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RÉSUMÉ ABSTRACT
Le traitement orthodontique des classes II division 1 The orthodontic treatment of severe class II divi-
sévères est souvent difficile, ce qui conduit certains sion 1 malocclusions is often difficult, which leads some
confrères à proposer une correction chirurgicale du sur- specialists to offer a surgical correction of the overjet.
plomb. La difficulté thérapeutique provient autant de Treatment is made complex by the value of the horizontal
l’importance du surplomb que de la « profondeur » de overlap as much as the « depth » of deep bite that is very
la supraclusion qui très souvent l’accompagne. C’est often present alongside the malocclusion. This is why we
pourquoi nous proposons un protocole de traitement are offering a treatment protocol including a FABP (Fixed
incluant une SEAF (surélévation antérieure fixée) qui per- Anterior Bite Plate) which will allow, if the patient coope-
met, si le patient coopère, de corriger l’anomalie anato- rates, to correct the anatomic anomaly while concurrently
mique tout en installant de nouveaux cycles de mastica- establishing new masticatory cycles in order to stabilise
tion susceptibles de pérenniser le résultat obtenu. C’est and preserve the results obtained. It is this systemic
cette approche systémique du traitement qui constitue approach of treatment that is the focus of this article.
le sujet de cet article.
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Article disponible sur le site https://odf.edpsciences.org ou https://doi.org/10.1051/odf/2018005
Traitement orthodontique à visée fonctionnelle ou approche systémique du traitement des classes II/1 sévères : un dispositif adapté, la SEAF
J.-L. Raymond
MOTS-CLÉS KEYWORDS
Classes II squelettiques, cinématique mandibulaire, Skeletal class II malocclusions, mandibular move-
plan occlusal, plan rétro-incisif ments, occlusal plane, incisal bite plane
Idéalement, les classes II/1 sévères devraient être a lignement esthétique des dents – pour un beau
corrigées en denture temporaire ou mixte7, car la sourire – en ignorant souvent la mastication9 et son
normalisation précoce des rapports d’arcades favo- influence morphogénétique3-6,10,12,14,16.
rise un développement et une croissance faciale L’orthodontie systémique place donc au cœur de son
harmonieuse. Malheureusement, pour diverses projet thérapeutique la réhabilitation de la masti-
raisons (dépistage, appareils inadaptés ou peu cation dont le rôle architectural est, à nos yeux,
portés, refus du traitement ou de coopération des essentiel12,14. L’alignement des dents n’est pas consi-
patients ou de leurs parents, etc.), il est relativement déré comme une fin en soi mais comme un moyen
fréquent qu’elles ne le soient pas, ce qui conduit le au service de la réhabilitation de la mastication
clinicien à se confronter à ces classes II/1 sévères à qui constitue l’objectif fondamental du traitement
l’adolescence autrement dit à l’âge orthodontique. puisqu’il conditionne sa pérennité.
La difficulté majeure du traitement orthodontique est Les moyens thérapeutiques employés peuvent être
de réduire complètement le surplomb et la supraclu- de tout type et adaptés à la malocclusion, dès lors
sion, indépendamment de l’étiopathogénie de la qu’ils permettent d’atteindre l’objectif fonctionnel fixé
dysmorphose7,15 afin de créer les conditions anato- et, entre autres, les appareils multi-attaches conven-
miques favorables à l’installation d’une mastication tionnels pourront être souvent utilisés en association
physiologique dont l’aspect des cycles est suscep- avec des auxiliaires spécifiques.
tible de pérenniser le résultat14. Ce dernier point
constitue l’originalité de l’approche systémique du
traitement que nous proposons. L’établissement de
rapports d’arcades anatomiquement normaux n’est APPROCHE SYSTÉMIQUE
pas suffisant s’ils n’installent pas, concomitamment, DE LA CLASSE II/1 SÉVÈRE
un guide antérieur fonctionnel c’est-à-dire adapté
à un nouveau schéma fonctionnel masticatoire dont Description morphologique
dépend la stabilité de la correction. C’est ce thème des classes II sévères
que se propose de développer cet article.
Concernant la description complète des diverses
dysmorphoses que regroupe le terme de classe II/1,
DÉFINITION DE L’ORTHODONTIE nous renvoyons à des articles plus complets2,7,15.
