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L’affaire Eulenburg :
homosexualité, pouvoir monarchique
et dénonciation publique dans l’Allemagne
impériale (1906-1908)
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Résumé - À partir de la fin de 1906, le polémiste Maximilian Harden lance dans sa revue Die Zukunft
une campagne de presse visant à discréditer l’entourage direct de Guillaume II et notamment le prince
Eulenburg et le comte Moltke, amis intimes de l’empereur. Débute ce qui va devenir l’une des plus graves
crises internes du régime. « L’Allemagne, proclame Harden, est dirigée par des homosexuels maladifs et
dégénérés qui pervertissent l’empereur et le poussent à la faiblesse envers la France. » La stratégie du
polémiste est d’épargner le souverain (éviter absolument le crime de lèse-majesté) et de ne dénoncer
que les conseillers incapables. Plusieurs procès en diffamation s’ensuivent. On peut lire, à travers leur
déroulement, l’enchevêtrement et le conflit grandissant, au sein de la société wilhelminienne, entre une
société de cour, fondée sur la faveur et le secret, et une société d’information, fondée sur le magistère du
verbe et la production de la preuve. Le conflit entre les notions de culpabilité et de déshonneur, respec-
tivement lavés par le procès et le duel, est le révélateur de cette tension, de même que l’opposition entre
le discours et l’argumentation publics – diatribes de Harden ou plaidoyer du chancelier Bülow – et la
logique du silence – silence souverain de l’empereur ou parole de gentilhomme de Eulenburg et Moltke.
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1. Bülow (B. von), Denkwürdigkeiten, vol. II, Berlin, Ullstein, 1930, p. 309.
2. D’après Proust (M.), Esquisse, IV, p. 955, Paris, Gallimard (La Pléiade).
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3. Mayer (A.), La persistance de l’Ancien régime : l’Europe de 1848 à la grande guerre, Paris, Flammarion,
1990.
4. Élias (N.), La société de cour, Paris, Calmann-Lévy, 1974.
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la mise en cause directe de Guillaume II, qui affleure dans les brûlots de Die
Zukunft mais également, en négatif, dans la défense des accusés.5
5. Pour les données biographiques concernant Harden, cf. Young (H. E.), Maximilian Harden, Censor Ger-
maniae. The Critic in Opposition from Bismarck to the Rise of Nazism, La Haye, Martinus Nijhoff, 1959 et
Weller (B. U.), Maximilian Harden und « Die Zukunft », Brême, Schünemann Universitätsverlag, 1970.
Harden fait partie, ainsi que Kraus, des figures étudiées par T. Lessing dans son célèbre livre Der jüdische
Selbsthaß, Berlin, 1930 (trad. française : La haine de soi : le refus d’être juif, Paris, Berg-International, 2001).
6. D’importants fragments de sa correspondance ont été publiés : avec W. Rathenau dans Hellige (H. D.),
Schulin (E.), dir., Briefwechsel, Walther-Rathenau Gesamtausgabe, vol. 6, Munich, Gotthold Müller/Hei-
delberg, Lambert Schneider, 1983 ; avec F. von Holstein dans Rich (N.), dir., Die geheimen Papiere Friedrich
von Holsteins, vol. 4, Göttingen, Musterschmidt, 1963 ; cf. également Martin (A.), dir., Briefwechsel mit
Maximilian Harden. Frank Wedekind, Thomas Mann, Heinrich Mann, Darmstadt, Häusser, 1996.
