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Au-delà du clivage politique, la perception de la « valeur travail » des Français évolue (la-croix.com)
Malgré le rejet de la réforme des retraites, "la valeur travail ne s'est pas affaiblie" chez les actifs | TF1 INFO
« Si le travail a pu prendre un sens et une valeur autres que le simple fait de gagner sa vie, c’est aussi parce qu’il y a un après » (lemonde.fr)
« La gauche, déjà en retrait sur la valeur travail, n’arrive plus depuis quarante ans à penser la valeur loisir »
Le rapport au travail des Français est parfois critiqué. Ces derniers en auraient une image trop négative, ce qui les
conduirait à ne pas faire assez d’efforts dans ce domaine. On parle parfois de « valeur travail » pour désigner le fait
que le travail n’est pas juste une activité mais qu’il s’accompagne de certaines « valeurs » comme un goût pour l’effort
et une existence dans laquelle il occupe un rôle majeur. L’importance du travail en France est-elle en déclin ? Comment
expliquer que certains en aient une image si négative ?
INTRODUCTION
Dans quelles mesures les transformations du travail engendrées depuis cette période lui ont-
elles fait perdre son caractère d’intégrateur social ?
L’emploi apparait comme étant traditionnellement un facteur d’intégration majeur dans
notre société pourtant, il semble de moins en moins facteur d’inclusion sociale.
La réforme des retraites qui a rouvert le débat sur le rapport entretenu par les Français au
travail. Tandis que certains évoquent le basculement de notre société actuelle en société de
loisirs, d’autres parlent plutôt d’une transformation de la relation au travail.
Un point d’orgue a été atteint durant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007.
Il affirmait alors avec force la nécessité de réhabiliter une valeur travail qui aurait été, selon
lui, profondément dégradée au cours des années précédentes.
Expression polysémique par excellence, la « valeur travail » fait régulièrement l’objet
d’appréciations contrastées dans le débat public. Manifestation d’un relâchement collectif
qui nous mettrait en péril sur le plan économique et social, la crise de la valeur travail
exigerait, pour les uns, que nous remettions le sens de l’effort au goût du jour.
Néanmoins, aujourd'hui, la valeur travail semble être en déclin : l'idée selon laquelle le
travail est toujours un agent de socialisation aussi important qu'auparavant peut être
remise en cause de la mutation du travail.
1. Les mutations de l’organisation du travail en France
Pour réaliser ces objectifs, l'organisation du travail doit adopter deux sortes de dimensions.
D’une part, une dimension verticale : il s’agit de séparer les tâches de conception du travail et de
formation, de celles de l’exécution. Ainsi les ingénieurs pensent le travail et les ouvriers doivent
l’exécuter conformément aux instructions et à la formation que les premiers leur fournissent.
D’autre part, une dimension horizontale : le processus de production d’un bien est décomposé en une
suite de tâches simples confiées chacune à un ouvrier spécialisé. La spécialisation de l’ouvrier est, par
exemple de ne faire qu’une seule action. L’objectif est d’identifier la manière la plus efficace de découper
le travail.
Si cette méthode a prouvé son efficacité pour ses gains de productivité, elle a également subi de
nombreuses critiques, notamment pour le fait qu’elle soit éprouvante et démotivante.
b. Le Fordisme : le travail à la chaîne et une valorisation des salaires
L’industriel américain Henry Ford (1863-1947) introduit un mode d’organisation du travail appelé
Fordisme.
Le Fordisme désigne également le « compromis économique et social vertueux » permis par les résultats
de cette mise en œuvre : les forts gains de productivité peuvent en partie être attribués aux travailleurs
concernés, contribuant à la très forte croissance économique qui, en retour, soutient la productivité.
• la standardisation des produits et des pièces permettant de produire en grandes séries à l’aide
de pièces interchangeables ;
• le travail sur des chaînes de montage (dit travail à la chaîne)
• l’augmentation du pouvoir d’achat des ouvriers. Rendue nécessaire pour compenser la perte
d’intérêt des ouvriers face aux tâches répétitives et possible par les gains de productivité, elle
permet de stimuler la demande de biens, ouvrant la voie à la consommation de masse.
Le Fordisme a également montré ses limites dans la réponse aux besoins de diversification de la
production et face à la concurrence des pays asiatiques. Une autre conséquence de cette organisation
du travail est la surproduction, où les produits fabriqués en masse ne trouvent pas toujours preneurs.
Le Toyotisme est une première réponse aux difficultés du modèle Taylorien-Fordien, grâce à sa grande
réactivité face au marché. Pour le Taylorisme et le Fordisme, l’offre fait la demande, c’est-à-dire que les
consommateurs achètent les produits disponibles qui sont tous similaires. Pour le Toyotisme, la
demande fait l’offre. Ainsi les produits ne sont fabriqués qu’en fonction de la demande des clients.
