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Sociologie des organisations

pour élèves-ingénieurs (1 et 2/3) :


Du contrôle à l’auto-contrôle : réflexion sur les
modèles des organisations en vue d’en inventer
d’autres

Dr. Pr. Jean-Pierre LLORED


Associate professor
JeanPierre.Llored@centrale-casablanca.ma
jean-pierre.llored@centralesupelec.fr

1
Septembre 2023, 2A, Ecole Centrale Casablanca
Tout d’abord

Félicitations pour votre Très heureux de vous


admission en 2A ! retrouver !

https://www.google.fr/url?sa=i&url=https%3A%2F%2Fcampaignforeducation.org%2Ffr%2F2020%2F05%2F04%2Fsolidarity-is-the-cure-justice-the-
vaccine%2F&psig=AOvVaw0r16_J63z4IAvBytxhlmbA&ust=1632767549992000&source=images&cd=vfe&ved=0CAkQjRxqFwoTCPC36qejnfMCFQAAAAAd
AAAAABAD, dernière consultation le 12/09/2023

2
Objectif et message (1/2)

Partager avec vous des approches et des résultats d’enquêtes sociologiques portant
sur les organisations afin de réfléchir, de prendre du recul sur le fonctionnement et
les modèles de fonctionnement des organisations.
Vous pouvez être d’accord ou pas. Le dialogue argumenté est ouvert.
Je ne suis pas présent parmi vous pour vous dire ce que vous devez penser mais
pour vous donner envie, et vous convaincre, que vous êtes capables de penser par
vous-mêmes.
Vous allez bientôt travailler dans des organisations, et vous allez en conseiller ou
en créer certaines.
« Inventer le monde de demain », leitmotiv des écoles centrales, n’est pas
uniquement une question d’innovation technologique mais aussi une question
d’invention de façons de s’organiser et de travailler ensemble pour atteindre des
objectifs qui restent compatibles avec la vie sur Terre aujourd’hui et demain, avec
la diversité des personnes avec lesquelles vous travaillerez et celle des sociétés
dans lesquelles vous vivrez.
3
Objectif et message (2/2)

Des méthodes et visions de l’organisation prêtes à l’emploi vous seront proposées


tout au long dans votre parcours professionnel, vous les mettrez en œuvre, telles
quelles ou en les adaptant, ou vous en proposerez d’autres.
Pour que cela soit possible, il faudrait prendre du recul en identifiant : (1) les
contextes socio-économiques et humains de leur utilisation ; (2) les apports, les
limites, et parfois les dangers, de ces solutions toutes faites ; (3) les hypothèses
(parfois idéologiques) sur lesquelles elles reposent.
Bien souvent, vous n’aurez pas le choix, vous ferez ce que l’on dira de faire.
Mais, peut-être, parfois, je vous souhaite le plus souvent possible, vous aurez ce
choix, au moins en partie. Et c’est dans ces cadres-là qu’il faudra « inventer le
monde de demain ».
Vous entendrez beaucoup parler « d’éthique », et souvent ce dont il sera question
n’aura rien à voir, ou très peu, avec l’éthique. C’est là qu’être un.e ingénieur.e
cultivé.e sera important pour distinguer ce qu’est l’éthique dans une organisation
de ce qui n’est qu’une opération de verdissage, une manipulation, un moyen de
contrôle ou d’auto-contrôle, ou simplement du blabla.
4
Notre approche
Dans un premier temps, nous allons décrire des approches conçues, soit par des
ingénieurs soit par des sociologues, pour appliquer les méthodes de la science aux
organisations. Les systèmes développés permettent un contrôle de l’organisation,
de la production pour améliorer les bénéfices.

Nous verrons ensuite comment d’autres études sociologiques permettent


d’interroger ces modèles du contrôle ainsi que les nouveaux modèles
d’organisation qui prétendent les dépasser (modèles démocratiques et participatifs,
« lean management », entreprises libérées, mouvement de libération des actifs –
« slashers », « free-lances », « start-upers » –, auto-entrepreneurs au sens large,
ubérisation, mouvement « maker », « hackerspace », « fablabs » qui concilient, à
des degrés divers, liberté et auto-contrôle.

Il s’agit de faire appel à plusieurs travaux sociologiques pour comprendre ce qui


se passe dans les organisations et comment elles changent aujourd’hui. Il s’agit
aussi de réfléchir aux conséquences du passage du contrôle à l’auto-contrôle sur
les personnes.
5
Un petit moment de lecture pour commencer

Chapitre 5 « Face aux


doctrines managériales
contemporaines »
Le lean management à
l’hôpital.
p. 136-137.

6
Quelques mots-clés
La qualité plutôt que la quantité
Prendre du recul
Réfléchir
Interroger
Donner du sens
Se cultiver pour rester ouvert
Se réhumaniser
« Le problème est de révéler une intelligence à
elle-même » Jacques Rancière, Le maître ignorant. Cinq leçons sur
l’émancipation intellectuelle, Fayard, Paris, 1987, p. 50. 7
Pouvez-vous rappeler l’objectif de la
sociologie des organisations et à quoi
elle s’intéresse en particulier ?

