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ANALYSE de quelques

pièces du CARNAVAL de
Schumann
DEUXIÈME PARTIE

Par Anne Poelen


1. Préambule
2. Pierrot
3. Arlequin
4. Valse noble
5. Eusebius
6. Florestan
7. Coquette
8. Réplique Les extraits étudiés:
Sphinxs • 1 - Préambule
9. Papillons • 21 - Marche des Davidsbündler
10. A.S.C.H. S.C.H.A. (Lettres dansantes) • 2 - Pierrot
11. Chiarina • 5 - Eusebius
12. Chopin • 6 - Florestan
13. Estrella
• 10 - ASCH-SCHA (Lettres Dansantes)
14. Reconnaissance
15. Pantalon et Colombine • 12 -Chopin
16. Valse allemande
17 Paganini
18. Aveu
19. Promenade
20. Pause
21. Marche des Davidsbündler
contre les Philistins
Préambule (1)
Le recueil s’ouvre avec la pièce Préambule.
Cette pièce se compose de deux parties très différentes :
➢ 1ère partie : Marche d’ouverture ,majestueuse, qui donne à imaginer
le défilé des personnages du Carnaval
➢ 2ème partie: Valse (3 étapes) et coda
1ère partie, la marche
A B

La b Majeur Un thème majestueux qui


annonce l’arrivée des invités au
IV bal du carnaval.
I V I V de
MIb
L’appui sur le IVe degré au début de la
phrase lui donne un élan ascendant
dès le début du thème alors qu’un
appui sur le 1er degré aurait contribué
A’ à une sorte d’assise et n’aurait pas
donné ce même élan.
« A » évolue de LAb vers la tonalité du
Ve degré, MIb. « A’ » est en LAb.

Structure II: A :II B – A’


Nuance fortissimo, avec de nombreux accents
Tonalité LA b Majeur
Thème A phrase ascendante
A
1ère partie
a1 a2

Un découpage très régulier


B a1 minorisé a1 transposé
A ( a1- a2) :II B A’ (a’1 – a’2 – a’2)

Un rythme omniprésent
a2
tronqué a3
A’ a1

a2
tronqué A’3
partie B :
emprunt mélodique
un extrait des Trauerwalzer D365 de
Franz Schubert.

L'emprunt chez Schumann est une pratique


courante, que ce soit des fragments mélodiques
provenant de ses propres compositions ou de
compositions d'autres compositeurs.

Schubert Trauerwalzer, extrait des Sehnsuchtswalzer D365

Schumann Thème B, Préambule du Carnaval


L’écriture pianistique de ce début développe les capacités dévolues à l’instrument, témoin de l’émancipation de
l’écriture pour clavier à cette époque et de la nécessité de l’utilisation de la pédale.
Pour ce tout début, pas de « demi-mesure », c’est un piano « massif »

La nuance fortissimo est amplifiée par des effets d’écriture :


▪ La doublure de mélodie à l’octave (main droite + main gauche)
Ici, la main gauche se déplace. La tenue n’est possible que grâce à la pédale

▪ Un grand ambitus
Certains accords de la main gauche, d’un ambitus trop large pour être joués en un
seul geste sont rapidement arpégés et entendus pleinement grâce à la pédale :

▪ De grands accords de 6/7 notes :


md md

md md

▪ Des déplacements de la main droite pour compléter un accord de la main gauche


comme ici dans le A’ : le thème est entendu comme au tout début grâce à l’utilisation de la pédale.
mg mg
▪ La doublure en octave de la main gauche
2ème partie, le bal
Puis vient un épisode dansant sur un rythme de valse, le bal proprement dit et qui s’accélère progressivement.
Les accords larges aux deux mains sont abandonnés au profit d’un espace sonore scindé, avec d’un côté la mélodie
principalement jouée à la main droite et l’accompagnement de valse entendu à la main gauche.

1. Tout d’abord Più moto (plus animé), Schumann présente un motif de 5 notes, 4
croches-noires à la main droite sur un rythme de la valse à la main gauche et qui
est repris dans divers registres, grave, médium et aigu, à la main droite et à la main
gauche, en tuilage et qui varie suivant les accords de la construction harmonique du
morceau. C’est une amorce du thème qui apparait par la suite en entier.
2. Vient ensuite le thème de la valse dont l’incipit reprend le motif précédent.
La mélodie est toujours jouée par la main droite tandis que la main gauche poursuit son accompagnement
sur une rythmique de valse.