La flexibilité est un mode de gestion de la main d'œuvre mis en place dans les entreprises pour adapter
rapidement la production et l'emploi correspondant, aux fluctuations de la demande.
La flexibilité peut être quantitative interne : cela consiste à faire varier le volume de travail sans faire
varier le nombre de salariés, mais en modulant le nombre d’heures travaillées grâce notamment au
recours aux heures supplémentaires.
Exemple : les ouvriers d’une usine de chocolat travaillent davantage en période de Noël et pour Pâques.
La flexibilité peut être quantitative externe, c’est-à-dire que les entreprises adaptent le volume de
travail à la conjoncture. Soit :
Exemple : pour honorer une prestation une agence d’évènementiel confiera l’animation à des artistes.
La flexibilité qualitative consiste à rendre le salarié polyvalent en lui demandant d’effectuer différentes
tâches selon les besoins.
Exemple : Une caissière qui met des articles en rayon lorsqu’il y a peu de clients.
Les individus de plus en plus qualifiés n'acceptent plus le travail répétitif et hiérarchique hérité du
modèle taylorien. De ce fait, on passe dans les années 1980 d’un mode de management directif à un
mode de management participatif. Cela consiste à fixer avec l’employé des objectifs réalisables et de
l’intéresser aux performances de l’entreprise pour lui permettre d’accroître sa productivité. En lui
offrant plus d’autonomie, l’employé sera davantage motivé par la confiance accordée par l’entreprise
et fournira davantage d’efforts.
En conclusion, depuis la révolution industrielle, l’organisation du travail n’a cessé d’évoluer pour
s’adapter aux mutations économiques et sociales et permettre à l’emploi de progresser du point de
vue de la qualité et des conditions de travail.
1 La numérisation du travail
L'arrivée des technologies numériques a profondément modifié la nature du travail les formes et les
conditions de travail.
La transformation numérique touche aujourd’hui de façon plus ou moins forte les entreprises, dans les
méthodes de conception, de production, de collaboration, d’organisation, de travail. On peut distinguer
:
De ce fait, on peut affirmer que l’économie se numérise.
• la diffusion massive de nouveaux outils de travail, tels les smartphones, les tablettes et les
applications professionnelles, mais aussi les réseaux sociaux ;
• la modification des conditions d’exercice de tous les métiers, donc des compétences nécessaires
et de leur apprentissage ;
Exemple : la réception des emails, messages et appels professionnels le soir, le weekend ou pendant les
vacances.
Exemple : Webmaster.
2 L’ubérisation du travail
L’ubérisation est un processus économique qui, grâce aux nouvelles technologies numériques,
contourne les secteurs classiques de l’économie en créant un nouvel intermédiaire. Cet intermédiaire
qui permet de mettre en relation directe les utilisateurs et les prestataires se matérialise sous la forme
d’une plateforme numérique.
Intervenant dans de multiples domaines (voitures de transport avec chauffeur, tourisme, services à la
personne etc.), ces plateformes sont monétisées de diverses manières :
Les activités « ubérisées » offrent davantage de souplesse. À visée collaborative, elles peuvent favoriser
l’innovation.
L’ubérisation remet en cause le salariat comme norme. Les prestataires effectuent des missions, ils sont
rémunérés à la tâche. Les prestataires sont enregistrés sous le statut de l’auto-entrepreneur (ou micro-
entrepreneur).
Si le travail indépendant permet davantage de liberté dans l’organisation de son temps de travail, il est
aussi vecteur d’incertitudes et d’insécurité. La précarisation des indépendants « ubérisés », qui ne
bénéficient pas des protections liées au statut de salarié, est régulièrement dénoncée.
Par ailleurs, l'élévation du niveau général de formation de la population grâce aux politiques publiques
a aussi transformé la structure de l’emploi tout comme son organisation.
Ainsi, ces transformations de l’emploi vont avoir des conséquences sur le statut de l’emploi mais aussi
sur les conditions et la qualité du travail.
2 Leurs conséquences sur l’emploi
Les mutations de l’emploi ont eu des conséquences sur les formes et le statut de l’emploi, mais aussi sur
les conditions et la qualité du travail. Elles sont la cause de la segmentation du marché du travail.
Tout d’abord ces changements ont induit des phénomènes de segmentation, voire de polarisation de
l’emploi. La salarisation a provoqué une première division entre les salariés jouissant davantage de
protection sociale et les indépendants qui en sont souvent dépourvus comme l’assurance chômage ou
moins bien pris en charge comme les retraites.
