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Une hyperlymphocytose sanguine est définie par un taux de lymphocytes supérieur à 4 G/l chez l’adulte
et jusqu’à plus de 11 G/l chez l’enfant selon l’âge. Les hyperlymphocytoses sont des anomalies fréquem-
ment rencontrées sur un hémogramme tant chez les adultes que chez les enfants. Une hyperlymphocytose
peut accompagner des maladies bénignes souvent infectieuses ou révéler des pathologies malignes, les
syndromes lymphoprolifératifs chroniques. La démarche au laboratoire devant une hyperlymphocytose
consiste en un examen attentif de l’ensemble du frottis sanguin puis une interprétation globale inté-
grant l’aspect cytologique, l’âge et les signes cliniques du patient, les éventuelles anomalies associées de
l’hémogramme et enfin le caractère chronique ou aigu de l’hyperlymphocytose.
© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Tableau 1.
Principales étiologies des hyperlymphocytoses.
Lymphocytoses réactionnelles Lymphocytoses malignes
Syndromes mononucléosiques SLPC-B
Infections virales : EBV, CMV, VIH, HSV, Leucémie lymphoïde
hépatites, rubéole, rougeole, etc. chronique
Parasitoses : toxoplasmose, paludisme Leucémie
prolymphocytaire B
Médicaments Leucémie à
tricholeucocytes
Infections bactériennes : brucellose Lymphome à cellules du
manteau leucémisé
Lymphocytoses réactionnelles monomorphes Lymphome folliculaire
leucémisé
Coqueluche Lymphome de la zone
marginale leucémisé
Tuberculose
Coxsackie
Figure 5. Grands lymphoblastes (trois grands lymphoblastes à gauche Lymphocytoses réactionnelles chroniques SLPC-T
à comparer à deux lymphocytes matures à droite).
Maladies auto-immunes Leucémie
prolymphocytaire T
Splénectomie, hyposplénisme Leucémie à LGL
Endocrinopathies Leucémie/Lymphome T de
Âge l’adulte lié à l’HTLV-1
Chez l’enfant, les lymphocytoses matures sont réactionnelles Lymphocytose polyclonale à Syndrome de Sézary
et accompagnent essentiellement des processus infectieux. Chez lymphocytes binucléés
l’adulte, les lymphocytoses peuvent témoigner de processus réac- Lymphocytoses de stress
tionnels ou lymphomateux. Plus le patient est âgé plus la
Infarctus
probabilité que la lymphocytose révèle un syndrome lymphopro-
lifératif chronique augmente. Chirurgie
Épilepsie
Traumatisme
Syndrome tumoral
EBV : virus d’Epstein-Barr ; CMV : cytomégalovirus ; VIH : virus de
Un syndrome tumoral peut être retrouvé en situation réac- l’immunodéficience humaine ; HSV : herpes simplex virus ; SLPC : syndromes
tionnelle ou maligne et n’est pas un élément formellement lymphoprolifératifs chroniques ; LGL : grands lymphocytes granuleux ; HTLV-1 :
virus T-lymphotropique humain.
discriminant. Cependant, il est intéressant de le confronter à
l’examen du frottis notamment lorsque l’on suspecte une hémo-
pathie où la splénomégalie est fréquente comme la leucémie à
prolymphocytes, la leucémie à tricholeucocytes (LT) ou les phases En cas de difficulté de diagnostic d’emblée, il est recommandé
leucémiques de lymphomes de la zone marginale splénique. de renouveler une numération trois mois plus tard afin d’évaluer
l’évolution de la lymphocytose. La persistance d’une lymphocy-
tose plus de trois mois chez un adulte, sans contexte particulier
Reste de l’hémogramme sous-jacent, nécessite une consultation en hématologie.
Lymphocytose à LGL
Il existe de façon physiologique des LGL dans le sang nor-
mal : leur taux n’excède pas en général 15 % des lymphocytes. Hyperlymphocytoses malignes :
Il est fréquent d’observer une lymphocytose modérée avec un
excès de LGL après une splénectomie, d’autres éléments du frot-
syndromes lymphoprolifératifs
tis concourent alors : la présence de corps de Jolly, parfois une leucémisés
thrombocytose et une monocytose.
