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c EDP Sciences, SFODF, 2014 www.orthodfr.org
DOI: 10.1051/orthodfr/2014001
Article original
KEYWORDS: ABSTRACT – Orthognathic surgery in adults: state of the art. The objective of
Orthognathic Surgery / orthognathic surgery is the repositioning of the osseous bases of the jaws. Its con-
Aesthetics of the smile / sequences are both aesthetic and functional. As adults are increasingly concerned
Adult / with appearance, orthognathic surgery is today, more than ever, a close collabora-
Review tion between the orthodontist, surgeon and general dentist. The whole team must
be capable of coordinating its approach with an aesthetic objective. For the surgeon,
a perfect knowledge of complementary techniques (rhinoplasty, bone grafts, plastic
surgery of the face, lipostructure or fillers) makes orthognathic surgery a completely
separate surgical speciality. The aim of this article is to establish the philosophy un-
derlying this type of treatment and define relevant fundamental aspects. We propose
an esthetic “extra-oral” clinical approach not focused on occlusal anomalies but on
classification of tooth positional abnormalities in the smile and the therapeutic options
that we have for placing teeth in correct positions in the smile.
Cette chirurgie morpho-fonctionnelle de la face de planifier ces interventions correctrices avec préci-
s’est considérablement développée ces vingt der- sion et de les exécuter avec rigueur.
nières années, en particulier chez l’adulte, du fait Le concept de beauté est central dans toutes les
de l’amélioration sensible des techniques orthodon- cultures humaines et l’apparence physique a tou-
tiques, du matériel d’ostéosynthèse chirurgical, de jours joué un rôle significatif dans le développe-
la systématisation des techniques chirurgicales et ment de l’estime de soi, dans l’établissement des re-
d’anesthésie, mais aussi de la meilleure intégration lations interpersonnelles et même dans la qualité de
du protocole multidisciplinaire entre les différents la vie. En conséquence, la compétence du chirur-
protagonistes que sont en particulier l’orthodontiste, gien orthognathique ne doit en aucun cas se limiter
le chirurgien et le rééducateur fonctionnel. Voilà à l’approche occlusale ou stomatologique, mais doit
pourquoi ce type de prise en charge qui, il y a en- intégrer la chirurgie cosmétique du visage, tant par la
core quelques années, faisait peur aux praticiens et connaissance des techniques chirurgicales des bases
aux patients, est devenu une pratique quotidienne osseuses, que par celles des tissus mous du visage.
en orthopédie dento-faciale. Le chirurgien orthognathique est avant tout un chi-
L’objectif de cet article n’est pas de donner une rurgien de la face dont la philosophie est d’associer
approche exhaustive des protocoles orthodontico- la chirurgie des mâchoires à la chirurgie plastique et
chirurgicaux, mais de jeter les bases et la philosophie reconstructrice de la face.
de ces traitements, qui sont avant tout un travail Analyse verticale : dans le plan frontal, les étages
commun et dont la réussite dépend de la bonne moyen et inférieur de la face forment l’ensemble
collaboration au sein de l’équipe multidisciplinaire. maxillo-mandibulaire composé respectivement des
Nous proposons une approche clinique chirurgicale deux os maxillaires et de l’os mandibulaire. Selon la
esthétique « extra-orale », centrée non pas sur les conception artistique, la face est divisée en trois tiers
anomalies occlusales, mais sur les anomalies de posi- de même hauteur, dont les limites cutanées respec-
tion des dents dans le sourire et les options thérapeu- tives sont la zone antérieure d’insertion des cheveux,
tiques à notre disposition pour recentrer les dents le bord supérieur des sourcils, le point sous-nasal et
dans le sourire. le point sous-mental. Le champ d’action du chirur-
Nous verrons dans un premier temps les ob- gien orthognathique est avant tout l’étage inférieur
jectifs thérapeutiques des protocoles orthodontico- de la face. Cet étage inférieur est lui même divisé en
chirurgicaux, nous préciserons ensuite le bilan trois tiers de même hauteur : le premier tiers va du
nécessaire à la réalisation du protocole, nous envi- bord libre de la columelle à la ligne intercommissu-
sagerons les différentes indications en fonction des rale de la lèvre ; les deux autres tiers vont de la ligne
anomalies de position des dents dans le sourire. intercommissurale au bord libre du menton (Fig. 1).