La mélodie est jouée en


doublure à l’octave, une
des caractéristiques
propre à l’écriture
pianistique.
3. Le thème se poursuit mais s’emballe…
Le tempo s’accélère : Animato puis Vivo

C’est un épisode très virtuose avec une main


droite agile qui parcoure très rapidement le
clavier du grave à l’aigu et une main gauche
alerte, avec des déplacements, des octaves
parallèles, de grands accords etc.

Par deux fois, dans cet épisode dense, la


basse fait entendre discrètement le motif
de 3 notes AsCH :
lab – do – dob (= si)
(voir présentation 1ère partie, les généralités)
Cette section se termine en apothéose conclusive dans un tempo Presto.
Pas de thème.
A la main droite, une gamme ascendante et descendante entendue deux fois puis l’accord de tonique arpégé, et à la main
gauche une écriture en accord avec la présence du Lab en pédale répétée ( +7 - 5 )
Une affirmation de la tonalité de LAB Majeur.
Préambule
dans la version chorégraphiée des Ballets Russes
Marche des Davidsbündler contre
les Philistins (21)
La 21e et dernière pièce du recueil s’intitule La Marche des Davidsbündler contre les Philistins.
Elle fait écho (« double ») à la 1ère pièce, Préambule en reprenant de larges fragments.
La structure est également identique avec les deux parties contrastées:
➢ 1ère partie : Marche triomphale des Davidsbündler
➢ 2ème partie: Valse (4 étapes) et coda

(La présentation sur les généralités éclaire sur la notion de double dans le cycle ainsi que sur l’origine et l’utilisation du titre)
Les Davidsbündler sont des Personnages que Schumann met en scène dans sa revue
et qu’il a musicalisé dans certaines pièces de ce cycle :
Chopin, Paganini, Chiarina, Estrella, indirectement Schubert,
et bien sûr Eusébius, le discret et Florestan à la critique mordante,
« ses meilleurs amis »
Ils sont les défenseurs de la nouvelle musique qu’incarne Berlioz, Liszt, Mendelssohn, Wagner même
si c’est avec réserves, etc. et gardent un attachement indéfectible à la grande tradition, Bach, Mozart,
Haendel, Beethoven, Schubert…
« un temps irrémédiablement révolu, sauf à ce que le présent se laisse enseigner et féconder par un
passé que son idéalisation rend intemporel »

« Les Philistins » sont tous ceux qui refusent et s’opposent à cette nouvelle génération de musiciens
pour leur préférer les «vieux contrapuntistes, anti-chromatiques » et les pianistes virtuoses, dont la
superficialité est souvent affichée.

En 1837, Schumann écrit également une suite de 18 pièces pour piano qu’il intitule Les
Davidsbündlertänze, Opus 6 dont la première édition porte la seule mention
« Pièces caractéristiques composées par Florestan et Eusébius » (les deux doubles de Schumann).
Quelques mots sur la revue
Neue Zeitschrift für Musik ou NZM
Dès le premier numéro de 1835, Schumann s’affirme comme seul rédacteur et propriétaire de la revue bi-
hebdomadaire. C’est en novembre 1844, lorsqu’il part s’installer à Dresde qu’il vend la propriété de la revue
à Franz Brendel et quitte ainsi définitivement la rédaction.
Trois grandes orientations dans le positionnement esthétique du compositeur :
I. Attaquer la musique qualifiée par lui-même de « plate », celle des « célébrités du jour » : d'une par, les
maîtres du grand opéra comme Rossini et Meyerbeer, d’autre part, les « compositeurs-virtuoses du
piano » comme Henri Herz et Franz Hünten;
II. Défendre Beethoven, Schubert et Weber contre l'oubli, de même que Mozart et Jean-Sébastien Bach,
en tant que devanciers de cette grande tradition;
III. Encourager les contemporains qui lui paraissaient reprendre la succession de Beethoven, à savoir
Mendelssohn, Chopin, Berlioz, Liszt, Ferdinand Hiller. (À cette liste s'ajoutent d'autres jeunes musiciens moins
connus aujourd'hui ou quasi oubliés, tels que Willim Stemdale Bennett, Stephen Heller ou Hemann Hirschbach.)

Schumann se montra souvent impitoyable dans ses attaques, adoptant un ton extrêmement sarcastique.
Plusieurs criques sont écrites sous les pseudonymes d'Eusebius, Florestan et Raro. Elles adoptent la forme
d’un dialogue entre ces personnages, également surnommés les « Davidsbündler ».
Cette Marche est précédée par Pause, 20ème pièce,
une reprise identique de la fin de la valse du
Préambule, juste avant sa coda finale.

