EN CLINIQUE > Conduite à tenir
Conduite à tenir face à une
thromboembolie aortique
A. NECTOUX, DV, MSc, Résidente
ECVECC
C. POUZOT-NEVORET, DV, Maître de
conférences, PhD, Dip. ECVECC
Unité SIAMU
VetAgro Sup Campus vétérinaire
1 avenue Bourgelat
69280 Marcy-l’Étoile
Déclaration publique d’intérêts sous la
responsabilité du ou des auteurs : Nént
OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES
> Être capabled’(e) :
• connaître les examens
complémentaires permettant de
diagnostiquer une thromboembolie
aortique ;
• informer le propriétaire du pronostic
et des risques de cette affection et
de sa prise en charge ;
• proposer un protocole de
thrombolyse médicale.
LES 4 ÉTAPES
ESSENTIELLES
1
Suspecter la TEA. Une cardiopathie
sous-jacente est la principale cause de
TEA chez le Chat. Les chats ayant reçu une
corticothérapie et les mâles semblent
prédisposés.
2 la TEA
Diagnostiquer la TEA. Des éléments
cliniques permettent de suspecter
cette affection. La caméra thermique est
un outil fiable qui conforte la suspicion
clinique. Le diagnostic de certitude passe
par la visualisation d’un thrombus en
imagerie médicale.
3 Traiter la TEA. Une stabilisation initiale
par analgésie et traitement de
l’éventuelle insuffisance cardiaque
congestive doivent être mis en place. La
thrombolyse médicale est controversée en
médecine vétérinaire et doit être réalisée
dans les 6 heures suivant l’épisode
thrombotique.
4
Prévenir les récidives. Le pronostic est
réservé avec une médiane de survie
basse et des risques de récidive élevés. Un
traitement thromboprophylactique et de
soutien de la cardiopathie sera prescrit à vie.
24
chez le Chat
La thromboembolie aortique féline est une affection de mauvais
pronostic dont la reconnaissance et le traitement doivent être
rapides.
l
a thromboembolie aortique (TEA) est caractérisée par la formation d’un
thrombus au sein d’une cavité cardiaque (atrium/auricule gauche), migrant
dans l’aorte distale, à l’origine d’une obstruction totale ou partielle du flux sanguin.
La formation d’un thrombus dépend, selon la triade de Virchow, de la présence d’une
lésion endothéliale, d’un état d’hypercoagulabilité et d’un flux sanguin anormal.
Plus ces anomalies sont présentes et graves, plus le risque de thrombose est important.
La principale cause de TEA chez le Chat est la présence d’une cardiopathie, avec une
prévalence allant jusqu’à 90 % [1-3] (ENCADRÉ 1). Le pronostic de cette affection est
sombre bien que la mortalité soit liée à une forte proportion d’euthanasie dès l’admis-
sion [1,2], mais des avancées thérapeutiques ces dernières années ont permis d’amé-
liorer le pronostic.
Encadré 1. Causes et prévalences
des thromboembolies
1ère étape. Suspecter la TEA chez le Chat [1].
Aucune prédisposition raciale n’a été ■ Cardiopathie 69 %
mise en évidence. Les mâles semble- ■ Cause non déterminée 17 %
raient plus représentés que les femelles
■ Hyperthyroïdie 9 %
[1]. Selon une étude, 26 % des chats at-
■ Néoplasie 5 %
teints avaient reçu une injection de cor-
ticoïdes dans les semaines précédant
l’évènement embolique [1].
2e étape. Diagnostiquer
Bien que la cardiopathie reste la cause la
plus fréquente de TEA, elle est rarement
diagnostiquée avant l’apparition de la Les signes cliniques associés à la TEA
TEA [2]. La présence d’une anomalie à sont suraigus. Le diagnostic se base sur
l’auscultation cardiaque (souffle, bruit de
la conjoncture d’éléments cliniques et
galop ou arythmie) est présente dans 26 à biologiques.
68 % des chats présentés pour TEA [1,2].
De plus, environ 50 % des chats pré-
sentent des signes d’insuffisance
Signes cliniques
La “règle des 5P”, décrivant les signes
cardiaque congestive à l’admission
présents lors de TEA, est un élément de
(tachypnée, dyspnée, hypothermie ou
suspicion rapide et facile :
cyanose des muqueuses) [1,2]. Une hy-
pothermie, une atteinte d’au moins ■ “Pain” : douleur vive et aiguë ;
2 membres, une perte complète de fonc-
■ “Palor” : blancheur de la base des
tion motrice, une hyperphosphatémie et
griffes ou des coussinets (PHOTO 1) ;
une bradycardie sont des facteurs asso-
ciés à la mortalité ou l’euthanasie [1,4]. ■ “Polar” : froideur du membre atteint ;
