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Ohadata D-11-13

Aperçu pratique des finalités de la procédure collective dans


l’espace OHADA
par
Souleymane TOE
Docteur en Droit privé
Université de Ouagadougou / Burkina Faso – toe_s_2000@yahoo.fr

Revue juridique de droit uniforme africain, n° 1, p. 37

La procédure collective de redressement judiciaire ou de liquidation des biens produit des


effets importants sur le débiteur ou l’entreprise et sur les créanciers. Elle débouche
inéluctablement sur l’une des solutions prévues par la loi et conduit à l’application, le cas
échéant, de sanctions diverses. L’expérience montre que les procédures collectives atteignent
rarement leurs objectifs. Non seulement, l’entreprise n’est pas redressée par la faute des
organes, mais en plus, les créanciers ne sont pas payés ou ne sont qu’insuffisamment payés.
Mais, dans la pratique et dans la plupart des cas, c’est plutôt à une désagrégation de
l’entreprise (I) et à une certaine inapplication des sanctions (II) que l’on assiste dans la mise
en œuvre des procédures collectives.

I.- LA DESAGREGATION DE L’ENTREPRISE


Cette solution peut être illustrée par plusieurs affaires. Mais, pour les besoins de cette étude,
nous nous en tiendrons à quelques cas (A) qu’il conviendra d’analyser avant d’apprécier la
portée des irrégularités qui sont à la base de cette solution de désagrégation (B).

A.- Des cas de désagrégation d’entreprise


Une approche critique d’opérations irrégulières (1) sera suivie de la surveillance laxiste par le
juge-commissaire, de l’activité du syndic de la procédure collective (2). En effet, la fréquence
des opérations irrégulières combinée avec une surveillance laxiste du juge-commissaire du
travail effectué par le syndic aboutit à priver la procédure collective d’un dénouement
satisfaisant et contribue ainsi à faciliter la désagrégation de l’entreprise.

1.- L’approche critique des opérations irrégulières dans les procédures collectives
La solution de la désagrégation de l’entreprise peut être utilement illustrée par l’affaire
SOPAGRI-SA,qui n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Cette société a bénéficié, par
jugement n° 231 du Tribunal de Grande Instance de Bobo-Dioulasso en date du 11 juillet
200l, d’une mesure de redressement judiciaire. A cette occasion, le Cabinet d’Expertise
SOFIDEC a été nommé en qualité de syndic. Mais, par la suite, de nombreuses insuffisances
dans la mission du syndic vont émailler la procédure, aboutissant à l’échec du redressement
judiciaire et à sa conversion en procédure de liquidation des biens.
On sait que dans la procédure de redressement judiciaire, le débiteur est maintenu à la tête de
ses affaires, mais qu’il doit dans l’accomplissement des actes importants, requérir pour leur
validité, le concours et l’assistance du syndic. Le syndic doit travailler à l’obtention par le
débiteur, du vote de la proposition de concordat déposée avant le jugement d’ouverture. De
surcroît, l’article 66 de l’AUPC oblige le syndic, dans le mois de son entrée en fonction, sauf
prorogation de délai, de présenter un rapport sommaire sur la situation apparente du débiteur,
des causes et caractères de cette situation faisant apparaître un bilan économique et social, et
les perspectives de redressement résultant des propositions concordataires.
Sur ces différents points, le syndic de la SOPAGRI-SA en redressement a gravement manqué
à ses obligations d’assistance du débiteur. En effet, ce dernier, avec le bénéfice de la
suspension des poursuites pour aboutir à des mesures de redressement de l’entreprise, s’est
plutôt adonné à des actes graves, compromettant dangereusement le redressement de
l’entreprise. Il s’agit notamment : de l’ouverture d’un compte courant avec affectation
hypothécaire d’une valeur de cinquante millions (50.000.000) FCFA consentie à la Bank Of
Africa (BOA), sans que ne soit précisée la destination des fonds ; de l’hypothèque consentie à
la Banque Agricole et Commerciale du Burkina (BACB) pour un prêt d’un montant de quinze
millions (15.000.000) FCFA ; des décaissements de sommes importantes pour des frais de
mission inutiles, sans compter cette pratique instaurée dans l’entreprise consistant à puiser
dans les caisses de l’entreprise à titre de prêt ou de remboursement de frais médicaux.
Le syndic, en vertu des pouvoirs que lui confère la loi, ne devait pas rester indifférent face à
l’ampleur de ces actes irréguliers du débiteur1. Ces actes ne devaient pas s’accomplir sans
l’assistance du syndic et informé, il devait purement et simplement refuser son assistance et
informer le juge-commissaire. Or, le juge-commissaire, dans son rapport tendant à la
conversion du redressement judiciaire en liquidation des biens de la société SOPAGRI-SA,
fait état de la « défaillance notoire du syndic dans l’accomplissement des missions à lui
assignées » et n’a « jamais rendu compte du déroulement des opérations ».
Cette défaillance du syndic a certainement empêché le juge-commissaire de procéder aux
contrôles et vérifications nécessaires au bon déroulement de la procédure. Les opportunités et
facilités qui étaient offertes avec l’ouverture du redressement judiciaire n’ont pas été
judicieusement exploitées et le chiffre d’affaires de la société a gravement baissé, passant de
quatre cent trente deux millions quatre cent quarante sept mille sept cent neuf (432.447.709)
FCFA en 2000 à deux cent millions sept cent quatre vingt deux mille six cent sept
(200.782.607) FCFA en 2004.
Ainsi, au lieu du redressement de la SOPAGRI-SA, c’est à une véritable désagrégation que
l’on a assisté, avec ces actes et ces défaillances, plongeant du coup la société dans un état
d’insolvabilité chronique, notoire et irréversible. Le chiffre d’affaires de la société connaissant
une chute vertigineuse, c’est à juste titre que le Tribunal de Grande Instance de Bobo-
Dioulasso, dans son jugement n° 298 du 29 décembre 2004, a converti le redressement
judiciaire de la SOPAGRI-SA en liquidation des biens.
Dans cette autre affaire de la liquidation des biens de la Société SENEMATEL, 1’on peut
évoquer une « tentative avortée » de démantèlement. En effet, par jugement en date du 13 mai
1998, le Tribunal régional de Dakar a prononcé la liquidation des biens de ladite société. Cette
décision a fait l’objet d’appel devant la Cour d’Appel de Dakar qui, par arrêt n° 26 du
13 janvier 2000, confirma ledit jugement. Le syndic nommé dans cette procédure a accompli
un certain nombre d’actes, dont la cession globale d’actif réglementée par les articles 160 à
162 de l’AUPC. A cet effet, l’ordonnance n° 749/00 du 23 juin 2000 autorisait la cession
globale d’actif au profit de la SCI Dakar Invest et de la SCI Dakar Centenaire. Contre cette
ordonnance, un certain nombre de créanciers de la société SENEMATEL, à savoir
BERNABE SENEGAL et Cheikh Tidiane NDIAYE, ont fait opposition et ont fait surenchère
du dixième du prix ; le prix de cession globale étant insuffisant pour les désintéresser. Par

