Biopics et biographies

Dans Humanisme 2017/3 (N° 316), pages 90 à 93

Éditions Grand Orient de France
ISSN 0018-7364
DOI 10.3917/huma.316.0090
© Grand Orient de France | Téléchargé le 21/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 78.129.62.32)

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 7E ART

BIOPICS
ET BIOGRAPHIES
Jean-Louis COY

Le film biographique (l’anglicisme « biopic » est la contraction de

« biographical motion picture ») s’avère un genre prisé par le public et
correspond à des valeurs éducatives, historiques et culturelles.
Il s’agit de montrer à l’aide d’une caméra la vie d’un personnage
réel. Certes celle-ci peut être romancée ou caricaturée mais jusqu’à un
certain point, jamais il ne devrait s’y mêler une fiction ; en effet le biopic
se situe hors du sujet littéraire. La vraisemblance ne se veut pas une vérité,
le découpage d’un scénario permet de faire la part de la réalité.
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L’analyse de très nombreux
films du genre se heurte à des nuances
d’interprétation. S’agit-il de raconter
la vie d’un héros quelconque ou se
cantonner à un épisode phare de son
existence ? Quels sont les critères à
respecter ? Que préfère le public, un
miroir ou une révélation ? À quoi sert un
biopic ?
Tout de suite écartons la
grande Histoire, lieu où naissent des
personnages, auréolés d’exploits, car un
héros est-il la cause ou la conséquence
d’un fait notable, d’une circonstance
exceptionnelle ? À notre époque, riche
en jugements éphémères de tels illustres
humains abondent.
Le biopic repose beaucoup plus sur le
sentiment populaire d’appartenance que
suscite un individu hors du commun.
Ce n’est ni un génie, ni un exemple
absolu, mais d’abord une sorte de reflet
permanent offert à notre méditation
plus qu’à notre imagination. Ainsi peut
s’expliquer le foisonnement des images
animées qui depuis l’origine du cinéma
enrichissent notre mémoire, font vivre et
revivre des figures souvent stéréotypées
dont le contenu dépend aussi du contexte
sociologique.
La qualité éducative du biopic
reste fondamentale grâce à l’impact
intellectuel, la pédagogie, la notion
d’exemplarité, l’instruction civique

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que celui-ci diffuse en particulier à la maman (notion de la maternité glorieuse

jeunesse. Rappelons ici le grand rôle
des ciné-clubs, du cinéma ambulant
qui permettaient entre 1935 et 1960 de
diffuser dans les écoles, les lycées, les
villages, nombre de films consacrés pêle-
mêle à des Grands hommes tels Pasteur,
Zola, Lincoln, Juarez, Garibaldi etc. C’est
dans ces années-là que sort le fameux
Napoléon Bonaparte de Abel Gance, une
révolution cinématographique, un biopic
exalté. Plus discrètement, Le Docteur
Laennec (M. Cloche, 1948) évoque
l’invention du stéthoscope en 1810 alors
que la tuberculose sévit en Europe,
tandis que le Paracelse de G.W Pabst
(1943) illustre la vie de celui qui au XVIe
siècle bouleversa les théories médicales
traditionnelles.
Cette fonction éducative du
biopic ne perd pas son sens mais il se
réduit sous l’emprise des idéologies.
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de Vichy). Plus gravement nous avons
assisté à l’intrusion rocambolesque de
la propagande par le biais d’un biopic
monumental, Scipion l’Africain (1937,
C. Gallone) consacré à ce général
mussolinien !...
Si l’engagement initial s’atténue
après la guerre – il y a sans doute trop
de héros potentiels, trop de sujets
brûlants et d’actualité –, l’hégémonie
hollywoodienne qui repose sur le
star-system, se plaît à mêler acteurs,
producteurs et réalisateurs à des biopics
dont les scénarios coïncident avec
l’époque. Tour à tour, les sportifs, les
artistes, les politiciens intéressent un
public friand d’exploits, de réussites
sociales et sujet aux vertiges de l’empathie
organisée.

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C’est la première dérive du genre, à
quoi peut servir et correspondre sur
un écran l’existence d’un être humain
jugé emblématique, sinon à satisfaire
l’opinion dominante du moment ?
Que penser de Danton vu en 1921 par
Buchowetzki ou par Wajda en 1982 ?
Est-ce un héros pathétique, survolté
et romantique, inspiré par G. Büchner,
ou un libertaire désordonné quoique
sincère ?
Dans La symphonie fantastique
(Christian Jaque, 1941), Berlioz est en
proie à des problèmes sentimentaux
avec son épouse Harriet Smithson, mais
ce qui domine ici reste l’anglophobie
systématique exigée par le régime
pétainiste ; d’ailleurs en 1942, Mermoz,
héros par excellence, se résume au La vie de Danton a inspiré deux biopics : Danton, 1921
sirupeux attachement d’un fils à sa par Buchowetzki et Danton par Wajda en 1982.

