Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Boulanger-Balleyguier Geneviève. Les étapes de la reconnaissance de soi devant le miroir.. In: Enfance, tome 20, n°1, 1967.
pp. 91-116;
doi : https://doi.org/10.3406/enfan.1967.2410
https://www.persee.fr/doc/enfan_0013-7545_1967_num_20_1_2410
devant le miroir
par
G. BOULANGER-BALLEYGUIER
(16, p. 164). La notion d'objet la plus tardive serait donc celle de soi-
rnême, puisqu'elle devrait d'abord passer par celle d'autrui pour se constituer.
Sur le notion d'objet, ces deux auteurs semblent donc se rencontrer,
puisque tous les deux insistent d'abord sur la coordination nécessaire entre les
différentes sensations, ensuite sur l'apparition tardive du principe d'identité.
L'enfant parvient à ces étapes grâce à une progressive construction mentale,
qui utilise d'abord l'image, puis le symbole et finalement le signe. Ce début
de représentation lui permet de dépasser l'expérience sensorielle, de la
coordonner et de la structurer selon des cadres représentatifs qui assureront
l'identité et la permanence de l'objet. Piaget a peut-être davantage insisté
— et expérimenté — sur la conservation temporelle de l'objet, dont
l'existence arrivera à ne plus être effacée par son absence, tandis que Wallon
a mieux montré qu'auparavant un cadre spatial doit exister pour coordonner
les différentes sensations et les rattacher au même objet malgré les apparences
changeantes. Wallon s'est aussi davantage intéressé à la prise de conscience
objective de soi, tandis que Piaget n'a étudié la notion d'objet que sur des
choses.
C'est le problème de la connaissance de soi qui nous intéresse ici.
Dans la double perspective que nous venons de rappeler, le miroir constitue
un moyen privilégié d'expériences. En effet, l'aspect visuel est
artificiellement séparé des autres constituants sensoriels et vient appartenir à un objet
dont les qualités perçues sont différentes. A quel aspect l'enfant réagira-t-il
davantage ? Comment arrivera-t-il à différencier ces aspects et à attribuer
l'image visuelle à l'être qui est réfléchi, montrant par là qu'il commence à
le construire mentalement, ce qui lui permet de dépasser la contradiction
des expériences perçues ? Enfin, y a-t-il un décalage du moment de cette
construction suivant la personne dont il s'agit, comme l'affirme Wallon ?
Le moi est-il plus difficile à reconnaître que l'autre ?
Technique
La technique utilisée a été décrite dans un précédent article, où l'on a
analysé les réactions devant le miroir pendant les six premiers mois, en les
comparant aux réactions obtenues dans d'autres situations (devant une image,
une poupée, etc.). Il s'agit d'une étude longitudinale portant ici sur les deux
premières années. On a montré le miroir une fois par mois aux enfants
en le leur laissant manipuler dès qu'ils le pouvaient. Leurs différentes
réactions ont été immédiatement notées, ainsi que la durée de leur
attention au miroir. L'analyse porte donc sur l'ensemble du comportement
décomposé suivant le type d'action observé (jase, regarde le dos, etc.) dont nous
avons relevé 34 sortes (voir liste). Les enfants ont généralement été vus dans
leur famille où ils sont élevés ; exceptionnellement, ils ont été observés à la
crèche (1) où leur mère les laisse dans la journée (deux enfants seulement y
sont élevés de l'âge de deux mois à deux ans, quelques autres y ont fait de
plus courts séjours). Sur 38 enfants suivis au départ, un certain nombre a dû
être abandonné en cours de route, ou n'a pas atteint l'âge étudié. De plus,
l'observation n'a pas toujours été possible, et lorsqu'elle l'a été, les différentes
situations qui se sont révélées intéressantes (changement de -position, ques-
(r) Je remercie vivement Mme Aubrv, directrice d° la crèche mun'cipale de
Btlois, et les berceuses qui m'ont facilité la poursuite de mes observations dans l?ur
établissement.
9A G. BOULANGER-BALLEYGUIER
tions, etc.) n'ont pas toujours été observées. C'est pourquoi le nombre d'enfants
sur lesquels portent les résultats est variable d'un âge à l'autre et d'une
situation à l'autre. Nous donnerons donc toujours le nombre d'enfants
observés, et les résultats en pourcentage de ce nombre, afin de les rendre
comparables.