1
Voy., l’article 43 de l’AUPC.
jugement en date du 11 avril 200l, le Tribunal hors classe de Dakar a fait droit à leur
demande.
Ce qui est curieux dans cette affaire, c’est que le syndic de la liquidation des biens de la
SENEMATEL a fait appel du jugement pour le voir infirmer et même demander des
dommages-intérêts de 500.000 FCFA pour procédure abusive. L’on s’étonne de l’opportunité
de cet appel, parce que le jugement du 11 avril 2001 ne fait grief ni aux intérêts des créanciers
ni aux intérêts du débiteur qu’est la société SENEMATEL. Alors, la procédure initiée par le
syndic est incompréhensible d’autant plus qu’un syndic a pour mission de représenter et de
défendre les intérêts du débiteur et des créanciers. Au surplus, le jugement autorisant
surenchère du dixième du prix de cession globale d’actif ne porte atteinte qu’aux intérêts des
bénéficiaires de l’adjudication annulée. Faire appel du jugement du 11 avril 2001 reviendrait à
défendre les intérêts des tiers étrangers à la procédure collective, tout en désagrégeant
l’entreprise au détriment des créanciers et du débiteur, puisqu’en l’espèce, le prix de
l’adjudication apparaissait insuffisant pour désintéresser les créanciers.
C’est pourquoi, la Cour d’Appel de Dakar, dans son arrêt n° l87 du 03 avril 2003, a purement
et simplement déclaré irrecevable la demande du syndic, au motif que « l’appelant intervient
en sa qualité de syndic de la liquidation des biens de la SENEMATEL ; que cette mission qui
lui est conférée en cette qualité par la loi, a pour finalité la protection des droits des créanciers
inscrits et du débiteur ; que le jugement entrepris participe manifestement à cet objectif ; que
par ailleurs, il ne justifie d’aucun intérêt personnel et direct ». Le jugement autorisant la
surenchère du dixième de prix de cession global d’actif de la société SENEMATEL a été donc
confirmé.
Il faut cependant dire que cette affaire a pris une autre tournure depuis l’arrêt n° 027/2007 du
19 juillet 2007 de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA), qui casse l’arrêt
n° 187 rendu le 03 avril 2003 par la Cour d’Appel de Dakar et conséquemment, annule le
jugement 715 du 11 avril 2001 du Tribunal hors classe de Dakar, aux motifs que « la
liquidation des biens de la Société SENEMATEL ayant été ouverte à compter du 19 mai
1998, ce sont les dispositions des textes de droit interne en vigueur avant l’entrée en vigueur
de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, qui
lui sont applicables, d’où il suit qu’en se prononçant sur la demande de surenchère du dixième
du prix sur le prix de cession globale des immeubles et matériels appartenant à la Société
SENEMATEL, sur le fondement des articles 159 et suivants de l’Acte uniforme suscité, la
Cour d’Appel a violé les dispositions des articles 257 et 258 dudit Acte uniforme ».
Cette décision de la CCJA, si elle est conforme au droit, intervient cependant bien longtemps
après la formulation du pourvoi en cassation. Ce pourvoi a en effet été introduit depuis le
20 octobre 2003 auprès de la juridiction communautaire, qui a mis quatre ans pour se
prononcer. Un tel retard est difficilement acceptable de la part de la juridiction suprême,
d’autant plus que les procédures collectives, en raison notamment de leurs finalités de
paiement des créanciers et de sauvetage des entreprises, doivent faire l’objet d’un traitement
empreint de célérité, par les juridictions compétentes. Le retard et la lenteur de la justice
favorisent l’insécurité juridique qu’il s’agit justement de combattre et d’éviter.
L’affaire du redressement judiciaire de la société ARMEMENT RIBEIRO est aussi
révélatrice d’une certaine défaillance du syndic dans sa mission d’assistance du débiteur. En
effet, par jugement du Tribunal régional hors classe de Dakar en date du 21 juillet 1999,
l’Armement RIBEIRO a été admis en redressement judiciaire. Le Cabinet d’Expertise Idrissa
NIANG a été désigné en qualité de syndic. Mais, plus de 2 ans après son ouverture, le
redressement de la société n’a connu aucune évolution et aucune proposition concordataire de
redressement n’a été présentée aux créanciers, en sorte que ces derniers ont demandé et
obtenu la conversion du redressement judiciaire en liquidation des biens.
Une telle situation n’aurait pu se présenter, si l’organe central des procédures collectives
qu’est le syndic, avait bien joué son rôle. En effet, l’article 66 de l’AUPC prescrit que, dans le
mois de son entrée en fonction, sauf prorogation de délai accordée par décision dûment
motivée du juge-commissaire, le syndic remet à ce magistrat, un rapport sommaire de la
situation apparente du débiteur, des causes et caractères de cette situation faisant apparaître un
bilan économique et social de l’entreprise, et les perspectives de redressement résultant des
propositions concordataires du débiteur. En l’espèce, ce travail n’a apparemment pas été fait
par le syndic.
L’absence de proposition concordataire du débiteur en redressement judiciaire démontre que
le syndic qui doit travailler à faciliter la conclusion d’un concordat de redressement entre le
débiteur et ses principaux créanciers, a failli gravement à sa mission, puisque l’article 119,
alinéa 4 de l’AUPC dispose que « le syndic met à profit les délais de production et de
vérification des créances pour rapprocher les positions du débiteur et des créanciers sur
l’élaboration du concordat ». En l’espèce, l’absence de proposition concordataire plus de deux
ans après l’ouverture de la procédure collective est totalement inadmissible et dénote une
défaillance notoire du syndic et du débiteur. C’est pourquoi, le Tribunal hors classe de Dakar,
par jugement n° 348 du 26 février 2003, a converti le redressement judiciaire de l’Armement
RIBEIRO en liquidation des biens, après avoir constaté que « le redressement judiciaire de
l’Armement RIBEIRO n’a nullement évolué depuis bientôt trois ans ».
Au total, si le syndic joue un rôle important et central dans la procédure collective, il n’est pas
le seul et sa mission est effectuée sous le contrôle et la surveillance du juge-commissaire. Ce
dernier doit veiller au bon déroulement des opérations de la procédure collective conduites par
le syndic. Cependant, la pratique montre que les magistrats ne semblent pas encore maîtriser
les différentes opérations qui jalonnent la procédure, face à des syndics qui disposent d’une
grande liberté d’action. C’est cette surveillance laxiste qu’il conviendra d’examiner
maintenant.

2.- La surveillance laxiste de l’activité du syndic par le juge-commissaire


L’Acte uniforme a accordé des prérogatives importantes au juge-commissaire dans le
déroulement et le dénouement de la procédure collective. Qualifié de chef d’orchestre de la
procédure2, le juge-commissaire est chargé de veiller au déroulement rapide de la procédure et
à la protection des intérêts en présence3. A ce titre, il est tenu de contrôler ou de surveiller
l’action du syndic, tout en autorisant les opérations ou en prenant les décisions qui excèdent la
compétence du syndic sans requérir l’intervention du tribunal. Personnage central de la
procédure collective4, le succès de la procédure dépend très largement de son implication et
de sa clairvoyance sur le travail effectué par le syndic.
Cependant, la pratique montre que, bien souvent, le juge-commissaire, après sa nomination,
laisse « l’affaire » entre les mains du syndic, qui dispose ainsi de toute latitude pour conduire
la procédure à sa guise. Il serait un peu fastidieux d’énumérer ici tous les cas de surveillance
laxiste de l’action du syndic par le juge-commissaire. On peut toutefois s’en tenir à un cas
particulier, à titre illustratif.

2
Derrida, Godé et Sortais, « Droit du redressement et de la liquidation judiciaire des entreprises », Rec. Dalloz-
Sirey, 2ème éd., 1986, p. 28.
3
Article 39 de l’AUPC.
4
André Jacquemont, Doit des entreprises en difficulté, 5ème éd., Litec 2007, n° 223, p. 129.
Dans l’ordonnance de répartition n° 369/04 du 11 mars 2004 du juge-commissaire de la
liquidation des biens de la SONADIS, société de droit sénégalais, il ressort un certain nombre
d’insuffisances dans la mission de contrôle de l’action du syndic par le juge-commissaire. En
effet, aux termes de l’article 164 de l’AUPC, « le juge-commissaire ordonne, s’il y a lieu, une
répartition des deniers entre les créanciers, en fixe la quotité et veille à ce que tous les
créanciers en soient avertis ». Or, en l’espèce, l’examen de l’ordonnance montre, d’une part,
que le juge-commissaire s’est contenté d’homologuer une répartition déjà dressée par le
syndic, ce qui est contraire à l’esprit et à la lettre de l’article ci-dessus cité, et d’autre part, il
n’a pas veillé à ce que tous les créanciers soient avisés de la répartition.
De plus, il apparaît que dans le cadre de la procédure, deux répartitions de deniers sont
intervenues et que, paradoxalement, dans la seconde répartition, la taxation des honoraires et
frais du syndic n’a pas été faite en proportion de la valeur de chaque élément d’actif par
rapport à l’ensemble, conformément à l’article 165 de l’AUPC.
Finalement, cette ordonnance de répartition du juge-commissaire viole les articles 164, 165 et
166 de l’Acte uniforme sur les procédures collectives d’apurement du passif, en raison de la
défaillance du juge-commissaire dans sa mission de contrôle ou de surveillance de l’action du
syndic ; c’est pourquoi d’ailleurs, elle a été purement et simplement rétractée par le jugement
n° 136 du 11 mars 2006 du Tribunal hors classe de Dakar.
Les raisons qui expliquent cet « effacement » du juge-commissaire dans la procédure
collective sont nombreuses. Au nombre de ces raisons, on note que les magistrats qui sont
appelés à connaître des procédures collectives n’ont pas reçu à ce propos une formation
adéquate, pour la majorité d’entre eux. En effet, après une maîtrise en droit axée
essentiellement sur des matières juridiques, les magistrats, avant leur nomination, passent
environ dix-huit mois dans les écoles nationales de la magistrature, où ils reçoivent les mêmes
matières qu’ils ont eues à étudier durant les quatre années d’études juridiques à l’université.
Très peu d’entre eux reçoivent des formations en matière économique et financière. Comment
donc, dans ces conditions, pourraient-ils bien assurer leur rôle de « chefs d’orchestre » face à
leurs partenaires rompus aux tâches financières, dont ils doivent contrôler la correcte
exécution des missions ? Conscients de leurs faiblesses, certains juges n’hésitent donc pas à
s’en remettre à la « bonne foi » de ces techniciens de l’économie et de la finance, qui ne
manquent pas de conduire dans bien des cas, la procédure dans une voie de « garage », tout en
se taillant « la part du lion » au détriment essentiellement des créanciers, toutes catégories
confondues, y compris les travailleurs salariés. Par ailleurs, la nomination répétée de juges-
commissaires dans le cadre d’une même procédure collective, peut être source d’inefficacité
dans l’exécution de leur mission. En effet, il peut arriver que les magistrats chargés de
conduire une procédure collective soient nommés en dehors de la juridiction, ce qui peut
entraîner un éternel recommencement, quand on sait que le juge nommé en remplacement en
raison de la complexité des procédures collectives dans leur ensemble, va prendre assez de
temps pour s’imprégner de la situation de l’affaire. C’est notamment ce qui ressort de la
liquidation des biens de la Société de Recherche et d’Exploitation Minière du Burkina
(SOREMIB) qui a connu pour sa seule procédure, la nomination successive de trois juges-
commissaires5.
Essayant d’expliciter la nécessité pour le juge-commissaire de disposer des connaissances en
matière financière, comptable et économique, le Professeur HOUIN6 écrit que « le juge-

