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22 | 2006 : Énonciation et responsabilité dans les médias

Effacement énonciatif et diffraction co-textuelle de la prise en charge


des énoncés dans les hyperstructures journalistiques
Jean-Michel Adam et Gilles Lugrin
https://doi.org/10.4000/semen.4381
Plan | Texte | Bibliographie | Notes | Illustrations | Citation | Auteurs
Plan
1. Hyperstructure, co-textes et icono-textes
2. Hyperstructure par éclatement d’une unité et illusion de
l’objectivité des représentations du PdV pour et du PdV contre
3. Variations des positions énonciatives dans une hyperstructure
regroupant des articles
3.1. Remplacement du DR par le résumé des propos et effacement
énonciatif dans l’article A2
3.2. L’effacement énonciatif dans le genre du conseil (article A3)
3.3. Complexité de l’énonciation et flou des frontières dans l’article A4
3.4. Un cas d’attribution flottante des énoncés dans l’article principal
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1La « responsabilité énonciative » est une notion éthique et juridique qui,
si on la redéfinit énonciativement, peut être linguistiquement abordée à
partir de son noyau constitutif : (a) la construction d’une représentation
discursive (dorénavant Rd), (b) la prise en charge énonciative de cette Rd
ou point de vue (dorénavant PdV) et (c) la valeur illocutoire des actes de
discours, inséparable de l’orientation argumentative des énoncés. Dans la
perspective de l’analyse textuelle des discours, nous ajoutons à ces trois
composantes complémentaires les différentes formes de liages des
énoncés au sein du texte dans lequel ils sont insérés (Adam 2005 : 65-84).
Mais il faut encore élargir cette co-textualité étroite (interne à l’unité
texte) aux relations entre textes co-présents dans une même aire
scripturale-éditoriale.
2Notre contribution s’inscrit dans le cadre de nos travaux d’analyse du
discours journalistique. Notre étude de la spécificité du texte
journalistique et des genres de la presse écrite nous a poussés à prendre
en compte les différentes modalités de regroupement des articles dans des
ensembles comme les hyperstructures (Adam & Lugrin 2000 ; Lugrin
2000a & 2001). Cette approche des hyperstructures de presse écrite est le
versant non littéraire de la réflexion théorique que nous menons par
ailleurs sur la redéfinition du concept de texte et, en particulier, sur les
relations de co-textualité entre textes réunis au sein d’une même aire
matérielle scripturale : recueils de contes, de nouvelles ou de poèmes.
3Les procédures d’effacement énonciatif, qui permettent de présenter un
article comme ne relevant pas des genres de « l’opinion » (éditorial,
chronique, billet d’humeur) mais de « l’information » (reportage,
dépêche, brève, etc.), doivent être abordées dans le cadre plus général des
aspects linguistiques de la construction de l’information de presse et de
l’opposition entre « énonciation objectivisée » et « énonciation
subjectivisée » (Moirand 2000). En centrant notre propos sur la topique
énonciative des hyperstructures journalistiques, nous souhaitons
prolonger les réflexions linguistiques du n°156 de Langages (2004),
dirigé par Alain Rabatel. Comme lui, nous pensons que l’effacement
énonciatif demande des descriptions fines de données textuelles (2004 :
12). Nous voulons également appuyer les propositions de Gilles Philippe
(2002) sur « L’appareil formel de l’effacement énonciatif et la
pragmatique des textes sans locuteur ». Enfin, notre étude s’inscrit dans le
prolongement de Sophie Marnette (2004). Comme elle le dit, dans la
partie « information » des journaux, on pourrait penser que le journaliste-
L1 adopte une position de « sous-énonciateur » au profit des sources
énonciatives l2, l3, etc. qu’il convoque. L’étude de la régie de ces
discours représentés montre que le journaliste-L1 peut fort bien se placer,
en fait, en position de « sur-énonciateur » et jouer très subtilement sur les
possibilités offertes par la polyphonie linguistique. Ces positions sont
souvent distribuées dans un groupe d’articles co-textuellement liés. Pour
le montrer, nous procèderons à la micro-analyse linguistique de deux
hyperstructures de la presse contemporaine suisse romande.
1. Hyperstructure, co-textes et icono-textes

4L’hyperstructure est une forme d’écriture journalistique qui tend à se


généraliser et qui désigne un niveau intermédiaire de structuration des
textes journalistiques, situé entre le journal et l’article. À notre
connaissance, E. U. Grosse et E. Seibold (1996) ont été les premiers à
avancer ce concept que nous avons repris et inscrit dans le cadre de nos
réflexions théoriques sur le concept de texte, ses frontières péritextuelles
et les relations de co-textualité entre textes et iconotextes1 réunis dans
une même aire scripturale. En choisissant cette désignation, ils affilient
cette tendance observée à la fin du XXème siècle au développement des
médias électroniques (Grosse et Seibold 1996 : 54). Dans un même ordre
d’idée, Jacques Mouriquand a souligné le fait que les journaux ont
tendance à éclater de plus en plus leurs articles « en de multiples petits
modules » (1997 : 109) et à proposer une « construction du message
informatif » qui associe étroitement des unités sémiotiques non seulement
verbales, mais iconiques et verbo-iconiques.
5De manière générale, on observe deux tendances majeures de
l’évolution de la presse écrite. D’une part un éclatement des articles en
modules plus courts, afin de rendre leur identification plus rapide et plus
aisée et de favoriser une lecture partielle et sélective du journal. Dans
Lugrin (2001), nous avons également montré que le développement des
hyperstructures s’accompagne d’un très sensible renforcement des genres.