SYSTÉMIQUE Nous décrivons ici simplement l’aspect des relations
occlusales pour lesquelles le protocole thérapeutique
L’orthodontie systémique se distingue de l’ortho- proposé dans cet article a donné satisfaction.
dontie « contemporaine » en ce qu’elle prend en
compte le système masticateur dans sa globalité La classe II/1 est, le plus souvent, une anomalie sque-
(d’où son nom), autrement dit elle considère les liens lettique de type rétrognathie mandibulaire mais
qui unissent morphologie des arcades et mastica- peut aussi être parfois de type protrusion maxillaire.
tion. Nous appelons « orthodontie contemporaine » Malocclusion relativement fréquente, elle peut consti-
une orthodontie qui privilégie essentiellement un tuer un vrai défi thérapeutique pour l’orthodontiste.
C’est probablement la raison pour laquelle certains acte habituel de l’examen clinique surtout si on a une
confrères n’hésitent pas aujourd’hui à recourir plus approche systémique de l’orthodontie. Pour nous,
fréquemment à la chirurgie d’avancée mandibulaire. l’aspect de la cinématique mandibulaire caractérise
Or, il est parfois possible de corriger plus simplement autant la dysmorphose de classe II/1 que les anoma-
les classes II/1 sévères par un traitement orthodon- lies alvéolo-dentaires. D’ailleurs, le changement de
tique selon une approche systémique, c’est-à-dire cinématique mandibulaire fait partie des objectifs de
en changeant l’orientation du plan occlusal et la traitement au même titre que les corrections anato-
cinématique mandibulaire qui en découle. miques dont la mastication physiologique constitue
Dans les classes II/1, l’importance du surplomb carac- l’aboutissement fonctionnel.
térise la sévérité de la malocclusion. Bien qu’il puisse L’exploration des mouvements de latéralité mandi-
être d’origines diverses, ce surplomb incisif constitue, bulaires correctement exécutés montre une cinéma-
avec la supraclusion associée, l’obstacle occlusal tique presque exclusivement frontale c’est-à-dire
majeur à une correction pérenne, indépendamment sans composante propulsive. Elle montre une trajec-
de la nature même de la dysmorphose. toire des incisives inférieures à distance du bloc incisif
Ce surplomb (ou over jet) est habituellement supé- supérieur.
rieur à 7-8 mm et peut atteindre 15 à 16 mm. Le déca- Quant aux canines inférieures, leur versant mésial s’ar-
lage entre les deux arcades est le fruit du décalage ticule avec le versant distal des canines supérieures.
squelettique mais aussi, pour partie, des anomalies Dans un très grand nombre de cas, cette cinématique
alvéolaires consécutives aux troubles fonctionnels est symétrique, à droite et à gauche, et sa compo-
qui accompagnent ces dysmorphoses (déglutition sante verticale est relativement faible de sorte qu’on
atypique, interposition linguale et/ou labiale, etc.). observe fort peu d’abaissement de la mandibule lors
Ces anomalies alvéolaires sont, le plus souvent, de de l’exploration des mouvements de diduction.
type proalvéolie incisive supérieure associée soit à Orientation du plan occlusal
une proalvéolie des incisives inférieures – possible-
ment en lien avec une pression linguale anormale – Cette cinématique mandibulaire fréquemment
ou, au contraire, à une version linguale des incisives observée dans les classes II/1 sévères est essentielle-
inférieures en lien avec une pression de la lèvre ment due à l’orientation spatiale du plan occlusal qui
inférieure. présente une orientation anormale, caractéristique
de ce type de malocclusions, à savoir divergent en
Corollaire du décalage squelettique entre les deux avant avec le plan de Camper (fig. 1).
arcades, une forte supraclusion accompagne souvent
le fort surplomb de la classe II/1 sévère. Elle est la
conséquence de l’absence de contacts – en OIM
comme en fonction – entre les incisives supérieures et
inférieures. Si elle est souvent consécutive à un excès
vertical des incisives supérieures, il est des cas où les
incisives inférieures sont, elles aussi, responsables de
la supraclusion.
D’emblée, précisons que, dans la plupart des cas, auxiliaire appelé la SEAF (surélévation antérieure
l’orientation du plan d’occlusion n’est pas identi- fixée, décrite plus avant) en conjonction avec l’utili-
fiable sur les téléradiographies de profil à cause de sation d’élastiques de classe II. Nous reviendrons sur
sa faible inclinaison ; faible en degrés mais forte quant les modalités d’utilisation et sur le fonctionnement
à ses effets sur l’articulation des arcades et sur leur du dispositif lors de sa description. La correction
développement. – et même l’hypercorrection – de la supraclusion
Par ailleurs, répétons-le : la représentation linéaire du est un préalable incontournable à l’obtention d’un
plan occlusal en céphalométrie ne reflète en rien sa changement de mastication (cinématique mandibu-
« réalité occlusale » – en forme de ruban vrillé – ce laire) qui s’obtient, lui, avec la réorientation du plan
qui constitue une vraie source de confusion. Bref, la occlusal.