On retrouve la frénésie du motif de valse et le


motif d’AsCH à la main gauche :
lab – do- dob (=si)
Pause en allemand, a une double signification :
arrêt et calque.
On retiendra ici l’idée de « calque » avec cette
reprise intégrale d’un passage du Préambule
(mesures 87 à 114).

Dans Préambule, ce passage est une transition


vers la coda finale.
De même, Pause sert d’introduction à la pièce
suivante Marche des Davidsbündler qui est la
dernière pièce du cycle.
A
1ère partie, Marche Fa m

On retrouve comme dans Préambule, une La b M


Marche mais dont le thème est différent.

B A

Conduit

C’est la Marche triomphale des Davidsbündler face aux


conservateurs (les Philistins).
Quant à la valse qui suit, elle est l’expression d’une grande joie.
A
La tête du thème A est formé
du motif AsCH Lab – do - si

Un carrure simple et régulière, proche a1 antécédent a2 conséquent


du découpage du thème du préambule :
B
A (a1 – a2 :II: B A :II Octava

Une régularité rythmique simple :


noire – 2 croches – noire
Les rythmes pointés majestueux de
l’ouverture ont laisser place aux rythmes
A
réguliers de croches et noires.

Les premiers temps sont très appuyés


dans la partie A (sf)
conduit
Comme dans la marche de Préambule,
cette Marche des Davidsbündler est
martelée par des accords très larges
de 6 sons aux deux mains dans
une nuance fortissimo.
2ème partie, la valse

Comme pour le Préambule, vient


ensuite la valse qui s’accélère
progressivement.
L’écriture est variée, alternant de
grands accords et la mélodie à la
main droite et l’accompagnement de
valse à la main gauche avec un
changement de tonalité

Le rythme de cette valse avec sa


noire pointée est issu du
thème que Schumann nomme
« Thème du XVIIe siècle » et qu’il
place un peu plus loin, d’abord dans
le grave à la main gauche et qui se
poursuit à la main droite.
Thème du XVIIe siècle

Und als der Grossvater die Grossmutter nahm,


Ce thème est la citation d’une véritable danse Et quand le grand-père prenait la grand-mère,
allemande traditionnellement exécutée lors des fêtes Da war der Grossvater ein Bräutigam.
et mariages au XIXe siècle : Là le grand-père était un fiancé.
La danse du grand-père (Grossvater Tanz)

La mélodie est extraite d’une chanson du XVIIe siècle sans doute


de Karl Gottlieb Hering (1765-1853) et comprend 3 sections avec
deux caractères opposés ( Andante – Allegro)
Schumann cite ce thème dans deux de ces
pièces pour piano :

- La dernière section de Papillons, op. 2 (1831)


s’appuie sur la 1ère et 2ème sections de cette danse :
.

- Un court passage ( 1ère section de la danse) dans cette


Marche des Davidsbündler, extrait de Carnaval :
Après la présentation de ce thème de Valse, Schumann fait entendre une reprise d’un fragment de
valse issu du Préambule.
Par la suite, il fait réentendre les deux thèmes, tout en y apportant des modifications.

La pièce se termine sur le retour du Presto endiablé du Préambule qu’il amplifie.

Valse des Valse des


CODA
Davidsbündler Valse du Davidsbündler Valse du
Reprise de la coda
avec le thème du préambule avec le thème du préambule
du préambule
XVIIe siècle XVIIe siècle
A1 B1 A2 B2 Coda
Valse des
Davidsbündler

Préambule
Marche des Davidsbündler contre les Philistins
dans la version chorégraphiée des Ballets Russes
Pierrot (2)
« Pierrot », personnage de la commedia dell’arte, le valet naïf, le
personnage dont on s’amuse et qui est manipulé. Son costume est à l’image
de sa naïveté.

Watteau l’a peint à de nombreuses reprises. Dans le tableau « Pierrot, dit


autrefois Gilles ».
On le voit avec son ridicule costume de satin blanc et ses manches relevées à
mi-parcours, la collerette sans panache, le pantalon trop court, et son
chapeau relevé en haut du crâne qui le rend encore plus ridicule.
Jean-Antoine Watteau, Pierrot, dit
autrefois Gilles, 1718–1719

Sorte de clown triste, doux, rêveur et amoureux de Colombine que Schumann musicalise
dans son carnaval dans un tempo moderato à 2 temps.