La persistance d’un excès de LGL plus de six mois sans La conduite à tenir devant une hyperlymphocytose maligne
contexte sous-jacent nécessite une exploration en hématologie consiste en un examen cytologique du frottis sanguin complété
afin d’éliminer une éventuelle leucémie à LGL. Les leucémies à par un immunophénotypage des lymphocytes sanguins. Après
LGL sont fréquemment associées à une neutropénie sévère, d’où cette phase d’orientation, un complément d’analyse génétique
l’intérêt de regarder avec attention la population lymphoïde d’un par cytogénétique (caryotype et/ou fluorescent in situ hybridization
patient neutropénique même sans hyperlymphocytose. Le syn- [FISH]) ou biologie moléculaire (clonalité, recherche de réarran-
drome de Felty (association d’une polyarthrite rhumatoïde, d’une gements, expression de la cycline D1) peut être nécessaire. Dans
splénomégalie et d’une neutropénie) est parfois associé à une leu- les cas de lymphomes leucémisés, la confrontation à l’aspect his-
cémie à LGL, d’où également une attention particulière dans ce tologique est souvent nécessaire afin de déterminer un diagnostic
contexte. précis.
Figure 9. Leucémie lymphoïde chronique typique. Petits lymphocytes Figure 10. Leucémie prolymphocytaire B : deux prolymphocytes et un
matures monomorphes. Chromatine dense, mottée (mottes chromati- petit lymphocyte mature. Les prolymphocytes sont de taille moyenne, à
niennes séparées par des travées blanches). chromatine dense et avec un nucléole unique très marqué.
Syndromes lymphoprolifératifs de la lignée B fois volumineux, et le plus souvent central dans la cellule. La
chromatine est dense et mottée ce qui permet d’exclure d’emblée
Leucémie lymphoïde chronique (LLC) une nature blastique à la cellule. Le cytoplasme est généralement
La LLC est la plus fréquente des hémopathies lymphoïdes chro- d’abondance moyenne et faiblement basophile (Fig. 10).
niques dans les pays occidentaux (2 à 6 cas sur 100 000 habitants Le diagnostic de LPL est cytologique et le phénotype confirme
par an ; 12,8 sur 100 000 habitants par an à 65 ans, âge moyen la nature B de la lymphoprolifération. Bien qu’il n’y ai pas de
du diagnostic). La lymphocytose est variable, de 5 à plusieurs phénotype définissant la LPL-B, il s’agit généralement d’une pro-
centaines de G/l. lifération dont le score de Matutes est faible (de 0 à 2), parfois
Cytologiquement, elle est caractérisée par la présence d’une CD5+ et souvent avec une très forte expression en surface des
hyperlymphocytose sanguine constituée dans sa forme typique de immunoglobulines.
petits lymphocytes matures, à noyau régulier, chromatine dense et
mottée, et cytoplasme peu étendu faiblement basophile. De nom- Leucémie à tricholeucocytes (LT)
breuses cellules sont altérées et réduites à l’état de noyaux nus
La LT est une hémopathie lymphoïde relativement rare qui
ou ombres cellulaires lors de la réalisation des frottis sanguins.
atteint essentiellement des sujets âgés et plus fréquemment les
Ces ombres cellulaires sont appelées « ombres de Gumprecht »
hommes que les femmes. Une splénomégalie est souvent pré-
et sont très associées à la LLC (Fig. 9). Dans une LLC de mor-
phologie typique, on peut retrouver jusqu’à 10 % de cellules sente et parfois l’objet de l’hémogramme initial. À la différence
lymphoïdes atypiques : prolymphocytes, cellules à noyau clivé ou des autres hémopathies lymphoïdes chroniques, il n’y a souvent
irrégulier, cellules de taille moyenne, nucléolées et à cytoplasme pas d’hyperlymphocytose sanguine chez les patients atteints de
étendu, basophile (para-immunoblastes), cellules à cytoplasme LT. La présence de cytopénies (neutropénie, thrombopénie et/ou
plus étendu. Au-delà de 10 % de lymphocytes de morphologie anémie) est souvent la cause de la relecture du frottis sanguin
atypique avec un fond lymphocytaire et des ombres cellulaires après le passage sur l’automate. La réalisation de la formule leuco-
permettant d’évoquer le diagnostic de LLC, il conviendra de parler cytaire au microscope retrouve la présence de tricholeucocytes,
de LLC atypique. Lorsque ces cellules atypiques sont des prolym- parfois très rares, et révèle également souvent une monocyto-
phocytes et comprises entre 10 et 55 %, on parlera de LLC mixte pénie. Ce point est important car la plupart des automates de
ou LLC/LPL. numération comptent les tricholeucocytes parmi les monocytes.