8
La sociologie des organisations
L’objectif de la sociologie des organisations est
véritablement de comprendre les modalités, les
règles, les formes de coopération humaines qui
constituent la vie sociale et l’action collective.
La sociologie des organisations s’intéresse à ce
qui fait que des groupes organisés tiennent,
coopèrent, ne se délitent pas.
Elle traite de l’organisation du travail, de
l’activité collective de ses transformations,
formelles et informelles.
9
I. Du contrôle à l’auto-contrôle : réflexion
sur les modèles des organisations (1900-
2022) à partir d’enquêtes menées par des
sociologues

10
I.1 Théories rationalistes et
contrôle dans l’organisation
I.1.1 L’organisation scientifique du travail
(O.S.T.)

11
Frederick W. Taylor (1856-1915)

Shop management (1903)


The principles of scientific management (1911)
La direction scientifique des entreprises (Dunod, 1971)
Issu d’une famille bourgeoise de Philadelphie.
Réussite au concours d’accès à Harvard.
1874-1878 Ouvrier mécanicien, fabrique des pompes
1878 Midvale Steel company, chef d’équipe puis
ingénieur
1880 Manufacturing Investment Company
Expérimentation personnelle et applications aux
entreprises dans lesquelles et pour lesquelles il
travaille.
1878, ingénieur consultant « spécialiste en organisation
systématique des ateliers et des prix de revient ».

12
Le Taylorisme

L’organisation industrielle est irrationnelle :


- le « freinage » : limitation volontaire de la production par les travailleurs
(flânerie systématique) : « si un ouvrier américain joue au base-ball (…) il
emploie toutes ses facultés pour assurer la victoire à son camp (…). Quand
ce même ouvrier retourne à l’usine le lendemain, loin de s’efforcer de
travailler de son mieux, il s’arrange le plus souvent, pour faire délibérément
le moins de travail possible (1971, p. 52). »
- l’empirisme des méthodes quand les ouvriers sont laissés libres d’organiser
leur travail. Or « parmi les méthodes et les outils employés, il y a toujours
une méthode et un outil plus rapide que les autres (1971, p. 20). »

Il faut déterminer la bonne façon de faire « One best way ».


Réaliser aussi efficacement que possible des choses ennuyeuses, monotones,
désagréables.
13
Rationaliser le travail
Comment ?

Étude scientifique du travail (méthodes et techniques utilisées).


• Par décomposition: analyse du travail par observation et mesure : les
mouvements, les outils, l’enchaînement des opérations, tout est analysé,
chronométré.
Exemple (1971, p. 119) : détermination de la « pelletée-type » optimale :
variation du type de pelle, de la quantité par pelletée, des gestes des ouvriers
en fonction du minerai et de sa densité, fixation du temps pour chaque
pelletée…

• Et recomposition par élimination des gestes superflus, épure des


procédés, choix des instruments les plus adéquats.
Exemple (1971, p. 121) : pour monter un mur, au lieu de faire 18 mouvements,
après étude et adaptation, les ouvriers n’en font plus que 5. Ils arrivent ainsi à
poser 2800 briques par jour contre 960 auparavant.
14
Postulats du taylorisme

• Le postulat du « One best way » :


Il existe pour toute activité une façon optimale de s’y prendre et
une seule.

• Le postulat de « l’homo Economicus » :


L’homme au travail est mû par les considérations économiques.

15
Principes du taylorisme
• Dissociation du travail et du métier et séparation de la
conception de l’exécution
« Tout travail intellectuel doit être enlevé à l’atelier pour être
concentré dans les bureaux de planification et d’organisation (1971, p.
156). »
• Division du travail : le « travail en miettes » ➔ la tâche
« L’élément le plus important du management scientifique est peut-
être l’idée de tâche. Le travail de chaque ouvrier est entièrement défini
par l’encadrement au moins un jour à l’avance et chaque homme
reçoit dans la plupart des cas des instructions entièrement écrites qui
décrivent dans le détail, la tâche qui doit être accomplie ainsi que les
moyens dont il dispose pour effectuer le travail (1971, p. 124).»
Le travail autrefois accompli par un ouvrier qualifié peut alors être
réparti entre plusieurs ouvriers non qualifiés (spécialisation dans une
tâche). 16
• Le travail à la pièce
« Lorsqu’il est demandé quotidiennement aux ouvriers de travailler très
rapidement, il est absolument nécessaire de s’assurer qu’ils aient un salaire plus
élevé chaque fois qu’ils réussissent (1971, p. 142). »

Salaire à la tâche. Un « juste prix » pour un « juste temps ».


• Sélection par les aptitudes : la bonne personne à la bonne
place, naissance de ce qui deviendra plus tard des tests psycho-
techniques.
• Primes à la productivité : salaire « différentiel aux pièces »
(livre Shop management) + primes si dépassement de la
cadence optimale.