Il ne s’agit donc pas seulement d’une volonté de réduire la longueur
moyenne des articles, mais aussi d’augmenter le nombre d’entrées
possibles dans un sujet afin de favoriser la lecture sélective et mosaïque.
D’autre part un développement du visuel, qui ne concerne pas que la mise
en page. Jacques Mouriquand remarque que les journaux ont tendance à
réduire la part des articles au profit d’une « scénarisation de l’actualité »
(1997 : 12) dans laquelle la photographie et l’infographie jouent un rôle
déterminant.

6Nous définissons l’hyperstructure comme une structure co-


textuelle2 regroupant, au sein d’une aire scripturale n’excédant pas la
double page, un ensemble de textes-articles accompagnés la plupart du
temps par des iconotextes photographiques et/ou infographiques (Lugrin
2000a : 35). Ces co-textes, qui portent sur un même événement
médiatique, sont généralement unifiés par un titre général (accompagné
souvent d’un sous-titre assez étendu pour être considéré comme un
chapeau), par un article dominant ou hyper-article et par un cadre
délimitant le périmètre de l’hyperstructure. Au-delà de la double page, on
entre dans le dossier, plus éclaté et potentiellement beaucoup plus
complexe. Nous pouvons dire que le texte de presse doit être considéré
sur une échelle de complexité qui va de l’article simple au dossier de
plusieurs pages, en passant par l’article composé (article et photo
illustrative avec légende référentielle laconique) et par l’hyperstructure
élémentaire (demie page) ou complexe (une ou deux pages, associant
plusieurs articles et une ou plusieurs infographies et/ou photographies
avec légende plus ou moins développée).
7Les iconotextes jouent un rôle important dans l’hyperstructure. Leur
développement suit celui de l’infographie :
8Le succès de la visualisation de l’information a donné naissance à une
nouvelle discipline, « l’infographie ». Elle mélange des dessins à
quelques mots clés, au mieux à quelques phrases. Elle sait, mieux que de
longs développements, condenser des concepts ou des évolutions
difficiles à comprendre dans des schémas. (Mouriquand 1997 : 13)
9Le terme infographie, contraction américaine
de Information + Grafics en Infografics, apparaît au début des années
1980 (Chappé 1993). Bien que ce terme désigne à l’origine une mise en
forme graphique de l’information, il renvoie aujourd’hui à tout graphique
produit à l’aide d’un outil informatique. L’infographie représente
exemplairement les genres de l’information à tendance objectivisante et,
comme nous le verrons plus loin, elle peut être considérée comme une
forme iconique de l’effacement énonciatif. Les infographies
journalistiques sont iconiquement proches de celles que l’on peut
rencontrer dans les encyclopédies et les manuels de sciences, de
géographie ou d’histoire. Cette ressemblance graphique confère une
connotation de description scientifique objective à ces unités de
l’hyperstructure. Le fait que les infographies de H2 soient signées de
l’Agence Télégraphique Suisse (« ats-infographie ») confirme le fait que
l’infographie est aujourd’hui considérée comme les autres articles et
diffusée par les mêmes agences que les textes et les photographies.
10La photographie, par sa nature indicielle, peut paraître endosser
également l’apparence de l’objectivité : « Le projet de se présenter
comme un pur lieu d’enregistrement de la réalité explique le recours de
plus en plus fréquent aux photographies, créditées par les représentations
sociales d’une grande “objectivit锫 (Lochard & Boyer 1998 : 50). Mais
on voit bien ce qui sépare les deux photographies de notre corpus. La
première (H1), qui couvre un très large espace (plus de quatre colonnes),
est, comme l’indique sa légende, centrée référentiellement sur le premier
des locuteurs seconds cités dans A2. Elle permet de pointer d’un geste et
d’attester ainsi de l’existence du lieu incriminé et représenté par
l’infographie. La photographie détourée de la seconde hyperstructure
(H2) est pour sa part à dominante connotative. En l’absence de légende,
la main qui tient un volatile par le cou est d’une part liée au titre
principal : « La volaille aux abris ». Cette illustration photographique met
ainsi en avant le contrôle que la main de l’homme doit désormais exercer
sur les volatiles. Renvoyant par ailleurs à l’éventuel abattage des
volailles, elle thématise visuellement le fait de leur « tordre le cou ».
Excédant largement les limites de la représentation référentielle du
monde du texte, cette photographie est donc loin de la signification
objectivisante de l’infographie.
2. Hyperstructure par éclatement d’une unité et illusion de
l’objectivité des représentations du PdV pour et du PdV contre
11Deux types d’hyperstructures de base doivent être distingués. Un
premier type d’hyperstructure est le produit d’un éclatement et d’une
redistribution d’un article de base en sous-unités (H1). Cet éclatement
permet de diminuer la longueur des articles, la plupart du temps signés
par le même journaliste, et d’offrir différentes portes d’entrées à la
lecture, qui s’en trouve ainsi facilitée. Le second type d’hyperstructure
(H2) se présente, en revanche, comme un regroupement d’articles
complémentaires provenant généralement de sources différentes. Nous
allons nous intéresser à l’organisation de la topique énonciative dans un
exemple de chacun de ces deux types de base.

