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Risque de défaut et concurrence sur le marché des produits

Nicolas Le Pape
Dans Revue économique 2015/6 (Vol. 66), pages 1089 à 1104
Éditions Presses de Sciences Po
ISSN 0035-2764
ISBN 9782724634150
DOI 10.3917/reco.pr2.0051
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 28/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 196.65.34.24)

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Risque de défaut et concurrence
sur le marché des produits
Nicolas Le Pape*

L’influence stratégique de l’endettement sur le comportement de marché des


firmes a été analysée par Brander et Lewis [1986]. Ils montrent que l’endettement
accroît le niveau de concurrence dans l’industrie. Cependant, un nombre croissant
de banques fondent leur politique de prêt sur une évaluation de la capacité de
remboursement de l’emprunteur et donc de son risque de non-remboursement.
L’objectif de cet article est de revisiter la littérature développée en économie indus-
trielle axée sur la fonction stratégique de l’endettement en reconnaissant une fonc-
tion stratégique non pas au montant de dette à rembourser en fin de période mais
au risque de défaut de l’entreprise débitrice. On montre que l’utilisation stratégique
du risque de défaut exerce un effet pro-concurrentiel plus marqué que l’utilisation
stratégique de la dette.

DEFAULT RISK AND PRODUCT MARKET COMPETITION

The strategic impact of debt on the firms’ behavior in the product market was
originally investigated by Brander and Lewis [1986]. They have shown that debt
increases the level of competition in the industry. However, the lending policy of
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an increasing number of banks is based on an assessment of the borrower’s ability
to repay the loan (scoring methods). The objective of this paper is to revisit models
developed in Industrial Organization which focus on the strategic function of debt
by recognizing a strategic function to the risk of default. We show that the strategic
use of a default risk (instead of a level of debt) makes the firm more aggressive in
the product market.

Classification JEL : G32, L13, L22.

* crem (umr cnrs 6211), Université de Caen basse-Normandie. Correspondance : Dépar-


tement d’Économie, Université de Caen, Esplanade de la Paix, 14032 Caen Cedex 5. Courriel :
nicolas.lepape@unicaen.fr

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Revue économique – vol. 66, n° 6, novembre 2015, p. 1089-1104


Revue économique

INTRODUCTION

La vision selon laquelle les stratégies réelles poursuivies par les firmes sont
indépendantes de leurs décisions financières (endettement, capitaux propres)
est traditionnellement justifiée par le théorème de Modigliani-Miller [1958]
selon lequel le mode de financement ne modifie pas la valeur de marché d’une
entreprise. Une critique à ce théorème est apportée par brander et Lewis
[1986]. Elle est basée sur la valeur d’engagement stratégique de la dette. L’idée
défendue est que l’endettement affecte la stratégie réelle d’une entreprise sur
un marché oligopolistique. Plus précisément, pour une concurrence en quan-
tités sur un bien homogène, un financement par un contrat de dette risquée
conduit la firme à se comporter de manière plus agressive à l’encontre de ses
concurrentes, ce qui lui confère un avantage concurrentiel puisque les produc-
tions sont des substituts stratégiques. Ce résultat repose sur le statut juridique
des actionnaires qui ne prennent pas en compte l’étendue des pertes encou-
rues en cas de faillite lorsqu’ils sont protégés par la responsabilité limitée.
Le niveau de production d’équilibre qui résulte de la maximisation du profit
résiduel (ou valeur de la firme du point de vue des actionnaires) est supérieur
à celui qui découle de la maximisation du profit d’exploitation. C’est pour-
quoi un contrat de dette risquée conduit à développer une stratégie de rivalité
agressive à l’encontre des rivales et contribue à intensifier la concurrence sur
le marché des produits.
L’intérêt des articles, en économie industrielle, qui étudient le rôle de la dette
sur le comportement de marché, est de ne plus retenir une vision « isolée » de
la firme : l’influence du mode de financement sur la valeur d’une entreprise est
établie en tenant compte des conditions de réalisation du profit dans l’industrie et
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de l’influence du jeu de la rivalité interfirmes. L’impact de l’endettement sur la
nature des interactions stratégiques entre firmes rivales et sur le type de stratégie
déployée à l’encontre des concurrents est ainsi mis en évidence.
Dans cet article, on s’intéresse à la valeur stratégique du risque de défaut
associé à un financement par emprunt lorsque l’entreprise est gérée dans l’intérêt
de ses actionnaires. La fonction stratégique est liée au risque de défaut et non
pas au montant de la dette.
L’optique de cet article est justifiée par le fait que la compréhension du rôle
des choix financiers sur les incitations à produire et sur la nature des comporte-
ments de rivalité entre firmes reste encore imparfaite dans la littérature1. Mottis
et Ponssard reconnaissent la nécessité de mener des recherches sur l’inter-
action entre les comportements de marché et les décisions financières : « […]
l’articulation entre structure financière et stratégie industrielle reste encore large-
ment inexplorée » (Mottis et Ponssard [2002], p. 5). Ce même constat est partagé
par Riordan lors de sa leçon inaugurale donnée à l’occasion du colloque de l’In-
ternational Industrial Organization : « Industrial organization mostly has ignored
corporate finance, and vice versa. But the question undoubtedly is important
for understanding how product markets perform when firms participating in a

1. Ce constat est déjà souligné par brander et Lewis lorsqu’ils écrivent à propos de la théorie
de l’oligopole : « The literature on financial economics and the literature on oligopoly have at least
one common feature : they both place relatively little emphasis on the strategic relationships between
financial decisions and output market decisions » (brander et Lewis [1986], p. 956).