17
Des principes qui opposent employeur et employés ?
NON, selon Taylor
Taylor prône la « coopération » et le « consensus social ».
Sur le long terme, la prospérité de l’employeur ne peut exister
que si elle s’accompagne de la prospérité de l’employé. Les
ressources humaines sont « rares » ➔ éviter des les gaspiller par
l’application des méthodes traditionnelles. Pour éviter ce
« gaspillage », gestion scientifique, rationnelle et moderne de ces
ressources.
Une doctrine ?
Taylor n’est pas dogmatique, favorise innovation, changement et
flexibilité « rien n’est immuable dans le management
scientifique » (1971, p. 162).

18
L’actualité du Taylorisme aujourd’hui
Fabriquer des Iphone :

Photographie transmise avec autorisation par la Pr. D. Linhart (Copyright)

19
Les travailleurs du clic à
Les travailleurs du clic (plate- domicile (plate-forme
forme réelle) virtuelle)

Photographie transmise avec autorisation par la Pr. D. Linhart (Copyright)


20
I.1 Théories rationalistes et
contrôle dans l’organisation
I.1.2 L’organisation à la chaîne de Ford

21
Henry Ford (1863-1947)

Ingénieur, automobile.
Livre My life and work (1925) d’où est issue la photographie.
Il est vraisemblable qu’il ne connaissait pas les travaux de Taylor. Mécanisation
et rationalisation du travail assez proches toutefois. Taylor et Ford ne font pas
référence l’un à l’autre dans leurs écrits.
Convoyage mécanique des pièces (travail à la chaîne non présent dans les
travaux de Taylor), c’est la chaîne qui fixe le rythme de travail des salariés.
Alliance d’un mode de production en série basé sur le principe de ligne
d’assemblage et un modèle économique ayant recourt à des salaires élevés
« 5 dollars day ». Production d’un seul type de voiture, la Ford T. Baisse du
prix de revient et du prix de vente.
Contrôle de la vie des salariés : mariage obligatoire, inspection à la maison
pour vérifier si l’ouvrier avait les conditions de vie favorable à une bonne
productivité, conseils en alimentation… Un vrai père de famille !!! 22
I.1 Théories rationalistes et
contrôle dans l’organisation
I.1.3 Weber et la domination rationnelle

23
Les théories rationalistes : Max WEBER
1864-1920
Livre Economie et société (Plon, 1971) Sociologue
Sur quoi repose la volonté d’obéir ? allemand
Comment la domination peut-elle être perçue Sociologie
comme légitime ? compréhensive

Différents types de « domination » :


• Charismatique : fondée sur la croyance au
caractère extraordinaire d’une personne.
• Traditionnelle : légitimité reconnue à ceux
appelés par la tradition à exercer l’autorité.
• Rationnelle–légale : fondée sur la légalité
des titres. On obéit non pas à une personne
mais à une fonction qui est investie d’une
autorité.
24
• Le capitalisme est accumulation indéfinie du profit par
l’organisation rationnelle du travail et de la production.
• La rationalité est impersonnelle ; l’organisation moderne doit
l’être également.
• L’organisation « bureaucratique » est la plus efficace :
– Rejet des préférences personnelles du chef et des coutumes.
– Stricte définition du travail et de l’autorité de chacun.

25
La domination administrative bureaucratique

- Autorité formelle : l’autorité réside dans la loi et les


règlements. Elle est exercée par des individus en fonction de
leur statut dans l’organisation.

- Impersonnalisation : « les fonctionnaires doivent agir sans


amour, sans enthousiasme, sous la simple pression du concept
de devoir (1971, p. 16). »

- Officialisation des rapports.

26
La domination administrative bureaucratique

- Règles écrites et valables pour


tous : déterminent les fonctions, le
cadre d’exercice de l’autorité ;
elles protègent de l’arbitraire.

- Le rôle de la hiérarchie : faire


appliquer les règles (contrôle du
salarié).

- Sélection par concours.

27
Conclusion : les théories rationalistes

- Elles veulent substituer une organisation rationnelle à une organisation


irrationnelle.

- Il y a toujours une façon de faire meilleure que les autres.

- Il s’agit de prescrire et d’appliquer. Séparation de la décision et de


l’exécution.

- Le changement est pensé comme rationalisation : substitution du rationnel à


l’irrationnel.

- Optique de subordination et de contrôle du salarié ou du fonctionnaire par


des agents de contrôle, des inspecteurs du travail, des ingénieurs.
28
Le rôle de la hiérarchie : être garant de l’application des règles et les
procédures de travail.

La légitimité de la hiérarchie : l’autorité de statut.

Cela reste vrai :


• Les éléments formels (structures, règles, procédures, méthodes…) sont
impersonnels.

• Mais ils ont besoin d’être représentés, incarnés (Henri Fayol (1841 - 1925)
ingénieur des mines, auteur de L'administration industrielle et générale
(Dunod, 1916). « Administrer, c’est prévoir, organiser, commander,
coordonner et contrôler » (1916, p. 12).

