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Avis d'expert
L'empyème sous-dural : une urgence
neurochirurgicale sous-estimée

Bertrand Mathon 1,2, Anne-Marie Korinek 3

Disponible sur internet le : 1. AP–HP, La Pitié-Salpêtrière university hospital, department of neurosurgery,


75013 Paris, France
2. Sorbonne university, UPMC, université Paris 06, 75005 Paris, France
3. AP–HP, La Pitié-Salpêtrière university hospital, department of neurosurgical
anesthesiology and critical care, 75013 Paris, France

Correspondance :
Bertrand Mathon, Groupe hospitalier universitaire de La Pitié-Salpêtrière, service de
neurochirurgie, 47-83, boulevard de l'Hôpital, 75013 Paris, France.
bertrand.mathon@aphp.fr

Subdural empyema: An underestimated neurosurgical emergency

Introduction scanner des sinus a révélé une sinusite frontale étendue, et


L'empyème sous-dural (ESD) est une pathologie pouvant les coupes sur le parenchyme cérébral ont montré une collection
compliquer les affections de la sphère oto-rhino-laryngologique interhémisphérique hypodense en continuité avec le sinus fron-
ou l'immunodépression. Dans les pays occidentaux, l'ESD est tal. Le diagnostic d'ESD a été évoqué, puis confirmé par une IRM
une pathologie rare, touchant environ 5 patients/million d'habi- cérébrale injectée (figure 1). Le patient a été transféré en
tants/an [1]. Du fait de sa faible incidence, l'ESD est une service de neurochirurgie. Une aggravation neurologique, asso-
pathologie souvent méconnue des filières d'urgence ou de ciant crises épileptiques et troubles de conscience (GCS 8/15),
médecine de ville, et sa gravité peut ainsi être sous-estimée. est survenue avant la prise en charge neurochirurgicale. L'inter-
La littérature scientifique est faiblement pourvue en articles vention, réalisée en urgence, a comporté une évacuation de la
récents traitant de la prise en charge des ESD. C'est pourquoi, collection interhémisphérique par un volet frontal et un drai-
à l'aide de trois cas illustratifs, cet article a pour but de montrer nage du sinus frontal par le chirurgien ORL.
comment la prise en charge médico-chirurgicale des ESD peut Une flore polymicrobienne (Propionibacterium acnes, Staphy-
en modifier leur évolution et leur pronostic, et de réaffirmer les loccocus epidermidis et Prevottela) était en cause et une bi-
recommandations thérapeutiques les concernant. antibiothérapie a été débutée. Cependant, l'évolution en réa-
nimation neurochirurgicale a été compliquée par une hydro-
Observations céphalie traitée par une dérivation ventriculaire externe, une
Premier cas hypertension intracrânienne et plusieurs récidives de l'ESD
Un patient de 17 ans s'est présenté au service d'accueil des nécessitant trois interventions chirurgicales d'évacuation et
urgences d'un centre hospitalier périphérique avec des cépha- une craniectomie de décompression. L'évolution a finalement
lées frontales associées à un écoulement nasal purulent. Le été favorable et le patient a pu quitter l'hôpital, sans déficit

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https://doi.org/10.1016/j.lpm.2018.02.014
© 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

LPM-3540
© 2018 published by Elsevier. This manuscript is made available under the Elsevier user license
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B. Mathon, A-M Korinek
Avis d'expert

Figure 1
IRM cérébrale d'un ESD interhémisphérique parafalcoriel droit
A et B. Coupes axiale (A) et coronale (B) d'une séquence T1 injectée de gadolinium montrant une collection hypo-intense rehaussée en périphérie par le produit de contraste.
C. Coupe axiale d'une séquence de diffusion montrant la collection en hypersignal, attestant de son origine infectieuse. D. Coupe coronale d'une séquence T2 montrant la
collection en hypersignal.

