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Corrigé – Cas pratique

Ce cas pratique permet de s’interroger sur l’application des règles de preuve d’un acte juridique.

En l’espèce, Alice a un commerce de brocante en ligne. Lors du démarrage de son activité, elle a
conclu plusieurs contrats :
- La vente d’une montre ancienne à Charles (I.) ;
- L’emprunt de 2 000 euros auprès de Joshua (II.) ;
- Les services de l’entreprise de traiteur de Paul (III.).

Il convient d’étudier successivement pour chacune de ces situations les règles de preuve applicable
du point de vue de la charge de la preuve, de l’objet de la preuve et des modes de preuves.

ð Conseils : Le cas pratique est rédigé sous la forme d’un énoncé unique, mais il fait apparaitre
trois situations/problèmes bien distincts les uns des autres. Dans cette hypothèse, il est plus
pertinent d’introduire rapidement le cas dans son ensemble (accroche en une phrase puis
contextualisation rapide du cas), puis de découper le rappel des faits et de présenter pour
chaque situation/problème le « mini » rappel de fait correspondant.

ð Conseils : Pour ce cas pratique, les problèmes étant nombreux, il est essentiel de faire un
plan ou, a minima, d’organiser de manière très claire son raisonnement au moyen de tirets…
En revanche, il n’y a pas de plan type à respecter. Ici, j’ai choisi de présenter les
situations/problèmes successivement (ce qui est le plus souvent le plan le plus évident et
pertinent), mais il était aussi possible de traiter la charge de la preuve pour chaque situation,
puis l’objet de la preuve pour chaque situation et enfin les modes de preuve et leur
admissibilité. Gardez à l’esprit que l’essentiel est que le lecteur qui est aussi le correcteur ne
se sente jamais perdu dans votre démonstration, qu’il sache ce que vous venez de traiter,
ce que vous allez traiter sans avoir besoin de relire les passages précédents.

I. La vente conclue avec Charles

Alice a vendu la montre de son grand-père à Charles pour un montant de 900 euros en présence
de Jean-Noël. Charles a payé 300 euros, mais refuse de payer la somme restante lorsqu’Alice le lui
demande.

ð Conseil : Le rappel des faits doit être le plus court possible. Seuls les éléments pertinents
pour la résolution du problème doivent être repris de manière succincte. Vous n’avez pas
à être particulièrement précis, le détail des faits doit surtout vous servir dans la mineure.

Alice pourra-t-elle récupérer la somme d’argent que lui doit Charles ?


Sur qui repose la charge de la preuve dans l’hypothèse d’une créance de 600 euros due par
l’acquéreur au vendeur et quel est l’objet de la preuve dans cette hypothèse ? Comment convient-
il de prouver une vente de 900 euros pour laquelle 600 euros reste à payer ? Le témoignage d’un
tiers peut-il permettre de faire la preuve d’une vente de 900 euros ?

ð Conseil : Comme indiqué dans la méthodologie, il faut formuler le problème de deux


manières, dans des termes courants puis juridiques. Toutes les questions qui sont posées
précédemment n’ont pas nécessairement à être formulées. Elles permettent d’illustrer les
différents problèmes et leur possible formulation qui peut être plus ou moins précise.

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Pour répondre à ces problèmes, il faut étudier successivement la charge de la preuve (A.), l’objet
de la preuve (B.) et les modes de preuve et leur admissibilité (C).

A. La charge de la preuve

Selon l’article 9 du Code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément
à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. Entre le juge et les parties, il revient aux
secondes et non au premier d’établir les preuves. Plus précisément, c’est au demandeur de prouver
l’objet de sa prétention, comme le prévoit l’article 1353, alinéa 1er du Code civil : « celui qui réclame
l’exécution d’une obligation doit la prouver ».

ð Conseils : Dans la majeure, il n’est pas toujours possible de se contenter de citer la règle
applicable et son fondement (= la disposition de l’article et son numéro). Parfois, surtout
lorsque la seule lecture de la disposition ne permet pas de bien comprendre la règle
applicable, il est nécessaire d’ajouter une explication de la règle. C’est le cas par exemple ici
de l’article 9 du Code de procédure civile.