29
I.2 Du contrôle à l’auto-contrôle :
des changements d’organisation en
faveur d’une plus grande
autonomie du travailleur ?

30
Quelques mots-clés du management contemporain

• Concertation. • Bienveillance.
• Délibération. • Confiance.
• Horizontalité. • Libération.
• Démocratie. • Autonomie.
• Agilité. • Bonheur.
• Fluidité. • Bien-être.
• Créativité • Amour.

31
2019, Editeur Cherche Midi 2016, Editeur Flammarion 2016, Editeur Flammarion

32
L'entreprise libérée expliquée par Jean-François Zobrist (FAVI)

Vidéo (2019) :

https://youtu.be/FWY5CGsb8Ms

33
Les piliers
• Principe de subsidiarité
C’est celui qui sait qui fait, pas besoin de consignes, contrôles et
communication de données (« reportings »).

• Credo de la confiance en l’humain : l’humain est bon par nature.

• Nécessité de créer un collectif, un esprit d’équipe, une communauté de


destins.

• Il n’y a plus besoin de discipline mais d’autodiscipline dans un cadre


prédéterminé, celui de la vision commune de l’entreprise.

• Le « leader » renonce à son ego, il affiche qu’il ne peut tout savoir. Il


met en place des équipes autodirigées en capacité de gérér leur
planning, leurs achats, leurs modes de rémunération, les embauches et
les licenciements, et tout cela dans la bonne entente.

• Effacement des intermédiaires : le patron, les salariés, les clients.


34
Une référence-clé en psychologie de la santé

Pr. Hans Bosma (Maastricht University)


Pr. Stephen Stansfeld (Queen Mary. University of London)
Pr. Michael Marmot (University College, London)
Etude du stress chez les fonctionnaires britanniques. Travaux mêlant santé et
psychologie.
Bosma, H., Stansfeld, S. A., & Marmot, M. G. (1998). Job control, personal
characteristics, and heart disease. Journal of Occupational Health Psychology, 3(4),
402–409.

Hommes : ceux qui ont l’impression – à tort ou à raison – d’exercer peu de contrôles
sur leur emploi courent 50% de risque en plus de souffrir de troubles cardiaques par
rapport à ceux qui ont l’impression d’avoir ce contrôle.
Femmes : 100% de risque en plus.

Les auteurs expliquent que si l’on impose quelque chose aux gens, ils vont a priori
résister alors qu’ils l’accepteraient peut-être mieux s’ils avaient l’impression de
l’avoir décidé d’eux-mêmes.
35
Une référence-clé aux travaux de Douglas McGregor
en théorie du management
Ecole des relations humaines.
MIT, professeur de management
Livre La dimension humaine de l’entreprise, Gauthiers-Villars, 1969 (« The human
side of enterprise », MacGraw Hill, 1960).

« Théorie » X : l’humain aurait une aversion innée au travail, il faut donc que les
individus sont contraints à travailler et étroitement contrôlés. L’individu « moyen »
est peu ambitieux et cherche, avant tout, à éviter les responsabilités.

« Théorie » Y : l’humain d’autocontrôle, d’engagement personnel, de créativité, et


qu’il a des possibilités intellectuelles qui sont largement sous-utilisées si l’on adhère
à la « théorie » X.

Ces deux approches induisent deux types de management différents.

McGregor défend la supériorité de la « théorie Y » qui permettrait, selon lui, de


révéler et d’exploiter de façon plus efficace le potentiel des salariés. 36
Une petite digression (qui n’en est pas une 😂) en
psychologie sociale

Travaux sur la soumission librement consentie : tendance des individus à


adhérer à une décision dont ils pensent être librement à l’origine.

R.V. Joule et J.-L. Beauvois, La soumission librement consentie. Comment amener


les gens à faire librement ce qu’ils doivent faire, Presses Universitaires de France,
Paris, 2010.

2002

37
Petite question innocente qui ne l’est pas 😂

Dans ce livre-phare de l’entreprise libérée, Getz et Carney (p.27) voient à travers la


valorisation systématique de la participation des salariés à la vie de l’entreprise, un
moyen d’éviter la résistance au changement.

Comment réagissez-vous à cela, s’il vous plaît ?

38
Etude de terrain de la sociologue Danièle Linhart

Vidéo (2015) : Des méthodes


managériales pour renforcer la
subordination des salariés

https://youtu.be/MbinXC5sv_k

2021

39
La réalité de la liberté

« A aucun moment n’est évoquée la possibilité d’une discussion des choix et de


la vision du leader. La liberté se niche dans la recherche quotidienne de
solutions appropriées pour les promouvoir. » (D. Linhart, L’insoutenable
subordination des salariés, Eres, 2012, p. 214).