5
cf. Jugement n° 894/99 du 06 octobre 1999 du TGI de Ouagadougou, l’Ordonnance n° 1583/CAB/PRES du
05 juillet 2004 et l’Ordonnance n° 375 du 10 février 2006.
6
Avant-propos dans l’ouvrage de Serge Dominique Castelan, « Le juge-commissaire dans la faillite et le
règlement judiciaire », Sirey 1965.
commissaire doit aussi avoir les qualités d’un homme d’affaires ». En effet, dans la mesure où
la procédure collective peut s’accompagner de la continuation de l’exploitation commerciale,
le juge-commissaire doit avoir la capacité d’apprécier l’opportunité de certaines décisions du
syndic. Il est donc exigé de lui, qu’il dispose d’une certaine compétence et d’une « longue
expérience des affaires »7, afin de pouvoir apprécier les multiples situations qui jalonnent la
survie de l’entreprise défaillante, et surtout, de veiller efficacement sur la gestion du
patrimoine sur lequel les créanciers fondent leur espoir.
Aussi, est-il urgent d’organiser pour les juges de procédures collectives, des formations
complémentaires en matière économique et financière. Il semble que l’existence de l’Ecole
Régionale Supérieure de la Magistrature puisse bien jouer ce rôle, et qu’il conviendrait de
donner à cette institution communautaire, des moyens adéquats pour une formation de haut
niveau des juges africains des procédures collectives, car sont en cause non pas seulement les
intérêts du débiteur et des créanciers, mais également, l’intérêt général.

B.- La portée des irrégularités


Les procédures collectives telles que prévues par l’Acte uniforme sont un ensemble cohérent
dont le respect par les différents acteurs, conditionne l’atteinte significative des objectifs. Il
est ressorti cependant des précédents développements que, dans la mise en œuvre de la
procédure collective, les différents acteurs brillent le plus souvent par une certaine négligence
ou insouciance8. La conséquence immédiate que l’on relève de cet état de fait, est que le
résultat escompté est biaisé non seulement par un paiement insignifiant des créanciers (1),
mais aussi et surtout, par le non sauvetage de l’entreprise défaillante (2).

1.- Le paiement insuffisant des créanciers


C’est la première conséquence que l’on retient de la désagrégation de l’entreprise. En effet,
lorsque l’actif du débiteur n’a pas été efficacement réalisé, il est évident qu’il n’y aura pas
assez de fonds à répartir aux créanciers. De plus, lorsque le juge-commissaire se montre
défaillant ou complaisant à l’égard du syndic, ce dernier peut s’adonner consciemment ou
inconsciemment à une manipulation des dispositions législatives, au détriment des créanciers.
Etant donné également que les créanciers n’ont pas le même rang, ceux qui ont un meilleur
rang ont généralement plus de chance d’obtenir paiement de leur dû.
Il en est ainsi des créanciers super privilégiés, de ceux munis de sûretés réelles spéciales ou de
sûretés personnelles, et des créanciers postérieurs. Le super privilège des salaires est prévu à
l’article 96 de l’Acte uniforme et offre des avantages indéniables aux salariés. Son atout
majeur est qu’il confère une priorité de paiement pratiquement absolue sur l’ensemble des
actifs mobiliers et immobiliers de l’employeur. Il permet en effet aux salariés, d’échapper à la
discipline de la procédure et d’être payés très rapidement en cas de faillite de l’employeur.
Bien souvent, lorsque dans les dix jours de l’ouverture de la procédure, des fonds manquent
pour payer les super privilèges, l’on peut recourir à un organisme prêteur, généralement le
Trésor Public, pour avancer les fonds nécessaires. Mais, dans bien des cas, le recours au
Trésor Public n’est pas couronné de succès et généralement, l’on assiste à un mouvement
social des travailleurs à travers des sit-in, pour réclamer le paiement de leurs droits. Mais,
dans la liquidation de la SOREMIB, le Trésor Public a avancé aux syndics, la somme de
1.051.215.306 FCFA pour payer les droits du personnel licencié (901.067.346 FCFA), la
sécurité sociale (27.000.000 FCFA), et les charges sur salaires de cotisations à la caisse de

7
Houin, précité, op. cit., ibid.
8
Voy., S. Toé, Approche critique de l’application judiciaire du droit des procédures collectives dans l’espace
OHADA, Thèse, Université de Perpignan Via Domitia, mai 2010, n° 346 et s.
sécurité française (35.406.200 FCFA). Quant aux créanciers postérieurs9, leurs droits ont été
versés dans les frais de gestion de la procédure d’un montant global de 684.779.070 FCFA et
payés par l’Etat burkinabé grâce à une transaction financière avec les syndics liquidateurs,
suite à la cession de la mine pour un montant de un milliard de FCFA.
Ce cas s’explique surtout par le fait que la SOREMIB est une entreprise publique et l’Etat du
Burkina Faso s’est vu obligé de faire des efforts. D’ailleurs, il s’agit, dans cette espèce, des
seuls créanciers chanceux qui ont obtenu paiement de leur dû. Les autres, c’est-à-dire les
créanciers privilégiés et chirographaires – dont le montant des créances cumulées s’élève à la
somme de 4.770.711.113 FCFA – n’ont pratiquement rien reçu comme paiement, sauf
quelques-uns d’entre eux, et la procédure a finalement été clôturée pour insuffisance d’actif
de 3.246.655.245 FCFA. On retient toutefois que, pendant que certains créanciers n’ont reçu
qu’un faible paiement, les syndics liquidateurs étaient rémunérés à hauteur de
238.290.925 FCFA. Il faut dire que ce montant n’est fondé sur aucun critère fiable. C’est une
simple proposition faite par les syndics et avalisée par le juge-commissaire de la procédure10.
Dans l’affaire de la liquidation des biens de la société SOPAGRI-SA, le syndic a été rémunéré
à 205.800.000 FCFA.
Une telle pratique pose du même coup la question délicate de la rémunération des syndics de
procédures collectives, qui se révèle le plus souvent arbitraire et disproportionnée, faute de
textes réglementant les honoraires des syndics11. Ceci fait qu’en définitive, la procédure
collective devient une affaire dont la seule personne qui en tire réellement profit est le syndic,
au détriment des créanciers. C’est pour toutes ces raisons, que Me Alain FENEON12 a
fortement émis « le vœu de la création d’un véritable statut du syndic et de l’expert, et ce sur
l’ensemble de l’espace OHADA », ce statut, devant fixer « notamment, les règles d’accès à
cette profession, son éthique et ses principes déontologiques, ainsi que le régime de sa
responsabilité »13.
Dans l’ensemble, les décisions de justice traitant du déroulement de la procédure collective
après le jugement d’ouverture sont rares. La raison semble liée au comportement des acteurs
de la mise en œuvre de la procédure après le jugement d’ouverture, que sont le syndic, le

9
Les créances des fournisseurs de la procédure s’élèvent à la somme de 289.450.444 FCFA, comme cela résulte
de la page 48 du Rapport de clôture au 30 avril 2008.
10
Voy., Tribunal hors classe de Dakar, Jugement, n° 136 du 11 mars 2005, concernant la liquidation des biens
de la SONADIS, qui rétracte des ordonnances du juge-commissaire, portant taxation des honoraires du syndic,
parce que ceux-ci sont exagérés, et de répartition des fonds entre les créanciers du fait que tous les créanciers
n’ont pas été avertis de cette répartition, comme l’exige l’article 164 de l’Acte uniforme. En conséquence, le
tribunal a renvoyé l’affaire devant le juge-commissaire pour une nouvelle répartition.
11
Voy., Cour d’Appel de Dakar, arrêt n° 26 du 02 avril 2001, Affaire SCI Teranga contre Abdoulaye Dramé, qui
indique « qu’aucun texte législatif ou réglementaire ne fixe de barème applicable aux prestations expertales »
et « qu’il convient dès lors de se référer aux usages en la matière, compte tenu de la mission confiée ». En
l’espèce, la Cour a fixé la rémunération en fonction du nombre d’heures de travail effectué et coût unitaire de
l’heure de travail. De même, TGI de Ouagadougou, jugement n° 156/2008 du 03 septembre 2008, où le
tribunal déclare que « la liquidation est une procédure spéciale et l’appel aux organes de liquidation est de
sauvegarder les intérêts des créanciers. Le juge doit donc tenir compte de la capacité financière de la société
en liquidation, pour déterminer le montant des honoraires des syndics liquidateurs. Mais, il ne dispose pas de
référence de base légale en la matière ... ». En l’espèce, le Tribunal a fixé la rémunération des syndics à
38.535.457 FCFA, montant du reliquat des honoraires des syndics liquidateurs, au lieu de 238.290.925 FCFA
réclamé.
12
Me Alain Fénéon, Aperçu de la jurisprudence OHADA en matière de procédures collectives, Penant, n° 865,
octobre-décembre 2008, p. 492 à 502.
13
cf. notamment Projet loi syndics - experts au règlement préventif élaboré dans le cadre du projet d’adaptation
de la législation nationale du Burkina Faso à l’OHADA, qui est en cours de finalisation.
débiteur et le juge-commissaire, principalement14. Des défaillances multiples sont observées
en ce qui concerne les mesures de publicité15, rendant ainsi malaisé l’accès aux documents de
la procédure collective, ce qui peut porter gravement préjudice aux droits des tiers. De plus,
les difficultés techniques de réalisation de l’ actif, couplées avec la non maîtrise des règles de
la procédure font que c’est généralement à une totale insatisfaction des créanciers, en termes
de paiement, que l’on assiste, lorsqu’il s’agit d’une liquidation des biens, ou à un non
sauvetage, lorsque c’est le redressement de l’entreprise qui est envisagé.