En l’espèce, Alice demande à Charles de lui payer le complément de prix de la vente de la montre.
Elle revendique l’existence d’un contrat de vente et réclame l’exécution des obligations qu’il prévoit.

Par conséquent, Alice doit supporter la charge de la preuve.

B. L’objet de la preuve

Il faut prouver les faits contestés nécessaires à la prétention du demandeur.


La situation juridique qui fonde le droit subjectif du demandeur et qui constitue l’objet de la preuve
peut correspondre à un fait juridique ou à un acte juridique. Selon l’article 1100-1 du Code civil,
« les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. »

En l’espèce, Charles nie avoir acheté la montre et refuse de payer les 600 euros que lui réclame
Alice. Charles conteste la vente.
La vente est un contrat, donc un acte juridique. Plus précisément, il s’agit d’un contrat
synallagmatique puisque chaque partie est engagée. En l’espèce, Alice devait livrer la montre et
Charles devait payer le prix.

Par conséquent, Alice doit prouver l’existence d’un acte juridique : la vente et l’obligation de payer
le prix qui en découle.

C. Les modes de preuve et leur admissibilité

L’article 1358 du Code civil pose le principe de la liberté de la preuve : la preuve peut être apportée
par tous moyens. L’article 1359 du Code civil vient apporter une exception en exigeant une preuve
par écrit, mais uniquement pour les actes juridiques portant sur une valeur excédant le montant de
1500 euros (montant fixé par le décret n°80-533 du 15 juillet 1980).

En l’espèce, Alice a vendu la montre pour 900 euros. Il s’agit d’un acte juridique qui porte donc sur
une somme inférieure à 1500 euros.

Par conséquent, Alice peut rapporter la preuve de la vente par tous moyens.

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Le témoignage d’un tiers est un mode de preuve imparfait. Selon l’article 1381 du Code civil, les
déclarations des tiers doivent être faites conformément aux conditions déterminées par le Code de
procédure civile. Elles sont laissées à l’appréciation du juge qui en détermine souverainement la
force probante.

En l’espèce, Jean-Noël a assisté à la vente et a même conseillé à Alice d’exiger des paiements
comptants.

Par conséquent, Jean-Noël pourra témoigner en faveur d’Alice, ce qui lui permettra de prouver la
vente et l’obligation pour Charles de lui payer le prix (à condition que le juge accorde une force
probante suffisante au témoignage de Jean-Noël). Alice pourra récupérer les 600 euros
correspondant au complément de prix.

ð Conseils : Comme vous pouvez le constater, la question des modes de preuve a nécessité
deux syllogismes successifs (avec pour chacun une majeure, une mineure et une
conclusion). Le premier permet de déterminer le système de preuve applicable (preuve libre
ou preuve littérale) et le second permet de déterminer plus précisément le mode de preuve
pertinent. C’est un réflexe qu’il vous faut prendre dès maintenant dans la résolution du cas
pratique : chaque sous-problème doit faire l’objet d’un syllogisme à part entière vous
permettant d’aboutir à l’issue de plusieurs syllogismes successifs à une conclusion donnant
la solution du problème principal. Schématiquement, vous devez consacrer un syllogisme
pour chaque règle de droit appliquée (ou pour chaque ensemble de règles de droit portant
sur une même question). D’une part, cela vous permet d’être davantage exhaustif. Il y a
moins de risque d’oublier une règle de droit applicable dans la majeure si elle est courte et
centrée sur une sous-question tout comme vous n’oubliez pas de vérifier dans la mineure
la réunion en l’espèce des conditions exposées dans la majeure s’il s’agit de la seule règle de
droit appliquée. D’autre part, cela rend votre démonstration plus claire, cela facilite la
lecture et donc l’évaluation de votre travail. Plus vous faites de syllogismes distincts, plus la
progression de votre raisonnement vers la conclusion est compréhensible.

