automne avait jonché la
terre…»…………………………………………………………….….45
3.1.5.2 « Sous le soleil blanc des matins d’hiver, donner son
poids…»………………………………………………………….…...45
3.1.5.3 « Au printemps d’éclore les forces brisées… »……………………….46
3.1.6 Conclusion de la prise en charge………………………………………....47

3.2 CAS DE LOUIS………………………………………………………………...48

3.2.1 Contexte familial et conditions de vie…………………………………....48


3.2.2 Histoire de la maladie………………………………………………….....49
3.2.3 Evolution………………………………………………………………....49
3.2.4 Bilans et évaluation psychomotrice……………………………………....50
3.2.4.1 Bilan infirmier……………………………………………………...…50
3.2.4.2 Bilan psychologique………………………………………………..…50
3.2.4.3 Bilan psychomoteur…………………………………………………...50
3.2.5 Déroulement de la prise en charge……………………………………….52
3.2.5.1 « De la dépouille de nos bois, l’automne avait jonché la
terre… »…………………………………………………………….... 52
3.2.5.2 « Sous le soleil blanc des matins d’hiver, donner son
poids… »……………………………………………………………...52
3.2.5.3 « Au printemps d’éclore les forces brisées… »…………………….....53
3.2.6 Conclusion de la prise en charge………………………………………....53
DISCUSSION

1 REFLEXION THEORICO-CLINIQUE…………………………………………..……54

1.1 L’APPORT DE LA DANSE AU PSYCHOMOTRICIEN / L’APPORT DE LA


DANSE AU PATIENT……………………………………………………………54

1.2 FAUT-IL ETRE NECESSAIREMENT DANSEUR ?.........................................57

1.3 QU’EST-CE QUI EST THERAPEUTIQUE ?.....................................................58

1.4 L’IMPROVISATION DANSEE ET SA DIMENSION


THERAPEUTIQUE………………………………………………………………59

1.5 L’EXPERIENCE DU GROUPE : LE MEME ET L’AUTRE……………........61

1.6 LIMITES DE LA DANSE COMME MEDIATION PSYCHOMOTRICE


AUPRES D’ADULTES SCHIZOPHRENES…………………………………....63

2 VECU EXISTENTIEL………………………………………………………………..…66

2.1 PORTER UN REGARD NEUF SUR CE QUE L’ON CROIT


CONNAITRE……………………………………………………….………..……66

2.2 S’ADAPTER A L’AUTRE………………………………………….………….....66

2.3 TROUVER SA PLACE……………………………………………………...……67

2.4 EN QUETE D’UTILITE, CEDER A L’AGIR…………………………………..69

2.5 APPRENDRE A TRAVAILLER « AVEC » L’EQUIPE « POUR » LE


PATIENT…………………………………………………………………………..70
2.6 COMMENT ETRE « SOIGNANT » ?..................................................................72

2.7 LA PROBLEMATIQUE DU PASSAGE…………………………………...……75

CONCLUSION……………………………………………………………………………...…..77

BIBLIOGRAPHIE

ANNEXES
INTRODUCTION

Ce mémoire naît de vingt années de vie dansée, mais aussi de nombreuses réflexions et
expériences ayant jalonné ma formation psychomotrice. Il s’inscrit donc dans un itinéraire de
vie singulier, soucieux de concilier une passion pour la danse et l’intérêt porté à l’autre dans
une perspective thérapeutique.

La danse est pour la danseuse que je suis un temps fort, suspendu entre deux lassitudes. C’est
de l’électricité non statique, une palpitation. C’est un abandon, un précipice, un lâcher prise.
C’est un espace de liberté, pour s’extraire au sol mouvant de nos idées noires. C’est un pluriel,
par, avec et pour l’autre. C’est un nouveau cordon ombilical, une dépendance. C’est le
zygomatique de mon corps tout entier.

Parce qu’elle me touche, parce qu’elle me parle, parce qu’elle m’aide, parce que je l’aime, je
choisis d’en débattre.

Je souhaite ici porter un nouveau regard sur la danse, manifester non la danseuse que je suis
mais la psychomotricienne que je deviens. L’envisager autrement, au-delà même d’un vécu de
danseuse subjectif, loin des conventions performatives et esthétiques, mais à travers ses
ambitions thérapeutiques. Une danse qui s’affirme dans le consentement de toutes les formes
de danse où, en deçà d’une technique, seule l’impérativité d’un corps senti peut contraindre le
mouvement. Une danse improvisée, libératrice et socialisante, pour une certaine vacuité de
l’existence.

Afin de concrétiser cette conception de la danse comme médiation psychomotrice, j’ai choisi
de réaliser mon stage long de troisième année en psychiatrie adulte au sein d’un hôpital de
jour. Je présenterai donc ce mémoire dans un contexte particulier de prise en charge
psychomotrice auprès d’adultes schizophrènes, à travers un groupe thérapeutique où la danse
est « Corps, Mouvement et Expression ».

~1~
Pourquoi et comment la Danse peut-elle s’inscrire dans une perspective psychomotrice,
comme médiation à visée thérapeutique auprès d’adultes schizophrènes?

Afin de répondre à cette problématique, j’aborderai tout d’abord les aspects théoriques de ce
questionnement.

J’y présenterai les caractéristiques de la danse, en ce qu’elle touche à l’universel et à


l’individu, à travers sa constitution historique, ses différentes conceptions, mais aussi son
rapport à l’homme et ses spécificités.

Puis je développerai une réflexion sur la schizophrénie, dans ce qu’elle engage à la fois du
corps et de la psyché, au travers de ses manifestations cliniques, ses étiologies et modalités de
prise en charge.

Je préciserai ensuite l’apport de la danse comme médiation psychomotrice dans la prise en


charge d’adultes schizophrènes.

Dans un développement clinique, je présenterai le lieu de stage, l’atelier « Corps, Mouvement


et Expression », mais aussi mon expérience auprès de deux patients au sein de ce groupe
thérapeutique.

Enfin dans une dernière partie, je questionnerai cette étude théorico-clinique en discutant les
fondamentaux de la prise en charge, puis évoquerai un vécu existentiel, les réflexions qu’a fait
naître en moi cette expérience de stage et d’élaboration de mémoire.

~2~
THEORIE

1 LA DANSE : DE L’UNIVERSEL A L’INDIVIDU

1.1 DANSE ET UNIVERSALITE

« La danse est une technique du corps universelle » (Schott-Billmann F., 2001).

Alors la danse se fait discours, le corps se fait langage, un langage universel, compris de tous.
Cette fois-ci, la langue n’est plus une barrière à la communication, au contraire, elle est le lien
qui unit tous les danseurs de la planète en une grande famille. Une langue qui n’a pas besoin
d’être sous-titrée ou sur-titrée pour être comprise. Ainsi, celui qui danse n’est pas enfermé
dans son groupe, dans son pays, mais est un maillon d’une même famille, qui, par-delà les
espaces, se parle et se comprend grâce à la même expression : le corps.

Le premier à rendre universelle la notion de techniques du corps en l’étendant à notre propre


culture a été Marcel Mauss en 1934. Ces dernières correspondent à un stock fini de formes
basiques ou iconiques ayant un sens universel.

1.1.1 HISTORIQUE DE LA DANSE

Il est impossible de préciser à quelle époque l'être humain a commencé à danser, mais compte
tenu du caractère spontané du mouvement expressif, de l'universalité de la danse et de ses
liens intimes avec les autres aspects de toute culture, il est probable que son développement
ait suivi l'évolution de l'espèce humaine. Selon Paul Bourcier (1999), historien de la danse, le
premier danseur aurait 14000 ans. Ses danses évoluent et sont fonction de sa culture, de sa
civilisation, des aspirations sociales, religieuses et philosophiques.

Les danses sacrées sont les premières dont nous ayons trace. Certains auteurs avancent que
n'ayant pas de logique scientifique, les hommes du paléolithique confrontés à l'observation
des phénomènes naturels qu’ils ne maîtrisaient pas, utilisaient alors la danse comme moyen

~3~
d'attirer l'attention des dieux sur les hommes. Comme une convocation mystique pour aider à
la condition humaine.

Beaucoup plus tard le ballet classique s’impose en héritage de la Renaissance italienne, et


vectorise une certaine forme d’élitisme, un académisme et une esthétique du mouvement
dansé, toujours perfectible. La danse figure alors dans d'opulents spectacles faisant la
démonstration des richesses princières. Les rois bénéficient alors de l’enseignement d’un
Maître à Danser, qui modèle en eux les attitudes et gestes de la Cour, et leur compose des
chorégraphies. Il est chargé de rendre acceptables à la Cour les danses communes reçues du
passé et d’en composer de nouvelles selon la perfection de l’Art. Pierre Beauchamp, Maître à
Danser de Louis XIV, a décrit et écrit à la demande de ce dernier tous les pas classiques. La
complexification de la danse classique légitime la création d’écoles de danse pour former les
interprètes et créer une nouvelle profession. Cette codification des pas et des gestes du ballet
classique permet leur transmission et leur préservation.

Au 19ème siècle, et dans la continuité de la Renaissance, la beauté du ballet classique propose


une diversion aux dures réalités quotidiennes. Mais c’est aussi l’avènement de la danse à
caractère théâtral, dont l’évolution historique varie selon les sociétés car requérant une
certaine prospérité économique et une fondation urbaine assez avancée afin d’accompagner
les réjouissances publiques. Cette danse ouvre ensuite la voie aux danses de société, véritables
danses récréatives et participatives qui fédèrent les hommes dans une mouvance commune.

Le 20ème siècle, marqué par de grands bouleversements sociaux, devient l’aire du


Modernisme. Il rejette le puritanisme de l'époque victorienne et met l'accent sur la liberté,
l'individu et le progrès. Cette nouvelle conception de la danse s’illustre à travers les
interprètes d'avant-garde, cherchant à mettre en forme un mouvement plus pur, plus viscéral,
puisant leur inspiration dans des formes plus anciennes.

Dans les années 1960, une révolution « post-moderne » donne naissance à la danse
contemporaine. L’émergence de cette nouvelle danse est avant tout une conquête du geste, qui
s’affranchit des formes à priori qui s’imposaient à lui dans le ballet classique. La danse
contemporaine ne se revendique d’aucune filiation en particulier, mais emprunte à l’ensemble

~4~
des courants modernes ou classiques des techniques qu’elle actualise ou détourne, métisse
d’expression théâtrale, littéraire ou plastique. L’improvisation apparaît alors centrale pour
penser le geste dansé dans la mesure où celui-ci, dans sa liberté, ne semble plus devoir
emprunter à un quelconque modèle mais procéder de soi.

Aujourd’hui la danse donne à voir une diversité, dans ses formes tribales, de société,
classiques, jazz, modernes et contemporaines, faisant trace de sa longue histoire.

1.1.2 CONCEPTIONS DE LA DANSE

Comme nous venons de le voir, la danse est considérée depuis l’Antiquité comme « symbole
de l’acte de vivre ». Elle s’est enracinée dans toutes les expériences vitales des sociétés ou des
individus. Elle n’est pas seulement une virtuosité technique, mais aussi un moyen
d’expression dramatique et de communication.

Afin de saisir ce qu’est la danse, éclairons d’abord ce qu’elle n’est pas.

Selon les auteurs de l’ouvrage « Corps et Psychiatrie » (2004, p.194), la danse diffère du
mime dans le sens où le mime se compose de mouvements représentatifs d’une réalité déjà
existante ou de son concept. Le geste du mime est descriptif, alors que celui du danseur est
projectif. Il induit une expérience non conceptualisable, non réductible par la parole. La même
différence existe entre le mime et la danse, qu’entre le concept et le mythe qui dépasse ce qui
est pour suggérer un possible. La danse ne raconte pas une histoire, elle est comme le mythe,
un indicatif de transcendance.

De même, la danse diffère de l’expression corporelle. Elle est plus encore. L’expression
corporelle correspond à l’évolution dans différents domaines du concept même du corps. De
corps instrument il devient corps vivant ayant son propre signifiant. Cette conception nouvelle
s’oppose à toute idée de technique, de codification normative. Précisément, l’expression
corporelle se définit comme « le moyen de jouissance, de libération cathartique indicible,
échappant à toute expression verbale » (Choque J., 2007). Elle est en fait le prélude à la danse.

~5~
La danse n’est pas véritablement un sport. Le terme « sport » dérive du mot « desport » qui
signifiait en vieux français «divertissement, plaisir physique ou de l’esprit ». Depuis lors
(1838), le sport désigne exclusivement l’activité physique. La danse dans une considération
sportive, serait une activité physique requérant un entraînement rigoureux, une maîtrise du
mouvement et des émotions laissant peu de place à l’expressivité, ainsi qu’un engagement
dans la compétition où se jouent les démonstrations de force.
Seule fait exception la « danse sportive », danse en couple portée au regard de l’autre à
l’occasion de nombreuses compétitions et exhibitions.

La danse, si tant est qu’elle puisse être véritablement définie, est particulièrement difficile à
présenter. En raison de son caractère subjectif, il existe souvent autant de définitions que
d’auteurs.

Il ne s’agit donc pas ici de présenter la danse de façon exhaustive, mais d’en donner les
grandes caractéristiques afin d’aider à la compréhension de ce qui va suivre.

1.1.2.1 Une introduction à la danse d’aprés Benoît Lesage

J’introduis ici quelques points signifiants développés par Benoît Lesage, médecin et danse-
thérapeute, dans son ouvrage « La danse dans le processus thérapeutique » (2006).

Danser, c’est avant tout bouger, se mouvoir. Mais on peut aussi entrevoir la danse dans
l’immobilité, si cette dernière est pleine, habitée et habitante. Ceci concerne donc à priori le
corps, ce qui laisse à penser en fonction du rapport singulier que nous entretenons avec notre
corps.

Danser, c’est aussi mettre en œuvre le mouvement en dehors d’une finalité instrumentale.
C’est lorsque le mouvement échappe à l’instrumentation, s’ouvre à une autre dimension, que
l’on peut véritablement parler de danse. Le but du geste n’en est plus que le prétexte, l’intérêt
et la conscience sont ailleurs, dans le geste lui-même.

Danser, c’est aussi mettre en forme le corps, tracer des formes motrices.

~6~
Danser, c’est encore mettre en jeu le geste dans ses qualités spécifiques que l’on spécifie
classiquement au travers de trois paramètres : l’espace, le temps et l’énergie (Dalcroze). Ce
qui est spécifique à la danse, c’est encore une fois le rapport non instrumental à ces trois
composantes.

Enfin danser, c’est explorer notre propre subjectivité, mais aussi expériencer
l’intersubjectivité (danse collective).

1.1.2.2 La danse témoignée par les danseurs

Qui peut mieux parler de la danse que le danseur lui-même ? J’introduis ici le concept de
danse au travers de témoignages de nombreux danseurs et chorégraphes relatés dans l’ouvrage
collectif « Les cris du corps » (Zana P. & Omori Y., 2004).

Pour commencer, citons Ushio Amagatsu, danseur et chorégraphe japonais : « Concernant le


mot « danse », d’après ce que j’ai cherché et entendu, l’étymologie du mot danse serait
« danse », et auparavant « deizen » et à l’origine « tension », je pense donc qu’on peut
traduire le mot « danse » par « tension » ».

Au sens premier du terme, la danse est donc une tension, une force vive qui prend naissance
dans le corps, un facteur de motricité. Cette conception réfère à la mécanique du geste, aux
changements de l’état tonique du corps en mouvement.

Mais le danseur David Earle précise que « la danse, c’est bien plus que le mouvement des
muscles. C’est une façon pour chacun de nous d’être brave et de permettre à nos parties
muettes de s’exprimer ». Cette réflexion souligne la valeur expressive de la danse. Cette
dernière est alors envisagée comme le moyen de faire émerger quelque chose de nous même,
auparavant forclos.

De nombreux danseurs considèrent la danse comme l’expression de notre intériorité. Marie


Wigman, chorégraphe allemande de l’après-guerre, affirme ainsi que « la danse met le
danseur à nu et révèle son être intime ». Danser, c’est parler de soi, avec vérité. C’est être nu,
avec ses faiblesses, ses forces. Exposer ses profondeurs. Isadora Duncan, danseuse américaine
à l’origine de la « danse libre », parlait d’ « effort pour exprimer en gestes et en mouvements

~7~
la vérité de l’être ». Merleau Ponty disait d’ailleurs du corps dansant qu’il était un corps
pensant, issu de l’expérience intérieure.

La danse est donc l’expression d’une intériorité. Précisément, elle révèle les émotions, les
sentiments, les états d’âmes, etc. Isadora Duncan dit d’elle qu’elle « exprime les émotions et
les sentiments de l’humanité ». La danse est donc un lieu à partir duquel le danseur trouve
l’occasion sensible de se poser comme « être éprouvant et communiquant », comme sujet
pensant sa relation au monde (Commeignes D., 2005). Par elle il signifie les émotions qu’il ne
parvient pas toujours à mettre en mots. Nicolas Leriche, danseur français de l’Opéra de Paris,
dit de la danse qu’elle est « un langage indirect qui conduit directement à l’émotion ». Marie
Wigman résume alors la dimension expressive et émotionnelle de la danse en
disant : « lorsque l’émotion de l’homme dansant libère le désir de rendre lisibles des images
encore invisibles, c’est par le mouvement du corps que ces images manifestent leur première
forme d’expression ».

Mais la danse est aussi souvent associée à l’expérience de la souffrance. Carolyn Carlson,
danseuse américaine, disait de la danse qu’ « elle vous déchire en plaies silencieuses qui ne se
ferment pas ». De nombreux danseurs évoquent les forces fêlées, le dépassement, la résistance
au cœur des fragilités, les plaies, l’endurance, l’infini désir de poursuivre. Pour beaucoup,
danser, c’est « apprendre la douleur, l’usure progressive, le corps comme porte-manteau de
fer qui érafle les angles morts » (Queffélec L., 2004). La danse est un art courageux. Elle met
à l’épreuve l’existence du danseur. Même si cette douleur reste bien souvent sous son
contrôle, « elle est un corps à corps personnel, intime avec la suffocation, la nausée, la tension
des muscles » (Lebreton D., 2006). Maurice Béjart disait de la souffrance du corps dansant :
« Détruire mon corps, le reconstruire… Travailler, transpirer, ne pas penser. Ne rien espérer,
devenir une pierre, une barre de bois, un verre d’eau, un miroir, un peu de crasse, se souvenir
avec le ventre, avec les cuisses, compter avec les articulations, prier avec les coudes, mourir.
Etre ! ».

Enfin Marie-Claude Pietragalla disait repousser toujours plus loin les limites de son propre
corps, dans un défi quotidien. Happée par la danse, elle en oubliait la souffrance, un instant, et
les limites qu’elle croyait connaître volaient en éclats.

La danse est alors aussi transcendance. Elle appelle au dépassement de soi. « Quand tu
danses… tu sors de toi-même, tu deviens plus grand et plus puissant, plus beau. Pendant

~8~
quelques minutes tu es héroïque. C’est la puissance. C’est la gloire sur terre. Et cela
t’appartient, chaque soir » (Agnès de Mille).

1.1.2.3 La danse selon Rudolph Von Laban

La danse correspond à une certaine forme de maîtrise du mouvement. Rudolph Von Laban
(1994, p.108-118) conceptualisa les lois du corps régissant le mouvement dansé. Selon lui, la
danse s’étaie sur quatre « Effort Shape », quatre dimensions du mouvement : l’espace, le
temps, le poids et le flux. L’espace est un élément fondamental de la danse. Il est un lieu dans
lequel elle s’investit et se déploie. Le temps donne à la danse sa durée, son rythme, sa vitesse,
mais aussi toutes les dispositions émotionnelles qu’on peut lui associer (ex. le doux, la
sérénité, l’urgence, le soudain, le nerveux, etc.). La notion de poids en danse, fait référence à
un éprouvé, une réponse subjective à cette loi de la pesanteur qui nous travaille et nous
organise depuis notre naissance. Enfin le concept de flux, qui renvoie à une notion
d’écoulement, explicite l’intuition d’une quantité de mouvement et surtout la façon dont il
« traverse » le corps.

1.2 LA DANSE AU CŒUR DE L’INDIVIDU ET DE SES SPECIFICITES

1.2.1 DANSE ET NORMALITE

L’enfant au cours de son développement, fait l’expérience de mouvements qui ne sont au


départ pas porteurs d’un message pour l’extérieur, mais correspondant à une recherche active
de sensations internes, de plaisir et de découverte de son corps. Ces mouvements, apparentés à
des mouvements dansés, peuvent être induits par des rythmes extérieurs (musique) ou internes
(rythmes cardiaques, digestifs, respiratoires, etc.). A mesure de son développement, l’enfant
perfectionne la maîtrise de son corps au travers de multiples habiletés psychomotrices :
balancements, régulation motrice, coordination/dissociation, extériorisation de contenus
psychiques à valence émotionnelle, reproduction de rythmes, etc. Il se prépare à naître
« danseur ».

~9~
Laurence Vaivre-Douret, docteur en psychologie du développement, précise que l’enfant
commence à danser à la demande, en se dandinant et en tournant, vers l’âge de 23 mois.
La danse fait donc partie intégrante de la vie de l’homme, et ce depuis les premières phases de
son développement. Daniel Sibony (1995) dira à ce sujet : « J’ai vu à tout âge des enfants
danser, tantôt pour la parade, tantôt pour le vertige et l’excès ».