Il trouve son double musical avec un autre personnage de la commedia dell’arte, Arlequin
au costume bariolé et au caractère opposé, dans un vivo à 3 temps.
La pièce de Schumann donne au personnage une allure indécise, rêveuse, et qui avance à pas feutrés.
L’ensemble est en demi-teinte, monotone avec ses répétitions nombreuses.

Partie A :
Tempo modéré; chiffre de mesure binaire qui s’oppose à l’aspect dansant des autres pièces; nuance Piano,
pas d’affirmation de tonalité dans le motif mélodique (seule la pédale de Mib à la basse confirme l’armure), simplicité
d’écriture avec un motif qui s’échange entre main droite et main gauche (et dans lequel les notes ASCH sont insérées)
et qui génère un autre motif en doublure à la sixte.
Pas de virtuosité.
Ponctuation régulière des motifs,
joué forte.
A a1 a’1
On retrouve ce principe dans la
pièce Arlequin (le double de
Pierrot) avec une ponctuation
plus affirmée et plus complète :

Le motif ASCH de 4 notes : La, mib, do, dob (=si)


Régularité du découpage de quatre mesures. Reprise de la partie A
Partie B :
Toujours une grande sobriété d’écriture.
On entend quatre fois un motif (b) joué en accord en demi-teinte, pianissimo qui enchaîne avec la même
ponctuation déjà entendue en A, joué forte.

Retour de la partie A’ ( A entendu 2 fois) qui progressivement s’affirme et à


laquelle s’ajoute un passage conclusif.

Puis reprise de B, A’ et coda

La structure bipartite fait partie des structures simples que l’on trouve dans les danses dés la Renaissance et qu’on
appelle forme binaire à reprises.
II: A (a1 – a’1) :II: B (4 fois b) A’ (a1 –a2 – a1- a2) coda : II
Pierrot
dans la version chorégraphiée des Ballets Russes
Eusébius (5)
Eusébius et Florestan sont les deux personnages, les deux D'une part Eusébius, « l'adolescent tendre qui
masques de Schumann qu’il utilise pour signer certains de ses toujours reste modestement dans l'ombre », d'autre
articles dans sa revue musicale, la Neue Zeitschrift für Musik . part Florestan, « l'assaillant bruyant et pétulant,
entièrement honnête, mais souvent adonné à des
caprices les plus étranges ».
Ils sont le reflet des deux facettes de l'individualité de E. F. Jensen, Schumann
Schumann, les deux côtés extrêmes de son caractère :
Le Schumann introverti dans la vie mais qui, dans certains
écrits est pétillant et sarcastique!
Eusébius est le visage
Dans le calendrier, le 13 août est le jour de Ste-Aurora, le 12 août celui de Ste-Clara et le 14 août mélancolique et
celui de St-Eusébius. tendre du Schumann
Schumann y lit (il l’écrit à Clara) le chiffre d’une promesse, d’une union future, d’autant que cette
Aurora contient la fusion des deux prénoms Robert et Clara, en première et dernière syllabe* : amoureux de Clara.
Aur (= Ro de droite à gauche) – o- ra;
le o central étant un symbole de perfection.

Dans Flegeljahre (L’Âge ingrat), de Jean-Paul Richter, source d’inspiration de Schumann, les jumeaux Vult "sauvage" (futur
Florestan) et Walt, "tendre" (futur Eusebius), aiment tous deux Wina, une jeune polonaise. Lors d'une fête, Vult prend le
masque de son frère, et se rapprochant de Wina, il comprend alors qu'elle préfère son jumeaux, le doux Walt.
Étymologiquement, Eusebius signifie « le pieux », celui qui honore les dieux – réminiscence du Walt des Papillons, diminutif
pour Gottwalt, « règne de Dieu ».

* La manie sublime de Robert Schumann - Brigitte Lalvée - Dans Figures de la psychanalyse 2013/2 (n° 26), pages 229 à 252
Schumann invite ses doubles, Eusébius et Florestan, dans son Carnaval dans deux pièces qui se suivent (numéros 5 et 6).
On ne peut que les rapprocher des deux personnages de la Commedia dell’arte, aux caractères opposés, Pierrot et
Arlequin également présents dans ce Carnaval (numéros 2 et 3) :
les doubles des doubles de Schumann!
Une pièce les sépare, la pièce n° 4, La valse noble.

Musicalement Eusébius et Pierrot possèdent des similitudes :


Pièce lente, ici Adagio, au chiffrage binaire 2/4, de caractère tendre et aux nuances feutrées, ici, Sotto voce,
et la présence de chromatismes dans la main gauche. Pas de virtuosité.

