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Voici un commentaire composé du poème « 

Le Chat » (I), extrait du


recueil Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire, publié en 1857.
« Le Chat » (I), introduction de commentaire :
Ce poème de Baudelaire appartient à la section « Spleen et
Idéal » des Fleurs du mal. Il est le premier d’une trilogie de poèmes
consacrés à la figure du chat (« Le Chat » LI et « Les Chats »).

Baudelaire y fait majoritairement un portrait élogieux de l’animal, un


peu plus contrasté dans le poème qui nous intéresse.

Plan de l’analyse :
Nous verrons dans cette analyse que si le chat apparaît comme
une figure ambivalente (I), c’est notamment en raison de
l’analogie faite par Baudelaire entre le chat et la femme (II).
Questions possible à l’oral de français sur « Le Chat » de Baudelaire :
◆    Comment Baudelaire représente-t-il ici la figure du chat ?
◆    Commentez la comparaison entre le chat et la femme.
◆    Que peut-on dire de la progression du poème ?
◆    En quoi le rythme et la composition du poème soulignent-ils
la confusion du poète ?

Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux ;


Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d’agate.

Lorsque mes doigts caressent à loisir


Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s’enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,
Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,

Et, des pieds jusques à la tête,


Un air subtil, un dangereux parfum
Nagent autour de son corps brun.

I – Le chat, une figure ambivalente


A – L’éloge du chat
Tout d’abord, Baudelaire dresse un portrait élogieux du chat.
En effet, on peut noter l’emploi d’un lexique mélioratif : «  beau
chat  », «  amoureux  » (v. 1), «  beaux yeux  » (v. 3), «  loisir  » (v. 5),
«  s’enivre du plaisir  » (v. 7), «  aimable bête  » (v. 10), «  subtil  » (v. 13).
Baudelaire souligne le plaisir ressenti au contact de l’animal.
Ce plaisir est accentué par un langage hyperbolique : « Lorsque mes
doigts caressent  à loisir  » (v. 5), « Et que ma main  s’enivre  du plaisir »
(v. 7).
La sensation de plaisir est renforcée par l’assonance en [i], son aigu
qui fait ressortir l’extase du poète et les assonances en [o] et
en [a] qui font entendre l’admiration du poète : « Viens, mon
beau  chat », « Retiens les griffes de ta  patte » (v. 1-2), « Tes beaux
yeux/  Mêlés de métal et d’agate » (v. 3-4).

Mais Baudelaire insiste surtout sur la beauté du chat à travers la


répétition de l’adjectif « beau », et plus précisément la beauté de ses
yeux.

D’ailleurs, l’évocation du regard est mise en valeur par un contre-


rejet : « Je vois ma femme en esprit.  Son regard,/Comme le tien,
aimable bête » (v. 9-10).

Ce regard, comparé à celui de la femme, est qualifié de «  profond et


froid » (v. 11).
Cette profondeur est aussi connotée dans le premier quatrain à
travers l’emploi du verbe « plonger  » : «  Et laisse-moi plonger dans tes
beaux yeux  » (v. 3).

Le regard du chat est donc un regard qui évoque la possibilité d’un


voyage spirituel, d’une évasion, d’un accès à un ailleurs.

Cependant, ce regard «  froid » comme le métal et la pierre (« Mêlés de


métal et d’agate  », v. 4) est ambivalent et potentiellement
dangereux.
B – Un potentiel destructeur
Cette image positive du chat est assombrie par l’évocation de son
potentiel destructeur.
En effet, la dangerosité potentielle de l’animal est soulignée à
plusieurs reprises dans le poème : « Retiens les  griffes  de ta patte » (v.
2), « De palper ton corps  électrique » (v. 8), « coupe et fend  comme
un dard » (v. 11), « dangereux  parfum  » (v. 13).
La diérèse sur le « i » de « Retiens » (à prononcer en 3 syllabes : re-ti-
ens) peut traduire la crainte du poète qui retient son souffle face au
chat capable de sortir ses griffes à tout moment.
Cette agressivité est renforcée par les allitérations en [f] et [r], qui,
par une harmonie imitative, font penser au chat qui griffe et  »crache »
avant d’attaquer : « griffes » (v. 2), « femme », « profond et  froid  »,
«  fend  » (v. 9-11), « parfum » (v. 13).
De plus, l’adjectif qualificatif « électrique » connote une forte tension.
Quant au regard, comparé à un dard, c’est un  »regard qui tue ».
On remarque ainsi que le poète est de moins en moins rassuré, ce
qui est marqué par une accélération du rythme à partir de la seconde
strophe. On observe ainsi :
♦ Des enjambements (v. 3-4, 5-6, 7-8, 13-14) avec des vers qui se
déploient d’une strophe à l’autre sans coupure nette (v. 5 à 9 et 9 à
14).
♦ Un rythme de plus en plus saccadé, ce qui est accentué par
les monosyllabes et la multiplication des virgules : « Viens, mon
beau chat, sur mon cœur », « Comme le tien, aimable bête,/Profond et
froid, coupe et fend comme un dard, /Et, des pieds jusques à la tête,/Un
air subtil », « de son corps brun » (v. 9-14).
Enfin, la dualité du chat transparaît dans l’alternance entre vers
impair(décasyllabes) et vers pair(octosyllabes) et entre sonorités
douces comme les allitérations en [m] et en [s], et sonorités dures
comme les allitérations en [p], [r], [t], [k] et [d].
Transition : Mais si le chat est présenté comme une figure
ambivalente au potentiel destructeur, c’est sans doute parce que
l’image de la femme vient se superposer sur la sienne.
II – L’analogie entre le chat et la femme
A – Un poème érotique
La sensualité du chat est mise en évidence tout au long du poème.
En effet, la plupart des sens du poète sont sollicités au contact de
l’animal :
♦ Le toucher : «caressent  », «élastique  », «  ma  main  », «  palper ton
corps  électrique  » (v. 5-8), «  Profond et  froid, coupe et fend comme
un  dard  » (v. 11)
♦ La vue : « beau  chat » (v. 1), « beaux yeux/Mêlés de métal et
d’agate » (v. 3-4), « Je  vois », « Son  regard  » (v. 9), «  brun  » (v. 14)