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market are constrained financially, and for understanding how capital structure
and corporate governance contribute to product market strategy » (Riordan
[2003], p. 1).
De plus, la littérature en économie financière cherche à définir une structure
financière optimale sans prendre en compte l’avantage concurrentiel que peut
procurer le mode de financement. Ainsi, Jensen et Meckling [1976] introduisent
une relation d’agence actionnaire/prêteur pour montrer qu’une structure finan-
cière optimale est atteinte lorsque les coûts d’agence de la dette comparés à ceux
des fonds propres sont minimisés. De même, selon Ross [1977], la structure
financière optimale est celle qui permet de révéler des informations privées (rela-
tives à des caractéristiques intrinsèques à la firme) à des investisseurs extérieurs.
Enfin, le modèle de Kim [1978] indique que la structure financière optimale
est atteinte lorsque la déductibilité fiscale de l’intérêt sur la dette permet de
compenser l’augmentation corrélative des coûts de faillite. Une des caractéris-
tiques de ces approches en économie financière est qu’elles ne reconnaissent pas
une fonction supplémentaire de la dette : son rôle dans le comportement et le
positionnement d’une firme face à ses rivales. D’ailleurs, dans leur synthèse de
la littérature relative aux déterminants de la structure financière des entreprises,
Harris et Raviv soulignent l’intérêt que revêtirait la prise en compte des compor-
tements de rivalité dans l’explication de la structure financière des firmes : « In
our view, models which relate capital structure to products and inputs markets
are the most promising. This area is still in its infancy and is short on impli-
cations relating capital structure to industrial organization variables such as
demand and cost parameters, strategic variables […] » (Harris et Raviv [1991],
p. 351).
Cependant, si la littérature récente en économie industrielle met en avant les
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implications stratégiques de l’endettement des entreprises (Wanzenried [2003],
Chen [2005], Haan et Tooselma [2008], Franck et Le Pape [2008], Etro [2010]
ou Showalter [2010]), elle n’étudie pas la fonction stratégique que peut avoir le
risque de défaut de paiement. On va précisément développer un modèle dans
lequel le comportement concurrentiel de la firme s’ajuste au risque de défaut
estimé. La valeur stratégique du risque de défaut est principalement justifiée par
le contenu informationnel de l’appréciation de ce risque par les organismes de
crédit. L’objectif est de mettre en avant la fonction stratégique de ce risque de
défaut (le niveau de risque étant révélé par la notation de l’entreprise débitrice)
et de souligner les différences avec les modèles reposant sur la valeur stratégique
de la dette. Dans un modèle où le risque de défaut de paiement a une fonction
stratégique, on démontre que les productions des firmes endettées ne sont pas
modifiées, à l’équilibre, par la volatilité de la demande à l’industrie. Les firmes
endettées adoptent ainsi des stratégies de production insensibles à l’instabilité
de la demande, et le prix de marché du bien devient insensible à la volatilité du
choc sur la demande. En revanche, si l’on se situe dans la lignée de l’approche
initiée par brander et Lewis [1986] en supposant que la dette revêt une fonction
stratégique, l’instabilité de la demande se répercute sur les choix individuels de
production et donc sur le prix de marché.
L’article est organisé de la manière suivante. Dans une première section, la
fonction stratégique du risque de défaut est justifiée. Les hypothèses du modèle
et sa résolution sont présentées dans les deuxième et troisième sections. Enfin,
dans une dernière section, les résultats obtenus sont comparés à ceux découlant
d’une approche type brander et Lewis [1986].

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LA VALEUR STRATÉGIQUE DU RISQUE DE DÉFAUT