L'évolution de ces pourcentages et leur importance relative nous a
permis de distinguer plusieurs étapes correspondant à des attitudes
différentes devant le miroir, et marquant chaque fois un progrès vers la
reconnaissance finale de sa propre image.
Liste des Principales Réactions Devant le Miroir
1. S'intéresse au miroir, ne le repousse pas.
2. Se regarde et fait des mouvements de succion.
3. Se met à crier.
4. Se regarde et grimace, bouge la tête.
5. Se regarde et tire la langue.
6. Se regarde un moment sérieux : immobile et silencieux.
7. Se regarde et s'agite (bouge les bras ou les jambes).
8. Jase.
9. Se regarde et sourit.
10. Touche le miroir, le caresse, le tape.
11. Rit, pousse des cris de joie.
12. Prend le miroir, tient le cadre.
13. Touche son image.
14. Secoue la glace en regardant les images, s'approche et se recule.
15. Met la tête contre la surface.
lC. Regarde sa mère (ne la voit pas dans la glace).
17. Regarde l'examinateur (ne le voit pas dans la glace).
18. Intimidé, n'ose pas prendre le miroir, reste immobile, l'air inquiet, au
moins au début.
19. Regarde plutôt les autres images que la sienne, peu intéressé par son ims^e.
20. Illusion de la profondeur : se tape, et se recule, l'air étonné ; met la
mam loin derrière le miroir, cherche quelquefois à saisir ; essaye de
prendre une image du miroir.
21. Hésite à toucher la surface ; la touche et enlève vite la main.
22. Met ses doigts devant la surface ou contre elle, les regarde et leur image.
23. Se retourne vers un objet vu dans la glace.
24. Le manipule comme une chose sans s'intéresser aux images : le fait tourner
sur le dos, le jette, marche dessus, le tape contre quelque chose, l'emmène
sans le regarder.
25. Regarde le dos du miroir ; passe derrière, regarde le dos ; le touche en le
regardant.
16. Tape la face avec un objet.
27. Se regarde et touche sa tête, une partie de son corps ou ses habits, suce
son pouce, mange quelque chose en se regardant.
28. Embrasse le miroir, donne à manger à son image.
29. Le met contre son carps, sa tête (pas sa figure).
30. Dit «bébé» ou un mot équivalent en se regardant.
31. Nomme les choses qu'il voit dans la glace.
32. Se regarde et baisse la tête, l'air gêné.
33. Dit son nom en se regardant.
34. Met la face vers quelqu'un, le dos vers lui.
RECONNAISSANCE DE SOI DEVANT LE MIROIR 9^
Première Année •
aspect visuel puisque c'est l'image qui attire son attention et qui provoque
les mêmes réactions que la vue de toute figure humaine, même inanimée
(masque, poupée).
II. — PRÉHENSION ET MANIPULATION
(A partir de quatre mois, position assise).
Tandis qu'auparavant l'enfant semblait toucher par hasard le miroir,
à partir de quatre mois, il le touche de façon plus systématique et commence
à le prendre à cinq mois. A ces âges, d'ailleurs, il est plus souvent assis ; la
position verticale le déroute donc moins et facilite au contraire la
manipulation du miroir, qui est plus fréquente lorsque l'enfant est assis que couché.
Cette exploration tactile du miroir se généralise à la quasi-totalité des enfants
a partir de six mois : ils tiennent le cadre, touchent, tapent du caressent la
surface, certains y appuyent leur tête, la lèchent, mordent le bord, d'autres
grattent le dos, d'ailleurs sans le regarder. Ces réactions sont semblables à
celles qui sont provoquées par d'autres objets, dans un contexte d'excitation
joyeuse. Elles durent jusqu'à deux ans et au-delà.
Bien qu'il s'intéresse maintenant à chacun de ces aspects — visuel et
tactile — , leur contradiction ne semble pas remarquée par l'enfant de cet
âge. Chaque aspect est intéressant pour lui-même, et provoque des réactions
adaptées à lui seul.