♦ L’odorat : «  air subtil », « dangereux parfum » (v. 13)

Cette sensualité est associée à une sensation de plaisir. D’ailleurs, la


plupart des termes employés connotent l’érotisme : «  caressent  »,
«  s’enivre  », «  plaisir  », «  palper ton corps  » (v. 5-8).
Cette sensualité teintée d’érotisme trahit la présence de
la femme dans l’esprit du poète : « Je vois ma femme en esprit » (v. 9).
Ainsi l’image de la femme vient progressivement se superposer à
celle du chat.
Notons que la femme apparaît déjà implicitement au premier vers à
travers le groupe de mots : « mon cœur amoureux  », le « cœur »
désignant par métonymie le poète.
Enfin, cette intimité amoureuse est également marquée par
l’alternance entre  masculin et féminin dans les rimes : « cœur
amoureux »(M)/ «  ta patte  »(F)/ « tes beaux yeux »(M)/ «  d’agate  »(F),
(v. 1-4) ; «  son regard  » (M)/ « aimable bête  » (F)/ « un dard  » (M)/ « la
tête » (F)/ « Un dangereux parfum »(M), (v. 9-13).
B – Humanisation du chat ou animalisation de la femme ?
Le chat et la femme sont comparés explicitement dans le premier
tercet : « Son regard,/Comme le tien, aimable bête» (v. 9).

En mettant en parallèle la figure de la femme et celle du chat,


Baudelaire, d’une certaine manière, inverse les rôles : il humanise le
chat et animalise la femme.

Ainsi le champ lexical du corps humain se mêle à celui du corps


animal : «  griffes  », «  pattes  » (v. 2), «  cœur  », «  yeux  » (v. 1, 4),
«  doigts  », «  tête  », «  dos  »,  «  main  » (v. 5-8), «  esprit  », «  regard  »,
«  bête  », «  dard  », «  des pieds jusques à la tête  », «  parfum  », «  corps
brun  » (v. 9-14).
En inversant les rôles, le poète peut, grâce à la poésie, dominer la
femme comme il dompte l’animal. L’emploi de l’impératif dans la
première strophe souligne ainsi la supériorité du poète sur
l’animal : «  Viens  », «  Retiens  », «  laisse-moi  » (v. 1-3).
Mais le chat et la femme finissent par se confondre et le poète lui-
même est finalement en proie à la confusion : dans la dernière
strophe, en effet, on ne sait plus si le poète parle du chat ou de la
femme.
C – La confusion finale du poète

Si Baudelaire s’adresse clairement au chat dans le premier quatrain


(« Viens, mon beau chat… » ), la situation d’énonciation devient
confuse dans le premier tercet avec l’évocation directe de la femme.

Cette confusion est accentuée par le contre-rejet du vers 9 («  son


regard« ) qui donne l’impression que le poète s’évade brusquement
dans une rêverie.
A partir de là, l’atmosphère devient plus trouble et menaçante et
la femme semble se substituer au chat.
Ainsi, le dernier vers est ambigu : « Nagent autour de son corps
brun ». On peut se demander si Baudelaire évoque le corps du chat ou
celui de la femme. La couleur brune pourrait en effet faire référence à 
son amante Jeanne Duval, la maîtresse cruelle et infidèle de
Baudelaire (voir la vidéo sur le spleen et idéal).
La confusion de Baudelaire se manifeste aussi dans la forme même du
poème.
Le poète utilise en effet la structure classique du sonnet avec deux
quatrains et deux tercets. Mais le poème n’est pas si classique :
Baudelaire remplace les alexandrins par
une alternance de décasyllabes et d’octosyllabes. Cette irrégularité
diffuse dans tout le poème le trouble et la confusion du poète.
Le chat, Baudelaire, conclusion
Ce poème est une exception parmi les poèmes consacrés à la figure
du chat dans le recueil des Fleurs du mal.
Dans « Le Chat » (LI) et « Les Chats », l’animal est représenté comme
une figure noble, mystérieuse, mystique et sacrée. Ici, le chat apparaît
plutôt comme une figure ambivalente de par son analogie avec la
femme.

Baudelaire met ainsi en avant le potentiel dangereux, destructeur des


deux figures qu’il superpose et finit par confondre.

Cette destruction agit sur la forme même du poème, puisque le


poète rompt avec les règles traditionnelles du sonnet.

La femme remplace finalement le chat, prouvant encore une fois


l’attrait irrésistible qu’elle exerce sur le poète.

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