ð Conseils : La résolution du cas pratique s’arrête ici pour ce problème. En théorie, il revient
maintenant à Charles de prouver qu’il s’est acquitté du prix (conformément à l’article 1353
du Code civil qui prévoit que celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement). Si
l’énoncé dit vrai, il n’aura aucun mode de preuve lui permettant d’établir le paiement et sera
condamné à payer les 600 euros à Alice.

II. Le prêt conclu avec Joshua

Alice a emprunté 2 000 euros à Joshua avec lequel elle était amie par le passé. À la réception du
virement, elle a envoyé une carte de remerciement pour son prêt à Joshua, mais refuse désormais
de le rembourser.

Joshua pourra-t-il obtenir le remboursement de la somme prêtée à Alice ?


Sur qui repose la charge de la preuve dans l’hypothèse d’un prêt de 2000 euros non remboursé et
quel est l’objet de la preuve dans cette hypothèse ? Comment convient-il de prouver un prêt de
2000 euros ? Une carte de remerciement mentionnant un prêt peut-elle permettre de faire la preuve
du prêt ?

Pour répondre à ces problèmes, il faut étudier successivement la charge de la preuve (A.), l’objet
de la preuve (B.) et les modes de preuve et leur admissibilité (C).

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A. La charge de la preuve

Selon l’article 9 du Code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément
à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. Entre le juge et les parties, il revient aux
secondes et non au premier d’établir les preuves. Plus précisément, c’est au demandeur de prouver
l’objet de sa prétention, comme le prévoit l’article 1353, alinéa 1er du Code civil : « celui qui réclame
l’exécution d’une obligation doit la prouver ».

En l’espèce, Joshua demande à Alice de lui rembourser la somme prêtée. Il revendique l’existence
d’un contrat de prêt et réclame l’exécution de l’obligation qu’il prévoit.

Par conséquent, Joshua doit supporter la charge de la preuve.

B. L’objet de la preuve

Il faut prouver les faits contestés nécessaires à la prétention du demandeur.


La situation juridique qui fonde le droit subjectif du demandeur et qui constitue l’objet de la preuve
peut correspondre à un fait juridique ou à un acte juridique. Selon l’article 1100-1 du Code civil,
« les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. »

En l’espèce, lorsque Joshua demande à Alice de lui rembourser son argent, elle lui répond qu’elle
ne le remboursera jamais. Alice conteste être tenue de rembourser Charles en vertu du prêt.
Le prêt est un contrat, donc un acte juridique. Plus précisément, lorsqu’il est consenti entre
particuliers comme c’est le cas d’Alice et Joshua, le prêt se forme par la remise de la chose prêtée.
Il est un contrat unilatéral puisqu’une seule partie est engagée, l’emprunteur s’engage à restituer la
chose prêtée. En l’espèce, Alice devait rembourser la somme prêtée.
ð NB : en première année, vous ne pouvez pas savoir quelle qualification s’applique au prêt ;
la qualification de contrat unilatéral est précisée ici pour votre culture, mais elle n’était pas
attendue. En revanche, vous devez impérativement qualifier le prêt au regard de la
distinction entre acte juridique et fait juridique.

Par conséquent, Joshua doit prouver l’existence d’un acte juridique : le prêt et l’obligation de
restitution/remboursement qui en découle.

C. Les modes de preuve et leur admissibilité

L’article 1358 du Code civil pose le principe de la liberté de la preuve : la preuve peut être apportée
par tous moyens. L’article 1359 du Code civil vient apporter une exception en exigeant une preuve
par écrit pour les actes juridiques portant sur une valeur excédant le montant de 1500 euros
(montant fixé par le décret n°80-533 du 15 juillet 1980).

En l’espèce, Joshua a prêté la somme de 2 000 euros à Alice. Il s’agit d’un acte juridique qui porte
donc sur une somme supérieure à 1500 euros.

Par conséquent, Joshua doit établir le contrat de prêt par écrit c’est-à-dire soit par un acte
authentique, soit par un acte sous signature privée. Or, Alice et Joshua n’ont pas établi d’écrit
constatant leur accord et Joshua n’est pas en mesure d’établir le contrat de prêt par écrit.