Pour finir, nous discuterons sur le fait que cette Analyse sagittale : dans le plan sagittal, le déséqui-
chirurgie implique une approche hautement indivi- libre du profil est souvent corrélé au déséquilibre
duelle fondée sur l’analyse clinique et esthétique de de la face. Les considérations esthétiques du visage
chaque patient. Cela nous conduira à proposer des de profil font qu’un visage harmonieux doit être
cas cliniques pour lesquels nous avons pris quelques projeté. Les normes esthétiques actuelles cherchent
libertés quant aux notions fondamentales de contact avant tout la projection des tiers moyen et infé-
bilabial au repos et de normalisation du plan d’oc- rieur du visage, synonyme de jeunesse. En effet, d’un
clusion maxillaire. point de vue esthétique, « tout ce qui recule vieillit,
tout ce qui avance rajeunit ». Pourquoi une personne
2. Généralités âgée a-t-elle l’air âgée ? Parce que l’atrophie grais-
Le terme de chirurgie orthognathique vient du seuse malaire et la ptose cutanée jugale réduit la pro-
grec ortho (droit) et gnathos (mâchoire). Le dévelop- jection de l’étage moyen, mais aussi parce que l’éden-
pement de cette chirurgie récente, dont l’essor date tation conduit à l’absence de soutien labial et à la
de ces trente dernières années et qui est devenue une birétrusion.
spécialité en soi, n’a été rendu possible que grâce au Il existe donc le plus souvent une corréla-
concours de l’orthopédie dento-faciale [1]. La colla- tion entre l’approche esthétique du visage de face
boration du chirurgien et de l’orthodontiste permet et de profil, le visage normodivergent transfacial
Charrier J.-B. Données actuelles en chirurgie orthognathique de l’adulte 33
Figure 1
Classification des anomalies de positions des dents dans le sourire. En jaune, le premier tiers qui va du bord libre de la columelle
à la ligne intercommissurale de la lèvre et en bleu, les deux autres tiers qui vont de la ligne intercommissurale au bord libre du
menton.
(de profil), avec contact bilabial au repos (de face) sur les dents, au risque de les mobiliser progressive-
étant celui qui correspond le plus aux normes esthé- ment. De plus, le contact bilabial spontané confère
tiques contemporaines. au visage un aspect détendu et reposé allant dans le
Outre l’établissement d’une occlusion fonction- sens de l’amélioration esthétique du visage.
nelle et pérenne, l’objectif esthétique du chirurgien L’interposition linguale inter-incisives est capable
orthognathique tend à aller vers la rééquilibration à elle seule de mobiliser progressivement, parfois sur
verticale de ces sous-unités avec une préoccupation plusieurs décennies, les dents et les bases osseuses
majeure pour l’obtention d’un contact entre les lèvres des mâchoires ; elle doit être impérativement contrô-
au repos, garant de la stabilité du traitement, du fait lée d’un point de vue occlusal (correction en su-
de la contention de la sangle musculaire labiale et de praclusion post-opératoire) et fonctionnel (prise de
la possibilité d’une ventilation nasale si la bouche est conscience et contrôle de sa langue pour tout le reste
fermée au repos. En l’absence de contact bilabial, la de sa vie avec l’aide initiale du rééducateur), sous
loi du moindre effort conduit à une ventilation buc- peine d’être confronté à une récidive, même si elle se
cale au repos et laisse la langue exprimer sa poussée fait à un moindre degré.
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Le bon contact et la mise en place d’une relation le plan vertical la divergence faciale, éléments indis-
de confiance entre le patient et les différents prati- pensables à la mise en place du plan de traitement.
ciens de l’équipe orthodontico-chirurgicale sont un La téléradiographie cranio-faciale de face est ré-
élément clé du bon déroulement du traitement. servée à l’étude des asymétries.
La radiographie panoramique dentaire permet le
3.2.3. Évaluation de l’esthétique faciale dépistage rapide des caries, des foyers infectieux et
L’évaluation de l’esthétique faciale se fait dans le des inclusions dentaires. Elle ne remplace pas l’em-
plan frontal et sagittal. Le patient est maintenant in- ploi du bilan rétroalvéolaire. Les extractions de dents
formé que le protocole orthodontico-chirurgical mo- de sagesse mandibulaires sur l’arcade doivent au
difiera son visage en allant presque toujours dans mieux précéder de six mois une ostéotomie man-
le sens d’une harmonisation de son équilibre facial, dibulaire de façon à ce que la cavité d’extraction
c’est-à-dire en améliorant son visage de face et de (qui correspond à la zone de consolidation osseuse
profil. Il faut en particulier évaluer les trois étages de l’ostéotomie) puisse se combler avant la chirur-
de la face (front, tiers médian et menton) en esti- gie mandibulaire. Les germes peuvent être enlevés de
mant leur déséquilibre respectif dans le plan frontal façon concomitante à l’ostéotomie mandibulaire. La
et sagittal et les éventuelles asymétries dans le plan remise en état bucco-dentaire avec détartrage systé-
frontal. matique précède le traitement orthodontique. Il faut
Les points importants dans l’évaluation esthé- extraire les dents trop délabrées, faire un traitement
tique du patient sont : conservateur, endodontique et parodontal si besoin.