Dans Eusébius, la structure adopte un plan en 3 parties : A B A


La partie B n’est pas la présentation d’un nouveau thème mais une amplification pianistique des
éléments présents dans A, les deux thèmes a et b qui ont une parenté mélodique.
A ( a a b a) B ( b’ a’) A’ ( b a)
Les thèmes s’appuient sur une carrure régulière de quatre mesures.

Aucun passage de développement, de transition et de cadence.


La structure
Thème construit à partir d’un délicat gruppetto de
croches suivi de 2 notes descendantes
a Septolet qui se répète sur 3 mesures, la 4ème mesure
fait entendre un groupe de 4 notes descendantes.
Sotto voce. Pas de pédale, accompagnement simple

Amplification de a
Thème joué en octaves
a’ Accompagnement en accords larges arpégés
Nuance mf
Présence de la pédale

Construction du thème b proche du a


Grupetto en quintolet de doubles ( accélération)
suivi de 3 notes descendantes en triolet Se répète 4
b fois et rit. Juste à la toute fin
Piano avec des effets de crescendo
Pas de pédale, accompagnement simple

Amplification de b
Thème joué en octaves
b’ Accompagnement en accords larges arpégés
Nuance mf puis forte
Présence de la pédale
2 sections contrastées
Section A Section B
- Tempo plus lent « molto teneramente » très tendrement
- Doublure en octave des thèmes a et b, donc plus aigus. Elargissement de l’ambitus
- Nuance Sotto voce - Nuance mezzo-forte puis forte
- Accompagnement simple - Accompagnement en accords plus larges joués arpégés
- Pas de pédale - Jeu de pédale qui, au-delà de sa nécessité pour l’exécution des larges accords
arpégés de la main gauche, favorise la résonance et le mélange des sonorités

Les qualités pianistiques développées ici sont très éloignées de la virtuosité mais concernent le jeu délicat
et expressif mettant en valeur la sonorité et la musicalité.
L’écriture s’appuie sur une grande souplesse rythmique avec la présence des septolets, quintolets et
triolets et les ralentis (« rit » = ritenuto) qui demande un jeu rubato.
Ainsi la pièce est comme suspendue, inégale dans sa perception et son jeu.

Le sphinx de 4 notes, la-mib-do-si, est subtilement présent dans la volute du thème a


Eusébius
dans la version chorégraphiée des Ballets Russes
Florestan (6)
Florestan emprunte son
Florestan, le double d’Eusébius, l’autre masque et
nom au héros
Dans son opus 6 de 1838, intitulé personnalité de Schumann, est extraverti, beethovénien de son opéra
Davidsbündlertänze, certaines des 18 passionné et fougueux, parfois ombrageux. Fidelio :
pièces pour piano sont associés à Luttant pour la liberté,
Florestan et Eusébius. Florestan est jeter au fond
Voici les indications de mouvement et
Florestan et Arlequin (autre double présent
d’une prison espagnole sur
de caractère indiqués pour le dans le carnaval), adoptent des ordre du tyrannique
personnage de Forestan : vivant caractéristiques communes: gouverneur, Don Pizarro.
(lebhaft), avec (bon) humour (mit - Une pièce rapide, C’est son épouse, Léonore
[gutem] Humor), impatient(ungeduldig), -chiffrage ternaire ¾ déguisée en homme sous le
très rapide (sehr rasch), frais (frisch), - caractère passionné nom de Fidelio , qui par
sauvage et drôle (wild und lustig). - utilisation de la pédale amour, va risquer sa vie en
- même armure pénétrant dans la prison
pour libérer son époux.

On trouve également dans l’incipit, une similitude mélodique avec la présence du « sphynx » de 4 notes ASCH, la-mib-do-si

Arlequin Florestan
- Sur une pièce courte, Schumann indique
beaucoup d’indications de fluctuation de
tempi : passionato, ritenuto, adagio, a tempo,
accelerando et qui demande un jeu rubato.
mineur
- On trouve également beaucoup
d’indications de dynamique : crescendo,
decrescendo, sforzando, leggiero, piano,
nombreux accents ce qui donne un jeu assez
perturbé, avec des effets de surprise.
mineur
- Beaucoup de contrastes également avec les majeur
épisodes mineurs, majeurs qui alternent,
auxquels viennent s’ajouter des motifs
descendants qui balaient soudainement l’aigu
vers le grave.

Une agitation propre au caractère de


Florestan, l’impétueux. majeur
L’accompagnement à la main gauche est caractéristique de celui de la valse :
rythme ternaire, note de basse sur le temps fort, suivi de l’accord sur le 2e et 3e temps.