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Trois ans plus tard, Andrei

Lawrence d’Arabie, 1962, David Lean.
C’est ainsi que la boxe a
bénéficié de ce type d’engouement
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Tarkovski réalise Andreï Roublev, une
œuvre d’une exceptionnelle hauteur
spirituelle consacrée à un peintre
d’icônes du XVe siècle, hostile à l’Église
dogmatique et répressive qui choisit de
se taire plutôt que d’abandonner ses
convictions et d’adhérer à une idéologie
qu’il récuse. Ce film tourné en 1966 en
URSS, cristallisait alors le génie humain
face à l’imposture. Dans une autre
œuvre magnifique Amadeus (1984), Milos
Forman réussit le prodige d’associer la
créativité musicale à une biographie
complète de Mozart tout en étudiant son
comportement social et humaniste.
Par la suite, au-delà des années
2000, la vogue des biopics reprenait,
n’hésitant pas à aborder des héros
contemporains plus ou moins crédibles

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très spécifique. Trois grands films sont
à retenir, Marqué par la haine (R. Wise
1957), Raging Bull (Scorcese 1980) et Ali
(M. Mann, 2002) qui résument la carrière
à peine romancée de Rocky Graziano,
Jack La Motta et Mohamed Ali.
Nous ne pouvons pas énumérer
cette filmographie abondante, pourtant
nous évoquerons trois chefs d’œuvre,
alliant le talent du cinéaste, la grandeur
du sujet et la qualité esthétique. En
1962, Lawrence d’Arabie de David Lean
non seulement décrit les actes héroïques
en 1946 d’un célèbre aventurier mais
y associe l’aspect philosophique et
poétique au centre d’un conflit tragique
où s’opposent l’amertume et la volonté
de ce colonel Lawrence qui croyait à
l’indépendance des États arabes. Andreï Roublev, 1965, Andrei Tarkovski.

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Aviator, 2005, Martin Scorcese,
retrace la vie de Howard Hughes.
mais néanmoins célébrés tels Howard
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Hughes (Aviator, 2005), J. Edgar (2012),
La Dame de fer (2012), Diana (2013),
Bob Dylan (I’m not here, 2007), Sully
(2016), Grace de Monaco (2014) ), jusqu’à
aujourd’hui avec une réussite variable
(Mr Turner, 2014 ; Camille Claudel (1988 et
2015) ; Rodin (2017) ; Lou Andréas-Salomé,
(2017) ; Dalida, (2017) etc.) La liste est
interminable, il convient cependant d’en
rappeler le principe. Trop de biopics ne le
sont pas, la plupart du temps, se limitant
à une période d’existence, par exemple
le Rodin concerne essentiellement la
création difficile de La porte de l’Enfer,
instant capital dans la carrière du
prolifique sculpteur.
D’une manière générale, le
public apprécie autant le personnage
(médiatique ou non) que l’acteur ou
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7E ART
l’actrice qui le représente, c’est une
des formules des producteurs de films.
Mais pour rester dans le domaine du
7e art, nous pouvons nous demander
aujourd’hui, alors que le petit écran nous
envahit de biopics à bon marché où l’on
retrouve d’ailleurs quelques recettes de
jadis, si le vrai problème ne se situe pas
au centre même de la réalisation du film.
Une des maladies dont souffre la pléthore
de pellicules sortant chaque semaine sur
la toile est l’absence d’un bon scénario
(un des grands problèmes d’Hollywood
où les scénaristes de qualité manquent
de plus en plus à l’appel). Sans un sujet
attrayant et intelligent, le premier cinéaste
venu, faute d’imaginer, se contente de
photocopier l’histoire vraie (définition
racoleuse à la mode sur les affiches !)
d’un autre. Or le scénario possède une
écriture à part entière où se distinguent
les règles d’une adaptation, en évitant la
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banale reproduction, où peut se perdre
l’intérêt du spectateur c’est-à-dire son
information et son désir d’apprendre.
Au péril de devenir une simple mise en
images animées et branchées, le biopic
ne sert le 7e art qu’à l’unique condition
de lui accorder un sens universel.
On pourrait s’étonner de
l’absence de Citizen Kane (Orson Welles,
1940) mais il ne s’agit pas d’un vrai
biopic : à l’entrée du château de Xanadu
une pancarte Défense d’entrer signifie
selon l’auteur, défense d’entrer dans la
vie d’un homme.
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