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L'indépendance comme position, vertu et stratégie

Observation de la programmation d'un cinéma parisien


Aurélie Pinto
Dans Sociétés contemporaines 2018/3 (N° 111), pages 19 à 44
Éditions Presses de Sciences Po
ISSN 1150-1944
ISBN 9782724635706
DOI 10.3917/soco.111.0019
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 21/09/2023 sur www.cairn.info (IP: 109.146.254.106)

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Aurélie PINTO
L’indépendance comme position,
vertu et stratégie
Observation de la programmation
d’un cinéma parisien

À travers l’observation de l’activité du programmateur d’une salle de cinéma pari-


sienne, cet article propose de rendre compte de la construction de l’indépen-
dance sur le marché de la diffusion cinématographique. Cette observation, qui
révèle les critères pratiques de la programmation, permet de sortir de visions soit
indigènes (choisir selon ses goûts), soit institutionnelles (la grille du label Art et
essai), sans pour autant verser dans une interprétation cynique qui attribuerait aux
seules visées commerciales la rationalité propre du programmateur indépendant.
Le programmateur apparaît par excellence comme celui en qui se condensent les
tensions et rapports de force propres aux indépendants sur un marché de biens
culturels.

Independence as Position, Virtue and Strategy


Observation of a Parisian Movie Theater’s Programming
This article aims at analyzing the elaboration of an independent position on the
movie exhibition market through a focus on the activity of a Parisian movie theater’s
programmer. This observation reveals the practical criteria for programming and
makes it possible to go beyond indigenous rationales (the programmer’s tastes),
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or institutional ones (the Art et essai label’s criteria grid), without rushing to over-
simplified conclusions, which would reduce the independent programmer’s ratio-
nality to commercial motives. The programmer appears as the epitome of the
independent agents who face tensions and power struggles on the markets for
cultural goods.

Mais on est en train de nous faire crever ! Les salles en face,


enfin la salle UGC en face, elle est surbookée, donc les films
qu’on devrait avoir au Balzac, eh ben, on les a pas ! [...] On a
eu 1 film... En 6 mois, on a eu 2 films porteurs ! Enfin des films
importants Art et essai porteurs, sur lesquels on peut construire
une année quoi... En attendant, on perd 20 000 entrées sur
l’exercice. Calmer le jeu en allant déjeuner ?! Mais on peut pas
pactiser avec ces gens-là ! Regarde ce que ça nous coûte... Ils
s’en foutent, ce qui compte, c’est leurs salles, au lundi matin, ils
s’en foutent, ce sont des logiques politiques, ils veulent prendre
toutes les parts de marché, ils veulent tout !

C
e témoignage du programmateur de la salle Le Balzac, cinéma
historique du quartier des Champs-Élysées, évoque sans
détours la forte concurrence des salles de circuit environ-
nantes, UGC et Gaumont-Pathé. Les difficultés pour ce programma-
teur à obtenir certains titres engendrent une situation de crise qui

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L’INDÉPENDANCE COMME POSITION, VERTU ET STRATÉGIE

sera exposée dans cet article pour traiter, plus généralement, de la


construction problématique de la position d’indépendant sur un
marché local de biens culturels. L’indépendance ne saurait se déduire
uniquement de caractéristiques substantielles des œuvres, mais elle
relève de pratiques qui construisent les frontières du cinéma indé-
pendant 1 par opposition au cinéma commercial ou mainstream,
quand la programmation adoptée par les salles de circuit dans la
capitale tend, progressivement, à déplacer l’espace des possibles pour
les indépendants. Le cas développé ici d’une lutte sur la diffusion
de films qualifiés d’indépendants renvoie à un enjeu central du fonc-
tionnement des industries culturelles, sans cesse mis en lumière au
gré des rapports institutionnels 2 et des mobilisations de profession-
nels de ces univers 3, dans un contexte de relative « économicisa-
tion » de l’offre cinématographique et audiovisuelle (Duval, 2011).
Ce dispositif
d’enquête (qui
s’est improvisé au ■ L’enquête
fur et à mesure
sans que je ne
l’imagine ou ne le La démarche relationnelle adoptée dans cet article s’appuie sur
négocie en amont) l’observation de négociations du programmateur du Balzac 4 menées
permet d’observer
à la fois, en in, les par téléphone avec les distributeurs, les uns cherchant à placer leur
stratégies film à l’affiche du cinéma et les autres, au contraire, lui expliquant
déployées par
l’enquêté et, en off, pourquoi ils ont attribué le film à une autre salle du quartier. L’ori-
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le « hors-champ » ginalité du matériau tient à ce que, non seulement, j’ai pu observer
des conversations
avec divers acteurs ces interactions, mais aussi obtenir les commentaires et les explica-
du marché, tout se tions de mon enquêté à l’issue de chacune d’elles. Ce dispositif
passant comme si
mon enquêteur me d’enquête (qui s’est improvisé au fur et à mesure sans que je ne
donnait accès aux l’imagine ou ne le négocie en amont) permet d’observer à la fois, en
coulisses tout en
interprétant son in, les stratégies déployées par l’enquêté et, en off, le « hors-champ »
rôle, me faisant des conversations avec divers acteurs du marché, tout se passant
jouer malgré moi
le rôle comme si mon enquêteur me donnait accès aux coulisses tout en
d’« équipier » et de interprétant son rôle, me faisant jouer malgré moi le rôle d’« équi-
miroir témoin de la
fin d’un monde.
pier » (Goffman, 1973) et de miroir témoin de la fin d’un monde.
Cette situation privilégiée d’observation voit se réfracter l’ensemble
des problématiques rencontrées sur plusieurs années de terrain, un
peu à la façon de certaines fictions qui accèdent à la vérité

1/ La qualification de l’alternative au pôle commercial dans le monde du cinéma est une question relati-
vement peu traitée dans les travaux francophones, mais très présente du côté anglophone (Newman, 2011 ;
King, Molloy et Tzioumakis, 2013).
2/ On peut citer le rapport de Pierre Kopp Le cinéma à l’épreuve des phénomènes de concentration. Menaces
sur la filière indépendante du cinéma français, rendu public le 7 juin 2016.
3/ Lisibles dans les tribunes et communiqués de presse publiés par des associations comme le DIRE
(Distributeurs Indépendants Européens Réunis), le SDI (Syndicat des Distributeurs Indépendants), l’AFCAE
(Association Française des Cinémas d’Art et Essai) ou le GNCR (Groupement National des Cinémas de
Recherche).
4/ Soit deux séances qui ont chacune duré 5 heures.

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documentaire par le jeu de la stylisation des personnages et la


condensation du scénario.

Ces observations ont eu lieu fin 2011, dans le cadre d’une enquête
de terrain qui s’est étendue de 2007 à 2015 : elle a comporté un volet
quantitatif (à travers notamment l’exploitation de données sur les
salles Art et essai et leur environnement et l’étude du parcours de films
dans les salles françaises) et un volet qualitatif (92 entretiens avec des
exploitant·es, des directeur·ice·s de salles, des programmateur·ice·s,
des responsables et des membres d’associations d’exploitation et
d’action culturelle, des distributeur·ice·s, des programmateurs
d’ententes de programmation, des responsables du CNC – Centre
National du Cinéma et de l’image animée –, des membres des collec-
tivités locales, des réalisateur·ice·s, des responsables d’associations de
spectateurs ; observations participantes et non participantes de
séances de cinéma et de réunions professionnelles).

Une telle situation d’enquête a été rendue possible par le senti-


ment d’urgence ressenti par l’enquêté, interprété par lui comme
l’aboutissement d’un processus de dépendance croissante envers les
acteurs dominants de l’industrie cinématographique – soit une situa-
tion de crise. La connaissance plus large du terrain m’est alors
apparue comme un garde-fou face à un enquêté connu comme
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« redoutable » dans le milieu de la distribution et qui m’a placée,
lors de ces observations, dans une position parfois difficilement
maîtrisable 5.