Florestan s’invite au bal (masqué) pour une valse !


C’est d’ailleurs le propos de Jean-Paul dans la dernière scène de son roman Flegeljahre (L'âge ingrat), ouvrage sur
lequel s’appuie Schumann pour écrire en 1831 sa suite de pièces pour piano intitulée « Papillons », opus 2.

On trouve dans la pièce Florestan, une auto-citation du thème


de la valse, issu de la 1ère pièce de Papillons avec l'inscription
entre parenthèses « Papillon ? » :

Thème de la valse dans Papillons


Deux thèmes principaux structurent la pièce :
- le thème fougueux de Florestan
- le thème de la valse issu de Papillons et qui donnera naissance au thème de la valse de Florestan

Le thème fougueux de Florestan

b
a a

2 éléments, en sol mineur, très agité :


a : avec le motif ASCH, entendu 2 fois
b : grande descendante exubérante
a’ puis
a’ = a attendri, en Sib majeur
C’est l’élément de transition qui appartient à la fois à Florestan et qui
introduit également le thème de Papillons : Florestan entre dans la valse.
Le thème de la valse issu de Papillons

Son apparition se fait en deux épisodes

➢ d’abord un clin d’œil, précédé de a’

➢ Puis clairement énoncé, toujours précédé de a’

Le thème de la valse de Florestan


Reprend l’élément caractéristique de 4 notes conjointes a’
descendantes sur le rythme de noire pointée croche
blanche du thème de la valse de Papillons, auquel
s’ajoutent en contrepoint des lignes chromatiques,
toujours précédé de a’.
Par la suite, dans l’effervescence de la valse,
a’ va disparaitre.
Structure

Thème fougueux de Florestan

« Clin d’œil » à la valse de Papillons

A Thème fougueux de Florestan


On peut donc en
déduire un plan en Thème de la valse de Papillons
trois parties
Thème fougueux de Florestan

B Thème de la valse de Florestan

Thème fougueux de Florestan


A' A la fin, notes du thème de Florestan martelées
d’abord par deux puis note à note.
Florestan
dans la version chorégraphiée des Ballets Russes
ASCH-SCHA (Lettres Dansantes) (10)
Le titre ASCH-SCHA (Lettres Dansantes) fait référence à SPHINXS, page non destinée à être jouée, placée avant
la neuvième pièce, Papillons, et qui présente, sous forme de rébus, le motif de trois ou quatre notes présent
dans pratiquement chaque pièce du Carnaval ( voir la présentation sur Carnaval – Première partie).

Rappel rapide :
En allemand, les lettres correspondent également à des notes musicales.
ASCH, petit village de Bohême près de Leipzig, dont est originaire Ernestine von Fricken la fiancée, du moment, de Schumann.

A = LA ASCH peut donc se traduire musicalement de deux façons :


S = n’est pas une note mais indique un bémol.
De plus Es se prononce également « s » ce qui ➢ As(lab) - C(do) - H(si) 3 notes
donne la note MI bémol
C = DO ➢ A(la) - S ( à traduire par Es = mib) – C(do) – H(si) 4 notes
H = Si bécarre

SCHA, lettres issues du nom de Schumann, les seules qui peuvent correspondre à des notes et qui sont communes aux lettres du
village ASCH

➢ S (Es = mib) - C(do) - H(si) - A(la) Aucune pièce de Carnaval n’utilise ce Sphinx.
Le sphynx que Schumann utilise dans cette pièce est le sphinx n° 2, le motif de 3 notes :
lab – do – si , entendu au début du thème mais qui avec la rapidité, les petites notes
piquées passe pratiquement inaperçu.

Un découpage régulier avec une carrure de quatre mesures.


On trouve également dans le titre l’allusion à la danse, une constante dans pratiquement chaque pièce
(voir la présentation sur Carnaval, première partie).
Le chiffre de mesure ¾ et l’accompagnement caractéristique nous renvoie encore une fois à la valse, une valse
toute en légèreté jouée piano.

La structure est caractéristique de la danse avec sa forme binaire monothématique, forme qui s’impose dès la
renaissance dans les pièces destinées à être danser :

II: A :II: B A’ :II A = présentation du thème


B = développement à partir des éléments entendus dans A.
Thème amplifié : B
crescendo, sforzando,
l'élargissement vers l’aigu
associé à la doublure
d’octaves.

Retour du thème A
sans modification.