1.2.2 DANSE : DIFFERENCE, TRANSGRESSION ET PATHOLOGIE

Historiquement, la danse a souvent été associée à la transgression, qu’elle soit morale ou


sexuelle. Une façon de contrecarrer les exigences normatives d’une société de masse appelant
au conformisme citoyen.

Parfois dans la danse, le corps se dépasse, performe presque au-delà du registre humain : le
corps possédé dans l’état de transe, ou encore la danse butô ou « danse des ténèbres », qui
manifeste parfois violemment le passage de la Mort à la Vie (notion de re-naissance) par une
lenteur extrême des mouvements, des vibrations internes, des crispations organiques, un
épurement profond de la Forme, pour accéder à l’être profond (« c’est frapper ou griffer le sol
du pied pour en faire jaillir les esprits, grande enfouisseur de nos ancêtres »). Biétrix Schenk,
chorégraphe et danseuse butô, disait d’elle : « Ecoute de la peau, écoute des os, notre part
d’ombre, regarder, fragilité, être à l’intérieur de cette zone fragile, ça se dérobe, ça se brise,
j’utilise ces brisures, ces tremblements, ces interstices, c’est là qu’est la matière éphémère
vivante. L’infinitésimal. Le plus petit geste contient tout le vécu du monde ».

Le corps dansant peut donc manifester l’état de folie, de maladie, de mort, d’extase jouissive
ou mystique. Les « Derviches tourneurs », religieux d’une communauté mystique musulmane
née au XIIème siècle, ont acquis leur notoriété grâce à la transe extatique provoquée par leur
danse sacrée tournoyante et expression d’un symbolisme cosmique et mystique. Le danseur
russe d’origine polonaise des grands Ballets Russes, Vaslav Nijinski, souffrait d’une
schizophrénie à début dysthymique et à évolution déficitaire. Sa danse, dans ses derniers
instants, était empreinte d’imaginaire morbide et témoignait dans une énonciation folle de cet
état d’être au bord… du mot, du geste, du saut, de la chute, du cri du « devenir toujours
quelque chose pour ne jamais troquer la vie contre la mort ».

~ 10 ~
Daniel Sibony, à l’instar d’autres auteurs, parle de « la danse comme moyen d’émergence du
chaos » (1999, p.141), d’où l’idée que « la danse peut même soigner les fous, les extraire de la
folie qu’elle renomme ou recompose autrement » (1999, p.223).

1.2.3 DANSE ET THERAPIE

Dans les années 1940, la danse moderne est pratiquée dans certains hôpitaux aux Etats Unis et
très vite ses effets thérapeutiques sont constatés. Cette dernière assure le renforcement des
aptitudes physiques, l’intégration sensorielle, l’équilibre, la conscience du corps et la
souplesse des mouvements, l’épanouissement de soi, et canalise l’agressivité.

C’est dans ce contexte que naît la danse thérapie, conduite par des danseurs professionnels qui
fondent les premières méthodes à partir de leurs expériences personnelles, dans les années
1960.

D’après la définition de la Société Française de la danse-thérapie reprise par Jocelyne Vaysse


(2006, p.37), cette dernière « reprend une fonction universelle et traditionnellement courante
de la danse qui s’appuie sur la dynamique corporelle et symbolique de la danse, pour aider
l’Homme à intégrer harmonieusement les différents registres qui le constituent : physique,
psychique, mental et social. La danse-thérapie utilise le mouvement comme médiateur d’une
relation dont elle assure le cadre et les limites. A l’origine du travail préexiste une alliance
thérapeutique entre le soignant et le soigné où la danse fait tiers. Au centre de la pratique,
l’évolution psychique ou « mouvement interne », selon l’implication du patient, devient
lisible à travers le mouvement dansé. La danse-thérapie s’applique avec profit à toutes sortes
de pathologies psychiques, psychosomatiques, somatiques et relationnelles ».

De nombreux danse thérapeutes comme France Schott Billmann la conçoivent comme


« l’ensemble des pratiques de la danse permettant aux participants d’accéder à un ou plusieurs
des bénéfices suivant : le plaisir fonctionnel, l’amour de soi et la séparation de l’autre et la
symbolisation corporelle » (Rodriguez J. & Troll G., 2004, p. 231).

La finalité de la danse-thérapie est d’amorcer, par les processus de changement et de


créativité, des remaniements intérieurs (prise de conscience du corps par les connexions entres
sensations, affects et représentations, accès à la symbolisation, travail sur une image du corps

~ 11 ~
fragile ou morcelée, revalorisation narcissique, restructuration psychomotrice, etc.), et
l’émergence de sens à relier avec l’histoire personnelle de chacun.

1.2.4 DANSE ET PSYCHOMOTRICITE

1.2.4.1 La danse comme articulation entre le corps et l’esprit

« La danse n’est pas le sentiment de quelque chose, c’est un coup de fouet sur l’esprit et le
corps qui les engagent dans une action si intense que, pendant le court moment concerné,
l’esprit et le corps ne font qu’un » (Merce Cunningham).

La danse est donc comme un trait d’union entre le corps et l’esprit. Longtemps envisagés dans
une dichotomie cartésienne, l’être et l’avoir, la chair et l’esprit, le corps et l’âme, ont été
clivés à tort dans la considération de ce qui nous constitue.

« Mouvement de destitution et de constitution de soi, le geste dansé soulève la question


philosophique classique des rapports entre le corps et l’esprit » (Anne Boissière, 2006).

Cette conception de la danse comme faisant lien entre le corps et l’esprit, renvoie à la
dialectique « mouvement extérieur / mouvance intérieure ». Elle vectorise, met en écho le
mouvement corporel et sa réalisation psychique. Le danseur et chorégraphe allemand Rudolph
Laban, conscient de cette évidence, précise qu’à travers la danse l’expression de la
personnalité et les composantes dynamiques du mouvement s’expriment l’un à travers l’autre
et réciproquement.

Elle permet véritablement à l’esprit de s’incarner.

La danse invite chacun à une expression dansée, où le corps et l’esprit renouent un dialogue
riche en découvertes de soi. Cette expression peut naître d’improvisations où l’écoute de ce
qui vibre à l’intérieur génère un mouvement au plus proche de son ressenti.

~ 12 ~
1.2.4.2 La danse et son rapport à la psychomotricité

Afin d’introduire le lien entre la danse et la psychomotricité, je choisis de citer Rose


Gaetner (citée par Vaysse J., 2006) : « Comme toutes les techniques corporelles, la danse est
une activité psychomotrice indissociablement liée à la musique. Elle ne peut en aucun cas être
comparée à une forme d’apprentissage ou de rééducation. Il s’agit d’un traitement
thérapeutique au même titre que la relaxation ou les traitements psychothérapeutiques
d’inspiration psychanalytique. Le but de notre activité est de provoquer la naissance du
narcissisme. Cette activité s’adresse uniquement aux malades psychotiques ou névrosés
n’ayant aucune atteinte neurologique ».

Rose Gaetner, ayant démarré vers 1945 son activité dansée à caractère thérapeutique au centre
de formation de méthodes éducatives CEMEA, introduit la danse (danse folklorique, de
société et de ballet) dans l’hôpital de jour pour enfants psychotiques Santos Dumont à Paris en
1956. Psychomotricienne, elle se réfère notamment à Wallon et De Ajurriaguerra, intégrant
les notions de stade du miroir et de dialogue tonico-émotionnel.

Mais d’autres auteurs ont aussi pensé la danse à travers la psychomotricité.

Le Camus s’est notamment intéressé aux chemins par lesquels « le monde de la


psychomotricité et le monde de la danse en viennent à se rejoindre ou même à interférer » (Le
Camus J., 1984, p.149). Il conclut que la danse peut faire partie de « l’arsenal thérapeutique
du psychomotricien » (Le Camus J., 1984, p.89), et n’a pas comme objectif d’atteindre
l’efficience technique mais de solliciter la création improvisée.

La danse et la psychomotricité ont en commun le corps, corps en mouvement dans l’espace et


le temps.

1.2.4.3 La danse comme « médiation » psychomotrice

Qu’est-ce qu’une médiation ? Une médiation est par essence ce qui médiatise la relation
patient soignant, qui s’interpose pour mieux articuler, accéder à la transitionnalité et
développer l’expressivité. Il s’agit d’un « espace entre » transférentiel, où se projettent

~ 13 ~
librement les états d’être là où une relation trop directe pourrait être vécue comme
confusionnelle ou intrusive. Selon de nombreux auteurs, « toute médiation s’inscrit dans une
oscillation entre créativité et destructivité et permet au sujet d’explorer sans s’y perdre ».

Daniel Sibony dit de la danse qu’elle fait interface, comme un « arc-bouté entre soi et
l’Autre ».

2 LA SCHIZOPHRENIE : PSYCHOSE AUX CARACTERISTIQUES


PSYCHOCORPORELLES

2.1 QU’EST-CE QUE LA PSYCHOSE ?

2.1.1 HISTORIQUE

Le terme « psychose » dérive du grec « psyché » (esprit) et « osis » (condition maladive ou


anormale). Il fut employé pour la première fois par le baron autrichien Ernst von
Feuchtersleben en 1845, comme alternative aux termes de folie et manie. Mais il ne se
distingue pas alors de celui de « névrose » ou « vésanie », signifiant seulement « maladie de
l’esprit ». C’est progressivement qu’il va définir les affections mentales les plus graves,
laissant au terme « névrose » tout le domaine de celles considérées comme plus légères et
dont le patient garde conscience de leur caractère morbide. C’est d’ailleurs par rapport à la
névrose que la psychose va se caractériser, selon les oppositions sémiologiques et
psychopathologiques depuis longtemps exagérément prononcées. Afin de manifester le
caractère arbitraire de ce clivage nosographique et de le nuancer, ont été envisagées de
nouvelles entités morbides, à l’interface de ces deux structures : les « états limites ».

~ 14 ~
2.1.2 DEFINITION

Le terme « psychose » a été créé par Ernst von Feuchtersleben (1847) pour désigner l’aspect
aigu de la folie. L’usage du terme a été élargi, et s’applique aujourd’hui aux patients
présentant un délire et/ou une importante altération du sens de la réalité et de soi.

Classiquement, la psychose correspond à une structure de la personnalité caractérisée par la


perte de contact avec la réalité, l’altération du lien inter humain, une problématique des
limites (de différenciation Moi-non Moi, dedans-dehors), une angoisse de morcellement, un
sentiment de toute puissance, une ignorance totale ou partielle des troubles, un retrait du sujet
au monde, et par l’expérience caractéristique du délire.

Mais cette définition générique de la psychose, pour ne pas devenir fausse, ne peut se
satisfaire de ces généralités. Les critères nosographiques pré cités ne se manifestent pas de la
même façon selon le trouble psychotique. Cette définition doit donc être pensée, nuancée,
précisée au regard de la psychose à laquelle nous faisons référence.

Plutôt que de considérer la « psychose », il serait en effet plus juste d’envisager « les »
psychoses. Cette affection psychiatrique grave n’est en réalité pas une catégorie clinique
homogène à l’étiologie et au profil psychopathologique uniques. Elle réfère en fait à diverses
entités nosographiques, illustrant l’extrême hétérogénéité des formes cliniques psychotiques.

Le DSM IV dans sa forme révisée répertorie les psychoses sous l’acceptation « schizophrénie
et autres troubles psychotiques », et en partie dans ce qu’il qualifie de « troubles de
l’humeur ».

Sont considérés comme psychoses :


- La schizophrénie et les troubles schizophréniformes
- Le trouble bipolaire ou « psychose maniaco-dépressive »
- Les troubles délirants, anciennement « délires chroniques paranoïaques »
- Les troubles psychotiques brefs, anciennement « bouffées délirantes aigues » sans
évolution vers une pathologie chronique
- Les troubles psychotiques dus à (toxiques, affection médicale générale)
- Les troubles psychotiques non spécifiés au sein desquels s’inscrivent certaines formes
de psychose puerpérale.

~ 15 ~
Par souci de clarté et de cohérence à l’égard de ma clinique, je choisis de développer
précisément le syndrome schizophrénique, affection psychotique dont souffrent mes patients.

2.2 LA SCHIZOPHRENIE

2.2.1 DEFINITION

Il n’existe pas aujourd’hui de définition universellement admise de la schizophrénie.


Néanmoins, L’OMS reconnaît l’universalité de la schizophrénie au travers de 4 symptômes
communs à toutes les cultures : les hallucinations, le délire, le retrait social et les troubles
affectifs.
Elle existe sur tous les continents et touche environ 1% de la population mondiale.

La schizophrénie, introduite par E. Bleuler (1911), est définie par le Grand Dictionnaire de la
Psychologie (1999, p.820) comme une « psychose grave survenant chez l’adulte jeune,
habituellement chronique, cliniquement caractérisée par des signes de dissociation mentale,
de discordance affective et d’activité délirante incohérente, entraînant généralement une
rupture de contact avec le monde extérieur et un repli autistique ».

Le psychiatre Julien-Daniel Guelfi, la définit comme « psychose de l’adulte jeune,


caractérisée par un ensemble de symptômes psychiques diversement associés selon les cas et
dominés par la discordance idéo-affective, l’incohérence, l’ambivalence, l’autisme, des
hallucinations et idées délirantes mal systématisées. Les troubles évoluent le plus souvent vers
une dissociation psychique avec une profonde désorganisation, d’allure déficitaire, de la
personnalité ».

~ 16 ~
2.2.2 SYMPTOMATOLOGIE

2.2.2.1 Le syndrome dissociatif

Ce syndrome réfère à divers troubles tels que la dépersonnalisation, les troubles du cours de la
pensée, les troubles du langage, les troubles des affects et les troubles psychomoteurs
(enseignement de psychiatrie dispensé par Mr De Sainte Maréville).

Le sentiment de dépersonnalisation est un trouble subjectif de la conscience de soi. Il


correspond à la perte du sentiment d’individualité qui affecte l’intégrité somatique, psychique
et sociale. Il conduit à un sentiment d’étrangeté, de perte du caractère familier du monde
extérieur, vécu comme déréel : « Inquiétante Etrangeté » (Freud). Mais il induit également un
trouble de l’activité motrice, caractérisé par une altération du contrôle moteur, des attitudes
figées intermittentes, et de fréquentes stéréotypies gestuelles (André P. et al., 2004). Le
patient schizophrène fait l’expérience d’angoisses de morcellement, de néantisation ou
d’explosion, dans un sentiment de déréalisation.

Les troubles du cours de la pensée témoignent de la difficulté du sujet à donner sens à ses
pensées, à les coordonner et les faire saisir à l’autre. Le discours est dit « difluent », ponctué
par de nombreux changements de thèmes et sou tendu par un raisonnement logique et déductif
incohérent. Le sujet peut également manifester des persévérations verbales, un « fading
mental » (pensée en perte d’intensité), un « barrage schizophrénique » (s’arrêter net de
parler), ou une « rationalisation morbide » (explication pseudo logique). Notons néanmoins
que si ces troubles du langage concernent une majorité de sujets, de nombreux autres parlent
normalement mais avec des associations d’idées bizarres en dehors d’états de crise aigue.

Les troubles du langage peuvent se manifester par un mutisme ou semi mutisme, un


hermétisme au contact. Le langage n’ayant pas pris de valeur symbolique (pas de lien
signifiant-signifié), le sujet s’exprime souvent par des néologismes ou néolangages au travers
d’une syntaxe perturbée, et comprend souvent les mots qu’on lui adresse dans leur sens
premier (« aux pieds de la lettre »).

Les troubles des affects renvoient à l’ambivalence émotionnelle, au paradoxe de la


coexistence de sentiments contraires comme le désir et la crainte, l’amour et la haine, etc.

~ 17 ~
Nous observons souvent une « athymormie », émoussement affectif donnant le sentiment
d’une pseudo indifférence à l’autre.

Les troubles psychomoteurs désignent la discordance du corps, et réfèrent à la catatonie (perte


de l’initiative motrice), à l’imprécision du geste, aux stéréotypies, au maniérisme (adoption
caricaturale d’attitudes sociales) et paramimies (sourires immotivés).

« Le grand syndrome catatonique » est définit par l’existence d’une catalepsie (corps pris en
masse, perte d’initiative motrice, persévération d’attitudes), un négativisme psychomoteur
(refus de tout contact), et une impulsivité motrice (décharges motrices brusques, auto et hétéro
agressivité).

2.2.2.2 L’autisme secondaire

Développé par N. Anderson, le concept d’autisme schizophrénique évoque le repli sur soi et
le retrait du monde du sujet schizophrène. Bleuler l’identifie comme un « repli sur soi-même
dans un monde pour soi ». L’autisme secondaire se manifeste par une perte de contact avec la
réalité, un désintérêt pour le monde, ainsi qu’une prédominance relative ou absolue de la vie
intérieure, fantasmatique et imaginaire.

2.2.2.3 Le syndrome délirant

Le délire est la reconstruction intellectuelle morbide de la réalité, dont le patient est convaincu
et qui aliène ses attitudes et comportements.

Il se manifeste au travers de divers mécanismes. En général, il prend forme en


hallucinations psychiques (voix intérieures, « automatisme mental » de Clerambault) et/ou
sensorielles (acoustico-verbales, visuelles, tactiles, olfactives, gustatives, cénesthésiques,
cénesthopathiques, etc.), correspondant à des perceptions sans objets réels. Mais il peut s’agir
aussi d’interprétations, raisonnements faux qui ont un point de départ réel mais prennent une
signification personnelle pour le sujet. Le délire peut également procéder de l’illusion,

~ 18 ~
perception déformée d’un objet ; l’intuition, apparaissant comme une donnée immédiate, une
révélation ; et de processus imaginatifs qui le nourrissent et le subordonnent.

Selon de nombreux psychiatres, ces manifestations psychotiques ne sont pas les effets
immédiats d’une cause donnée, mais les conséquences dérivées de la lutte engagée par le Moi
contre des représentations ou affects pénibles voire insupportables. Christian Bobin, écrivain,
confirme cette idée : « La maladie n’est jamais une cause. La maladie est une réponse, une
pauvre réponse que l’on invente à une souffrance ».

2.2.2.4 Les troubles du comportement

Les troubles du comportement des sujets schizophrènes sont la conséquence du vécu morcelé,
autistique et délirant et n’ont rien de spécifique.

Il s’agit le plus souvent de conduites de retrait, d’aboulie (incapacité à décider, agir),


d’apragmatisme, de fugues impulsives et voyages pathologiques, d’auto agressivité (conduites
d’automutilation, amputation, scarification, tentative de suicide, conçues comme témoignant
d’une recherche de sens à l’intérieur du corps), et plus exceptionnellement d’hétéro
agressivité, violence, paricide.

2.2.2.5 Etiologies et modèles explicatifs

Cet exposé général sur l’étiologie des psychoses ne préjuge pas de causes uniques et plus
légitimes que d’autres, qui révèlent le plus souvent à la fois de l’organogenèse et de la
psychogenèse. Il renvoie au contraire à un ensemble d’explications possibles,
hypothétiquement avancées, sur l’origine de cette maladie. Cette dernière est donc
certainement multifactorielle. « L’association de facteurs personnels et/ou d’un contexte
familial, socio-éducatif ou traumatique défavorable, déclenchent l’expression de la maladie, à
l’issue de l’adolescence » (Vaysse J., 2006).

~ 19 ~
2.2.2.6 Perspective de l’organogenèse

Il existe des tableaux d’allure psychiatrique secondaires à de réels troubles somatiques


(atteintes endocriniennes, toxiques, etc.), et des tableaux psychiatriques qui seraient en partie
dus à une origine génétique.

2.2.2.7 Perspective de la psychogenèse

Il s’agit là d’une explication possible de la psychose au travers de théories psychanalytiques et


systémiques : « la projection délirante » de Freud, « la forclusion du nom de Père » de Lacan,
« les clivages de l’objet et du moi dans la régression à la phase schizoparanoïde » de Mélanie
Klein, la « faillite de l’environnement » de Winnicott, théorie du « double lien » de Bateson,
etc.

La « projection délirante » de Freud est un mécanisme de défense aidant à la compréhension


de la psychose. Cette dernière traduit une domination du ça, véritable pôle pulsionnel de la
personnalité, en conflit avec la réalité extérieure. La projection délirante serait comme une
forme de réparation narcissique et tentative de restauration d’une certaine réalité, de
communication avec le monde. Le délire est alors considéré comme une défense mobilisée
pour réduire le conflit entre le ça et la réalité.

La « forclusion du nom du Père » de Lacan est une théorie de l’échec de la métaphore


paternelle, à l’origine de tout processus psychotique. Elle met à jour la condition d’un père
forclos, qui n’existe pas symboliquement dans l’esprit de l’enfant, ne fait pas tiers dans la
relation dyadique « mère enfant ». Elle sous entend l’impossible triangulation Oedipienne,
nécessaire aux identifications primaires et à la manifestation de la loi du Père pour organiser
le discours. Investi d’une fonction de séparation, le Père réarticule la relation mère enfant par
le langage qui vient mettre à distance et poser du sens sur ce qui se vit. Un Père forclos est
dans l’incapacité de transmettre à l’enfant ces « points de capitonnage » (lien entre signifiant
et signifié) du discours. De nombreux symptômes, proprement psychotiques, illustrent cette
faille du système symbolique : l’altération de la parole, l’écholalie, les néologismes, les
hallucinations, etc.