« Les leaders des entreprises libérées semblent restreindre la liberté octroyée à


la seule coconstruction des conditions les plus à même d’obtenir les meilleurs
résultats en fonction d’objectifs qu’ils ont fixés. Les salariés se doivent d’être
les relais inconditionnels de la vision de leur leader. » (Ibid., p. 216)

« L’autonomie des salariés est un moyen et non pas une fin en soi qui
découlerait d’une conception démocratique de l’entreprise. (…) C’est en
incarnant "librement" la stratégie développée par le leader qu’un salarié
deviendrait performant (pas en donnant son avis sur celle-ci). De ce point de
vue, une entreprise libérée ne semble pas soumettre l’élaboration stratégique à
un processus véritable de délibération. » (Ibid., p. 217)

40
Avec une petite note de spiritualité en
plus…🤭

I Gertz : « La liberté négociée des acteurs s’exerce sur


un fond de consensus socioprofessionnel ; en principe,
chacun est libre de ses actions, mais enclin à ne les
mettre en œuvre que dans le respect des valeurs, des
habitudes et des pratiques de l’organisation. "Le roi, dit
Lao Tseu, est pensif et se tait sur ses œuvres pour que le
peuple s’en dise l’auteur". » (p. 157)

Autre référence à Lao Tseu : « De même si le saint


désire être au-dessus du peuple, il lui faut s’abaisser
d’abord en paroles, s’il désire prendre la tête du peuple,
il lui faut se mettre au dernier rang. » (p. 30)

Comment réagissez-vous à cela, s’il vous plaît ?

41
Thèse d’Hélène Picard (2015)
Entreprise libérée, parole libérée ?
Thèse de doctorat en sciences de gestion
Université Paris Dauphine

Après la suppression des fonctions de « chef », la redistribution des


responsabilités a impliqué le cumul des rôles et la multiplication des instances
où le travailleur de base est sollicité (plusieurs types de réunions) pour forger
l’adhésion à la vision du leader. Les salariés sont placés dans une situation de
dépendance vis-à-vis de l’idéal organisationnel.

Individualisation malgré les objectifs affichés de création d’un esprit d’équipe


et compétition entre salariés. Moins de solidarité.

Epuisement des salariés.

42
Alerte de Thibaud Brière, ancien
« philosophe » en entreprise
Brière, T. « Les expériences de libération sous contrôle.
Réflexions sur une nouvelle velléité de démocratie dans
l’entreprise », Revue Internationale de psychosociologie et
de gestion des comportements organisationnels, vol. XXIII,
n°56, L’entreprise libérée, p. 265-282.

« Nudge management » : management incitatif


Manipulation dans les réunions qui sont, en fait,
soigneusement préparées en amont : choix de participants
qui iront dans le sens voulu et orienteront les débats par
suggestion + messages sur le forum de discussion de
l’entreprise pour influencer à aller dans une direction
donnée.

La décision réputée « collective » avec compte-rendu validé


par le manager.

On amène l’individu à vouloir ce qu’on veut qu’il


veuille. Une technique est de lui faire passer le message par
ceux du même niveau hiérarchique que lui (autorégulation).

2021 43
Travaux du sociologue Adhémar Saunier (1/2)
Former des cadres à toutes épreuves
Une sociologie du coaching et des usages du
d é v e l o p p eme n t p e r s o n n e l a u t r a v a i l
Thèse de doctorat (2021), EHESS

Appréhender / soutenir la personne dans « toutes les composantes de son existence »


; remet en question le partage établi progressivement par le salariat entre la sphère
du travail (encadré par la loi et par un contrat), et les autres sphères de la vie d’un
individu (réduite habituellement à la « vie privée » : l’expérience familiale, les
questions existentielles, les attitudes personnelles). Pourquoi ? : le « développement
personnel » serait la condition de la performance professionnelle.
Postulat : la bienveillance de l’entreprise, posée comme institution totale (=
pourvoyeuse d’intérêt général ou de bien commun). Effet sur l’individu ? Dilution
entre for interne (ce que l’on garde pour soi), qui peut se replier dans la vie privée,
et for externe (ce que l’on donne à voir publiquement).
Le coach fait en sorte que l’ingénieur aille « suffisamment bien » pour assurer le
poste, que son problème soit surmontable. Le problème ne sera pas considéré
comme lié à l’organisation et aux conditions de travail mais comme un problème de
réception des consignes. Maîtrise de la trajectoire du cadre ou de l’ingénieur.
44
Travaux du sociologue Adhémar Saunier (2/2)