Ensuite, le statut de l’emploi segmente lui aussi le marché. D’un côté il y a les individus qui ont un emploi
stable grâce à un contrat de travail à durée indéterminée (CDI) et de l’autre, les personnes qui n’ont pas
de revenus garantis à long terme car employés en contrats à durée déterminée (CDD) ou bien encore
en intérim.
Cette précarisation est aussi un conséquence directe de l’ubérisation de l’emploi qui tire les
rémunérations vers le bas en mettant en concurrence les travailleurs et en offrant peu de protection
sociale.
Toutes ces transformations ont donc abouti à une polarisation de l’emploi entre les hauts salaires et les
bas salaires, réduisant les salaires intermédiaires, mais surtout augmentant les inégalités entre
travailleurs.
Ces inégalités vont aussi bien porter sur les salaires que sur les conditions de travail, qui vont être
perçues différemment entre les salariés. De manière plus générale, cette mutation de l’emploi aboutit
aussi à des inégalités dans la qualité de l’emploi puisque tous les travailleurs n’ont pas la même
condition, le même temps de travail ni la même protection de l’emploi.
À la toute position dans la division du travail est associée une position sociale, et une certaine
reconnaissance sociale d'un statut pour l'individu.
De plus, dans les sociétés contemporaines, l'emploi est une forme institutionnalisée du travail. Il
apporte au travailleur une garantie de ressources matérielles, mais aussi symboliques.
Quoi qu’il en soit, le travail des individus leur rapporte évidemment un revenu primaire ou mixte. Le
revenu gagné permet de satisfaire l’ensemble de ses besoins et de vivre : nous vivons donc dans une
société de consommation dans laquelle l’acte d’achat est une nécessité pour vivre. En outre, pour les
sociétés développées, comme en France, l’acte de consommation est aussi un signe envoyé vers les
autres. Elle permet de donner de soi une image particulière qui elle aussi est source d’identité.
C’est en cela que le travail, parce qu’il est source de revenu, est une instance d’intégration sociale
fondamentale. Au statut de salarié est associé une reconnaissance sociale sous la forme de la protection
sociale.
Dans de très nombreux pays, le travail est la base d’un système de protection sociale assurant des
revenus lorsque des risques sociaux surviennent. Ces dispositions évitent aux individus concernés de
perdre une partie ou la totalité de leurs revenus et de se retrouver exclus en partie de la société.
Ainsi, la première fonction du travail est d’intégrer les individus dans la société en leur permettant de
satisfaire leurs besoins et de participer à l’effort de production national.
Le travail salarié est aussi une sphère d'intégration parce qu'il permet au salarié d'acquérir une identité
reconnue. En effet, le métier est considéré comme un élément fondamental de l'identité sociale des
individus. Une partie de la sociabilité de l'individu se joue au travail, car c'est là que l'on peut y rencontrer
non seulement des collègues mais aussi des amis, voire un conjoint. Le travail est porteur d'identité
sociale autant que de revenu. Il permet aux individus d'avoir une place sociale reconnue et de partager
des valeurs communes au sein de son groupe socioprofessionnel.
Le travail apporte un rôle économique et social, on partage souvent un même mode de vie avec les
individus de la même catégorie sociale. Pierre Bourdieu (1930-2002) avait mis en avant le partage d’un
« habitus », c’est à dire de pratiques et de consommations communes Ainsi, notre métier détermine
notre donc notre identité sociale et notre place dans la société.
En conclusion, le travail joue un rôle intégrateur en nous procurant un revenu pour satisfaire nos
besoins et une protection sociale, ainsi qu’une place dans le système productif national. Il confère à
l’individu une place dans la société qui va lui permettre de construire aussi son identité sociale.
Le regard critique des jeunes vis-à-vis des entreprises ne doit pas faire oublier qu'ils sou-haitent travailler et
que nombre d'entre eux ont du mal à trouver un contrat. Nous avons affaire à une génération très qualifiée,
avec des attentes élevées vis-à-vis du travail, et ce dans plusieurs dimensions. La dimension instrumentale,
car ils attendent un salaire juste et une sécurité de l'emploi. La dimension sociale, au sens où le travail doit
apporter des relations sociales de qualité. La dimension expressive, enfin, puisque le travail doit être
synonyme d'épanouissement de soi.
Cette génération souhaite retrouver une cohérence éthique entre le monde du travail et la vie à l'extérieur
de l'entreprise. Le travail reste une valeur importante mais n'est plus la valeur dominante : les jeunes ont une
conception pluri-centrique de l'existence, ils souhaitent se réaliser dans de multiples domaines.