L’essor du cone beam en imagerie maxillo-
– Le contact bilabial au repos et la distance éven- mandibulaire, le développement des logiciels de
tuelle qui sépare les deux lèvres sur un visage reconstruction tridimensionnelle et de simulation
parfaitement détendu. En absence de contact bi- opératoire conduiront probablement à la disparition
labial au repos, la fermeture forcée de la bouche de l’utilisation de téléradiographies conventionnelles
entraîne une contraction des muscles du menton par les chirurgiens.
conférant au visage un aspect crispé.
– L’existence ou non d’un sourire gingival que l’on 3.2.5. Évaluation de l’occlusion
peut considérer comme dysharmonieux lorsqu’il Elle se fait dans les trois plans de l’espace, antéro-
est excessif. postérieur, transversal et vertical. Elle constitue un
– La présence ou non d’une asymétrie des milieux élément fondamental dans la mise en place du plan
interdentaires maxillaire, mandibulaire et la posi- de traitement. La recherche d’une position maxillo-
tion du menton. mandibulaire stable et de référence est nécessaire au
Le bilan initial comporte aussi la réalisation de pho- diagnostic de l’anomalie dento-maxillo-faciale. Dans
tographies standardisées du visage de face, de trois les asymétries, il faut être attentif à détecter les oc-
quarts, de profil droit et gauche et de vues occlusales clusions de convenance ou de fonction, à l’origine
endobuccales. de fausses latérognathies mandibulaires.
Il faut informer les patients avant le début du trai-
3.2.4. Bilan radiographique tement que la décompensation orthodontique et la
coordination des arcades, dans la phase orthodon-
Il comprend une téléradiographie cranio-faciale
tique préparatoire à la chirurgie, tendent souvent à
de profil, une radiographie panoramique dentaire et
majorer l’anomalie occlusale, tout du moins dans le
un bilan long cône rétro-alvéolaire.
sens antéro-postérieur et donc à entraîner chez le pa-
La téléradiographie cranio-faciale de profil per- tient un sentiment d’échec du traitement qui peut
met l’étude des bases osseuses dans le plan antéro- parfois le décourager.
postérieur et vertical. Il existe de nombreuses mé-
L’équilibration occlusale, si elle doit avoir lieu
thodes d’analyse céphalométrique, dont celle de
(en particulier en cas de couronnes mal adaptées),
Downs, Steinert, Ballard, Sassouni, Ricketts ou
sera faite en fin de traitement, après dépose du ma-
Delaire. Ces analyses permettent de préciser, dans
tériel orthodontique. La mise en place d’implants
le plan antéropostérieur, les anomalies des bases os-
en cas d’édentation est aussi programmée en fin de
seuses maxillaires et mandibulaires, et d’étudier dans
traitement.
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un aspect plus vieux que son âge. Il peut s’agir une apparence fermée voir hostile. Un geste sur
de patients ayant bénéficié d’extractions préa- le menton avec abaissement et greffe osseuse est
lables de prémolaires pour éviter la chirurgie, souvent associé au geste mandibulaire.
mais qui ne sont pas satisfaits du résultat. Si un
Dans les cas d’anomalies combinées d’insuffisance
abaissement maxillaire est envisagé, l’utilisation
ou d’excès de l’étage supérieur et inférieur, nous
de greffes osseuses est indispensable, sous peine
sommes alors amenés à pratiquer un geste sur le
de s’exposer à une instabilité et à une récidive.
maxillaire et la mandibule.
– Encombrement : qui donne au sourire un aspect
désordonné. La disjonction-distraction chirurgi-
cale médio-palatine, éventuellement associée aux 4. Techniques chirurgicales
corticotomies, peut alors permettre d’éviter des Les principales techniques d’ostéotomies utili-
extractions. sées comprennent les ostéotomies segmentaires et
– Latéro-maxillie ou asymétrie maxillaire : qui peut complètes sur le plateau maxillaire et la mandi-
résulter d’agénésies ou de pertes dentaires uni- bule, mais aussi la technique plus récente des cor-
latérales (le terme de latéro-maxillie, volontiers ticotomies unitaires interdentaires. Toutes ces inter-
utilisé par les chirurgiens n’existe pas dans la ventions, sauf les corticotomies, sont réalisées sous
nomenclature des dysmorphies, contrairement à anesthésie générale avec intubation nasotrachéale.