Cette incapacité à mettre en relation deux aspects de la même situation
se remarque également lorsque l'enfant voit deux visages — le sien et celui
de la mère ou de l'observateur — dans le miroir. Il fixe alors généralement
une seule image, celle du visage qui lui est le plus familier : sa mère, puis
lui-même (il est quelquefois placé devant la glace entre les visites), et enfin
celui de l'observateur. Cette préférence pour le visage du familier sur le sien
ce remarque encore, quoique de façon moins nette, jusqu'à 9 mois, et pour
sa propre image, sur celle de l'examinateur jusqu'à 8 mois. Cependant, elle
est de plus en plus difficile à établir parce que l'enfant commence à
regarder les deux visages lorsqu'ils lui sont familiers et se met à les comparer.
III. — COMPARAISON ET ILLUSION (6-8 mois)
A partir de 6 mois, l'enfant commence à mettre en relation ces deux
aspects qui l'intéressent : il ne touche plus indifféremment n'importe quelle
partie de la glace, mais explore particulièrement son propre reflet (le
font : à 5 mois, 6 % des enfants ; à 6 mois : 34 %) (voir tableau I).
D'autres auteurs l'ont noté : pour Gesell, à 24 semaines (6 mois 1/2), à 7 mois
pour Brunet et Lézine, la plus grande partie des enfants caresse son image.
Remarquons cependant que l'évolution est la même pour un dessin
d'enfant : mis en présence de la représentation colorée d'une poupée (image du
test Brunet-Lézine), l'enfant touche aussi de préférence le personnage et très
peu l'espace environnant. Enfin, il ne s'agit pas de l'attention exclusive
qu'il portera à son image, après deux ans. Il s'intéresse aussi aux autres
.reflets, les fait varier en agitant la glace, l'approche, la recule pour voir
l'effet produit.
En même temps qu'il fait varier son image, il la compare avec les
autres visages vus en reflet ou en réalité. Certains enfants se mettent à
Tableau I
Enfant en position verticale, se voit seul Voir pages 112 et 113
RECONNAISSANCE DE SOI DEVANT LE MIROIR 97
où
(l) laL'enfant
préférence
regarde
entresouvent
son image
autreet chose
celle (objet,
de sa mère
doigts,
n'est
autres
pas nette.
images^
Sa ooooooooooooooooooooo
CM
■P
•H niS OOOOOOOOOOOOCTiOOOvoOO^-
*~
a
CD?H
•xiCi)?H ^cu
Cj -Hk OOOOOOOOO-^OOO^D-OOOMDOOOO
d) CD
I— 'H
I
w 5
-Hî ^g oooLnt-^-^Oinoj.nooooa.^oo^
U 4»
^^" CD CD Ojf>
<.£
O W)
Hpiai ooi>-oir-c^f-oLric\jooor-oooooo pî
I—I -P -H
o m
^ p! e>
<1 ..g
. <DMcd ocM-r-f-r-ojoooo»-c\icocr>t~-ooc^»x)(X)iri^-
£a ni P<
w +>
-,
t— .H -HU
I
I H O
3&
H^g oooooooooooo rf =
VÛJ0 HÔ CM CM t- § -HO
ba a< oCD «hO
Ci O<
T- T- T- ,,_vr_,_,_,_,_,_,.
U CS<
S) .o
CLl -rt
100 G. BOULANGER-BALLEYGUIER
Deuxième année
v. — concordance entre le corps propre et l'image
A partir d'un an, la relation entre l'image et le corps propre semble se
généraliser sous l'effet d'expérimentations systématiques. Alors que certains
enfants commencent seulement à regarder leurs doigts dans la glace, d'autres
ont déjà dépassé cette expérience (qui n'en intéresse plus guère après 16 mois)
et font intentionnellement des grimaces, sucent leurs doigts ou mangent
quelque chose en se regardant, touchent et agitent leurs habits en observant le
reflet.
Observation n° 13 : Christine, 1 ;2,7 (se voit seule, miroir tenu) : se
regarde peu, se détourne, puis se regarde beaucoup, le prend à deux mains
dit «maman» (ne la voit pas, se regarde elle-même), tape sur son image, rit,
tire la langue, met le doigt sur sa langue en se regardant, puis met la tête
contre la surface.
De même, un peu plus tard (à partir de 15-16 mois) l'enfant enlève un
chapeau qu'on vient de lui mettre devant le miroir; cependant il ne cherchera à
le remettre en se regardant que vers 18 mois. Cette expérimentation de la
ressemblance entre le corps propre et l'image se continue pendant la plus grande
partie de la deuxième année ; elle devient moins fréquente à partir de 23 mois,
et reprend pendant la troisième année, en se localisant alors surtout au
visage.
