La Chine, nouveau centre de gravité mondial ?

Max Frei
Dans Le Regard Libre 2023/7 (N° 98), pages 12 à 14
Éditions Le regard libre
ISSN 2571-7723
© Le regard libre | Téléchargé le 02/08/2023 sur www.cairn.info via Université de Toulon (IP: 92.150.216.189)

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 12 | Monde

La Chine, nouveau centre

de gravité mondial ?
ParMAX FREI

Pékin et Moscou viennent de s’accorder sur la construction d’un

gazoduc, lors d’une visite de Xi Jinping au Kremlin. Signe que la
Russie, comme d’autres puissances, se tourne vers un pays qui en-
tend se présenter comme une alternative à l’ordre occidental.

P
lus d’un an après le début de la guerre accélérateur. La visite de Xi Jinping dans la capi-
en Ukraine, la Chine refuse toujours tale russe fin mars semble l’avoir illustré. Poutine
de condamner l’invasion russe à l’Or- et son homologue chinois ont conjointement signé
ganisation des Nations unies (ONU). les accords pour la construction du gazoduc Force
Le gouvernement de Xi Jinping a appelé, à plu- de Sibérie 2 qui alimentera l’industrie chinoise d’ici
sieurs reprises, à la préservation de la stabilité quelques années. De plus, le président russe en
internationale et a souligné l’importance de la a profité pour déclarer qu’il souhaitait désormais
diplomatie pour résoudre les conflits. Depuis la monnayer ses échanges commerciaux internatio-
fin de l’année dernière, et le renoncement en dé- naux en yuan avec les pays d’Amérique du Sud,
cembre à la politique très stricte du « zéro-Covid » d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie, une étape de
qui isolait la Chine du reste du monde, Pékin a plus dans la dédollarisation du monde et le tour-
multiplié les réceptions. Parmi elles : Olaf Scholz nant asiatique de la politique russe.
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et Charles Michel,
le chancelier alle-
mand et le président Modèle de non-
du Conseil européen. « 
Activité diplomatique intense, ingérence
Tous deux ont exhorté
montée en puissance du yuan, nou- La Chine assurément
le dirigeant chinois à
condamner l’invasion vel ordre politique international, est d’ores et déjà un
russe et demander le rapprochement avec les puissances acteur incontournable
retrait des troupes émergentes : la Chine est à l’offen- de la scène interna-
d’Ukraine, en vain. tionale, mais aspire à
sive dans sa quête de puissance. »
La Chine entend jouer occuper une position
ses propres cartes : en toujours plus centrale.
février, elle présentait La création de l’Orga-
un « plan pour la paix » en Ukraine, rejeté aussi- nisation de coopération de Shanghai, comme son
tôt par l’Ukraine mais sur lequel Vladimir Pou- implication marquée dans le groupe des BRICS
tine s’était dit prêt à discuter. Une nouvelle étape (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud)
dans le rapprochement sino-russe ? montre la volonté chinoise de construire un nou-
vel ordre international alternatif à celui de l’ONU
En Inde, durant la réunion du G20 à Bali au dé- que dominent les Occidentaux. Par sa taille et sa
but du mois de mars, la Chine et la Russie étaient puissance, la Chine sera nécessairement appelée
les seules puissances à ne pas demander le retrait à jouer le premier rôle dans ces nouvelles orga-
inconditionnel des militaires russes du territoire nisations. Sa politique étrangère repose sur des
ukrainien. Bien des observateurs ont alors remar- partenariats pragmatiques qui ne visent pas à in-
qué un rapprochement significatif entre Moscou et fluencer les décisions politiques internes des pays
Pékin, dont la guerre en Ukraine est un évident partenaires. Cette approche a particulièrement sé-
 Les pays du BRICS (le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud) se réunissent depuis 2011 en
sommet annuel © PIXABAY
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duit les pays d’Amérique latine et d’Afrique, qui ont
trouvé un moyen de développer leur économie sans
subir de pressions politiques ou idéologiques, au
contraire de la politique américaine, et occidentale
en général, légitimée constamment par le recours
aux « droits de l’homme ».
Le récent voyage de Lula à Pékin est le juste
exemple de l’idéal diplomatique proposé par la
Chine : économique et rien d’autre. En effet, les
deux chefs d’Etat ont signé un bon nombre d’accords
(concernant Internet, la 6G, des systèmes de paie-