la mandibule ; il correspond aux asymétries de Les voies d’abord sont toujours intrabuccales, il n’y
l’arcade maxillaire avec décalage de la ligne du a aucune cicatrice visible. Le choix de la technique
milieu maxillaire par rapport au plan sagittal utilisée dépend du plan de traitement préalablement
médian du visage). établi, mais peut cependant être modifié en cours de
Contrairement au décalage du milieu mandibu- traitement orthodontique suivant l’évolution de l’oc-
laire, le décalage de la ligne du milieu maxil- clusion et la croissance résiduelle.
laire est souvent dysharmonieux. Si un traitement
orthognathique est envisagé, il n’est pas néces-
4.1. Ostéotomies mandibulaires
saire de chercher à résoudre orthodontiquement
ce décalage. 4.1.1. Ostéotomie sagittale transramale
– Obliquité du plan d’occlusion maxillaire : cette d’Epker
anomalie de position des dents dans le sourire est
Initialement décrite par Dalpont et Obwegeser,
particulièrement dysharmonieuse. Elle peut ré-
l’ostéotomie sagittale transramale mandibulaire a été
sulter d’une interposition linguale. Les ankyloses
modifiée par Epker qui a proposé un trait de cor-
associées sont fréquentes. L’ensemble de ces cri-
ticotomie interne du ramus mandibulaire plus bas
tères doivent être pris en charge sous peine de
que ses prédécesseurs, en regard de l’épine de Spix
s’exposer à une instabilité et à une récidive.
au point de pénétration du nerf mandibulaire [3, 5].
C’est l’intervention la plus souvent pratiquée sur la
3.3.2. Dysharmonie de l’étage inférieur mandibule. Son objectif est de séparer l’arcade den-
taire et le corpus mandibulaire des deux ramus, tout
La prise en charge de ces anomalies nécessite im-
en respectant le cheminement intraosseux du nerf
pérativement la réalisation d’un geste chirurgical sur
alvéolaire inférieur. Les voies d’abord sont vestibu-
la mandibule et/ou le menton.
laires inférieures au niveau du trigone rétromolaire.
– Latéro-mandibulie : un décalage du milieu man- Le trait de section osseuse en baïonnette permet de
dibulaire se trouve alors associé à une latéro- séparer la portion dentée et la corticale mandibu-
génie. Ce type d’anomalie du sourire relève d’une laire interne du ramus d’avec le condyle qui reste
ostéotomie mandibulaire uni ou bilatérale selon solidaire de la corticale externe du ramus, de l’angle
l’importance du décalage, parfois associée à un et de la partie postérieure du corpus mandibulaire.
geste sur le menton. Elle permet de corriger les anomalies du sens ver-
– Sillon labio-mentonnier trop marqué : très sou- tical, antéro-postérieur et les asymétries modérées.
vent associé à une brièveté de l’étage inférieur La portion dentée mandibulaire peut être avancée,
et une classe II division 2. Cela confère au visage reculée, abaissée, recentrée. Le risque spécifique de
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d’ostéotomie nécessite une collaboration étroite avec est lié à la dévascularisation du secteur prémolo-
l’orthodontiste avec dépose ou section de l’arc ortho- molaire. Ses indications se sont restreintes compte-
dontique. Ses indications se sont restreintes compte tenu de l’amélioration des techniques orthodon-
tenu de l’amélioration des techniques orthodon- tiques et des avantages que procurent les mini-vis
tiques. Le risque spécifique est l’anesthésie du sec- orthodontiques, les plaques d’ancrage osseux et les
teur incisivo-canin et le traumatisme des apex den- corticotomies.
taires lors de la diminution de hauteur pour un Köle
d’ingression. Cette ostéotomie peut techniquement 4.2.3. Ostéotomie segmentaire de Wassmund
être réalisée avec une mentoplastie concomitante,
mais limite alors considérablement les possibilités de Cette ostéotomie segmentaire maxillaire permet
mobilisation du menton. le recul du secteur incisivo-canin avec extraction
concomitante de 14 et 24. Des mouvements de ver-
4.2. Ostéotomies maxillaires sion coronolinguale ou vestibulaire peuvent aussi
être réalisés seuls ou en association avec le mouve-
4.2.1. Ostéotomie de Le Fort 1 ment de recul. La voie d’abord est vestibulaire par
C’est l’intervention la plus souvent pratiquée sur deux incisions verticales en regard du collet de 14
le maxillaire. Son objectif est de séparer la face de et 24 afin de permettre un bon jour sur les ori-
l’ensemble formé par le plateau palatin et l’arcade fices piriformes ; et palatine, par tunnelisation de
dentaire supérieure. La voie d’abord est rétrolabiale la fibromuqueuse à la jonction maxillaire et pré-
vestibulaire supérieure sur le versant labial de la lèvre maxillaire. La section osseuse est de réalisation dé-
supérieure, en forme d’aile d’oiseau pour permettre licate, compte tenu du faible jour de la voie d’abord.