~ 20 ~
La « position schizoparanoïde » de Mélanie Klein est une des deux positions qui organisent le
développement du psychisme. Elle correspond aux six premiers mois de la vie, caractérisés
par des mécanismes de défenses primaires (clivage, projection, déni). L’enfant clive alors
l’objet « sein » qu’il personnalise à travers une construction fantasmatique. Le sein qu’il
incorpore peut l’apaiser (« bon sein ») ou le persécuter (« mauvais sein »). Le sein, cet
« autre », entre en lui. Il le vit de l’intérieur. Pour Mélanie Klein, dans ce jeu perpétuel
d’introjection de bons et mauvais objets à l’intérieur du corps sous-tendu par l’agressivité et
l’angoisse inhérentes à la libido (qu’elle désigne « position schizoparanoïde »), la psychose
est la fuite vers le bon objet intérieur.

La « faillite de l’environnement » de Winnicott dénonce le désinvestissement prématuré de la


mère, ne permettant pas la substitution de bons objets et fixant l’enfant dans cette position
schizoparanoïde. Cet échec des fonctions maternelles fondamentales de « holding »,
« hangling » et « object presenting » légitime l’importance de l’objet transitionnel dans la
conquête d’indépendance du jeune enfant.

La théorie du « double lien » de Bateson centre l’étiologie de la schizophrénie sur un trouble


de la communication. La psychose serait le symptôme d’un système familial qui
dysfonctionne. Précisément, elle serait la conséquence d’une « injonction paradoxale » : la
mère émet des messages contradictoires d’importance vitale à son enfant, et que celui-ci est
dans l’impossibilité de clarifier. Ne sachant pas lequel des deux messages choisir, s’opère
l’annulation de la valeur symbolique de la communication.

2.2.3 PRISE EN CHARGE

Dans l’ensemble, les thérapeutiques modernes ont beaucoup amélioré le pronostic des
psychoses. Elles associent un traitement médicamenteux (antipsychotiques, Lithium), à une
psychothérapie individuelle ou collective aux modalités variées, des prises en charge
psychocorporelles comme la psychomotricité, voire une hospitalisation à temps complet ou
partiel comme l’hôpital de jour, l’hôpital de nuit ou le Centre d’Aide Thérapeutique à Temps
Partiel (CATTP). Le concours de la famille est toujours sollicité, là où l’émergence d’une
psychose est bien souvent la résultante de multiples causes génétiques ou acquises, en relation
avec l’entité familiale.

~ 21 ~
2.3 L’ADULTE SCHIZOPHRENE ET SON RAPPORT AU CORPS

Rappelons que le corps ne peut se réduire à une seule dynamique mécanique d’échanges
physico-chimiques : il est le lieu de cristallisation de la souffrance. « Pour le psychotique ou
le schizophrène, il peut être le lieu d’hallucination ou de morcellement, une terre d’émigration
ou un risque continuel d’implosion imminente ». (Mornet J., 2004).

D’après les auteurs de l’ouvrage « Corps et Psychiatrie » (2004, p 129-130), le patient


schizophrène vit son corps de façon morcelée. Cette segmentarisation rend compte des
différents aspects de la discordance. Elle s’exprime au travers d’une gestualité souvent
maniérée et hermétique, une grande désorganisation praxique, un éclatement de l’acte moteur,
et des dysharmonies toniques renforçant l’impression d’étrangeté. Les patients évoquent
fréquemment cette fragmentation du corps, dans laquelle chaque partie du corps semble vécue
indépendamment des autres.

A ce vécu du corps morcelé s’accompagne un sentiment de perte d’intégrité corporelle. Le


sujet schizophrène ne parvient pas à saisir l’unité de son corps. Les limites de ce dernier sont
floues, les perceptions sensorielles sont énigmatiques, renforçant le caractère discontinu de
l’enveloppe corporelle. Le corps est vécu avec le sentiment d’un éclatement intérieur
imminent.

Par ailleurs, de nombreux auteurs s’accordent à penser l’existence d’une chosification du


corps du schizophrène. Ce dernier en ferait une utilisation fonctionnelle, ne parvenant pas à
l’investir d’affects et d’imaginaire. Dans ce rapport au corps instrumentalisé, « telle partie
n’évoque pas tant une possibilité qu’un acte : les jambes servent à marcher, les mains à saisir,
les bras à lancer, etc. » (André P. et al., 2004).

Enfin, si le corps ne parvient pas à donner un sens à l’existence, le schizophrène sollicite son
entourage afin d’accéder à des codes de compréhension et d’intégration de la réalité. Ce
« formalisme de l’existence » rend ainsi compte des tentatives d’appel à l’aide, de la
chronicisation fréquente de ces patients, de la délégation aux autres quant aux soins, aux
décisions et à l’élaboration de représentations.

~ 22 ~
3 INTERET DE LA DANSE COMME MEDIATION
PSYCHOMOTRICE DANS LA PRISE EN CHARGE D’ADULTES
SCHIZOPHRENES

3.1 SEMIOLOGIE PSYCHOMOTRICE DE L’ADULTE SCHIZOPHRENE

3.1.1 LE TONUS CHEZ L’ADULTE SCHIZOPHRENE

Le tonus correspond à « l’état de tension permanente des muscles, active et involontaire,


variant en intensité selon les diverses actions syncinétiques ou réflexes qui le renforcent ou
l’inhibent » (Foix et Rondeau).

Nous constatons chez l’adulte psychotique un niveau de tonus généralement élevé. Cette
hypertonie résulterait selon Alain Le Bars (1989), d’une double quête : se sentir exister et se
protéger par cette « carapace tonique ». Ceci peut s’envisager si l’on considère les angoisses
d’effraction corporelle et de morcellement du Moi, comme indissociablement liées aux limites
corporelles très incertaines du sujet psychotique (particulièrement chez le sujet schizophrène)
et nécessitant la mise en jeu d’une hypertonie venant protéger le corps et lui donner une unité
(comme si l’hypertonie scellait les parties du corps parcellisées).

Ainsi l’hypertonie serait pour lui une véritable défense musculaire contre l’angoisse de
morcellement et l’intrusion de stimulations extérieures particulièrement anxiogènes. De plus,
selon G. Pous (1995), l’hypertonie augmente la perception du corps et de ses sensations,
participant au sentiment d’exister.

Notons par ailleurs que l’hypertonie peut être vécue comme une sensation rassurante (par
laquelle « il tient »), connue, maîtrisable, permanente et protectrice d’une trop grande
souffrance. En conséquence, il incombe nécessairement au psychomotricien « de respecter
autant que possible cette construction défensive ». (Pous G., 1995, p.50).

~ 23 ~
3.1.2 LA POSTURE CHEZ L’ADULTE SCHIZOPHRENE

Rappelons que la posture est la base même de tout mouvement, qui part et se termine par une
posture. Elle marque la fin d’une unité d’action et le début d’une nouvelle séquence motrice.
Elle est une position que l’individu conserve pendant un laps de temps suffisamment long
pour que le corps conserve une certaine forme d’immobilité.

Nous constatons des postures particulières à certains adultes psychotiques, leur conférant bien
souvent des attitudes peu adaptées donnant un sentiment d’étrangeté à l’environnement.

3.1.3 LA MOTRICITE CHEZ L’ADULTE SCHIZOPHRENE (PRESENTANT UN EPISODE AIGU


PARTICULIEREMENT GRAVE)

En physiologie, la motricité désigne l’ensemble des fonctions permettant le mouvement. Par


extension, elle réfère à la faculté motrice liée à l’activité musculaire, c’est à dire la propriété
des centres nerveux de provoquer la contraction musculaire.

La motricité de l’adulte schizophrène en phase aigue de la maladie est en générale très


réduite. Cette limitation de l’investissement du corps dans l’espace semble être liée à une
volonté de se protéger du monde extérieur. Notons également que certains traitements
médicamenteux (ex. Haldol) peuvent avoir des incidences sur cette motricité. Il est établi
qu’ils peuvent secondairement induire une dyskinésie voire akinésie (lenteur et perte de
l’initiative motrice) tardives.

S’agissant de la qualité de la motricité, nous pouvons référer à l’ouvrage « Corps et


Psychiatre », co-écrit par André P., Benavides T., & Giromini F en 2004. Ces derniers en
donnent une description très informative : la gestualité est hermétique, maniérée et mal
adaptée. Il existe pour certains une désorganisation praxique, où le mouvement est peu
harmonieux, peu efficace et difficile à coordonner.

~ 24 ~
3.1.4 LE SCHEMA CORPOREL ET L’IMAGE DU CORPS CHEZ L’ADULTE SCHIZOPHRENE

Le schéma corporel, « édifié sur la base des impressions (sensations et perceptions) tactiles,
kinesthésiques, labyrinthiques et visuelles, réalise dans une construction active constamment
remaniée des données actuelles et passées, une synthèse dynamique qui donne à nos actes
comme à nos perceptions le cadre spatial de référence où ils prennent leur signification » (de
Ajurriaguerra). Il renvoie donc à des éléments neurophysiologiques puisqu’il existe des aires
corticales dévolues à l’intégration des données sensorielles, nous donnant une connaissance
plurisensorielle de notre corps et de notre environnement.

Cette connaissance immédiate du corps à l’état statique et dynamique est en général perturbée
chez l’adulte schizophrène. Ce trouble du schéma corporel est marqué par une connaissance
aléatoire des parties du corps, qui semblent n’être pas reliées les unes aux autres
(méconnaissance des articulations, qui font lien). Ces perturbations sont à corréler avec le
désinvestissement corporel de l’adulte psychotique, qui en dehors des prises en charge,
mobilisent que très peu leur corps.

L’image du corps, « incarnation symbolique inconsciente du sujet désirant » selon Dolto, est
elle-même déstructurée. Selon Gisella Pankow (1993, p.271), « l’univers de la psychose
apparaît comme un univers morcelé : chaque fragment est souvent ressenti comme un monde
séparé et ayant perdu toute connexion interne avec les autres fragments ». Le psychotique
semble donc vivre son corps de façon parcellaire, anormale et inquiétante, et peut parfois ne
pas le considérer comme son propre corps.

3.1.5 L’ESPACE-TEMPS CHEZ L’ADULTE SCHIZOPHRENE

C’est à partir de la construction du schéma corporel, dont l’étape élémentaire est la distinction
entre soi et l’autre, que va se constituer l’espace. Ce dernier correspond au « cadre physique,
perceptif, représentatif ou conceptuel à l’intérieur duquel, des objet réels ou représentés,
mobiles ou immobiles, sont situés ou déplacés activement ou passivement dans un système de
relation spatio-temporelle ». La perception de celui-ci est une construction active qui se fait à
partir du corps propre. Or comme nous venons de le développer, l’adulte schizophrène n’est

~ 25 ~
pas différencié de l’objet extérieur. Cette mauvaise structuration du corps propre perturbe la
structuration spatiale. Il investit peu l’espace, s’y oriente et s’y adapte difficilement.

Concernant le temps, « durée marquée par la succession des évènements, à la fois durée,
intervalle, ordre et succession », nous constatons généralement des difficultés de structuration
rythmique, particulièrement perceptibles dans l’activité dansée.

3.2 LECTURE PSYCHOMOTRICE DE LA DANSE

3.2.1 LA DANSE, MANIFESTATION DU TONUS

La danse est avant tout la mobilisation tonico-posturale de l’être psychomoteur.

Le tonus constitue la toile de fond de toutes les activités motrices et posturales préparant le
mouvement, fixant l’attitude, sous-tendant le geste, maintenant la statique et l’équilibre.

La danse, suite de mouvements rythmés, alternés de postures, engage la constitution


tonicoposturale du danseur à tous les niveaux de la réalisation motrice du mouvement dansé.

3.2.2 LA DANSE, EXPERIENCE SENSIBLE DU SCHEMA CORPOREL ET DE L’IMAGE DU CORPS

La danse permet d’établir l’expérience de la réalité du corps à travers le travail sur le schéma
corporel.

Dans l’expérience de la danse, et pendant chaque séance, chaque partie du corps est nommée
puis mise en mouvement. Puis ces parties sont progressivement mises en lien, unifiant le
corps à travers un mouvement global. Le mouvement situe les limites du corps et l’oriente
dans l’espace.

Mais l’intégration du schéma corporel est aussi fonction de l’expérience du sujet, « se


structurant parallèlement à l’apprentissage et l’expérience » (Dolto F., 1984, p.23). Elle est
indissociable de l’image du corps, construction personnalisée à partir de données invariantes

~ 26 ~
neurophysiologiques caractérisant tout cerveau humain, conçue comme « l’incarnation
symbolique inconsciente du sujet désirant » (Dolto F., 1984).

Dés lors qu’une interaction soignante est engagée à partir du corps, elle se diffuse comme une
onde intérieure à l’ensemble de ce qui nous constitue, et particulièrement à l’image du corps.
La danse comme médiation thérapeutique repose donc sur l’exercice de ce corps fruit d’un
processus psychodynamique, représentation internalisée en partie inconsciente de soi-même,
participant à assurer la permanence du sentiment identitaire autant que la conscience de soi.

3.2.3 LA DANSE, « ART DE L’ESPACE ET DU TEMPS »

La danse inscrit le corps dans l’espace. Elle l’investit dans différents niveaux et au travers
différentes directions et plans de cet espace.

Nous distinguons classiquement trois niveaux de réalisation du geste : bas/haut/moyen,


indissociables de trois masses du corps : bassin et jambes, tronc et bras, tête et mâchoires.
Chaque niveau de l’espace a fait l’objet d’un investissement privilégié lors des phases de
développement psychomoteur. Les processus de rassemblement du bébé se vivent au niveau
« bas », la phase du quatre pattes investit le niveau moyen, et la marche ouvre sur la conquête
du niveau « haut », également relative au langage.

La danse, en mobilisant le corps à travers ces niveaux d’espace, réactualise la mémoire du


corps quant à ces différentes étapes de la construction de l’enfant, et renvoie souvent des
vécus émotionnellement forts.

D’un point de vue plus dynamique, l’espace s’organise selon trois plans : sagittal, frontal et
horizontal. Ces trois plans, organisés autour de trois axes, définissent des directions de
mouvements fortement connotées. Retenons ici la valeur symbolique des mouvements vers le
haut ou vers le bas, qui renvoie souvent aux métaphores « monter au ciel », « s’élever
socialement », mais aussi « descendre aux enfers », etc. L’axe avant-arrière est aussi
hautement symbolique, et supporte de nombreuses métaphores temporelles de l’ordre de
« l’avenir devant nous » et « du passé derrière nous ». Quant à la troisième direction,
gauche/droite, elle engage la dialectique du bien et du mal (la gauche renvoyant au pêché et à
la souillure, la droite référant à la faveur divine).

~ 27 ~
La danse rend possible l’exploration de ces différentes directions.

Mais la danse mobilise aussi le corps dans son propre espace. Elle l’engage dans ce que l’on
nomme « kinesphère ». Il s’agit d’un espace d’investissement personnel, que Laban désigne
comme « partie de l’espace qui peut être atteinte par les extrémités des membres ». Il s’agit
donc de la zone immédiatement accessible sans déplacement, par le déploiement du corps
dans les différentes directions de l’espace. « Les quatre membres en extension délimitent une
bulle péricorporelle fictive, un espace dans lequel s’inscrit et se rassemble une infinité de
postures et d’équilibres » (Laban, 1994, p.65).

La danse module également l’espace « entre », intermédiaire entre soi et l’autre. Il est ici
question de proxémie, concept développé par Edouard Hall en 1966, au combien fondamental
en psychomotricité. La danse permet donc d’explorer la distance intime, personnelle, sociale
et publique.

Enfin la danse ouvre un espace imaginaire, l’espace des représentations.

La danse mobilise également le corps dans le temps. Elle place le danseur dans un rapport au
temps, selon qu’il est mu par une forme d’urgence, requérant des impulsions du mouvement
dans une qualité de soudaineté, ou bien qu’il s’abandonne à la durée dont il dispose, dans un
déroulement tranquille. La vitesse et la durée du mouvement dansé portent une véritable
charge émotionnelle. Un mouvement soutenu est généralement décrit et vécu comme doux,
serein, tranquille, alors que le soudain est souvent qualifié d’anxieux, nerveux, excité.

La danse inscrit donc le corps dans un rythme. Fondamentalement, tout vivant pulse,
s’organise en alternances et périodes. Il s’agit des rythmes moléculaires, cellulaires,
organiques, hormonaux, émotionnels, sociaux, etc. Le rythme est en fait « une émotion qui se
décharge en mouvements ordonnés » (Platon). La danse joue du rythme, à travers l’exercice
de mise en tension, de rétention (silence dynamique) et de détente.

~ 28 ~
3.2.4 LA DANSE, OUVERTURE A LA RELATION

La danse ouvre à la relation. Elle s’enracine dans la rencontre avec le corps d’autrui, en
produisant des échanges de corps à corps régis par une « empathie kinesthésique » (Vaysse J.,
2006, p.212-219).

Elle offre une circularité d’échanges entre donner et recevoir, sur un mode corporel et
émotionnel. Elle nous engage dans un dialogue inter-corporel, entre les corps des patients,
mais aussi entre le corps du patient et du thérapeute.

Elle implique un véritable « dialogue tonico-émotionnel », empathique et transférentiel. Il


s’agit d’un « échange sensorimoteur créant un ajustement des états toniques et émotionnels
des partenaires en relation, ajustement tonique, postural et sensoriel qui a valeur relationnelle
primordiale et de parole structurante » (Wallon et De Ajurriaguerra, cités dans les cours de
première année de Psychomotricité dispensés par Mme Békier).

Par ce dialogue sensible qu’est la danse, nous ouvrons à une disponibilité réciproque, un
accordage où chacun puisse sentir un peu de la réalité du corps et des émotions de l’autre sans
s’y perdre. « Une empathie inter-corporelle s’installe, potentialise l’expression psychomotrice
des patients, facilite la circulation des énergies et des émotions entre eux ». (Vaysse J., 2006,
p.218).

Par ailleurs, France Schott-Billmann (2001) disait du groupe dansant qu’il conviait le danseur
à un jeu de son corps avec celui des autres, dans une dialectique ressemblance/différence entre
soi et l’autre (« je fais comme toi mais ne suis pas toi »), et dans le rapport soi/groupe (« je
fais comme tous mais suis moi-même avec ma différence, ma signature »).

3.3 COMMENT LA DANSE LES AIDE-T-ILS A SE VIVRE COMME « ETRES


PSYCHOMOTEURS » ?

Voici ce que j’ai pu saisir plus largement de la problématique psychotique et l’intérêt de la


danse à son égard.

~ 29 ~
Comme nous venons de le voir au travers du chapitre précédent, la problématique psychotique
se caractérise par de nombreuses difficultés psychomotrices de l’ordre du tonus, du schéma
corporel et de l’image du corps, de l’espace-temps, et de la relation.

Par la danse, mobilisant chaque fonction psychomotrice, nous allons pouvoir donner
naissance à des situations psychocorporelles venant mettre en jeu le tonus, le dialogue tonico-
émotionnel, les coordinations dynamiques générales, le schéma corporel, l’image du corps,
l’espace-temps et la relation.

Nous avons précédemment développé l’importance de la tonicité, en partie sa fonction


contenante et son rôle dans le ressenti et l’expression émotionnelle et affective du sujet
psychotique. Dans la pathologie psychotique, la modulation tonique est particulièrement
restreinte. Par la danse, nous travaillons en eux cette capacité à faire varier l’investissement
du tonus dans la réalisation du geste. Les muscles agissent sur deux modes : tonique ou
phasique. L’activité phasique renvoie à la « mélodie cinétique », la contraction telle qu’on
peut la percevoir, qui détermine le déplacement visible, la forme du mouvement, ce qui est
conscient et intentionnel. L’aspect tonique quant à lui, réfère à la toile de fond, la
réorganisation posturale plus difficile à percevoir. La danse, au travers du rythme, de la
respiration et du dialogue tonico-émotionnel, exerce cette fonction de régulation tonique.

Le rythme en danse mobilise en effet le tonus dans un jeu d’alternance tensions, rétentions, et
détente. La pulsation est donc à concevoir comme un cycle tonique qui articule des positions
complémentaires et rejoue un instant le processus de naissance/maturation/déclin, depuis la
densification, le rassemblement, jusqu’à l’expansion, l’ouverture.

La respiration contribue également à cette régulation tonique et émotionnelle. La danse éveille


à une conscience de ce premier mouvement du corps, souvent difficile chez les sujets
psychotiques.

En conséquence la danse, en ce qu’elle permet l’expression d’un dialogue sensible infra


verbal, de l’ordre du corps et de ses expressions toniques et rythmiques, participe du travail de
régulation tonique auprès de nos patients.

La danse mobilise également les capacités de coordinations dynamiques générales (« conduite


motrice de base »), au travers de mouvements articulant les différentes parties du corps de

~ 30 ~
manière à engager celui-ci dans sa globalité. Cette notion de coordination est fondamentale
dans la prise en charge de ces adultes qui se vivent souvent dans un sentiment de dissociation
corporelle. Au regard de cette problématique de morcellement, l’enjeu de la danse est donc de
créer du lien, d’articuler et réunifier les parties du corps vécues comme morcelées. Ces
mouvements dansés, coordonnés, « s’accordant pour créer chez le psychotique un sentiment
d’unité » (Gaetner R., 1979), vont progressivement dégager le patient de ses angoisses de
morcellement en créant une véritable cohésion corporelle. Ces coordinations dynamiques
générales permettent l’unification du corps dans le mouvement. « Ce dernier agit alors comme
un orchestre où chaque groupe est en rapport avec chaque autre et fait partie de l’ensemble »
(Laban, 1988).