2.- Le non sauvetage de l’entreprise


La procédure collective est organisée également en vue du sauvetage de l’entreprise. D’une
part, le débiteur qui connaît une situation financière difficile mais non irrémédiablement
compromise, peut demander et obtenir l’ouverture d’une procédure de règlement préventif.
D’autre part, même en cas de cessation des paiements, le débiteur qui arrive à offrir un
concordat sérieux peut obtenir du tribunal compétent, l’ouverture d’un redressement
judiciaire. Il s’agira ensuite d’exécuter ledit concordat, pour aboutir au paiement des
créanciers et au sauvetage de l’entreprise. Le débiteur est maintenu à la tête de ses affaires et
simplement assisté du syndic.
Seulement, il est malheureux de rappeler que rares sont les procédures qui aboutissent à des
résultats satisfaisants, tant l’exécution du concordat se révèle être un véritable tâtonnement de
la part des principaux acteurs en présence et surtout, du débiteur. Puisque maintenu à la tête
de ses affaires, et bénéficiant de la suspension des poursuites, le débiteur peu scrupuleux en
profite généralement pour mieux organiser son insolvabilité et désagréger totalement
l’entreprise. C’est du moins l’impression générale qui se dégage de certaines affaires.
Dans l’affaire de la Société SOPAGRI-SA étudiée plus haut, il est regrettable de constater à
quel point les actes irréguliers du débiteur ont compromis définitivement le redressement de la
société, obligeant le Tribunal à prononcer la conversion du redressement judiciaire en
liquidation des biens16. Or, le redressement a été accordé parce que le débiteur avait fait à la
juridiction compétente, une proposition de concordat sérieux qui devait logiquement aboutir
au sauvetage de l’entreprise. Mais, l’insouciance du débiteur couplée avec une quasi-
défaillance du syndic, ont rendu ce sauvetage impossible, conduisant ainsi à la conversion du
redressement judiciaire en liquidation des biens.
Dans un autre jugement presque similaire, le Tribunal17 déclare que « si le débiteur n’exécute
pas ses engagements dans les délais fixés par le plan, le Tribunal peut d’office ou à la
demande d’un créancier, du commissaire à l’exécution du plan ou du Procureur du Faso,
prononcer la résolution du plan et l’ouverture d’une procédure de liquidation des biens, sans
avoir à constater la cessation des paiements, pour peu que le débiteur n’est pas ou n’est plus
dans la possibilité de proposer un concordat sérieux »18.
Sur un plan d’ensemble, l’on peut soutenir que les procédures collectives, du fait de la
rémunération excessive, de la mauvaise gestion des syndics, et de l’absence de suivi des

14
Voy., S. Toé, op. cit., n° 242 et s.
15
L’inscription au registre du commerce se faisant bien souvent tardivement.
16
TGI de Bobo-Dioulasso, jugement n° 298 du 29/12/2004, affaire SOPAGRI-SA.
17
TPI de Ouagadougou, Jugement n° 90 bis du 24 janvier 2001 convertissant le redressement judiciaire de Flex-
Faso (prononcé par Jugement n° 244 en date du 07 avril 1997 rendu à la requête de la Société Flex-Faso, en
application de l’article 9 de l’ordonnance burkinabé n° 91-43 du 17 juillet 1991), en liquidation des biens.
18
Le texte appliqué en l’espèce est l’ordonnance burkinabé de 1991 sur le redressement judiciaire, où la
procédure était ouverte avant qu’une proposition de plan soit proposée. On devrait appliquer les textes en
vigueur lors de l’ouverture de la procédure, à savoir ladite ordonnance.
organes judiciaires, ne permettent que très rarement le sauvetage de l’entreprise. Dans la
quasi-totalité des cas, en effet, la procédure collective n’aboutit qu’à un traitement inadéquat
de l’entreprise et des créanciers. L’ineffectivité des sanctions prévues explique, en partie,
cette situation.

II.- L’INEFFECTIVITE DES SANCTIONS


La règle de droit régit essentiellement les comportements humains. Pour ce faire, elle
s’attache à organiser et à règlementer ces comportements, pour constituer un ensemble
homogène et cohérent qui formera l’ordre juridique. Cet ordre juridique, fondé sur un certain
nombre de valeurs19, vise une finalité déterminée en postulant ce qui doit être. Mais, pour
atteindre sa finalité, encore faut-il que la règle de droit soit effective, c’est-à-dire qu’elle
produise l’effet voulu à travers une réelle application, C’est dire que dans certaines situations,
la règle de droit peut se révéler ineffective. Elle l’est lorsqu’elle ne produit pas l’effet voulu,
lorsqu’elle n’est pas, ou lorsqu’elle est peu appliquée20.
En matière de procédure collective et concernant plus précisément la question des sanctions
applicables, l’ineffectivité semble résulter de la non-application de la loi pénale à travers ses
différentes composantes que sont les sanctions patrimoniales, extrapatrimoniales et pénales
qui, si elles ne sont pas rares pour les unes (A), sont quasi inexistantes pour les autres (B).

A.- La rareté des sanctions patrimoniales et extrapatrimoniales


Les sanctions patrimoniales sont traitées par les articles 183 à 193 de l’AUPC. Les sanctions
extrapatrimoniales font l’objet des articles 194 à 203 de l’AUPC. Comme sanctions
patrimoniales, l’Acte uniforme a prévu le comblement du passif social et l’extension de la
procédure collective aux dirigeants sociaux. Le comblement du passif social est prononcé en
cas de faute de gestion21. Quant à l’extension de la procédure collective, elle intervient si le
dirigeant social a exercé une activité commerciale personnelle, soit par personne interposée,
soit sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, a disposé du crédit ou
des biens de la personne morale comme des siens propres, ou a poursuivi abusivement, dans
son intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation
des paiements de la personne morale22. Comme sanction patrimoniale, on ne distingue guère
que la faillite personnelle, qui s’applique aux personnes visées par l’article 194, qui ont
commis l’un des faits visés par l’article 196 de l’AUPC.
Normalement, eu égard au nombre important de procédures collectives ouvertes dans l’espace
OHADA, on devrait assister au prononcé d’une panoplie de sanctions patrimoniales et
extrapatrimoniales. Il n’en est toutefois rien de cela et l’on ne rencontre que quelques cas de
prononcé de sanctions patrimoniales et extrapatrimoniales (1). Par ailleurs, si l’on considère
que le droit ne peut se concrétiser que s’il est mis en mouvement à travers une action en
justice, on comprend dès lors jusqu’à quel point l’absence d’action en responsabilité contre
les dirigeants fautifs, et même contre des tiers, influence négativement les statistiques du

19
Ces valeurs sont diverses et variables dans le temps et dans l’espace. On citera, sans être exhaustif, la
conception que l’on a de la liberté, de l’égalité, de la justice, du progrès et de la solidarité.
20
Gérard Cornu, Vocabulaire, juridique, op. cit., p. 477. Voy. également, E. Cerexhe, Réflexion sur le droit et le
non-droit, communication au congrès IDEF 2008 de Lomé, sur le thème « Le rôle du droit dans le
développement économique », publication sur le site http://www.institut-idef.org/Reflexions-sur-le-droit-et-le-
non.html. Cet auteur écrit que l’effectivité résulte de trois causes que sont l’inadaptation de la loi, sa désuétude
et sa non application.
21
Article 183 de l’AU PC.
22
Article 189 de l’AUPC.
prononcé des sanctions patrimoniales (2).