la réalisation d’une plastie en V-Y au moment de la Ce type d’ostéotomie nécessite une collaboration
fermeture. Le trait de section osseux est situé plus étroite avec l’orthodontiste avec dépose ou section
ou moins haut en fonction de la position que l’on de l’arc orthodontique. L’utilisation d’une gouttière
souhaite donner lors de la mobilisation du plateau de contention préparée avec un set-up permet une
maxillaire qui peut être avancé, impacté, abaissé, re- contention appropriée en complément de l’ostéosyn-
culé ou recentré (en cas de rotation). Le risque spéci- thèse par plaques vissées. Les indications de l’ostéo-
fique de l’intervention est la lésion du pédicule pala- tomie de Wassmund se sont restreintes compte-tenu
tin avec anesthésie séquellaire du palais et des dents de l’amélioration des techniques orthodontiques. Le
maxillaires. risque spécifique est l’anesthésie fréquente du sec-
Chez l’adulte et dans certains cas d’insuffisance teur incisivo-canin.
de la dimension transversale du maxillaire, il peut
être nécessaire de réaliser une disjonction-distraction 4.3. Corticotomies
chirurgicale préalable, dont l’objectif est d’obtenir
une expansion transversale du maxillaire à l’aide Il s’agit d’une technique chirurgicale récente qui
d’un dispositif d’expansion (disjoncteur scellé sur les consiste à faire des sections osseuses unicorticales in-
molaires ou distracteur palatin). Ce type de prise en terdentaires [2, 6, 7]. Dans tous les cas, l’os médul-
charge nécessite un temps chirurgical identique à ce- laire est respecté, afin de ne pas léser le ligament et le
lui de l’ostéotomie de Le Fort 1, mais sans abaisse- pédicule vasculaire dentaire. L’utilisation de cortico-
ment du plateau maxillaire. tomies sur l’os alvéolaire des mâchoires permet des
mobilisations dentaires plus faciles avec des forces
plus douces. Elles sont réalisées en début de trai-
4.2.2. Ostéotomie segmentaire de Schuchardt
tement orthodontique vestibulaire, lingual ou avec
Cette ostéotomie permet la mobilisation bilaté- des gouttières invisibles et peuvent être faites en
rale des secteurs prémolo-molaires essentiellement même temps que l’extraction des dents de sagesse
dans un but d’ingression pour corriger les béances ou d’une disjonction chirurgicale. Les corticotomies
antérieures. Des mouvements de version corono- en technique mini-invasive connaissent actuellement
linguale ou vestibulaire peuvent aussi être réalisés un important essor. Ces dernières sont réalisées
seuls ou en association avec le mouvement d’in- sous anesthésie locale avec des suites opératoires
gression. Le risque spécifique de cette intervention particulièrement simples. Dans notre expérience,
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les corticotomies permettent une diminution de moi- 5.2. Injection de graisse centrifugée et produit
tié de la durée du traitement. de comblement
L’injection de graisse centrifugée, ou lipostruc-
4.4. Suites opératoires ture, initialement décrite par Coleman, peut être uti-
La chirurgie orthognathique moderne est très lisée à visée esthétique, en particulier pour augmen-
bien tolérée et nécessite 1 à 2 jours d’hospitalisation ter la projection zygomatique. Elle est faite à distance
en dehors des corticotomies mini-invasives qui sont de l’ostéotomie et peut être réalisée en même temps
réalisées sous anesthésie locale. Les suites opératoires que la rhinoplastie. D’autres produits de comble-
sont le plus souvent peu douloureuses (des antal- ment synthétiques comme l’acide hyaluronique ou
giques de niveau 1 suffisent) et sont marquées par un l’acide-L-polylactique peuvent aussi être utilisés. Ces
œdème facial d’importance variable, maximal à 72 h produits de comblement synthétiques, tout comme
et qui régresse en une dizaine de jours. Le plus sou- les fils suspenseurs résorbables et la toxine botulique
vent, les patients n’ont pas de blocage intermaxillaire peuvent être utilisés dans un but cosmétique avec
ou seulement avec des élastiques lâches. L’hygiène des résultats probants. Leur durée d’action est limi-
buccale post-opératoire est importante, l’hydropul- tée dans le temps et leur résorption est complète.