Dans les modèles qui se situent dans la lignée de l’approche brander et Lewis
[1986], le montant de la dette à rembourser en fin de période est considéré
comme variable d’engagement (fixée à la première étape du jeu). Par consé-
quent, les valeurs de la production et du risque de défaut attendu de l’entre-
prise débitrice (fixés en seconde étape) s’ajustent au montant de dette. Dans cet
article, on modifie la variable de la première étape du jeu en reconnaissant à la
probabilité de défaut de l’entreprise la fonction d’engagement stratégique. Dans
ce nouveau contexte, on renverse la nature des variables endogène et exogène
puisque le montant de la dette (et le niveau de production) s’ajuste au risque de
non-remboursement de l’entreprise débitrice.
Pour que le risque de défaut attendu puisse avoir fonction d’engagement stra-
tégique, il faut pouvoir le mesurer et garantir la transparence de cette information
(notamment auprès des firmes concurrentes et du prêteur). Quelles justifications
économiques peut-on apporter à cela ?
En premier lieu, cette vision du risque de défaut paraît cohérente avec la
pratique bancaire qui consiste à n’accorder un prêt qu’à partir d’une mesure du
risque de crédit de l’entreprise débitrice. Il est alors logique de considérer que
le montant du prêt octroyé par la banque s’ajuste au risque crédit anticipé et non
l’inverse. L’approche retenue ici, relative à une possibilité d’engagement sur un
risque de non-remboursement de l’entreprise débitrice, correspond au modèle
de la banque à l’acte2. L’utilisation des modèles internes d’évaluation du risque
crédit est un préalable à la fixation des conditions de l’emprunt3. À titre d’illus-
tration, J.P. Morgan ou le Crédit suisse utilisent comme modèles CreditMetrics
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et CreditRisk+. Le calcul des probabilités de défaut individuelles suit les prin-
cipes suivants (Gouriéroux et Tiomo [2007]). On regarde l’évolution de la valeur
de marché des actifs d’une firme relativement à ses dettes. Pour un montant de
dette donné, le risque de défaut provient de la volatilité de la valeur de marché
des actifs4. Une distance au défaut est ensuite évaluée : à horizon donné (date
des échéances de la dette), cette distance mesure l’écart entre la valeur attendue
des actifs et le point de défaut (ou valeur des actifs permettant juste de couvrir
l’échéance de la dette). La probabilité de défaut résulte de la transformation
de cette distance à partir du modèle de Merton [1974]. Au total, la décision
d’octroi de crédits est basée sur une estimation préalable du risque de défaut de
l’emprunteur.
En second lieu, la marchéisation du financement des entreprises privées, qui
a donné lieu à émission de titres obligataires, justifie également l’optique du
modèle. Les entreprises qui émettent des emprunts obligataires ont une nota-
tion attribuée par des agences spécialisées (Standard and Poor’s, Moody’s et
Fitch) à la suite d’un audit qu’elles mènent. Celles-ci définissent la qualité de

2. L’examen des modes de relations bancaires au regard des conventions de financement oppose
un modèle de banque à l’acte à un modèle de banque à l’engagement (Rivaud-Danset [1995]).
3. Ces méthodes de mesure et de gestion du risque crédit permettent aussi d’ajuster les besoins
en fonds propres des établissements de crédit : « On considère que le niveau minimal des fonds
propres doit dépendre de la probabilité de défaut que la banque choisit elle-même de supporter »
(Dietsch et Petey [2003], p. 18).
4. On utilise la valeur de marché des fonds propres comme proxy de la valeur de marché des
actifs pour les firmes cotées.

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la signature de l’émetteur par l’évaluation de son risque de défaut. Le risque de


non-remboursement est révélé par la note de l’émetteur du titre obligataire. Les
échelles de notation comportent généralement dix modalités s’échelonnant de
AAA à D. Elles peuvent être assorties d’une perspective d’évolution (stable,
négative ou positive) sur un horizon de un à trois ans selon les agences. S’il est
commun de reconnaître le rôle de ces notes dans les décisions d’octroi de crédit,
l’utilisation stratégique qui peut en être faite par les emprunteurs ou les émetteurs
de titres obligataires est beaucoup moins étudiée.
En dernier lieu, le marché des dérivés de crédit, et en particulier le swap
sur défaillance (Credit Default Swap, cDs), a connu un essor rapide. Il s’agit
d’un contrat par lequel la prime versée reflète le risque de défaut de l’entreprise
débitrice (ou, de manière équivalente, le rating de l’emprunteur). L’acheteur et
le vendeur du cDs doivent évaluer le risque de crédit pour lui attribuer un prix.
La généralisation de l’utilisation de ces instruments comme stratégie de gestion
des risques bancaires contribue à rendre plus transparente l’information sur le
risque de défaut attendu.
Ces différents arguments justifient la séquence du modèle où la première
étape fixe un risque de défaut et la seconde définit les choix de production et
d’endettement pour une valeur donnée du risque de non-remboursement.

HYPOTHÈSES DU MODÈLE

Mode de financement et valorisation de l’entreprise


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La firme i doit financer une dépense d’investissement irrécupérable5 Ii sur
la base de ses capitaux propres (Ei) et de capitaux d’emprunt (Di = Ii - Ei).
L’emprunt est contracté au taux ri, la dette à rembourser en fin de période est :
bi = (1 + ri) Di. L’activité de cette firme génère un revenu d’exploitation (Ri)
aléatoire. La firme est solvable lorsque son revenu lui permet de couvrir le
remboursement de la dette. La séparation des zones de solvabilité et de défaut
est donnée par la figure 1.

Figure 1. Délimitation des zones de défaut et de solvabilité d’une firme endettée

Revenu aléatoire : Ri

Ri,min Ri,seuil Ri,max

Défaut Solvabilité
(Ri < Bi) (Ri > Bi)

5. La valeur résiduelle de l’investissement étant supposée nulle, en cas de faillite, seul le revenu
d’exploitation peut être saisi par les créanciers.