1.- Les quelques cas de sanctions patrimoniales et extrapatrimoniales


Ces différentes sanctions ont été prononcées par seulement les juridictions de trois Etats
parties au Traité de l’OHADA, à savoir le Sénégal, le Niger, le Gabon. Ce faible nombre de
juridictions des Etats qui prononcent les sanctions dans le cadre des procédures collectives est
incompréhensible, quand on sait que les procédures collectives sont ouvertes dans presque
tous les Etats membres de l’OHADA. Les sanctions prononcées concernent l’extension de la
procédure collective, le comblement du passif social et la faillite personnelle.
S’agissant des sanctions d’extension de la procédure collective, on ne distingue que deux qui
ont toutes été prononcées par le Tribunal régional hors classe de Dakar. Le premier cas de
sanction d’extension de la procédure collective a fait l’objet du jugement n° 128 du 21 janvier
2003. C’est un jugement qui a été rendu sur requête du syndic de la liquidation des biens de la
société SOGERES, aux fins d’extension de la procédure au sieur Abdoul Khafiz FAKIH. Au
soutien de sa requête, le syndic expose que « l’article 189, alinéa 1 de l’AUPC pose parmi les
conditions permettant d’étendre la liquidation des biens au dirigeant, l’exercice d’une activité
commerciale personnelle soit par personne interposée, soit sous le couvert de la personne
morale masquant ses agissements. Qu’il résulte du dossier que, dans les documents relatifs au
marché de la gestion et de l’exploitation du restaurant du Centre Régional des Œuvres
Universitaires de Saint-Louis (CROUS), il est mentionné soit Ets FAKIH SOGERES, soit Ets
FAKIH, soit FAKIH SOGERES. Que les documents produits, notamment l’attestation
d’existence de créances, le bordereau de notification de l’avenant ainsi que l’attestation du
14 juillet 1995 le confirment aisément ». Le syndic soutient par ailleurs que « les différentes
manipulations du compte de la SOGERES au niveau de la SGBS prouvent aisément que le
sieur Abdoul FAKIH a, conformément aux dispositions de l’alinéa 2 de l’article 189 précité,
disposé du crédit ou des biens de la personne morale comme des siens propres et que le refus
de ce dernier de communiquer les documents relatifs à ce compte ainsi qu’à celui de la BICIS,
confirme cette thèse ».
Pour résister à ces arguments du syndic de la liquidation des biens de la SOGERES, le sieur
FAKIH expose que pour la gestion et l’exploitation du restaurant CROUS de Saint-Louis dont
il a été attributaire du marché, il a créé la SOGERES et a confié la gestion au nommé Pape
Farba GUEYE. Il poursuit que ce dernier s’est signalé par une gestion désastreuse qui lui a
valu des poursuites pénales pour plusieurs infractions, dont abus de confiance, escroquerie,
faux, etc. Il affirme par conséquent, qu’il « n’a commis aucun fait de nature à justifier sa mise
en liquidation des biens, la mauvaise gestion de la déconfiture de la SOGERES étant
entièrement imputable à Pape Farba GUEYE et à ses complices, comme l’a indiqué le
Tribunal correctionnel de Dakar, le 21 mai 2002 ».
Au regard des faits de l’espèce, la question juridique qui se pose est celle de savoir si le sieur
FAKIH a commis l’un des faits prévus par l’article 189 de l’AUPC, justifiant ainsi à son
encontre le prononcé de l’extension de la procédure de la liquidation des biens de la
SOGERES ?
Pour répondre à cette question, le Tribunal, visant l’article 189 de l’AUPC, déclare que « le
sieur Abdoul Khafiz FAKIH a dissimulé ses agissements personnels derrière la SOGERES ».
Le Tribunal annonce que cet état des faits résulte du dossier, notamment de la lettre du
04 septembre 1995 adressée par le sieur FAKIH au Ministre de l’Education Nationale, de
l’attestation de créance du Directeur du CROUS en date du 15 juillet 1995 et du bordereau de
notification de l’avenant du Directeur du CROUS en date du 30 mai 1995, ainsi que du refus
de communiquer les documents comptables allégués par le syndic et non contestés et du refus
également du sieur FAKIH, de collaborer à l’expertise judiciairement ordonnée, relevé par la
juridiction de céans dans son jugement du 16 février 2000 et plus précisément, des
correspondances échangées entre la SOGERES et le CROUS et desquelles il apparaît que le
sieur FAKIH, en violation de l’article 3, alinéa 3 des statuts de la SOGERES, a fait
confectionner divers en-têtes de sociétés que sont : Ets FAKIH SOGERES, Ets FAKIH et
FAKIH SOGERES, semant ainsi une confusion qui lui a permis de masquer ses agissements
personnels dans les activités de la SOGERES ». Ainsi, après avoir constaté l’avis favorable du
juge-commissaire, le Tribunal a ordonné l’extension de la procédure de liquidation des biens
de la SOGERES au sieur Abdoul Khafiz FAKIH.
L’on peut approuver le Tribunal pour l’application correcte qu’il faite des dispositions
relatives à l’extension de la procédure collective au dirigeant social, mais l’on aurait préféré
que le Tribunal se prononce sur les organes de la liquidation des biens du sieur FAKIH, même
s’ils peuvent être les mêmes que ceux de la liquidation des biens de la SOGERES.
Le second cas de sanction d’extension de la procédure collective au dirigeant social que l’on
peut évoquer ici, est celui résultant du jugement n° 15 du Tribunal régional hors classe de
Dakar en date du 08 juillet 2005, dans l’affaire de la liquidation des biens de la société
SENEMATEL. Il faut dire que le dirigeant de la société, le sieur Cheikh Tidiane NDIAYE, en
plus de l’extension de la procédure collective, était également poursuivi pour le comblement
du passif social.
Pour le prononcé du comblement du passif, le demandeur doit établir que la liquidation des
biens fait apparaître une insuffisance d’actif due à une faute de gestion de la part du dirigeant
social. En l’espèce, c’est ce que le syndic a fait valoir devant le tribunal. Il a en effet, établi
que ses missions lui ont permis de constater une insuffisance d’actif de l’ordre
1.177.876.877 F, alors que le fonctionnement de la société a révélé, notamment, l’absence de
tenue de comptabilité régulière et complète, ce qui est caractéristique d’une faute de gestion.
Le syndic a été approuvé par le Tribunal, qui déclare que « l’action en comblement du passif
suppose que soit établie à l’encontre des dirigeants sociaux mis en cause, une faute de gestion
caractérisée aggravant le passif de cette société ; qu’il ne peut être discuté qu’est constitutive
d’une faute de gestion, l’absence d’une tenue régulière d’une comptabilité complète de la
société à gérer et la confusion du patrimoine social avec celui du gérant ; qu’en l’espèce, la
seule dissipation par le sieur NDIAYE des loyers perçus au titre des baux consentis par la
SENEMATEL, société en liquidation, sur une période relativement longue et représentant des
sommes importantes, est caractéristique d’une faute de gestion ; qu’il s’y ajoute qu’au mépris
des prescriptions légales, il n’a ni communiqué les documents comptables, ni produit les titres
PBE de la SENEMATEL en sa possession réclamés par le syndic ; que ces faits ont
nécessairement pour effet, de diminuer l’actif global de ladite société, et par conséquent,
d’aggraver le passif social arrêté à 1.702.876.877 F ; qu’il échet, au regard de tout ce qui
précède, de déclarer Cheikh Tidiane NDIAYE tenu au comblement du passif de la
SENEMATEL à hauteur de la somme de 500.000.000 francs ».
Pour ce qui est de la sanction de l’extension de la procédure collective, il a été établi par le
syndic, que Cheikh Tidiane NDIAYE a loué des locaux dépendant du patrimoine de la
SENEMATEL à la SOSEMA, dans laquelle il est actionnaire principal, et a encaissé les
loyers depuis 1999 jusqu’en 2001. Le syndic expose que « l’encaissement de ces loyers à
travers une société immobilière SAGI, où il est actionnaire, traduit le fait par Cheikh Tidiane
NDIAYE, de disposer des biens de la personne morale comme siens propres, qu’il en est de
même des titres PBE de ladite société qu’il détient ». Ici également, le syndic a été suivi dans
son argumentaire par le tribunal, qui déclare qu’en « continuant de collecter les loyers perçus
sans jamais les reverser au syndic, à défaut de se décharger sur ce dernier, en application des
prescriptions légales, le sieur NDIAYE a manifestement disposé des biens de la
SENEMATEL comme de ses biens propres ; qu’il échet de le déclarer personnellement en
liquidation des biens ... ».
Concernant toujours la sanction du comblement du passif, on peut essayer de la situer
également dans l’affaire de la liquidation des biens de la COMANI SA, prononcée par
jugement n° 258 du Tribunal de grande instance hors classe de Niamey. En l’espèce, pour
traiter des difficultés de cette société, un expert en diagnostic de la société avait été désigné,
en l’occurrence le Niger Conseils Service. Ce dernier a déposé son rapport courant avril
1999. A la page 14 dudit rapport, on peut lire « des bilans ont été établis de manière
extracomptable ; en effet, les enregistrements comptables, les travaux de fin d’exercice, la
clôture des comptes sont totalement absents dans la comptabilité de la COMANI-SA. La
réouverture des comptes en début d’exercice non plus n’a pas été faite. Dès lors, le problème
du principe de la spécialisation des exercices reste posé ». De plus, à la page 77, l’expert
poursuit en précisant que « le cas de la COMANI-SA est l’exemple type de la mauvaise
gestion …, les dispositions statutaires, comme les dispositions légales, n’ont pas été
respectées. En effet, les assemblées générales, comme le Conseil d’Administration, n’ont pas
fonctionné suivant la régularité requise par les textes susvisés. Il en est de même du
commissariat aux comptes ». L’expert conclut que « ces défaillances sont révélatrices de
l’absence de diligence des administrateurs et des actionnaires ; dès lors, aucune circonstance
atténuante ne peut être invoquée à leur bénéfice ».
Prenant appui sur ces faits graves, le syndic de la liquidation, qui a constaté que l’actif de la
société est quasiment nul et ne peut suffire à payer son passif d’un montant de 124.411.220
francs, a introduit une action en comblement du passif contre les dirigeants de la société, à qui
il reprochait des fautes de gestion ayant conduit à l’insuffisance d’actif. Lesdits dirigeants ont
été condamnés à combler une partie du passif social. Le tribunal déclarait à cet effet :
Attendu qu’aux termes de l’article 183, alinéa 1 de l’AUPC, il ressort que « lorsque le
redressement judiciaire ou la liquidation des biens d’une personne morale fait apparaître une
insuffisance d’actif, la juridiction compétente peut, en cas de faute de gestion ayant contribué
à l’insuffisance d’actif, décider ... que les dettes de la personne morale seront supportées en
tout ou en partie, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants ou certains d’entre eux ». En
l’espèce, par jugement en date du 27 février 2002 du Tribunal régional de Niamey, la
Compagnie Maritime du Niger (COMANI S.A) a été déclarée en cessation de paiement et
mise en liquidation des biens, et il s’est avéré à la suite de cette procédure, que l’actif de la
COMANI-SA est quasiment inexistant, mais que son passif s’élève à la somme de
124.411.220 FCFA, ce qui fait penser à une insuffisance d’actif pour éponger le passif de
ladite société. En conséquence, après avoir arrêté que les personnes mises en cause ont la
qualité de dirigeants, le tribunal a caractérisé les fautes commises par chaque dirigeant23.
Ainsi, est-il reproché les fautes de gestion suivantes :
- Abdoul Aziz Combary et Moussa Mossi : leur manque de diligence en vue de la
nomination de commissaire aux comptes lors de leur gestion, la mésentente préjudiciable à
la société qui sévissait entre eux, le non établissement du bilan de fin d’exercice à leur
époque, la non tenue ou des fois, la tenue irrégulière de la comptabilité, leur absence de
réaction face à la baisse du chiffre d’affaires de la société et l’accroissement de la masse
salariale ;
- Hima Hassoumi, en tant que représentant des actionnaires étrangers et dirigeant de la
création de la COMANI SA, d’avoir contribué de façon active et passive aux irrégularités
lors de la constitution de la société, notamment la non libération du quart des souscriptions

