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Conduite à tenir au laboratoire


devant une hyperlymphocytose
K. Maloum, C. Settegrana

Une hyperlymphocytose sanguine est définie par un taux de lymphocytes supérieur à 4 G/l chez l’adulte
et jusqu’à plus de 11 G/l chez l’enfant selon l’âge. Les hyperlymphocytoses sont des anomalies fréquem-
ment rencontrées sur un hémogramme tant chez les adultes que chez les enfants. Une hyperlymphocytose
peut accompagner des maladies bénignes souvent infectieuses ou révéler des pathologies malignes, les
syndromes lymphoprolifératifs chroniques. La démarche au laboratoire devant une hyperlymphocytose
consiste en un examen attentif de l’ensemble du frottis sanguin puis une interprétation globale inté-
grant l’aspect cytologique, l’âge et les signes cliniques du patient, les éventuelles anomalies associées de
l’hémogramme et enfin le caractère chronique ou aigu de l’hyperlymphocytose.
© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots-clés : Hyperlymphocytose ; Lymphome ; Lymphocytose réactionnelle ; Hémogramme

Plan la valeur absolue des lymphocytes doit être interprétée. La leu-


cocytose peut être augmentée ou normale notamment en cas
■ Introduction 1 de neutropénie associée. Une hyperlymphocytose peut accompa-
gner de nombreuses maladies bénignes et notamment infectieuses
■ Aspects morphologiques normaux 1 comme au cours du syndrome mononucléosique mais également
Petits lymphocytes 1 permettre le diagnostic de syndromes lymphoprolifératifs chro-
Grands lymphocytes 2 niques (SLPC).
Grands lymphocytes granuleux (« large granular lymphocytes » Il est également possible de diagnostiquer des SLPC par la pré-
[LGL]) 2 sence de cellules lymphoïdes anormales dans le sang n’atteignant
■ Démarche diagnostique devant une hyperlymphocytose 2 pas le seuil de 4 G/l. Il peut s’agir de frottis examinés du fait de
Âge 3 cytopénies, d’alarmes de l’automate ou d’un contexte clinique
Syndrome tumoral 3 connu ou suspect d’hémopathie justifiant le contrôle microsco-
Reste de l’hémogramme 3 pique du frottis.
Contexte infectieux 3 Dans tous les cas, outre l’importance de l’examen microsco-
Antécédents de maladies hématologiques 3 pique du frottis sanguin, le dialogue avec le clinicien est un
Caractère chronique de la lymphocytose 3 temps indispensable de la démarche du biologiste pour déter-
■ Hyperlymphocytoses réactionnelles 3 miner les examens complémentaires à envisager et évaluer le
Syndrome mononucléosique 3 degré d’urgence de l’éventuelle prise en charge hématologique du
Coqueluche 4 patient.
Maladie de Carl-Smith 4 L’objectif de cet article n’est pas de revoir en détail les différentes
Lymphocytose à LGL 5 pathologies mais de décrire la démarche diagnostique, d’examiner
Lymphocytose B polyclonale persistante du fumeur 5 les aspects cytologiques les plus caractéristiques et de préciser les

examens biologiques complémentaires dans chaque situation.
Hyperlymphocytoses malignes : syndromes lymphoprolifératifs
leucémisés 5
Syndromes lymphoprolifératifs de la lignée B 6
Syndromes lymphoprolifératifs de la lignée T 8  Aspects morphologiques
■ Conclusion 9
normaux
Petits lymphocytes (Fig. 1)
 Introduction Ce sont des cellules de petite taille (7 à 9 ␮m) à rapport
nucléocytoplasmique élevé et noyau régulier, arrondi, ovalaire ou
Une hyperlymphocytose sanguine est définie par un taux de réniforme, souvent excentré dans la cellule. La chromatine est
lymphocytes supérieur à 4 G/l ou 4000/mm3 chez l’adulte et à dense et mottée et apparaît violet foncé sur les frottis colorés au
des taux variables pouvant atteindre 11 G/l chez l’enfant. Seule May-Grunwald-Giemsa. Le cytoplasme est faiblement basophile

EMC - Biologie médicale 1


Volume 8 > n◦ 2 > juin 2013
http://dx.doi.org/10.1016/S2211-9698(12)57630-2
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Figure 1. Petit lymphocyte. Figure 3. Grand lymphocyte à grains.