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dans les salons berlinois ; et Harden joue à merveille du lien implicite entre tra-
hison et déviance, entre groupe d’intérêt et conjuration. Dans la seconde salve
d’articles, tirée à partir d’avril 1907, les insinuations d’Harden deviennent uni-
voques et expliquent de plus en plus leur influence pathogène par leurs mœurs
déviantes. Les 13 et 27 avril 1907, il s’insurge contre l’obtention de l’ordre de
l’aigle noir par Eulenburg. Rappelant que la dignité de chevalier de l’ordre de
Saint-Jean a été refusée auparavant au prince Frédéric-Henri de Prusse en rai-
son de son « inversion sexuelle », il s’étonne qu’apparemment « les statuts de
l’ordre de l’aigle noir [soient] différents, puisque la vie intime d’au moins un
des membres du chapitre n’est pas plus saine que celle du prince banni 15 ».
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Dès le début des années 1890, Bismarck, qui tenait Eulenburg pour partielle-
ment responsable de sa mise à l’écart, explique à Harden que l’ami de l’empe-
reur est un séducteur dangereux, politiquement néfaste16. L’animosité du clan
Bismarck envers le favori est confirmée par le médecin et confident du chance-
lier défunt, le docteur Schweninger, qui appuie les dires de Harden :
« Le prince [Bismarck] et son fils Herbert tenaient pour funeste l’activité
d’Eulenburg, notamment pour les nominations aux emplois, et dans le rôle d’un
conseiller ami et irresponsable. […] Ils ont souvent parlé du tempérament
sexuel anormal d’Eulenburg qui, s’ajoutant à ses tendances au mysticisme et à
des rêvasseries nébuleuses, ne le qualifiait pas comme confident d’un souve-
rain17. »
L’autorité de Bismarck, ou de ceux qui l’ont connu, contribue à fonder la
connexion entre homosexualité et incurie politique, qui est au cœur de la cam-
pagne d’Harden. Le vieil homme d’État, ulcéré par la promotion d’Eulenburg
comme ambassadeur à Vienne en 1894, aurait expliqué à cette occasion que « si
les pédérastes faisaient parfois de très bons chefs de guerre, il n’en a[vait] jamais
été de même parmi les diplomates ». Et Bismarck de préciser qu’il « connais[sait]
bien ces gens, depuis le temps où, en tant que substitut du procureur Brau-
chitsch, [il] menai[t] des enquêtes sur leurs agissements ».
L’empereur est entouré de malades : telle est la prémisse qui est au centre de
la dénonciation. Les symptômes de leur maladie justifient qu’ils soient écartés
de la conduite des affaires : perdu dans ses rêves, sujet à des sautes d’humeurs
imprévisibles, incapable de se concentrer, l’homosexuel, « moitié d’homme »,
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16. Sur les témoignages de Bismarck, cf. Die Zukunft, 25 juillet 1908 et Harden (M.), Prozesse, vol. 3, Berlin,
Erich Reiss, 1913, p. 169 et s.
17. Die Zukunft, 2 février 1907.
18. Sur la construction de l’idéal masculin moderne, cf. notamment Mosse (G. L.), L’image de l’homme,
l’invention de la virilité moderne, Paris, Abbeville, 1997. Mosse insiste notamment sur l’invasion de la défi-
nition de l’identité sexuée par le discours médical, qui construit des « contre-types » de la masculinité
« normale » (apollinienne, chaste et saine) : la femme, certes, mais aussi le Juif et l’homosexuel.
19. Harden (M.), Prozesse, op. cit., p. 199-202.
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20. Hirschfeld est le fondateur de la sexologie (Sexualwissenschaft) et l’un des tenants de la thèse de
l’« inversion » (le pédéraste a une âme de femme dans un corps d’homme, ce qui entraîne l’apparition de
comportements spécifiques que l’on peut établir par l’examen clinique).
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commis entre deux hommes […] sont passibles d’une peine de prison […] 21 ».