23
Voy. Tribunal de grande instance hors classe de Niamey, jugement civil n° 258 du 28 juin 2006.
prévues par la loi ;
- Le CNUT, en tant qu’Administrateur lors de la création de la société, représenté par
l’Administrateur délégué de 1992 à 1995, de n’avoir pas pu libérer l’intégralité de ses
souscriptions et n’a pas réagi face à la déliquescence de la société et aux irrégularités
constatées dans la constitution et la vie de la COMANI ;
Le tribunal a constaté que ces fautes de gestion ont contribué en partie à la déliquescence de la
société et à l’insuffisance d’actif. Ils ont donc été condamnés à combler pour partie le
passif social à hauteur de 70.000.000 FCFA24.
Concernant enfin le cas du prononcé de la faillite personnelle, on a pu recenser deux décisions
dont l’une a été prononcée par un Tribunal du Sénégal25, et l’autre une juridiction du Gabon26.
La décision sénégalaise concerne la procédure de liquidation des biens de la Société
Mauritano-Sénégalaise d’Investissement et de Commerce dite SOMASIC. Ladite société a été
assignée en liquidation des biens par un créancier, en même temps qu’en faillite de son
dirigeant social en la personne de Cheikh KEBE. En effet, la CBAO expose qu’elle est
créancière de la SOMASIC de la somme en principal de 4.560.916 francs représentant le
solde débiteur de son compte ouvert dans ses livres, outre les intérêts de droits, frais et autres
accessoires ; que l’huissier commis pour procéder à l’exécution de l’ordonnance de payer
n° 266/2001 revêtue de la formule exécutoire consacrant ladite créance n’a trouvé aucun
représentant de la société, ni une trace de celle-ci à l’adresse indiquée comme étant son siège
social dans les documents officiels ; qu’il est manifeste que cette société, qui a physiquement
disparu en violation des règles organisant la vie des sociétés, ne peut plus faire face à son
passif exigible avec son actif disponible ; qu’elle sollicite qu’elle soit déclarée en cessation
des paiements, la liquidation des biens ordonnée et Cheikh KEBE déclaré en faillite
personnelle. Sur quoi, statuant publiquement par défaut, le Tribunal, après avoir constaté la
cessation des paiements de la SOMASIC et prononcé sa mise en liquidation des biens, a
déclaré Cheikh KEBE en faillite personnelle, aux motifs qu’il n’a pas déclaré, dans les 30
jours, la cessation des paiements de la personne morale.
Il reste toutefois regrettable que le Tribunal n’ait pas fixé une durée à cette faillite
personnelle, comme l’y oblige l’article 203, alinéa 5 de l’AUPC.
La décision gabonaise concerne l’affaire du redressement judiciaire de la Commission
Bancaire de l’Afrique Centrale. Le Tribunal déclare à cet effet, que « la faillite personnelle du
Directeur général doit être prononcée, en application des articles 196.5 et 197 de l’AUPC, dès
lors que l’on relève à son encontre un ensemble d’éléments traduisant une comptabilité non
conforme, mais également et surtout, la poursuite d’une exploitation déficitaire qui ont
conduit l’établissement à la cessation des paiements ; imprudences inexcusables eu égard à
l’importance et à la nature de l’exploitation ».
La remarque essentielle que l’on peut faire de l’ensemble de ces décisions, est que dans leur
quasi-totalité, l’action a été introduite par le syndic, qui a exercé ainsi une prérogative que lui
donne l’Acte uniforme. Mais, dans biens des cas, le syndic manque de mettre en œuvre cette
prérogative, privant ainsi la procédure d’une ressource potentielle pour l’atteinte des objectifs
d’apurement du passif. Ceci est particulièrement vrai, lorsque le syndic manque de saisir la
juridiction compétente pour voir condamner les dirigeants ou des tiers, alors que des faits de
nature à permettre de telles condamnations existent et sont presque incontestables.

24
Voy., Tribunal de grande instance hors classe de Niamey, jugement civil n° 258 du 28 juin 2006, op. cit.
25
Tribunal régional hors classe de Dakar, Jugement n° 149 du 08 juillet 2005.
26
Tribunal de première instance de Libreville, Jugement, Répertoire n° 001/2000-2001 du 05 janvier 2001,
Samson NGOMO c/ Jean Géo PASTOURET et B.P.B.
2.- L’insuffisance des actions en responsabilité contre les dirigeants sociaux ou
tiers fautifs
Au regard de l’ampleur des procédures collectives ouvertes et de l’existence de faits fautifs de
la part des dirigeants, le syndic devrait dans bien des cas, déclencher l’action en justice pour
l’application des sanctions patrimoniales. De même, dans certains cas et en vertu de
l’article 118 de l’AUPC, le syndic devrait, plus souvent, engager des actions en responsabilité
civile contre des tiers fautifs. Mais, la pratique dénote d’une insuffisance d’action en justice
contre les dirigeants fautifs, alors que jamais l’action en responsabilité contre des tiers n’est
engagée par l’organe central de la procédure qu’est le syndic.
Ainsi, dans l’affaire de la liquidation des biens la société SOPAGRI-SA évoquée plus haut,
compte tenu des faits graves27 qui ont été posés par le dirigeant de la société, on devrait
s’attendre à ce que le syndic introduise une action soit en comblement du passif, soit en
extension de la procédure collective contre le dirigeant, conformément aux dispositions des
articles 183 et 189 de l’AUPC. Mais, alors qu’une insuffisance d’actif est constatée, aucun
dirigeant de la société n’a été poursuivi. Or, l’entreprise en question se trouvait être une
entreprise viable, d’où, dans un premier temps, l’ouverture de la procédure collective de
redressement judiciaire. Mais, les actes fautifs du dirigeant social ont par la suite conduit la
juridiction compétente à prononcer la liquidation des biens de ladite société, qui a fini par être
clôturée pour insuffisance d’actif avec plus de 300 millions de francs de créances non réglées.
Aux termes de l’article 118 de l’AUPC, on retient que « les tiers, créanciers ou non, qui par
leurs agissements fautifs, ont contribué à retarder la cessation des paiements ou à diminuer
l’actif ou à aggraver le passif du débiteur peuvent être condamnés à réparer le préjudice subi
par la masse, sur action du syndic agissant dans l’intérêt collectif des créanciers ». L’action en
responsabilité contre des tiers est une simple faculté laissée au syndic, lorsque les fautes
commises « ont contribué à retarder la cessation des paiements ou à diminuer l’actif ou à
aggraver le passif du débiteur ». Mais, elle devrait souvent être mise en œuvre par le syndic,
puisque d’éventuelles condamnations à des dommages et intérêts peuvent être prononcées,
renflouant ainsi l’actif à distribuer aux créanciers.
Pour qu’une telle action aboutisse, le syndic doit faire la preuve de l’existence des trois
éléments cumulatifs de la responsabilité civile que sont la faute, le dommage et un lien de
causalité entre la faute et le dommage. Il n’existe guère d’exemple d’action en responsabilité
civile contre les tiers sur la base des textes de l’AUPC. Par contre, sous l’empire de la
législation antérieure, quelques exemples peuvent être relevés. Dans cette rare espèce28 que les
juridictions du Burkina Faso ont eu à connaître, il a été reproché aux trois banques mises en
cause, d’avoir enfreint les dispositions de la réglementation bancaire alors en vigueur29. Elles
avaient, en effet, excédé le plafond de crédit qu’une banque peut consentir à une même