Figure 2. Grand lymphocyte.

Figure 4. Petit lymphoblaste.


à contour régulier. Il s’agit de cellules quiescentes au repos. Il
n’est pas possible de distinguer cytologiquement les petits lym-
phocytes T et B.
lymphocytes matures et non de lymphoblastes signant alors une
probable leucémie aiguë. Les lymphoblastes se caractérisent par
Grands lymphocytes (Fig. 2) une chromatine relativement fine, non condensée, très homo-
Ce sont des cellules de taille moyenne à grande (9 à 15 ␮m) à gène, parfois nucléolée. On distingue les petits (Fig. 4) et les
rapport nucléocytoplasmique relativement faible, noyau arrondi, grands lymphoblastes (Fig. 5). Une suspicion de leucémie aiguë
ovalaire ou parfois irrégulier. Ces cellules, activées, ont un cyto- est une urgence qui doit conduire à l’hospitalisation rapide
plasme plus abondant et de basophilie variable. du patient (adulte ou enfant) dans un service d’hématologie
spécialisée.
Cette situation étant exclue, le biologiste se retrouve devant
Grands lymphocytes granuleux (« large une hyperlymphocytose mature et doit s’orienter vers une
granular lymphocytes » [LGL]) (Fig. 3) situation réactionnelle ou maligne. La description de la popu-
lation nécessite un examen attentif du frottis sanguin au
C’est une catégorie minoritaire de lymphocytes. Il s’agit de la microscope à plusieurs grossissements. Il faut commencer par
seule catégorie de lymphocytes dont on connaît la signification caractériser l’aspect général de la population lymphoïde : est-
fonctionnelle : ce sont des lymphocytes cytotoxiques T ou natural elle monomorphe ou pléomorphe ? Ensuite pour chaque cellule,
killer (NK). Les LGL sont des grands lymphocytes contenant dans il est nécessaire d’apprécier successivement le rapport nucléo-
leur cytoplasme plusieurs granulations azurophiles. cytoplasmique, l’aspect du noyau et de la chromatine en
relevant sa densité et l’éventuelle présence de nucléoles, et
l’aspect du cytoplasme : basophilie, régularité, granulations,
 Démarche diagnostique etc.
Il faut ensuite intégrer l’aspect cytologique au contexte clinique
devant une hyperlymphocytose et biologique. Aucun de ces critères ne permet seul d’orienter le
diagnostic mais chacun contribue à la décision finale d’évoquer
Avant de commencer la démarche diagnostique, il est impéra- un contexte réactionnel ou malin et d’orienter ainsi les examens
tif de s’assurer qu’il s’agit bien d’une lymphocytose constituée de complémentaires.

