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démunis. Jamais les droits de l’homme n’ont été plus revendiqués et formellement
reconnus qu’à notre époque. Les conventions, traités ou déclarations internationaux
sur ces droits ont proliféré. Outre la Déclaration universelle des droits de l’homme et
les deux Pactes de l’ONU concernant les droits civils, politiques, économiques,
sociaux et culturels, on peut citer, entre autres, la Convention sur la répression et la
prévention du crime de génocide, les Conventions internationales sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination, la Convention contre la torture, la
Convention relative aux droits de l’enfant, sans oublier les textes émanant des
différentes organisations régionales [1].
Pourtant, force est de constater que ces textes n’ont en rien permis d’assurer 2
l’effectivité des droits de l’homme. Alors même que ces droits sont désormais placés
en tête du discours et des revendications politiques, à l’échelle de la planète ils
restent largement inappliqués et s’avèrent inadaptés aux situations nécessitant leur
mise en œuvre. C’est donc le concept même de droits de l’homme qui se trouve
aujourd’hui confronté à une crise.
La perte d’universalité des droits de l’homme, qu’on n’invoque guère plus qu’à propos 5
des catégories humaines rejetées hors des Etats, a entamé la notion même d’humain
et participé à la fabrication d’une nouvelle catégorie humaine, dépourvue de tout
droit politique ou civil. Ces exclus et ces sans-droits ne méritent désormais plus que
charité de la part de la communauté.
La crise qui affecte le concept de droits de l’homme a connu plusieurs étapes au cours 6
du siècle. Elle s’est notamment cristallisée dans la figure du réfugié, qui n’a cessé de
prendre une place de plus en plus importante, la très forte augmentation dans le
monde du nombre des individus rejetés dans cette catégorie étant un des
phénomènes marquants du XXe siècle. Cet afflux massif de réfugiés, chassés ou
fuyant leur pays d’origine, a profondément déstabilisé les Etats et a été le premier
révélateur de l’inadaptation des droits de l’homme. L’apparition de la figure du
réfugié a non seulement marqué l’entrée en crise des droits de l’homme mais
constitue encore aujourd’hui le symbole le plus éclatant de leur échec.
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Ce qui est révélé ici est un mouvement parallèle de dissolution du citoyen dans le 8
national. En effet, « la citoyenneté a été absorbée (et par là dénaturée) par la
nationalité, elle-même sous l’entière maîtrise de l’Etat souverain [4] ». C’est la nation,
composée de l’ensemble des individus formant le peuple et transformés en citoyens,
qui détient la souveraineté qui se réalise dans l’Etat. L’article 3 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1789 attribue ainsi la souveraineté à la Nation en
énonçant que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la
Nation ». La Constitution française actuelle ne dit pas autre chose en son article 3 qui
proclame que « la souveraineté nationale appartient au peuple ». Ainsi dans les Etats
modernes c’est la nation et l’appartenance au peuple qui la constitue qui prévalent.
La souveraineté « ne concerne […] que les nationaux qui sont aujourd’hui les seuls
citoyens [5] ». L’universalité des droits de l’homme est ainsi perdue dans cette
dissolution de la notion de citoyen dans celle de national qui exclut des droits
politiques les étrangers. « Le citoyen se définit d’abord par opposition à l’étranger, et
la citoyenneté apparaît à cet égard comme un sous-ensemble de la nationalité [6] ».
Le cas du réfugié, privé de droits car n’étant pas national d’un Etat, illustre donc 9
effectivement la crise des droits de l’homme. Figure par essence de l’être humain
puisqu’il se présente dépouillé de la protection d’un Etat, qu’il a perdu ses droits de
citoyen, il aurait dû incarner les droits de l’homme, en être la figure même. Or en
réalité cet homme se retrouve dépourvu de droits. Les droits de l’homme ont ainsi
dans un premier temps été annihilés par les droits du citoyen, eux-mêmes dissous
dans les droits nationaux, avant de s’en détacher pour former une catégorie
autonome et insuffisante invoquée seulement pour s’appliquer aux individus rejetés
« aux marges des Etats-nations [7] ».
Ce que les camps nazis ont également expérimenté, c’est une perte totale des droits, 11
qui va jusqu’à la possibilité même de lutter pour eux. La perte des droits de l’homme
ne signifie pas simplement pour un individu une perte de liberté comme lors de la
perte de ses droits de citoyen, par exemple dans le cas d’un prisonnier dont le droit à
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la liberté est pour un temps suspendu. La perte des droits de l’homme empêche, Ajouter
comme l’a montré Hannah Arendt, « jusqu’à la possibilité de lutter pour la liberté [8] ».
Dans un camp de concentration cette lutte pour la liberté s’avère impossible. C’est
donc l’abolition totale de tout droit humain qui a été réalisée par le système
concentrationnaire, entérinant non seulement la séparation des droits de l’homme et
des droits du citoyen mais aussi l’inexistence de droits pourtant proclamés comme «
inaliénables ». Les sans-droits se retrouvent ainsi privés de toute appartenance à une
communauté. Pour Arendt « quelque chose de bien plus fondamental que la liberté et
la justice, qui sont des droits du citoyen, est en jeu lorsque appartenir à la
communauté dans laquelle on est né ne va plus de soi [9] ». Les individus qui se
retrouvent privés des droits de l’homme perdent en réalité leur « droit d’agir », leur «
droit d’avoir des droits », de lutter pour ces droits.