27
En rappel dans cette affaire, le dirigeant de la société, juste après l’ouverture du redressement judiciaire, a
conclu une convention de compte courant avec affectation hypothécaire d’une valeur de 50.000.000 consentie
à la Bank of Africa, sans que ne soit précisée la destination des fonds. Il a par ailleurs consenti une
hypothèque à la Banque Agricole et Commerciale du Burkina pour un prêt d’un montant de 15.000.000 F, de
même que des décaissements de sommes importantes pour des frais de missions inutiles et de la pratique très
généralisée consistant à puiser dans les caisses de l’entreprise à titre de prêt ou de remboursement de frais
médicaux, au mépris des dispositions des articles 183, 189 de l’AUPC.
28
Jugement n° 214 du TPI de Ouagadougou du 13 juin 1984, KI Joseph, syndic de la faillite SAFI c/ BIV,
BICIA-HV et BND, cité par F.-M. SAWAOOGO, L’application judiciaire du droit des procédures collectives
en Afrique francophone, à partir de l’exemple du Burkina Faso, RBD, n° 26, juillet 1994.
29
Notamment celle de l’article 37 de l’ordonnance n° 75-39/PRES du 4 juillet 1975 portant réglementation
bancaire, remplacée par la Zatu n° AN VII-42/FP/PRES du 12 juillet 1990, aujourd’hui remplacée par la Loi
uniforme portant réglementation bancaire.
personne physique ou morale. Les crédits octroyés ne devraient pas être supérieurs au total
des fonds propres effectifs des bénéficiaires tels qu’ils ont été définis par une instruction de la
Banque Centrale. Ce manquement a été sanctionné et c’est sans doute ce fait qui a poussé le
syndic à introduire l’action en responsabilité tendant à voir les banques en cause condamnées
en réparation du préjudice causé aux créanciers, pour avoir accru le passif ou diminué l’actif.
Afin d’échapper à la condamnation, les banques ont invoqué des fins de non-recevoir que le
Tribunal a repoussées. Pourtant, au fond, le Tribunal déboute le syndic au motif qu’il n’est
pas prouvé que le crédit octroyé par les banques ait été à l’origine des difficultés de la société.
Au total, les cas de sanctions civiles, s’ils ne sont pas nombreux, existent tout de même. En
revanche, les cas de sanctions pénales sont presqu’inexistants.

B.- La quasi-inexistence des sanctions pénales


Le fonctionnement des entreprises en Afrique montre que des actes constitutifs de
banqueroute simple et frauduleuse sont souvent commis. Mais, dans la plupart des cas, ces
actes laissent les juridictions pratiquement sans réaction.
Après avoir exposé un cas rare de prononcé de sanctions pénales (1), l’on évoquera les raisons
possibles à la rareté du prononcé des sanctions pénales (2).

1.- Du prononcé d’une sanction pénale


L’unique cas de sanction pénale que l’on peut évoquer est celui qui résulte de cette décision
rare du Tribunal Régional hors classe de Dakar30. En effet, en application des articles 229 et
236 et ayant retenu la qualité de commerçant du prévenu, le Tribunal relève que le défaut de
constatation de la cessation de paiement n’est pas un obstacle à la condamnation pour
banqueroute simple ou frauduleuse, ainsi que le prévoit l’article 236 de l’AUPC. Il a retenu
que l’omission de la déclaration de cessation des paiements s’analysait en un délit de
banqueroute simple et a ajouté que le paiement de dettes ne correspondant à aucun élément du
patrimoine ou de l’activité du commerçant est manifestement un acte de mauvaise foi
caractérisant le délit de banqueroute frauduleuse, avec la complicité d’un commerçant et de
prétendus créanciers.
En conséquence, le Tribunal :
« - Déclare Cheikh Talibouya Diba coupable de banqueroute frauduleuse et de banqueroute
simple ;
- Le condamne à six mois avec sursis ;
- Déclare Mané Dieng et Astou Fall coupables de complicité de banqueroute frauduleuse ;
- Les condamne chacun à deux mois avec sursis ;
- Condamne Cheikh Diba, Mané Dieng et Astou Fall à payer aux héritiers, la somme de cinq
millions de francs à titre de dommages-intérêts ;
- Ordonne l’exécution provisoire ;
- Fixe la contrainte par corps au minimum ».
Il faut saluer le tribunal pour avoir appliqué ici, une sanction pénale prévue par l’Acte
uniforme. Cependant, à l’évidence, le tribunal ne va pas au bout de la logique. La décision est
notamment critiquable de deux points de vue. D’abord, le tribunal prononce en même temps
la banqueroute simple et la banqueroute frauduleuse, alors que cette dernière seule suffit ;
ensuite, le tribunal accorde le sursis, qui ne semble pas cadrer avec la gravité des fautes
entraînant la banqueroute frauduleuse.

30
Jugement correctionnel n° 5992/2001 du 4 décembre 2001, Ministère Public et héritiers de feu Yally Fall
c/ Cheikh Talibouya Diba et autres.
Il faut remarquer que cette décision a été rendue par une juridiction du Sénégal. Dans les
autres Etats membres de l’OHADA, il n’a pas été possible de disposer de décision prononçant
des condamnations pénales. Or, des faits de nature à provoquer les condamnations pénales
existent dans la plupart des affaires citées. Par exemple, dans l’affaire de liquidation des biens
de la société SOPAGRI-SA précitée, il n’a été prononcé aucune sanction, alors qu’on a vu que
les difficultés financières de la société se sont exacerbées et sont devenues irrémédiablement
compromises à cause des actes graves posés par le dirigeant de la société. De te1s actes
commis par le dirigeant social tombent sous le coup de l’incrimination de banqueroute simple.
De même, dans l’affaire de la liquidation des biens de la COMANI-SA précitée, en plus des
sanctions civiles et compte tenu de la gravité des fautes commises, l’on pouvait s’attendre à
des condamnations pénales, conformément aux dispositions des articles 228 et 229 de
l’AUPC.
Il y a donc une espèce de laxisme qui caractérise l’attitude des juges africains quant au
prononcé des sanctions pénales. Comment peut-on expliquer cette situation paradoxale ?

2.- Des raisons possibles à la rareté du prononcé des sanctions pénales


La non-application des sanctions pénales semble aller à contre-courant de sa nature. Ce
paradoxe peut s’expliquer par différents facteurs, dont des raisons politiques et des raisons
liées au poids des pesanteurs socioculturelles.
Politiquement, les dirigeants des grandes entreprises sont souvent des responsables politiques.
Cette double qualité leur permet de développer un réseau d’influence pouvant entraîner des
pressions sur l’appareil judiciaire, mettant ainsi en branle l’indépendance de la justice. Aidés
en cela par une certaine conception du pouvoir au plus haut niveau de l’Etat, certains
dirigeants se retrouvent bénéficiaires d’une certaine impunité dans l’acte que la loi réprime31.
Le poids des traditions africaines influence aussi et encore beaucoup l’accès à la justice et
l’issue du procès. Certes, aux yeux du citoyen, la justice est un rempart, un recours, une
sécurité et surtout, un symbole. Mais, pour que la justice soit rendue, encore faut-il que le
justiciable puisse la saisir et qu’il ne soit pas retenu dans cette légitime aspiration par des
contraintes tant morales que matérielles ; il ne faudrait pas aussi que ces contraintes morales
et matérielles influencent le juge chargé de dire le droit.
Malheureusement, en Afrique, les contraintes morales et matérielles sont encore vivaces pour
l’effectivité de la règle de droit. D’une part, en effet, le citoyen répugne à saisir la justice pour
faire valoir son droit. Avoir affaire à la justice moderne continue d’être mal accepté par la
société et c’est ce qu’exprime feu le juge Kéba M’BAYE, lorsqu’il écrit : « la fierté du paysan
sénégalais n’est-elle pas de pouvoir dire : je n’ai jamais mis les pieds dans un tribunal ou dans
un commissariat »32 ? Le professeur Filiga Michel SAWADOGO renchérit en écrivant :
« l’individu attrait en justice considère, avant même toute condamnation civile et a fortiori
pénale, qu’il est atteint dans sa dignité et son honorabilité. Aucune créance ne semble pouvoir
justifier de telles conséquences »33. C’est pourquoi, poursuit l’auteur, « de nombreux
débiteurs ne sont pas attraits en justice et en cas d’inexécution d’un contrat, notamment en cas
de non-paiement d’une somme d’argent, et à défaut de conciliation, le créancier « laisse
tomber », renonce à poursuive judiciairement la réalisation de son droit. Dans de nombreux
cas, le créancier se sent quelque peu fautif – il a fait confiance à tort – et s’engage à être plus