céphalométrie n’est pas l’outil adapté pour mesurer
l’orientation du plan occlusal ! Correction de l’orientation du plan occlusal
Faute de ne pouvoir visualiser et mesurer l’incli-
naison du plan occlusal, il nous reste la ressource, Comme écrit plus haut, la correction de l’orientation
certes parfois délicate, d’apprécier l’influence de son du plan occlusal est nécessaire à la stabilité à long
orientation spatiale sur la cinématique mandibulaire. terme de la correction morphologique.
Cette remarque s’applique également à d’autres
malocclusions telles que les classes III par exemple13. En effet, il est inutile de changer la forme des arcades
Ainsi donc, pour les classes II division 1 sévères, on et de corriger le surplomb si, dans le même temps,
observera une cinématique frontale dépourvue de on n’installe pas un fonctionnement adapté à cette
composante propulsive, conséquence de la diver- nouvelle morphologie autrement dit si on ne réha-
gence du plan d’occlusion avec le plan de Camper. bilite pas la mastication physiologique, unilatérale
alternée3,7,12,14. On peut résumer cet objectif par un
Mais, pourquoi attacher autant d’importance à la ciné- aphorisme un peu trivial : la mastication doit travailler
matique mandibulaire de ces malocclusions ? Parce pour nous !
que, de façon générale, la cinématique est le reflet
des rapports tridimensionnels des arcades et que ces La modification de la cinématique mandibulaire est
rapports doivent logiquement changer avec le trai- la conséquence des changements anatomiques tridi-
tement orthodontique. Plus précisément, il devrait mensionnels et, tout particulièrement, du change-
conduire à une nouvelle cinématique qui implique les ment d’orientation du plan occlusal. Sa réorientation
incisives si on veut augmenter les chances de stabilité transforme l’aspect des cycles masticatoires. C’est
de la correction à long terme. ainsi que la cinématique mandibulaire post-théra-
peutique qui en est le reflet, devrait comporter une
composante propulsive (physiologique) qui concerne
Objectif du traitement systémique les blocs incisifs.
de la classe II/1 sévère
Concrètement, cela se caractérise par des entrées et
La réduction complète du surplomb et l’acquisition des sorties de cycles mettant en rapport le versant
concomitante d’une cinématique mandibulaire qui distal de la canine inférieure avec le bord mésial de
reflète une fonction masticatrice physiologique sont, la canine supérieure. Quant aux incisives inférieures,
à nos yeux, les conditions nécessaires et suffisantes à elles viennent en bout à bout avec l’incisive latérale
une correction stable à long terme de la plupart des supérieure lorsque les canines sont, elles-mêmes, en
classes II/1 sévères de l’adolescent. bout à bout. Cette réhabilitation fonctionnelle du
guide antérieur constitue un gage de stabilité de la
Correction du surplomb et de la supraclusion correction orthodontique car elle empêche la réci-
La correction de la supraclusion et du surplomb se dive de la supraclusion et, avec elle, la récidive du
font de manière simultanée grâce à l’utilisation d’un surplomb et de la classe II.
DISPOSITIFS UTILISÉS
POUR LE TRAITEMENT
SYSTÉMIQUE DE LA CLASSE II/1
SÉVÈRE
Appareil multi-attaches
Les moyens employés importent moins que la Figure 2a : SEAF.
compréhension des objectifs à atteindre. Ils sont
modifiables dès lors qu’ils remplissent le « cahier
des charges ». Malgré tout, nous nous bornerons ici
à décrire les outils que nous employons et que nous
connaissons relativement bien, à savoir le matériel
de la technique Tip Edge© (mais avec un protocole
différent de celui proposé par R. Parkhouse11) :
–– attaches Tip-Edge Plus© (faible friction) ;
–– doubles tubes molaires : tube occlusal (.022 × .028)
et tube gingival (.036) ;
–– fil rond en acier australien .016.