Une fois atteintes cette scission définitive entre droits du citoyen et droits de 12
l’homme et la dérive de ces derniers vers les catégories de plus en plus nombreuses
des exclus de la communauté, une nouvelle domination des droits de l’homme par
une autre catégorie de droits s’est mise en place. Mais le nivellement a, cette fois, eu
lieu par le bas, puisque c’est le droit humanitaire qui a désormais assis son ascendant
sur les droits de l’homme.
Ainsi les droits élémentaires de l’homme ne sont pas garantis par les droits de 15
l’homme mais par le droit humanitaire, qui a progressivement englobé les droits de
l’homme. Il ne s’agit pourtant pas de la rencontre de ces deux branches du droit
humain visant à former un bloc solide qui puisse assurer une base de droits humains
intangibles en toutes circonstances, mais bien de la dissolution de l’idée de droits de
l’homme dans celle d’une protection qui ne serait plus qu’humanitaire, vidée de l’idée
de droits politiques et civils mais entendue comme droits minima à la survie et à la
charité [12].
Enfin, il faut souligner que l’organisation même du système international, basée sur 17
les souverainetés étatiques et le contrat, non seulement a rendu les droits de
l’homme inopérants mais encore a généré la séparation droits de l’homme/droits du
citoyen.
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La création de la Cour Pénale Internationale révèle ce fonctionnement et en montre 19
les limites. La Cour n’a pas été instituée par une décision du Conseil de sécurité, ce
qui l’aurait rendue contraignante pour tous les membres de l’ONU. C’est une fois de
plus la méthode du libre choix des Etats qui a été préférée afin de ménager les
souverainetés. La compétence de la CPI se voit ainsi réduite aux Etats ayant reconnu
la Cour et n’accorde pas de voie d’accès aux individus. La réaction des Etats-Unis à
l’égard de la CPI est un exemple frappant du problème de la contractualité du droit
international. Refusant d’adhérer au statut de la Cour, les Américains ont multiplié
les accords bilatéraux d’immunité avec les autres Etats pour que leurs ressortissants
échappent à sa juridiction, et ce même avec certains des Etats parties à la CPI. De
plus, ils pourront aussi bloquer la saisine de la Cour sur initiative du Conseil de
sécurité, en leur qualité de membre permanent disposant d’un droit de veto.
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La notion de droits de l’homme a ainsi connu au cours du siècle une importante 22
évolution, aboutissant à l’impasse où elle est aujourd’hui enfermée. On s’aperçoit que
l’idée de droits de l’homme s’écroule quand l’homme n’est pas citoyen. Cette scission
est en fait perceptible dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Après avoir énoncé en son article premier que tous les hommes « naissent et
demeurent libres et égaux », la Déclaration assigne pour tâche aux droits du citoyen
dès son article suivant de conserver les droits de l’homme [17] : « le but de toute
association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de
l’homme ». La Déclaration postule une continuité linéaire entre l’homme et le
citoyen, usant pour cela de la loi, expression de la volonté générale, pour affirmer les
droits naturels de l’homme. Ces droits naturels de l’homme ne se trouvent donc
assurés que par leur transformation en droits du citoyen. Les droits de l’homme, qui
ne tiennent ainsi qu’un rôle éthique et non juridique [18], sont donc dès l’origine
réduits à ceux du citoyen. Et même si « la plupart des Constituants […] ont la
conviction, à la fois profonde et immédiate, que la loi garantira le droit comme le
citoyen sauvegardera l’homme [19] », force est de constater que les droits du citoyen
ont absorbé les droits de l’homme, avant que ne se produise un détachement de ces
derniers pour former un bloc autonome et surtout insuffisant. Les droits de l’homme,
qui se heurtent désormais à l’extension du droit humanitaire, ne sont plus invoqués
que dans l’unique but de protéger les catégories spécifiques de population exclues de
la communauté. Ils délimitent ainsi une nouvelle catégorie humaine. Leur
universalité et leur inaliénabilité se sont effondrées et, entre nation et compassion,
droits du citoyen et droit humanitaire, les droits de l’homme fluctuent sans jamais
parvenir à saisir l’humain dans son intégralité.
Notes
[1] Tous ces textes, et beaucoup d’autres, sont consultables sur le site des Nations
Unies : http://www.unhchr.ch/french/html/intlinst_fr.htm.
[2] Hannah Arendt, « Le déclin de l’Etat-nation et la fin des droits de l’homme », in Les
Origines du totalitarisme, Quarto, Gallimard, Paris, 2002, pp. 561-607.
[7] Giorgio Agamben, Homo sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue, Paris, Le Seuil, 1997,
p. 144.
[8] Hannah Arendt, « Le déclin de l’Etat-nation et la fin des droits de l’homme », op. cit.,
p.Suivre
600. Ajouter
[9] Ibid., p. 599.
[10] Hans Peter Gasser, Le Droit international humanitaire, Genève, Institut Henry
Dunant, 1993, p. 17.
[19] Stéphane Rials, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Paris, Pluriel, 1988, p.
398.
Auteur
Raphaëlle Nollez-Goldbach
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