Vous êtes sur la page 1sur 2

33190_1131_1132.qxp 2.5.

2008 8:58 Page 1

éditorial ‘

Neuropsychiatrie
L
Editorial e titre du présent numéro de neurologie de la Revue médicale suisse
P. R. Burkhard – Neuropsychiatrie – pourrait être perçu comme équivoque. Di-
F. J. G. Vingerhoets sons-le d’emblée, il ne s’agit pas ici de discuter des liens, indis-
T. Landis sociables mais historiquement changeants, qui ont de tout temps uni et
R. A. Du Pasquier désuni la neurologie et la psychiatrie, depuis les premiers fondements
kraepeliens (Emil Kraepelin, 1856-1926) de la psychiatrie dite scientifi-
que. Dans ce numéro, il sera davantage question de manifestations psy-
chiatriques et de troubles mentaux
«… Si les critères cliniques pouvant annoncer, accompagner ou
compliquer certaines affections orga-
et paracliniques sont bien niques bien définies du système ner-
établis, un mode de présen- veux central. En effet, si les grandes
tation psychiatrique de ces maladies neurologiques (épilepsie,
sclérose en plaques, accident vascu-
mêmes affections est moins
laire cérébral, maladies neurodégé-
familier à la communauté nératives, etc.) sont basées sur des
médicale …» critères cliniques et paracliniques
bien établis, un mode de présenta-
tion psychiatrique de ces mêmes affections est moins familier à la com-
munauté médicale. Il nous semble donc opportun de rappeler au prati-
cien qu’une variété de manifestations communément attribuées à un
désordre primairement psychiatrique peuvent résulter d’une lésion ou
d’un dysfonctionnement cérébral, focal ou diffus, ou même de l’utilisation
de certains médicaments dans le contexte d’une maladie neurologique
avérée. Cette symptomatologie peut si bien mimer une affection psychia-
trique que la pathologie cérébrale sous-jacente n’est pas détectée immé-
diatement, entraînant un retard dans l’établissement du diagnostic cor-
rect et parfois même un diagnostic erroné. Les exemples classiques d’une
telle situation sont l’apparition d’une dépression majeure précédant le
début d’une démence ou d’une maladie de Parkinson, le développement
d’un tableau psychotique inaugurant un accident vasculaire cérébral, une
sclérose en plaques ou d’autres affections dysimmunes ou infectieuses du
système nerveux central, ou les singulières perceptions illusoires, halluci-
Articles publiés
sous la direction des professeurs
natoires ou délirantes observées en phase ictale ou postictale de certai-
nes épilepsies. Parfois, le caractère isolé et sélectif du symptôme psychia-
Pierre R. Burkhard trique, qui survient dans le cadre d’une maladie neurologique évoluant
de longue date, fait oublier un lien de causalité pourtant réel. Un exemple
Theodor Landis spectaculaire est le jeu pathologique ou d’autres troubles comportemen-
Service de neurologie
HUG, Genève taux de type impulsif et compulsif qui peuvent se déclarer soudainement
chez un patient parkinsonien traité par agoniste dopaminergique. De
François J. G. plus, certaines pathologies neurologiques, telles que les maladies de
Vingerhoets Huntington ou de Gilles-de-la-Tourette, sont typiquement accompagnées
de troubles psychiatriques divers, qui peuvent même dominer le tableau
Renaud A. chez certains patients.
Du Pasquier Au total, on peut donc raisonnablement affirmer que de nombreuses
Service de neurologie affections neurologiques peuvent s’accompagner de symptômes psychia-
CHUV, Lausanne
triques à tel point que la survenue d’un trouble mental, même s’il semble

Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 mai 2008 1131


33190_1131_1132.qxp 2.5.2008 8:58 Page 2

‘ ‘
‘ primaire, doit toujours faire évoquer l’hypothèse d’une pathologie sous-
jacente du système nerveux central, surtout s’il existe des atypies.

Un autre aspect remarquable du concept neuropsychiatrique est l’éla-
boration de potentiels mécanismes pathogéniques à la base de certaines,
si ce n’est de la plupart des maladies psychiatriques. En effet, la littérature
récente propose diverses hypothèses métaboliques, génétiques, biolo-
giques, anatomiques ou développementales qui pourraient sous-tendre
des affections aussi diverses que la schizo-
«… la survenue d’un trouble phrénie, la psychose maniaco-dépressive ou
les troubles obsessionnels-compulsifs. Cette
mental, même s’il semble vision neurobiologique de la psychiatrie n’est
primaire, doit toujours faire pas nouvelle, mais elle a récemment été
évoquer l’hypothèse d’une corroborée dans plusieurs situations clini-
ques. Par exemple, un substrat neuroanato-
pathologie sous-jacente du mique à l’autisme a été récemment suggéré
système nerveux central …» et cette affection par essence psychiatrique
est actuellement vue comme une «dyscon-
nection développementale» avec aberrations de la maturation cérébrale,
du patterning neuronal et de la connectivité corticale résultant de modifi-
cations structurelles et fonctionnelles des synapses et des dendrites. Les
progrès considérables de la neuroimagerie fonctionnelle ont récemment
mis en exergue des anomalies des régions corticales orbito-frontales, cin-
gulaires ainsi que des ganglions de la base dans les troubles dissociatifs,
dont le diagnostic repose actuellement sur la présence de certains élé-
ments cliniques positifs, et non plus par exclusion.
Certains de ces aspects de la neuropsychiatrie sont illustrés par les
articles proposés dans ce numéro de neurologie de la Revue médicale suisse.
Nous pensons qu’il revisite, à la lueur des données les plus récentes, un
thème non seulement captivant mais aussi particulièrement pertinent
pour la compréhension d’un large éventail de phénomènes considérés
jusqu’à présent comme mystérieux.
Alors, la neuropsychiatrie, un vieux concept désormais obsolète ? Certai-
nement pas, peut-être même plutôt une voie majeure des neurosciences
de demain.

1132 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 mai 2008 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 7 mai 2008 0

Vous aimerez peut-être aussi