seur est un bon complément à la brosse à dents La toxine botulique est aussi utilisée dans le cadre
chirurgicale dès le lendemain de l’intervention. L’ali- de la prise en charge esthétique du remodelage des
mentation doit être liquide pendant une semaine, angles mandibulaires à des fins esthétiques pour les
puis pâteuse pendant les dix jours qui suivent. L’ali- visages carrés, lorsqu’il existe une hypertrophie mas-
mentation normale est reprise 4 à 6 semaines après séterine associée. La demande est particulièrement
l’intervention. forte dans les populations asiatiques ou dans le cadre
des féminisations du visage.
Figure 2
◦
Patient N 1, vues photographiques de face, de profil et de trois quart, avant traitement (colonnes 1 et 3), après ostéotomie
bimaxillaire et mentoplastie (colonnes 2 et 4).
ostéotomie bimaxillaire et mentoplastie, vues exo- orthodontico-chirurgical (Dr Solé, Savigny Sur
buccales (Fig. 2). Orge), avec ostéotomie bimaxillaire avec mentoplas-
Patiente N◦ 2 : Sourire gingival. Excès verti- tie, et greffes osseuses autologues. Vues exobuccales
cal antérieur avec classe II. Protocole orthodontico- (Fig. 8) et endobuccales avec reconstruction scanner
chirurgical (Dr Poitel, Saint Doulchard), avec ostéo- tridimensionnelle préopératoire (Fig. 9).
tomie bimaxillaire et mentoplastie, vues exobuccales Patiente N◦ 6 : Incompétence labiale au repos et
(Fig. 3) et endobuccales (Fig. 4). rétrogénie. Classe 1 dentaire et squelettique. Proto-
Patiente N◦ 3 : Sourire insuffisant. Proto- cole chirurgical exclusif, avec mentoplastie et rhino-
cole orthodontico-chirurgical (Dr Solé, Savigny Sur plastie, vues exobuccales (Fig. 10).
Orge), ostéotomie bimaxillaire avec mentoplastie et
greffes osseuses autologues maxillaires et géniennes. Patient N◦ 7 : Classe III dentaire et squelet-
Vues exobuccales (Fig. 5) et endobuccales (Fig. 6). tique avec latéro-maxillie. Protocole orthodontico-
Patiente N◦ 4 : Sourire insuffisant. Protocole chirurgical (Dr Kerner, Paris), avec ostéotomie
orthodontico-chirurgical (Dr Dunglas, Paris), avan- bimaxillaire et mentoplastie. Vues exobuccales
cée mandibulaire avec mentoplastie, greffes osseuses (Fig. 11).
autologues géniennes et remodelage des angles man- Patient N◦ 8 : Latéro-mandibulie. Classe III
dibulaires. Vues exobuccales (Fig. 7). dentaire et squelettique. Protocole orthodontico-
Patiente N◦ 5 : Asymétrie maxillo-mandibulaire chirurgical (Dr Balastre, Chartres), avec ostéotomie
séquellaire d’une hypercondylie à l’adolescence mandibulaire. Vues exobuccales (Fig. 12) et endo-
avec disclusion molaire unilatérale. Protocole buccales (Fig. 13).
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Figure 3
Patiente N◦ 2, vues photographiques de face, de profil et de trois quart, avant traitement (colonnes 1 et 3), après ostéotomie
bimaxillaire et mentoplastie (colonnes 2 et 4).
Figure 4
◦
Patiente N 2, photographies intrabuccales avant traitement (ligne supérieure) et après traitement (ligne inférieure).
Charrier J.-B. Données actuelles en chirurgie orthognathique de l’adulte 43
Figure 5
Patiente N◦ 3, vues photographiques de face, de profil et de trois quart, avant traitement (colonnes 1 et 3), après ostéotomie
bimaxillaire avec mentoplastie et greffes osseuses autologues maxillaires et géniennes (colonnes 2 et 4).
Figure 6
Patiente N◦ 3, photographies intrabuccales avant traitement (ligne supérieure) et après traitement (ligne inférieure).