PratiqueVet (2021) 56 : 80-83 (80)
> Conduite à tenir
Photo 1. Différence de couleur des griffes entre un membre atteint de
thromboembolie (gauche) et un membre sain (droite) chez un chat.
■ “Pulselessness” : absence de pouls sur le
membre atteint ;
■ “Paresis” ou “Paralysis” : diminution ou
absence de mouvements volontaires sur
le membre atteint.
Plus de 70 % des chats ont une at-
teinte des deux membres pelviens [1,2].
Lorsqu’un seul membre est atteint, il
peut être autant pelvien que thoracique
(thromboembolie brachiale) [2].
Lorsque l’évènement embolique a eu
lieu plusieurs heures avant la consulta-
tion, certains chats ne présenteront plus
de signes de douleur. De plus, lorsque le
thrombus obstrue partiellement le vais-
seau, les 5P ne seront pas tous présents.
Cette suspicion clinique doit donc être
confortée par des éléments biologiques.
Anomalies biologiques
Tout d’abord, il est possible de doser la
glycémie sur le membre atteint et sur du
sang jugulaire. Une différence de plus
de 0,3 g/L avec une valeur plus élevée
en systémique par rapport au membre
atteint a une sensibilité de 100 % et une
spécificité de 90 % pour diagnostiquer
une TEA [5].
Cependant, la ponction d’une veine sur
un membre ischémié et douloureux est
parfois difficile et à l’origine de nécrose
cutanée.
La caméra thermique est un outil fiable,
rapide, peu onéreux et non invasif pour
diagnostiquer une TEA.
(81) PratiqueVet (2021) 56 : 80-83
Photo 2. Utilisation de la thermographie infrarouge chez un chat
atteint de thromboembolie aortique touchant le membre pelvien
droit. Une différence de température importante entre le
membre pelvien atteint (étoile) et le membre sain est notée.
Une différence de plus de 2,4 °C entre
un membre atteint et un membre non
atteint ipsilatéral a une sensibilité de
80 à 90 % et une spécificité de 100 % [6]
(PHOTO 2).
Les contacts avec la peau du chat doivent
être évités dans les minutes précédant
la mesure. Cet outil peut également ai-
der au suivi de l’état de perfusion du
membre atteint.
L’examen complémentaire permettant
de diagnostiquer avec certitude une TEA
est l’échographie abdominale. Elle per-
met de visualiser un thrombus, isoécho-
gène aux tissus, diminuant ou arrêtant le
flux au sein d’une artère.
Une échographie antepelvienne permet
d’accéder à la trifurcation aortique, zone
de rétrécissement du diamètre du vais-
seau et donc, zone préférentielle d’arrêt
de l’embole (PHOTOS 3).
3e étape. Traiter la TEA
Le but de la prise en charge est d’amélio-
rer la fonction motrice de l’animal afin
de lui offrir un confort de vie satisfaisant.
Elle se déroule dans l’ordre suivant :
1/ traiter l’éventuelle insuffisance car-
diaque congestive (ICC) ;
2/ gérer la douleur ;
3/ réaliser une thrombolyse ;
4/ faire un nursing régulier pour favori-
ser la reprise d’une fonction motrice.
EN CLINIQUE
Traiter l’ICC
Lors de l’examen clinique d’admission,
la présence de difficultés respiratoires
doit motiver la mise en place d’une oxy-
génothérapie avec une technique gé-
nérant peu de stress (flow by ou cage à
oxygène).
Une échographie FAST thoracique per-
met de mettre en évidence un épanche-
ment pleural ou des signes d’œdème
pulmonaire (PHOTOS 4). Si l’épanche-
ment est à l’origine des signes respi-
ratoires, une thoracocentèse doit être
réalisée. Enfin, une injection de diuré-
tique (furosémide 1 mg/kg IV ou SC) doit
être réalisée.
Traiter la douleur
La prise en charge de la douleur est pri-
mordiale et doit faire appel à un opioïde
puissant tel que le fentanyl (2 à 5 g/kg IV
ou SC), la méthadone (0,2 à 0,3 mg/kg
IV ou SC) ou la morphine (0,2 à 0,3 mg/
kg SC). Lors d’utilisation des antalgiques
en perfusion continue, le plus petit débit
possible doit être utilisé pour ne pas gé-
nérer ou aggraver une insuffisance car-
diaque congestive.
Thrombolyse
Une fois formé, un thrombus a une soli-
dité très importante rendant sa destruc-
tion complexe. Seules deux techniques
peuvent rétablir une perméabilité vas-
culaire :
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 EN CLINIQUE > Conduite à tenir
© Service d’imagerie VetAgro Sup.

