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CHAPITRE IV

Rhéologie des suspensions


La préparation des suspensions consiste pour l'essentiel à disperser le constituant solide
dans la phase dispersante. La préparation des suspensions peut éventuellement comporter une
homogénéisation. Les caractères des suspensions varient avec différents facteurs, notamment
avec la nature et la proportion des deux phases et des adjuvants et avec la taille des particules
dispersées. Ces préparations sont généralement liquides ; cependant, il existe des suspensions
formées de particules solides dispersées dans un milieu plus ou moins consistant (certaines
pommades ou certains suppositoires, par exemple). Les particules d'une suspension ont une
taille sensiblement identique, généralement inférieure à 50 µm. Au cours de la conservation,
leur taille doit rester pratiquement constante et la suspension homogène ; toutefois, en cas de
sédimentation, le dépôt doit être tel que les particules puissent être aisément remises en
suspension au moment de l'emploi par agitation manuelle.

4.1. Pourquoi on utilise la caractérisation rhéologique des suspensions ?

Les mesures rhéologiques sont des outils utiles pour le sondage de la microstructure de
suspensions, et c'est particulièrement le cas si les mesures sont effectuées à de faibles
contraintes ou déformations. Dans cette situation, l'agencement spatial des particules n'est que
légèrement perturbé par la mesure; en d'autres termes, le mouvement convectif dû à la
déformation appliquée est inférieur à la diffusion brownienne. Le rapport de la contrainte
appliquée (τ) à la "contrainte thermique" (c'est-à-dire égal à (kB T/6πr3), où kB est la constante
de Boltzmann, T est la température absolue et (r) le rayon de la particule) est définie comme
terme d'un nombre de Peclet adimensionnel Pe:

6
= é 47
Pour une particule colloïdale avec un rayon de 100nm, devrait être inférieur à 0.2Pa, pour
s’assurer que la microstructure est relativement non perturbée, dans ce cas, Pe<1.
Afin de rester dans la région viscoélastique linéaire, la relaxation structurelle par
diffusion doit se produire sur une échelle de temps comparable au temps expérimental. Le
rapport entre le temps de relaxation structurelle et le temps de mesure expérimental est donné
par le nombre de Deborah sans dimension :

De = t / texp équation 48

Ou : t est le temps de réarrangement de la structure interne du fluide et texp : temps de variation


de la contrainte, De ~ 1 donc la suspension apparaît viscoélastique.
La rhéologie des suspensions dépend de l'équilibre entre trois forces principales: Diffusion
brownienne; interaction hydrodynamique; et forces inter-particulaires.
Les forces ci-dessus sont gouvernées par trois principaux paramètres:
1- La fraction de volume φ (volume total des particules divisé par le volume de la
dispersion);
2- La taille des particules et la distribution de la forme;
3- L'énergie nette d'interaction GT; c'est-à-dire l'équilibre entre les forces répulsives et
attractives.

4.2. Suspension diluée (Equation d’Einstein)

La première théorie pour la prédiction de la relation entre la viscosité relative ηr et φ a


été décrite par Einstein, qui est applicable à φ ≤ 0,01. Einstein a supposé que les particules se
comportent comme des sphères dures (sans interaction nette). Ainsi, le champ d'écoulement
doit se dilater car le liquide doit se déplacer autour des particules qui s'écoulent. A φ ≤ 0,01, la
perturbation autour d'une particule n'interagit pas avec la perturbation autour d'une autre
particule.

= =1+ = 1 + 2.5 é 49

D’où : est appelée viscosité intrinsèque et a la valeur de 2,5.


Pour les dispersions très diluées de la sphère dure, les flux sont Newtoniens, c'est-à-
dire que la viscosité est indépendante du taux de cisaillement. Taylor a adapté la relation
d’Einstein pour des particules peu déformables.

5 +2
% = =1+ é 50
2 +2
Avec : k = ηs/ηm
ηs : viscosité de la solution, ηm : viscosité de la matrice, ηd : viscosité de la phase dispersante.
Cependant, à des valeurs φ supérieures (0.2> φ> 0.1), il faut tenir compte de l'interaction
hydrodynamique (comme suggéré par Batchelor) qui est encore valable pour les sphères dures.