Nous sollicitons le schéma corporel au travers de la discrimination perceptive des différentes


parties du corps au cours du temps d’échauffement ou dans le mouvement. Il s’agit d’être
sensible aux différents systèmes du corps (os, squelette, muscles, peau), mais aussi à ses
différentes parties (axe corporel et membres). Cette prise de conscience de la constitution du
notre corps participe d’une véritable structuration psychocorporelle.

Pour nos patients dont le schéma corporel est parfois peu structuré ou mal intégré, la danse, en
sollicitant chaque matière du corps, aide donc à une meilleure représentation de ce qu’ils sont.
Revenons un instant sur ces systèmes du corps.

L’os, véritable zone de sécurité, est notamment appréhendé au travers de touchers profonds,
percussions ou pressions vibrées au cours des échauffements en danse. Cette intégration de
l’os constitue un garde-fou, en raison de ses qualités essentielles de solidité et d’intériorité.
« Car l’os est l’instance solide du corps, un système remarquable par sa constance et sa
cohérence, dont la rigidité ne varie pas au gré des états affectifs ». (Lesage B., 2006, p.33).
Les os formalisent une charpente, un édifice par lequel on tient. Notons également que la
perception des appuis, c’est-à-dire des points de rencontre du squelette avec le sol, ou avec un
partenaire, permet d’aborder la dialectique fondamentale soutien/appui, par laquelle le sujet
psychotique trouve une véritable sécurité de base. Enfin le système articulaire, agence,
articule et relie les os, les met en lien de façon harmonieuse. On articule son corps comme les
mots ou les pensées, tout comme on s’articule à l’autre.

~ 31 ~
Les muscles sont la manifestation active de la vie, de l’action, la mise en tension. La prise de
conscience de ce système à travers la danse, permet aux patients de manifester leur présence
au monde et d’y réagir.

Enfin la peau, dont les grandes fonctions ont été théorisées par Didier Anzieu (1985), réfère à
une problématique relationnelle et identitaire. Par ses propriétés de maintenance, contenance,
constance, signifiance, correspondance, individuation, sexualisation et énergisation, la peau
soutient l’intégration de la distinction soi/autrui, au combien difficile à appréhender pour
certains patients psychotiques. Mais elle donne aussi matière à notre première limite propre, et
formalise l’existence du dedans et du dehors. Au cours du mouvement dansé, la peau porte de
nombreuses informations, sans cesse étirée et relâchée. Cette expérience de prise de
conscience de la peau au travers de la danse, inévitablement sensuelle et érotisée, implique
d’être particulièrement cadrée et ritualisée.

Quant aux différentes parties du corps, elles sont chaque fois sollicitées et nommées au cours
de l’échauffement et au travers de la matière danse.

La danse met inévitablement en jeu l’image du corps des sujets psychotiques, par le regard
bienveillant, renarcissisant et réunifiant du psychomotricien et des autres partenaires de la
danse.

Mais la danse investit aussi le corps dans l’espace et le temps, dimensions particulièrement
difficiles à appréhender pour le patient psychotique.
Le rapport à l’espace est exploré à travers les différents niveaux et directions d’investissement
spatial (droite, gauche, devant, derrière, en haut, en bas, etc.), au vue d’une meilleure
structuration spatiale.
Le temps est quant à lui présent dans la matière danse à travers le rythme d’un support sonore
et la propre musicalité du corps dansant. Le rythme induit un lien dynamique entre des
opposés, dans une alternance d’appels-réponses réciproques entre deux termes. Le rythme est
en ce sens « matrice symboligène ». Selon France Schott-Billmann (1994), la danse est une
activité privilégiée pour rejouer le jeu rythmique du « for-da », et soutenir ainsi un travail
psychique de symbolisation de la dialectique soi/autre, et d’accès au langage. Au regard de la
pathologie psychotique et de sa problématique des limites, ce travail du rythme comme
étayage du statut de sujet, bien différencié de l’autre, paraît fondamental.

~ 32 ~
Enfin la danse ouvre à la relation, la relation à soi-même et à l’autre. Par le groupe et ses
possibilités d’interactions (interpersonnelle et transpersonnelle), elle offre à vivre de nouvelles
façons d’être à l’autre, dans un autre mode que celui de la symbiose.

La danse par elle-même, en sa qualité de tiers, de médiation, participe déjà au processus de


« dé-fusion ». Elle permet l’accession à une reconnaissance de l’existence de la loi (au sens
Lacanien du terme) qui permet l’ouverture à l’autre, envisagé comme différent de soi.

Certaines propositions dansées concernent chaque individu, dans un rapport à soi, visant une
expérience personnelle. Dans ce travail individuel, le sujet apprend à s’éprouver, et se
construit ou re-construit narcissiquement.

Précisons la dynamique interpersonnelle. La danse permet de jouer la relation du sujet aux


autres personnes du groupe. Les relations interpersonnelles, particulièrement en binômes,
conduisent à se situer par rapport au désir de l’autre, et renvoient inévitablement aux
premières relations mère/enfant et à la gestion de l’incomplétude fondamentale. Sont alors
explorées les diverses possibilités appui/soutien, accepter/refuser, souvrir/se fermer, guider,
négocier, donner, etc.

S’agissant des interactions transpersonnelles, c’est-à-dire du rapport de l’individu à son


groupe, les travaux de Benoît Lesage sont riches d’enseignements. Au sein de l’entité groupe,
la matrice, le corps groupal, vont se jouer des problématiques de limites bien spécifiques et/ou
d’identification Oedipienne (Lesage B., 2006, p.110). La danse engage dans un processus de
« différenciation-individuation », c’est-à-dire dans une dynamique par laquelle chacun
conquiert son individualité et devient « soi », dans une dynamique moi-groupe. Par de
nombreuses propositions identificatoires, la danse permet d’inscrire le patient tantôt au sein
du groupe, enveloppé et protégé, tantôt différencié, mis en valeur ou affronté au groupe. Ces
propositions permettent d’explorer différentes positions de l’individu au sein du groupe.

Enfin dans sa dimension collective, la danse ouvre également la possibilité d’un travail de
communication et de contenance. Très souvent élaborée en cercle, elle offre un espace
radiaire aidant au processus de contenance et de symbolisation des deux polarités du dedans et
du dehors (constitutives de la problématique des limites du psychotique adulte).

~ 33 ~
Ces niveaux de relation oscillent de l’individuel au groupal, en passant par l’interpersonnel,
pour générer une « altérité socialisante » (Vaysse J., 2006, p.239).

Pour conclure, la danse envisagée dans le cadre d’une prise en charge psychomotrice, permet
d’offrir aux adultes schizophrènes un espace contenant, structurant et étayant, support à une
enveloppe psychocorporelle souvent fragilisée, où ils puissent faire l’expérience nouvelle et
différente de leur corps, et se le réapproprier ainsi dans une dimension de plaisir et de
confiance. Ils peuvent par là même ré intérioriser des limites plus solides à partir de
l’articulation de ces nouvelles sensations avec les représentations mobilisées à travers la
matière danse.

~ 34 ~
CLINIQUE

1 PRESENTATION DU STAGE

1.1 LIEU DE STAGE

J’ai réalisé ce stage au sein d’un hôpital de jour parisien.

L’hôpital de jour est une structure des soins intégrée dans le dispositif psychiatrique de
secteur. Il fonctionne en articulation avec les autres structures du secteur (hôpital, CMP,
CATTP), le CMP restant le pivot de la prise en charge du patient. Il participe à la continuité
de la prise en charge, représentant une modalité particulière de cette prise en charge au cours
d’une étape de la maladie.

L’hôpital de jour s’oriente plus particulièrement vers la prise en charge des pathologies
psychiatriques au long cours dont la stabilisation de la symptomatologie permet un travail de
réhabilitation psychosociale.

Les indications sont posées par le médecin traitant à partir du CMP ou par le médecin
hospitalier qui a eu le patient en charge, et articulées avec le médecin traitant.

L’adhésion aux soins est un préalable indispensable à la prise en charge à l’hôpital de jour.

1.2 POPULATION

Ce sont en très grande majorité des patients psychotiques dont la pathologie évolue depuis de
nombreuses années. Un certain nombre de ces patients ont une trajectoire de soins marquée
par des épisodes aigus nécessitant des ré hospitalisations à temps plein, et chez lesquels
persistent des éléments dissociatifs, ou une activité délirante à bas bruit pouvant perturber les
relations avec l’entourage, la vie quotidienne. Mais les symptômes prédominants sont surtout
des symptômes négatifs de la psychose, le repli, l’isolement, l’appauvrissement des relations

~ 35 ~
sociales, la rupture ou la distorsion des liens familiaux, la perte des intérêts et des initiatives,
la perte d’autonomie, ainsi que la dépendance aux institutions intra et/ou extra hospitalières.

1.3 EQUIPE PLURIDISCIPLINAIRE

L’équipe soignante est composée d’un médecin chef psychiatre, un cadre de santé, cinq
infirmières, un temps de psychologue, un temps d’ergothérapeute, un temps de
psychomotricien, un temps d’orthophoniste, un temps d’assistante sociale, un secrétaire et un
agent hospitalier. Cette équipe pluridisciplinaire travaille au bon fonctionnement institutionnel
au travers de nombreuses réunions soignants/soignés, de synthèse, cliniques, institutionnelles
et de coordination.

1.4 PROJET INSTITUTIONNEL

Le travail de l’hôpital de jour s’articule autour des concepts de soin et de réhabilitation. Il doit
assurer aux patients un minimum de « sécurité psychique » indispensable à la mise en œuvre
d’un travail de réhabilitation.

Ce dernier doit se faire dans un « espace de transition ouvert sur le monde extérieur, mais
suffisamment protégé pour que la pression sociale s’y trouve réduite ». L’hôpital de jour
devient donc un lieu où les patients pourront vivre des relations significatives avec les autres,
un lieu d’expériences nouvelles dans un contexte protégé.

On y travaille la prise de traitement et l’adhésion aux soins ; la reconnaissance des troubles,


l’accompagnement infirmier afin de prévenir les éventuelles décompensations ; la
coordination avec le médecin traitant ; le mieux être dans la vie quotidienne, relationnelle et
sociale ; la réinsertion socioprofessionnelle ; ainsi qu’un véritable partenariat avec les familles
et le milieu associatif. Ce travail implique l’élaboration d’un projet individualisé pour chaque
patient adressé à l’hôpital de jour. Le projet thérapeutique se construit avec le patient en
tenant compte de ses capacités et de ses désirs, et évolue dans le temps en s’adaptant à
l’évolution du patient.
~ 36 ~
Au regard des axes de travail définis dans le projet institutionnel, la prise en charge à l’hôpital
de jour doit mettre en œuvre des actions thérapeutiques visant à l’autonomisation du patient
dans sa vie quotidienne, au rétablissement du lien social et sa réintégration dans la société.
Les différentes activités thérapeutiques proposées en groupes fermés ou ouverts aident les
patients à la réappropriation de leur histoire personnelle, l’expression de leur vécu et
l’ouverture à l’autre.

2 ATELIER PSYCHOMOTEUR A MEDIATION DANSE : « CORPS,


MOUVEMENT ET EXPRESSION »

2.1 CONCEPTION DE L’ATELIER

L’atelier « Corps, Mouvement et Expression » réfère à trois dimensions essentielles de la


danse. Il engage le corps, qui en nous donnant un conditionnement propre, nous engage à la
vie. Ce dernier, conçu comme « la représentation figurée de tous nos actes » (E. Chartier),
pétri de sens, d’imaginaire et d’inconscient, donne à la danse la matière pour se manifester. Le
mouvement est aussi caractéristique de la danse, dont Jocelyne Vaysse (2006) parle en termes
d’« art mouvementé ». Plus encore, la danse, au-delà de mobiliser le corps dans le
mouvement, ouvre à la dimension de l’expression. Cette dernière renvoie à la fonction
narrative de la danse, par laquelle les choses du corps cherchent à se dire.

Cet atelier est ici envisagé comme moyen de prise de conscience corporelle, à travers de
nombreuses propositions venant nourrir le « corps matière ». Il s’agit d’accompagner
l’exploration de soi dans l’espace, le temps et la relation, pour une meilleure intégration de ce
qui nous constitue. Nous travaillons donc l’espace corps pour ensuite s’ex-porter, entrer
véritablement en relation.

~ 37 ~
2.2 PRESENTATION DU PROJET

2.2.1 CADRE

Nous proposons cet atelier « Corps, Mouvement et Expression » à raison d’une fois par
semaine tous les vendredis de 11 heures à midi, d’octobre 2008 à juin 2009. Il s’agit
d’accompagner un groupe fermé constitué de 6 patients et 3 accompagnants, sur indication
médicale. Cette prise en charge psychomotrice est assurée par Caroline, psychomotricienne en
formation de danse-thérapie, Sylvie, danseuse professionnelle, psychologue clinicienne et
danse-thérapeute, et moi-même en qualité de stagiaire psychomotricienne. Nous proposons
cet atelier dans une salle de psychomotricité compatible avec l’activité dansée.

2.2.2 DEROULEMENT TYPE D’UNE SEANCE (ANNEXES 1-2 ET 3)

Le déroulement des séances suit un cadre structuré. Il permet d’offrir une régularité dans le
canevas des séances et de donner aux patients des repères spatio-temporels. L’atelier
s’organise autour de différents temps forts. Il s’agit d’abord d’inviter chacun à prendre place
autour d’un cercle afin de contenir, sécuriser et fédérer le groupe thérapeutique.

Nous proposons un temps d’écoute et de partage sur ce qui a été vécu la dernière séance, un
espace où chacun puisse s’autoriser à l’expression d’éventuelles attentes ou inquiétudes avant
de commencer.

Suit alors un temps d’échauffement, par lequel nous éveillons le corps à ses dimensions
musculaires, articulaires et osseuses, et le préparons à accueillir véritablement l’expérience. Il
s’agit d’un éveil sensori-moteur et de la conscience du corps. Nous réalisons de petites
percussions ou pressions de l’ensemble du corps, puis l’accompagnons progressivement dans
le mouvement. Enfin nous insistons sur la respiration, premier mouvement du corps,
manifestant le passage et la différence intérieur/extérieur.

Nous proposons ensuite une entrée en matière, une accessibilité à la danse par l’évocation de
thèmes inspirateurs. Ces derniers peuvent être les quatre éléments (eau, air, terre, feu), les

~ 38 ~
quatre saisons (printemps, été, automne, hiver), les quatre qualités du mouvement (espace,
temps, poids, flux), etc.

Puis nous évoluons à travers une exploration personnelle, interpersonnelle et transpersonnelle


des sensations dansées, portés par la musique. Il s’agit de laisser le mouvement advenir, aller
puiser dans les provisions de l’être, partir à sa découverte. Nous progressons ensuite vers un
processus de créativité sur consignes venant nourrir l’expressivité. Chacun peut alors
s’improviser, se manifester à travers l’inédit de sa danse. Enfin nous préparons la séparation
au travers d’une proposition dansée ritualisée, qui vient symboliser la fin de la séance et
accompagner vers un retour au calme.

Nous terminons le groupe par un nouveau temps de verbalisation qui vient expliciter le vécu
de chaque participant.

2.2.3 OBJECTIFS

L’objectif de cet atelier est de découvrir son corps à travers le mouvement, l’espace et le
temps, composantes essentielles de la matière Danse. Mais c’est aussi favoriser l’expression
de soi en mouvement dans une dimension de plaisir et développer la créativité. C’est encore
éprouver différentes qualités de relation à l’autre à travers des dynamiques inter et
transpersonnelles. Enfin c’est trouver à mettre en forme les explorations et les porter au regard
de l’autre à travers une véritable recherche chorégraphique.

2.2.4 CONTENU

Les quatre saisons sont choisies comme support à différentes inspirations, énergies et
manières de se mouvoir. Nous proposons l’utilisation de médiateurs en lien avec les
explorations (tissus, chaises, ballons…), une sortie à l’extérieur à chaque saison pour nourrir
le passage intérieur/extérieur et enrichir l’expression du mouvement (paysages de nature,
architecture, musées, etc…), ainsi qu’une transmodalité des moyens d’expression pour
voyager à travers différentes matières (modelage, trace plastique, photographique, etc…).

~ 39 ~
3 ETUDES CLINIQUES

3.1 CAS DE DENIS

3.1.1 CONTEXTE FAMILIAL ET CONDITIONS DE VIE

Denis a 42 ans. Sa mère est assistante sociale à la retraite, son père secrétaire des services
généraux dans une PME. Il a une sœur de deux ans plus jeune que lui. Il vit seul à Paris et ne
les voit que très rarement (à raison d’une fois par an ces dernières années).

3.1.2 HISTOIRE DE LA MALADIE

Denis fait l’expérience d’une première décompensation délirante à l’âge de 18 ans, en prise
avec des idées délirantes autour du tabac et de l’alcool. Il est alors hospitalisé pour la première
fois en hôpital psychiatrique. Il arrête ses études vers 18 ans, et trouve un travail à la rédaction
d’un journal du milieu boursier. A 22 ans, il fait une tentative de suicide par phlébotomie, et
manifeste de sévères troubles du sommeil. C’est à 29 ans que Denis consulte un psychiatre
qui l’adresse à un médecin sur le Centre Médico Psychologique du secteur. A 37 ans, il fait
une demande d’orientation professionnelle et de reconnaissance de travailleur handicapé, et se
présente à la « Commission Technique d’Orientation et de Reclassement Professionnel »
l’année suivante. En 2005, à l’aube de ses 38 ans, Denis est confronté à la tentative de suicide
de sa mère, dépressive. Il réintègre l’hôpital de jour le 10 mars 2008 et demande à
reconsidérer son temps de présence du fait de sa fatigue et de sa volonté à investir son temps
libre pour des démarches personnelles (rendez-vous médicaux, pressing, courses, etc.). La
modification de son contrat de soins fait état de quatre jours de présence à l’hôpital.

Denis bénéficie aujourd’hui de nombreuses prises en charge en groupes fermés, et suit un


traitement neuroleptique (Haldol).

~ 40 ~
3.1.3 EVOLUTION

Ré hospitalisé en mars 2007, février 2008 et mars 2008 suite à des décompensations délirantes
liées à des ruptures de traitements, Denis semble être stabilisé depuis sa dernière
hospitalisation.

Il participe à plusieurs groupes fermés, contenants et structurants, favorisant des échanges


avec les autres : atelier « Je me souviens », atelier « Lecture », ateliers psychomoteurs
« Corps, Mouvement et Expression », « Structuration psychocorporelle », « Rythme,
Mouvement et Voix ». Plus calme, plus détendu, Denis manifeste des échanges avec les autres
de bonne qualité. Les demandes en vue de travailler semblent adaptées, et le médecin référent
ainsi que l’assistante sociale du CMP travaillent à la clarification de ses projets d’orientation
professionnelle. En concertation avec le CMP, l’équipe médicale de l’hôpital de jour travaille
l’adhésion aux soins et aux traitements.

3.1.4 EVALUATIONS PSYCHOMOTRICES

3.1.4.1 Bilan d’observation

Je fais la connaissance de Denis au cours d’un entretien réalisé conjointement par le


psychiatre et la psychomotricienne de l’hôpital.
J’ai face à moi un homme de grande taille, mince, aux cheveux bruns et courts, le visage pâle
aux traits saillants, creusé par l’angoisse et les traumatismes de la vie. La morphotypologie du
psychiatre Kretschner (abordée en cours de psychomotricité avec Mme Audin) l’identifierait
au type « leptosome », caractérisé par les qualificatifs « grand », « mince », « introverti » et
« anxieux », profil psychomoteur qu’il attribue souvent au schizophrène.
Cette rencontre a pour but d’échanger avec lui sur l’actualité de ce qu’il vit, et de questionner
son désir de participer à l’atelier psychomoteur « Corps, Mouvement et Expression ». Denis
semble y avoir pris beaucoup de plaisir l’an passé (« on se sent coupé du monde et ça fait du
bien ») et souhaite reconduire l’expérience cette année. Je perçois déjà à la manière dont il se
présente à moi une hypertonie de fond massive, probablement majorée par cette situation de
relation particulièrement anxiogène.

~ 41 ~
La rencontre suivante inaugure la reprise de l’atelier. J’observe alors Denis à travers les
différentes dimensions psychomotrices de la matière danse.

Tonus : Sur le plan tonique, Denis manifeste une hypertonie généralisée à tout le corps.
J’observe peu de ballant aux membres supérieurs, des persévérations d’attitude lorsqu’on
sollicite en lui le mouvement, de nombreuses syncinésies à diffusion tonique, des maxillaires
particulièrement contractés (et dont il se plaint souvent), une hyperextension de l’axe corporel
relative à une prédominance de la chaîne musculaire PostéroAntérieure (en référence à la
théorisation de Godelieve Denys-Struyf relative aux chaînes musculaires et articulaires), et
une marche sur flexion des jambes peu prononcée.