© Service d’imagerie VetAgro Sup.

3A 3B

Photos 3. Échographie abdominale antepelvienne révélant la présence d’un thrombus au sein de l’aorte, délimité par des pointillés verts (3A),
arrêtant le flux (cercle) au sein du vaisseau (3B).

> La lyse médicale Syndrome de reperfusion, hyperkalié-

Différents protocoles sont décrits chez le
Chat atteint de TEA [3,4,7]. Le plus décrit
et présentant le moins de complications
est l’utilisation intraveineuse d’altéplase
(Actilyse®[H]) (ENCADRÉ 2).
Une étude rétrospective a montré que le
taux de survie des chats traités avec l’al-
téplase était de 56,2 % vs 39,5 % chez les
chats non traités, et une amélioration cli-
nique de 56,2 % vs 31 %.
De plus, la diminution du délai entre ac-
cident embolique et thrombolyse médi-
cale semble augmenter le retour d’une
perfusion [3].
Les auteurs recommandent ce protocole
lorsque l’évènement embolique a eu lieu
moins de 6 heures avant la consultation.
mie, insuffisance rénale aiguë et hémor-
ragies sont les complications rapportées
de la thrombolyse médicale.
La fréquence de ces complications et le
taux de survie semblent cependant si-
milaires entre les animaux ayant reçu
de l’altéplase et ceux ayant reçu un trai-
tement classique sans altéplase [3], bien
que la littérature reste maigre à ce sujet.
> Le retrait chirurgical
Seuls deux rapports de cas décrivent avec
succès le retrait chirurgical d’un throm-
bus aortique lors de TEA aiguë touchant
les deux membres pelviens [8].
La reperfusion massive et rapide liée au
retrait du thrombus peut être à l’origine
de complications graves, en particulier
l’hyperkaliémie.
Encadré 2. Protocole de
thrombolyse médicale.
Altéplase (Actilyse®[H]) : 1 mg/kg,
réparti en :
■ 0,1 mg/kg IV en bolus sur 1 min
■ S uivi de 0,9 mg/kg IV en
perfusion continue sur 1 heure.
La commande doit se faire
directement auprès de Boehringer,
avec envoi de l’original de
l’ordonnance. L’Actilyse®[H] se
présente sous la forme d’une
poudre à reconditionner, avec des
dates de péremption longues.
De plus, l’insuffisance cardiaque conges-
tive concomitante rend l’anesthésie de
ces animaux délicate. Cette technique
n’est donc pas recommandée.

4A 4B

Photos 4. Echographie FAST (Focused Assessment with Sonography for Trauma, Tracking and Triage) thoracique dans le cadran
chest-tube site gauche montrant la présence d’un épanchement pleural (4A : étoile) et de lignes B (4B : flèches) chez des chats
présentés pour TEA, en faveur d’une insuffisance cardiaque congestive.

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PratiqueVet (2021) 56 : 80-83 (82)
> Conduite à tenir EN CLINIQUE