neurologique, après 2 mois d'hospitalisation, dont 7 semaines de conscience (GCS 12/15), apparition d'une aphasie et majora-
en réanimation. tion du déficit moteur hémicorporel droit. La prise en charge
Deuxième cas chirurgicale, réalisée 24 heures après la consultation au SAU, a
Une patiente de 21 ans a été traitée par amoxicilline pour une comporté une méatotomie moyenne gauche, une évacuation
sinusite. Cinq jours après le début du traitement antibiotique, de l'ESD et une craniectomie de décompression.
elle a présenté une altération de l'état général et une hyper- Une bi-antibiothérapie intraveineuse a été instaurée ciblant
thermie à 40 8C. Un traitement par pyostacine fut alors introduit la flore polymicrobienne mise en évidence dans les prélève-
en remplacement de l'amoxicilline. Deux jours plus tard, elle ments opératoires, et une anticoagulation efficace a été dé-
consulte au SAU pur des troubles de conscience (GCS 14/15) et butée pour traiter la thrombophlébite cérébrale. Le bilan
un déficit sensitivomoteur du membre supérieur droit. Le scan- étiologique de l'ESD a retrouvé un abcès de la dent no 26,
ner cérébral injecté a retrouvé une pan-sinusite gauche et un en plus de la sinusite. L'évolution neurologique a été favorable
ESD frontal gauche compliqué d'une thrombophlébite du sinus au décours de 3 semaines d'hospitalisation en réanimation
longitudinal. Durant le transfert en service de neurochirurgie, neurochirurgicale, rendues nécessaires par une hypertension
l'état neurologique s'est aggravé avec majoration des troubles intracrânienne réfractaire.
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L'empyème sous-dural : une urgence neurochirurgicale sous-estimée

Avis d'expert
Figure 2
Scanner cérébral d'un ESD hémisphérique de la convexité gauche
A et B. Coupes axiales sans (A) et avec (B) injection de produit de contraste montrant une collection hypodense rehaussée en périphérie par le produit de contraste.