12L’hyperstructure H1 est tirée du quotidien suisse romand 24Heures des


7 et 8 mars 1998 (page 25)3. Cet ensemble rédactionnel a trait à des
risques de coulée de boue, sur la rive droite de la plaine du Rhône, dans la
région d’Yvorne. On peut parler d’hyperstructure dans la mesure où
l’article principal, sur cinq colonnes, que nous pouvons considérer
comme l’article principal ou hyperarticle (A1), est doublé de deux
articles sur une seule colonne : A2 dans un encadré sur fond tramé rouge
et A3 sur fond tramé jaune. À cela s’ajoute l’importante photographie
dont nous avons parlé plus haut et une infographie en bas à gauche. Les
trois articles étant signés par la même journaliste (« Martine Bernier »),
nous pouvons considérer cette hyperstructure comme le résultat d’un
allègement de l’article principal. Il s’agit, en fait, d’une application très
classique de la loi de distribution binaire des sources citées selon le
principe de présentation du pour et du contre. D’un point de vue
énonciatif et argumentatif, cette distribution des PdV antagonistes dans
des unités circonscrites participe de l’effet d’objectivité recherché
stratégiquement et enseigné dans toutes les rédactions.
13Si l’on suit Cyril Lemieux (2000 ; 2004), on observe par ailleurs que
la journaliste se plie de manière quasi caricaturale aux règles
journalistiques dérivées « de la grammaire publique ». Adoptant une
position énonciative détachée – répondant aux exigences d’objectivation
et d’exhaustivité de la pratique journalistique d’information, avec tout ce
qu’elle peut avoir de subjectif –, la journaliste favorise la polyphonie, par
une démultiplication des PdVs antagonistes (A2 et A3), eux-mêmes
colorés de recoupements, qui consistent à faire appel à des sources
distinctes. En ce sens, cette hyperstructure est un témoin exemplaire de
ces règles auxquelles les journalistes ne peuvent que difficilement
déroger.
Hyperstructure n° 1 (H1)
Agrandir Original (jpeg, 52k)
14L’hyperarticle (A1) est dominé par le présent ; un présent autour
duquel pivotent l’information rétrospective (historique des événements
passés) et l’information prospective (indication au futur des résultats
attendus de l’étude commandée par la Municipalité). Malgré ces tiroirs
verbo-temporels caractéristiques de l’énonciation de discours, un certain
effacement énonciatif maintient le locuteur premier L1/E1 à distance et
confère à l’ensemble de l’article un ton relativement objectif. L’article
s’ouvre certes sur une allusion dramatisante à toutes les catastrophes
naturelles récentes et situées plus loin dans l’imaginaire des lecteurs
suisses romands : « La montagne va-t-elle s’abattre sur le camping du
Clos de la George, près d’Yvorne ? ». Un tel titre fait allusion à un
événement proche géographiquement et temporellement : « La commune
d’Yvorne ne veut pas d’un second Pissot et prend des mesures ». Vers la
fin de l’article A1, cette allusion est précisée : « Sans pour autant être
gagnée par la psychose du Pissot, qui avait provoqué d’énormes dégâts
du côté de Villeneuve en août 1995, l’Exécutif se veut prudent ». Bien sûr
tout cela renvoie aussi, dans la mémoire (inter)discursive des lecteurs
romands, aux légendes issues d’éboulements catastrophiques comme
ceux survenus à Derborence en 1714 et 1749 et au roman que C. F.
Ramuz en a tiré, en 1936 : Derborence. Malgré cet appel à un imaginaire
catastrophique, la journaliste-locutrice (L1) ne prend pas en charge les
réponses à la question qu’elle pose. Elle adopte une stratégie qui consiste
à rappeler les faits et à distribuer la parole. Les avis opposés ne sont que
suggérés vers la fin de l’hyperarticle A1 : « Pour certains, la digue non
entretenue serait la cause du débordement de 1996. Ce que réfutent les
spécialistes du Service cantonal des eaux ».
15Chacune de ces deux phrases donne lieu à un article secondaire. La
première phrase est expansée dans l’article A2, intitulé « La faute à la
digue ! », qui retranscrit d’abord les paroles d’un certain Willy Nüfer
(l2), responsable d’un camping de la région représenté sur la
photographie. La seconde partie de A2, après un intertitre aux apparences
très objectives : « Etat des lieux », rapporte les propos d’André Bonzon
(l3), préfet du district d’Aigle et propriétaire d’une caravane dans le
camping en question. La deuxième phrase correspond au second encadré
(A3), intitulé « Des risques à définir », qui rapporte les propos d’un
quatrième locuteur (l4) : « Au Service cantonal des eaux, François
Matthey, chef de la division hydraulique, est d’accord pour dire qu’il ne
faut pas entretenir un climat de psychose. A ses yeux la digue n’est pas
en cause ». Soit une reprise en écho de la réfutation annoncée par la
deuxième phrase de A1 citée plus haut.
16Le titre de A2, « La faute à la digue ! » est énonciativement marqué
par l’exclamation et, de ce fait, on peut hésiter à l’attribuer au PdV de
L1/E1 ou au point de vue d’un autre énonciateur, ce qui ferait de ce titre
une citation sans guillemets des propos de l2 et/ou l3. Mais ce titre est par
ailleurs surdéterminé par l’intertexte de la chanson de Gavroche
dans Les Misérables de Victor Hugo : « Je ne suis pas notaire, / C’est la
faute à Voltaire ; / Je suis petit oiseau, / C’est la faute à Rousseau. […]
Je suis tombé par terre, / C’est la faute à Voltaire ; / Le nez dans le
ruisseau, / C’est la faute à Rousseau. » Cette forme de « particitation » a
été analysée par Dominique Maingueneau (2004 :15) comme un régime
spécifique de citation : des énoncés autonomisés qui font partie du
Thésaurus d’un groupe socio-linguistique donné dont la simple évocation
garantit le sentiment d’appartenance. Au lieu de se rapprocher des PdV de
l2 et l3, la journaliste-locutrice L1 s’en distancie de deux façons. D’un
point de vue formel, elle autonomise soigneusement leurs propos, en
disposant les deux interventions sur le même modèle : introduction de
régie (a), synthèse des paroles de l2 par le discours citant (b) et enfin
paroles citées en DD (c) : « (a) Selon Willy Nüfer, responsable du
camping de la George qui a subi le torrent de boue, en 1996, (b) c’est la
digue qui est la grande responsable. (c) “DD”«. Même structure pour le
deuxième locuteur cité (l3) : « (a) Résident occasionnel du camping
concerné où il possède une caravane, le préfet du district d’Aigle, André
Bonzon, (b) a lui aussi tendance à incriminer la digue (c) : “DD”«.