Eu égard au travail, la question du sens est donc déterminante, et c'est là que se situe la possibilité de
l'épanouissement. Ce n'est pas en garantissant un cadre de travail agréable que les entreprises assureront
cette dimension à leurs salariés. La génération précédente valorisait déjà la question du sens mais celle-ci se
pose de façon encore plus criante aujourd'hui.
L'amélioration des conditions de vie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, sur le plan économique
mais aussi de l'éducation, a contribué à cette évolution des valeurs. L'éthique de l'épanouissement existe
depuis Karl Marx mais n'a pu se réaliser qu'une fois les conditions économiques réunies, c'est-à-dire pendant
les Trente glorieuses.
L'arrivée massive des femmes sur le marché du travail est aussi un axe d'explication : leurs attentes vis-à-
vis de la dimension expressive du travail, au-delà de la conciliation avec la vie de famille, sont plus fortes que
pour les hommes, et cela influence le monde du travail. Il est intéressant de noter que beaucoup d'hommes
jeunes très qualifiés sont désormais porteurs de ce type de valeurs favorables à l'épanouissement.
Tout d’abord la féminisation de l’emploi a modifié les relations dans la société. De ce fait, les femmes
ont acquis un statut professionnel auquel s’ajoute souvent le statut de mère. D’une part, elles
obtiennent ainsi une plus grande reconnaissance sociale, d’autre part, elles obtiennent aussi une
indépendance financière. Cependant, si le lien professionnel se renforce pour elles, c’est souvent au
détriment du lien familial car elles ont aussi moins de temps à consacrer à leurs enfants. En outre, la
garde d’enfants est souvent aussi un frein à l’intégration des femmes dans le monde professionnel car
bien souvent, elles sacrifient leur carrière pour s’occuper de leur progéniture.
En outre, d’autres mutations ont aussi un impact que le lien social. La numérisation du travail, par
exemple, modifie le lien social et parfois la sociabilité des individus. Les individus en télétravail sont
moins en interaction directe avec les autres, ce qui diminue aussi leur chance de développer des liens
amicaux au travail.
Ensuite, les mutations de l’emploi ont abouti à des segmentations au sein de la société, parfois
excluantes pour les individus. La salarisation a intégré davantage les individus en leur offrant revenu et
protection sociale, mais le statut d’indépendant ne garantit pas ce lien économique.
Par ailleurs, les personnes ayant une emploi atypique (CDD, intérim, temps partiel subi, etc.) ne se
sentent pas pleinement intégrées à la société, car leur situation n’est pas pérenne. De plus, leur manque
de stabilité empêche aussi leur reconnaissance sociale, car leur statut professionnel n’est pas garanti.
Enfin, si le travail a un rôle intégrateur, le chômage ou l’inactivité est souvent facteur d’exclusion.
La précarité et la pauvreté renvoient à des phénomènes différents. La pauvreté est une situation
(objective ou subjective) de manque de ressources matérielles. La précarité est une situation de fragilité
où les individus ont le sentiment qu'ils risquent de manquer de ressources matérielles (revenus,
logement, etc.) ou symboliques (emploi, statut).
Serge Paugam (1960-) met en évidence deux dimensions possibles de la précarité pour un salarié :
• précarité du travail : c'est un défaut d'intégration professionnelle. Le salarié trouve peu d'intérêt
dans son emploi et ne s'y identifie pas ;
• précarité de l'emploi : cela correspond à la situation d'un travailleur qui dispose d'un emploi en
contrat atypique. Son emploi n'est pas garanti dans le long terme.
Paul Lazarsfeld (1901-1976) a montré comment le chômage avait de fortes conséquences sur la vie
sociale des individus. Les chômeurs perdent peu à peu leurs repères et leurs habitudes (notamment en
ce qui concerne leur emploi du temps), ainsi que leur confiance en eux, ce qui nuit à leurs possibilités
futures de retrouver un emploi. Se sentant inutiles, ils s'isolent ainsi peu à peu les uns des autres, et le
lien social qui les rattachait à la société s'effrite.
En conclusion, le travail joue un rôle dans l’intégration sociale et de ce fait il joue aussi un rôle dans
l’exclusion sociale de ceux qui en sont dépourvus.
Conclusion
Les Français restent attachés à leur travail car pour eux il est source de revenus
et la plupart du temps de cohésion sociale importante. Néanmoins certaines
mutations du travail modifient les rapports entretenus par ces derniers avec leur
activité professionnelle. Par ailleurs les enjeux écologiques du moment poussent
certains jeunes à s’interroger sur leur travail. Néanmoins, dans ce cas précis, il
semble que la nature même de l’activité professionnelle soit d’avantage remise
en cause que la valeur du travail.