Il s’agit ainsi de restituer la logique pratique d’un « acte de pro-


grammation » 6, c’est-à-dire les opérations d’ajustement entre l’offre
de films et la demande supposée des spectateurs et par là, le travail
fin et continu de positionnement sur le marché consistant à « viser
juste » pour une salle « indépendante », tout en prenant en compte
les répertoires d’action disponibles sur un marché de biens culturels
(Bourdieu, 1992). C’est ainsi que l’on peut espérer sortir de visions
soit indigènes (choisir selon ses goûts), soit institutionnelles (la grille
du label Art et essai), sans pour autant verser dans une interprétation
cynique qui attribuerait aux seules visées commerciales la rationalité
propre au programmateur indépendant. Ni agent rationnel, ni artiste,
ce dernier est un médiateur entre, d’une part, des contraintes à la
fois économiques et symboliques et, d’autre part, l’offre de films

5/ J’ai ainsi été présentée alternativement à ses collaborateurs de passage dans le bureau comme une stagiaire
en programmation, une journaliste ou une étudiante.
6/ Compris ici comme l’ensemble des dispositifs pratiques de cette activité d’intermédiation et non dans
le sens souvent utilisé en entretien assimilant la programmation à un « geste cinématographique », le rap-
prochant de l’activité de création.

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disponibles à un moment donné, sa fonction médiatrice prenant la


forme du coup d’œil, de l’intuition, du pari, etc.

■ Le personnage principal

Si le programmateur déclare avoir un « profil atypique », ce n’est


pas seulement du fait de la prégnance de la rhétorique de la singu-
larité dans les univers artistiques ; c’est aussi parce qu’il mesure
combien les modes d’accès à certains postes, courants pour sa géné-
ration, sont aujourd’hui improbables, tant les métiers de l’intermé-
diation culturelle se sont professionnalisés (Dubois, 2013), voire
« managérialisés » (Lizé, Naudier et Sofio, 2014), à l’issue de forma-
tions universitaires en cinéma ou de filières commerciales (Mariette,
2014).

Né à Paris de parents enseignants (espagnol et lettres) à la fin de


la guerre, il attribue aux hasards de la vie son entrée dans le cinéma :
il rencontre, de retour de coopération, un « mec qui travaille dans
le ciné » qui l’introduit comme assistant d’Arrabal 7, avant de faire
la connaissance de Frédéric Mitterrand qui l’engage comme caissier
dans les salles de l’Olympic, « mais attention, un caissier qui avait
une sacrée connaissance du cinéma ! ». Cette compétence, ainsi que
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le réseau professionnel de Frédéric Mitterrand, lui permettent de
rentrer dans des entreprises de distribution importantes avant de
programmer des salles. Les contours de sa profession sont relative-
ment compliqués à tracer puisqu’il relève alors de plusieurs statuts.
Il est, au moment de l’observation, salarié par deux réseaux d’exploi-
tation indépendants dont il assure la programmation (le réseau Art
et essai dont il est question dans l’observation et un réseau indépen-
dant généraliste – c’est-à-dire non classé Art et essai –), sa rémuné-
ration étant liée aux entrées des films qu’il programme. Il dirige en
outre une société de distribution dans laquelle il a des parts, alors
en liquidation judiciaire ; il en refonde une deux ans plus tard avec
une distributrice (sa femme). Ses activités dans la distribution – il a
par exemple distribué In the Mood for Love (Wong Kar-Wai, 2000)
ou La Vie des Autres (von Donnersmarck, 2006) –, et dans l’exploi-
tation, en font une figure emblématique de la diffusion cinémato-
graphique parisienne. Ce cumul d’activités et de statuts est
caractéristique de la pratique de l’ancienne génération d’exploitants,
pour lesquels le « jeu » réside autant dans les chiffres que dans
l’amour du cinéma. On peut évoquer ici l’illusio telle qu’elle est

7/ Écrivain, dramaturge et cinéaste espagnol.

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décrite par l’un de ses collègues qui occupe une position très proche
de la sienne, programmateur de salles Art et essai parisiennes et
gérant d’un complexe en périphérie :

Ce qui me plaît dans ce métier, c’est les films évidemment, mais c’est
aussi le côté « pari », c’est excitant, croire dans les films, ne pas y croire ;
c’est le côté enjeu, adrénaline quand le film sort, le mercredi, je regarde
les démarrages, on regarde le dimanche soir, on fait les cumuls et on
décide ce qu’on rentre et ce qu’on sort pour le mercredi suivant. Vous
voyez, ça, c’est CinéChiffres et tous les matins je regarde, ça c’est la bible,
la semaine correspondante, les démarrages et après je regarde en détail,
les concurrents... Oui, c’est vraiment un goût pour les chiffres. Et puis
c’est aussi un travail de création [...] Arriver à avoir une très belle ligne
exigeante sans concessions, enfin sans trop de concessions, donner du
plaisir à un public avec du cinéma que j’aime, défendre des auteurs, j’ai
cette responsabilité. Je le vis plus comme ça plus que comme quelqu’un
qui fait beaucoup d’entrées.

Ce goût pour le jeu s’exprime aussi dans la pratique du poker,


lors de soirées au cours desquelles, selon certains témoignages, peut
se jouer le sort des sociétés elles-mêmes. Ce goût renvoie à une
dimension sans cesse rappelée en entretien, à savoir le goût du risque
attaché à des programmations présentées comme audacieuses, de
films tenus « contre le marché », c’est-à-dire en lequel les circuits
« n’ont pas cru ». En ce qui concerne les pratiques culturelles, le
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programmateur dit être particulièrement intéressé par deux
domaines : le cinéma, bien sûr, et la littérature. Si l’on peut trouver
dans son goût pour les livres une forme du capital culturel hérité de
ses parents enseignants, il se porte vers les franges les moins légitimes
de l’univers littéraire, le « polar », la science-fiction ou les romans
historiques. L’image matérielle et marchande qu’il utilise pour évo-
quer son attachement à la littérature manifeste son éloignement du
rapport cultivé à la culture : il montre par exemple le gros livre posé
sur son bureau ou déclare « Vous verriez, c’est une véritable librairie
chez moi. » pour prouver son habitude de la lecture. Dans le
domaine cinématographique, il se dit surtout attiré par le « polar »
et le film noir, notamment américains. Son allure et sa manière de
parler évoquent d’ailleurs certains personnages des films qu’il aime :
avec sa crinière blanche, sa voix grave passablement éraillée, son
buste serré dans une veste en cuir portée durant tout l’entretien, le
bruit du cuir accompagnant ses emportements contre ses concur-
rents déloyaux, il fait preuve d’une gouaille toute parisienne légère-
ment surannée qui pourrait faire penser à des rôles incarnés par Jean
Gabin, le « mec bagarreur mais réglo », « de Paname 8 », improvisant
des dialogues dignes de Michel Audiard.

8/ Nom de sa dernière société de distribution.

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■ L’intrigue

La scène a lieu un lundi matin, moment traditionnel de program-


mation où s’ouvrent entre exploitants et distributeurs les négocia-
tions pour le placement des films dans les salles au vu, à la fois, du
nombre d’entrées « au dimanche » réalisées par les films déjà en
exploitation et du potentiel commercial des sorties du mercredi sui-
vant. On y discute, par téléphone, d’obtention de copies, seuls sur
une zone de chalandise ou en « tandems » voire en « tridems » dans
les zones fortement concurrentielles, et des conditions d’exploitation,
qu’il s’agisse du pourcentage revenant respectivement au distributeur
et à l’exploitant, du nombre de séances (en « plein programme » ou
« plein pot », ou en « multiprogrammation » à côté d’autres films
projetés sur le même écran) et du nombre de semaines d’exploitation.

L’intrigue principale de l’observation consiste pour le program-


mateur à convaincre ses interlocuteurs, notamment les distributeurs,
de lui octroyer les films les plus « porteurs » régulièrement attribués
à son principal concurrent, UGC. On verra alors à l’œuvre les dif-
férentes stratégies déployées par le programmateur pour résoudre le
« drame » qu’il vit et qui, s’il ne trouve pas de solution, pourrait
mener à la disparition de sa salle. Les intrigues secondaires permet-
tent de situer la salle dans un espace borné d’un côté par les circuits
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et, de l’autre, par les salles ou les distributeurs Art et essai indépen-
dants plus « petits » que lui (illustrés par la salle du Saint-André-
des-Arts ou par le distributeur Capricci).

Cette restitution de « lundis matin » de programmation dans un


contexte particulièrement tendu permet de mettre au jour les ressorts
du positionnement d’un acteur « indépendant » sur le marché de la
diffusion cinématographique. Les stratégies de lutte pour l’accès aux
films « conformes » au profil de la salle se déploient, en effet, dans
un ensemble de pratiques et dans un style d’interactions en cours
dans cet univers professionnel qui, en retour, délimitent les pratiques
possibles de contestation d’un ordre jugé défavorable, sinon hostile.
Je me propose d’explorer trois aspects de l’indépendance, intrinsè-
quement liés les uns aux autres, qui peuvent être transposés à l’étude
d’« indépendants » dans d’autres marchés de biens symboliques :
d’abord, l’indépendance comme position dans un espace soumis à
des transformations structurelles ; ensuite, l’indépendance comme
vertu nécessaire à la production de la croyance et du groupe ; enfin,
l’indépendance comme produit d’une stratégie pratique d’ajustement
continu pour le maintien d’une définition cohérente de la position
d’indépendant.