La jurisprudence de la cour suprême de l’Empire à Leipzig (Reichsgericht) a en
outre donné une interprétation large du délit, en précisant qu’il fallait entendre
par « luxure » (Unzucht) tous les actes « qui se rapprochent de rapports
sexuels » (beischlafsähnliche Handlungen). Dans ce contexte, l’accusation
d’homosexualité fait donc des amis de l’empereur non seulement des déviants
mais des délinquants passibles des tribunaux. À ceci près que les faits incrimi-
nés, du fait de leur caractère intime, sont des plus difficiles à établir. Il est frap-
pant, à travers les procès qui se succèdent deux ans durant, que l’on ne sait pas
très bien de quoi l’on parle, ni qui, des protagonistes, est dans le rôle du plai-
gnant ou du défendeur.
21. L’article, hérité du code prussien, fut introduit dans le code pénal de l’Allemagne du Nord du 1 er jan-
vier 1871, devenu code impérial l’année suivante – avec une peine minimale adoucie : de six mois de pri-
son dans le Landrecht de 1794, elle passe à un jour. Auparavant, parmi les États de la Confédération
germanique, seule la Bavière ignorait le délit d’homosexualité. Après avoir été durci par le IIIe Reich
(trois à cinq ans de prison), le paragraphe 175 ne fut définitivement retiré du code pénal qu’en 1994 –
mais sa portée avait été considérablement réduite en 1969, avec sa limitation aux relations homosexuel-
les où l’un des partenaires était mineur. Précisons qu’en 1957, la cour constitutionnelle de Karlsruhe a
confirmé la compatibilité de l’article, dans sa version durcie par les nazis, avec la loi fondamentale de
1949, en rappelant qu’il « est manifeste que les pratiques homosexuelles vont à l’encontre des lois de la
morale » (décision du 10 mai 1957). Il faut aussi souligner que le code s’en prend uniquement à l’homo-
sexualité masculine.
22. Röhl (J.), dir., Philipp Eulenburgs politische Korrespondenz, Boppard am Rhein, Boldt, 1983, lettre du géné-
ral von Kessel à Eulenburg du 04 mai 1907 (l’injonction est confirmée par Bülow dans une lettre du 31 mai).
23. Bülow (B. von), Denkwürdigkeiten, op. cit., p. 311-312.
24. Die Zukunft, 22 juin 1907. Harden explique également son point de vue au sujet du duel dans sa corres-
pondance avec Holstein (Papiere Friedrich von Holsteins, op. cit., p. 428-430).
25. Eulenburgs Korrespondenz, op. cit., p. 2148.
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26. C’est-à-dire un tribunal agissant en délégation du « tribunal d’instance » (Amtsgericht) pour les affaires
mineures et dont les fonctions sont comparables à celles des anciens juges de paix français. Il comprend un
magistrat professionnel et deux Schöffen (« échevins ») issus de la société civile.
27. Lettre de Loebell à Bülow, BA Koblenz, R 43 F/798-2 (citée dans Eulenburgs Korrespondenz, op. cit.,
p. 2164).
28. De Billy (R.), Marcel Proust : lettres et conversations, Paris, 1930, p. 175 (cité dans Eulenburgs Korrespon-
denz, p. 2164, note 2).
29. Rapport de Baseler à l’empereur, 27 mai 1908, BA Koblenz R 43 F/798-2 (cité dans Eulenburgs Korres-
pondenz, op. cit., p. 2170).
30. Voir le récit de l’affaire par Bülow (B. von), Denkwürdigkeiten, op. cit., p. 314-315.
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prince Eulenburg demande à toute force à être entendu comme témoin, afin de
défendre le chancelier. Il affirme non seulement ne pas s’être rendu coupable de
délit passible du paragraphe 175, mais aussi ne s’être jamais adonné à des prati-
ques qui, sans être sous le coup de la loi, seraient « mauvaises ou dégoûtantes31 ».