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Tableau 1.
Principales étiologies des hyperlymphocytoses.
Lymphocytoses réactionnelles Lymphocytoses malignes
Syndromes mononucléosiques SLPC-B
Infections virales : EBV, CMV, VIH, HSV, Leucémie lymphoïde
hépatites, rubéole, rougeole, etc. chronique
Parasitoses : toxoplasmose, paludisme Leucémie
prolymphocytaire B
Médicaments Leucémie à
tricholeucocytes
Infections bactériennes : brucellose Lymphome à cellules du
manteau leucémisé
Lymphocytoses réactionnelles monomorphes Lymphome folliculaire
leucémisé
Coqueluche Lymphome de la zone
marginale leucémisé
Tuberculose
Coxsackie
Figure 5. Grands lymphoblastes (trois grands lymphoblastes à gauche Lymphocytoses réactionnelles chroniques SLPC-T
à comparer à deux lymphocytes matures à droite).
Maladies auto-immunes Leucémie
prolymphocytaire T
Splénectomie, hyposplénisme Leucémie à LGL
Endocrinopathies Leucémie/Lymphome T de
Âge l’adulte lié à l’HTLV-1
Chez l’enfant, les lymphocytoses matures sont réactionnelles Lymphocytose polyclonale à Syndrome de Sézary
et accompagnent essentiellement des processus infectieux. Chez lymphocytes binucléés
l’adulte, les lymphocytoses peuvent témoigner de processus réac- Lymphocytoses de stress
tionnels ou lymphomateux. Plus le patient est âgé plus la
Infarctus
probabilité que la lymphocytose révèle un syndrome lymphopro-
lifératif chronique augmente. Chirurgie
Épilepsie
Traumatisme
Syndrome tumoral
EBV : virus d’Epstein-Barr ; CMV : cytomégalovirus ; VIH : virus de
Un syndrome tumoral peut être retrouvé en situation réac- l’immunodéficience humaine ; HSV : herpes simplex virus ; SLPC : syndromes
tionnelle ou maligne et n’est pas un élément formellement lymphoprolifératifs chroniques ; LGL : grands lymphocytes granuleux ; HTLV-1 :
virus T-lymphotropique humain.
discriminant. Cependant, il est intéressant de le confronter à
l’examen du frottis notamment lorsque l’on suspecte une hémo-
pathie où la splénomégalie est fréquente comme la leucémie à
prolymphocytes, la leucémie à tricholeucocytes (LT) ou les phases En cas de difficulté de diagnostic d’emblée, il est recommandé
leucémiques de lymphomes de la zone marginale splénique. de renouveler une numération trois mois plus tard afin d’évaluer
l’évolution de la lymphocytose. La persistance d’une lymphocy-
tose plus de trois mois chez un adulte, sans contexte particulier
Reste de l’hémogramme sous-jacent, nécessite une consultation en hématologie.

La présence de cytopénie est à prendre en compte. Cependant,


à nouveau, ce critère ne distingue pas les situations réactionnelles
et malignes. Des cytopénies, notamment des thrombopénies et
neutropénies, sont fréquentes dans les contextes infectieux. En
cas de splénomégalie, une part des cytopénies peut également être
 Hyperlymphocytoses
liée à une séquestration splénique. réactionnelles
Syndrome mononucléosique
Contexte infectieux
Il s’agit d’une hyperlymphocytose caractérisée par son grand
Il peut s’agir dune fièvre d’apparition récente, d’une angine, polymorphisme cellulaire. La lymphocytose sanguine est consti-
d’une toux, etc. tuée de lymphocytes de taille, de basophilie et de régularité
nucléaire variables. La présence de grands lymphocytes à noyau
irrégulier et cytoplasme hyperbasophile est caractéristique du syn-
Antécédents de maladies hématologiques drome mononucléosique. Des petits lymphocytes en apoptose
caractérisés par une chromatine très dense, pycnotique, accom-
Les patients connus pour une hémopathie lymphoïde chro-
pagnent fréquemment les cellules hyperbasophiles (Fig. 6). Un
nique doivent faire l’objet d’un examen systématique du frottis
syndrome mononucléosique peut s’accompagner d’une plasmo-
qui peut parfois permettre de révéler une rechute ou une transfor-
cytose sanguine notamment en cas de d’hépatites virales ou
mation de façon précoce.
de rubéole. Le diagnostic de syndrome mononucléosique est
purement cytologique, d’où l’importance du laboratoire dans
Caractère chronique de la lymphocytose ce diagnostic. Le biologiste doit être particulièrement vigilant
à bien distinguer ces cellules lymphoïdes activées de cellules
Une lymphocytose chronique et notamment chez un sujet âgé blastiques.
de plus de 50 ans correspond souvent à un SLPC. Cependant, il La recherche étiologique est orientée par la présentation cli-
existe quelques situations réactionnelles où la lymphocytose est nique et les étiologies les plus fréquentes sont reprises dans le
chronique comme en cas de splénectomie. Tableau 1.