Il faut donc vérifier si les exceptions à l’exigence de preuve par écrit s’appliquent.

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L’article 1360 du Code civil prévoit une première exception : l’exigence de preuve par écrit de
l’article 1359 du Code civil est écartée en cas d’impossibilité morale de se procurer un écrit.
L’impossibilité morale est caractérisée en présence de liens d’affection, amicaux ou familiaux
justifiant que les parties n’ont pas rédigé d’écrit. Un arrêt de la troisième chambre civile du 7 janvier
1981 justifie ainsi l’impossibilité morale d’établir une preuve littérale entre deux parties par les
« liens particuliers et quasi familiaux d’estime et d’affection qui s’étaient établis » entre elles. On
peut déduire de cet arrêt que la jurisprudence apprécie strictement l’impossibilité morale entre deux
personnes n’ayant pas de liens de famille, ils doivent être liés par des liens d’affection
particulièrement forts.

ð Conseils : Pour illustrer l’article 1360 et présenter l’interprétation qu’en retient la


jurisprudence, il est nécessaire de citer un arrêt en complément de l’article. Il ne s’agit pas
forcément de celui cité précédemment. N’importe quelle décision appliquant l’article 1360
(ou refusant de l’appliquer) à deux parties, notamment des amis comme c’est le cas en
l’espèce, fonctionne. Vous trouverez ces décisions sous les articles du Code civil, dans sa
version papier ; ici, sous l’article 1360.
ð De manière générale, chaque fois que le texte de l’article ne se suffit pas à lui-même, parce
que son application dépend de la manière dont la jurisprudence l’interprète, il faut citer un
ou plusieurs décisions de justice en complément, pour faire apparaitre dans la majeure
l’interprétation retenue. Lorsque vous citez une décision de justice (dans un cas pratique,
ou dans un autre exercice juridique), vous devez indiquer la juridiction ainsi que la date de
la décision. Il n’est pas strictement nécessaire, mais cela peut être intéressant de mentionner
le numéro identifiant la décision (par exemple numéro de pourvoi).

En l’espèce, Joshua et Alice étaient amis d’enfances, mais ils se sont perdus de vue pendant de
longues années avant de se retrouver par hasard il y a quelques mois. Les liens d’amitié qui les
unissaient par le passé pouvaient éventuellement être suffisamment forts pour justifier qu’ils se
dispensent d’un acte écrit (l’énoncé n’est pas assez détaillé pour pouvoir l’affirmer). Cependant, ils
se sont depuis perdus de vue et les liens ont manifestement été rompus. Au jour du prêt, leurs
retrouvailles datent de seulement trois mois. À défaut de précision supplémentaire de l’énoncé sur
l’intensité de leur estime l’un pour l’autre, cela ne caractérise pas une affection expliquant qu’ils
n’aient pas établi d’écrit.

ð Conseils : Lorsque, comme ici, l’application de la majeure donne lieu à discussion, la mineure
doit être particulièrement argumentée. Vous ne pouvez pas simplement affirmer que les
parties sont amies ou que les liens d’affection qui les unissent sont caractérisés. Vous devez
impérativement justifier votre réponse en utilisant les détails de l’énoncé que vous allez
interpréter, confronter aux exigences de la règle de droit et à partir desquels vous allez
argumenter dans un sens ou dans l’autre. Quelle que soit la conclusion à laquelle vous
aboutirez, elle ne sera pas considérée comme fausse dès lors qu’elle est justifiée par une
mineure argumentée. Ici, il est tout à fait possible de considérer que les liens sont suffisants
et que l’exception de l’impossibilité morale fonctionne, à condition, encore une fois, que la
solution soit parfaitement justifiée.

Par conséquent, l’exception de l’article 1360 ne s’applique pas et Joshua ne peut pas échapper à
l’exigence de preuve par écrit en invoquant l’impossibilité morale d’établir un écrit.