Ces déclarations lui seront fatales. En effet, Harden, qui a embauché en novem-
bre 1907 un détective privé pour enquêter sur le passé d’Eulenburg, peut désor-
mais mobiliser des témoignages à l’appui de ses dires. Afin de susciter une
nouvelle procédure, il demande à son ami Anton Städele, rédacteur à la Neue
Freie Volkszeitung bavaroise, de publier un texte diffamatoire envers lui. Städele
y affirme que Harden aurait reçu un million de marks du prince Eulenburg
pour garder le silence, ou qu’alors il n’aurait aucune preuve des accusations
qu’il porte32. Harden l’attaque en diffamation et le procès s’ouvre le 21 avril
1908 à Munich – en Bavière donc, où le ministère public prussien ne peut pas
intervenir dans la procédure, du fait de l’indépendance juridictionnelle des
États allemands. Harden cite à comparaître deux témoins : Georg Riedel et
Jakob Ernst, qui affirment avoir eu commerce sexuel avec Eulenburg à plu-
sieurs reprises, alors que celui-ci était en poste à la légation prussienne à
Munich, entre 1881 et 1888. Eulenburg nie vigoureusement, puis se réfugie
dans un silence prostré. Le tribunal condamne Städele à cent marks d’amende,
qu’Harden lui rembourse aussitôt.
Le procès de Munich marque le début d’une longue descente aux enfers pour
le prince Eulenburg. Le procureur général Isenbiel l’inculpe de parjure et la
police criminelle descend au château de Liebenberg le 30 avril. Incarcéré le
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31. Protokoll des Harden-Städele-Prozesses, BA Koblenz, Nachlaß Harden, Nr. 123 (cité dans Eulenburgs
Korrespondenz, op. cit., p. 2167).
32. Neue Freie Volkszeitung, 25 mars 1908.
33. Voir ses lettres au procureur des 23 avril 1908 et 11 mai 1908.
34. Sur le déroulement du procès en parjure, cf. Papiere Friedrich von Holsteins, op. cit. p. 482 et s. et
Eulenburgs Korrespondenz, op. cit.
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homme qui court après les hommes. J’ai simplement dit du comte Moltke qu’il
avait pour l’éternel féminin moins de goût que le plus galant des princes de
Prusse. »
Bref, il n’y a pas de fumée sans feu, et « c’est celui qui le dit qui l’est ». D’où la
grande souplesse du discours d’accusation, qui ondoie sur la limite entre la tare
et le délit. Peu après le début de sa campagne, Harden nie avoir jamais voulu
porter l’affaire sur le terrain pénal :
« Je n’ai jamais voulu dénoncer des actes délictueux. Seulement sur une situation
doucereuse, efféminée et maladive, qui était depuis longtemps la risée de la cour38. »
La cause que plaide Maximilian Harden est celle du bien du pays, dans
laquelle la presse joue un rôle de premier plan, par sa fonction de contrôle et, au
besoin, de divulgation. Il se défend de vouloir s’immiscer dans la sphère privée
des intéressés. Ce faisant, il énonce des prémisses qui vont rester plus ou moins
celles du journalisme moderne : les mœurs des personnages publics ne devien-
nent objet d’investigations que lorsqu’elles conduisent à mettre en péril l’intérêt
national ou le bon fonctionnement des institutions :
« Les pratiques sexuelles sont la chose la plus privée qui soit ; un tiers ne peut les
dévoiler que lorsqu’elles touchent au droit de l’État ou de la société39. »
Harden nie avoir voulu « déballer le linge sale » de la cour : selon lui, la
lumière s’est faite non pas à travers ses articles, mais lors des procès. En d’autres
termes, les intéressés ont eux-mêmes suscité le dévoilement, en le portant dans
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42. Rapport du ministre Beseler à l’empereur, 17 juillet 1908 (cité dans Eulenburgs Korrespondenz, op. cit.,
p. 2184).
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responsabilités portées contre lui. Harden dira en juillet 1908, après la suspen-
sion du procès :
« Il se soustrait à la procédure dès qu’elle devient inconfortable pour lui. Résul-
tat d’une vie passée entre pédérastes43. »
À mesure qu’il perd pied, le prince se retranche dans son appartenance de caste.