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ÉCLAIRAGES SUR LES ACTEURS DE LA FILIÈRE CINÉMATOGRAPHIQUE

L’achat d’un billet de cinéma par un spectateur déclenche le processus de la


« remontée de recettes » qui permet une rémunération encadrée de l’ensemble des
acteurs de la filière et la réversion de la taxe spéciale additionnelle (TSA) prélevée
sur chaque ticket et qui alimente le budget du CNC pour le versement des aides
aux acteurs de la filière. Distributeurs et exploitants peuvent négocier sur la répar-
tition entre part distributeur et part exploitant (de 50 %/50 % en première semaine,
après paiement de taxes, dont la TSA, jusqu’à 70 %/30 % au profit de l’exploitant
à mesure que le film perd de son actualité). Après déduction des frais d’édition et
de promotion avancés par le distributeur et la commission qu’il a négociée avec
le producteur, et si le film réalise suffisamment d’entrées en salles, le producteur
touche ce que l’on appelle les « recettes nettes de la part producteur ».

Les étapes de la filière cinématographique La remontée de recettes


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L’INDÉPENDANCE COMME POSITION, VERTU ET STRATÉGIE

L’INDÉPENDANCE COMME POSITION : SE MAINTENIR


DANS UN NOUVEL « AIR DU TEMPS »
Si le capital symbolique accumulé par le Balzac 9 dans le quartier
des Champs-Élysées lui assurait l’obtention des films Art et essai à
fort potentiel commercial jusque dans le courant des années 2000,
le déplacement récent des stratégies de programmation des circuits
met à mal son statut d’indépendant, du point de vue à la fois de
l’équilibre économique et de la cohérence de la ligne de program-
mation. L’analyse des modes d’action du programmateur contredit
partiellement sa présentation recueillie en entretien comme une ver-
sion « canaille » de la figure de l’éditeur, un « découvreur de talents »
(Mollier, 2005) pas trop « intello » : il apparaît surtout comme
soumis à l’étroitesse de ses marges de manœuvre, son indépendance
étant moins l’expression de choix éditoriaux autonomes que celle de
contraintes externes.

■ Un nouvel air du temps ?

Les études consacrées à la diffusion cinématographique (Creton


et Kitsopanidou, 2013) mettent en évidence une accélération de la
concentration actuelle de l’exploitation cinématographique. Elle est
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notamment visible dans la progression des multiplexes 10, qui reflète
une forme d’industrialisation de l’exploitation cinématographique
(Acland, 2003) dans un contexte d’augmentation de l’offre 11 et de
raccourcissement de la vie des œuvres en salle 12 (débouchant sur
un turn-over croissant). Les circuits ont ainsi adopté des stratégies
communes aux enseignes de la grande distribution (au sens géné-
rique) (Billows, 2016) reposant sur un rapport de forces favorable
sur l’amont de la filière, comme en témoigne par exemple la consti-
tution de « marges arrière » (facturation par les exploitants de l’affi-
chage du matériel promotionnel des distributeurs dans les salles ou
de la projection de bandes-annonces en début de séance). Sur cer-
tains territoires, les multiplexes proposent un segment identifié de

9/ Fondé par le grand-père du directeur actuel en 1935, le Balzac programmait avant-guerre des films
américains puis, après-guerre, français. Une recomposition majeure de l’exploitation française survient dans
les années 1970 (Forest, 1995), entraînant une disparition massive des salles indépendantes dans le quartier
des Champs-Élysées. Par sa proximité avec le réseau Olympic créé par Frédéric Mitterrand au début des
années 1980, il se spécialise dans l’Art et essai et en devient dès lors une figure parisienne incontournable.
10/ Définis par le CNC comme les cinémas comptant plus de 8 salles, ils représentent 10 % des établis-
sements français et réalisent 60 % des entrées.
11/ 13 films en exclusivité sortent par semaine en moyenne, contre 10 en 2000 (CNC, Données « Durée
de vie des films en salle », 2015).
12/ Les films réalisent en moyenne aujourd’hui les trois quarts de leurs entrées en 3 semaines, contre 65 %
en 2000 (CNC, Données « Durée de vie des films en salle », 2015).

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l’offre de films, à savoir les films à gros budget, blockbusters améri-


cains et comédies françaises « grand public », quasi exclusivement
en version française, établissant ainsi des frontières identifiables par
rapport à la programmation des salles indépendantes (Gévaudan,
2008). Sur d’autres marchés, notamment parisien, ces salles tendent
à opérer un « brouillage des frontières », autour principalement de
la catégorie « film Art et essai porteur » 13 qui renvoie aux films de
cinéastes déjà reconnus et réalisant au moins 200 000 entrées en
France. Bénéficiant en général de budgets de production plus impor-
tants que le budget médian, ils sont distribués par des filiales de
studios américains (pour les films américains), par des circuits (Pathé
pour Almodovar), par des filiales de chaînes de télévision (Studio-
Canal pour Klapisch), par des gros distributeurs indépendants liés
à des groupes (comme Mars Films pour Woody Allen) ou par des
distributeurs indépendants de taille intermédiaire (Diaphana Distri-
bution pour Guédiguian). L’apparition des multiplexes au début des
années 1990 en France, puis l’introduction des cartes illimitées au
début des années 2000 ayant augmenté l’espace d’exposition des
films de la grande exploitation et le besoin de programmes diversifiés
pour les abonné·e·s, les circuits ont progressivement élargi leur
palette de films – conduisant certains à qualifier l’UGC Ciné Cité Les
Halles de « premier cinéma Art et essai de France ».
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L’homologie entre espace de production et espace de consom-
mation et l’homogénéité de la catégorie d’indépendants dans la dif-
fusion cinématographique sont ainsi remis en cause par ce
« brouillage des frontières » entre « styles d’œuvres » et « styles de
lieux » (Duval, 2011 ; Pinto, 2012a ; Mariette, 2014). Mais cette
reconfiguration, loin d’abolir les frontières économiques et symbo-
liques entre les œuvres, implique au contraire une lutte qui n’a cessé
de s’intensifier depuis le début du XXIe siècle, autour de la notion
d’indépendance (Alexandre, Noël et Pinto, 2017).

LES SALLES DE CINÉMA À PARIS : INDÉPENDANCE, ART ET ESSAI ET MULTIPLEXES

Le parc cinématographique parisien 14 est composé, en 2016, de 88 établis-


sements comptant 420 écrans. Il voit une forte domination des trois circuits UGC,
Gaumont-Pathé et MK2 qui, disposant de 71,5 % des écrans, la plupart rassem-
blés dans des multiplexes, concentrent 88,6 % des recettes. Depuis une dizaine
d’années, le parc est clivé de façon assez nette entre salles de circuit d’une part,

13/ Que l’on pourrait définir, pour reprendre les termes du décret sur l’Art et essai, comme « des œuvres
récentes ayant concilié les exigences de la critique et la faveur du public et pouvant être considérées comme
apportant une contribution notable à l’art cinématographique ».
14/ Pour une présentation du parc de salles parisiennes, voir Frodon et Iordanova, 2017.

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L’INDÉPENDANCE COMME POSITION, VERTU ET STRATÉGIE

et salles classées Art et essai, « indépendantes » 15, consacrant la disparition de la


catégorie intermédiaire des salles dites généralistes, salles indépendantes (souvent
familiales) ne bénéficiant pas du label Art et essai.
Paris compte 34 établissements classés Art et essai. La procédure de classe-
ment des salles se déroule en deux temps. D’abord, un collège de 100 « profes-
sionnels » vote pour recommander les films Art et essai parmi les films sortis chaque
semaine en exclusivité sur les écrans (soit 14 en moyenne). En 2016, les films
recommandés représentent une part importante des films sortis en France (plus de
51 %) mais ne réalisent que 22 % des entrées. Le classement Art et essai propre-
ment dit, qui concerne les cinémas (et qui ouvre droit à un soutien financier du
CNC et, plus symboliquement, à l’affichage du macaron à l’entrée) répond à
deux exigences. D’abord, une politique de programmation : la salle classée doit
respecter un seuil minimal de part de séances consacrées à des films Art et essai,
70 % à Paris. Ensuite, la politique d’animation de la salle mesurable, entre autres,
au nombre de rencontres organisées par la salle avec les auteurs ou techniciens
des films projetés, avec des associations locales, aux dispositifs vers des publics
ciblés (jeunes, seniors) et à l’organisation de cycles thématiques.