Un ensemble assez bref si bien que Schumann ajoute 8 mesures de transition qui permettent un da capo
pour réentendre l’ensemble (sans les reprises).
ASCH-SCHA (Lettres Dansantes)
dans la version chorégraphiée des Ballets Russes
Chopin (12)
Qui est Chopin?
CHOPIN
• Né en Pologne en 1810
• Quitte définitivement la Pologne pour Paris à l’âge de 21 ans
• Succès mondain comme compositeur, interprète et professeur
• Liaison avec G. Sand de 1838 à 1847
• Meurt à Paris en 1849 à l’âge de 39 ans (sans doute de tuberculose).

• Pianiste virtuose et essentiellement compositeur pour son instrument, il contribua, avec Schumann et Liszt, à
fixer la littérature et la technique modernes du piano. Ex : confie à la seule main droite l’accompagnement (pouce et
index) et la mélodie (les autres doigts). Gymnastique mal commode et qu’on retrouve dans ses Études op. 10.
• La plupart de ses œuvres, par leurs formes libres, leur brièveté et la liberté qu’elles permettent dans
l’interprétation (rubato), révèlent le brillant improvisateur que fut Chopin.
• Nourri des grands classiques et admirateur de Mozart, il répugne aux manifestations romantiques extérieures
(d’un Liszt ou d’un Berlioz) aux emprunts littéraires (d’un Schumann) et aucune de ses œuvres n’a un caractère
vraiment descriptif.
• Son art raffiné et intérieur est avant tout adapté aux salons parisiens du règne de Louis-Philipe, que Chopin
fréquenta assidûment et où il rencontra l’élie intellectuelle et artistique du romantisme (Sand, Balzac, Musset,
Delacroix, Liszt…)
• Toutefois, nombre de ses grandes pages (polonaises, ballades) laissent transparaître ses origines slaves (par sa
mère) et évoquent sa nostalgie à l’égard de la Pologne.
Schumann découvre les Variations op. 2 de
Chopin pour piano et orchestre sur
« Là ci darem la mano » de Mozart, lors
de son séjour à Heidelberg.

Ces Variations de Chopin sont significatives


pour la carrière de Schumann.
Ce dernier les travaille avec assiduité. Son
intérêt pour l’œuvre va grandissant après son
audition par Clara Wieck, le 6 juin 1831.
Mais bien vite, Schumann comprend qu’il ne
pourra jamais interpréter les variations de
Chopin avec la même aisance que Clara Wieck.

En même temps, Schumann prend conscience de l’atout que représentent ses dons littéraires dans le domaine
éditorial. Les variations de Chopin lui inspirent aussi son premier article, paru dans l’Allgemeine musikalische
Zeitung le 7 décembre 1831, qui érige Chopin en génie et offre un commentaire poétique de cette œuvre.
Cet article marque les débuts de Schumann en tant que critique musical.
C’est en 1834, trois ans plus tard, que Schumann créera son périodique, le Neue Zeitschrift für Musik.
Pour son article, Schumann ne parle pas directement de la musique mais des émotions qu’elle suscite.
Il en fait une œuvre littéraire qui puise ses sources dans une œuvre musicale.
C’est à cette occasion qu’il invente ses doubles, Florestan et Eusébius pour donner vie à sa critique sous forme d’un
échange entre les personnages.
Voici en quelques mots le contenu des pages de Schumann sur Chopin:
Le narrateur, Julius* raconte sa découverte de l’œuvre de Chopin.
Installé au piano avec Florestan, Eusebius fait son entrée en s’exclamant : « Chapeau bas, messieurs, un génie », et
place devant eux une partition de musique dont il cache le titre.
Julius a recours alors à un langage poétique pour traduire ses émotions face à la partition :
« beaucoup d’yeux étranges, des yeux de fleur, des yeux de basilic, des yeux de paon, des yeux de jeune fille ».
Il finit par y reconnaître l’air Là ci darem la mano extrait du Don Giovanni de Mozart et les personnages associés :
« Leporello semblait réellement me cligner des yeux, et Don Juan volait devant moi en manteau blanc ».
Eusebius, se met alors au piano à la demande de Florestan pour interpréter l’œuvre.
Florestan pense que ces variations
« pourraient bien être de Beethoven ou de Franz Schubert, si du moins ils avaient été des virtuoses du piano ».
Ce n’est que vers le milieu de l’article que Florestan et le narrateur découvrent le titre et notent avec surprise qu’il
s’agit d’une œuvre de jeunesse (l’op. 2) d’un compositeur inconnu du nom de Chopin.
Un peu plus loin, Schumann livre, par l’intermédiaire de Florestan, un commentaire poétique de chacune des pièces
qu’il associe à des personnages, suivant leur ordre d’apparition.