L’article 1361 du Code civil prévoit une seconde exception : il peut être suppléé à l’écrit exigé par
l’article 1359 par un commencement de preuve par écrit corroboré par un autre moyen de preuve.
L’article 1362 du Code civil définit le commencement de preuve par écrit grâce à trois critères :

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- Tout écrit
- Qui émane de celui qui conteste un acte
- Et qui rend vraisemblable ce qui est allégué

En l’espèce, Joshua dispose d’une carte de remerciement que lui a envoyée Alice après avoir reçu
le virement de l’argent prêté. Pour pouvoir qualifier cette carte de remerciement de commencement
de preuve par écrit, il faut vérifier qu’elle remplit les critères précédents :
- Elle est bien écrite.
- Elle a été envoyée par Alice qui a signé la carte, donc elle émane bien de la personne qui
conteste l’existence du contrat de prêt.
- Elle contient le mot suivant : « Mille mercis pour ton prêt ! Grâce à ton argent, mon
entreprise va décoller ! Signé : Alice ». Il est expressément fait référence à un prêt d’argent,
même si le montant n’est pas indiqué. La carte rend donc bien vraisemblable le prêt allégué
par Joshua.

ð Conseils : Lorsque la règle de droit appliquée dans la majeure fait apparaitre plusieurs
conditions, il faut veiller à vérifier qu’elles sont chacune remplies en l’espèce.

Par conséquent, la carte de remerciement constitue un commencement de preuve par écrit.

Selon l’article 1361 du Code civil, le commencement de preuve par écrit doit être corroboré par un
autre moyen de preuve pour suppléer à l’écrit. Un arrêt de la cour d’appel de Metz, du 6 septembre
2018 (n°15/03035, JurisData n°2018-016275) a ainsi considéré qu’un document faisant apparaitre
la création d’un virement d’un montant identique à celui du prêt allégué permet de corroborer un
commencement de preuve par écrit. Par ailleurs, le libellé d’un virement bancaire a été pris en
compte pour faire le lien entre le virement et l’opération (v. Com. 26 novembre 1990, n°88-14082,
pour des virements libellés « Garde de chien »).

ð Conseils : Pour illustrer des éléments aussi précis, il est tout à fait pertinent de citer une
décision des juges du fond. Il ne s’agit pas alors d’une décision de jurisprudence, mais d’une
illustration de la position qu’ont pu retenir des juges du fond confrontés à une situation
très similaire à celle du cas pratique. Une telle décision d’espèce peut également être citée
dans la mineure. Pour le cas présent, il n’était pas exigé que vous trouviez une solution
d’espèce correspondant à l’hypothèse spécifique du virement ; mais vous pouvez dès
maintenant commencer à vous entrainer à les chercher sur les plateformes juridiques.

En l’espèce, Joshua a prêté 2 000 euros à Alice au moyen d’un virement bancaire dont le libellé
était : « Longue vie à Net’Broc ». Des traces de ce virement ont certainement été conservées sur les
relevés de comptes.

Par conséquent, Joshua pourra produire en justice le relevé bancaire. Celui-ci permet de corroborer
le commencement de preuve par écrit constitué par la carte de remerciement, non seulement sur le
montant du prêt, mais également sur l’objet de l’opération.

ð Conseils : le libellé du virement bancaire permet seulement de corroborer le commencement


de preuve par écrit constitué par la carte ; le libellé ne constitue pas par lui-même un
commencement de preuve par écrit, car, s’il est bien écrit et qu’il rend bien vraisemblable
le prêt allégué, il n’émane pas d’Alice, à laquelle il est opposé, mais de Joshua.

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III. La prestation de service fournie par Paul

Pour l’organisation d’une soirée, Alice a fait appel aux services de l’entreprise de traiteur de Paul
pour un montant de 3 000 euros. Un contrat écrit a été rédigé en deux exemplaires, signés par les
parties. En raison d’une tornade, l’exemplaire détenu par Paul a été détruit et il dispose seulement
d’une photographie des contrats et d’un enregistrement pris à l’insu d’Alice dans lequel elle promet
de payer sa dette.

Paul pourra-t-il obtenir le paiement dû pour la prestation de traiteur ?