■ Une humeur crépusculaire

La colère et la souffrance qui transparaissent dans les échanges


du programmateur avec ses interlocuteurs, dont l’expression hyper-
bolique et parfois « scénarisée » peut servir de ressource dans la
négociation, constituent des sentiments régulièrement exprimés par
de nombreux exploitants Art et essai parisiens, notamment les « his-
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toriques », à travers les images de la « survie », de la « guerre » ou
de la « lutte à mort ». En somme, le programmateur mesure à cha-
cune de ses négociations l’écart entre un état antérieur où « tout le
monde voulait être au Balzac » 16 et un état où il a le sentiment que
c’est désormais l’exploitation commerciale qui, via les distributeurs
(même indépendants), dicte sa programmation. C’est donc dans une
même métaphore qu’il envisage la mort de son exploitation et la
sienne propre : « C’est que j’ai peur de pas pouvoir tenir, je vais me
suicider, tu peux pas savoir, c’est... pour moi, c’est, c’est une bles-
sure, non mais c’est vrai, c’est une blessure, je sais pas quoi faire, je
suis paumé, je... ».

Il perçoit à travers cette situation critique que ses pratiques de


programmation sont obsolètes, comme en témoigne son indignation
à propos des « capacités ». Si la programmation consiste en partie à
jouer sur le placement des films dans les salles de taille différente
au sein du même établissement (les multiplexes pratiquant parfois,
à l’insu du distributeur, la « descente » des films dans des salles plus

15/ À l’exception du MK2 Beaubourg.


16/ « Je me souviens, Rohmer par exemple, il ne voulait sortir qu’au Balzac, il disait qu’il n’y avait que là
qu’il y avait des gens intelligents ! »

SOCIÉTÉS
CONTEMPORAINES 28
No 111
L’INDÉPENDANCE COMME POSITION, VERTU ET STRATÉGIE
Aurélie PINTO

petites dans une même semaine), le programmateur se dit effaré de La souffrance


intime qu’exprime
la tolérance des distributeurs à l’égard des circuits, pourvu qu’ils y sans cesse le
soient exposés : « Mais les gens acceptent ! C’est moi qui suis un programmateur du
Balzac peut
con ! Je suis un con ! Je suis pas dans le monde moderne ! » La finalement être
souffrance intime qu’il exprime sans cesse peut finalement être comprise comme
la réfraction
comprise comme la réfraction individuelle de la transformation de individuelle de la
l’ensemble de l’espace de la diffusion cinématographique qui voit, transformation de
l’ensemble de
dans le même temps, un « éloignement des pôles » entre blockbusters l’espace de la
et films à petit budget (Duval, 2016), et l’imposition, sur des terri- diffusion
toires spécifiques, de la programmation des circuits à l’ensemble de cinématogra-
phique qui voit,
l’offre cinématographique. dans le même
temps, un
« éloignement des
pôles » entre
■ Quand dire, c’est tenter de redéfinir le jeu blockbusters et
films à petit
budget, et
Pour lutter contre cette obsolescence progressive, le programma- l’imposition, sur
des territoires
teur s’appuie sur l’importance des interactions orales routinières spécifiques, de la
(hebdomadaires) avec des partenaires connus personnellement, afin programmation
des circuits à
de mettre en lumière la solidarité objective qui lie les différents l’ensemble de
acteurs indépendants de la filière cinématographique, ou pour le l’offre
cinématographique.
dire autrement, à objectiver la structure du champ spécifique dans
lequel il est inséré (Bourdieu, 1992). La palette d’actions disponibles
pour le programmateur s’inscrit dans les limites d’un « style » que
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l’on peut qualifier de « décontracté ». Outre les codes vestimentaires
et les réseaux de sociabilité qui abolissent largement les frontières
entre vie professionnelle et vie personnelle (Alexandre, 2015), le
style oratoire familier participe d’une euphémisation des rapports de
force : les engagements y sont contractés par oral, d’où l’importance
toute almodovarienne de l’objet « téléphone » sur lequel se cristal-
lisent certains malentendus (« ah merde, mais j’entends rien là, il a
raccroché ou quoi ? » – on ne sait jamais vraiment si les difficultés
de communication avec certains distributeurs sont dues à des pro-
blèmes techniques ou à des refus conscients de leur part). Ce style
oratoire, qu’il s’agisse de la généralisation du tutoiement, de l’adresse
par le prénom, voire par un diminutif, de l’emploi d’expressions
familières (« Mais t’es con ou quoi ? », « Si il veut me faire chier, je
vais le faire chier ») ou du recours fréquent à l’humour, participent
du maintien du lien y compris avec des interlocuteurs avec lesquels
il se trouve en conflit, à l’instar des « antagonistes intimes » sur les
marchés (Geertz, 2003).

Dans ses échanges, le programmateur tient ainsi un équilibre


subtil entre la préservation de la relation personnelle (« Mais j’ai pas
envie que tu trinques ! Ben non, je veux dire, pas du tout ! ») et la
dénonciation vive du comportement global de ses interlocuteurs

SOCIÉTÉS
29 CONTEMPORAINES
No 111
L’INDÉPENDANCE COMME POSITION, VERTU ET STRATÉGIE

(distributeurs), allant jusqu’à menacer d’avoir recours au Médiateur


du cinéma et à la presse.

Didier, si ça se passe comme je pense que ça va se passer, je menace


personne ni rien, mais moi je fais un article, et j’explique ce qui se passe,
et là vous êtes tous dedans, parce que si t’acceptes la petite salle d’UGC
sur ton film alors qu’il y a une grande salle à côté avec laquelle tu travailles
habituellement, y a vraiment une situation d’abus, là vraiment.

La répétition des interactions oblige en effet à considérer le temps


long des échanges, l’action présente (octroi ou non d’un film, condi-
tions d’exposition) étant sans cesse rapportée aux séquences précé-
dentes (historique des relations entre le distributeur et la salle) ou à
venir (promesse d’un prochain film porteur). Ménager le partenaire
n’est pas seulement un calcul à rapporter aux opportunités futures
d’échange ; cela vise également à « faire corps » entre indépendants
en démontrant l’alliance objective que les distributeurs, par leurs
choix de placement des films, entretiennent avec les circuits.

Ce mode de relations marchandes, caractéristique des « marchés


à la criée » (Hassoun, 2000), va de pair avec le maintien d’un flou
que notre programmateur tente de dissiper afin de comprendre la
stratégie de placement des films de son concurrent, stratégie qu’il
expose à ses interlocuteurs et qui lui permettra finalement de « récu-
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pérer » un film relativement porteur pour sa salle. En plus des négo-
ciations qu’il mène, il profite de chaque occasion (comme une erreur
de numéro) pour « mettre au parfum » ses collègues, préparant sou-
vent le terrain pour des sorties ultérieures :

Enfin pour te dire que sur The Descendants 17, Papa est là hein, et très
là, compte sur moi ! [...] Tu vois, mais je sais, mais je sais, c’est pas du
tout que je t’accuse, c’est juste je te dis... C’est un film dans l’année, je
suis allé voir le Médiateur, et qui n’attend que de mes nouvelles, que de
mes nouvelles hein...

■ À la recherche de recours

À la différence du discours tenu par certains acteurs de la diffu-


sion cinématographique qui affichent une distance extrême aux cri-
tères commerciaux et aux pouvoirs publics, à l’image du réseau
Utopia (Alexandre, 2008 ; Pinto, 2012b) ou de MK2 18 (Pinto,
2012b), l’indépendance que le programmateur revendique ne saurait

17/ Film d’Alexander Payne sorti en 2011.


18/ Position tenue par certains exploitants privés refusant le terme de « subvention » Art et essai qui les
placerait en position d’« assistés ».