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Le revenu seuil correspond à la valeur particulière du revenu qui délimite les


deux zones. Les prêteurs, qui ne profitent pas des valeurs élevées du revenu d’ex-
ploitation, ont des rendements concaves (fig. 1). À l’inverse, les actionnaires,
grâce à la responsabilité limitée, ne portent pas les pertes liées à la réalisation de
valeurs faibles du revenu d’exploitation6 et ont des rendements convexes7. Les
schémas de rémunération des actionnaires et des prêteurs sont identiques à ceux
d’investisseurs détenteurs de titres optionnels (fig. 2).

Figure 2. Rémunérations des actionnaires et des prêteurs selon l’état de l’entreprise

Actionnaires Ri - Bi

Solvabilité
Bi
Prêteurs

État de
l’entreprise

Actionnaires
0
Défaut

Prêteurs Ri
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Un financement par la dette peut en effet s’identifier à des opérations sur
options. Lors de la conclusion du contrat d’emprunt, l’actionnaire achète une
option d’achat sur l’actif de la firme à un prix d’exercice bi. Le vendeur de
l’option d’achat est le prêteur qui acquiert l’actif contre une mise Di. L’option est
exercée par l’actionnaire si, à la date d’exercice de l’option, la valeur de l’actif
(Ri) excède le prix d’exercice de l’option d’achat (bi), donc si Ri > bi. Dans
ce cas, le gain réalisé par l’actionnaire qui exerce son option d’achat s’élève à
(Ri - bi) et le prêteur reçoit bi (fig. 2). En revanche, l’option n’est pas exercée
si Ri < bi. Dans ce cas, l’actionnaire ne reçoit rien et le prêteur, détenteur de
l’actif, perçoit Ri.
Avant réalisation de l’incertitude (évaluations ex ante), la valeur de la firme
du point de vue des actionnaires (VEi) et la valeur de la firme du point de vue
des prêteurs (VDi) s’écrivent :
VEi = Max[ R i − Bi ; 0],
VDi = Min[ R i ; Bi ].

6. Pour simplifier, les coûts de faillite sont nuls.


7. Ceci est à l’origine du phénomène de la substitution d’actifs mis en évidence par Jensen et
Meckling [1976]. Cette substitution résulte du fait qu’un actionnaire est incité à sélectionner des
projets d’investissement dont le niveau de risque est supérieur à celui qui permettrait de maximiser
la valeur globale de l’entreprise.

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La valeur globale (VGi) de l’entreprise est alors donnée par :


VGi = VEi + VDi = Ri.

Le seuil et la règle de défaut


Le profit d’exploitation Ri dépend des niveaux individuels de production
et d’un choc aléatoire. On considère une structure duopolistique de l’indus-
trie avec vente d’un bien différencié. La demande inverse à la firme i est
donnée par :
pi (qi , q j , zi ) = pi (qi , q j )+ zi = α − qi − γq j + zi

avec i = 1, 2 et j ≠ i.
Le paramètre a capture la taille du marché, g représente le niveau de diffé-
renciation des produits (0  g  1) et qi le niveau individuel de production.
Un choc additif sur les prix est introduit par le biais de la variable aléatoire zi
supposée être uniformément distribuée sur l’intervalle [− z , + z ] avec comme
fonction de densité f ( zi ) = 1 / (2 z) . On suppose que les chocs zi et zj sont distri-
bués indépendamment. Les coûts de production sont normalisés à zéro.
La règle de défaut est donnée par la condition suivante. Comme la firme i
rembourse sa dette sur son seul profit d’exploitation, la faillite découlera d’une
insuffisance du profit pour rembourser la dette. Cette situation apparaîtra lorsque
R i (., zi ) < Bi = R i (.,z i ). Autrement dit, la faillite résulte d’une valeur de l’aléa
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vérifiant l’inégalité zi <z i (réalisation de mauvais états de la nature). Inverse-
ment, lorsque zi  z i , la firme est solvable (R i (., zi )  Bi ) et peut rembourser
sa dette sur son profit d’exploitation.
Le seuil de défaut est donné par la condition Bi = R i (qi , q j ,z i ), soit
Bi
z i = − pi . La fonction de distribution F définit le risque de défaut attendu
qi
(qi) avec :

z i
z i + z
θi = F(z i ) =  −z
f ( zi )dzi =
2z
.

On suppose que la banque et la firme disposent de la même information sur


l’incertitude puisque le modèle ne vise pas à examiner les effets de l’asymétrie
de l’information entre les agents mais cherche à mettre en évidence les effets
stratégiques du risque de défaut.
Le jeu a le timing suivant.
Au cours d’une première étape, les firmes, en accord avec leur banque
respective, définissent simultanément un risque de non-remboursement
attendu (qi ou, de manière équivalente, la valeur du seuil z i ). Autrement dit,
on considère que l’actionnaire et le prêteur de chaque firme s’accordent sur

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un niveau « objectif » de risque qu’ils acceptent de porter8. La valeur seuil du


choc aléatoire est celle qui maximise la valeur agrégée de la firme diminuée
du coût de l’investissement.
z
VNG i = VG i −(1 + d )Ii =  −z
R i (., zi ) f ( zi )dzi −(1 + d )Ii .