Convaincu de mensonge à ce propos, il le répète au procureur : sa conception de
l’amitié masculine est enthousiaste et fusionnelle ; elle repose sur la communion
dans des valeurs, dans un passé commun ou dans l’émotion artistique44. Ce dis-
cours devient socialement intéressant à partir du moment où le prince explique sa
conception de l’amitié et ses manifestations – du sentimentalisme mièvre à l’hyper-
bole épistolaire – par l’éthos aristocratique. Eulenburg théorise en effet sur l’amitié
virile en tant que vertu germanique, mais aussi en tant que vertu des nobles45,
incompréhensible donc pour le commun peuple. Le favori déchu se crispe par
conséquent dans le rejet en bloc de la logique démocratique de l’information, qu’il
présente comme un dysfonctionnement regrettable. Il écrit du fond de sa prison :
« Nous vivons dans un monde où la presse, la juiverie, l’argent, l’opinion publi-
que exercent leur domination et où les gouvernements doivent faire de l’équili-
brisme entre la défense de leur dignité au nom de “préjugés anciens et
démodés”, d’une part, et d’autre part le spectre du “qu’en dit-on”46. »
Et d’expliquer au procureur, en implorant d’être remis en liberté, qu’il ne
comprend plus ce qu’est devenu son pays et qu’il n’espère plus qu’« en le juge-
ment de Dieu47 ». Il trace ces mots définitifs, qui signent le divorce entre l’hon-
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43. Lettre de Harden au procureur du 07 juillet 1908 (citée dans Eulenburgs Korrespondenz, op. cit.,
p. 2184).
44. Lettre au procureur, 11 mai 1908 (citée dans Eulenburgs Korrespondenz, op. cit., p. 1281).
45. Harden (M.), Prozesse, op. cit., p. 192-193.
46. Lettre au procureur, 11 mai 1908 (Eulenburgs Korrespondenz, op. cit., p. 2178).
47. Ibid., p. 2179-2182.
48. Ibid., p. 2179-2180.
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original qu’ici, rétablir leur crédit face à l’espace public est la condition, expres-
sément signifiée par Guillaume II, de leur réhabilitation à la cour. Au final, la
déchéance d’Eulenburg n’est pas la sanction d’une condamnation pénale qui
n’eut jamais lieu ; elle est le résultat de la disgrâce impériale, qui intervient en
fait dès les révélations d’Harden, avant que ne s’ouvrent les procédures devant
les tribunaux. Il est finalement frappé par la peine suprême des courtisans :
l’exil – il se retire sur ses terres en attendant de mourir dans l’oubli. Convaincu
de parjure et privé d’honneur, il cesse d’être un gentilhomme. Le ministre de la
Justice de Prusse requiert que sa caution passe de 100 000 à 500 000 marks, en
expliquant à l’empereur le 22 mai 1909 qu’il soupçonne cet homme sans parole
de vouloir fuir vers un pays qui refuse d’extrader pour parjure49. Symbolique-
ment, il est prié de rendre les insignes de l’aigle noir par le chancelier de l’ordre,
le maréchal von Hahnke50.
Ce code social est partagé par le chancelier Bernhard von Bülow. Lors de
son procès contre Brand, il explique longuement, dans le prétoire, pourquoi
un homme comme lui a accepté de comparaître devant un tribunal : il s’est
plié à la nécessité d’un « acte de salubrité publique ». Manière détournée de
justifier l’appel à l’instance judiciaire d’arbitrage, au lieu de recourir au duel
ou au silence. Comme celle d’Eulenburg, la machine de défense de Bülow
s’emballe. Lorsqu’il nie en bloc les affirmations de Brand, il précise au tribunal
que « [s]a déclaration sous serment ne concerne pas uniquement les inconve-
nances punies par le paragraphe 175 du code pénal, mais également tous les
sentiments, ou les penchants contre-nature, anormaux et pervers, sous quel-
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49. Rapport du ministre Beseler à l’empereur, 26.09.1908, BA Koblenz, R 43 F/798-2 (cité dans Eulenburgs
Korrespondenz, op. cit., p. 2185).