Sur qui repose la charge de la preuve dans l’hypothèse d’une prestation de service non payé et quel
est l’objet de la preuve dans cette hypothèse ? Comment convient-il de prouver une prestation de
service d’un montant de 3000 ? La photographie d’un contrat peut-elle permettre de faire la preuve
de celui-ci lorsque l’exemplaire original a été détruit ? L’enregistrement d’une conversation réalisé
à l’insu de son auteur constitue-t-il une preuve licite ?

Pour répondre à ces problèmes, il faut étudier successivement la charge de la preuve (A.), l’objet
de la preuve (B.) et les modes de preuve et leur admissibilité (C).

A. La charge de la preuve

Selon l’article 9 du Code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément
à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. Entre le juge et les parties, il revient aux
secondes et non au premier d’établir les preuves. Plus précisément, c’est au demandeur de prouver
l’objet de sa prétention, comme le prévoit l’article 1353, alinéa 1er du Code civil : « celui qui réclame
l’exécution d’une obligation doit la prouver ».

En l’espèce, Paul demande à Alice le paiement de la prestation de traiteur. Il revendique l’existence


d’un contrat de prestation de service et réclame l’exécution de l’obligation qu’il prévoit.

Par conséquent, Paul doit supporter la charge de la preuve.

B. L’objet de la preuve

Il faut prouver les faits contestés nécessaires à la prétention du demandeur.


La situation juridique qui fonde le droit subjectif du demandeur et qui constitue l’objet de la preuve
peut correspondre à un fait juridique ou à un acte juridique. Selon l’article 1100-1 du Code civil,
« les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. »

En l’espèce, Alice dissimule son exemplaire du contrat et espère échapper au paiement de la


prestation de service fournie par Paul. Alice conteste être tenue de régler cette somme à Paul.
La fourniture d’un service est un contrat, donc un acte juridique. Plus précisément, il s’agit d’un
contrat synallagmatique puisque chaque partie est engagée. En l’espèce, Paul devait réaliser puis
livrer le cocktail et Alice devait en payer le prix.

Par conséquent, Paul doit prouver l’existence d’un acte juridique : le contrat de fourniture de
prestation de service et l’obligation de payer le prix qui en découle.

C. Les modes de preuve et leur admissibilité

L’article 1358 du Code civil pose le principe de la liberté de la preuve : la preuve peut être apportée
par tous moyens. L’article 1359 du Code civil vient apporter une exception en exigeant une preuve

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par écrit pour les actes juridiques portant sur une valeur excédant le montant de 1500 euros
(montant fixé par le décret n°80-533 du 15 juillet 1980).

En l’espèce, le service de traiteur fourni par l’entreprise de Paul était facturé 3 000 euros. Il s’agit
d’un acte juridique qui porte donc sur une somme supérieure à 1 500 euros.

Par conséquent, Paul doit établir le contrat de fourniture de service par écrit c’est-à-dire soit par un
acte authentique, soit par un acte sous signature privée. Un tel écrit semble bien avoir été rédigé,
ce qu’il convient de vérifier.

Aux termes des articles 1364, 1367 et 1372 du Code civil, l’acte sous signature privée permet de
faire la preuve par écrit d’un acte, à condition de comporter la signature de chacune des parties,
laquelle manifeste le consentement de son auteur aux obligations découlant de l’acte. S’agissant des
contrats synallagmatiques, l’article 1375 du Code civil ajoute une exigence de forme : l’acte doit
alors avoir été rédigé en autant d’exemplaires qu’il y a de parties ayant un intérêt distinct et chaque
original doit mentionner le nombre d’originaux réalisés.

ð Conseils : Vous n’êtes pas tenus de recopier l’intégralité des dispositions que vous citez. Il
est tout à fait possible de regrouper plusieurs articles portant sur le même thème pour en
résumer le contenu. Il faut seulement qu’apparaisse l’essence de la règle de droit et toutes
les conditions nécessaires à son application.