On recherche la valeur du seuil z i qui maximise VNGi. L’investissement est


actualisé à un taux donné d9. Ce taux sert à évaluer la rentabilité globale de l’in-
vestissement (expression VNGi). Il est donc utilisé pour actualiser l’espérance
du flux de revenu généré par l’ensemble des capitaux apportés au financement
de l’investissement de l’entreprise i(Ii = Ei + Di). La dépense d’investissement
est également supposée exogène. Cette hypothèse est identique à celle retenue
par brander et Lewis qui justifient leur choix par la volonté d’isoler le lien entre
les décisions financières et les comportements de production : « We delibera-
tely abstract from the physical capital investment decision by assuming that the
firm’s capital stock is fixed. We adopt this approach so as to isolate the linkage
between the firm’s financial position and its behavior in the output market »
(brander et Lewis [1986], p. 957).
À la seconde étape, les firmes se concurrencent en quantités. L’actionnaire
sélectionne un niveau de production qui maximise la valeur actualisée des
capitaux propres (pour une valeur donnée du risque de non-remboursement).
Lorsque la firme est endettée, la valeur actionnariale actualisée nette (VNEi)
est donnée par :
z
VNEi = VEi −(1 + ri )Ei =  [ R i (…)− Bi ] f ( zi )dzi −(1 + ri )Ei .
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z i

Dans cette expression, la valeur des capitaux propres est actualisée au taux
d’intérêt de l’emprunt (ri) considéré comme le coût d’opportunité des capitaux
propres10.
La valeur de qi maximise VNEi pour une valeur donnée du risque de défaut
sur le prêt (qi ou de manière équivalente z i ).
Au cours de cette même étape, le montant de la dette s’ajuste à la production et
au risque de défaut attendu (pour une valeur donnée du taux d’intérêt) puisque :
B R i (qi , q j ,z i )
Di = i = . Par conséquent, si l’investissement I est exogène,
1 + ri 1 + ri
la répartition de son financement entre E et D est endogène, puisque le montant

8. Cette représentation corrobore certaines visions des relations entre les firmes industrielles et
les banques : « Les relations contractuelles, qui existent entre les banques et les firmes industrielles,
[…] correspondent à un partage des risques » (Gaffard [1990], p. 418).
9. Le taux d est nécessairement inférieur à ri puisqu’au taux ri le profit de la banque est toujours
négatif.
10. Le taux ri, qui correspond au taux de l’emprunt, est utilisé pour l’actualisation des seuls
capitaux propres (expression VNEi). Le choix de ce taux se justifie par le fait que le coût des capi-
taux propres est une fonction croissante du risque pris par les actionnaires (lui-même lié au taux
de l’emprunt). Comme on a ri > d, la rentabilité exigée par les actionnaires est supérieure à celle
demandée par l’ensemble des apporteurs de capitaux à l’entreprise.

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de la dette se fixe à l’étape 2 du jeu pour une valeur donnée du risque de défaut
anticipé (déterminée à l’étape 1 du jeu).
En résumé, les variables du modèle se fixent à chaque étape du jeu selon le
schéma donné dans la figure 3.

Figure 3. Séquence du jeu

Étape 1 Étape 2

Détermination – Détermination Révélation Réalisation


du risque de défaut de la production de l’incertitude des profits
d’équilibre : d’équilibre : qi (la nature choisit zi)
zi Û qi = Prob (zi < 
 zi) – Ajustement
de la dette
tel que :
Ri (., 
zi) = Bi

Résolution du jeu

Les équilibres de Nash parfaits en sous-jeux sont obtenus par induction vers
l’amont. À l’étape 2, la firme i recherche un niveau de production qui maximise
la valeur nette actualisée des capitaux propres (VNEi).
z
VNEi =  [ R i (…)− Bi ] f ( zi )dzi −(1 + ri )Ei .
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z i

Comme
R i (qi , q j , zi ) = pi (qi , q j )qi + zi qi
et
Bi = R i (qi , q j ,z i ) = pi (qi , q j )qi + z i qi .
On a nécessairement :
R i (qi , q j , zi )− Bi = ( zi − z i )qi .
Il en résulte :
z
VNEi = qi  z i
[ zi − z i ] f ( zi )dzi −(1 + ri )Ei .

L’investissement exogène est financé sur capitaux propres et sur capitaux


d’emprunt :
Ii = E i + Di .
Par conséquent
(1 + ri )Ei = (1 + ri )Ii −(1 + ri )Di .

1097

Revue économique – vol. 66, n° 6, novembre 2015, p. 1089-1104


Revue économique

Comme
1  ri Di  Bi ,
alors
(1 + ri )Ei = (1 + ri )Ii − Bi .
Sachant que f ( zi ) = 1 / (2 z), il en découle :
z
qi
VNEi =
2z  z i
[ zi − z i ]dzi + Bi −(1 + ri )Ii .