L’orientation du dispositif de coaching tend vers une mise en veilleuse


provisoire des désaccords (sur les finalités ou les moyens), au profit d’un
principe implicite d’autorité : les problèmes sont contenus dans le for interne
(ménager l’autorité), voire individualisés ou privatisés (les problèmes d’ordre
et de justice sont alors déplacés vers des problèmes de développement
personnel).
Néo-paternalisme libéral et élitiste : en échange d’un ménagement de l’autorité,
le dispositif ménage les intérêts minimum des cadres [coalition conservatrice].
Evite ainsi les scénarios de défaillance, de rupture violente, ou de rébellion.
Néo-paternalisme libéral et élitiste : Paternalisme au sens d’une extension du
domaine de l’entreprise ; néo, au sens où il s’agit davantage d’optimiser la
trajectoire des salariés que de fixer la main d’œuvre ; et libéral, au sens où cette
extension se fait désormais en sollicitant l’accord des bénéficiaires : il s’agit
ainsi de dé-privatiser une partie du terrain intime de l’autre, en facilitant
l’adéquation de ses repères personnels et de sa sensibilité avec sa fonction,
à la frontière de la vie privée et de la vie professionnelle
45
« Dans la pratique humaine, il y a un moment où, en quelque
sorte, les évidences se brouillent, les lumières s’éteignent, le soir
se fait, et où les gens commencent à s’apercevoir qu’ils agissent à
l’aveugle et que, par conséquent, il faut une nouvelle lumière, un
nouvel éclairage. Alors voilà qu’un objet apparaît, un objet
apparaît comme problème. »
Michel Foucault

Propos recueillis par André Berten à l’Université catholique de Louvain, le 7 mai 1981.
Publication : BERTEN (A.), « Entretien avec Michel Foucault », Les cahiers du GRIF, vol. 37, n°
1, 1988, pp. 9-20, spéc. p. 18.

46
II. L’autocontrôle dans le management
contemporain : apports de la
psychosociologie et de la sociologie
clinique

47
Travaux-clés dont je vous recommande la lecture et que j’ai
lus pour préparer ce cours

Pagès Max, La vie affective des groupes. Esquisse d’une théorie de la relation humaine, Epi, Paris, 1975.
Enriquez Eugène, Les jeux de pouvoir et du désir en entreprise, Desclée de Brouwer, 1977 (1er édition),
version de 1997.
Pages, M., Bonetti, Michel, de Gaulejac, V., Descendre, Daniel (1979) L’emprise de l’organisation, PUF.
Réed. Desclée de Brouwer, 1998.
Aubert, N. ; Pagès, M., Le Stress professionnel, Klincksieck, Paris, 1989.
Aubert, N. ; Gaulejac, V. de, Le coût de l’excellence, Le Seuil, Paris, 1991.
Enriquez Eugène, L'organisation en analyse, Presses Universitaires Françaises, Paris, 1992.
Nicole Aubert, La culte de l’urgence. La société malade du temps, Flammanrion, Paris, 2003.
Brunel Valérie, Les manageurs de l’âme. Le développement personnel en entreprise, nouvelle pratique
du pouvoir ?, La Découverte, Paris, 2004.
Gaulejac, Vincent de ; Hanique, F. ; Roche, P. (sous la direction de), La sociologie clinique. Enjeux
théoriques et méthodologiques, Erès, Toulouse, 2012 (1er édition, 2007).
Herreros, Gilles, La violence ordinaire dans les organisations. Plaidoyer pour des organisations
réflexives, Erès, Toulouse, 2012.
Roche, Pierre, La puissance d’agir au travail. Recherches et interventions cliniques, Erès, Toulouse,
2016.
Cultiaux John et Fugier Pascal, Face à la domination : dévoiler, résister, s’émanciper, L’Harmattan,
Paris, 2017. 48
La psychosociologie ou psychologie sociale est l’étude
psychologique des faits sociaux. Elle tente d’expliquer les
conduites sociales en étudiant les processus de relations entre
les individus, et, en particulier, les façons dont les personnes
s’influencent entre elles et se perçoivent entre elles dans un
groupe.

49
Hypothèses et objectifs de la sociologie clinique
Les influences du biologique et du social sont basiques et antérieures. Les effets
en retour du psychisme sur le biologique et le social sont secondaires, rétroactifs
et postérieurs.
« L’individu n’est un sujet (autonome, souverain) qu’en puissance, en devenir. Il
est d’abord assujetti en tant qu’il est soumis à un langage, à des institutions de
normalisation et à une culture sur la scène sociale, en tant qu’il est soumis à des
pulsions, à des processus de défense, des compulsions de répétition ou encore des
complexes sur la scène psychique.
La subjectivation marque le mouvement par lequel l’individu passe d’une forme
d’assujettissement, de soumission, à son émancipation, à travers la reconnaissance
et le dépassement de ce qui le détermine.
La visée des sociologues cliniciens est de susciter et d’accompagner la
subjectivation des individus et des groupes – soit les déplacements subjectifs par
lesquels ils cherchent à saisir et à se saisir des processus socio-psychiques dans
lesquels ils sont engagés, afin de se réapproprier leur puissance d’agir individuelle
ou collective. » (Gilles Arnaud, Pascal Fugier, Bénédicte Vidaillet, Psychanalyse des
organisations. Théories, cliniques, interventions, Erès, Toulouse, 2018, p. 230).
50
Intervention et articulation