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Figure 6. Syndrome mononucléosique.


A. Petit lymphocyte et lymphocyte de taille moyenne, basophile.
B. Petit lymphocyte à différenciation lymphoplasmocytaire, à gauche, et grand lymphocyte hyperbasophile, à droite.
C, D. Grands lymphocytes hyperbasophiles et à noyau irrégulier.
E. Petit lymphocyte en apoptose.
F. Monocyte à distinguer des grands lymphocytes hyperbasophiles irréguliers.

Coqueluche Maladie de Carl-Smith


Il peut exister une hyperlymphocytose, parfois élevée (> 40 G/l), Il s’agit d’une entité rare retrouvée en pédiatrie et aussi appelée
au cours de la coqueluche. Il s’agit alors d’une hyperlymphocy- lymphocytose aiguë infectieuse. La maladie de Carl-Smith suit en
tose relativement monomorphe constituée de petits lymphocytes général un épisode infectieux de type pseudogrippal ou gastro-
matures, ayant parfois un noyau encoché (Fig. 7) [3] . intestinal et l’agent infectieux en cause n’est pas identifié. La

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Figure 7. Coqueluche. Figure 8. Lymphocytose B polyclonale à lymphocytes binucléés (A, B).


A. Hyperlymphocytose constituée de petits lymphocytes matures mono-
morphes.
B. Lymphocyte à noyau encoché.
Lymphocytose B polyclonale persistante
du fumeur
lymphocytose est de degré variable jusque 50 G/l et est consti- Cette hyperlymphocytose atteint préférentiellement des
tuée de petits lymphocytes matures relativement monomorphes. femmes, d’âge médian de 40 ans avec une forte consommation
Une éosinophilie est parfois également présente. La lymphocytose tabagique. Cytologiquement, ce cas est évoqué devant une
disparaît en général en quelques semaines. lymphocytose généralement modérée, pléomorphe avec une pro-
portion variable de lymphocytes binucléés (Fig. 8). Le caractère
polyclonal de la lymphocytose est confirmé par un immunophé-
notypage lymphocytaire qui retrouve une répartition équilibrée
de lymphocytes B à chaîne légère kappa et lambda (polytypie).

Lymphocytose à LGL
Il existe de façon physiologique des LGL dans le sang nor-
mal : leur taux n’excède pas en général 15 % des lymphocytes.  Hyperlymphocytoses malignes :
Il est fréquent d’observer une lymphocytose modérée avec un
excès de LGL après une splénectomie, d’autres éléments du frot-
syndromes lymphoprolifératifs
tis concourent alors : la présence de corps de Jolly, parfois une leucémisés
thrombocytose et une monocytose.
La persistance d’un excès de LGL plus de six mois sans La conduite à tenir devant une hyperlymphocytose maligne
contexte sous-jacent nécessite une exploration en hématologie consiste en un examen cytologique du frottis sanguin complété
afin d’éliminer une éventuelle leucémie à LGL. Les leucémies à par un immunophénotypage des lymphocytes sanguins. Après
LGL sont fréquemment associées à une neutropénie sévère, d’où cette phase d’orientation, un complément d’analyse génétique
l’intérêt de regarder avec attention la population lymphoïde d’un par cytogénétique (caryotype et/ou fluorescent in situ hybridization
patient neutropénique même sans hyperlymphocytose. Le syn- [FISH]) ou biologie moléculaire (clonalité, recherche de réarran-
drome de Felty (association d’une polyarthrite rhumatoïde, d’une gements, expression de la cycline D1) peut être nécessaire. Dans
splénomégalie et d’une neutropénie) est parfois associé à une leu- les cas de lymphomes leucémisés, la confrontation à l’aspect his-
cémie à LGL, d’où également une attention particulière dans ce tologique est souvent nécessaire afin de déterminer un diagnostic
contexte. précis.