Figure 7
Patiente N◦ 4, vues photographiques de face, de profil et de trois quart, avant traitement (colonnes 1 et 3), après avancée
mandibulaire avec mentoplastie, greffes osseuses autologues géniennes et remodelage des angles mandibulaires (colonnes 2
et 4).
des dysmorphoses modérées, l’échec d’un traitement des os de la face et des tissus mous, en particulier
interceptif conduit bien souvent à la reprise d’un le nez, dont la structure cartilagineuse est en appui
traitement orthodontico-chirurgical conventionnel sur le maxillaire. À titre d’exemple, pour une même
en fin de croissance. Là encore, la collaboration entre avancée maxillaire, les conséquences sur le nez se-
l’orthodontiste et le chirurgien trouve tout son sens ront très différentes sur un visage caucasien et un
et permet parfois d’éviter à certains enfants un trai- visage négroïde. La pointe du nez de ce dernier est
tement orthodontique prolongé. essentiellement cutanée et le soutien cartilagineux
De façon schématique, on peut retenir que la chi- par la cloison et les cartilages latéraux inférieurs mo-
rurgie en cours de croissance doit être évitée chez les deste. La conséquence d’une avancée maxillaire est
patients présentant un excès de croissance (classe III donc souvent un élargissement des ailes du nez et
squelettique), mais peut être envisagée si la consé- une chute de la pointe avec fermeture de l’angle
quence du geste chirurgical pendant la croissance naso-labial, ce qui est esthétiquement très défavo-
est en faveur d’un résultat favorable au long cours rable. Il faut donc en cas de classe III dentaire et
dans certains cas de croissance insuffisante (classe II squelettique sur faciès négroïde avec décalage sque-
squelettique). lettique modéré, préférer un recul mandibulaire à
une avancée maxillaire. Sur un faciès caucasien à
6.2. Chirurgie orthognathique et esthétique faciale l’inverse, la rigidité des cartilages latéraux inférieurs
Dans la chirurgie orthognathique moderne, les et le soutien de la cloison auront tendance à pro-
considérations esthétiques sont au même plan que jeter la pointe du nez et ouvrir l’angle naso-labial
les considérations occlusales. Le plan de traitement lors d’une avancée maxillaire, avec un résultat es-
ne s’établit plus en fonction de la seule occlusion, thétique positif, si l’avancée n’est pas trop impor-
mais fait appel à une connaissance de l’anatomie tante. C’est pour cette raison qu’en cas de prognathie
Charrier J.-B. Données actuelles en chirurgie orthognathique de l’adulte 45
Figure 8
Patiente N◦ 5, vues photographiques de face et de trois quart, avant traitement (colonnes 1 et 3), après avec ostéotomie bimaxil-
laire avec mentoplastie, et greffes osseuses autologues (colonnes 2 et 4).
Figure 9
Patiente N◦ 5, photographies intrabuccales avant traitement (ligne supérieure) et après traitement (ligne inférieure), avec recons-
truction scanner tridimensionnelle préopératoire (image du haut).
46 Orthod Fr 2014;85:31–49
Figure 10
◦
Patiente N 6, vues photographiques de face, de profil et de trois quart, avant traitement (colonnes 1 et 3) et après mentoplastie
et rhinoplastie (colonnes 2 et 4).
Figure 11
Patient N◦ 7, vues photographiques de face, de profil et de trois quart, avant traitement (colonnes 1 et 3), après ostéotomie
bimaxillaire et mentoplastie (colonnes 2 et 4).
Charrier J.-B. Données actuelles en chirurgie orthognathique de l’adulte 47
Figure 12
Patient N◦ 8, vues photographiques de face, de profil et de trois quart, avant traitement (colonnes 1 et 3), après avec ostéotomie
mandibulaire (colonnes 2 et 4).
Figure 13
Patient N◦ 8, photographies intrabuccales avant traitement (ligne supérieure) et après traitement (ligne inférieure).
sévère, il faut préférer une ostéotomie bimaxillaire Nous prendrons comme exemple une autre
avec petite avancée maxillaire associée à un petit re- circonstance selon laquelle les considérations esthé-
cul mandibulaire, plutôt qu’une importante avancée tiques peuvent prendre le pas sur les considérations
maxillaire. fonctionnelles : il s’agit du sourire insuffisant. Nous
Cette chirurgie implique une approche haute- pensons que les malocclusions antéro-postérieures,
ment individuelle fondée sur l’analyse clinique et es- qu’elles soient de classe II ou de classe III sans
thétique de chaque patient. béance, n’auront pas ou peu tendance à récidiver
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du fait d’anomalies de posture linguale si la crois- contraction des muscles carrés du menton en l’ab-
sance est terminée. Chez ces patients, la sangle sence de contact bilabial au repos donne au visage
musculaire labiale et massétérine est souvent hyper- un aspect contracté, générateur de mal être pour le
tonique. Il peut être licite de privilégier l’améliora- patient, dont l’apparence fermée de son visage inter-
tion esthétique du visage, même si cela doit se faire fère avec sa communication sociale et ne correspond
aux détriments du contact bilabial au repos et peut pas toujours à son état d’esprit.