SOCIÉTÉS
CONTEMPORAINES 30
No 111
L’INDÉPENDANCE COMME POSITION, VERTU ET STRATÉGIE
Aurélie PINTO

être confondue avec un détachement radical par rapport aux diffé-


rentes institutions qui encadrent le marché. Au contraire, le travail
incessant de publicisation évoqué ici vise à réinstaurer un cadre
considéré comme « juste » afin de réaffirmer la « juste » place de
l’indépendant dans le champ cinématographique. C’est pourquoi,
devant le refus d’un distributeur « ami » de lui octroyer un film, le
programmateur, loin de refuser toute référence à l’autorité publique,
évoque la possibilité d’un recours au Médiateur du cinéma au nom
du principe de la concurrence, malgré les coûts d’une telle procédure
(instruction du dossier, risque de dégradation des relations futures
avec le distributeur concerné ou de représailles de la part de la salle
concurrente). C’est ainsi qu’il me déclare, à l’issue d’un échange avec
un distributeur :

Mais bon, c’est vrai que pour l’article du Film français [revue de référence
pour les professionnels du cinéma], si je veux décrire ce qu’il se passe, je
suis bien obligé de prononcer certains mots, je vais me griller si je fais
ça, je sais pas comment faire diplomatiquement, chiffres à l’appui, je veux
montrer l’abus de position dominante au moins.

LE MÉDIATEUR DU CINÉMA COMME « VIGIE NÉCESSAIRE » 19

Institué en 1982, le Médiateur du cinéma est chargé d’intervenir en cas de


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litiges relatifs à la diffusion des films en salle qui opposent principalement les
exploitants aux distributeurs : ses leviers d’action vont de l’organisation de réunions
de conciliation jusqu’à l’injonction prononcée à l’encontre de l’une des parties
(par exemple, obligation faite à un distributeur d’attribuer une copie de son film à
une salle « lésée »). Depuis cette date, ses attributions se sont progressivement
élargies à différentes missions de surveillance des équilibres sur le marché, que ce
soit les autorisations d’implantation ou d’agrandissement des multiplexes, le suivi
des engagements de programmation institués à l’égard d’exploitants dominants
sur certains territoires afin de garantir le pluralisme de l’offre cinématographique
ou, plus récemment, l’équipement numérique des salles de cinéma. Les derniers
rapports du Médiateur font état d’une place croissante des demandes de média-
tion émanant de salles situées à Paris ou dans sa banlieue ; les injonctions pro-
noncées, soit la forme la plus coercitive d’intervention du Médiateur, ont en outre
concerné presqu’exclusivement des films d’« Art et essai porteur ».

Le programmateur interprète ainsi l’impossibilité d’accéder à des


films Art et essai porteurs sur les 6 mois précédant l’observation (à
l’exception d’Habemus Papam de Nanni Moretti du distributeur Le
Pacte) comme une « punition » de la part de son concurrent après
l’exploitation sur 19 semaines, en exclusivité sur le quartier, du film
Une Séparation obtenu par médiation. Le film du réalisateur iranien

19/ Le Médiateur du cinéma, Rapport 2016, p. 3.

SOCIÉTÉS
31 CONTEMPORAINES
No 111
L’INDÉPENDANCE COMME POSITION, VERTU ET STRATÉGIE

Asghar Farhadi a bénéficié d’un large succès critique couronné par


un Ours d’or à la Berlinale et, bien que distribué par un « petit »
distributeur, Memento Films, il a réalisé plus de 800 000 entrées
dans les salles françaises. Outre cette performance commerciale per-
mettant au Balzac d’équilibrer les entrées plus modestes de films
projetés dans les autres salles du cinéma, ce « coup » a été l’occasion
de démontrer l’engagement d’une salle indépendante en « tenant »
le film 19 semaines à l’affiche.

Cette stratégie s’accompagne de la menace d’en référer à la presse


professionnelle, à savoir Le Film français (Creton, Kitsopanidou et
Pillard, 2015) qui, présentant le box-office et les sorties à plus ou
moins long terme, permet aux exploitants de prévoir leurs demandes
auprès des distributeurs. Le recours à un acteur extérieur aux négocia-
tions marchandes en cours lui permet de sortir de face-à-face qui lui
semblent perdus d’avance, dans un univers où la « réputation » et la
« parole » jouent un rôle déterminant. Deux semaines après l’observa-
tion, la salle, avec une autre salle indépendante des Champs-Élysées,
ferme ses portes pendant une semaine pour protester contre les condi-
tions d’accès aux films Art et essai : la médiatisation 20 de cette opéra-
tion « écran noir » (qui représente un manque à gagner d’une semaine
d’exploitation) illustre l’importance de la presse, généraliste et profes-
sionnelle, comme recours à des instances externes au jeu marchand.
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L’INDÉPENDANCE COMME VERTU :
ENTRE PRODUCTION DE LA CROYANCE
ET RÉAFFIRMATION DU GROUPE
L’observation met en évidence une tension constante entre ordre
comptable et financier (« On perd 20 000 entrées », « On a du retard
à rattraper ») et ordre éthique. Ainsi, les qualités attribuées à cette
salle s’opposent terme à terme aux pratiques réputées être celles des
circuits : « fidélité », « solidarité », « courage » et « honneur » visent
à réaffirmer les frontières des salles indépendantes avec les circuits,
résistant ainsi à ce que le programmateur perçoit comme un mouve-
ment de rationalisation croissante du marché (Weber, 1921 [1971]).
Au-delà de sa contribution à la production de la croyance (Bourdieu,
1977), l’affirmation des vertus de l’indépendant (qu’il soit distribu-
teur ou exploitant) joue un rôle dans la production d’un groupe aux
intérêts conçus comme semblables, chaque séquence de négociation

20/ Outre la presse professionnelle, Le Figaro, Le Monde, Libération, Télérama, entre autres, ont évoqué
l’affaire en décembre 2011.

SOCIÉTÉS
CONTEMPORAINES 32
No 111
L’INDÉPENDANCE COMME POSITION, VERTU ET STRATÉGIE
Aurélie PINTO

étant alors à ré-encastrer dans les représentations plus générales atta-


chées à la position d’« indépendant » (Di Maggio, 1990).

■ Le programmateur, entrepreneur charismatique

La programmation étant définie par le programmateur comme


une question d’honneur, une grande part de son activité consiste à
se justifier auprès des distributeurs lorsqu’il refuse de projeter leur
film. En effet, puisque les actes de programmation se répètent chaque
semaine et malgré la « violence » ressentie par les différents prota-
gonistes, il s’agit de ménager les possibilités futures d’échanges. On
peut y voir une stratégie de constitution de la « réputation », vecteur
déterminant du pouvoir sur un marché (Podolny, 2008 ; Chauvin,
2010), notamment par le rappel du capital symbolique attaché à
cette salle historique :

C’est pour ça je te dis, c’est une place forte de l’Art et essai, en tous les
cas à Paris, au niveau du travail que fait Jean-Jacques [Schpoliansky, pro-
priétaire et animateur historique de la salle], honnêtement, c’est pas pour
nous envoyer des fleurs, et au niveau de la ligne éditoriale de la program-
mation, on est irréprochables.

Le programmateur se livre à un travail constant de rappel des


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« bonnes » pratiques auprès de ses interlocuteurs, qu’il s’agisse des
siennes propres ou de celles de certains professionnels. Lorsqu’un
distributeur qui cherche à placer son film au Balzac lui suggère
d’arrêter la programmation d’un autre film exposé depuis plusieurs
semaines, il lui répond :

Voilà, au Balzac, j’avais rien, rien du tout, rien, tout le monde m’a laissé
crever depuis des semaines et des semaines, et ce depuis septembre, tout
le monde, sauf Le Pacte. C’est difficile de l’envoyer chier quand même,
de lui dire j’te vire ton Habemus Papam qui reste sur 3 salles, faut quand
même pas charrier, le film a démarré à 2 000, il me le donne en exclu-
sivité, c’est un film à Cannes et le film a fait 700 000...

Le programmateur est ainsi contraint de justifier son refus de


programmer un film proposé par des distributeurs dont le catalogue
est ajusté à sa salle. À la suite de son désengagement vis-à-vis de la
distributrice d’un film qu’il avait dans un premier temps accepté de
programmer, Love & Bruises de Lou Ye, le programmateur s’oblige
à répondre par écrit 21, signe d’une négociation passablement tendue,

21/ Il m’a ainsi demandé de rédiger le mail sous sa dictée, reconnaissant son peu de familiarité avec le
traitement de texte.