D’autres attaches peuvent être utilisées dès lors Figure 2b : SEAF sur moulage.
qu’elles répondent aux critères mécaniques recher-
chés, en particulier celui d’une faible friction.
rences comme c’est le cas lorsque l’arcade inférieure on façonne l’arc .016 acier de telle façon que les
est « pointue ». canines inférieures soient déplacées latéralement
Par conséquent, chaque fois que cela est possible, le vers leur position fonctionnelle c’est-à-dire celle
protocole habituel de traitement débute : qui permet de réaliser des entrées et des sorties de
cycles masticatoires correctes. Ce repositionnement
1. par la mise en forme de l’arcade inférieure grâce des canines inférieures (éventuellement par des
à l’appareil multi-attaches placé d’abord à l’arcade offsets par exemple) entraîne presque automatique-
inférieure (et non à l’arcade supérieure) ; ment l’alignement du bloc incisif inférieur dans une
2. après un « alignement et nivellement » prélimi- pseudo-ligne droite d’où le qualificatif de « forme
naire, on procède, à l’aide d’un fil d’acier australien carrée », terme excessif mais didactique imaginé par
.016’’, à sa mise en forme « carrée ». Pour ce faire, P. Planas.
a b
Figure 5 : Olivia T., le 03/01/05, à l’âge de 14 ans : vues de face (a) et de profil (b) avant le traitement. Le traitement a débuté
le 18/04/05 et s’est terminé le 23/08/06, soit une durée exceptionnellement courte de 16 mois.
a b c
Figure 6 : Vues endo-buccales, avant traitement, en OIM côté droit (a), de face (b), et côté gauche (c).
Figure 7 : Radiographie panoramique avant traitement. Figure 8 : Téléradiographie de profil montrant la classe II/1
par rétrognathie mandibulaire (SNB 77°, Wits : 5 mm)
sur un schéma squelettique fortement hypodivergent
(FMA : 8°). On note aussi une importante proalvéolie incisive
supérieure (I/F : 132°). Le surplomb est de 11 mm.
a b c
Figure 9 : Vues endo-buccales avant traitement en OIM (a) et lors des mouvements de latéralité mandibulaire à droite (b)
et gauche (c) montrant une cinématique frontale sans composante propulsive.
Figure 10 : Un mois après le début traitement (16/05/05), mise en place de la SEAF et des tractions élastiques inter-arcades
de classe II. Les arcs, supérieur et inférieur, sont en acier australien .016.
a b
Figure 12 : À la même date, vues endo-buccales des mouvements de latéralité mandibulaires à droite (a) et à gauche (b)
montrant une cinématique correcte avec une composante propulsive physiologique.
a b c
Figure 13 : Le 15 février 2017, soit 10 ans et sept mois après le traitement, vue de face (a), du sourire (b) et de profil (c).
Figure 14 : Téléradiographie de profil plus de 10 ans après le traitement montrant la correction squelettique et dentaire
(SNA : 81°, SNB : 78°, Wits : 3 mm, I/F : 108°, i/m : 101°).
a b c
Figure 15 : Le 15/02/17, soit 10 ans et sept mois après le traitement, vues endo-buccales en OIM
côté droit (a), de face (b), et côté gauche (c).
a b
Figure 16 : Le 15/02/17, vues endo-buccales lors des mouvements de latéralité mandibulaires à droite (a) et à gauche (b)
montrant une cinématique correcte en adéquation avec la correction morphologique qui explique la stabilité de la correction.
Cas de Chloé P.
Née le : 29/12/03
Début du traitement : 17/06/14 à l’âge de 10 ans et demi – Fin du traitement : 18/07/16 – Durée : 26 mois.
a b
Figure 17 : Vue de face (a) et de profil (b) avant traitement.
Figure 19 : Téléradiographie de profil montrant la rétrognathie mandibulaire (SNB : 72°, Wits 4,5 mm),
une légère pro-version incisive supérieure (I/F : 114°), incisives inférieures (i/m : 87°) et le surplomb de 10 mm
sur un schéma normodivergent (FMA : 24°).
a b c
d
Figure 20 : Le 15/7/14, soit un mois après le début du traitement, vues endo-buccales montrant, en vue occlusale (d)
la SEAF en place et les tractions élastiques légères inter-arcades de classe II (a, c), et en OIM de face (b).
a b
Figure 21 : Le 18/01/17, soit six mois après le traitement, vue de face (a) et de profil (b).
a b c
Figure 22 : Vues endo-buccales six mois après le traitement, en OIM côté droit (a), de face (b), et côté gauche (c)
montrant la correction de l’occlusion.
Figure 23 : Téléradiographie de profil le 17/05/17, soit 10 mois après le traitement montrant la correction squelettique
(SNA : 78°, SNB : 76°, Wits : 0 mm). Les incisives supérieures ont le même axe (I/F : 113°) alors que les incisives inférieures
se sont légèrement versées (i/m : 96°).