constituer un facteur supplémentaire de stabilité. Il C’est là que se trouve tout l’intérêt de la mento-
peut donc être possible dans certains cas précis et ju- plastie, dont l’indication idéale est en lien avec une
dicieusement sélectionnés, de laisser une disclusion incompétence labiale sans trouble de l’articulé den-
labiale au terme de la prise en charge orthodontico- taire ou malocclusion associée.
chirurgicale. En effet, l’autre écueil de la chirurgie du men-
ton est de vouloir corriger une anomalie des bases
6.3. Mentoplastie et rhinoplastie osseuses maxillo-mandibulaires par un simple geste
sur le menton qui ne règlera en rien le problème
La chirurgie du menton dans le cadre d’une ap-
des mâchoires. Les anomalies de forme ou de vo-
proche de profiloplastie s’inscrit dans le double ob-
lume du menton coexistent fréquemment avec les
jectif esthétique : d’améliorer l’harmonie du visage
dysmorphoses maxillo-mandibulaires. Leur correc-
du patient, et fonctionnel : de permettre un contact
tion est souvent effectuée dans le même temps que
bilabial spontané au repos.
la chirurgie des bases osseuses et permet de com-
Dans certains cas, les anomalies de profil et de
pléter l’harmonisation de la morphologie de la face
contact bilabial ne sont pas associées à une anoma-
et d’améliorer le résultat esthétique et fonctionnel.
lie de position des bases osseuses. Il n’est alors pas
Les dysmorphoses de la région mentonnière peuvent
nécessaire de réaliser de traitement orthodontico-
exister dans les trois plans : sagittal, vertical et trans-
chirurgical et la mentoplastie trouve tout son inté-
versal et leur correction nécessite des ostéotomies
rêt, en association avec une éventuelle rhinoplastie
adaptées à chacune de ces situations.
(cf. patiente N◦ 6).
En cas de réalisation conjointe d’une rhino-
D’un point de vue fonctionnel, l’absence de
plastie et d’une mentoplastie, il est alors néces-
contact bilabial spontané au repos conduit à une
saire de procéder en deux étapes : intubation naso-
ventilation buccale par défaut. En effet, la loi du
trachéale pour réalisation de la mentoplastie, avec
moindre effort fait qu’il est plus facile de respirer par
possibilité d’évaluation du contact bilabial au repos ;
un « gros trou béant », la bouche, qui ne présente
puis intubation oro-trachéale pour réalisation de la
pas d’obstacle mécanique, que par « deux petits trous
rhinoplastie.
compliqués », les fosses nasales, qui présentent de
Une des complications de la mentoplastie est la
nombreuses résistances au passage aérien. La ventila-
survenue d’un hématome du plancher avec glos-
tion nasale réchauffe, humidifie et purifie l’air inhalé.
soptose et obstruction pharyngée. Dans le cas
La ventilation buccale ne présente pas ces avantages,
d’une rhinoplastie et d’une mentoplastie conjointe,
et reste une ventilation associée physiologiquement
il nous semble important d’effectuer une hémostase
à l’effort physique.
soigneuse des muscles du plancher à la coagulation
En l’absence de ventilation nasale régulière, la
bipolaire, et d’éviter tout méchage obstructif après
trophicité de la muqueuse nasale se modifie, en-
rhinoplastie. Les résultats de ce type de prise en
traînant une obstruction nasale fonctionnelle qui
charge conjointe sont souvent très bénéfiques et gé-
n’est pas forcément due à un obstacle anatomique.
nérateurs d’une grande satisfaction pour les patients.
Ainsi, certains praticiens vont s’acharner à tenter
de reperméabiliser les fosses nasales (septoplastie,
turbinoplastie, turbinectomie...) sans résultat aucun, 6.4. Perspectives
dans la mesure où la bouche reste spontanément ou- L’analyse céphalométrique tridimensionnelle fait
verte et assure donc la ventilation par défaut. actuellement l’objet de nombreuses études. Elle
De plus, le contact bilabial spontané confère au nécessite l’utilisation de logiciels à partir d’ac-
visage un aspect détendu et reposé allant dans le sens quisitions scanner ou cone beam, à travers des
de l’amélioration esthétique du visage, alors que la reconstructions tridimensionnelles des éléments
Charrier J.-B. Données actuelles en chirurgie orthognathique de l’adulte 49