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Figure 9. Leucémie lymphoïde chronique typique. Petits lymphocytes Figure 10. Leucémie prolymphocytaire B : deux prolymphocytes et un
matures monomorphes. Chromatine dense, mottée (mottes chromati- petit lymphocyte mature. Les prolymphocytes sont de taille moyenne, à
niennes séparées par des travées blanches). chromatine dense et avec un nucléole unique très marqué.

Syndromes lymphoprolifératifs de la lignée B fois volumineux, et le plus souvent central dans la cellule. La
chromatine est dense et mottée ce qui permet d’exclure d’emblée
Leucémie lymphoïde chronique (LLC) une nature blastique à la cellule. Le cytoplasme est généralement
La LLC est la plus fréquente des hémopathies lymphoïdes chro- d’abondance moyenne et faiblement basophile (Fig. 10).
niques dans les pays occidentaux (2 à 6 cas sur 100 000 habitants Le diagnostic de LPL est cytologique et le phénotype confirme
par an ; 12,8 sur 100 000 habitants par an à 65 ans, âge moyen la nature B de la lymphoprolifération. Bien qu’il n’y ai pas de
du diagnostic). La lymphocytose est variable, de 5 à plusieurs phénotype définissant la LPL-B, il s’agit généralement d’une pro-
centaines de G/l. lifération dont le score de Matutes est faible (de 0 à 2), parfois
Cytologiquement, elle est caractérisée par la présence d’une CD5+ et souvent avec une très forte expression en surface des
hyperlymphocytose sanguine constituée dans sa forme typique de immunoglobulines.
petits lymphocytes matures, à noyau régulier, chromatine dense et
mottée, et cytoplasme peu étendu faiblement basophile. De nom- Leucémie à tricholeucocytes (LT)
breuses cellules sont altérées et réduites à l’état de noyaux nus
La LT est une hémopathie lymphoïde relativement rare qui
ou ombres cellulaires lors de la réalisation des frottis sanguins.
atteint essentiellement des sujets âgés et plus fréquemment les
Ces ombres cellulaires sont appelées « ombres de Gumprecht »
hommes que les femmes. Une splénomégalie est souvent pré-
et sont très associées à la LLC (Fig. 9). Dans une LLC de mor-
phologie typique, on peut retrouver jusqu’à 10 % de cellules sente et parfois l’objet de l’hémogramme initial. À la différence
lymphoïdes atypiques : prolymphocytes, cellules à noyau clivé ou des autres hémopathies lymphoïdes chroniques, il n’y a souvent
irrégulier, cellules de taille moyenne, nucléolées et à cytoplasme pas d’hyperlymphocytose sanguine chez les patients atteints de
étendu, basophile (para-immunoblastes), cellules à cytoplasme LT. La présence de cytopénies (neutropénie, thrombopénie et/ou
plus étendu. Au-delà de 10 % de lymphocytes de morphologie anémie) est souvent la cause de la relecture du frottis sanguin
atypique avec un fond lymphocytaire et des ombres cellulaires après le passage sur l’automate. La réalisation de la formule leuco-
permettant d’évoquer le diagnostic de LLC, il conviendra de parler cytaire au microscope retrouve la présence de tricholeucocytes,
de LLC atypique. Lorsque ces cellules atypiques sont des prolym- parfois très rares, et révèle également souvent une monocyto-
phocytes et comprises entre 10 et 55 %, on parlera de LLC mixte pénie. Ce point est important car la plupart des automates de
ou LLC/LPL. numération comptent les tricholeucocytes parmi les monocytes.
Dans tous les cas, un immunophénotypage lymphocytaire par En effet, du point de vue de leur taille et de leur structure ces
cytométrie en flux est indispensable pour affirmer le diagnostic. deux types cellulaires sont proches et confondus de ce fait pas les
La LLC est caractérisée par un score de Matutes de 4 ou 5. Selon automates.
les critères internationaux de l’International Workshop on Chro- Cytologiquement, les tricholeucocytes sont des cellules de taille
nic Lymphocytic Leukemia, le diagnostic de LLC repose sur la moyenne à grande, à cytoplasme étendu, noyau ovalaire ou
présence de 5.109 /l de lymphocytes B clonaux dans le sang circu- réniforme, excentré, chromatine de densité intermédiaire, peu
lant [1, 2] . mottée, comprenant parfois un vestige de nucléole. Le cyto-
plasme est très hétérogène, « sale » ; on distingue parfois des
inclusions granulolamellaires et il présente des expansions cyto-
Leucémie prolymphocytaire B (LPL-B)
plasmiques réparties tout autour de la périphérie et responsables
La leucémie prolymphocytaire B est beaucoup plus rare que la de leur aspect « chevelu » (Fig. 11). Ces cellules peuvent être rares
LLC et représente environ 1 % des syndromes lymphoproliféra- et doivent être recherchées avec attention lorsque le contexte
tifs [4] . Elle atteint essentiellement des sujets âgés, de 65 à 69 ans en clinique (splénomégalie) ou le reste de l’hémogramme (cytopé-
moyenne. Elle peut survenir de novo ou au cours de l’évolution nies, monocytopénie) sont compatibles avec un diagnostic de
d’une LLC. Elles sont fréquemment hyperleucocytaires (parfois LT.
plus de 100 G/l) et, cliniquement, une splénomégalie est fré- La LT est une prolifération lymphoïde B clonale exprimant les
quente. À la numération, la présence d’une anémie et/ou d’une marqueurs pan-B (CD19, CD20) et CD5–. Une chaîne légère kappa
thrombopénie est relativement fréquente et en partie liée à ou lambda est fortement exprimée. Plusieurs marqueurs, sans être
l’hypersplénisme. spécifiques, sont très évocateurs d’une LT lorsqu’ils sont coexpri-
Cytologiquement, elle est caractérisée par la présence de plus més, il s’agit du CD25, du CD103, du CD11c et du DBA44. Enfin,
de 55 % de prolymphocytes sur le frottis sanguin. Le prolympho- des études cytochimiques sont encore parfois réalisées mettant en
cyte est une cellule lymphoïde généralement de taille moyenne évidence la présence d’une activité phosphatase acide tartrique
caractérisée par la présence d’un nucléole nettement visible, par- résistante dans les tricholeucocytes.