On pourrait croire qu'à partir de cette période l'enfant se reconnaît
dans la glace, c'est-à-dire cherche sur lui le correspondant tactile de l'image.
Or d'autres observations montrent que cette reconnaissance est loin d'être
102 G. BOULANGER-BALLEYGUIER
1 2 3 4 5 6
Age II pas de cherche se montre cherche se
réact. regarde image derrière montre
H m. 4 100 0 0 0 0 0
15 m. 9 67 11 22 0 0 0
16 m. 15 60 7 33 0 0 0
17 m. 10 50 10 30 10 0 0
18 m. 17 71 6 6 17 12 0
19 m. 16 44 0 44 12 6 0
20 m. 11 55 18 18 9 9 0
21 m. 11 27 18 46 9 0 0
22 m. 19 27 21 32 10 5 10
23 m. 22 54 4 17 17 0 8
24 m. 20 25 0 35 30 10 10
« Où est (son nom?) » (voir tableau IV). Ce n'est qu'à partir de 15 mois
que nous avons obtenu une réaction spécifique à cette question. Certains
enfants regardent leur image, d'autres cherchent du regard dans la pièce ;
il semble que cette dernière réaction soit une phase intermédiaire entre la
non-réaction et le fait de se regarder ; elle disparaît complètement à 23 mois.
Observation n° 17 : Sylvie, 1 ; 2,28 (se voit seule), se regarde, sérieuse,
mains à la bouche (« où est Sylvie? ») regarde à côté, dans la pièce, puis
regarde derrière le miroir, le met contre son front, sourit, veut l'emmener
(sa mère lui enlève).
Le fait de se regarder augmente naturellement en fréquence avec l'âge,
mais il est très variable suivant les enfants dont un certain nombre (25 %)
ne réagissent pas encore à cette question à 2 ans.
A partir de 17' mois, certains enfants montrent leur image en réponse à
la question ce qui ne les empêche pas d'en chercher quelquefois le
correspondant derrière le miroir ou au dos. Enfin, à partir de 22 mois, nous trouvons
quelques enfants qui se montrent eux-mêmes en se regardant dans la glace,
en réponse à la question. Le fait de se montrer soi-même semble surtout
conditionné par la question : mais c'est déjà un progrès d'associer son nom d'une
part à soi-même en se montrant, d'autre part à son image. Pourtant ces deux
réalités ne concordent pas encore forcément puisque dans une autre
situation, lorsque l'enfant veut toucher le correspondant de son image, il
cherche encore souvent derrière la glace.
Observation n° 18 : Hélène, 1 ;9,27 (miroir tendu), vient le prendre, l'apporte
à sa mère qui lui tient, le prend elle-même, jase, le montre à sa mère.
(« où est Hélène ? ») pointe son index sur elle, dit « là », met l'index sur la
14 m. 5 100 0 0 0
15 m. 8 50 50 0 0
1 6 m. 9 56 44 0 0
17 m. 9 56 44 0 0
18 m. 17 47 35 12 6
19 m. 13 31 62 0 7
20 m. 10 30 60 0 10
21 m. 11 27 55 9 9
22 m. 15 0 67 20 13
23 m. 16 32 18 32 18
24 m. 8 12 50 12 26
glace (ne se voit pas à ce monent-là), dit « si » (aussi) (l'Ex. lui met un livre
en tissu sur sa tête), se regarde, essaye d'attraper l'image en mettant la main
loin derrière la glace, puis passe longtemps la main dans le dos en se
regardant, ensuite touche son image, reste silencieuse (« enlève le chapeau,
donne-le à maman ») l'enlève et le donne à sa mère.
« Où est maman?» (voir tableau V). C'est aussi à partir de 15 mois que
nous trouvons, plus fréquemment que pour soi-même, le fait de regarder
l'image de la personne nommée. Cependant, à partir de 16 mois, certains
enfants se retournent alors, la regardent en réalité, et vont même la toucher.
Quelques enfants commencent à 18 mois à montrer son image en réponse à
ia question ; cette réaction n'est pourtant fréquente qu'à partir de 22 mois.
Enfin, aussi à partir de cet âge, quelques enfants vont directement à leur
mère sans s'inquiéter de l'image : entre ces deux réalités qui portent le
même nom, la personne est maintenant le centre réel dont le reflet n'est
plus qu'une émanation ; c'est donc à la personne que renvoie le nom.