En mobilisant les définitions de bi et pi , on en déduit que :


q
VNEi (qi , q j ) = i ( z − z i )2 +(α − qi − γq j + z i )qi −(1 + ri )Ii .
4z

( z + z i )2
Soit : VNEi (qi , q j ) = qi +(α − qi − γq j )qi −(1 + ri )I i .
4z

On cherche la valeur de qi qui maximise VNEi (qi , q j ) pour une valeur donnée
du risque de défaut sur le prêt. La condition de premier ordre donne :
uVNEi (qi , q j ) ( z + z i )2
= + α − 2qi − γq j = 0.
uqi 4z
1
Sachant que ( z + z i )2 = θi2 , la condition d’optimalité se ramène à :
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4z 2
2qi = − γq j + z θi2 + α.
À la première étape, on évalue le risque de défaut attendu (ou, de manière équi-
valente, la valeur optimale du seuil z i ) qui maximise VNGi.
z
Comme VNG i =  z i
R i (., zi ) f ( zi )dzi −(1 + d )I i ,

avec R i (qi , q j , zi ) = pi qi = (α − qi − γq j + zi )qi .

On en déduit VNG i (qi , q j ) = (α − qi − γq j )qi −(1 + d )I i ,

sachant que 2qi = −γq j + z θi2 + α et 2q j = −γqi + z θ 2j + α.


La production s’ajuste au risque de défaut attendu
(4 − γ 2 )qi = (2 − α)γ + 2 z θi2 − γz θ 2j .
Il en résulte comme expression de VNGi :
1
VNG i (θi , θ j ) = [−2(2 − γ)2 z 2 θi4 − γ3 z 2 θ 2j θi2 + αγ 2 (2 − γ)z θi2
4(4 − γ)2
−(−γz + α(2 − γ))2 ]−(1 + d )I i

1098

Revue économique – vol. 66, n° 6, novembre 2015, p. 1089-1104


Nicolas Le Pape

uVNG i (θi , θ j )
La condition de premier ordre est donnée par = 0 et s’écrit :
uθ i
4(2 − γ 2 )z θi2 = γ 3 z θ 2j + αγ 2 (2 − γ).
À l’équilibre symétrique, le risque de défaut sur le contrat de prêt est donné
par :
αγ 2
z θ2 = .
−γ 2 + 2 γ + 4
Le niveau d’équilibre de la production correspondant à ce risque de défaut
s’élève à
(−γ 2 + 2 γ + 4)q = 2α 2 .

proposition 1.
i) le risque de non-remboursement d’une firme endettée exerce un effet
pro-concurrentiel.
i.i) une firme endettée produit d’autant plus que le degré de différenciation
uq
des produits est fort : < 0.

Le point i) de la proposition provient du fait que si aucune des deux firmes


du duopole n’est endettée, le niveau individuel de production d’équilibre s’éta-
α 2α 2
blit à : q = < . Graphiquement, l’utilisation stratégique du
2 + γ −γ 2 + 2 γ + 4
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risque de défaut conduit à un déplacement vers l’extérieur de la fonction de
meilleure réponse de chaque firme endettée, ce qui aboutit à un équilibre en
production supérieur. Par conséquent, le prix de marché sera plus bas quand
les deux firmes utilisent stratégiquement leur risque de défaut, ce qui entraîne
également une diminution de leur profit moyen. De plus, dans les deux cas de
figure, la production individuelle est sensible à la différenciation des produits
(g). Cependant, l’effet anti-concurrentiel de la différenciation est plus marqué
dans un duopole composé de firmes non endettées.

corollaire 1. La volatilité de la demande à l’industrie ( z ) n’affecte pas


le niveau d’équilibre de la production de la firme endettée.

On déduit du corollaire 1 que le prix d’équilibre est indépendant de la vola-


tilité de la demande à l’industrie. Cette caractéristique différencie un modèle
d’engagement sur le risque de défaut d’un modèle d’engagement sur le niveau
de dette (cf. section suivante). Il est alors possible de déduire de ce corollaire que
les facteurs renforçant l’émergence d’une valeur stratégique au risque de défaut
et non au montant du crédit (du type développement du marché des cDs ou déve-
loppement du rating des entreprises débitrices) peuvent contribuer à stabiliser
l’économie réelle dans la mesure où le prix de marché est insensible à la volatilité
du choc de demande.
La proposition 2 concerne l’impact de cette volatilité sur le risque de non-
remboursement du prêt et sur le montant de la dette à rembourser.

1099

Revue économique – vol. 66, n° 6, novembre 2015, p. 1089-1104


Revue économique

proposition 2. La probabilité de défaut de l’entreprise et le volume de la


dθ dBi
dette sont décroissants avec la volatilité de la demande : i < 0 et < 0.
dz dz
La démonstration formelle de cette proposition est proposée en Annexe I.
Cette proposition signifie que, pour bénéficier de l’effet stratégique du risque de
défaut, les firmes s’exposent à un niveau de risque moindre (et, par conséquent,
s’endettent d’un montant moindre) sur des marchés où la volatilité de la demande
est plus forte. L’implication empirique de cette proposition est que l’on s’attend
à une utilisation plus intense de la valeur stratégique du risque de défaut sur des
marchés fortement instables.