17Mais c’est surtout par sa façon de conclure un article pourtant réservé à
la relation des paroles des deux opposants que la journaliste manifeste
une position cachée. Elle conclut par deux phrases qui renvoient ce qui
précède à une expression subjective émotionnelle : « Les premières
constatations établiront en juin le rôle réel de la digue. Puis, cette étude
sera prolongée sur le terrain pour observer comment évoluent les
niveaux de l’eau ». Ce récit au futur est un écho co-textuel de la section
au futur de l’article principal : « Une étude commandée par la
Municipalité permettra de déterminer, pour le mois de juin, quelles
décisions seront à appliquer […] ». La conclusion de A2 renvoie surtout
au passage de DD – le seul de A1 – placé en clôture de l’hyperarticle :
« Comme l’indique Christian Richard, secrétaire communal : “Il s’agit
d’aller au terme de l’étude commandée afin de définir les risques
éventuels, pour assurer la sécurité de la population”, commente-t-il ». La
surprenante sur-attribution des paroles au secrétaire communal (« Comme
l’indique », « commente-t-il ») est symptomatique d’une volonté de la
journaliste-locutrice (L1) de donner l’impression de ne pas prendre parti
dans le débat. Cependant les similitudes des conclusions de l’hyperarticle
A1 (DR d’un locuteur l5) et de l’encadré A2 (énoncés de L1 renvoyant à
la position des autorités communales) tendent à démontrer une adhésion
de la journaliste-locutrice au PdV1 de la voix officielle l5 renforcé par
l’expert l4. Ce qui peut nous inciter à relire le point d’exclamation du titre
intertextuel de A2 comme une mise à distance ironique doublement
citationnelle : mise en scène du PdV2 de l2 et de l3 et allusion
intertextuelle à la chanson de Gavroche. L1 se dédoublerait alors en deux
énonciateurs, E2 prenant en charge le PdV exprimé par l’énoncé
exclamatif et E1 ne l’assumant pas. La journaliste locutrice L1 marquerait
ainsi, par la polyphonie, sa distance par rapport au PdV de E2. Le titre se
fait ainsi jeu de mots polyphoniquement non assumé.
18C’est en conséquence bien ici une volonté de distinction et de
distribution des PdV antagonistes qui a conditionné l’éclatement, sous la
même signature, de l’hyperstructure en trois articles co-textuellement liés.
L’article A3 reproduit la même structure de parole que A2 : introduction
de régie (a), synthèse des paroles de l2 par le discours citant (b) et enfin
paroles citées en DD (c). L’intertitre « Avis d’expert » confère un poids
de vérité au DR de l4 et donc à A3. L’ensemble co-textuel de
l’hyperstructure, en mettant en scène des avis divergents soigneusement
distribués dans deux encadrés distincts, donne l’impression que la
journaliste-locutrice (L1) ne donne pas son opinion et se met en position
de sous-énonciation par rapport aux opinions représentées :
PdV2 contre de l2 et de l3, et PdV1 pour de l4 et de l5. L’effacement
énonciatif de la journaliste-locutrice L1 se fait au profit du PdV1 des
autorités communales. Ce choix qui n’a rien d’objectif est signalé en
particulier par la position stratégique du DR de l5 en clôture de
l’hyperarticle A1 et de sa reprise à la fin de A2, dans une sorte de
narration au futur assumée par L1. On est tenté d’interpréter
contrastivement le conditionnel de : « Pour certains, la digue non
entretenue serait la cause du débordement de 1996 » et le futur employé
tant dans A1 qu’à la fin de A2 comme une différence de distance
énonciative : distance marquée par le conditionnel médiatif journalistique
(Guentcheva 1996, Haillet 1995) relatif à PdV2 et absence de distance
dans l’emploi du futur catégorique relatif à PdV1.
3. Variations des positions énonciatives dans une hyperstructure
regroupant des articles

19Le quotidien suisse romand Le Courrier du 16 février 2006, consacre


une pleine page (page 5) à la grippe aviaire4 :
Hyperstructure n° 2 (H2)
Agrandir Original (jpeg, 56k)
20Les deux iconotextes infographiques i1 et i2 qui surplombent
l’hyperstructure sont autonomisés au point de comporter chacun un titre
sur fond noir : « Grippe aviaire – voies d’infection possibles », d’une
part, et « La grippe aviaire arrive en Europe occidentale », d’autre part.
Ces infographies sont, comme nous l’avons dit plus haut, signées (« ats-
infographie ») comme les autres articles de l’hyperstructure. Cela ne les
empêche pas d’apparaître iconiquement et linguistiquement comme du
discours scientifique désembrayé :
21• Fréquence des énoncés monorèmes et nominaux : « volailles »,
« hommes », « virus humain » (i1), « cas confirmés de décès humains »
(i2), « Nouvelle souche très contagieuse », « Infections fréquentes par le
contact étroit entre animaux et hommes » (i1).
22• Structures nominales parataxiquement liées : « Grippe aviaire – voies
d’infection possibles » (i1), « Pays touchés, date du premier cas » (i2).