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Figure 11. Tricholeucocyte.


Figure 13. Lymphome folliculaire (un centrocyte à gauche et un poly-
nucléaire neutrophile à droite).

Phase leucémique de lymphome folliculaire (LF)


Le LF est l’un des lymphomes les plus fréquents chez l’adulte.
Il représente 25 à 40 % des lymphomes ganglionnaires. L’âge
médian est 59 ans. Il s’agit d’une prolifération clonale de cellules B
CD5–, souvent CD10+, dont l’origine est le centre germinatif
des follicules secondaires du ganglion. Le diagnostic se fait le
plus souvent sur une histologie ganglionnaire. Une phase leu-
cémique peut être observée dans moins de 10 % des cas alors
que l’atteinte médullaire est observée dans environ 40 % des
cas.
Sur le plan cytologique, la présence d’une hyperlymphocy-
tose est exceptionnelle mais il n’est pas rare d’observer sur
un frottis sanguin quelques centrocytes caractérisés par une
taille petite à moyenne, à haut rapport nucléocytoplasmique,
à noyau encoché ou franchement clivé et à chromatine très
dense (Fig. 13). Sur le plan immunophénotypique, ces cellules
sont CD19+, CD5–, CD10+/–, BCL2+ et BCL6+. La recherche
de la t(14;18) et/ou du réarrangement IgH-Bcl2 confirmera le
Figure 12. Lymphome à cellules du manteau.
diagnostic