Comparaison avec un modèle d’endettement stratégique

Dans le but de comparer les résultats de la section précédente à ceux qui


seraient obtenus avec un modèle d’endettement stratégique, nous considérons
maintenant qu’en première étape les firmes choisissent leur niveau de dette et
qu’à la deuxième étape elles se livrent une concurrence par les quantités. La
variable d’engagement stratégique est donc le montant de l’endettement qui doit
être utilisé comme variable d’optimisation à l’étape stratégique du jeu. Si l’on
reprend les hypothèses du modèle exposées dans la section 2, on obtient des
fonctions de réaction non linéaires qui rendent la condition d’optimalité de la
production quadratique (cf. Franck et Le Pape [2008], p. 610, pour une démons-
tration formelle de ce résultat). La valeur d’équilibre de la production est donnée
par la solution de l’équation
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(8γ + 12)q 2 −((2γ + 8)α +(γ + 2)z )q − α(α + z ) = 0.
La dette exerce un effet pro-concurrentiel au sens où le niveau de production
d’une firme endettée est supérieur à celui choisi par une firme non endettée. Il
s’agit d’un point commun entre les deux modèles. Si l’on compare la valeur de la
production issue de l’équation (3) à celle du modèle où la fonction stratégique est
reconnue au risque de défaut, on trouve que l’effet pro-concurrentiel est moins
prononcé dans un modèle d’endettement stratégique11 (cf. Annexe II pour une
démonstration formelle de ce résultat). L’Annexe II montre (pour un duopole
composé de deux firmes endettées) que la production d’équilibre issue du modèle
où la variable d’engagement est le risque de défaut excède celle du modèle où
la variable d’engagement stratégique est le niveau de dette. Cette hiérarchie sur
les niveaux de production met en évidence que l’intensité de la concurrence
est plus forte dans un modèle où les firmes adoptent un comportement straté-
gique basé sur le risque de défaut. Cette différence sur les niveaux individuels
de production (choisis en étape 2) découle de l’écart sur les niveaux de prise de
risque entre les deux modèles puisque la production croît avec le risque de défaut
(tout accroissement de ce risque provoque un déplacement vers l’extérieur de la
fonction de réaction en quantité). Ainsi, lorsque la firme s’engage sur un risque
de défaut, elle accepte de prendre plus de risque que lorsqu’elle s’engage sur un
niveau de dette (l’Annexe III le démontre), ce qui la conduit à être plus agressive

11. Ce résultat est vrai, quel que soit le degré de différenciation des produits.

1100

Revue économique – vol. 66, n° 6, novembre 2015, p. 1089-1104


Nicolas Le Pape

dans sa stratégie de production. L’utilisation stratégique du risque de défaut est


globalement favorable aux consommateurs puisqu’ils bénéficient de prix plus
bas pratiqués par des firmes endettées.
Une autre différence entre les deux approches doit être soulignée. On déduit
de l’équation (3) que la production d’équilibre (et donc la partie non aléatoire du
prix, p ) croissent avec la volatilité du choc de demande. En revanche, dans un
modèle d’engagement sur un risque de défaut, la production d’une firme endettée
est insensible au choc de demande puisque indépendante de z (équation (2)).
Si l’on considère la prise de risque des firmes endettées, lorsque le risque de
défaut est retenu comme variable stratégique, les firmes endettées sont conduites
à s’engager sur un niveau de risque plus grand. Une démonstration de ce résultat
est proposée en Annexe III. Une des implications de ce résultat est que la géné-
ralisation des systèmes de notation des firmes endettées, qui peut conduire les
firmes à utiliser stratégiquement leur risque de défaut (puisque l’information
sur la valeur de ce risque devient plus transparente), concourt également à les
fragiliser.

CONCLUSION

Au total, le modèle proposé contribue à la littérature théorique en économie


industrielle axée sur les effets concurrentiels du mode de financement des entre-
prises. L’idée défendue est que le risque de défaut attendu et son utilisation
stratégique peuvent permettre aux firmes d’exploiter les imperfections dans la
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concurrence réelle et par ce biais modifier leur position concurrentielle.
Cette analyse ouvre plusieurs pistes de recherche en économie bancaire. La
première pourrait porter sur l’examen des pratiques bancaires afin de rechercher
si les banques, dans leur décision d’octroi de crédit et dans leur mesure du risque
de défaut, internalisent l’impact stratégique du rating de l’entreprise débitrice. Il
serait intéressant d’explorer comment la valeur stratégique du risque de défaut
impacte la qualité des outils de mesure de ce risque. La seconde piste serait de
rechercher si les organismes de crédit bénéficient, via un accroissement de la
valeur finale des capitaux d’emprunt, de l’utilisation stratégique d’un risque de
défaut par l’entreprise débitrice.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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ANNEXES

a i. démonstration de la proposition 2

On sait qu’à l’étape 2 du jeu, on a :