23• Assertions au présent des énoncés de vérités scientifiques, totalement
débrayés : « La transmission du virus de l’oiseau à l’homme est possible,
mais survient très rarement » (i1), ou faiblement embrayés
(temporellement) : « La grippe aviaire arrive en Europe occidentale »
(i2).
24Comme le dit Gilles Philippe, de nombreux textes doivent être
considérés comme référentiellement débrayés de leur instance
d’énonciation : « Ils ne fonctionnent que parce qu’ils effacent toute
référence à une quelconque situation d’énonciation » (2002 : 26). Les
infographies de H2 sont des iconotextes de vulgarisation scientifique dont
on peut dire qu’ils « n’ont de pleine autorité que parce que l’effacement
de toute référence à une situation d’énonciation autonomise le contenu
prédiqué de tout locuteur. […] S’il invitait à la représentation de sa
situation d’énonciation, le texte scientifique changerait de statut, se ferait
affirmation d’hypothèses et non exposé d’un résultat qui n’est plus prêté
au débat » (Philippe 2002 : 27). Si l’hyperarticle A1 est caractérisé par
une certaine présence d’un locuteur-énonciateur premier (renvoyant aux
trois journalistes signataires cités), les articles secondaires présentent une
gradation de l’effacement énonciatif qui prolonge les propriétés
énonciatives des iconotextes infographiques. C’est ce que nous allons
essayer de décrire dans le détail des enchaînements internes à chacune
des sous-unités de l’hyperstructure.
3.1. Remplacement du DR par le résumé des propos et effacement
énonciatif dans l’article A2
25Le premier paragraphe apparaît comme un chapeau dessinant le
contexte (« alors que ») des événements. Malgré des choix lexicaux qui
insistent sur la gravité des événements (en particulier la reprise de
« grippe aviaire » par « maladie meurtrière »), l’article se présente
comme un rapport factuel de faits et d’événements de parole. Comme son
titre l’indique par une métonymie du lieu caractéristique des titres de
presse (« Bruxelles »), les institutions de l’Union Européenne ont donné
des consignes fermes (« ordonne ») que l’on s’attend à voir détaillées et
citées dans l’article. En fait, celui-ci se présente comme une simple
relation, faiblement commentative, de la succession des décisions prises
(« hier » et passé composé) et à venir (« aujourd’hui » et conditionnel
modalisé par le verbe devoir).
(H2-A2)
Bruxelles ordonne aussi le confinement
Bruxelles
Tanguy Verhoosel
Alors que les foyers de grippe aviaire se multiplient en Europe, les Vingt-
Cinq redoublent de précaution afin d’éviter que la maladie meurtrière, à
laquelle n’ont succombé que des oiseaux sauvages dans l’Union (UE), ne
se répande dans les élevages de volailles.
Dans ce contexte, Bruxelles a ordonné un confinement général des
volailles élevées en plein air sur l’ensemble des territoires des membres
de l’UE. Ces mesures vont plus loin que ne l’exigent celles que les Vingt-
Cinq ont adoptées à la fin de 2005. Elles imposent en outre aux Etats
d’établir une « zone de surveillance » de dix kilomètres autour des foyers
de grippe aviaire et, à l’intérieur de celle-ci, de créer un périmètre « de
sécurité » de trois kilomètres où l’enfermement des volailles est
obligatoire.
Hier, les experts vétérinaires des Vingt-Cinq ont de leur côté décidé
d’étendre, jusqu’au 31 juillet, à l’ensemble des pays non-membres du
club communautaire une interdiction d’exporter vers l’Union des plumes
(destinées à la literie) non traitées contre les agents pathogènes.
L’embargo frappait déjà six pays dont la Turquie.
Les Vingt-Cinq ont également commencé à débattre d’une possible
vaccination des volailles d’élevage et adopté une proposition de la
Commission sur le cofinancement, par l’Union, des plans nationaux de
dépistage de la grippe aviaire que les Etats doivent respecter. Près de trois
millions de francs seront octroyés par l’UE, en 2006, pour effectuer des
tests sur 60 000 oiseaux sauvages et 300 000 volatiles domestiques.
Aujourd’hui, le Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé
animale de l’UE devrait décider de la marche à suivre au cas où
l’épizootie de grippe aviaire atteindrait malgré tout les élevages. Un
abattage systématique des volailles dans les exploitations contaminées
devrait être imposé, ainsi qu’une destruction de tous les œufs qui y sont
produits.
Pour rappel, l’UE est le troisième exportateur mondial de volailles,
derrière le Brésil et les Etats-Unis. Son chiffre d’affaire annuel : 30
milliards de francs.
26Ce texte, qui ne comporte pas de DD ni de DI explicites, présente
toutefois deux îlots textuels (« zone de surveillance » et « de
sécurité ») qui, malgré l’effet très local d’hétérogénéité et de mise à
distance énonciative, ne paraissent pas énonciativement hétérogènes à la
phrase dans laquelle ils apparaissent. Le DD et le DI sont remplacés par
un rapport-résumé de propos et la présence des deux îlots textuels produit
un effet d’objectivité citationnelle qui rebondit sur le rapport-résumé lui-
même. L’adhésion du locuteur-énonciateur premier (E1/L1) aux propos
de « Bruxelles » (l2) peut expliquer le fait que les mots entre guillemets
ne semblent pas mis à distance énonciative (alors que c’est souvent le cas
dans ce type d’emploi). La mention des propos de l2 n’est littérale que
dans ces deux îlots textuels, si bien que pour le reste de l’article on assiste
à une dilution des frontières entre DR sous forme de résumé des propos
du locuteur collectif-institutionnel cité l2 et de commentaires du locuteur-
journaliste L1.