En l’espèce, l’accord conclu entre Alice et Paul a pris la forme d’un contrat rédigé en double
exemplaire faisant mention de la nature de la prestation et de son coût. Alice et Paul ont apposé
leur signature sur le document. Les conditions exigées pour la réalisation d’un acte sous signature
privée sont donc remplies. On ignore simplement, à défaut de précision de l’énoncé sur ce point,
si les exemplaires du contrat mentionnaient bien le nombre d’exemplaires réalisés.

Par conséquent, sous réserve de cette dernière mention, la preuve par acte sous signature privée a
été préconstituée. Cependant, l’exemplaire de Paul a été détruit et il dispose d’une photographie.

ð Conseils : Il faut supposer ici que les conditions de l’acte sous signature privée sont remplies
afin de pouvoir étudier la qualification applicable à la destruction de l’acte et à la
photographie de celui-ci. De manière générale, lorsque l’énoncé du cas pratique laisse
entendre qu’il faut étudier certains aspects, vous devez impérativement le faire sous peine
de perdre les points qui leur sont attribués dans le barème, et ce, même si vos précédentes
conclusions rendent en théorie inutile l’étude de ces aspects.
Exemple tiré du droit de la famille : l’énoncé suggère que vous devez étudier la validité d’un
lien de filiation puis les effets qui résultent de ce lien ; si dans l’étude de la validité, vous
concluez que le lien de filiation n’a pas été établi, il ne peut pas produire d’effets ; pour
autant, pour les besoins du cas pratique, vous allez supposer la validité du lien de filiation
afin d’étudier ses effets et de répondre aux attentes du correcteur.

Selon l’article 1379 du Code civil, la copie fiable a la même force probante que l’original. Appliquée
à l’acte sous signature privée, cette règle signifie que la reproduction fiable de l’acte original peut
faire comme lui la preuve de ce qu’il contient. Avant l’adoption de cette disposition par le
législateur, la jurisprudence avait décidé que la photocopie d’un acte constituait une copie fidèle et
durable de l’acte et donc une preuve complète (v. par exemple Civ. 1re, 30 mai 2000, n°98-16519).
L’article 1379 du Code civil vient le confirmer et préciser que leur force probante est équivalente :

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l’acte sous signature privée tout comme sa copie fiable s’impose au juge. Néanmoins, seule la copie
jugée fiable équivaut à l’original. L’article 1379 précise que la fiabilité est laissée à l’appréciation du
juge. Dans la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation considérait de même que les juges du
fond devaient vérifier l'intégrité et l'imputabilité de la copie.

En l’espèce, Paul a pris en photo l’écrit constatant le contrat conclu avec Alice comme tous les
contrats passés par son entreprise. La photographie d’un acte constitue bien une copie de cet acte.
En général, la photographie est une représentation fidèle de l’objet pris en photo et aucun élément
de l’énoncé ne laisse penser que ce n’est pas le cas en l’espèce de la photo de Paul.

Par conséquent, sous réserve de l’appréciation des juges du fond, la photographie que possède Paul
constitue une copie fiable de l’acte sous signature privée original. Elle a la même force probante et
peut être qualifiée de preuve parfaite permettant d’établir le contrat de fourniture de service et la
dette due par Alice.

ð Conseils : Le cas pratique pourrait s’arrêter là dans la mesure où Paul peut présenter au juge
une preuve parfaite lui permettant de faire la preuve par écrit de l’acte. Mais comme indiqué
précédemment, dans la mesure où l’énoncé du cas pratique suggère qu’il faut étudier la
question de la destruction de l’acte authentique ainsi que le sort de l’enregistrement de la
conversation intervenue entre Alice et Paul, il faut poursuivre la résolution du cas.

L’article 1360 du Code civil prévoit que l’exigence de preuve par écrit de l’article 1359 du Code
civil est écartée lorsque l’écrit a été perdu par force majeure. La jurisprudence définit la force
majeure comme un évènement extérieur, imprévisible et irrésistible (triple condition réaffirmée par
Ass. plén., 14 avril 2006, n°04-18902).