« Où est la dame ? » (nom généralement donné à l'examinateur par les
mères). A 19 mois seulement nous trouvons certains enfants qui nous
regardent dans la ^glace, et cette réaction n'est vraiment fréquente qu'à partir
de 22 mois ; enfin, un seul enfant a montré notre image à 24 mois. Nous
trouvons donc un certain retard dans la compréhension de la question
lorsqu'il s'agit de l'examinateur, ce qui s'explique par le fait qu'il v a très
souvent apprentissage de ces réactions avec les familiers en dehors des visites.
La compréhension du nom de la personne vue dans la glace se
remarque à peu près au même moment pour la mère et pour l'enfant, qu'il s'agisse
de regarder l'image ou de la montrer du doigt. Par contre, le fait de lui
attribuer son correspondant tactile (toucher la personne elle-même) est retardé
de 6 mois environ pour l'image propre. L'utilisation spontanée du langage
va nous montrer par quelles difficultés passe l'enfant avant de se
reconnaître lui-même.
2) Utilisation spontanée du langage : Ce n'est qu'à partir de la deuxième
moitié de la seconde année que l'enfant nomme spontanément des images
vues dans le miroir (voir tableau I, II et III).
Familier : La première personne qu'il nomme est sa mère, ou un familier.
Cette réaction se rencontre déjà quelquefois à 12 et 13 mois, mais nous
avons vu qu'elle peut aussi bien s'adresser à sa propre image. Au contraire,
à partir de 17 mois, il n'y a plus de confusion, et un certain nombre
d'enfants (20 %) nomment leur mère lorsqu'ils aperçoivent son image et qu'on
leur pose la question : « Où est maman ? ». A partir de 19 mois, certains
disent spontanément le nom du familier lorsqu'ils le voient dans la glace
Oservation n° 19 : Brigitte, 1 ;7,8 (sa grand'mère lui teni le miroir), le
prend, regarde, aperçoit l'image de sa grand-mère, dit « même ».
Bébé : En même temps qu'ils commencent à nommer leur mère vue dans la
glace, quelques enfants se mettent à nommer leur propre image. A première
vue, il semble donc qu'il n'y ait pas de retard pour l'identification de son
image, alors que pour d'autres réactions nous avions constaté un grand
retard lorsqu'il s'agit de soi-même.
En réalité, l'enfant de cet âge ne sait généralement pas utiliser son
nom, même s'il le répète quelquefois, alors qu'il connaît bien le nom de
tous ses familiers. Mais, pendant un certain temps, il s'appelle « bébé » (ou
KECONNAISSANCE DE SOI DEVANT LE MIROIR 107
un mot équivalent) et c'est ce mot qu'il utilise lorsqu'il voit son image dans
ia glace. Cependant, il ne lui est pas réservé : c'est un nom commun, qui
désigne aussi tous les enfants, même plus grands que lui, naturellement les
bébés et ce qui leur appartient (une voiture d'enfant vide, par exemple),
les poupées et les images d'enfant. On pourrait croire que ceci est dû à la
façon dont les adultes nomment l'enfant. L'exemple suivant montre que
c'est plutôt un stade nécessaire, même si l'enfant utilise une déformation de
son propre nom. ,
Observation n° 20 : Brigitte, 1 ;7,28, est une enfant unique, élevée par sa
grand-mère. On l'appelle toujours Brigitte. Elle dit spontanément « titi »
quand on lui tend une poupée, quand elle voit des enfants, ou une voiture
d'enfant vide, quand elle veut avoir une glace. d'Ex, lui tend le miroir)
la prend, dit « titi » en montrant du doigt la glace. (« où est Brigitte ? »),
montre la glace du doigt, regarde son image, met la main loin derrière
le miroir, air étonné.
Lorsqu'il dit « bébé » devant son image, il ne semble donc pas que
l'enfant se reconnaisse dans la glace, mais plutôt qu'il y voie un enfant, et
qu'il se situe probablement comme enfant. Un autre exemple le montre
assez clairement.
Observation n° 21 : Pierre, 2 ;1,24, sait répéter son nom, et il le dit
quelquefois en réponse à certaines questions (Qui c'est ? Pour qui ?). Il appelle
« bébé » les enfants et les poupées, mais il réclame aussi « bébé » lorqu'il
veut se voir dans le miroir.