Motricité : Denis évolue dans une dynamique corporelle « monobloc », où les mouvements
semblent peu coordonnés. Il donne la sensation d’un corps qui ne livre aucun passage, ne
laisse pas véritablement circuler le mouvement. Ce dernier semble comme enferré par cette
« carapace tonique ». Les mouvements semblent peu harmonieux, et réalisés dans une
maîtrise et une concentration quasi constantes. Denis limite l’investissement de son corps
dans l’espace (dyskinésie).

Schéma corporel et image du corps : Denis manifeste une bonne somatognosie, sachant
nommer les différentes parties du corps (peau, muscles, articulations) explorées à travers le
temps d’échauffement.

Espace : Denis explore l’espace au travers de déplacements rectilinéaires (en correspondance


avec la rectitude de son axe). Il évolue dans un rapport à l’espace direct, sans investir les
diagonales, les latérales, et toutes les sinuosités des trajets possibles entre deux points.

Temps : Denis témoigne d’un rapport cohérent au temps : il se repère dans la semaine et dans
le temps de la séance, est sensible aux saisons et rapporte des évènements passés. Il parle et
met en geste sur un tempo spontané plutôt lent (à corréler aux effets secondaires du traitement
antipsychotique), et propose peu de variations rythmiques dans sa danse.

Attitude générale : Denis manifeste une belle qualité de présence, d’investissement et


d’écoute. Il semble créatif et impliqué, osant prendre des initiatives.

~ 42 ~
3.1.4.2 Bilan psychomoteur

Afin de préciser ces observations et en concertation avec l’équipe soignante, j’ai réalisé un
nouveau temps d’évaluation, moins formel qu’un bilan psychomoteur classique, mais tout
aussi informatif. Ce choix d’évaluation peu conventionnelle répondait à la difficulté de
réaliser un bilan psychomoteur en psychiatrie adulte. Ce contexte institutionnel implique en
effet l’exercice du soin auprès d’une population peu accessible aux différentes épreuves du
bilan, soit au regard des effets secondaires des médications, soit en considération des
« moments féconds » peu propices à ce type d’évaluation. Ce nouveau temps d’échange avait
surtout fonction de préciser mes observations du début de prise en charge, et de faire le point
sur le vécu psychomoteur de Denis au travers de ses verbalisations et du jeu libre. Cette
évaluation fut menée conjointement avec une autre stagiaire psychomotricienne, qui suit
Denis au travers de l’atelier psychomoteur « Structuration psychocorporelle ».

Nous commençons par un temps d’échanges, destiné à expliquer le pourquoi de cette


rencontre, mais aussi de rendre compte du vécu de Denis au sein de l’hôpital de jour et
précisément au sein des groupes psychomoteurs auxquels il participe. Nous lui précisons qu’il
n’est pas question pour nous d’attendre de lui de bonnes ou mauvaises réponses, dans un
jugement quelconque, mais bien d’apprendre à le connaître, dans ses difficultés, ses
satisfactions et ses attentes, afin d’y répondre au mieux dans nos prises en charge. Il ne s’agit
pas d’évaluer un « bien faire », mais simplement d’être là, présent à soi-même et à l’autre.

Denis nous confie son appréhension, le regard fuyant, et manifeste de nombreuses réactions
tonico-émotionnelles de l’ordre des réactions de prestance (gêne, embarras), états tensionnels
(état d’alerte et de vigilance) et de l’incontrôle émotionnel (sudation, rougeurs, voix
tremblante).

Denis évoque un vécu douloureux au sein de l’hôpital de jour. Il dit se sentir seul, et ne pas
être en sécurité. Il évoque un sentiment de persécution, consécutif aux attitudes de certains
patients qui (selon lui) lui veulent du mal, et selon ses propres termes « le mettent à
l’amende ». Nous reprenons avec lui ce vécu douloureux à caractère délirant en lui proposant,
s’il le souhaite, d’en discuter en équipe.

~ 43 ~
Enfin Denis me confie que depuis quelques semaines, je lui dis en pensée lors des prises en
charge : « tu es mon égal ». Il nous paraît important de reprendre une nouvelle fois avec lui
cette interprétation délirante, en précisant qu’il ne s’agissait pas de voix, mais peut être d’une
qualité soignante d’empathie et d’écoute, ayant générer (à raison) en lui le sentiment d’une
telle considération de ma part. Il finit l’entretien en nous précisant que cette voix l’a surpris,
rassuré, et mis en confiance.

Nous lui proposons ensuite de se dessiner lui-même. Sa production est pauvre et peu
informative quant à la constitution de son schéma corporel et la nature de son image du corps.
Il dessine un « bonhomme » au centre de la feuille, prototypique d’une production d’un enfant
de classe préparatoire. Au vue de l’état de tension de Denis, il nous paraît peu pertinent
d’évaluer son tonus dans la dimension du corps à corps (extensibilité, ballant). Nous
choisissons donc de questionner son vécu du corps à partir de ce dessin, en lui faisant
verbaliser les parties du corps qu’il sent ou non en tension. Il dit sentir sa mâchoire contractée,
mais n’en dira pas d’avantage.

Pour finir nous l’invitons à un jeu libre, au travers duquel nous souhaitons observer
l’investissement de l’espace-temps et des objets, son organisation praxique, et sa capacité à
mobiliser un imaginaire pour créer. Nous mettons à sa disposition une grande malle à
l’intérieur de laquelle nous organisons de nombreux objets tels que des balles, masques,
bâtons de pluie, tissus, poupées, petits cerceaux, anneaux, boîte de Pandore, etc. Ce choix
d’objets est pensé de manière à mobiliser chez le patient des états d’être particulier. Chaque
objet est porteur d’un sens dont le patient peut se saisir pour jouer. Nous proposons à Denis
10 minutes pour créer un jeu et lui précisons qu’il peut s’il le souhaite nous y inclure. Denis
explore brièvement et méthodiquement le contenu de la malle et se saisit d’objets qu’il
dispose de part et d’autre : à un côté de la malle une poupée et un tissu, de l’autre, un ballon et
un anneau. Il choisit les deux derniers et se met en scène en figurant une activité de
musculation qui dit-il, « fait travailler mes pieds». Il investit ces objets dans une dimension
sportive, un rapport au corps manifestement instrumental, sans parvenir véritablement à jouer.
Denis ne sollicite la participation d’aucune d’entre nous, mais cherche à nous décrire en mots
ce qu’il est entrain de faire. Logorrhéique, tout à la fois dedans et dehors, il n’arrive pas à
s’inscrire dans le jeu.

~ 44 ~
Au cours du dernier temps d’échanges, Denis dit avoir apprécié ce moment, ce temps pour
s’autoriser.

En conclusion de ce bilan, Denis semble présenter une hypertonie massive, et vivre son corps
« en force », sans véritable plaisir à se mouvoir. Son regard est le plus souvent évitant, et la
façon dont il évolue laisse à supposer un vécu d’angoisses latent. Il semble parfois plus
appliqué à bien faire, qu’à se laisser vivre par de nouvelles sensations.

3.1.5 DEROULEMENT DE LA PRISE EN CHARGE

3.1.5.1 « De la dépouille de nos bois, l’automne avait jonché la terre »…

Dans les premiers temps de la prise en charge, Denis manifestait une hypertonie massive et
peu de capacités de régulation tonique. Dés l’échauffement, je constatais un blocage de la
respiration, une crispation des mâchoires, ainsi que de nombreuses paratonies d’action. Au
cours des explorations dansées, Denis s’étayait sur les autres membres du groupe mais surtout
sur la psychomotricienne, la danseuse et moi même, et cherchait à nous imiter dans une
gestuelle plaquée et peu investie de représentations ou d’affects. Son axe était peu
mobilisable, dans les torsions comme dans l’enroulement. J’observais une appréhension de
l’espace limitée au niveau « haut » (pas d’explorations spontanées du sol ou du niveau
médian) et à la direction « face à » ; ainsi qu’un rapport au temps peu flexible : peu de
modulations rythmiques, et une grande préoccupation des heures de début et de fin de séance.
Denis semblait mobiliser une très grande attention aux explorations proposées, une
concentration constante à vouloir « bien faire », et paraissait ne pas véritablement vivre
l’expérience dans une dimension de plaisir. Cependant, il était partie prenante de l’activité,
participatif, et verbalisait ses satisfactions au cours de nos échanges en fin de séance.

3.1.5.2 « Sous le soleil blanc des matins d’hiver, donner son poids »…

Après quelques semaines, précisément au cours de séances autour de l’hiver et du travail sur
le poids, Denis manifesta une plus grande aisance corporelle, de meilleures coordinations

~ 45 ~
dynamiques générales, un meilleur ancrage au sol et équilibre, ainsi qu’un véritable vécu
psychocorporel de plaisir et de confiance. A travers un travail autour poids, de la conscience
des appuis du corps dans le sol, des schèmes d’enroulement, de l’expérience du portage et de
la respiration, du dialogue tonico-émotionnel, nous avons pu accompagner Denis dans une
capacité de résolution musculaire volontaire et de régulation tonique. Nous avons aussi
travaillé avec lui le schème d’enroulement. La flexion perturbe son attitude d’alerte constante,
dans une rigidification tonique et en extension. Par un jeu d’alternance de gestes dansés
d’ouverture et de fermeture, l’axe corporel de Denis s’est progressivement assouplit. Par
ailleurs, l’exploration dansée au sol, par le travail de proprioception qu’il engage, semblait
permettre à Denis une meilleure prise de conscience de son schéma corporel. Il en évoquait
d’ailleurs certains détails au cours du temps de verbalisation, précisant son bien être à pouvoir
sentir sa tête et ses mâchoires se relâcher. Ses improvisations venaient s’enrichir de ces
nouvelles perceptions, et semblaient moins « plaquées » qu’à l’origine. Il semblait profiter du
travail au sol comme d’une véritable sécurité de base, nécessaire à son expression
psychomotrice. Enfin Denis continuait à se montrer participatif et volontaire, ne manquant pas
de proposer de nouvelles explorations.

3.1.5.3 « Au printemps d’éclore les forces brisées »…

Depuis février, au retour d’un stage en Etablissement Spécialisé d’Aide par le Travail au
cours duquel il a fait plusieurs décompensations délirantes autour du tabac, Denis manifeste
beaucoup d’angoisses (notamment en début et fin de séance). Ces dernières se révèlent dans
son expression tonique, à nouveau caractérisée par une hypertonie difficilement mobilisable
dans le mouvement dansé. Denis se présente aujourd’hui comme aux premiers temps de la
prise en charge, et interagit moins qu’auparavant avec les autres membres du groupe. Par
ailleurs, il nous fait part de sa difficulté à partager l’expérience avec un autre patient du
groupe, qu’il dit vouloir « le mettre à l’amende ». Il précise se sentir seul, et dans l’insécurité
depuis son retour à l’hôpital de jour. Nous avons fait part de ce vécu douloureux à l’ensemble
de l’équipe, qui réfléchit à ce jour à de nouvelles propositions psychothérapeutiques.
Concernant la prise en charge psychomotrice, Denis souhaite poursuivre l’activité, précisant
que cette dernière lui fait du bien. Nous tentons aujourd’hui d’envisager de nouvelles
situations psychomotrices, au travers desquelles il pourra retrouver une sécurité et une

~ 46 ~
confiance et s’actualiser pleinement. Nous abordons un travail autour du printemps, du sol et
du rythme, du rebond pour explorer le saut. Au vue de la problématique actuelle de Denis,
nous prenons le temps de réinvestir le travail du sol, afin qu’il puisse retrouver cette sécurité
de base. Bien s’ancrer pour ensuite pouvoir s’élever, et avancer dans la maladie.
Après quelques semaines, nous apprenons le départ de Denis qui dit avoir été guéri par Sainte
Thérèse. Ayant arrêté de se soigner, Denis fait une tentative de suicide et est hospitalisé
plusieurs semaines. A son retour, il nous confie appréhender son retour dans l’atelier « Corps,
Mouvement et Expression », et nous révèle être attiré par un autre patient du groupe (le même
qu’il disait « vouloir le mettre à l’amende »). Nous entendons ses difficultés et de les
discutons une nouvelle fois en équipe. Denis ne participe plus au groupe depuis, mais
manifeste le souhait de le réintégrer le jour où il se sentira prêt. Nous profitons des jours fériés
du mois de mai (qui impliquent l’arrêt momentané de la prise en charge du groupe) pour
donner le temps à Denis d’envisager sa réintégration, mais aussi pour nous permettre
d’élaborer la façon de l’organiser.

3.1.6 CONCLUSION DE LA PRISE EN CHARGE

Denis semble demandeur de ce travail psychocorporel, et y est très investi. Cette prise en
charge psychomotrice « Corps, Mouvement, et Expression » semble nourrir ses capacités de
régulation tonique et son schéma corporel, mobiliser son rapport à l’espace temps, ainsi que
lui permettre de vivre un nouveau rapport à l’autre, plus adapté à la réalité mais aussi plus
serein. Cependant nous avons du considérer les difficultés de Denis consécutives à son
expérience professionnelle en ESAT. Cette nouvelle décompensation délirante vient
confirmer toute la difficulté de la prise en charge d’adultes psychotiques, où l’on ne peut rien
considérer comme acquis. L’accompagnement psychomoteur est un travail de chaque instant,
à adapter sans cesse au vécu du patient.

~ 47 ~
3.2 CAS DE LOUIS

3.2.1 CONTEXTE FAMILIAL ET CONDITIONS DE VIE

Louis a 34 ans. Sa mère est avocate, juriste dans une compagnie d’assurance. Elle a cessé son
activité professionnelle à la naissance de Louis, et l’a reprise lorsqu’il a eu 20 ans. Ce dernier
la décrit comme souffrant de dépression, mais ne se soignant pas, et précise qu’ « ils ne se
sont jamais très bien entendus ». Il semblerait qu’il soit sans nouvelles d’elle depuis plusieurs
mois, et qu’il ne sache pas où elle habite. Son père, lui-même avocat à la retraite, vit avec
Louis. Leur relation est fusionnelle et conflictuelle. Ses parents se séparent en 2000. Louis est
alors persuadé d’en être la cause, sans que cela n’ai été jamais véritablement discuté entre
eux.

Louis a une sœur plus jeune âgée de 28 ans, conseillère juridique. Cette dernière a une petite
fille de deux ans et demie.

Louis a vécu dans une famille repliée sur elle-même, où régnait une difficulté dans le couple
parental, auprès d’une mère dépressive et d’un père fragile et dépendant. Par aillers, le
contexte familial est marqué par une histoire transgénérationnelle traumatique, faite de
persécutions, de deuils, de pertes, de ruptures tant dans l’histoire maternelle que paternelle.

Le parcours scolaire et professionnel de Louis semble lui aussi difficile. En échec dans les
apprentissages scolaires, il n’a pas suivi de formation particulière. Il évoque des propositions
d’activités trop « pointilleuses » (placages en ébénisterie au millimètre prés, dosages précis
d’encre en imprimerie, etc.). Il a fait quelques mois de piano, qu’il a interrompus lorsque son
père a voulu l’inscrire au conservatoire pour l’apprentissage du solfège. Enfin il a pratiqué de
la natation pendant quelques temps, obtenu quelques récompenses en compétition, puis a
arrêté. Louis précise « se lasser vite ».
Cette anamnèse semble indiquer un contexte de vie marqué par un important investissement
de la sphère intellectuelle (au regard des professions des proches), qui contraste avec les
nombreuses propositions d’activités corporelles envisagées pour Louis. Ces dernières ne
semblent pas adaptées à lui, et ont probablement influencé la façon dont il vit son corps.
A Louis de conclure son parcours en disant : « (…) depuis dix ans je suis chez moi à regarder
la télé douze heures par jour (…) ».

~ 48 ~
3.2.2 HISTOIRE DE LA MALADIE

Le père décrit son fils comme « psychotique de naissance ». Le diagnostic aurait été posé à
ses 6 ans.

Louis est hospitalisé pour la première fois en HDT à l’adolescence, en réponse à des crises
clastiques et des passages à l’acte auto-agressifs : « je tapais partout avec un marteau sur les
murs… ». Il y restera 20 jours. S’en suivront cinq autres hospitalisations durant l’année 1999.

Il intègre l’hôpital de jour le 31 mars 2008. Louis évoque alors plusieurs tentatives de suicide
à l’époque de ses premières hospitalisations. La première par étouffement (sac en plastique
sur la tête et câble autour du cou), la seconde par pendaison. Il disait vouloir mourir, et sans
associer de lien direct, évoque dans la foulée que sa mère voulait qu’il quitte la maison, pour
« aller n’importe où pourvu que ce soit ailleurs ». Louis est aujourd’hui habité par des
angoisses massives d’annihilation, un sentiment d’existence menacé, une crainte de
l’effondrement, et des idées délirantes autour de la sexualité.

En conclusion, Louis présente une personnalité caractérisée par une immaturité affective, une
conduite de passivité, d’inertie, de désintérêt, alternant avec des comportements de violence et
de destructivité. Il manifeste une incapacité à communiquer de façon adéquate, ainsi qu’une
conduite d’isolement majeur.

3.2.3 EVOLUTION DE LA MALADIE

A ce jour Louis est beaucoup moins adhésif qu’à son arrivée. Relativement bien accepté par
les autres patients, il émet le souhait de participer à toujours plus de groupes. Il semble
aujourd’hui profiter des soins et activités proposées par l’hôpital de jour, et prend parfois
conscience du chemin parcouru depuis son arrivée.

~ 49 ~
3.2.4 BILANS ET EVALUATION PSYCHOMOTRICE

3.2.4.1 Bilan infirmier

Louis est aujourd’hui stable sous Zyprexa (7,5 mg 2 cp par jour). Il ne présente plus de
troubles du comportement, auto-agressif ou clastique, depuis plusieurs années. Il est
incurique, apragmatique, réticent à tout changement, et présente une tendance à l’inversion de
rythme nycthéméral.

3.2.4.2 Bilan psychologique

Louis présente une dysharmonie évolutive de structure psychotique à caractère


schizophrénique. Il manifeste des positions adhésive et autoérotique, des angoisses
archaïques, des stéréotypies motrices, des difficultés à s’ouvrir à la relation, et des
mécanismes de défense de l’ordre des identifications projectives. Aucun affect ne transparaît à
l’évocation des traumas familiaux.

3.2.4.3 Bilan psychomoteur

Au regard des difficultés de Louis, je privilégie l’observation à l’évaluation psychomotrice sur


épreuves ou tests quottés.
Je réalise ce bilan d’observation au cours des premières séances de l’atelier « Corps,
Mouvement et Expression ».
Louis est un homme de corpulence et de taille moyennes, incurique et prognate, au visage
caché par d’épaisses lunettes.

Tonus et motricité : Louis présente une attitude hypertonique. J’observe chez lui une grande
désorganisation praxique. Il éprouve des difficultés de coordinations dynamiques générales,
eu égard aux coordinations hémicorps supérieur- hémicorps inférieur, et droite-gauche. Le
mouvement est donc peu harmonieux, difficile à coordonner. Il évolue dans une dynamique
corporelle « monobloc », où le corps semble pris en masse. Il ne manifeste pas de possibilité

~ 50 ~
de dissociation des ceintures, de torsions et d’enroulement. Je constate par ailleurs une
impulsivité motrice (brusques décharges motrices, auto-agressivité), qui vient parasiter ses
explorations dansées.

Schéma corporel et image du corps : Louis semble avoir des difficultés à reconnaître et
nommer les différentes parties de son corps. La somatognosie semble se limiter à la prise de
conscience de la tête, des bras et des jambes. Le bassin de Louis paraît verrouillé et non
intégré au schéma corporel.

Espace : Louis, du fait de sa pathologie, présente des difficultés d’intégration spatiale. Il


parvient difficilement à s’orienter dans une direction précise, à structurer l’espace et l’adapter
aux différentes contraintes du mouvement. Louis ne semble pas toujours concevoir « l’espace
entre » : il se tient souvent à faible distance des autres patients du groupe, de façon parfois
presque adhésive.

Temps : Louis présente une difficulté d’adaptation au rythme externe.

Attitude générale : Louis a conscience de ses difficultés et peut les exprimer. Ses capacités
d’attention sont limitées, mais ses efforts de concentration sont constants. Il manifeste peu de
créativité, une pauvreté de l’imaginaire, ainsi que peu de capacités à jouer. Louis semble avoir
besoin d’un cadre rassurant, étayant, pour investir et structurer ses pensées.

En conclusion de ce bilan, Louis présente une hypertonie massive ainsi qu’une grande
difficulté de régulation tonique. Il semble peu repéré dans l’espace temps, et s’identifie de
façon adhésive aux autres membres du groupe. Cependant et malgré ses difficultés, Louis
investit beaucoup cet atelier psychomoteur et semble faire de son mieux pour se saisir ce que
nous lui proposons. Ses capacités de compréhension paraissent bien supérieures à ses
capacités de réalisation.

~ 51 ~
3.2.5 DEROULEMENT DE LA PRISE EN CHARGE

3.2.5.1 « De la dépouille de nos bois, l’automne avait jonché la terre »…

Les premiers temps de la prise en charge, Louis présentait une hypertonie de fond massive,
ainsi qu’une motricité parfois explosive et désorganisée. Il était peu autonome en séance, et
dansait en majorité sur imitation des autres. Il semblait peu repéré dans le temps et dans
l’espace, et sollicitait de notre part une attention et un étayage constants. L’improvisation lui
était difficile, et parfois lorsqu’il s’y essayait, il s’agissait plus d’un passage à l’acte que d’une
réelle mise en acte. Il laissait cours à une grande impulsivité motrice, se jetant par exemple au
sol et se mettant facilement en danger, ou venant chercher le corps à corps. Louis était dans
une relation à l’autre quasi fusionnelle, procédant d’une identification adhésive aux autres
patients et aux thérapeutes. Il verbalisait peu au terme de la séance, mais semblait profiter de
la médiation.