En l’espèce, Paul disposait d’un acte sous signature privée original, mais il a été détruit en même
temps que le local de l’entreprise de Paul dévasté par une tornade. Un tel évènement climatique est
bien extérieur à l’entreprise de Paul, imprévisible et irrésistible. Paul n’avait pas les moyens de le
prévoit et de l’éviter en déménageant son local.

Par conséquent, l’acte sous signature privée a été perdu par un évènement de force majeure. Il est
fait exception à l’exigence d’une preuve littérale et Paul peut rapporter la preuve du contrat de
fourniture de service passé avec Alice par tous moyens. Il faut s’interroger à cet égard sur
l’enregistrement de la conversation.

Selon l’article 9 du Code de procédure civile, la preuve doit être établie conformément à la loi.
Autrement dit, la preuve n’est admise que si elle est licite. La jurisprudence a déduit de cette
disposition et de l’exigence de licéité de la preuve un principe de loyauté probatoire. Est irrecevable
un élément de preuve obtenu au moyen d’un procédé déloyal c’est-à-dire par un procédé clandestin.
Ainsi, « l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué et conservé à l'insu de
l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi
obtenue » (Civ. 2e, 7 oct. 2004, n°03-12653).

En l’espèce, au cours de la livraison du cocktail, Paul a enregistré grâce à son téléphone la


conversation qu’il a eue avec Alice. Celle-ci lui promet de lui payer le coût de la prestation de traiteur
sans délai. Cependant, aucun élément de l’énoncé ne précise que Paul a prévenu Alice qu’il
l’enregistrait. On peut en déduire que l’enregistrement a été réalisé à son insu. Cette situation

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correspond à la jurisprudence citée en majeure, à la seule différence qui ne parait pas déterminant
que la conversation n’a pas eu lieu par téléphone.

Par conséquent, l’enregistrement obtenu au moyen d’un procédé déloyal ne pourra a priori pas être
produit en justice à titre de preuve du contrat de fourniture. Néanmoins, il faut se demander si le
droit à la preuve de Paul est susceptible de forcer l’admission de cette preuve déloyale.

Sur le fondement de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le
droit à un procès équitable, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a créé
le droit à la preuve. La Cour de cassation a repris ce droit à la preuve dans un arrêt Civ. 1re, 5 avr.
2012, no 11-14.177 (Doc. 1) : le droit à la preuve permet d’admettre une preuve qui ne devrait pas
l’être car elle viole le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances. Pour faire
primer le droit à la preuve, l’élément litigieux doit être indispensable à l’exercice de son droit à la
preuve, et proportionné aux intérêts antinomiques en présence. D’une part, l’élément litigieux ne
peut être admis que s’il n’existe pas d’autres moyens d’établir le fait à prouver. D’autre part, la
preuve doit être proportionnée : suivant une appréciation casuistique, l’atteinte que le droit à la
preuve permet de dépasser doit être strictement nécessaire aux intérêts défendus (v. par exemple
Civ. 1re, 31 octobre 2012, n°11-17476, Doc. 2). Il faut souligner que jusqu’à présent, le droit à la
preuve a permis de faire admettre une preuve contraire au droit au respect de la vie privée ou au
secret professionnel (secret bancaire), mais n’a jamais été utilisé en jurisprudence pour l’admission
d’une preuve contraire au principe de loyauté de la preuve.

En l’espèce, Paul peut prouver le contrat de fourniture de service passé avec Alice par tous moyens,
mais il ne peut pas produire en justice l’enregistrement de leur conversation, jugé déloyal. La
production de cet enregistrement n’est pas indispensable à l’exercice de son droit à la preuve. En
effet, il possède un autre élément de preuve : la photographie du contrat. Il n’est dès lors plus
nécessaire de vérifier si la production de l’enregistrement est proportionnée aux intérêts
antinomiques en présence, les deux conditions pour faire primer le droit à la preuve étant
cumulatives (au demeurant, l’énoncé n’est pas assez détaillé pour pouvoir contrôler la
proportionnalité).

Par conséquent, l’enregistrement de la conversation entre Paul et Alice ne peut pas être produit en
justice à titre de preuve.

Introduction générale au droit – Université d’Angers – C. Gardette 10

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