Phase leucémique de lymphome splénique


Phase leucémique de lymphome à cellules de la zone marginale avec ou sans lymphocytes
du manteau villeux (SMZL et SLVL)
Les lymphomes à cellules du manteau représentent 3 à 10 % Lymphome splénique avec lymphocytes villeux circulants
des lymphomes. L’âge médian est d’environ 60 ans. Il s’agit d’une (SLVL)
prolifération clonale de cellules lymphoïdes B, CD5+, CD23– Le lymphome splénique avec lymphocytes villeux circulants
dont l’origine est la zone du manteau des follicules secon- est rare, ne représentant que moins de 1 % des SLPC. Il s’observe
daires des ganglions. On observe une atteinte médullaire et chez les patients de plus de 50 ans. Il s’agit d’une prolifération
sanguine dans environ 65 % des cas. Sur le plan cytologique, lymphoïde B clonale atteignant la pulpe blanche de la rate, ce
on peut distinguer plusieurs variants morphologiques en parti- qui explique la splénomégalie avec une atteinte médullaire et
culier la variante blastoïde qu’il conviendra de ne pas confondre sanguine constante. Il n’y a quasiment jamais d’atteinte ganglion-
avec une leucémie aiguë lymphoblastique. Dans la forme clas- naire. Sur le plan biologique, on note une hyperlymphocytose,
sique, la population lymphoïde est polymorphe, tant sur la une thrombopénie modérée et/ou anémie. Dans 30 % des cas
taille que sur la forme, avec des cellules de taille variable on retrouve un pic monoclonal à l’électrophorèse des protides
à cytoplasme faiblement basophile et d’abondance moyenne, sériques.
et un noyau souvent irrégulier ou clivé (Fig. 12). Il s’agit Sur le plan morphologique, la lymphocytose sanguine est
d’un diagnostic cytologique difficile où il est particulièrement constituée de petits lymphocytes matures dont le cytoplasme est
important d’intégrer l’aspect de l’ensemble de la population faiblement basophile et présentant des petites villosités le plus
pathologique. souvent localisées à un pôle de la cellule (Fig. 14).
Le diagnostic évoqué sur la morphologie sera confirmé par
une histologie ganglionnaire et une étude génétique en FISH à Lymphome de la zone marginale splénique (SMZL)
la recherche de la t(11;14) (IgH-bcl1) ou l’hyperexpression de la Le lymphome de la zone marginale splénique est également
cycline D1 en Reverse transcription polymerase chain reaction quan- caractérisé par une atteinte splénique associée fréquemment à
titative. Ces anomalies génétiques sont présentes dans la grande une atteinte sanguine et médullaire. La lymphocytose est pléo-
majorité des cas. morphe, constituée de cellules de taille moyenne, à noyau arrondi

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Figure 16. Leucémie prolymphocytaire T.


Figure 14. Lymphome splénique à lymphocytes villeux.

Figure 17. Leucémie/lymphome T de l’adulte lié au virus T-


lymphotropique humain (HTLV-1). Un lymphocyte à gauche et une cellule
Figure 15. Lymphome splénique de la zone marginale.
lymphomateuse à noyau « en fleur » à droite.

ou réniforme, à chromatine mottée, à cytoplasme faiblement Leucémie à LGL


basophile parfois très clair et étendu (évoquant des œufs sur le Les leucémies à LGL sont caractérisées par une infiltration san-
plat), de petits lymphocytes à noyau rond rarement encoché ou guine et médullaire par des lymphocytes à grains. Elles doivent
bilobé et de cellules lymphoplasmocytaires (Fig. 15). Le phéno- être suspectées devant la présence d’une neutropénie associée ou
type n’est pas spécifique et retrouve une population lymphoïde non à une splénomégalie. Il n’y a pas de consensus sur le taux
CD19+, CD79b+, FMC7+, CD5– et CD23–. L’atteinte médullaire de LGL requis pour le diagnostic, cependant une lymphocytose
est fréquente et souvent caractérisée par une infiltration intrasi- à LGL supérieure à 2 G/l est fréquemment associée à une proli-
nusoïdale. Les anomalies cytogénétiques associées à ce type de fération clonale après avoir éliminé les causes réactionnelles. Le
lymphome sont la délétion du bras court du chromosome 7 ainsi phénotype de ces lymphocytes à grains (LGL) est variable selon
que des anomalies des chromosomes 3 et 18. l’origine cellulaire de la prolifération. Les leucémies à LGL-T sont
généralement CD3+, CD8+, CD16+ et CD57+. Les leucémies NK
sont généralement CD3–, CD16+, CD56 faible.