3.2.5.2 « Sous le soleil blanc des matins d’hiver, donner son poids »…

Après quelques semaines, précisément au cours de séances autour de l’hiver et du travail sur
le poids, Louis commença à canaliser sa motricité et à accéder véritablement à l’expérience
proposée. Ce travail de poids dans le sol, a permis à Louis de se « poser » littéralement. A
travers la prise de conscience des appuis du corps dans le sol, des schèmes d’enroulement, de
l’expérience du portage et de la respiration, du dialogue tonico-émotionnel, nous avons pu
accompagner Louis dans une capacité de résolution musculaire volontaire et de régulation
tonique. Par ailleurs, l’exploration dansée au sol, par le travail de proprioception qu’il engage,
semblait permettre à Louis une meilleure prise de conscience de son schéma corporel. Enfin
nous avons également pu rejouer son rapport à l’autre, fusionnel. Par l’exploration du sol, il a
pu prendre conscience de son propre corps dans une dimension de confiance, et se distancer
un peu du corps de l’autre. Le sol était comme « l’espace entre », l’intermédiaire nécessaire à
la différenciation soi-autre. Louis semblait profiter du travail au sol comme d’une véritable
sécurité de base, nécessaire à son expression psychomotrice. Plus tard, lors des improvisations
inspirées de ce travail au sol, Louis était moins impulsif, et semblait se nourrir de ces
nouvelles sensations pour créer.

~ 52 ~
3.2.5.3 « Au printemps d’éclore les forces brisées »…

Depuis mars, nous travaillons autour du printemps et de la dimension du rythme. Après avoir
travaillé l’ancrage à travers la qualité de poids, nous abordons aujourd’hui une exploration de
la pulsation, du rebond et du saut. Par l’exploration du rythme, qui suit celui du sol (en hiver),
Louis peut négocier son rapport au sol, y trouver ses appuis et son équilibre, mais aussi
habiter ce vide médian qui relie deux frappes de pieds ou deux élans du geste, et déployer sa
présence dans le temps. Or ce mode de présence manifesté au travers du rythme est celui de la
réactivité et de l’impulsivité. Le rythme fait donc écho à l’impulsivité psychomotrice de
Louis, et nécessite de nombreuses précautions afin de la contenir et l’accompagner. Il s’agit
alors de lui permettre de travailler l’inhibition de geste et la régulation tonique, son rapport à
l’espace et au temps. A ce jour, Louis semble d’avantage contenu dans son expression
motrice. Les manifestations d’éclatement de l’acte moteur (se jeter au sol, brusques décharges
motrices, etc.) sont plus exceptionnelles. Il parvient à modérer son impulsivité motrice,
prendre le temps d’investir en pensées les propositions dansées. Il révèle ainsi de nombreuses
capacités de compréhension, d’appréhension de l’espace-temps, de proposition et d’adaptation
relationnelle. Louis tend à s’engager d’avantage dans l’espace et la relation, mais requiert un
accompagnement et une vigilance quasi constants. Son autonomie reste aujourd’hui encore à
construire, mais ces derniers temps de prise en charge laissent augurer une évolution positive
de son vécu psychomoteur et de sa capacité à faire seul.

3.2.6 CONCLUSION DE LA PRISE EN CHARGE

Au terme de cette prise en charge, il semble que Louis ait trouvé un réel bénéfice à la
médiation, tant au regard de ses difficultés motrices que de sa problématique psychique
d’angoisses archaïques, et de vécu du corps morcelé. Il a pu se saisir de nombreuses
propositions psychomotrices et nous manifester son plaisir et ses difficultés au terme des
séances. Louis a su également s’inscrire dans le groupe, dans une juste distance, un rapport à
l’autre plus adapté qu’à l’origine (dans le sens d’une distanciation, une reconnaissance de la
limite soi/autre). Cette prise en charge psychomotrice de Louis a été à l’image de son parcours
de vie et de soin : faite de difficultés, d’accidents, de résistances et de force vive.

~ 53 ~
DISCUSSION

1 REFLEXION THEORICO CLINIQUE

« Penser, réfléchir ce qu’on fait. Toujours ».

1.1 L’APPORT DE LA DANSE AU PSYCHOMOTRICIEN / L’APPORT DE LA


DANSE AU PATIENT

La danse à mon sens, satisfait ces deux partenaires de soin.

Pour commencer, je dirais que la danse est une pratique intéressante pour tout
psychomotricien. En tant que médiation corporelle, elle l’éveille à son propre corps, à
l’origine et médiateur de toute activité psychomotrice. Elle lui permet de vivre ce corps
sensible et mouvant, dans ses qualités anatomiques, ses états toniques, ses manifestations
émotionnelles, son rapport à l’espace-temps et à l’autre, etc. La danse sollicite donc
l'engagement corporel du psychomotricien, dans ses aspects fonctionnels mais aussi
émotionnels, et fait prendre conscience d'être présent à soi, habité par soi, existant pour soi en
relation à l'autre. Cet engagement du corps dans le mouvement dansé lui fait saisir toute la
dimension du plaisir à s’incarner, plaisir qui va être l'un des points d'appui du travail auprès
de son patient. Cette idée de « corps plaisir », fondamentale dans la conception
psychomotrice, doit aussi être éprouvée par le psychomotricien lui-même.

Mais si la danse parle à la future psychomotricienne que je suis, de par mon expérience de
danseuse, elle n’est pas une évidence pour tout psychomotricien. Elle demande à être
comprise, sentie, ressentie et traversée. Elle s’apprend.

Conscientes de l’apport de la danse aux futurs psychomotriciens, les institutions de formation


à la Psychomotricité dispensent très souvent des enseignements à cette médiation corporelle.
Mme Soubiran, inspirée par son vécu de danseuse, proposait à ses étudiants une « danse
psychomotrice », en laquelle chacun cherchait à trouver son propre « style moteur » en
rapport à une musique de leur choix. Il s’agissait d’improvisations dansées sur propositions
d’éveil sensoriel (consigne de type « dansez avec seulement le bras, seulement la tête,

~ 54 ~
seulement la jambe », etc.), autour d’une grande diversité de styles chorégraphiques (danse
classique, contemporaine, africaine, de salon, etc.). Cette mise en jeu du mouvement expressif
était souvent réalisée au sein d’un groupe, dans une forme d’échoïsation du mouvement de
l’autre, dans l’intention de lui prolonger quelque chose. Elle disait de cette approche dansée :
« Au lieu d’étudier les danses folkloriques, faute de temps, nous pensons plus utile, parce que
plus actuel et plus riche, d’utiliser les danses modernes qui contiennent des possibilités
innombrables d’expression personnelle, spontanée et libératrice ». Cette approche (au même
titre que celle de Rose Gaetner et Marie-Louise Orlic), a façonné la place de la danse au sein
des formations à la psychomotricité.

La danse nous fait donc vivre le corps dans son organisation tonique, son rapport à l’espace-
temps, mais aussi au travers d’un dialogue tonico-émotionnel. Elle mobilise également le
schéma corporel et l’image du corps, nos représentations et notre imaginaire. En investissant
le corps dans toutes ces dimensions, la danse nous fait appréhender les grands concepts
psychomoteurs. En ce sens, elle nous donne les matières indispensables à l’exercice de notre
métier.

Mais aussi importante soit-elle à la pratique psychomotrice, la danse n’en n’est pas pour
autant la seule illustration. Elle s’inscrit dans un vaste arsenal thérapeutique, constitué de
nombreuses autres médiations corporelles telles l’expression dramatique, le mime ou le
cirque. La danse est donc une médiation psychomotrice parmi d’autres. Elle constitue pour le
psychomotricien un des moyens dont il dispose pour accompagner le patient dans sa
problématique psychocorporelle. Si elle satisfait le praticien, elle doit aussi surtout être pensée
pour le patient. Je crois en effet nécessaire que la danse « parle au corps du
psychomotricien », le satisfasse suffisamment pour qu’il ressente en lui l’envie de la partager
dans une relation thérapeutique. Mais cela ne doit pas faire oublier que le choix d’une
médiation ne peut être envisagé dans la seule considération de son propre bénéfice. La danse
doit donc apporter au psychomotricien autant qu’elle apporte au patient.

L’apport de la danse au patient a été longuement développé au travers de ce mémoire. Je


dirais qu’il est important, pour qu’elle lui soit bénéfique, de l’envisager comme prétexte à se
mouvoir autrement, et non dans l’ambition de faire de lui un danseur. Il ne s’agit pas
d’apprendre au patient à danser, à « savoir faire », mais bien à « savoir être » différemment
dans son corps. Comme précisé dans mon développement théorique, la danse permet au

~ 55 ~
patient, quelque soit la pathologie dont il souffre, de se vivre comme être psychomoteur. En
mobilisant toutes les « fonctions psychomotrices » (communes à tout être humain), elle va au-
delà, ouvrir à l’« expressivité psychomotrice » (propre à l’individu).

La danse trouve sa légitimité auprès de toutes les populations, qu’il s’agisse d’enfants,
adolescents, adultes ou personnes âgées. Nous pouvons en effet l’envisager à tous les âges de
la vie.

Dans le cadre de la prise en charge d’enfants, le plus souvent dans une problématique
d’inhibition ou d’instabilité psychomotrice, la danse fait éprouver le mouvement dans une
dynamique de structuration. Il s’agit de vivre le corps dans une dimension de plaisir, où le
mouvement n’est plus anarchique ou forclos, mais prend forme dans l’espace, le temps, une
direction, une intention, et se partage. Auprès de personnes âgées, la danse permet aussi de
vivre le corps autrement. Elle le fait envisager différemment du corps souffrance, usé,
diminué, parfois malmené par les longues années. Souvent proposée en couple, la danse
réactualise les possibilités du corps en relation. Elle renvoie bien souvent à un passé parfois
oublié (les bals par exemple), où le corps se manifestait dans sa force vive.

Mais la danse, au travers des modifications métaboliques qu’elle génère dans le corps, apporte
aussi sur un plan organique. Le mouvement dansé modifie notre état de vigilance. Il place le
corps dans un état d’« éveil actif » (Challamel M. J. & Thirion M., 1993) qui le rend
disponible et lui permet de manifester des gestes fréquents, rapides et précis, réalisés dans une
intention de communiquer et d’apprendre. Par ailleurs, le mouvement dansé active la
sécrétion d’hormones impactant le « circuit du plaisir » (structure du système limbique), telles
que la Dopamine (hormone du plaisir, de la récompense et de la motivation) et les
Endorphines (morphines endogènes dont la fonction antalgique concourt au sentiment de
plaisir). Ce fonctionnement neurophysiologique, dont l’incidence émotionnelle est de l’ordre
du plaisir et du bien-être, permet donc lui aussi d’expliquer le bénéfice à danser.

Enfin, eu égard à la population de mon mémoire, la danse paraît d’utilité pour les patients
dont le corps est vécu dans un profond sentiment d’angoisse. L’angoisse est une peur sans
objet. La danse peut être cet objet par lequel l’angoisse peut se dire et s’élaborer. En réalité, le
processus dansé mobilise les représentations morbides (vécu d’angoisses, déréalisation, etc.)
et les transforme en expériences symboliques structurantes et porteuses de sens.

~ 56 ~
Enfin précisons que la danse apporte au patient, et est capable de soigner sous réserve de
quatre conditions, développées par France Schott-Billmann (1994, p.256).
La danse soigne si elle s’effectue en groupe, en créant des échanges interindividuels (niveau
social) ; si elle mobilise le corps dans le mouvement et engage une réelle dépense musculaire
(niveau physique) ; si elle vise autre chose qu’une simple libération cathartique anarchique,
sollicite les apprentissages, l’intégration des règles, la mémoire (niveau mental) ; enfin si elle
constitue pour le sujet qui danse un langage par lequel il puisse exprimer ses émotions et ses
désirs dans un véritable processus de changement (niveau psychique).

1.2 FAUT IL ETRE NECESSAIREMENT DANSEUR ?

Nous étions trois danseuses. Simple constatation.

Alors faut-il être nécessairement danseur, avoir soi-même fait l’expérience de la danse pour
être capable de transmettre quelque chose d’elle? Est-ce plus légitime, plus pertinent, plus
confortable aussi, de proposer une médiation que nous faisons d’avantage que connaître, que
nous vivons en nous-mêmes ?

Je dirais pour commencer que l’expérience est le garant de toute connaissance. On ne connaît
bien les choses que lorsqu’on les vit, de l’intérieur, en intimité et en conscience. Prenons
l’exemple de la relaxation. Au cours de notre formation, nous apprenons la technique, par le
« faire », mais aussi en la vivant nous même, dans l’« être » relaxé. C’est par l’expérience
personnelle de la relaxation que cette dernière en nous prend sens, et qu’on en saisit l’intérêt
pour l’autre dans une perspective thérapeutique. Car apprendre, ce n’est pas seulement
acquérir un « savoir » ou « savoir faire », concrets et objectivables, mais c’est aussi se laisser
traverser par l’expérience sensible, « savoir être », véritablement.

Alors apprendre à utiliser la danse comme médiation psychomotrice, c’est aussi en avoir une
pratique personnelle et didactique. C’est avant tout « être » danseur.

Mais je n’entends pas par « être danseur », le fait d’avoir été spécifiquement formé à la
technique et l’esthétique de la danse, d’en avoir le diplôme. La danse n’est à mon sens pas la
seule propriété des danseurs professionnels. Le diplôme n’est pas ce qui conditionne le

~ 57 ~
sentiment d’être danseur. « Etre danseur », c’est simplement être dans la danse, se laisser
vivre par elle.

Pour proposer la danse comme médiation psychomotrice, il n’est donc pas obligatoire d’être
danseur professionnel, mais bien d’avoir une bonne connaissance, aisance et organisation
psychomotrices.

Cependant être danseur professionnel ou bon danseur-amateur ne suffit pas pour pratiquer la
danse comme médiation de la thérapie psychomotrice. Le terme « thérapie » suppose en effet
des références à des théories psychologiques reconnues et non la prise en charge d’un groupe
selon ses inspirations et ses idées personnelles (c’est alors une forme de groupe d’expression
corporelle ou de danse comme il en existe partout en ville et en centre de danse pour
amateurs).

1.3 QU’EST-CE QUI EST « THERAPEUTIQUE » ?

Mes diverses expériences de stage en thérapie psychomotrice (« technique collective ou


individuelle qui, dans une approche clinique et professionnelle, utilise la non-directivité ou le
jeu, et vise à restructurer l’ensemble de la personnalité à travers une réassurance affective et
motrice ») ont en moi questionné le sens de ce qui est par essence « thérapeutique ».

Toute relation humaine doit être thérapeutique.

Pour commencer, le terme « thérapie », dérivé du grec ancien « therapeia » (cure), provient de
« therapeuein » signifiant « servir », « prendre soin de », et par extension « soigner »,
« traiter ». Cette idée de « veiller à », « s’occuper de », implique celle de l’accompagnement
et de la durée, et ne se réduit pas à la guérison.

Etre thérapeutique, c’est donc prendre soin, donner une place de sujet, contenir, soutenir,
étayer, tendre vers un mieux être. C’est au contraire de juger, accompagner, nourrir et investir.
C’est utiliser ce que le patient propose pour comprendre avec lui. C’est partager en se
différenciant, être avec soi en accord.

~ 58 ~
Céline Béraud, sociologue, dit de la fonction de « soigner » qu’elle consiste à « servir,
chercher à libérer, faire renaître et vivre l’espérance, aider celui qui souffre à construire un
projet, et offrir des choix de vie ».

Etre thérapeutique, c’est « faire advenir ce qui peut / doit s’exprimer, livrer ce qui en résulte
aux apports croisés de la réflexion psychologique et théorique, satisfaire les exigences
qu’impose la thérapie, travailler sur soi et aller à la rencontre des autres » (Vaysse J., 2006,
p.16).

Benoît Lesage évoque la fonction parentale du thérapeute (2006, p.111). Selon lui, le
thérapeute assure tout d’abord une fonction maternelle, en tant que réceptacle et garant de ce
qu’exprime le patient, mais aussi en tant que pare-excitation (en référence au concept de
« Moi auxiliaire » de Bion) et pourvoyeur de holding, handling et object presenting énoncées
par Winnicott. La fonction paternelle du thérapeute, quant à elle, se rapporte aux lois du
processus thérapeutique, de non passage à l’acte agressif ou sexuel. Ce dernier point est
d’autant plus important en matière de thérapie à médiation corporelle que l’engagement de
chacun est corporel et implique souvent une exaltation de la pulsion de vie. Par ailleurs, le
thérapeute doit aussi déranger le patient, aller parfois à l’encontre de son fonctionnement
habituel afin de l’accompagner dans un véritable processus de changement. Il s’agit de lui
proposer autre chose, de travailler avec lui le sentiment d’immuabilité pour lui faire accéder à
une autre façon d’être au monde et lui permettre d’évoluer.
Enfin toujours selon Benoît Lesage, « le thérapeute, investi d’une fonction surmoïque, doit
assumer une fonction de rassembleur et de différenciateur, capable d’empathie, inséré dans le
groupe mais suffisamment à distance pour donner sens à ce qui peut se jouer ».

Enfin ce qui est thérapeutique, ce n’est pas l’acte lui-même, mais le regard que l’on pose sur
l’autre pendant l’acte.

1.4 L’IMPROVISATION DANSEE ET SA DIMENSION THERAPEUTIQUE

Nous aurions pu faire le choix d’une danse écrite, ne laissant place à aucune liberté, aucune
excentricité. Nous aurions pu conditionner à la danse, la faire apprendre dans une directivité
et au travers de corrections techniques et esthétiques. Mais l’objectif n’était pas de proposer

~ 59 ~
un cours de danse auprès de personnes psychotiques, comme cela se fait beaucoup, mais bien
d’inviter chacun à vivre sa propre danse.

A ce titre, nous avons pensé la danse au travers de l’improvisation. Cette dernière est une
composition instantanée, inédite, par laquelle on se découvre et s’accidente. Elle est une
possibilité de se mouvoir dans les provisions de l’être, de façon nouvelle et singulière. Nous
pensons souvent de l’improvisation qu’elle est un lâcher-prise, un abandon, un simple
exutoire. Or l’improvisation, bien qu’autorisant une véritable liberté, est néanmoins inscrite
dans un cadre. Il n’est pas question d’agir le corps dans le vide, sans considération de ce qui
se joue et peut advenir, mais bien de faciliter le mouvement dans un cadre, dans l’espace-
temps, la relation à l’autre, etc. Il ne s’agit pas d’un simple « défouloir », inorganisé, mais
bien d’une expression de soi soutenue, accompagnée par un objectif thérapeutique et la
conscience de ce que l’on mobilise. Il y a toujours quelque chose qui tient…

L’improvisation n’assujettit pas le mouvement à des formes définies, répertoriées et codifiées.


Elle autorise au contraire leur transformation dans toutes les directions que le corps peut
explorer, dans toutes les divergences.

« Elle n’est plus une variation sur des schémas dansés préexistants, elle a une valeur
constituante. Elle tisse une forme en acte à laquelle rien ne préexiste, une forme s’inventant à
partir d’elle-même, dans une forme de commencement absolu qui lui donne son évidence et sa
pureté » (Boissière A., 2006). Les mouvements dansés improvisés sont donc libres, non
asservis par un apprentissage, authentiques en tant qu’ils sont chargés de l’expressivité
spontanée du sujet, de son histoire et de son inconscient.

José GIL disait de l’acte d’improviser qu’il consistait à « s’ouvrir à un mouvement imparable
qui laisse passer des contenus inconscients ».

L’improvisation dansée est donc en ce sens thérapeutique. Par elle, émergent ou ré-émergent
des choses qui cherchent à se dire. Trudi Schoop (1974) citée par Jocelyne Vaysse (2006, p.
209), dit de ses improvisations auprès de patients psychotiques : « C’est un processus
d’associations libres non verbales… Eliminer le contrôle du mental provoque l’irruption de
sentiments dans le corps, jusque là enfermés dans le subconscient. Ces performances
physiques conduisent à une conscience subjective de soi. … Ces sentiments, libres, prennent
une forme explicite avec le corps comme instrument de composition ».

~ 60 ~
1.5 L’EXPERIENCE DU GROUPE : LE MEME ET L’AUTRE

Proposer une prise en charge groupale, c’est faire émerger la conscience de soi, en tant qu’être
singulier, différent de l’autre, mais aussi signifier son appartenance à un collectif, être parmi
ces autres qui nous ressemblent. C’est à la fois se différencier et s’identifier à l’autre. Il s’agit
dans le cadre de notre atelier, de proposer une danse consentie, où chacun, dans sa singularité,
peut s’inscrire dans une dimension collective. Alors comment exister en tant qu’être unique et
différencié de l’autre, tout en prenant conscience d’appartenir à un groupe ? Pour nous
thérapeutes, comment prendre en charge l’individu et tout à la fois le groupe ?