Dans tous les cas, un immunophénotypage lymphocytaire par En effet, du point de vue de leur taille et de leur structure ces
cytométrie en flux est indispensable pour affirmer le diagnostic. deux types cellulaires sont proches et confondus de ce fait pas les
La LLC est caractérisée par un score de Matutes de 4 ou 5. Selon automates.
les critères internationaux de l’International Workshop on Chro- Cytologiquement, les tricholeucocytes sont des cellules de taille
nic Lymphocytic Leukemia, le diagnostic de LLC repose sur la moyenne à grande, à cytoplasme étendu, noyau ovalaire ou
présence de 5.109 /l de lymphocytes B clonaux dans le sang circu- réniforme, excentré, chromatine de densité intermédiaire, peu
lant [1, 2] . mottée, comprenant parfois un vestige de nucléole. Le cyto-
plasme est très hétérogène, « sale » ; on distingue parfois des
inclusions granulolamellaires et il présente des expansions cyto-
Leucémie prolymphocytaire B (LPL-B)
plasmiques réparties tout autour de la périphérie et responsables
La leucémie prolymphocytaire B est beaucoup plus rare que la de leur aspect « chevelu » (Fig. 11). Ces cellules peuvent être rares
LLC et représente environ 1 % des syndromes lymphoproliféra- et doivent être recherchées avec attention lorsque le contexte
tifs [4] . Elle atteint essentiellement des sujets âgés, de 65 à 69 ans en clinique (splénomégalie) ou le reste de l’hémogramme (cytopé-
moyenne. Elle peut survenir de novo ou au cours de l’évolution nies, monocytopénie) sont compatibles avec un diagnostic de
d’une LLC. Elles sont fréquemment hyperleucocytaires (parfois LT.
plus de 100 G/l) et, cliniquement, une splénomégalie est fré- La LT est une prolifération lymphoïde B clonale exprimant les
quente. À la numération, la présence d’une anémie et/ou d’une marqueurs pan-B (CD19, CD20) et CD5–. Une chaîne légère kappa
thrombopénie est relativement fréquente et en partie liée à ou lambda est fortement exprimée. Plusieurs marqueurs, sans être
l’hypersplénisme. spécifiques, sont très évocateurs d’une LT lorsqu’ils sont coexpri-
Cytologiquement, elle est caractérisée par la présence de plus més, il s’agit du CD25, du CD103, du CD11c et du DBA44. Enfin,
de 55 % de prolymphocytes sur le frottis sanguin. Le prolympho- des études cytochimiques sont encore parfois réalisées mettant en
cyte est une cellule lymphoïde généralement de taille moyenne évidence la présence d’une activité phosphatase acide tartrique
caractérisée par la présence d’un nucléole nettement visible, par- résistante dans les tricholeucocytes.
Conclusion
En cas d’hyperlymphocytose sanguine, l’analyse du frottis
permet de caractériser la population lymphoïde et de poser
ou d’orienter fortement le diagnostic. Le rôle du biologiste au
laboratoire est crucial pour distinguer les hyperlymphocytoses
bénignes ne nécessitant pas d’exploration hématologique spé-
cialisée des hyperlymphocytoses malignes. En effet, les données
morphologiques peuvent être complétées devant une suspicion
de syndrome lymphoprolifératif chronique, par un immunophé-
notypage en cytométrie en flux des cellules du sang et si besoin
par des analyses de génétique moléculaire (biologie moléculaire
ou cytogénétique).
Références
[1] Matutes E, Attygalle A, Wotherspoon A, Catovsky D. Diagnostic issues
in chronic lymphocytic leukaemia (CLL). Best Pract Res Clin Haema-
tol 2010;23:3–20.
Figure 18. Syndrome de Sézary. [2] Hallek M, Cheson BD, Catovsky D, Caligaris-Cappio F, Dighiero
G, Döhner H, et al. Guidelines for the diagnosis and treatment of
chronic lymphocytic leukemia: a report from the International Work-
chromatine dense, avec des replis ou sillons profonds (noyaux shop on Chronic Lymphocytic Leukemia updating the National Cancer
cérébriformes). La cytologie est assez caractéristique pour confir- Institute-Working Group 1996 guidelines. Blood 2008;111:5446–56.
mer le diagnostic qui peut parfois être difficile dans le cas [3] Fenneteau O, Hurtaud-Roux MF, Schlegel N. Aspect cytologique nor-
de petites cellules de Sézary dont les irrégularités nucléaires mal et pathologique du sang chez le nouveau-né et le jeune enfant. Ann
sont souvent peu visibles (Fig. 18). L’immunophénotypage Biol Clin 2006;64:17–36.
des lymphocytes du sang confirmera le diagnostic en met- [4] Swerdlow SH, Campo E, Harris NL, Jaffe ES, Pileri SA, Stein H,
tant en évidence la présence lymphocytes T CD4+, CD7– et et al. WHO classification ot Tumours of Haematopoietic and Lymphoid
CD25+. Tissues. Lyon: IARC; 2008.
K. Maloum (karim.maloum@psl.aphp.fr).
C. Settegrana.
Service d’hématologie biologique, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France.
Toute référence à cet article doit porter la mention : Maloum K, Settegrana C. Conduite à tenir au laboratoire devant une hyperlymphocytose. EMC - Biologie
médicale 2013;8(2):1-9 [Article 90-15-0095-G].