4.3. Suspension semi-diluée (Equation de Batchelor)

Lorsque φ> 0.01, les interactions hydrodynamique entre les particules devient
importante. Typiquement, lorsque les particules se rapprochent l'une de l'autre, les lignes de
d’écoulement voisines et la perturbation du fluide autour d'une particule interagissent avec celle
autour d'une particule en mouvement. La viscosité relative est donnée par :

= 1 + 2.5 + 6.2 '


+ Ο é 51

'
Le troisième terme (6.2 ) est le terme hydrodynamique, alors que le quatrième terme
est dû à des interactions d'ordre supérieur.

4.4. Rhéologie des suspensions concentrée

Lorsque φ> 0.2 (20%), ηr devient une fonction complexe de φ. À de telles fractions
volumiques élevées. Le système montre en grande partie un écoulement non newtonien allant
de la réponse visqueuse à la viscoélastique à la réponse élastique, selon le nombre Deborah De
(De=t/T). À cet égard, trois réponses peuvent être considérées:
(i) une réponse visqueuse, lorsque De < 1;
(ii) une réponse élastique, lorsque De > 1;
(iii) une réponse viscoélastique, lorsque De ~ 1.
De toute évidence, les réponses ci-dessus pour toute suspension dépendent du temps ou de
la fréquence du cisaillement ou de la contrainte appliqués.
Quatre types de systèmes différents (avec une complexité croissante) peuvent être considérés
comme décrit ci-dessous.
• suspensions de sphères dures: Ce sont des systèmes où les forces répulsives et attractives
sont criblées.
• Systèmes avec interaction "douce": ces systèmes contiennent des doubles couches
électriques avec une répulsion à longue distance. La rhéologie de la suspension est
déterminée principalement par la répulsion à double couche.
• Suspensions stériques stabilisées: la rhéologie est déterminée par la répulsion stérique
produite par des couches tensioactives ou polymères non ioniques adsorbées. L'interaction
peut être «dure» ou «douce», selon le rapport de l'épaisseur de la couche adsorbée au rayon
de la particule (δ/R).
• Systèmes floculés: il s'agit de systèmes où l'interaction est nettement attractive. Une
distinction peut être faite entre floculation faible (réversible) et forte (irréversible), en
fonction de la grandeur de l'attraction.

4.5. Rhéologie des suspensions de sphères dures

Les suspensions de sphères rigides (stabilité neutre) ont été développées par Krieger et
al. La viscosité relative ( = / * est tracée en fonction de la vitesse de cisaillement réduite
(taux de cisaillement × temps pour une diffusion brownienne, tr):

1'.23456
-
= +1 − 0 é 52
- ./

- ./ : La fraction volumique maximale pour que la viscosité newtonien diverge.

6 78
78 9% = 78 = é 53

r : est le rayon de la particule, * est la viscosité du milieu, k la constante de Boltzmann et T la


température absolue.
Figure 26 : représentation schématique de la variation de la viscosité relative en fonction
de la fraction volumique pour différents modèles.

La viscosité de ces suspensions concentrées, dont la fraction volumique est souvent


supérieure à 50 %, augmente à partir d’un taux de cisaillement critique pour ensuite diminuer
quand elle atteint une valeur maximale. Ce comportement rhéo-épaississant est contrôlé par
plusieurs paramètres : la fraction volumique, la distribution en taille des particules, leur forme,
la viscosité du solvant, les conditions de mesure, ….etc.

D’une manière générale, Barnes a montré que le taux de cisaillement critique, auquel le
rhéo-épaississement apparaît, augmente fortement lorsque la fraction volumique diminue à
partir de 50 %. Au contraire au dessus de 50 %, une augmentation de la fraction volumique
conduit à une diminution du taux de cisaillement critique. Pour des systèmes mono-dispersés,
le taux de cisaillement critique tend vers zéro pour une fraction volumique de 60 % ce qui
correspond à la valeur maximale pour des sphères dures. (Figure 26)

A concentration fixée, la diminution de taille des particules peut alors augmenter le taux
de cisaillement critique. La forme des particules est aussi un paramètre important à prendre en
compte pour le rhéoépaississement (Figure 26).
Figure 27 : (a) Variation du taux de cisaillement critique de rhéoépaississement en
fonction de la fraction volumique φ de phase dispersée résumée par Barnes. (b)
Influence de la forme de particule sur le rhéoépaississement induit sous écoulement
pour φ = 0,2.