Le même. L’indication du groupe répond au besoin de partager quelque chose avec l’autre
qui nous ressemble. Elle atomise les électrons libres. Cette entité groupe permet au patient de
s’identifier comme existant parmi les autres, et d’accepter d’« être avec ». Pour s’y intégrer et
d’y sentir bien, il faut se mettre au diapason, être en phase avec les autres. Ceci suppose un
certain effacement de l’égo, le sacrifice d’une partie de son narcissisme. L’adhésion collective
génère un corps groupal, qui, à l’image du corps de la mère, est support à de nombreux
étayages identificatoires, mais aussi au sentiment d’être contenu, entendu, compris et sécurisé.

L’autre. Par l’expérience du collectif, nous pouvons accompagner le patient dans la


reconnaissance de l’autre et l’aider à s’en différencier. Cette conscience d’un autre différent
de soi permet d’envisager le limite Moi/non Moi, au combien fondamentale dans la
problématique psychotique.

Le même et l’autre. L’expérience du groupe conduit à la reconnaissance de la différence


(« je ne suis pas toi »), et à celle du partage d’une ressemblance essentielle, fondamentale, qui
définit la condition humaine (« je suis comme toi »). Entre ces deux pôles, le même et l’autre,
l’homme danse et y trouve le bonheur.

Dans le cadre de notre prise en charge, nous sollicitons cette double conscience au travers du
travail du rythme dans la danse. En créant une synchronie, nous faisons émerger en eux le
sentiment de participation (Schott Bilmann F., 2001), état paradoxal où l’individu s’éprouve à
la fois uni au groupe et pourtant indifférencié. C’est ainsi qu’il accède à l’identité de « sujet
collectif ».

~ 61 ~
La prise en charge groupale permet donc un va et vient entre soi et l’altérité, dans un jeu
d’identification/distance par lequel le patient trouve sa place entre la fusion et la séparation.
(Schott Billmann F., 2001). Le patient se vit donc en séance dans un rapport à soi et au
groupe.

C’est un des points développés par Laura Sheleen, danseuse et chorégraphe américaine, dans
ses dispositifs de danse-thérapie inspirés des techniques psychanalytiques de Jung et des
conceptions de Campbell et Laban. Il s’agit d’apprendre à « être là avec », en même temps
que d’autres, sans perdre son projet, son individualité. C’est trouver des possibilités à co-
exister, c’est-à-dire d’être à côté de l’autre, sans en être dépendant. Mais c’est aussi co-opérer,
savoir s’inscrire dans une dynamique collective, dans la considération de l’autre et du groupe
(dans l’expérience du portage collectif par exemple). C’est enfin se différencier, vivre un
processus d’émergence, sortir de l’unisson. « Il s’agit donc de se déphaser pour développer
consciemment une écoute personnelle » (Lesage B., 2006, p.125).

Réflexion autour de la difficulté d’être en groupe.

S’il est vrai que le groupe peut être source de bien être, et donc indiqué à la prise en charge de
certains patients, il peut aussi être vécu comme menaçant sa propre intégrité, l’unité de sa
personnalité. « L’enfer, c’est les autres » (Sartre, 1947). Car le groupe crée une situation où
chaque individu doit renoncer à une partie de ses désirs. Il est parfois difficile d’accepter
d’être au groupe, tant notre solitude est grande. Cette dernière, condition permanente de
l’existence humaine, est souvent vécue comme l’impossibilité de comprendre et communiquer
avec les autres, la difficulté de se décentrer, et d’accepter, sans condition, la singularité de
l’autre. Appartenir à un groupe n’est donc pas facile, précisément pour les patients
psychotiques s’éprouvant difficilement dans la relation aux autres. Dans un groupe, chaque
individu vit plus ou moins consciemment les nécessités d’être, marquées par la recherche de
son indépendance, de son autonomie et de son individualité, avec celles d’être-avec-autrui,
caractérisées par la dépendance, la subordination et l’identification (Hogue J-P., Lévesque D.
& Morin E., 1988, p.28). Pour nos patients, « être » et « être avec » est une double existence à
accompagner.

Pour nous thérapeutes, il s’agit de savoir considérer le groupe et les individualités. Nous
devons penser le patient et le collectif, articuler les projets thérapeutiques individualisés et

~ 62 ~
ceux du groupe. Ceci demande beaucoup de temps, d’élaborations en équipe, et d’écoute de
ce qui se joue en séance.

1.6 LIMITES DE LA DANSE COMME MEDIATION PSYCHOMOTRICE AUPRES


D’ADULTES SCHIZOPHRENES

La danse improvisée autorise une certaine liberté, qui ne doit pas faire oublier le cadre. Là est
toute la difficulté du travail auprès d’adultes dont la pathologie réfère à un défaut de limites.
La limite de la danse improvisation, serait celle du « passage à l’acte », à défaut de la « mise
en acte » (Vaysse J., 2006).

Il est donc fondamental de veiller au cadre et au dispositif.


Le terme anglo-saxon correspondant à la notion de cadre est celui de « setting », émergeant du
champ de la psychanalyse pour décrire initialement les règles formelles de la rencontre
thérapeutique : lieu, temps, rythme, organisation de l’espace et du temps de la séance. Le
terme s’est ensuite étendu au dispositif, c’est-à-dire ce qui est proposé au sein du cadre.
Le cadre en psychomotricité, revêt deux acceptations. Il s’agit d’abord du cadre physique, sou
tendu par une réalité, de l’ordre du concret : matériel, lieu, horaires, règles sociales, secret
professionnel, etc. Mais il aussi psychique, en ce qu’il implique d’étayage, de contenance, de
projections, de représentations, d’alliance thérapeutique. Ce cadre psychique s’étaie sur le
cadre physique, de la même manière que « le Moi psychique d’étaie sur le Moi corporel »
(Freud).
Ce cadre, dans une métaphore de l’os, doit être solide sans être rigide. Il doit pouvoir
permettre à chacun d’émanciper son vécu du corps et ses pensées, mais aussi prévenir toute
transgression de cette « loi thérapeutique ». En effet, pour accueillir les patients, accompagner
leurs difficultés identitaires ou existentielles, et leur permettre de s’y mobiliser pour évoluer,
la séance doit être à la fois contenante, sécurisante, pour éviter le morcellement ou la
dispersion, suffisamment souple pour permettre les explorations et l’expérience de
transformations. Mais elle doit aussi pouvoir surprendre, déranger parfois un certain ordre
dans lequel les patients se confinent (Lesage B., 2005).

D’autres difficultés encore, peuvent concerner la façon de mobiliser le corps des patients que
nous accompagnons.

~ 63 ~
La première réflexion renvoie aux possibles difficultés de l’improvisation, envisagée comme
une libération du geste dansé. « Un travail sur le mouvement va lever une inhibition, re-
mobiliser ses impulsions. Il nous semble important que cette re-mobilisation se fasse de
manière progressive, en tenant compte du rythme et des craintes du patient afin de ne pas le
mettre en danger. En effet, cela peut angoisser le patient qui craindra un « débordement », la
mise en acte étant alors vécue comme un passage à l’acte culpabilisant et destructeur ».
(Musitelli C., 2002).
Notre atelier fait aussi explorer le corps dans un rapport à l’espace et au corps de l’autre. Il est
donc essentiel de prendre en considération la distance dont le patient a besoin pour vivre
sereinement l’expérience de son corps. Car « pénétrer la bulle « péri-corporelle » est
généralement vécu comme une intrusion en l’absence de consentement (…). Ce sentiment se
transforme vite en sentiment angoissant d’effraction corporelle avec morcellement du moi
chez les patients psychotiques aux limites corporelles très importantes » (Vaysse, 1988). Sans
cette préoccupation, le travail d’ex-pression (littéralement « laisser-aller ») peut être vécu
comme dangereux, car réalisé vers un extérieur considéré comme potentiellement hostile.
Mais la danse peut aussi mettre à mal le vécu de nos patients, au travers de sa fonction
d’unification du corps dans le mouvement. Rappelons qu’un des mécanismes de défense des
sujets psychotiques consiste à cliver le corps et la psyché, en deux entités qui s’ignorent.
Alors cette unification, qui induit un réinvestissement du corps comme « premier objet
significatif et comme premier objet du retour du réel » (Delacroix cité par Claire Musitelli),
peut parfois susciter des craintes ou appréhensions.
Enfin la danse, en ce qu’elle offre de possibilités d’interactions, de corps à corps entre les
patients et les thérapeutes, n’est pas sans risque pour la structuration psychocorporelle du
sujet psychotique. Ce contact physique n’est pas un acte neutre. Pour qu’il soit vécu du mieux
possible, mais aussi qu’il permette une véritable « appropriation de soi à travers l’autre »
(Pujade, 1970, cité par Claire Musitelli), « le corps du thérapeute doit être perçu comme un
support à la fois solide (pouvant supporter leurs assauts, projections) et accessible (possible
élément d’identification, d’introjection) » (Musitelli C., 2002). C’est dans cette qualité de
présence au patient, que ce dernier pourra réinvestir son corps et la relation dans une
dimension de plaisir et de confiance.

Les limites sont donc également relatives à la réalité de la pathologie dont souffre notre
patient.

~ 64 ~
Nous sommes tout d’abord confrontés à la pauvreté gestuelle de nos patients. Face à la perte
de l’initiative motrice manifestée par certains patients schizophrènes, il faut pouvoir engager
le corps dans la danse sans le contraindre, l’accompagner sans l’assister. Il s’agit de solliciter
la danse en s’adaptant aux possibilités corporelles des patients, de « partir de là où ils en sont
et non de là où ils devraient être ». Je dirais ici que si les possibilités du corps sont bien
souvent limitées, il faut être convaincu qu’il est toujours possible de mobiliser quelque chose
en eux. Nous devons je crois faire confiance, et savoir se saisir de ce qu’ils savent faire et que
l’on ne voit pas toujours.
Nous sommes aussi face à la difficulté de certains patients à verbaliser leurs ressentis. Le
psychomotricien doit pouvoir mettre en mots le vécu du patient qui aurait du mal à se dire,
sans interpréter ou lui prêter des sentiments qui ne lui appartiennent pas (problématique
contre-transférentielle). Mais ceci questionne également la pertinence d’un temps de parole en
fin de séance. Verbaliser les ressentis revient à considérer la danse comme un prétexte à la
verbalisation. Mais la danse ne peut-elle pas être considérée comme un réel texte en soi ? Est-
il toujours nécessaire de chercher à parler de l’expérience dansée ?
Notons pour finir que notre prise en charge psychomotrice à médiation danse n’a pas vocation
de guérir la maladie. Elle ne le pourrait pas. Elle n’est pas non plus envisagée comme une
urgence vitale, comme une pratique psychocorporelle qui « changera la vie » de notre patient.
Avec humilité, nous pouvons simplement l’envisager comme un moyen de le faire tendre à un
mieux être.

Par ailleurs discuter les limites de notre approche, c’est aussi évoquer la dépendance
pharmacologique des patients. Les effets secondaires aux traitements médicaux parfois lourds,
n’aident souvent pas à la pratique psychomotrice. Pourtant essentiels au mieux être du patient,
ces traitements en limitent bien souvent l’efficacité.

Enfin les limites de ma pratique psychomotrice sont aussi d’ordre institutionnel. Elle est en
effet inscrite dans un projet de soins, dépendant de la structure institutionnelle, qui en précise
le cadre et les limites. La conception de l’atelier « Corps, Mouvement et Expression » n’aurait
pu être concrétisée sans l’adhésion du corps médical et paramédical. Certaines modalités de
prise en charge ont d’ailleurs été discutées en équipe et parfois modifiées, en raison de la
« politique institutionnelle ».

~ 65 ~
2 VECU EXISTENTIEL

2.1 PORTER UN REGARD NEUF SUR CE QU’ON CROIT CONNAITRE

Ce thème de mémoire est né d’un parti pris, d’une connaissance présumée de la danse et de la
psychomotricité. Je pensais par lui confirmer ce que je croyais savoir, dans une démarche
aboutie et confortable. Mais j’ai appris bien plus encore.

J’ai appris à me servir des connaissances acquises au cours de ma formation à la


psychomotricité, mais aussi à y renoncer parfois, pour m’ouvrir à un autre regard, à celui des
individualités originales que j’ai pu accompagner cette année et qui elles ne s’apprennent pas
dans les livres… J’ai parfois accepté de perdre pour mieux m’enrichir. Plutôt que d’appliquer
scolairement des savoirs acquis dans un contexte empirique, j’ai dépassé les « pré jugés »
théoriques afin de me laisser traverser par l’expérience pratique, au plus prés de la réalité du
métier de psychomotricien.

2.2 S’ADAPTER A L’AUTRE

J’ai pu par cette expérience de stage, me saisir de tout le sens de la capacité d’adaptation,
attitude fondamentale dans l’exercice de la psychomotricité.

L’adaptation est une manifestation de la vie, qui donne à l’Homme son intelligence.
S’adapter, c’est transformer quelque chose en nous pour être plus en adéquation avec l’autre.
Au regard de cette expérience, je dirais que s’adapter, c’est se décentrer de soi-même,
« s’alléger de soi » pour laisser une place à la réalité de l’autre.

C’est ce à quoi je me suis appliquée au cours de ce stage.

Auprès des patients pour commencer. J’ai du faire avec ceux qu’ils étaient, et non avec ceux
que j’aurais aimé qu’ils soient. J’ai du accepter de n’être parfois pas comprise, leur donner le
temps, les accompagner à leur rythme, répéter souvent, décomposer parfois, les écouter
vraiment. J’ai du accepter de prendre un autre chemin, de me saisir d’une autre direction, celle

~ 66 ~
qu’ils m’indiquaient. Voyager et parfois me laisser guider par eux, me laisser surprendre… à
m’émerveiller. Trudi Schoop, danse-thérapeute américaine, disait toute l’importance
d’apprendre à « être flexible : ne pas préparer trop précisément les séances, mais s’adapter
aux propositions des malades comme une forme positive de leur expression, que l’on veut
justement susciter, puis varier et élargir » (1978, p.30).

J’ai aussi eu à m’adapter au cadre même de cette prise en charge. J’ai du accepter les
différents regards, celui de ma maître de stage psychomotricienne et celui de la danseuse
professionnelle. Mais aussi m’adapter à la façon de les articuler en séance, de manière à ce
que cette diversité n’empêche pas la cohérence, mais donne au contraire une richesse, du lien
et du sens à nos prises en charge. J’ai du m’adapter à cette dynamique particulière, dans
laquelle je devais rebondir à leurs propositions en venant nourrir la séance avec quelque chose
de nouveau tout en gardant la continuité du processus thérapeutique que nous engagions.

Enfin j’ai du m’adapter à l’institution et son fonctionnement, respectant ses rythmes et la


disponibilité du personnel soignant.

2.3 TROUVER SA PLACE

Ou comment s’inscrire dans une co-thérapie, prendre place dans une dyade thérapeutique qui
nous préexiste ? Comment exister dans le psychisme de l’autre, être identifié ? Comment être
à la fois dehors (observer) et dedans (expériencer) ?

Trouver sa place au sein d’une relation préétablie peut être difficile. Au début, c’est peiner
à s’inscrire, trouver sa place au cœur de quelque chose qui tient sans nous, et se vivre comme
une « pierre désolidarisée de l’édifice ». Trouver sa place de tiers, et par là même construire
une nouvelle relation, demande du temps, de la douceur et de l’écoute. Il s’agit de comprendre
les regards des deux partenaires de soin, et leur façon de les articuler en séance.

Comment trouver une place en l’autre ? Se savoir exister dans le psychisme de l’autre,
occuper une place, même éphémère, est fondamentale à toute expérience humaine. Et au
combien dans la relation thérapeutique...

~ 67 ~
Auprès des autres partenaires de soin pour commencer. J’ai du trouver ma place auprès de
deux soignants, habitués à travailler ensemble et constituant à eux seuls une véritable équipe
thérapeutique. Il m’a fallu prendre le temps, observer, comprendre la façon dont ils
fonctionnaient. Prendre place, c’était un peu comme observer ces deux soignants, comme
deux roues d’un même rouage, fonctionnant harmonieusement et de façon autonome, et,
doucement, trouver un point d’ancrage pour m’inscrire dans cette circularité d’échanges.

Auprès des patients bien sûr. Prendre place auprès d’eux, c’était avant tout apprivoiser. Afin
de trouver les mots pour le dire, je choisis ceux d’un autre : « On ne connaît pas les choses
que l’on apprivoise…il faut être patient. Tu t’assoiras d’abord un peu loin de moi, comme ça,
dans l’herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de
malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t’asseoir un peu plus près… » (De Saint Exupéry,
Le Petit Prince).

Comment se placer tout à la fois « dans » et « en dehors » de l’expérience ? Il faut


pouvoir être tout à la fois acteur et observateur, s’impliquer corporellement dans l’expérience,
mais aussi savoir être à distance, pour regarder et comprendre.

Agir et observer sont deux attitudes fondamentales à l’exercice de la psychomotricité.

Agir, c’est vivre dans son corps l’expérience dans l’ici et maintenant. C’est partager la réalité
concrète, palpable, des patients en séance. C’est s’engager, assumer d’être là dans ses actes, sa
voix et son regard.

Observer, c’est avoir « l’esprit mobile dans un corps immobile », exercice difficile pour la
psychomotricienne que je deviens. C’est parfois penser que l’on subit, que l’on ne contrôle
pas, et que l’on ne sert à rien. Comme le miroir solidement fixé au mur blanc de la salle de
psychomotricité, c’est aussi recevoir la lumière crue des jours en pleine face. C’est parfois
recevoir les projections des patients, leurs difficultés, leurs angoisses, leur souffrance sans
pouvoir y répondre dans l’instant. Mais observer, c’est aussi mettre l’expérience à distance
pour mieux l’envisager. C’est en marge, dans « une aire de calme au centre de la tempête »,
pouvoir apprécier ce qui se joue en séance.

Pour être à la fois « dans » et « en dehors », agir et observer, il faut une écoute constante et de
l’expérience. Je l’apprends encore.

~ 68 ~
2.4 EN QUETE D’UTILITE, CEDER A L’AGIR

Cette expérience de stage pré professionnel a réactualisé en moi la problématique du « se


sentir capable », « être utile », sous-tendue par l’idée d’être nécessairement dans l’agir.

Nous agissons parfois, voire « sur-agissons », pour ne pas penser les choses qui nous font
peur, ou encore pour chercher à dire ou se prouver à soi-même que nous sommes capables,
que « nous servons à quelque chose ». L’utilité est un des besoins fondamentaux de l’être
humain, avec l’amour et la sécurité. Le sentiment d’être utile à quelque chose ou à l’autre,
nous donne le sentiment de l’existence, d’avoir une place. Nous recherchons bien souvent cet
état d’« être pour l’autre » en essayant d’agir, de faire, quitte à faire trop.

En faisant toujours et encore plus, dans une démonstration d’un « savoir faire » (somme toute
relatif), nous manquons je crois l’essentiel. Nous ne sommes plus le « Je pense donc je suis »
de Descartes, mais le « J’agis donc je suis ». Nous ne laissons ni le temps ni la place au fait
même de penser, de « savoir être ». Penser, c’est réfléchir à nos doutes, aux incertitudes, aux
difficultés, à ces états d’âmes fragiles qui font si peur. Or les doutes font je crois aussi partie
de l’expérience. C’est en fait eux qui nous questionnent, et nous permettent d’avancer.

J’ai donc appris à accepter les silences, les temps béants qui bien souvent nous renvoient à
une angoisse de mort : « je ne disparais pas entre temps, j’existe dans ce silence ». J’y suis
livrée à moi-même, je me livre à moi-même, et dois retenir quelque chose de mon intériorité.
Alors j’ai accepté de ne rien avoir à dire, de ne rien entendre de l’adulte, de ne pas
comprendre dans « l’ici et maintenant ». Il m’a fallu prendre le temps, apprendre la patience.
J’ai du accueillir ces « temps de rien » comme faisant partie de l’expérience, ces temps de
vide qui ouvrent un espace pour contacter l’autre, créer du lien. Plutôt que d’imposer de fait
un geste, une danse, d’être immédiatement dans l’agir (à défaut de l’inter-agir), je me suis
autorisée à tâtonner, sentir dans le corps et dans le cœur ce que le patient cherchait à me dire.
C’est un peu comme « partir de lui » pour « aller vers lui ». C’est en cheminant ainsi que je
pense m’être rendue véritablement utile.

~ 69 ~
2.5 APPRENDRE A TRAVAILLER « AVEC » L’EQUIPE « POUR » LE PATIENT

Cette expérience de stage en hôpital de jour m’a appris le travail en équipe, l’importance d’y
faire sa place, et l’intérêt fondamental d’une réflexion institutionnelle autour de projets
individualisés des patients.

Qu’est-ce qu’une équipe ? « Equipe » viendrait du vieux français « esquif », qui désignait à
l’origine une suite de chalands attachés les uns aux autres et tirés par des hommes, à l’image
des bateliers tirant sur la même corde ou celle de bateaux attachés ensemble. Par extension,
est naît l’idée d’équipe de travailleurs pour réaliser une œuvre commune. Il y a donc dans ce
mot une idée de lien, un but commun, une organisation, un double dynamisme, une victoire à
gagner ensemble. L’équipe n’est donc pas la simple juxtaposition de professionnels, mais une
entité en laquelle s’entrecroisent et s’articulent les regards et les compétences.