27L’emploi du conditionnel dans l’avant-dernier paragraphe contraste
avec la présentation des faits et le résumé des propos de « Bruxelles » au
présent, au passé composé et au futur. Dans ce paragraphe qui n’a plus
trait aux décisions déjà prises mais à celles qui le seront probablement
dans la journée d’ «aujourd’hui », le locuteur-énonciateur premier
(L1/E1) est présent de façon distanciée. Nous sommes tentés de dire que,
dans ce paragraphe, L1/E1 se distancie d’un énonciateur E2 qu’il charge
du résumé des décisions probables de l2. Cette distance polyphonique
semble garantir la position énonciative du sur-énonciateur L1/E1.
28Le dernier paragraphe, à la différence des précédents, ne résume pas
les décisions prises ; il ne raconte ni ne commente les faits survenus ; il
se présente énonciativement comme une sorte de définition. Cet
effacement énonciatif maximal, est encore plus perceptible dans A2.
L’énoncé introductif « Pour rappel » apparaît comme une frontière entre
le discours journalistique et un discours du type de ceux qu’examine
Gilles Philippe : à ces « textes “non-énoncés” correspond en quelque
sorte un “contrat de lecture” bien spécifique : le lecteur consulte le texte
comme si celui-ci n’avait été produit par personne et comme s’il n’était
adressé à personne » (2002 : 26). Du fait de son insertion dans un article
journalistique, il va de soi que le discours encyclopédico-dictionnarique
est destiné au lecteur, mais il participe de façon intéressante à l’opération
d’effacement énonciatif qui caractérise A2. Le présent définitionnel
utilisé et la phrase nominale finale sont les éléments de cet « appareil
formel de l’effacement énonciatif » dont parle Gilles Philippe. En ce sens,
particulièrement dans son dernier paragraphe, A2 rejoint les iconotextes
infographiques.
3.2. L’effacement énonciatif dans le genre du conseil (article A3)
29L’article A3 se présente comme un exemple du genre de la consigne-
conseil (Adam 2001 a & b) dans lequel les énoncés apparaissent comme
essentiellement tournés vers les lecteurs-destinataires de l’acte
illocutoire :
(H2-A3)
QUE FAIRE ?
> Si vous trouvez un seul oiseau mort, ne vous affolez pas. Contactez les
autorités communales qui s’en chargeront.
> Si vous trouvez cinq oiseaux morts ou plus au même endroit et qui ne
sont pas morts d’un accident (lignes électriques, collision avec une vitre),
contactez un garde-faune. Il s’occupera d’appeler les services
vétérinaires.
> Utiliser des gants pour toucher les oiseaux morts.
Consommation
> Manger de la volaille est sans danger. Le virus est détruit lors de la
cuisson.
Consommer des produits à base d’œufs crus n’a jamais transmis le virus.
DB.
30Le passage de l’impératif à l’infinitif, fréquent dans le genre du
conseil-consigne, participe à l’effacement énonciatif graduel des co-
énonciateurs. L’impératif, tout en laissant émerger l’allocutaire « vous »,
lecteur du journal, opère un effacement énonciatif formel de L1, pourtant
énonciateur E1 responsable de l’acte illocutoire conseiller. C’est là un
paradoxe énonciatif (Adam 2001a : 22) des textes d’incitation à l’action
et de conseil : ils émanent d’un expert dont la présence énonciative est la
plupart du temps effacée, ainsi que les traces de la situation d’énonciation
autres que celle de la lecture du texte. En fait, la place du sujet-agent
(destinataire supposé devoir agir dans le sens du conseil) est
pronominalement ouverte. Le pronom vous est certes destiné à être
actualisé par chaque lecteur/lectrice du journal, mais, comme cela est
sensible dans le passage de l’impératif à l’infinitif, l’infinitif opère une
généralisation qui confère à l’énoncé une valeur générique. L’effacement
énonciatif du destinataire par l’infinitif transforme les énoncés en quasi-
maximes (on-vraies) : Manger de la volaille est sans danger et/ou en
énoncés de caractère scientifique (universellement vrais) : Le virus est
détruit lors de la cuisson ou Consommer des produits à base d’œufs crus
n’a jamais transmis le virus. Le vous impliqué par l’impératif dépasse
largement la personne du lecteur et vaut, en dépit de l’illusion de
personnalisation, pour un on, tout le monde et donc un on doit qui est la
vraie nature du genre de la consigne-injonction illocutoirement atténuée
en conseil-recommandation. L’effacement énonciatif du journaliste-
locuteur L1 garantit le caractère non subjectif des informations fournies et
accentue la valeur de vérité des énoncés.
31Notre analyse rejoint la proposition de Gilles Philippe (2002), pour qui
il existe des textes et des genres – et pour nous plus localement des
énoncés – en quelque sorte « non-énoncés ». L’infinitif et les énoncés
impersonnels du type de ceux que nous venons de citer relèvent de
« l’appareil formel de l’effacement énonciatif ». Comme dans les textes
juridiques, scientifiques, l’annuaire ou le dictionnaire, l’établissement
d’un certain « contrat de lecture » fait que la vérité assertée dépasse les
sujets impliqués dans la production et l’interprétation des énoncés.