Le mécanisme de rhéoépaississement des suspensions colloïdales est varié mais il est


couramment admis qu’il est dû à l’apparition de turbulences qui produisent un mouvement
irrégulier des particules et une modification des distances interparticulaires pouvant conduire
à leur agrégation. Il peut également résulter du passage d’une particule par mouvement
brownien d’une couche cisaillée à une autre.
4.6. Etude d’un cas pratique : Rhéologie des mélanges de particules microniques de CaCO3
stabilisés par un gel de polymère/silice

4.6.1. Problématique
L’industrie a toujours pour but d’optimiser la mise en œuvre et les propriétés finales des
matériaux composites. Dans le cas de suspensions concentrées de particules suspendues dans
un polymère fluide, la compréhension du comportement rhéologique est essentielle. Lorsque
les tailles des charges en suspension sont supérieures au micromètre, les effets de gravité
deviennent prépondérants. Les suspensions peuvent alors se séparer par sédimentation. Une des
façons de stabiliser les particules vis à vis de la sédimentation est de gélifier la phase liquide
dispersée, pour lui conférer un comportement à seuil d'écoulement.

4.6.2. Système étudié


Nous avons étudié les propriétés rhéologiques de mélanges d’une charge minérale
micronique (D : diamètre de 1 à 200 μm) de carbonate de calcium (CaCO3) dans une matrice
polymère gélifiée par l’adjonction de silice colloïdale. La phase suspendante est constituée
d’une matrice polymère formulée principalement de polymère, d’un surfactant siliconé, de
catalyseurs et de silice colloïdale. L’adjonction de silice permet de gélifier le polymère
conduisant à un comportement de fluide à seuil d'écoulement de la phase suspendante pouvant
maintenir en suspension les charges microniques.
Pour qu’une particule sédimente dans un fluide à seuil, la masse de celle-ci doit être
suffisamment élevée pour pouvoir engendrer autour d’elle des contraintes plus grande que le
seuil d'écoulement (τ0). Ce phénomène est quantifié par un critère de stabilité défini comme
étant le rapport entre les effets de la contrainte de seuil et ceux de la gravité :

*
./ = é 54
;< − <= >?@

max est la valeur pour la quelle la particule reste immobile et ρ et ρp sont les masses volumiques
du fluides suspendant et des particules. Ce critère permet donc l’évaluation de la valeur
minimale du seuil de contrainte τ0 pour obtenir la stabilité de la particule. Les valeurs de max

sont de l’ordre de 0.07. Par exemple, pour les diamètres caractéristiques de la granulométrie
du carbonate de calcium étudié pour D50= 44 µm, τ0= 0.049 Pa et pour D90= 108.1 µm, τ0= 0.12
Pa. La mesure du seuil d’écoulement est donc une donnée fondamentale.
4.6.3. Méthodologie
L’influence du comportement rhéologique de la phase suspendante (polymère/silice
colloïdale) sur les propriétés rhéométriques du système complet (polymère/silice
colloïdale/carbonate de calcium) est examinée. Pour cela, les effets de la concentration en silice
colloïdale et de la concentration en carbonate de calcium sur l’évolution des propriétés
rhéologiques ont été mesurés.
Les mesures de rhéométrie en cisaillement simple ont été effectuées à l’aide de deux
géométries différentes : une configuration de Couette et une configuration cône/plan.
Les mesures des propriétés rhéométriques des suspensions sont très délicates. Il existe de
nombreux phénomènes perturbateurs qui peuvent introduire des artéfacts de mesure.
L’utilisation de deux configurations de mesure et de procédures adaptées a permis de vérifier
que les phénomènes observés sont effectivement des propriétés de volume, et non des
phénomènes perturbateurs tels que des instabilités d’écoulement de type glissement ou
fracturation. L’utilisation de la configuration Couette a permis, pour les faibles concentrations
en particules, de réduire les erreurs de mesure sur des suspensions pouvant présenter une
sédimentation au cours de la mesure. La caractérisation de la sédimentation des suspensions a
été effectuée à l’aide du Turbiscan MA 2000.