VNE i = ( pi + ϕ(z i , z ))qi −(1 + ri )Ii

( z − z i )2 2
en posant ϕ(z i , z ) = + z i .
4z
upi
La condition d’optimalité à cette étape est donnée par ϕ(z i , z ) = − − qi .
uqi
Comme la production à l’équilibre et la partie non aléatoire du prix sont indépendantes
de z , on a :
 uϕ   uϕ 
    
 uz  d z i +  uz  d z = 0,
i

soit
d z i  uϕ   uϕ 
= −  /  .
dz  uz i   uz 

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Nicolas Le Pape

uϕ uϕ
Sachant que > 0 et >0,
uz i uz
d z i
il en résulte <0 .
dz
z + z i d θi 1  d z 
La probabilité de faillite (θi ) s’écrit θi = , alors = 2  z i − z i  .
2z dz 
2z  d z 
d z i
Comme < 0 et z i > 0 ,
dz
on a donc
d θi
< 0.
dz
La probabilité de faillite est une fonction décroissante de z .
Concernant l’impact de z sur la dette, on a : Bi = p i qi +z i qi .
Comme la production et la partie non aléatoire du prix sont indépendantes de z, on a :
dBi d z i
= qi .
dz dz
d z i dBi
Sachant que < 0 , alors <0.
dz dz
La dette est une fonction décroissante de z.
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a ii. comparaison des productions d’équilibre des modèles 1 et 2

Dans un modèle où le risque de défaut est utilisé comme variable stratégique (mo-
dèle 1), la production d’équilibre d’une firme endettée est donnée par l’expression :

(4 + 2 γ − γ 2 )q = 2α 2 .
Dans un modèle où la dette est utilisée comme variable stratégique (modèle 2), la
production d’équilibre d’une firme endettée est donnée par l’équation :

f (q) = (8γ + 12)q 2 −((2γ + 8)α +(γ + 2)) z)q − α(α + z) = 0 .

Notons q* et q** les niveaux optimaux de production issus respectivement des mo-
dèles 1 et 2.
On a q* > q** si f(q*) > 0.
2
Or f (q*) = αγ4 ((4 + γ 2 )α −(4 + 2 γ − γ 2 )z).

z 4+γ 2
Par conséquent, f (q*)> 0 ⇔ α
< .
4+2 γ−γ 2

Or le risque de défaut est supposé lié à l’endettement. Cela signifie que l’on doit avoir
un revenu d’exploitation toujours positif, même pour des réalisations d’états de la nature
très défavorables. Cette condition de risque de défaut nul en l’absence d’endettement
s’écrit : p(−z)> 0. Or, en l’absence d’endettement, les niveaux individuels de produc-
α
tion sont donnés par (2 + γ)q = α , de sorte que p(−z) = α − z −(2 + γ)q = −z .
2+γ

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Revue économique – vol. 66, n° 6, novembre 2015, p. 1089-1104


Revue économique

Donc p(−z)> 0 si z
α
< 2+1 γ .

Comme 1 < 4+γ 2 , il est clair que, sous l’hypothèse p(−z )> 0 , on a nécessai-
2+γ 4+2 γ−γ 2
4+γ 2
rement z
α
< . On en déduit que f (q*)> 0 , ce qui revient à q* > q **.
4+2 γ−γ 2

Le niveau de production d’équilibre tiré du modèle 1 est supérieur à celui obtenu à


partir du modèle 2.

a iii. comparaison des niveaux de risque des modèles 1 et 2

Dans un modèle d’engagement sur un niveau de dette (modèle 2), à l’étape 2 du jeu, le
niveau de production maximise la valeur actualisée du profit net des actionnaires (VNEi),
soit
z
VNE i (qi , q j ) =  z i
[ R i (…)− Bi ] f ( zi )dzi −(1 + ri )E i
z
= [ R i (…)− Bi ] f ( zi )dzi −(1 + ri )Ii + Bi .
z i

Il faut cependant considérer une valeur de bi fixe puisque donnée à la première étape
du jeu.
z
uR i
La condition de premier ordre s’écrit :  z i
[
uqi
] f ( zi )dzi = 0,

ce qui se ramène à : 2qi + γq j = α + z θi .


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À l’équilibre symétrique sur les niveaux de production, le risque de défaut (q) est
donné par la condition (2 + γ)q = α + z θ .
Dans un modèle où le risque de défaut est retenu comme variable stratégique (modèle 1),
le niveau de ce risque est donné par la condition d’optimalité α + z θi2 = 2qi + γq j , soit à
l’équilibre symétrique (2 + γ)q = α + z θ 2 .
Dans la comparaison des niveaux de production des deux modèles, on a démontré
(cf. annexe 2) que q* > q**.
On en tire alors q*2 > q**.
Comme 0 < q < 1, il en résulte que : q* > q*2 et donc que q* > q**.
Cette dernière inégalité signifie que le niveau de risque d’équilibre correspondant au
modèle 1 est supérieur à celui obtenu avec le modèle 2.

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