3.3. Complexité de l’énonciation et flou des frontières dans l’article
A4
32Le dernier article secondaire (A4) se présente comme une dépêche
d’agence qui alterne le DR d’un locuteur second (l2) et les énoncés de L1
identifié par la signature et par le nom en tête d’article (« Francesco
Fontemaggi ») <14> comme journaliste de l’Agence France Presse :
(H2-A4)
AFRIQUE
Mesures peu efficaces
Francesco Fontemaggi
<1> Frontières poreuses, infrastructures défaillantes, faiblesse des
ressources financières : les mesures prises en Afrique pour endiguer la
grippe aviaire après son apparition au Nigeria posent le problème de leur
application. <DR1> « Même dans les pays développés, les structures
sanitaires ne sont pas prêtes à affronter la menace », <2> constate le
représentant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) au Nigeria,
Mohammed Belhocine. <DR2> « Ici, nous devons faire d’énormes efforts
pour que le système de santé soit en état d’alerte ». <3> Sur le papier,
chaque pays s’est pourtant doté d’une batterie de mesures de prévention.
<4> Dernière en date, la Côte d’Ivoire a interdit les importations de
volailles et produits dérivés nigérians. <5> Mais ces mesures, assorties de
promesses de contrôles stricts, ne sont pas efficaces.
<6> Au niveau sanitaire, même constat : <DR3> « Il faut former les
personnels, et nous manquons de moyens logistiques comme les
médicaments et le matériel de laboratoire pour les prélèvements », <7>
énumère M. Belhocine. <8> Rares sont les pays où le Tamiflu est
disponible, <9> et selon Roche qui le fabrique, <10> sa production en
Afrique n’est pas à l’ordre du jour. <11> Enfin, <12> insiste le
représentant de l’OMS, <DR4> les pays doivent promettre des
dédommagements pour les producteurs de volailles. <13> Sans quoi, ils
risquent de rechigner à livrer les survivantes à la mise à mort. <14> AFP
33C’est un constat accusateur qui ouvre l’article. La première phrase est
marquée par les lexèmes évaluatifs (poreuses, défaillantes, faiblesse) qui
prolongent le marqueur argumentatif d’échelle dépréciative « peu »,
présent dans le titre. Suivent deux segments DR1 et DR2 de discours
direct entre guillemets, interrompus par un énoncé attributif <2> à un
locuteur second expert l2. Introduit par « même », DR1 semble renforcer
argumentativement <1>. Il s’établit ainsi, entre discours citant et discours
cité, malgré la frontière marquée du point et des guillemets, une
continuité argumentative qui transforme clairement L1 en sur-énonciateur
E1. Le retour au discours de L1 se fait sur le mode d’une contestation du
point de vue (PdV1) exprimé dans les énoncés <1>, DR1 et DR2. Du fait
du concessif « pourtant », <4> correspond à un PdV2 d’un énonciateur
E2 dont L1/E1 se distancie. Le connecteur « mais » permet de
réintroduire, en <5>, le PdV1 commun à L1/E1 et à l2.
34Le second paragraphe est introduit par un énoncé <6> qui est un écho
nominalisé de <2> (passage de « constate » à « constat »). L’adverbe
« même », suivi des deux points ouvrant sur le DD (DR3), renforce la
continuité entre les trois segments de DD. Tout devient en revanche plus
flou en <8>. Si l’on peut facilement, en raison du marqueur de cadre du
discours et de la modalisation en discours second, considérer « selon
Roche » <9> comme attributeur de <10> à un l3 (laboratoire
pharmaceutique), on peut hésiter à placer <8> sous sa portée. La présence
de « et » peut nous inciter à envisager une portée à gauche de « selon » et
donc une attribution à l3. Mais <8> pourrait tout aussi bien être considéré
comme encore sous la portée de <7> et donc de l2, voire de L1.
35L’incise attributive <12> raccroche <11> à DR4. Malgré l’absence,
cette fois, de guillemets, la présence d’un verbe attributif (« insiste ») et
la (re)convocation claire du « représentant de l’OMS » (l2) font de
l’énoncé DR4 un segment de DD sans guillemets. Malgré le point, on
n’hésite guère à considérer co-textuellement <13> comme toujours sous
la portée de <12>. Cependant, l’absence de guillemets rend <13>, plus
nettement que <DR4>, disponible pour une double attribution à l2 et/ou à
L1/E1. C’est là un aspect capital du jeu avec la ponctuation.
3.4. Un cas d’attribution flottante des énoncés dans l’article principal
36On constate dans l’article principal des flottements dans l’attribution
des énoncés. Ainsi dans ce passage où l’énoncé nominal <1> apparaît
comme un introducteur de DR attribué au Conseil fédéral par inférence
co-textuelle. L’énoncé tout aussi nominal <2>, introduit par deux points,
relève plus du résumé que du DD. Il est suivi par un commentaire <3>
qui confirme l’attribution à locuteur/énonciateur cité l2. L’énoncé <5>
« a ajouté le gouvernement » comporte une présupposition de type : le
gouvernement a déjà dit <2>.
37On trouve ensuite une citation <19> en DD entre guillemets, avec son
segment attributif <20>. On observe également une autre forme de DR,
en <11>, sans guillemets certes, mais suivant deux points associés à un
verbe attributeur de parole en <10> :
[…] <1> Première mesure annoncée hier : <2> la remise en vigueur du
confinement des volailles. <3> Une décision que le Conseil fédéral avait
déjà prise en octobre 2005.
<4> Levée à la mi-décembre, cette interdiction des sorties en plein air
débutera lundi, <5> a ajouté le gouvernement. <6> Elle sera applicable à
l’ensemble du pays et ne sera pas limitée dans le temps. <7> Un peu
exagéré peut-être ? <8> Pas vraiment, <9> répond Hans Wyss, directeur
de l’Office vétérinaire fédéral (OVF) <10> qui prévient : <11> il faut
admettre que des oiseaux infectés seront bientôt trouvés en Suisse.