SOCIÉTÉS
33 CONTEMPORAINES
No 111
L’INDÉPENDANCE COMME POSITION, VERTU ET STRATÉGIE

ce qu’il ne manque pas de faire remarquer dans sa réponse


(« Puisqu’il faut écrire, écrivons, encore que le mail ne soit pas ma
tasse de thé »). Pour expliquer son choix d’un film équivalent (en
termes de « difficulté » esthétique et économique), il s’appuie sur
des arguments autant économiques qu’« éthiques » :

Il est vrai que j’ai plutôt choisi à ce moment-là le film de Nuri Bilge
Ceylan [Il était une fois en Anatolie], c’est là ma faute, ma très grande faute,
mais vous verrez que la presse et, je l’espère, les entrées, me donneront
raison. Sans oublier que le plus gros succès du Balzac cette année a été
Une séparation donné par le même distributeur, bien qu’à l’issue d’une
médiation.

C’est ainsi que pour désamorcer une situation de conflit où la


distributrice reproche au programmateur le non-respect de son enga-
gement oral contracté quelques semaines auparavant, il met en avant
sa fidélité envers un autre distributeur qui lui a fourni un film-phare
de son année de programmation. Il est d’ailleurs à noter que cette
relation bilatérale engage l’ensemble des interlocuteurs homologues,
puisqu’au cours de l’observation, le programmateur s’explique
auprès de distributeurs qui ont eu vent de l’affaire :

Ah tu parles du Lou Ye ! Ah ben qu’est-ce que tu veux... Attends, sois


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sérieux, là c’est un service, je le fais si je peux, là il se trouve que je peux
pas... Ben, j’ai récupéré Poulet aux prunes que j’avais pas, je sors le film
le plus difficile de l’année Il était une fois en Anatolie au Balzac, et je
continue une 9e semaine Habemus Papam. Pour un « mec qui balance les
films » ! Ça va quoi, tu vois... Mais heureusement y a UGC qui les rattrape
derrière ! [rires].

Une autre qualité attachée au programmateur indépendant est


son « courage » qui consiste à projeter un film réputé « difficile » ou
« fragile » au mépris de la rationalité économique à court terme. Si
la programmation d’Une Séparation sur 19 semaines permet de ren-
tabiliser un titre fortement médiatisé, elle peut aussi être vue comme
une preuve de la sécurité procurée par le placement d’un film chez
un indépendant. C’est en outre un « coup » sur le marché qui per-
mettra de négocier par la suite les films porteurs des distributeurs
indépendants. La dimension genrée de l’activité de l’indépendant
n’est d’ailleurs pas sans lien avec cette représentation quasi héroïque
du combat contre les circuits. Il relate ainsi régulièrement des « faits
d’armes » ou des « coups de poker » visant à mettre en évidence sa
distance à la seule nécessité économique, comme en témoigne cette
simulation d’échange avec son concurrent UGC : « Ah ouais, vous
défendez l’Art et essai à l’UGC Normandie ? Alors, OK, vous prenez
(il cherche dans ses papiers), disons, le drame roumain de Cornelius

SOCIÉTÉS
CONTEMPORAINES 34
No 111
L’INDÉPENDANCE COMME POSITION, VERTU ET STRATÉGIE
Aurélie PINTO

et vous me donnez Tintin, alors là OK, on dira “ça c’est des mecs Se joue alors, en
même temps que
qu’ont des couilles !” ». Se joue alors, en même temps que la virilité la virilité affichée,
affichée, la définition charismatique de l’entrepreneur contre les la définition
charismatique de
structures bureaucratisées du marché représentées par les procé- l’entrepreneur
dures rationnelles de gestion des circuits (assurance d’un potentiel contre les structures
commercial minimal en lien avec la surface économique des distri- bureaucratisées du
marché
buteurs, déprogrammation des films en-deçà d’un certain seuil représentées par
d’entrées). les procédures
rationnelles de
gestion des circuits
Ainsi, contrairement à la doxa économique selon laquelle les (assurance d’un
potentiel
hautes rémunérations des entrepreneurs seraient une compensation commercial
ou une récompense pour leur prise de risque (Daccache, 2009 ; minimal en lien
avec la surface
Steiner, 2011), elle est au contraire vue comme l’apanage des entre- économique des
preneurs les plus éloignés du pôle commercial. Cette notion peut distributeurs,
déprogrammation
être mobilisée positivement comme une disposition spécifique de des films en-deçà
l’indépendant liée au goût du jeu, à la création d’entreprises et à la d’un certain seuil
d’entrées).
multiplication des statuts professionnels, et qui lui fait dire, lorsqu’il
évoque une salle indépendante historique, le Saint-André-des-Arts :
« Ça a été une salle pendant 30 ans, c’était une salle immense ! Le
programmateur, c’était Roger Diamantis, un indépendant, comme
moi, on était vraiment de la même race ». La prise de risques est à
l’inverse investie négativement lorsqu’elle est rapportée aux
contraintes structurelles qui réduisent les possibilités d’accès aux
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titres visés ; le brouillage des frontières dans l’exploitation parisienne
ne saurait ainsi faire oublier que le « risque » à programmer des films
peu exposés n’est pas le même selon la place qu’ils occupent au sein
d’une programmation, un faible nombre d’entrées n’ayant pas le
même effet sur l’équilibre financier d’un multiplexe (au premier rang
desquels l’UGC Ciné Cité Les Halles, qui compte aujourd’hui
27 salles de capacités très différentes) et d’un cinéma indépendant,
comme Le Balzac qui compte 3 écrans.

■ Solidarité ou dépendance envers les structures homologues ?


La notion de
Une autre « vertu » attachée à l’indépendant est sa capacité de « juste » sans cesse
invoquée par le
s’inscrire dans des chaînes de dépendance entre structures homolo- programmateur
gues qui, à la fois, partageraient des valeurs communes et représen- renvoie autant au
respect d’une
teraient les conditions de possibilité économiques de survie pour de « justice » sur le
nombreuses salles indépendantes. La notion de « juste » sans cesse marché à travers
un fonctionnement
invoquée par le programmateur renvoie autant au respect d’une équitable, qu’à la
« justice » sur le marché à travers un fonctionnement équitable, qu’à « justesse »
d’appariements
la « justesse » d’appariements qui, désaccordés, sonneraient « faux ». qui, désaccordés,
Le film se trouve alors rapporté à la position, sur le marché, de la sonneraient
« faux ».
société de production qui l’a produit. C’est pourquoi il ressent

SOCIÉTÉS
35 CONTEMPORAINES
No 111
L’INDÉPENDANCE COMME POSITION, VERTU ET STRATÉGIE

comme une injustice très profonde l’impossibilité d’accéder à cer-


taines œuvres produites par des sociétés « amies » :

Non mais, c’est un scandale. F. et P., ils ont produit le film, ils viennent
chez moi chaque semaine, au Balzac, franchement, c’est scandaleux, j’ai
honte, c’est dégueulasse, ils savent qu’on est en difficulté, bon ils viennent
chaque semaine, ils sont clients du Balzac, [...] c’est dégueulasse, c’est
dégueulasse de pas me le donner, qu’est-ce que ça leur coûte...

À l’inverse, le soupçon que certains distributeurs font peser sur


la loyauté du programmateur envers ses « semblables », dès lors qu’il
leur refuse un film jugé trop « fragile », le fait réagir très vivement.
Conscient que le registre de la morale est d’emblée associé à la salle
indépendante, il fait part de son agacement face à ce qu’il vit comme
une injustice supplémentaire :

Le problème que j’ai moi, ce qui me titille, c’est comment on peut me


demander à moi que des devoirs, et à lui qui a 18 écrans sur les Champs,
pas de devoirs. C’est lui qui devrait, lui il peut faire 18 semaines si il veut
avec 18 écrans, moi j’ai 3 écrans, donc ça représente un goulet d’étran-
glement terrible, tu vois. On me met dans une position où non seulement
j’ai pas les films, et où quand je les ai, faut que je fasse des durées...

Il faut noter ici que la forme anonymisée des allusions à son


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concurrent (le programmateur UGC qui programme l’ensemble des
salles UGC sur le territoire français, jamais nommé durant l’intégra-
lité des interactions observées) est caractéristique d’une perception
de règles du jeu inéluctables qui ne tiennent pas à un seul individu
mais qui sont redevables d’un nouvel « air du temps ». Ce « il »
introuvable autant qu’omniprésent n’est jamais rencontré mais se
manifeste par l’intermédiaire des distributeurs qui attendent les déci-
sions du programmateur UGC avant de s’engager avec le Balzac. De
ce point de vue, l’indépendance s’accompagne de la difficulté de
constituer une conscience collective : on peut ainsi rapporter l’écart
entre le sentiment d’appartenance du programmateur à la « race »
des indépendants et son constat d’une importante anomie des struc-
tures qui s’en réclament au caractère très progressif d’une structu-
ration institutionnelle des salles indépendantes parisiennes conçue
comme un contre-pouvoir aux circuits (à l’instar de l’association des
Cinémas Indépendants Parisiens qui a mis en place très récemment
une offre alternative aux cartes illimitées).