Ces sociologues interviennent pour transformer le groupe. Ils ne font pas


qu’étudier le groupe.
« Ce sont ces articulations, au carrefour du subjectif et de l'objectif, du psychique
et du social, du concret et de l'abstrait, du pouvoir et du désir, qui sont l'objet de la
socio-clinique. Il s'agit d'appréhender la réalité en combinant l'analyse objective et
la prise en compte de la subjectivité des acteurs (p. 18). »
La sociologie clinique se développe au cœur de ces contradictions entre l’analyse
et l’expérience, entre l’objectivité et la subjectivité en évitant les deux écueils du
vécu sans concept et du concept sans vie, selon l’expression heureuse d’Henri
Lefebvre » (p. 18). de Gaulejac, V. (1992). « La sociologie et le vécu », Revue internationale
d’action communautaire, (27), 15–20. https://doi.org/10.7202/1033849ar

51
Lier concept et vécu
Vécu sans concept et concept sans vie : situations à éviter.

Illusion du « vécu sans concept » : « s'immerger dans le vécu, le ressenti,


l'expérience personnelle, comme si celle-ci pouvait trouver son sens en elle-
même. Une conduite, une attitude n’ont pas d'autonomie par rapport aux
conditions qui les produisent, c'est-à-dire au système de relations dans lequel
elles s'inscrivent. Penser que le savoir sur l'homme pourrait surgir de l'intérieur,
de son vécu, c'est tomber dans l'illusion empiriste, qui cherche le sens des actes
dans la conscience de l'acteur et assimile le réel à la perception subjective de
celui-ci.
La plongée dans "le vécu" permet de produire des représentations et
d'expliciter le rapport imaginaire qu'entretient chaque individu à ses
conditions concrètes d'existence (Althusser). L'analyse de ces conditions est
donc indispensable pour comprendre "le vécu", et c'est pour guider cette
analyse que la théorie est nécessaire. »
de Gaulejac, V. (1992). « La sociologie et le vécu », Revue internationale d’action communautaire, p.
18.
52
Méthodologie clinique
Illusion du « concept sans vie » : « À l'inverse, le piège du concept sans vie
consiste à s'immerger dans le théorique, dans le savoir "pur", dans des
constructions intellectuelles. On tombe alors dans l'illusion positiviste, qui réduit le
réel à l'étude des déterminations statistiques, des probabilités et des régularités
objectives auxquelles obéissent les conduites humaines. Les constructions
théoriques ne produisent du sens que dans la mesure où elles permettent de
rendre compte, d'expliquer, de comprendre ce qui est vécu. » (de Gaulejac, V.
(1992). « La sociologie et le vécu », Revue internationale d’action communautaire, p. 19).

Méthodologie sociologique :
• Questionnaires et entretiens (comme d’habitude).
• Récits de vie.
• Organisations de séminaires sur différents thèmes : roman familial et trajectoire
sociale, histoires d'argent, roman amoureux et trajectoire sociale, émotions et
histoire de vie. But : aider les participants à comprendre les éléments
psychologiques, sociaux, idéologiques et culturels qui les ont structurés. Mise à
disposition d’outils théoriques pour donner du sens.
• Analyse des textes (chartes, formations, etc.) de l’organisation. 53
Déconstruire-Reconstruire
« Notre objectif méthodologique consiste donc à créer les conditions d'un double
mouvement de distanciation et d'implication à chaque étape du travail. La
distanciation permet à l'individu d'objectiver sa propre histoire en la situant par
rapport à l'évolution des rapports sociaux. Cette démarche relativise le caractère
singulier de l'histoire personnelle et montre en quoi elle est le produit d'évolutions
qui traversent l'ensemble des membres d’une classe sociale, d'une culture, d'une
époque. Mais le travail ne serait pas complet si cette analyse ne s'enracinait pas
dans l'expérience subjective de chacun. L'implication individuelle conduit chaque
participant à discuter les hypothèses, à en proposer d'autres, à les enrichir ou à les
contredire, permettant une interaction constante et dialectique entre objectivité et
subjectivité, entre phénomènes collectifs et phénomènes individuels, entre le
social et le psychique.
À la déconstruction d'une histoire, qu'opère sa mise à plat à un moment donné,
correspond une reconstruction à partir du repérage des différentes déterminations
sociohistoriques qui l'ont produite. »
(de Gaulejac, V. (1992). « La sociologie et le vécu », p. 19).