Troisième cas intracrânienne [4]. Cette aggravation témoigne généralement


Un patient de 16 ans est pris en charge pour une crise convulsive De la diffusion rapide, hémisphérique, de l'infection dans
généralisée fébrile. Le scanner cérébral sans, puis avec injection, l'espace sous-dural pouvant se compliquer d'une thrombophlé-
a diagnostiqué un ESD hémisphérique gauche (figure 2). Le bite et/ou d'une cérébrite avec vascularite.
patient a été transféré en service de neurochirurgie sans déficit Toute suspicion clinique d'ESD doit conduire à la réalisation
neurologique postcritique et opéré sans délai (4 heures après la urgente d'une imagerie cérébrale injectée de produit de
convulsion initiale). L'intervention a consisté en l'évacuation de contraste. Le scanner cérébral montre une hypodensité sous-
l'ESD par une craniotomie large. durale, rehaussée d'une prise de contraste périphérique corres-
Le patient n'a jamais connu d'aggravation neurologique post- pondant à la paroi de l'empyème [5] (figure 2). L'effet de masse
opératoire et son état clinique n'a pas nécessité d'hospitalisation sur le parenchyme peut être plus important que le volume de la
en réanimation. La bactérie responsable de l'ESD (Salmonella collection elle-même, en raison de l'œdème périlésionnel qui
enterica) a été traitée par antibiothérapie. peut traduire une réaction inflammatoire à l'ESD, une encépha-
lite présuppurative de contact ou une thrombose veineuse
Avis d'expert – recommandations de prise corticale [6]. L'imagerie par résonance magnétique permet
en charge une meilleure visualisation de l'ESD, et la séquence de diffusion
confirme l'origine infectieuse de la collection sous-durale qui
Prise en charge diagnostique
apparaît hyper-intense [7] (figure 1C).
Réaliser précocement le diagnostic d'un ESD est fondamental
Ainsi, dès le diagnostic confirmé, voire suspecté, radiologique-
pour éviter une évolution péjorative [2]. Cela peut être rendu
ment, un contact doit être pris sans délai avec un service de
difficile par une présentation clinique parfois trompeuse, pou-
neurochirurgie afin d'organiser la prise en charge thérapeutique
vant faire évoquer une méningite, ou avec une symptomato-
en urgence en milieu neurochirurgical.
logie ORL au premier plan. La symptomatologie initiale évolue le
plus souvent sur un mode progressif, et associe fréquemment Prise en charge thérapeutique
céphalées et fièvre. On peut parfois également observer un Le traitement d'un ESD est une urgence absolue. Le retard de
œdème sus-orbitaire [3] ou une altération de l'état général. Ces prise en charge thérapeutique reste le principal facteur de
symptômes peuvent être tronqués ou masqués si une antibio- mauvais pronostic de l'ESD [2]. Contrairement à certains auteurs
thérapie a déjà été débutée comme traitement d'une porte qui rapportent des cas d'ESD traités exclusivement par antibio-
d'entrée connue. Dès l'ESD constitué, l'évolution spontanée thérapie [6], nous préconisons un traitement chirurgical systé-
se fait vers l'apparition aiguë ou brutale d'un déficit neurolo- matique en première ligne de la prise en charge. La réalisation
gique focal, associé à des signes d'atteinte corticale : crises d'une large craniotomie permet une évacuation plus complète
épileptiques, troubles des fonctions supérieures et hypertension de la collection et, ainsi, une réduction plus importante de
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B. Mathon, A-M Korinek
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l'inoculum bactérien [8]. Si l'œdème cérébral est majeur, le volet neurochirurgicale et les mesures de lutte contre l'hypertension
crânien n'est pas reposé. La réalisation d'un simple trou de intracrânienne et les agressions cérébrales secondaires d'origine
trépan expose à un risque plus important de récidive de l'ESD systémique. Un traitement antiépileptique doit être administré
et donc de reprise chirurgicale [9]. Le traitement chirurgical de la précocement et systématiquement, en prévention primaire ou
porte d'entrée, notamment lorsqu'il s'agit du drainage d'une secondaire, du fait du fort potentiel épileptogène des ESD [10].
sinusite, est également indiqué, s'il est techniquement réali-
sable, afin d'augmenter la probabilité d'isoler une bactérie et
d'améliorer l'efficacité de l'antibiothérapie [8,9]. Conclusions
Le traitement des ESD nécessite une antibiothérapie la plus L'ESD est une urgence neurochirurgicale absolue. Tout retard de
précoce possible (dès le geste chirurgical effectué), à fortes prise en charge diagnostique et/ou thérapeutique expose le
doses. Lorsque la bactérie causale n'a pas été isolée, une anti- patient à un risque accru de décès ou de séquelles neurologi-
biothérapie probabiliste, ciblant les germes de la sphère ORL, les ques. L'évacuation chirurgicale de l'ESD, à l'aide d'une cranio-
plus fréquemment responsables des ESD, doit être débutée, et tomie large, doit être réalisée systématiquement et sans délai.
sera secondairement adaptée aux données bactériologiques, L'antibiothérapie doit être instaurée dès les prélèvements réa-
puis à l'antibiogramme. L'antibiothérapie doit être poursuivie lisés, et maintenue à doses méningées pendant plusieurs
par voie intraveineuse, puis per os pendant au moins 2 mois, semaines. Une prise en charge en réanimation neurochirurgicale
jusqu'à obtention des critères de guérison : cliniques (apyrexie, doit être envisagée selon l'état neurologique. La prévention et
état neurologique stable, porte d'entrée traitée), biologiques le traitement des crises épileptiques, fréquemment associées
(absence de syndrome inflammatoire) et radiologiques aux ESD, doivent être systématiques.
(absence de récidive scanographique).
Les autres modalités de la prise en charge thérapeutique sont, Déclaration de liens d'intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
selon l'état neurologique, un monitorage en réanimation liens d'intérêts.

Références
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