Il ne faudrait cependant pas opposer trop rapidement deux logi-


ques irréductibles de positionnement sur le marché entre, selon la
terminologie wébérienne, une rationalité « en valeur » (Wertrationa-
lität) correspondant ici à la revendication, par les indépendants, des

SOCIÉTÉS
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qualités précitées (solidarité, courage, fidélité) et, d’autre part, une


rationalité « en finalité » (Zweckrationalität) qui serait celle des cir-
cuits. L’analyse de la stratégie du programmateur présentée dans la
section suivante montre ainsi que la construction de sa position
consiste en un travail continu d’ajustement qui se doit de respecter
les formes euphémisées des motivations proprement économiques.
Si certains films sont d’emblée disqualifiés, car jugés trop « commer-
ciaux » ou trop « petits », les films envisageables doivent en même
temps correspondre au profil de la salle, assurer sa stabilité écono-
mique, s’inscrire dans le temps long des échanges avec ses parte-
naires privilégiés et être absents de l’affiche de ses concurrents.

L’INDÉPENDANCE COMME STRATÉGIE : LES PRATIQUES


D’AJUSTEMENT ENTRE EXIGENCES CULTURELLES
ET RÉALITÉS DU MARCHÉ

L’analyse des choix de programmation est une occasion privilé-


giée d’observer les modalités concrètes de construction de la position
d’indépendant sur un marché de biens culturels. En effet, cette acti-
vité suppose de traduire par le choix des œuvres le « juste » équilibre
entre valeur économique (nombre d’entrées potentielles réalisées par
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le film) et valeur symbolique (degré de reconnaissance du film) sous
la contrainte précédemment décrite de l’espace des choix déterminés
par les acteurs dominants. L’attention aux arguments déployés pour
décrocher tel titre auprès d’un distributeur ou, au contraire, le lui
refuser, permet ainsi de mettre en perspective les discours du pro-
grammateur (comme répondant avant tout à ses « coups de cœur »)
omettant le plus souvent de préciser les frontières de son espace de
choix dont la définition lui échappe largement, déployant ainsi un
« art du réalisme » (Duval, 2006) sous la forme de compromis inces-
sants entre les deux pôles de l’espace.

■ « C’est pas pour nous »

Les tâtonnements observés révèlent l’espace des pensables au sein


d’un continuum de films allant des moins aux plus commerciaux,
injustifiables aux yeux de son public. Au cours de la séquence de
programmation à laquelle j’assiste, le programmateur ne cesse de
regretter de n’avoir eu accès au film L’Exercice de l’État de Pierre
Schoeller. En effet, il a toutes les caractéristiques d’un film « Balzac »
(voir tableau suivant), qu’il s’agisse de son format économique (dis-
tributeur indépendant, nombre d’entrées en première semaine) et de

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L’INDÉPENDANCE COMME POSITION, VERTU ET STRATÉGIE

sa valorisation symbolique (par les festivals et la presse), à l’image


de Habemus Papam de Moretti. Le cadre de l’intrigue, les hautes
sphères de l’État, les acteurs, Michel Blanc et Olivier Gourmet, les
partenariats presse, semblent en outre tout indiqués pour le public
du Balzac. Or, quelques jours plus tôt, le distributeur annonce au
programmateur qu’il ne lui accorderait pas de copie, l’ayant déjà
attribuée à l’UGC Normandie. Gêné par ce choix qui peut sembler
illogique du point de vue de l’identité des salles, le distributeur se
justifie en soulignant que ce film a reçu le label... UGC 22, et assure
(« pour le calmer ») qu’il aura l’exclusivité sur le prochain film por-
teur qu’il sort, Les Neiges du Kilimandjaro de Guédiguian.

TABLEAU I
Caractéristiques des films évoqués

Entrées Prix2 Critiques3 Distributeur Réalisateur Acteurs Nationalité


totales
1re semaine1
Habemus 85 282 21 4,2 Le Pacte N. Moretti N. Moretti, Italie
Papam M. Piccoli
L’Exercice 62 552 24,5 4,1 Diaphana P. Schoeller O. Gourmet, France
de l’État M. Blanc
Les marches 132 465 9 3,2 Metropolitan G. Clooney G. Clooney, USA
du pouvoir (VO) Film R. Gosling
The Artist 163 530 24 4,1 Warner Bros M. Hazanavicius J. Dujardin, France
B. Béjo
Poulet 35 732 17 3,5 Le Pacte V. Parronaud, M. Amalric, France/Belg./
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aux prunes M. Satrapi E. Baer All.
Drive (VO) 199 647 18,5 4,4 Le Pacte N. Winding Refn R. Gosling USA
Polisse 220 057 17,5 3,6 Mars Maïwenn K. Viard, France
Distribution J. Starr
Tintin 3D 442 485 0,5 3,5 Sony S. Spielberg Animation USA
(VO/VF)
1
Entrées totales Paris-Périphérie 1re semaine.
2
Il s’agit d’un indicateur construit en utilisant le barème suivant :
Prix Festival International = 4 ; Nomination Festival International = 3 ; Prix Festival = 2 ; Nomination Festival = 1 ; Prix
commercial = 0,5.
3
Critiques presse Allociné.

À l’inverse, d’autres films sont d’emblée exclus en ce qu’ils cumu-


lent les signes d’un cinéma jugé trop commercial. M’étonnant qu’il
puisse s’intéresser à Tintin à la suite d’un échange téléphonique avec
le distributeur Sony, il m’explique qu’il se renseignait sur son plan
de sortie afin d’anticiper la programmation de son concurrent, et
s’exclame : « Ah oui, un jour peut-être on sera contraint de dévier,
de dériver... enfin non, je serai mort le jour où on fera ça, je suis
pas dans le ciné pour faire des trucs comme ça ! ». De même, Polisse
(réalisé par Maïwenn, avec, entre autres, Joey Starr) est considéré
par le programmateur comme impropre à être projeté au Balzac,

22/ UGC attribue des labels à certains films programmés dans ses salles : « Découverte UGC », « UGC
M », « Le label des spectateurs UGC » et « UGC Family ».

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bien que disposant d’un potentiel commercial important 23. Les rai-
sons de ce positionnement apparaissent comme une combinaison de
morale personnelle et de conformité déclarée aux critères du label
Art et essai, qui le conduit à ajuster progressivement sa stratégie en
fonction des films « laissés » par son concurrent :

M’enfin, je peux pas demander Tintin ou Polisse ! J’ai plus de subvention


[Art et essai] ! J’ai plus rien ! Il faut quand même garder un minimum de
qualité ! Ça va pas au Balzac Polisse ! Je peux pas demander n’importe
quoi ! Tu trouves que Polisse c’est mettable au Balzac ?! C’est pas du tout
la programmation du Balzac ! À la limite, The Artist, j’ai hésité... c’est des
films, quand même, pfff... Jean Dujardin... Clooney [réalisateur et acteur
des Marches du pouvoir], je dis pas, c’est quand même plus...

Un film comme The Artist (réalisé par Michel Hazanavicius, entre


autres Oscar du meilleur film 2012) pose un cas de conscience au
programmateur dans la mesure où il présente des caractéristiques
contrastées, emblématiques de l’évolution de la frange « porteuse »
des films Art et essai, entre film commercial (acteurs connus du
« grand public » comme Jean Dujardin, distribué par une major amé-
ricaine) et film d’auteur (affiche sobre en noir et blanc, nombreux
prix dans des festivals internationaux et parti pris audacieux du film
muet). C’est ainsi que la réalité des opportunités va faire basculer le
programmateur d’une définition à une autre : s’il lui paraissait à l’ori-
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gine discutable de faire figurer Dujardin à l’affiche de son cinéma,
les difficultés d’accès aux films convoités (comme L’Exercice de l’État)
le poussent à épouser ce choix problématique. Mais The Artist ayant
été « gardé » chez son concurrent dans des conditions jugées accep-
tables par la distributrice, il se rabat sur un troisième choix, Poulet
aux prunes (réalisé par Vincent Parronaud et Marjane Satrapi, auteure
de la bande dessinée Persépolis adaptée au cinéma), qu’il n’avait pas
envisagé jusque-là, pensant alors qu’il s’agit d’un film d’animation et
parce qu’il possède un potentiel commercial moindre que ses deux
premiers choix.