L’équipe soignante est un collectif qui fait soin, se nourrit des regards et des compétences de
chacun, crée des synergies, impulse une dynamique d’analyse transversale de la
problématique du patient pour l’accompagner dans sa globalité.

Il est fondamental de pouvoir travailler avec l’ensemble des professionnels de


l’institution. Le travail en équipe doit donc créer du lien, de la cohérence entre les différents
acteurs du soin. A fortiori en psychiatrie adulte, où la problématique du morcellement des
patients est bien souvent une réalité, l’équipe doit assurer une fonction d’enveloppe
psychique, de contenant de pensée, créer du lien pour encourager et soutenir un meilleur
devenir des patients.

Le bon fonctionnement d’une équipe nécessite de l’écoute, de la générosité, de la confiance et


de la loyauté. Plus encore, elle requiert à mon sens une coresponsabilité des efforts et des
résultats du travail entrepris par les professionnels. Il s’agit d’assumer ensemble les
conséquences et les inconséquences du travail de l’équipe, et non d’incriminer un
professionnel dans la réussite ou l’échec d’une thérapeutique. Pour reprendre la signification
princeps du concept d’équipe, c’est prendre conscience d’appartenir au même bateau, dans les
aires d’eau calme comme au cœur de la tempête.

Une équipe ne navigue pas à vue. Elle travaille au projet institutionnel, dont la déclinaison
opérationnelle correspond au projet d’établissement. Il s’agit de réfléchir à des buts, qui

~ 70 ~
donnent une direction, une finalité au travail de l’équipe, mais aussi des objectifs, véritables
étapes, par lesquelles sont mis en œuvre des outils, des moyens thérapeutiques spécifiques.

Pour atteindre son but, une équipe doit pouvoir identifier et reconnaître la place et les rôles
des professionnels qui la constituent, questionner le sens de leur fonction et penser la
complémentarité de chaque compétence. L’activité de chacun doit être identifiée, clarifiée et
consentie par l’ensemble de l’équipe.

Notre place de psychomotricienne est donc à construire, à communiquer, à justifier. Pour


s’inscrire véritablement au sein d’une équipe, il faut être bien au clair avec ce que nous
voulons et pouvons faire, mais aussi savoir ce que l’on attend de nous.

Enfin l’équipe institutionnelle tient son existence de la réalité du patient. Il s’agit de


travailler pour et avec lui, de le placer véritablement au centre des réflexions et des
thérapeutiques. Les patients sont à considérer comme « sujets de droit », sujets de leurs
parcours de soin. Pour le Grand Dictionnaire de la Psychologie Larousse, concevoir l’individu
comme « sujet », c’est l’envisager comme être désirant qui établit seul sa propre vérité. Les
patients ne sont donc pas « objets de soin », soumis à la vérité de l’autre, mais « sujets de
soin ». Par ailleurs, l’équipe doit en faire des « acteurs institutionnels », leur permettre d’agir
leur vie dans l’institution. C’est en pensant le patient dans cette humanité que l’équipe
s’assure de sa « bientraitance ». La relation entre l’équipe soignante et le patient, pour relever
de la « bientraitance », doit être un réel acte de partage, une alliance thérapeutique
envisageant chacun dans un rapport d’égal à égal. Non sans en faire oublier la place de
chacun, dans une juste distance, il s’agit de reconnaître à l’autre le droit d’exister tel qu’il est,
d’être digne d’être là.

Précisément, travailler en équipe « pour » le patient, c’est bien souvent l’aider à accéder à un
mieux être, en faire un être réconcilié avec les autres. C’est pour les soignants, être « au bord
d’eux mêmes » pour s’ouvrir au patient et s’en approcher. C’est dans la rencontre, lui
accorder une dignité, une reconnaissance, un respect, le sentiment d’être entendu et considéré.
C’est aussi parfois lui restituer un sentiment d’utilité, en sollicitant l’altruisme, la solidarité et
le partage au sein des groupes thérapeutiques. C’est l’aider à toujours plus avancer, légitimer
ses difficultés, impulser de la vie, donner de l’espoir sans illusionner. C’est enfin s’adapter
constamment à la réalité de ce qu’il vit, prendre avec lui les chemins, faire demi-tour, s’arrêter

~ 71 ~
sur le bas côté, reprendre son souffle et repartir. C’est accepter d’accompagner, dans les
progrès comme dans les difficultés.

Enfin c’est rarement faire bien, mais toujours faire au mieux.

2.6 COMMENT ETRE « SOIGNANT » ?

Ce qui précède ouvre la réflexion sur la façon d’être soignant. Etre soignant, c’est une façon
d’être pour l’autre, prendre soin, encourager l’existence.

Alors comment bien soigner, comment accompagner le souffrant sans être trop dedans au
risque de la fusion ou trop dehors au risque de l'exclusion? Comment être dans l’empathie,
aider sans pour autant « prendre » la souffrance de l’autre ? Comment concilier nos désirs et
celui du patient, comment articuler nos idéaux et la réalité, celle du sujet dans son âme et son
corps? Comment faire le deuil d’un Idéal de soin, et accepter de n’être que « suffisamment
bons » (Winnicott) ?

Ces enjeux de « l’être soignant » questionnent ma pratique de thérapie psychomotrice.

Comment accompagner le patient sans être trop dedans au risque de la fusion, ou trop
dehors au risque de l’exclusion ? Ceci questionne notre rapport à l’autre, l’idée de distance
thérapeutique, de la « bonne » distance entre le patient et le soignant.

La distance thérapeutique a pour fonction d’asseoir la place de chacun, et doit être connotée
dans un sens positif, en tant qu’outil pour la continuité et la stabilité de la relation. Loin d’être
figée, en perpétuelle évolution dans la relation, la distance thérapeutique est dotée d’une
élasticité, d’une malléabilité à moduler et réajuster au travers du vécu du patient. En réalité la
distance ne peut donc être d’emblée bonne ou mauvaise, mais à adapter sans cesse dans la
considération des deux partenaires de la relation. Car il s’agit en effet d’être à l’écoute de la
distance adaptée à ce que vit patient, mais aussi pour nous soignant, de nous positionner de la
façon qu’il nous convient. Dans le cadre de la prise en charge d’adultes schizophrènes, pour
lesquels il est souvent difficile de trouver une juste distance pour vivre sereinement la relation
à l’autre, la distance thérapeutique paraît de première importance. Souvent dans un rapport à
l’autre fusionnel ou évitant, l’adulte schizophrène doit être investi dans une relation

~ 72 ~
d’équilibre. Il est donc important de n’être ni trop dedans au risque de la fusion, ni trop en
marge au risque de l’exclusion. La distance thérapeutique doit être suffisante pour permettre
un « espace entre », d’expression et de partage, sans être trop importante, au risque de s’y
perdre, d’être en rupture. Pour résumer, la distance thérapeutique peut être ainsi considérée,
comme « une distance, un vide métaphysique qui sépare irréductiblement deux absolues,
passerelle jetée irréductiblement d’un univers à l’autre dans un monde déchiré » (Paul
Ricoeur). Une distance en laquelle nous créons du lien, rencontrons la souffrance de l’autre et
tentons d’y répondre.

Comment être dans l’empathie, aider sans pour autant prendre la souffrance de
l’autre ? Ceci ouvre la réflexion d’une différence fondamentale entre l’empathie et la
sympathie.

L’empathie naît du préfixe « en », élément du latin « in » signifiant «dans », et du suffixe


« pathie » du grec « pathos » signifiant « ce qu’on éprouve ». Elle est par définition la faculté
à s’identifier à quelqu’un, à comprendre ce qu’il ressent. Elle consiste à saisir avec autant
d’exactitude que possible, les représentations et le vécu émotionnel d’une autre personne et à
les comprendre comme si elles étaient siennes. Il ne s’agit pas de ressentir, de prendre en soi
la souffrance de l’autre (car nous ne pouvons pas en réalité nous charger d’un poids qui ne
nous appartient pas), mais bien de comprendre avec lui ce qu’il vit et ce qu’il est. En
phénoménologie, Husserl fait de l'empathie le phénomène décisif sur la base duquel une
intersubjectivité s'établit pour constituer un monde commun.

La sympathie consiste à appréhender la souffrance de l’autre du fait d’une proximité affective,


d’une identification émotionnelle. Elle est une empathie exacerbée qui, comme l'indique
l'étymologie grecque, signifie "souffrir avec". Dans ce cas la présence à l’autre est spontanée,
effective et bien sûr affective. A travers l'empathie, l’attention est tout aussi sincère mais plus
distanciée, et souvent motivée par la volonté de communiquer.

Lauren Wispé résume bien cette différence : « L’objet de l’empathie est la compréhension.
L’objet de la sympathie est le bien-être de l’autre. En somme l’empathie est un mode de
connaissance, la sympathie est un mode de rencontre avec autrui ».

Il faut à mon sens se garder de « souffrir avec », de prendre en soi la souffrance de l’autre,
sans quoi nous ne pouvons être véritablement en mesure d’aider l’autre.

~ 73 ~
Comment concilier nos désirs et celui du patient, sa réalité ? Soigné et soignant sont les
deux acteurs d’une relation dans laquelle le désir de l’un et de l’autre est engagé.

Mais est-ce en réalité possible ? Notre désir de soignant peut il se satisfaire de la réalité du
patient ? N’est-il pas voué à être systématiquement insatisfait ? Le désir n’est-il pas
structurellement opposé à la réalité ? Je crois que c’est possible. Car être soignant, c’est savoir
accepter la réalité de celui dont on prend soin, l’admettre et s’en satisfaire. C’est accepter
l’altérité, le fait que nos désirs soient autres que ceux de notre patient. Il faut pouvoir faire
avec cette différence, composer avec. Ceci je crois demande à être pleinement soi, face au
patient à qui l’on accorde d’être pleinement lui.

Comment faire le deuil d’un idéal de soin ? Faire le deuil d’un idéal, c’est accepter la
réalité telle qu’elle est, et non comme nous voudrions qu’elle soit. C’est je crois par
l’expérience que l’on renonce à l’idéal de soin. Parce que la réalité du métier est souvent
moins simple, moins belle, moins idyllique que l’image que l’on se fait d’elle dans les livres.
Nous faisons ce deuil à travers les difficultés, les désillusions (le renoncement à la « toute
puissance » soignante), les leçons d’humilité.

Alors qu’en est-il de notre premier questionnement, de « l’être soignant » ?

En qualité de soignant, nous sommes véritablement dans une « préoccupation soignante


primaire ». Notre relation au patient est à l’image du lien entre l’enfant et sa mère (ses
parents) : à notre Idéal de soins (Idéal du Moi) se conjugue du côté du patient un soigné Idéal
(Moi Idéal). Alors comment faire ? Le temps nous apprend certainement à être là, à accepter
le patient tel qu'il est et pas tel qu’il devrait être.

Je crois que l’on devient soignant en donnant la possibilité de faire du temps de la maladie un
moment de vérité, de progression, et de renaissance. En faisant sentir à nos patients qu’ils sont
en vie. On le devient dans le désir de la relation, dans l’acceptation du patient comme
véritable sujet, dans l’écoute, le respect, l’empathie, la compréhension, la bienveillance et la
disponibilité.

Enfin pour répondre et conclure ce questionnement, je dirais que l’on parvient à devenir
soignant lorsque l’on saisit la différence entre « prendre soin » et « donner du soin ».

~ 74 ~
2.7 LA PROBLEMATIQUE DU PASSAGE

« J’ai fini par acquérir durablement le sentiment de l’éphémère ». (Jean Rostand)

Etre de passage. Accepter cette réalité implacable que rien ne peut durer.

La difficulté d’un stage est je crois d’accepter d’être de passage, de n’exister que
momentanément dans la vie du patient et des professionnels que nous rencontrons. C’est
accepter de croiser, vivre avec puis quitter l’autre, suivre une autre direction.

Passer, c’est franchir le seuil de la salle de psychomotricité, y entrer, commencer sachant qu’il
faudra finir, en sortir. C’est prendre conscience que le temps passe, et que dans l’heure
suivante ce « nous » ne sera plus, je serai moi avec un autre. La difficulté d’être de passage,
c’est aussi souvent n’avoir d’autre choix que de vivre l’instant, de n’exister parfois que dans
l’ici et maintenant, sans pouvoir véritablement investir le passé et l’avenir du patient. C’est
peut-être aussi, rencontrer pour la seule et unique fois. C’est enfin la réalité de ce que vit un
psychomotricien, par essence présence éphémère dans l’existence de son patient.

Prendre conscience et accepter ce passage, c’est apprendre à se séparer, faire son deuil. Je
crois qu’il questionne en effet notre rapport à la perte, la séparation. Nous avons largement
développé l’idée de lien, de l’importance de « créer du lien », notamment auprès d’une
population psychotique. Mais qu’en est-il de ce point de rupture, de la fin de l’« être en
relation »?

Se séparer, c’est quitter, se désunir de l’autre.

Pour accepter la séparation, supporter l’absence, il faut pouvoir garder en nous le souvenir, le
patient tel qu’il a marqué notre expérience de soignant. Il faut introjecter un peu de l’autre,
continuer à le faire exister en soi. Il faut garder en mémoire, combler le vide de son absence
par ce que nous avons appris de lui, de nous, de notre métier. C’est je crois par le souvenir
que nous réparons la perte.

~ 75 ~
Mais accepter la séparation, c’est aussi peut être admettre qu’en notre absence, le patient
continue d’exister, d’être en lien, avec d’autres. C’est comprendre qu’elle n’est pas une fin,
mais le début vers un ailleurs.

Enfin il est des circonstances où la séparation nous est plus ou moins acceptable. Nous
acceptons plus facilement la séparation d’avec un patient, dans le sentiment du devoir
accompli, du travail bien fait ou fait au mieux, de réussite de notre prise en charge. Nous
quittons le patient, en sécurité et en confiance, le sachant (ou le « pensant ») par nous mieux
armé dans la vie. Mais il en est différemment de rompre un lien dont on sait qu’il est encore le
fil pour ne pas tomber. Certains patients, encore fragiles, font le choix d’arrêter une prise en
charge, ou n’ont plus les ressources à poursuivre le travail. Tout arrêt de prise en charge,
quelle qu’en soit le motif ou la motivation, lorsqu’il n’est pas consenti, peut être une
séparation difficile à vivre. Difficile à vivre dans la considération de ce qui peut advenir du
patient sans nos soins, mais aussi dans le sentiment d’échec qu’il peut faire naître en nous.

Enfin un autre passage, celui qui nous fait devenir Autre. Depuis la chrysalide de nos trois
années de vie étudiante, éclore professionnelle un jour d’été 2009.

~ 76 ~
CONCLUSION

La danse, envisagée comme médiation psychomotrice auprès d’adultes schizophrènes, a


permis à chacun d’évoluer dans un meilleur rapport au corps. En leur offrant de découvrir leur
corps autrement, mais aussi de rendre possible un investissement corporel et un nouveau
regard sur eux-mêmes, la danse a fait émerger en eux le « désir d’être ». Elle a pu les
accompagner dans une écoute du mouvement qui les habite, le célébrer et lui donner l’espace
et le temps pour se dire.

Cette approche de l’autre m’a questionnée et enrichie. Il m’a fallu passer par les difficultés,
les sentiments d’échec, les remises en question, mais aussi apprendre la qualité d’empathie,
d’écoute et d’adaptation. Mais j’ai pu aussi comprendre les richesses de mon métier, tour à
tour conduire, accompagner et passer. Apporter quelque chose, laisser trace.

C’est aussi en donnant le temps au temps que j’ai façonné mon identité de psychomotricienne.
Un temps pour saisir la réalité du métier, réaliser mon incomplétude et accepter de
n’être que psychomotricienne « suffisamment bonne ».

~ 77 ~
BIBLIOGRAPHIE

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Annexes
Annexe 1

Les quatre Eléments

Les quatre éléments ont constitué un support à notre travail. Précisons les grandes
caractéristiques de ce que la philosophie Bouddhiste considère comme les quatre grandes
composantes de la matière corps, mais aussi ce que leur travail implique au niveau
psychomoteur.

L’élément terre renvoie à l’idée de solidité, d’ancrage et de poids.


Le travail autour de la terre engage notre rapport au sol, considéré comme une véritable
sécurité de base, une matière qui porte, mais renvoie aussi à la réalité et à la métaphore
maternelle (la terre « mère nourricière »). D’un point de vue psychomoteur, l’exploration des
qualités de mouvement en référence à cet élément terre, permet au patient de donner son poids
dans une dimension de confiance, mais aussi de faire l’expérience du rythme.

L’élément eau réfère à la fluidité et la cohésion.


C’est cet élément qui permet la cohésion entre deux choses sèches. Par extension, le travail
autour de l’élément eau permet d’engager le corps dans un mouvement unifiant. Il est en ce
sens psychomoteur. Au regard de la problématique psychotique, caractérisée par le
morcellement, l’exploration de l’élément eau participe du processus de réunification du corps
du psychotique. Par ailleurs, évoluer dans une qualité de mouvement relative à l’eau implique
une résistance dans le corps. Les patients qui cherchent à danser cet élément, doivent
contrôler la charge tonique qu’il engage dans le mouvement. Il s’agit donc d’un véritable
travail de régulation tonique.

L’élément air caractérise la légèreté et le mouvement.


Il implique une libre circulation du flux, dans un minimum de résistance. En proposant un
travail psychomoteur autour de cet élément, nous ciblons la problématique hypertonique de
nos patients. Etre plus léger dans son corps, c’est apprendre à se relâcher, travailler la capacité
de résolution musculaire volontaire.
L’élément feu mobilise le corps dans sa dynamique, ses tensions, sa force vive. Dans une
considération psychomotrice, il illustre le corps dans son hypertonie, ses variations
rythmiques, l’impulsivité motrice, etc.
Annexe 2
Annexe 3

Compte-rendu d’une séance type

Nous proposons une dernière séance autour de l’automne, construite à partir de photographies
prises la semaine passée au Parc des Batignolles. A cette occasion nous avions invité les
patients à contempler la nature, se laisser traverser par toutes les sensations émanant de ce
lieu, et en laisser trace au travers du média photographie.

Pour commencer cette séance, nous disposons aléatoirement les photographies (Annexe 2) au
sol. Ces dernières renvoient aux quatre éléments (air, terre, eau, feu), matière explorée depuis
plusieurs semaines. Nous proposons un échauffement autour de ces clichés, dans une
exploration libre de l’espace. Ce temps est l’occasion d’un travail sur la respiration, mais
aussi de prise de conscience de l’espace de la salle à travers tous les sens (aller au contact du
sol, des murs, et expériencer différents appuis, sentir les odeurs, regarder les éléments de
l’espace mais aussi les autres partenaires de la danse, écouter le bruit des pas et des
respirations, etc.). Ils évoluent alors librement en explorant leur kinesphère, à travers
différentes directions et rythmes.
Nous leur demandons ensuite de s’arrêter face à une photographie et de danser ce qu’elle leur
inspire.
Puis chacun choisit deux photographies et les fixe au mur à deux points de l’espace bien
différenciés. Ces dernières matérialisent un point de départ et un point d’arrivée. Les patients
doivent se saisir du sens de l’image, de ce qu’elle illustre, pour adopter une posture de début
et de fin. A l’intermédiaire, ils créent une phrase dansée selon un trajet et une qualité de
mouvement particuliers. La phrase chorégraphique ainsi construite et dansée, peut ensuite être
mise en composition avec celle d’un autre. Nous les invitons alors à réaliser leur danse trois
par trois, en cherchant à entrer en relation avec l’autre, par le contact ou le regard. Cette
évolution de soi vers l’autre permet de nourrir sa propre intériorité afin d’avoir ensuite
matière à partager avec l’autre.
Nous terminons notre session de travail autour de l’automne par une signature gestuelle par
laquelle chacun pose son identité au sein du groupe, et réitère sa différence.
RESUME

Ce mémoire traite des apports de la danse comme médiation psychomotrice auprès de patients
schizophrènes adultes.
Il fait état des grandes caractéristiques psychomotrices de l’improvisation dansée et de la
pathologie psychotique en référence à la littérature actuelle.
Puis il développe l’expérience clinique d’une prise en charge groupale nommée « Corps,
Mouvement et Expression ». Cette dernière montre que la danse n’est pas une simple
rééducation des fonctions psychomotrices perturbées, mais permet à travers le mouvement un
réinvestissement corporel par la découverte de nouvelles sensations.
Enfin il discute les aspects théorico-cliniques de cette thérapeutique et questionne mon
identité de psychomotricienne.

Mots clefs : Thérapie psychomotrice, Danse improvisation, Schizophrénie, Corps, Psyché,


Médiation, Groupe.

SUMMARY

This paper deals with the dance’s contributions as psychomotor mediation towards adults
schizoid patients.
It relates to the dancing improvisation and psychotic pathology’s main psychomotor
characteristics in response to actual literature.
It develops the group care’s clinical experience called “Body, Movement and Expression”.
And all comes down to saying that dance not only enables the therapy of disrupted
psychomotor functions, but using the movements allows corporal therapy via the acquisition
of new feelings.
Finally it discusses this therapeutic’s clinical theorical sides and questions my identity as
psychomotricity professional.

Key Words: Psychomotor therapy, Improvisation dance, Schizophrenia, Body, Psyche,


Mediation, Group.

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