<12> D’une part, parce que les cas de grippe aviaire se
rapprochent : <13> deux cygnes retrouvés morts dans notre pays font
d’ailleurs l’objet d’analyses. <14> Et d’autre part, parce que notre pays se
trouve sur les routes de migration sud-nord. <15> Elles partent de
l’Afrique de l’ouest vers la Scandinavie. <16> Pire, <17> pour
l’OVF, <18> la maladie est en passe de s’installer durablement dans nos
régions. <19> « C’est pourquoi une stratégie de lutte sur le long terme est
en préparation », <20> indique encore l’OVF.
38L’attribution de <4> à l2 (« le gouvernement ») se fait
rétrospectivement. Cet énoncé semble, dans un premier temps, être dans
la continuité textuelle du commentaire <3> qui précède et donc
attribuable au locuteur/énonciateur primaire L1/E1, mais, dans un
deuxième temps, la lecture de <5> attribue sans équivoque <4> (et <2>) à
la source énonciative citée : le locuteur/énonciateur second l2. Le fait que
<6> soit au futur, comme <4>, incite à l’attribuer à l2 plutôt qu’à
l’énonciateur principal E1/L1.
39La question rhétorique <7> n’est pas uniquement attribuable à L1/E1.
La nature polyphonique de la question rhétorique, à laquelle s’ajoute la
modalisation en « peut-être » et l’indicateur d’échelle ascendante « un
peu », fait que L1 paraît se dédoubler ici en un énonciateur E1 et un
énonciateur E2 porteur des interrogations que partagent les lecteurs. La
question rhétorique vaut pour une assertion : c’est peut-être un peu
exagéré. C’est ce à quoi répond avec modalisation <8> « pas vraiment »,
énoncé attribué par <9> à un locuteur/énonciateur l3 désigné par son
prénom, son nom et sa fonctions à l’Office vétérinaire fédéral (OVF).
L’énoncé <11> est, en dépit de l’absence de guillemets, du DD
clairement attribué par <10> au locuteur l3.
40En revanche, le paragraphe suivant débute par une explication
en parce que segmenté par les organisateurs « d’une part » <12> et <13>
et « d’autre part » <14> et <15>. L’énoncé <13> renforce
argumentativement <12> au moyen du connecteur « d’ailleurs ». Ici, le
flottement attributif est total. Dans la continuité textuelle, on serait tenté
de les considérer sous la portée de <10>. Mais l’alinéa de paragraphe crée
une telle rupture que ces trois énoncés peuvent être attribués au locuteur
énonciateur primaire L1/E1. On peut analyser de deux façons l’énoncé
<16> attribué à l3 par un autre marqueur de cadre du discours : « pour
l’OVF ». Ou bien ce marqueur de cadre rétablit un cadre abandonné de
<12> à <15> ou bien il souligne la continuité en rappelant ce que le
lecteur avait peut-être oublié en route : il s’agit toujours de DR. Il nous
paraît intéressant de considérer que l’absence de guillemets est
génératrice de ce flottement qui, par ailleurs, permet au discours
journalistique de se donner comme DR objectif et de faire oublier le sur-
énonciateur qui organise la distribution de paroles et la gradation de sa
position. La différence entre les énoncés <18> et <19> est très
intéressante. Les deux DR sont attribués, mais ils contrastent au point que
<18> apparaît comme un résumé et donc le résultat d’une activité
résumante du locuteur énonciateur premier et <19> comme un énoncé
littéral de l2, lui représenté comme placé à distance.
414. Epilogue : l’exemple et l’étude de cas en analyse des discours
médiatiques
42Notre double étude de cas ne prétend pas rendre compte de la question
éthique et juridique de la responsabilité énonciative des journalistes et des
organes presse. Par des « exemples » ou des études de cas, nous ne
pouvons prétendre approcher que la responsabilité énonciative portant sur
des énoncés mis en texte. D’un point de vue juridique, l’étude de cas se
justifie dans la mesure où la responsabilité d’un journaliste ou d’un
journal ne portera jamais que sur des énoncés attestés et sur leur
formulation. Les aspects plus globaux de la responsabilité des organes de
presse dans la lecture idéologique des événements ne peuvent, quant à
eux, être abordés que de manière constrastive et dans le temps long des
faits socio-historiques. Les études texto-métriques prennent alors tout leur
sens. Les grands corpus demandent d’autres méthodes, d’autres
instruments et d’autres entrées que les micro-analyses. Comme le dit
Pierre Fiala, la répétition organisée et constitutive qui caractérise les
discours de masse rend nécessaire les approches statistiques.
43En inscrivant notre micro-analyse dans le cadre des relations co-
textuelles entre unités rédactionnelles des hyperstructures, nous nous
sommes donnés un objet d’analyse transphrastique et même transtextuel.
L’ouverture du concept de texte au péritexte et aux co-textes organisant
l’hyperstructure de presse écrite est un aspect des transformations
nécessaires des approches linguistiques du discours. En ne négligeant pas
la textualité dans ses composantes les plus matériellement micro-
signifiantes comme dans ce qui l’ouvre à la transtextualité et à la
généricité, nous dessinons les grandes directions de nos travaux et les
axes de collaboration avec d’autres disciplines du texte réunies au sein de
l’analyse de discours.
44L’importance que nous avons accordée aux hyperstructures ne doit
enfin pas cacher l’importance des rubriques (Herman & Lugrin 1999) et
de la distribution de l’information dans un organe de presse donné. La
comparaison différentielle du traitement de la même information dans
plusieurs journaux comme le traitement longitudinal d’événements
associés ou de groupes d’événements, dans la longue durée, restent pour
nous des approches complémentaires à celle présentée ici
Consulté le 15/02/2020.

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