On montre des diapositives prises pendant les vacances d'été. Première
photo (Pierre sur la plage) : toute la famille s'exclame « Pierre ! », il dit à
son tour : « Pierre ». Deuxième photo (un bateau sur la plage), il s'exclame :
« Pierre ! » Après plusieurs photos vues en silence, de nouveau Pierre sur la
plage ; l'enfant s'exclame : « bébé ! ».
Cet enfant auquel l'image de soi renvoie est quelquefois traité comme
un autre enfant. Ainsi, quand il embrasse la glace, comme il commence à
le faire spontanément, il ne semble pas que ce soit un signe d'amour pour
soi-même, mais plutôt d'amitié envers un visage enfantin qui l'attire parce
qu'il se sent une certaine communauté avec lui, de même qu'il est
généralement attiré vers les enfants qu'il rencontre.
Observation n° 22 : Nicole, 1 ;5,0, prend le miroir à deux mains, dit
« bébé » en se regardant, puis se retourne pour regarder derrière elle.
(« Où est maman ? ») la regarde dans le miroir, puis va la toucher.
(« Où est bébé? ») va prenlre une poupée.
(« Où est Nicole ? ») répète « coco » sans se regarder.
Elle n'utilise pas encore de mot pour parler d'elle-même.
Dans cet exemple, l'image appelée « bébé » semble renvoyer à
quelqu'un d'autre, situé du même côté de la glace que l'enfant.
Il semble donc que, à ce stade, l'image soit encore indépendante du
sujet lui-même ; elle n'en est pas la simple réflexion. Ou elle appartient au
miroir comme un dessin sur un carton ; c'est ainsi qu'il s'amuse à mettre de
Ja nourriture dans la bouche de son image comme il ferait avec une poupée ;
il appelle la glace « bébé », même quand il ne se voit pas dedans, comme si
son image en faisait toujours partie. Ou elle renvoie à quelqu'un d'autre,
que l'enfant essaye de situer derrière le miroir ou à côté de lui, et à qui il
fait encore quelquefois ces gestes appris qui s'adressent à une personne
familière : marionnettes, envoyer des baisers, etc.
108 G. BOULANGER-BALLEYGUIER
Discussion
A l'âge de 2 ans, où nous nous arrêtons un peu arbitrairement, le
processus de la reconnaissance de soi n'est qu'armorcé, et par quelques sujets,
seulement. C'est pendant la troisième année que l'enfant prendra une
conscience affermie de lui-même, qu'il se reconnaîtra sans hésitation, qu'il cessera
de se chercher derrière le miroir, et qu'il commencera à projeter ses
sentiments sur son image. Les différences individuelles, lors de cette évolution,
sont considérables, et il serait intéressant — mais ce n'est pas ici notre objet —
d'étudier ce qui peut en être la cause.
Non seulement tous les enfants ne présentent pas en même temps les
mêmes réactions, mais encore les étapes que nous avons essayé de distinguer
en établissant l'apparition de nouvelles réactions s'enchevêtrent constamment.
Pour arriver à dépasser chaque moment de l'évolution, l'enfant a besoin
d'expérimenter un très grand nombre de fois l'effet produit ; il n'y a pas de
compréhension subite, mais une expérience renouvelée pendant plusieurs
mois avant d'être assimilée.
Mais une fois la réaction suffisamment répétée, l'étape dépassée et le
problème, qui semblait se poser à ce moment-là, résolu ou du moins avancé
dans sa solution, la réaction tant de fois expérimentée disparaît
progressivement. C'est ainsi que l'enfant cesse de comparer son visage avec celui d'un
familier, puis de l'examinateur, ou de rechercher le reflet de ses doigts. Nous
RECONNAISSANCE DE SOI DEVANT LE MIROIR 111
20 21 22 23 24 25 4 26 27 28 29 30 31 32 33 34
fugitives
i etété5 calculée
( tire la ici.
langue
La )ne
réaction
sont guère
n° 4 observées
(grimace) aqueétépendant
déplacée
les dans
cinq cepremiers
tableaumois;)
deux réactions différentes : grimaces spontanées accompagnant l'agitation,
■oduit pendant la deuxième année.
114 G. BOULAN GER-BALLEY GUIER
BIBLIOGRAPHIE