*Julius Knorr, se cache certainement derrière le narrateur Julius.


Il est l’un des premiers en Allemagne à avoir donné les variations de Chopin en concert, au Gewandhaus de Leipzig, en octobre 1831.
Par sa « prose musicale » et son langage très visuel, Schumann offre une forme inédite et novatrice de critique
musicale qui s’inscrit dans la mouvance romantique d’un Jean Paul.

A travers cet article, Schumann brandit les variations de Chopin comme un étendard contre la virtuosité
démonstrative de nombreuses variations brillantes de ses contemporains.

Chopin restera relativement indifférent aux écrits élogieux de Schumann.


Dans sa lettre à Titus Woyciekowski du 12 décembre 1831, Chopin se réjouit de
l’enthousiasme de Schumann qui conçoit ses variations comme un « tableau fantastique »,
mais s’amuse de l’« imagination de cet Allemand ».

Les deux compositeurs, Schumann et Chopin se sont vus deux fois à Leipzig, le 27 septembre 1835 et le
12 septembre 1836 ( après la composition de Carnaval).

En outre, Schumann a dédié ses Kreisleriana op. 16 (1838) à Chopin qui, en retour, lui dédie sa
Deuxième Ballade op. 38 (1840).
Trois exemples de Nocturnes de Chopin:
Dans Carnaval, deux compositeurs de
l’époque, Chopin et Paganini, sont mis à Nocturne opus 27 n°1
l’honneur par Schumann.
Ils forment ainsi une paire, non masquée!

Dans leurs présentations musicales,


Schumann leur rend hommage en
Nocturne opus 55 n°2
reproduisant leur style musical :
une pièce virtuose pour Paganini, une
pièce très expressive pour Chopin et
qui peut nous faire penser à un
Nocturne ( Chopin en a écrit 21).

Caractéristiques d’un Nocturne: Nocturne opus 72 n°1


Mouvement souvent lent,
d'expression pathétique, avec une
mélodie très souple, parfois
ornementée, accompagnée par une
main gauche aux arpèges ondulants.
On retrouve dans la pièce CHOPIN de Schumann, les procédés d’écriture des nocturnes de Chopin :
▪ Une mélodie simple à la main droite
▪ Des accords arpégés très larges à la main gauche
▪ L’utilisation de la pédale pour soutenir chaque accord
▪ Un caractère épanché qui demande un jeu rubato
Ici le caractère est « agitato » dans le sens tourmenté et non rapide, surtout que l’appui se fait à la blanche pointée et
non à la noire ( 2 temps par mesure)
L’harmonie également nous rappelle les glissements de tons et les chromatismes caractéristiques de l’écriture de Chopin.

La structure ne peut être plus simple : une partie A qui est reprise à l’identique.
Le « sphynx », en toute logique, n’est pas présent dans cette pièce.
CHOPIN
dans la version chorégraphiée des Ballets Russes
A travers le sous-titre du Carnaval, Scène mignonnes sur quatre notes, Schumann a pris le parti d’inclure un motif
inspiré par la ville natale de sa fiancée de l’époque, Ernestine von Fricken.
Ce motif est présent dans pratiquement toutes les pièces de son carnaval.
Mais les fiançailles ne dureront que quelques mois.
L’œuvre est engagée mais ne sera terminée que l’année suivante, en 1835.

Une autre femme est également présente dans le paysage de Schumann et dans cette œuvre pianistique.
Il s’agit de Clara Wiek, fille de son professeur et pianiste reconnue.
Schumann la connait depuis longtemps, comme amie mais un amour nait entre eux et leur relation deviendra
officielle en 1835, l’année où Schumann termine l’écriture de son Carnaval.
Elle sera l’épouse aimée, malgré les obstacles, et en premier lieu le refus du mariage par le père de Clara.
On la retrouve dans Carnaval sous le petit nom de Chiarina mais aussi de façon récurrente à travers la quinte
descendante mélodique, motif représentatif de Clara et qui est présent dans le Notturno op 6 qu’elle a écrit,
agrémentée soit de la »croche pointée double » autoritaire et masculine qui vient aussi de Clara (présente dans
Chiarina, dans l’incipit des Davidsbündlertänze et dans bien d’autres pièces encore), soit du gruppetto d’Eusébius et
qui introduit une touche de féminité et qui lui est aussi dû.
FIN

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