ment internationaux et la lutte contre la pauvreté).
Ni la déforestation de l’Amazonie ou la défense de
la démocratie n’étaient au menu des pourparlers,
thèmes qui furent au cœur de la visite de Lula à
la Maison-Blanche en début d’année. Sur le plan
économique, le yuan représente, pour de multiples
pays émergents, une réelle alternative au dollar
dans les échanges commerciaux, afin de se mettre
à l’abri des potentielles sanctions économiques oc-
cidentales, de la surveillance de la CIA, et de l’ex-
traterritorialité du droit américain. Selon celle-ci,
toute transaction en dollar est soumise au respect
du droit américain, n’importe où dans le monde –
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une forme évidente d’ingérence. Lula l’a compris et
a donné à son aval en ce sens à Xi Jinping, une
étape de plus dans la dédollarisation du monde et
dans le déclin relatif de la puissance américaine.
Puissance pacificatrice
Aujourd’hui, la Chine souhaite montrer son carac-
tère pacifique, en particulier face aux Occidentaux
qu’elle présente comme des fauteurs de trouble. Der-
nier exemple en date : Pékin s’est employé à organi-
ser des discussions avec l’Iran et l’Arabie saoudite
pour entamer une réconciliation historique. Ces dis-
cussions ont montré de bons résultats, puisque les
deux pays – historiquement rivaux – ont décidé de
rouvrir leurs ambassades respectives. De surcroît,
Xi Jinping et Volodymyr Zelensky se sont appelés
pour la première fois depuis le début de la guerre en
Ukraine le 26  avril dernier, et le président chinois
a invité son homologue à accepter des négociations.
Une façon d’assurer une fois de plus la volonté
chinoise d’œuvrer pour la paix dans le monde, cela
sans le recours aux interventions armées dont les
Occidentaux ont pu se montrer friands. – Suite p. 14
 Le président américain Joe Biden a ouvertement qualifié le dirigeant chinois Xi Jinping de dictateur le
mois dernier, ce qui n’a pas manqué d’importuner ce dernier. © WIKIMEDIA CC 3.0 UNITED STATES
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La Chine tente donc, à sa manière, d’être présente
dans tous les dossiers internationaux brûlants et, il
faut le dire, avec un certain succès.
Néanmoins, Xi Jinping veille scrupuleusement
sur la défense des intérêts et de la sécurité de la
Chine sur la scène internationale. En août der-
nier, le pays a entrepris de vastes opérations mi-
litaires autour de Taïwan en guise de réponse à la
tournée asiatique de Nancy Pelosi, présidente de
la Chambre des représentants des Etats-Unis. Le
scénario fut identique début avril, lorsque la diri-
geante taïwanaise s’est rendue en Californie. Nom-
breux sont les experts qui estiment qu’un conflit
armé pour le sort de l’île arrivera dans les pro-
chaines années, ou décennies. Certes, il y a là un
évident bellicisme chinois, mais il n’entre pas en
contradiction avec les options politiques de l’empire
du Milieu : la Chine considère Taïwan comme une
province chinoise à part entière, d’où le fait qu’elle
conçoive tout soutien à Taïwan comme une ingé-
rence dans ses affaires internes.
Antony Blinken, secrétaire d’Etat des Etats-Unis,
s’est rendu à Pékin en juin dans l’espoir d’apaiser les
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tensions diplomatiques entre les deux puissances.
L’accalmie fut brève, car dès le retour du secrétaire
d’Etat américain, Joe Biden a ouvertement qualifié Xi
Jinping de dictateur, ce qui n’a pas manqué d’impor-
tuner le leader chinois.
Activité diplomatique intense, montée en puissance
du yuan, nouvel ordre politique international, rappro-
chement avec les puissances émergentes, le tout basé
sur un modèle de non-ingérence et de strictes pesées
d’intérêts : la Chine est aujourd’hui à l’offensive dans
sa quête de puissance. La Russie, que les Occidentaux
cherchent à isoler, comme de nombreuses autres puis-
sances, l’a bien compris. Les Européens, malgré leur
alignement sur la puissance américaine, tentent par-
fois de ménager la chèvre et le chou dans un monde
toujours plus multipolaire, comme l’ont montré les
propos d’Emmanuel Macron lors de sa visite en Chine :
« La pire des choses serait de penser que nous, Euro-
péens, devrions être suivistes sur [le sujet de Taïwan]
et nous adapter au rythme américain et à une sur-
réaction chinoise ». Des propos qui n’ont pas manqué
de déclencher la polémique. ■
Ecrire à l’auteur : max.frei@leregardlibre.com