■ Être performant

Bien qu’il mobilise largement le répertoire éthique, le program-


mateur défend également l’efficacité de sa salle :

23/ Si tous les critères ne sont pas explicités par le programmateur, le côté people du film et sa forme
télévisuelle l’ont disqualifié à ses yeux : il est en effet surtout reconnu par Elle ou Paris Match et qualifié de
série télévisée par les critiques du Monde ou Positif.

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Le Balzac, il marche bien quand même, il a une belle capacité, et quand


il a les films qui correspondent, il est bon, il est très bon même sur la
durée. C’est pas « le cadeau que vous faites à l’indépendant », non, c’est
aussi, on répond quoi, on fait des entrées...

La défense de sa position d’indépendant passe par une maîtrise


sans cesse démontrée des modes de placement des films par les
circuits : en cela, le recours au logiciel CinéChiffres, permettant à
tout abonné (programmateur, directeur de salle, distributeur) de
consulter en temps réel les entrées dans chaque salle de Paris et de
périphérie, offre un instrument essentiel de décision. Mémoire du
marché et moyen de prévision (c’est par ce biais que le programma-
teur parvient à anticiper les décisions de programmation de son
concurrent), il représente la « bible » des exploitants et distributeurs.
C’est à l’aide de cet outil qu’il démontre aux distributeurs indépen-
dants que leur décision d’attribuer leur film à la salle de circuit plutôt
qu’à lui est irrationnelle : il parvient ainsi à prédire la « capacité »
de la salle dans laquelle leur film sera projeté en fonction des films
qu’UGC décidera de garder la semaine suivante (selon le nombre
d’entrées réalisées entre le mercredi précédent, jour de sortie des
films et la fin du week-end) et des films qu’il « fera rentrer » (selon
le potentiel commercial des films sortant en exclusivité la semaine
en question) ; raisonnant à travers le jeu de chaises musicales, le
programmateur s’efforce de prouver que le film de son interlocuteur
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se retrouvera systématiquement dans une plus petite salle que celle
qu’il pourrait lui offrir au Balzac.

Pour lutter contre le positionnement implicite qu’il perçoit chez


les distributeurs, il refuse de se laisser imposer l’image du « petit »
indépendant qu’il faudrait « aider », en se démarquant explicitement
de certains de ses homologues. Il rappelle ainsi à plusieurs reprises
que « c’est quand même le Balzac, et pas le Saint-André-des-Arts ».
C’est pourquoi, en off de ses négociations il insiste auprès du direc-
teur de sa salle pour rentabiliser au maximum les films porteurs à
venir, comme Les Neiges du Kilimandjaro de Guédiguian avec avant-
première et séance en présence de l’équipe du film, employant un
langage très explicite :

Et tâche de m’organiser quelque chose pour Les Neiges du Kilimandjaro,


une avant-première, une animation, quelque chose, si on peut pas faire
une séance en présence de l’équipe pour que ça gonfle un peu le chiffre.
Le film est court, tu peux peut-être faire 10 minutes de présentation quoi,
mais vraiment serre bien, faut que tu me fasses 5 séances, on est seuls. Il
faut faire des entrées, on est en retard, tu mettras des bandes-annonces
que dans les 2 autres, ou tu mettras que la pub, tu verras, il faut faire
5 séances et à peu près correctes quoi, tu vois ? Mais faut qu’on soit très
très très performant sur les films.

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L’INDÉPENDANCE COMME POSITION, VERTU ET STRATÉGIE
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■ Ne pas viser « trop petit »

Se trouver dans une position dominée face aux circuits n’induit


cependant pas une alliance systématique avec les « petits », selon les
termes indigènes. Le programmateur énonce ainsi très explicitement
comme verdict à propos du film Dernière séance (de Laurent
Achard) : « Je l’ai vu, je confirme, c’est trop petit ». Bien que sélec-
tionné et nommé dans plusieurs festivals, le film semble cependant
condamné par une distribution confidentielle. Si ce jugement émis
en off (du point de vue du marché) a le mérite de la clarté, l’échange
avec le (petit) distributeur indépendant Capricci du film Curling
(sorti finalement sur 3 salles à Paris et ayant réalisé la première
semaine 1867 entrées) est particulièrement instructif. Lors de la dis-
cussion qui entoure le refus de projeter le film au Balzac, il se défend :

Oui mais l’Art et essai, t’oublies que le Poulet aux prunes, c’est quand
même plutôt de l’Art et essai, t’oublies que même Les marches du pouvoir
les salles Art et essai vont le sortir, L’Exercice de l’État, c’est des films Art
et essai « gros » ! L’Exercice de l’État, c’est soutenu par l’AFCAE 24 ! C’est
pas des films commerciaux, enfin ça marchera peut-être, mais c’est des
films qui pourraient très bien être programmés dans mes salles, d’ailleurs,
y en a un qui est programmé.

CONCLUSION : « C’EST POLITIQUE ! »


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Par cette expression qui vient clore les séances de programmation
que j’ai pu observer, le programmateur renvoie en définitive aux
rapports de pouvoir en cours sur le marché parisien de l’exploitation
cinématographique, lesquels mettent selon lui en danger l’intégralité
de la filière indépendante du cinéma. En ce sens, ce marché devrait
traduire la « vraie » position d’un film dans la compétition cinéma-
tographique 25, position qui se trouverait aujourd’hui « faussée » par
les pressions croissantes des circuits. L’« abus de position domi-
nante » qu’il cherche inlassablement à démontrer à ses interlocu-
teurs, distributeurs, exploitants et journalistes, peut être d’abord
compris comme un terme juridique qui justifie notamment l’action
du Médiateur du cinéma ; il sonne aussi, notamment sous sa forme
raccourcie employée à plusieurs reprises, « abus de position »,
comme le désordre introduit par les circuits dans la programmation
« naturelle » des salles indépendantes (de même que l’on parle
d’« abus de langage »). En ce sens, la définition pratique de

24/ Association française des cinémas d’Art et essai.


25/ Le programmateur affirme par exemple « Le vrai chiffre de L’Exercice de l’État aujourd’hui il est faux,
de toute façon pour moi, sur Paris, il perd à peu près 20 %, c’est ça, il perd 20 % », par rapport aux entrées
qu’il pourrait réaliser s’il était programmé dans les salles adaptées.

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L’INDÉPENDANCE COMME POSITION, VERTU ET STRATÉGIE

La combinaison
des trois
l’indépendance implicitement inscrite dans les propos de notre pro-
dimensions, grammateur indépendant se définirait moins par la revendication de
position, vertu et l’absence de liens (à l’instar de l’artiste inspiré) que par la recherche
stratégie permet
de rendre raison de liens « ajustés » à sa position.
des paradoxes
inscrits dans des
positions qui sont, Au-delà du cas spécifique de l’exploitation parisienne, la situation
à maints égards, de cet indépendant est caractéristique de l’élargissement de l’offre
difficiles à tenir : la
vertu (au double des biens culturels proposés sous ce label et de l’économicisation
sens de courage et d’une frange importante des biens les plus consacrés : des luttes de
d’engagement au
nom de principes plus en plus intenses se produisent dans les zones intermédiaires
autres que des marchés culturels, zones dont l’existence ne saurait occulter une
marchands)
régulièrement mise polarisation croissante entre hits ou autres blockbusters et biens cultu-
en scène renvoie rels à diffusion de plus en plus restreinte. Finalement, la combi-
ainsi autant à des
dispositions naison des trois dimensions mises en évidence dans cet article,
(dégoût pour des position, vertu et stratégie, est utile à l’analyse d’intermédiaires cultu-
formes les plus
ouvertement
rels dans ces zones « moyennes » des univers artistiques. Elle permet
commerciales, de rendre raison des paradoxes inscrits dans des positions qui sont,
goût pour le jeu)
qu’à des stratégies
à maints égards, difficiles à tenir : la vertu (au double sens de courage
qui portent les et d’engagement au nom de principes autres que marchands) régu-
indépendants à lièrement mise en scène renvoie ainsi autant à des dispositions
composer en
naviguant entre (dégoût pour des formes les plus ouvertement commerciales, goût
modes de pour le jeu) qu’à des stratégies qui portent les indépendants à
fonctionnement
présentés comme composer en naviguant entre modes de fonctionnement présentés
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alternatifs, et comme alternatifs, et règles du jeu marchand.
règles du jeu
marchand.
Aurélie Pinto
Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle, IRCAV/CSU-Cresppa
aurelie.pinto@sorbonne-nouvelle.fr

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