50. Lettre de Hahnke à Eulenburg, 26.05.1908 (citée dans Eulenburgs Korrespondenz, op. cit., p. 2182).
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55. Sur la lèse-majesté, cf. Chiffoleau (J.), « Dire l’indicible. Remarques sur la catégorie du nefandum du
XIIe au XVe siècles », Annales ESC, 2, 1990. L’auteur y explique la progressive assimilation de la lèse-majesté
au blasphème, les deux crimes relevant du crime de parole brisant le tabou du nefandum, l’indicible absolu.
56. Die Zukunft, 31 décembre 1892.
57. Lettre de Bülow à Eulenburg du 31 mai 1907 (Eulenburgs Korrespondenz, op. cit., p. 2160).
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fantastique qu’il devrait leur octroyer une réhabilitation. Puis, irrité à nouveau
par un article de journal, il songe à exiger une satisfaction personnelle. […] Bref,
il a pour ainsi dire perdu le contrôle de ses nerfs58. »
Il résout de garder le silence hiératique que ses fonctions lui permettent et
laisse le chancelier Bülow seul face aux attaques. Car, à la Diète, le régime impé-
rial est en butte à de vives critiques. August Bebel et Hermann Paasche, qui pré-
sident respectivement le groupe social-démocrate et le groupe national-libéral,
exigent des explications sur les influences occultes qui pèsent sur le pouvoir
impérial. On s’interroge également sur les mœurs en vigueur dans l’armée et les
milieux nobiliaires, car l’affaire a suscité d’autres procès pour homosexualité,
notamment contre le général von Hohenau et le général von Lynar. Les
sociaux-démocrates expliquent que les mères allemandes « craignent d’envoyer
leur fils dans certains régiments ». Bebel finit par dire explicitement qu’il n’y a
que dans les monarchies qu’on voit des camarillas et Bülow doit justifier la
forme du régime en niant l’existence de coteries autour du souverain : « Le mot
camarilla n’est pas un mot allemand ; cette plante vénéneuse a fait le plus grand
mal au peuple à chaque fois que l’on a voulu l’introduire en Allemagne 59 ! » Au
reste, « le roi Demos est aussi capricieux qu’un autre roi, et les courtisans qui
l’entourent bien plus nocifs que ceux qui entourent les princes60 ». Lorsque les
parlementaires s’insurgent du fait que le gouvernement n’ait à répondre de ses
actes que face à l’empereur, Bülow leur oppose une fin de non-recevoir : « La
tyrannie qui vient d’en bas est la plus oppressante et la plus dommageable, bien
plus que celle qui vient d’en haut ». La faiblesse constitutionnelle du Reichstag
ne lui permet pas d’intervenir, par exemple en formant une commission
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58. Zedlitz-Trütschler (R.), Douze années à la Cour impériale allemande 1898-1910. Journal et souvenirs,
Genève, Droz, 1962 [Paris, Minard, 1907].
59. Sur les débats à la Diète, cf. les procès-verbaux des séances, Verhandlungen des Reichstages. XI. Legisla-
tur, II. Session, 1905/1906, vol. 5, Berlin: Buchdruckerei der Norddeutschen Allgemeinen Zeitung, 1906,
p. 3650.
60. Bülow (B. von), Denkwürdigkeiten, op. cit., p. 308.
61. Die Zukunft, 09.11.1901.
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68. Voir notamment Kaiser (M.), Pear (A.), dir., Der zweite Mann im Staat. Oberste Amtsträger und Favori-
ten im Umkreis der Reichsfürsten in der Frühen Neuzeit, Berlin, Duncker und Humblot, 2003.
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