>>À LIRE...
Encadré 3. Traitement thromboprophylactique à mettre en place
1. Smith SA et coll. Arterial
dès la consultation d’un chat atteint de TEA afin de limiter les récidives thromboembolism in cats : acute crisis
et chez tout chat présentant une cardiopathie pour limiter le risque in 127 cases (1992-2001) and long-term
d’apparition d’une TEA. management with low-dose aspirin in
24 cases. J Vet Intern Med. 2003 ; 17 : 73‑83.
En hospitalisation 2. Borgeat K et coll. Arterial
thromboembolism in 250 cats in general
■ Clopidogrel (Plavix®[H] 75 mg) : J1 : 37,5 mg/chat per os une fois par jour (1/2
practice : 2004-2012. J Vet Intern Med.
comprimé), suivi de 18,75 mg/chat (1/4 comprimé) per os une fois par jour à vie. 2014 ; 28 : 102‑8.
■ Enoxaparine sodique (Lovenox®[H]) : 100 UI/kg SC une fois par jour. 3. Guillaumin J et coll. Thrombolysis with
Au domicile : tissue plasminogen activator (TPA) in
feline acute aortic thromboembolism : a
■ Clopidogrel 18,75 mg/chat per os une fois par jour.
retrospective study of 16 cases. J Feline
■ Rivaroxaban (Xarelto®[H]) 1 mg/kg per os une fois par jour. Med Surg. 2018 ; 21 : 340‑6.
4. Moore KE et coll. Retrospective study
of streptokinase administration in 46
cats with arterial thromboembolism. J Vet
Physiothérapie A ce jour, aucune étude ne compare l’uti- Emerg Crit Care. 2000 ; 10 : 245‑57.
lisation de différents anticoagulants chez 5. Klainbart S et coll. Peripheral
Une physiothérapie passive et des mas- des chats atteints de TEA. and central venous blood glucose
sages doux des membres peuvent lutter concentrations in dogs and cats with
contre la contracture induite par l’ab- La voie injectable peut être utilisée au acute arterial thromboembolism. J Vet
sence de perfusion. cours de l’hospitalisation et un traite- Intern Med. 2014 ; 28 : 1513‑9.
ment oral peut être prescrit dès le retour 6. Pouzot-Nevoret C et coll. Infrared
Cet acte douloureux peut être précédé
au domicile (ENCADRÉ 3). Si le chat tolère thermography : a rapid and accurate
d’une injection d’opioïde si nécessaire. technique to detect feline aortic
Les auteurs utilisent l’application de mal les traitements oraux, le clopidogrel
thromboembolism. J Feline Med Surg.
chaud et de froid, en alternance sur le(s) est à privilégier du fait des preuves de 2018 ; 20 : 780‑5.
membre(s) atteint(s), afin de favoriser son efficacité [10].
7. Koyama H et coll. Local intra-arterial
une vasodilatation et vasoconstriction administration of urokinase in the
locales, bien qu’aucune efficacité ne soit Malgré la mise en place du traitement, treatment of a feline distal aortic
décrite dans la littérature. le propriétaire doit être informé que thromboembolism. J Vet Med Sci. 2010 ;
l’espérance de vie d’un chat ayant déjà 72 : 1209‑11.
Une néovascularisation peut se mettre présenté une TEA diminue fortement, en 8. Vezzosi T et coll. Surgical embolectomy
en place dans les mois suivant l’accident moyenne 1,3 +/- 1,7 ans après le premier in a cat with cardiogenic aortic
embolique, permettant parfois un retour épisode de TEA, par rapport à 2,9 +/- thromboembolism. J Vet Cardiol. 2020 ;
à une motricité satisfaisante. 28 : 48‑54.
2,2 ans pour un chat asymptomatique
atteint de cardiomyopathie hypertro- 9. Goggs R et coll. Consensus on the
Rational Use of Antithrombotics in
phique (CMH) [11].
4e étape. Traiter les récidives Veterinary Critical Care (CURATIVE) :
Domain 2-Defining rational therapeutic
Après un diagnostic de CMH, le risque usage. J Vet Emerg Crit Care. 2019 ; 29 :
Le consensus sur les antithrombotiques
de faire une TEA augmente avec le temps 49‑59.
recommande l’utilisation d’antiagrégant
[11]. Le traitement de la cardiopathie est 10. Hogan DF et coll. Secondary
plaquettaire et d’anticoagulant dans la
donc important. prevention of cardiogenic arterial
prévention des TEA chez le Chat [9].
thromboembolism in the cat :
Le clopidogrel est préféré à l’aspirine car Les avancées thérapeutiques récentes The double-blind, randomized,
il diminue de façon significative le risque dans la prise en charge de la TEA et de la positive-controlled feline arterial
thromboembolism ; clopidogrel vs.
de récidive de TEA et prolonge le délai cardiopathie offrent, malgré un pronos-
aspirin trial (FAT CAT). J Vet Cardiol. 2015 ;
entre plusieurs évènements emboliques tic restant très sombre, des possibilités 17 : 306‑317.
[10]. de traitement.
11. Fox PR et coll. International
collaborative study to assess
cardiovascular risk and evaluate long-
MÉMO term health in cats with preclinical
hypertrophic cardiomyopathy and
■ Le diagnostic de TEA est basé sur l’association d’éléments cliniques et biologiques tels que apparently healthy cats : The REVEAL
la caméra thermique ou la recherche d’un thrombus à l’échographie. Study. J Vet Intern Med. 2018 ; 32 : 930‑43.
■ Une cardiopathie sous-jacente est la cause la plus fréquente de TEA chez le Chat et peut
également être à l’origine d’une insuffisance cardiaque congestive.
■ La thrombolyse médicale est indiquée lors de TEA, et doit idéalement est réalisée dans les CRÉDITS DE FORMATION CONTINUE
moins de 6 heures après la TEA. La lecture de cet article ouvre droit à
■ Une thromboprophylaxie doit être mise en place pour limiter les risques de récidive. 0,05 CFC.

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