4.6.4. Rhéologie de la phase suspendante polymère/silice colloïdale


La courbe d’écoulement de la matrice polymère seule sans particule de CaCO3 montre
un comportement newtonien (Figure ci-dessous). Lorsque la concentration en silice φsc
augmente, le comportement des dispersions diverge fortement du comportement newtonien de
la matrice. A partir d’une concentration critique φ*sc qui peut être estimée de l’ordre de φsc =
0.5%, les courbes d’écoulement tendent vers un plateau de contrainte aux bas gradients de
cisaillement, caractérisant l’apparition d’un seuil d’écoulement.
4.6.5. Rhéologie des suspensions de CaCO3 dans une matrice de polyol
Les courbes d’écoulement des suspensions contenant diverses fractions volumiques de
carbonate de calcium (φcc) dans la matrice polymère newtonienne sans silice (φsc=0) sont
représentées sur la figure ci-dessous :
Le comportement des suspensions diverge fortement du comportement newtonien de la
matrice polymère lorsque la concentration en carbonate augmente. A φcc = 4.3% de carbonate
de calcium, la suspension est encore newtonienne. A une concentration de φcc = 14.3%, le
comportement est rhéofluidifiant. Pour φcc = 28%, les courbes tendent vers un plateau de
contrainte marqué mettant en évidence l’existence d’un seuil d’écoulement et donc l’existence
d’un réseau connecté de CaCO3. Ce seuil d’écoulement croît avec l’augmentation de carbonate
de calcium. La concentration critique d’apparition d’un seuil d’écoulement φ*cc est proche de
20%.

4.6.6. Rhéologie des suspensions de CaCO3 dans une matrice de polymère gélifiée
Les courbes d’écoulement des mélanges contenant une concentration de silice colloïdale
φsc=1.1% pour diverses concentrations de carbonate de calcium (φcc) sont représentées
respectivement sur la figure ci-dessous :

Pour les courbes d’écoulement des suspensions contenant une concentration de silice
colloïdale φsc = 1.1% (φsc φ*sc), un seuil d’écoulement est observé quelle que soit la
concentration de carbonate de calcium φcc. Le comportement à seuil d’écoulement avec un
écoulement suivant une loi rhéofluidifiante est conservé pour toutes les concentrations en
CaCO3. Quelle que soit la concentration en CaCO3, aucune particule ne sédimente.
4.6.7. Détermination du Seuil d'écoulement
Le modèle viscoplastique de Herschel-Buckley ( = * + A 78 B ) a été calé sur les
points de mesure : Ce calage permet d'identifier aisément la valeur du seuil d'écoulement.
La figure ci dessous donne la valeur du seuil d'écoulement τ0 en fonction de la concentration en
silice colloïdale φsc et carbonate de calcium φcc.

4.6.8. Conclusion

Toutes ces mesures amènent à donner un schéma explicatif de la structure formée par
les suspensions de carbonate de calcium dans la matrice polymère gélifiée par la silice
colloïdale. Au-delà d’une concentration critique en silice colloïdale φ*sc, une structure fractale
est créée par le réseau de silice colloïdale. Pour de faibles concentrations en carbonate de
calcium, les particules, faiblement agrégées, sont maintenues en suspension dans les mailles
que forme le réseau fractal de silice. Aux alentours de φ*cc, les particules de carbonate de
calcium agrégées sont suffisamment connectées entre elles pour former une structure
tridimensionnelle conduisant à l’apparition d’un seuil d’écoulement. Cette structure cohabite
avec celle générée par la silice colloïdale. Ces deux structures imbriquées l’une dans l’autre
gouvernent les propriétés rhéologiques de la suspension. Aux fortes concentrations de
carbonate de calcium, l’encombrement de la suspension par les particules de carbonate de
calcium, est tel que le niveau de seuil est régit principalement par la structure formée par les
particules de carbonate de calcium.

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