31
Le crédit politique est souvent utilisé pour protéger certains dirigeants fautifs.
32
Kéba M’BAYE, Le droit en déroute, Liberté et ordre social, Neufchâtel, éd. de la Banomière, 1969, p. 38.
33
F.-M. Sawadogo, L’accès à la justice en Afrique Francophone : problèmes et perspectives. Les cas du Burkina
Faso, Revue juridique et politique, n° 1, janvier-avril 1995. pp. 295-309.
vigilant à l’avenir. Dans le cas fréquent de prêt de sommes d’argent, le non remboursement
est une raison de ne plus rendre service »34.
D’autre part, même en cas d’assignation, le tribunal manque bien souvent de rigueur dans
l’application des sanctions. Le tribunal s’en tient au minimum des sanctions prévues, malgré
la gravité des fautes commises, comme s’il avait « pitié » des prévenus35. Le moins que l’on
puisse dire, et cela s’ajoute à ce qui vient d’être mentionné, est que le citoyen ne fait pas
confiance à la justice. Il est convaincu que pour les causes qui leur sont soumises, la justice
tranche en faveur du plus fortuné, capable de se payer les services d’un bon avocat. Le public
soutient de plus, que des magistrats de plus en plus nombreux, se font payer de fortes sommes
d’argent par l’une des parties ou son avocat, afin de rendre un jugement en leur faveur.
Ce sont là des injustices et des motifs d’insatisfaction des justiciables, que l’on retrouve un
peu partout en Afrique36. Si le phénomène des « indélicatesses » et de la corruption n’est pas
propre au monde de la justice, il y est par contre plus choquant, en raison de ce que l’on est en
droit d’en attendre37, et cette crise de confiance entre la justice et le justiciable peut produire
des conséquences graves, notamment dans le monde des affaires.
En effet, en plus de 15 ans de mise en œuvre du droit OHADA, la machine économique en
Afrique tarde encore à décoller. Des défaillances d’entreprises sont de plus en plus
nombreuses sur l’espace OHADA et le droit semble incapable de juguler ces difficultés, à
assurer un paiement satisfaisant des créanciers et à réprimer des comportements déviants des
commerçants malveillants. Dans ces conditions, l’assainissement du monde des affaires serait
un véritable vœu pieux, tant les différents acteurs ne s’engagent pas à appliquer et à respecter
les règles édictées justement pour promouvoir le développement économique des Etats
africains.
A ce propos, le Premier Président de la Cour Suprême du Cameroun, lors des cérémonies de
présentation des vœux, le 22 janvier de l’année 2009, n’a pas manqué d’interpeller les
différents acteurs en ces termes : « nous devons continuer à contribuer à notre manière au
développement de notre pays, en veillant à assainir le monde des affaires, dans lequel
l’imagerie populaire voit à tort ou à raison, mais beaucoup plus à raison qu’à tort, une jungle ;
la délinquance économique peut être non seulement civile, mais aussi pénale : nous ne
saurions donc nous borner à régler les litiges civils, sociaux et administratifs, mais aussi à
poursuivre et punir tout auteur dont les actions sont génératrices d’erreurs et de perturbations
diverses, de dégâts, d’abus et de détournements de toute sorte ; il faudrait alors réparer ceux-ci
tout en redressant et régulant celles-là ; ce sera tantôt l’œuvre de la balance, tantôt celle de
l’épée, symboles de la justice ». Il poursuit en invitant tous les acteurs de la justice à jouer
pleinement leur rôle tout en affirmant que « soit révolu le comportement de certains
auxiliaires de justice qui, pour l’appât du gain, s’ingénient à induire les magistrats en erreur ».
Dans cette perspective dit-il, « il faut des avocats compétents, indépendants, intègres,
courageux, pour tout dire sérieux, dont l’activité doit être empreinte de respect des principes

34
Ibid.
35
Voy., Tribunal de grande instance hors classe de Niamey, Jugement civil n° 258 du 28 juin 2006, syndic
liquidateur contre Conseil Nigérien des Utilisateurs des Transports, Ali Djimba, Hima Hassoumi, Abdoul Aziz
Combari et Moussa Mossi ; Tribunal régional hors classe de Dakar, Jugement n° 4025 du 27 août 2002,
Ministère Public et Toutelectric c/ Papa Aly Guèye ; TPI de Libreville, répertoire n° 001/2000/2001 du
5 janvier 2001 concernant le redressement judiciaire de la Banque Populaire du Gabon.
36
M. Debene., La justice sans juge d’hier à demain, in La justice en Afrique, p. 90.
37
Voy. sur cette question, H. Sarassoro., La justice contre la corruption en Afrique aujourd’hui, in La justice en
Afrique, p. 195-206 cité par F.-M. Sawadogo, in L’accès à la justice en Afrique francophone, op. cit.
de dignité, de délicatesse, d’honneur et de loyauté envers les juridictions, les magistrats, les
confrères et les clients ».
Ce discours montre à quel point, les indélicatesses et l’inapplication de la règle de droit
causent un préjudice au monde des affaires. Or, l’assainissement du monde des affaires est
une condition indispensable du développement économique ; le développement économique
étant lui-même un droit fondamental tel que consacré par l’article 22 de la Charte Africaine
des Droits de l’Homme, qui proclame « l’obligation des Etats d’assurer le développement
économique ». Ainsi, à l’heure des préoccupations du développement durable, face aux
risques globaux, il incombe aux Etats, aux entreprises et aux peuples, de prendre la mesure du
caractère existentiel de la participation de chacun, afin que la règle de droit atteigne les
finalités escomptées38.
Il reste toutefois entendu, au regard de la pratique, que le droit des procédures collectives sera
toujours en constante évolution, toute chose qui a permis à un auteur d’écrire que « l’histoire
mouvementée du droit des procédures collectives ... amène à conclure à une relative
incapacité du droit à juguler les difficultés des entreprises et à assurer un paiement satisfaisant
des créanciers ; qu’il faudrait en chercher les causes également dans l’inadéquation des règles,
dans la hiérarchisation inadéquate des objectifs et dans la défaillance des hommes intervenant
dans l’administration des procédures collectives »39.
A ces propos, on peut se demander à quoi bon mobiliser la justice et ses institutions pour
traiter les difficultés d’une entreprise, si finalement on n’aboutit ni au sauvetage de
l’entreprise, ni au paiement des créanciers, sans que les éventuels fautifs soient punis, tout en
octroyant au syndic une part importante de l’actif à titre de rémunération ? Ne faudrait-il pas
s’exclamer avec cet auteur, qui constate que : « Bien sûr, la réalité économique, fort différente
du charisme législatif, y est restée insensible et la constance du pourcentage de liquidations
judiciaires est exemplaire à ce titre. Il ne sert à rien d’exhorter puis de gronder contre la réalité
économique »40 ?
C’est vrai, la pratique montre qu’un droit ne peut reposer sur des finalités incertaines, parfois
contradictoires, qu’il n’est pas de bonne méthode de « plaquer » des procédures nouvelles
d’inspiration moderne sur un droit ancien fondé sur une autre logique, et qu’une inadéquation
conceptuelle et organisationnelle de la règle de droit à une réalité par essence évolutive ne
peut durer très longtemps sans sérieux dommages41.
Mais, sur la base des textes actuels, le droit des procédures collectives conserve toute son
utilité, et il conviendrait de travailler à ce qu’il n’y ait pas d’entreprises en difficulté.
Observons que dans ce domaine comme dans d’autres, le succès est tributaire des hommes. Il
faut donc, comme le suggère un auteur42, des auxiliaires de justice compétents, de bonne
moralité dont la rémunération n’absorbe pas tout l’actif de l’entreprise. Une réglementation
adaptée s’impose, qui, outre des critères garantissant la compétence et la moralité des
auxiliaires de justice, fixe les éléments de détermination de leur rémunération. Il faut surtout
une justice active, animée par des magistrats suffisamment nombreux, bien formés, conscients

38
Voy. en ce sens, Patrick de Fontbressin, « Devoir d’information, devoir de participation et éthique », Revue
Experts n° 58, 2003 ; également Patrick de Fontbressin, « Environnement et Communication, les clés du
développement durable », Revue Experts n° 54, 2002.
39
F.-M. Sawadogo, L’application judiciaire du droit des procédures collectives en Afrique francophone, op.cit.,
p. 195.
40
Frison-Roche, M.-A., Les difficultés méthodologiques d’une réforme du droit des faillites, Recueil Dalloz-
Sirey, 1994, n° 2, chronique III, p. 20.
41
Voy., Jean Paillusseau in Etudes offertes à Roger Houin, op. cit. p. 109 et s.
42
F.-M. Sawadogo, Application judiciaire du droit des procédures collectives, op. cit.
des enjeux de la procédure43, et qui acceptent de lui sacrifier suffisamment de leur temps.
C’est le lieu de rappeler qu’il ne faudrait pas toujours attendre la cessation des paiements pour
mobiliser les institutions. L’assainissement du milieu des affaires est une quête permanente et
il conviendrait que, tant les organismes publics que la justice, en passant par des organismes
privés, soient en alerte permanente pour intervenir dès que cela est nécessaire pour conseiller,
orienter et financer le redressement des entreprises. Ainsi, en amont de la cessation des
paiements, on pourrait tout mettre en œuvre pour prévenir la cessation des paiements de
l’entreprise et en aval, c’est-à-dire lorsque la cessation des paiements est avérée, on prendrait
les dispositions nécessaires pour traiter efficacement les difficultés à travers le redressement
judiciaire ou la liquidation des biens.
Avec une telle mobilisation de la société dans ses différents compartiments, il est possible
d’espérer que le droit OHADA des procédures collectives, dans un avenir proche, sera l’objet
d’une application hautement maîtrisée par ses principaux acteurs pour un environnement
économique performant avec des entreprises moins malades ou bien soignées.

Revue de Droit Uniforme Africain n° 001 / 2ème trimestre 2010, pp. 37.

43
Si la justice est rendue au nom du peuple et si la décision ainsi rendue est censée protéger l’intérêt général, on
doit également admettre qu’une mauvaise décision, une application approximative de la règle de droit finit par
porter préjudice à l’intérêt du peuple. Par exemple, quel serait l’impact économique de la liquidation d’une
société dont la cessation des paiements n’est pas pleinement établie ?

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