Syndromes lymphoprolifératifs de la lignée T Leucémie/lymphome T lié au virus


T-lymphotropique humain (HTLV-1)
Leucémie prolymphocytaire T (LPL-T)
La présence de lymphocytes atypiques caractérisés par un noyau
Le diagnostic morphologique des LPL-T est parfois difficile. en trèfle doit faire évoquer la possibilité d’un lymphome T HTLV-
Il s’agit le plus souvent de cellules lymphoïdes de petite taille, 1 (Fig. 17). L’immunophénotypage retrouvera des lymphocytes
à noyau très dense et irrégulier où le nucléole est parfois CD3+, CD4+, CD7– et la sérologie HTLV-1 sera positive.
difficile à distinguer, et à cytoplasme peu abondant et relati-
vement basophile (Fig. 16). Il existe plusieurs aspects variants
de LPL-T en particulier un variant LLC-like et un variant LPL- Syndrome de Sézary
B-like. Selon la démarche habituelle de diagnostic des SLPC, Il s’agit le plus souvent d’une atteinte cutanée avec des lym-
l’immunophénotypage est une étape essentielle pour le diagnos- phocytes circulants classiquement de taille moyenne, à haut
tic, il objectivera une prolifération T CD4+. rapport nucléo-cytoplasmique, noyau arrondi ou ovalaire et à

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 Conclusion
En cas d’hyperlymphocytose sanguine, l’analyse du frottis
permet de caractériser la population lymphoïde et de poser
ou d’orienter fortement le diagnostic. Le rôle du biologiste au
laboratoire est crucial pour distinguer les hyperlymphocytoses
bénignes ne nécessitant pas d’exploration hématologique spé-
cialisée des hyperlymphocytoses malignes. En effet, les données
morphologiques peuvent être complétées devant une suspicion
de syndrome lymphoprolifératif chronique, par un immunophé-
notypage en cytométrie en flux des cellules du sang et si besoin
par des analyses de génétique moléculaire (biologie moléculaire
ou cytogénétique).

 Références
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chromatine dense, avec des replis ou sillons profonds (noyaux shop on Chronic Lymphocytic Leukemia updating the National Cancer
cérébriformes). La cytologie est assez caractéristique pour confir- Institute-Working Group 1996 guidelines. Blood 2008;111:5446–56.
mer le diagnostic qui peut parfois être difficile dans le cas [3] Fenneteau O, Hurtaud-Roux MF, Schlegel N. Aspect cytologique nor-
de petites cellules de Sézary dont les irrégularités nucléaires mal et pathologique du sang chez le nouveau-né et le jeune enfant. Ann
sont souvent peu visibles (Fig. 18). L’immunophénotypage Biol Clin 2006;64:17–36.
des lymphocytes du sang confirmera le diagnostic en met- [4] Swerdlow SH, Campo E, Harris NL, Jaffe ES, Pileri SA, Stein H,
tant en évidence la présence lymphocytes T CD4+, CD7– et et al. WHO classification ot Tumours of Haematopoietic and Lymphoid
CD25+. Tissues. Lyon: IARC; 2008.

K. Maloum (karim.maloum@psl.aphp.fr).
C. Settegrana.
Service d’hématologie biologique, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Maloum K, Settegrana C. Conduite à tenir au laboratoire devant une hyperlymphocytose. EMC - Biologie
médicale 2013;8(2):1-9 [Article 90-15-0095-G].

Disponibles sur www.em-consulte.com


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