54
Quelques résultats d’enquête de sociologues
cliniciens sur le management contemporain
ou « système managinaire »

55
L’idéologie gestionnaire (1)
Vincent de Gaulejac, La société malade de la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et
harcèlement social, Seuil, Paris, 2005.
La gestion se présente comme un outil neutre destiné à optimiser le fonctionnement
des organisations.
« Évoquer le caractère idéologique de la gestion consiste à montrer qu’il n’y a
pas de neutralité de cet outil. Les ingénieurs ou les gestionnaires ont tendance à
l’oublier, c’est grave. » Vincent de Gaulejac « La part maudite du management : l’idéologie
gestionnaire », Empan, Erès, 2006/1, n°61, p. 30-35, p. 31.
Pourquoi ?
Primauté au calcul sur tout autre langage pour gérer les entreprises, la rentabilité
domine.
« [Qu’il] y a "une bonne façon" de faire fonctionner les organisations et que les
conflits sont des dysfonctionnements. Au lieu de considérer que les conflits sont
normaux parce qu’ils sont l’expression d’opposition d’intérêts antagonistes, on fait
comme s’il y avait une bonne organisation qui permettrait d’éradiquer tous les
conflits. Donc, au lieu de les traiter, de les comprendre et de les prendre en compte,
on les évacue, on les "externalise". (…) Au lieu de traiter les problèmes en les
comprenant, en les discutant, on les traite en instrumentalisant les acteurs de
l’entreprise. » (p. 31) 56
L’idéologie gestionnaire (2)

« Paradigme utilitariste : En entreprise, vous entendez ça tout le temps : "Ici, il n’y a


pas de problème, il n’y a que des solutions".
La pensée n’est reconnue qu’à partir du moment où elle est utile pour le système. La
pensée critique est considérée comme inutile, voire nuisible. Cela favorise le
conformisme, la fameuse « pensée unique », le rejet des points de vue qui ne sont pas
« dans la ligne ». (…)
L’idéologie de la gestion, c’est l’idéologie des ressources humaines qui consiste à
considérer l’humain comme une ressource pour l’entreprise au même titre que les
matières premières, les technologies, le capital, les bâtiments… On renverse
complètement les rapports entre l’économique et le social : ce n’est plus l’entreprise
qui est une ressource de l’humain, un moyen pour développer la société, c’est la
société qui doit se mobiliser pour se mettre au service de l’économie (p. 31). »

57
L’idéologie gestionnaire (3)
« Dans l’entreprise hiérarchique et pyramidale, le pouvoir est incarné
par le chef, le patron. Il fallait rendre les corps utiles, dociles et
productifs. La nature même de l’exercice du pouvoir a changé avec le
pouvoir managérial. Ce n’est plus le corps qui est l’objet principal du
pouvoir mais la « psyché ». Il s’agit de canaliser la psyché pour la
rendre utile, docile et productive. L’entreprise a besoin de
mobiliser l’intelligence et la subjectivité. Elle a besoin de sujets
autonomes et libres. Mais c’est une liberté conditionnelle. Ils sont
libres, totalement libres, ils sont libres de travailler vingt-quatre
heures sur vingt-quatre (p. 32, mon insistance). »
Le système « managinaire » est un concept selon lequel l’individu
doit adhérer et s’approprier les valeurs sociales de l’entreprise. Il
s’agit de canaliser, orienter l’énergie psychique pour susciter de
l’intérieur la fusion de l’individu avec l’entreprise.
58
Imagination-Imaginaire

Quelle est la différence entre « imagination » et « imaginaire » ?

L'imagination est le pouvoir de se représenter un objet même en


son absence et de l'examiner indépendamment des sens.

L’imaginaire est « l’ensemble des images et des relations


d’images qui constitue le capital de pensée de l’homo sapiens »
(Gilbert Durand, Les Structures anthropologiques de l’imaginaire. Introduction à l’archétypologie
générale, Paris, Bordas, 1960, p. 11).

59
Le système « managinaire » :
adhésion, excellence et intériorisation

Nicole Aubert et Vincent de Gaulejac utilisent le concept de système «


managinaire » : c’est l’imaginaire du manager qui est envahi par son entreprise et
par l’idéologie managériale, système de management de l’imaginaire et par
l’imaginaire (Le coût de l’excellence, Le Seuil, Paris, 1991).
Il ne s’agit plus de « faire faire » mais de « faire vouloir ». Il ne s’agit plus de
régenter les gestes, mais les désirs » (Philippe Messine, Les saturniens, La Découverte,
Paris, 1987).
Idée de « guerre économique » : les acteurs de l’entreprise doivent se mobiliser
pour la gagner. L’excellence ou « qualité totale » devient un absolu.
Adhésion par l’intériorisation des valeurs, des objectifs et la logique de
l’entreprise : symbiose fusionnelle individu-organisation :
« Sur le plan spirituel, la production de l'adhésion est recherchée dans la mise en
place des chartes, projets d'entreprise et autres actions ou éléments "culturels"
destinés à cimenter les valeurs, les objectifs et les signes de la communauté. En
travaillant pour elle, on travaille aussi pour soi-même, on donne un sens à sa vie,
on trouve une raison d'exister là où les systèmes traditionnels ne suffisent plus. »
Aubert, Nicole. Le management « psychique », International Review of Community Development /
60
Revue internationale d’action communautaire, (27), 1992, 161–167, p. 163.
Le système « managinaire » :
gagnant-gagnant et quête permanente de dépassement de soi

Logique du gagnant-gagnant :
Sur le plan économique, mise en place d’objectifs individuels, de couvertures
individuelles (retraite supplémentaire, mutuelles), d’avantages en nature de toute
sorte (véhicule et téléphone de fonction, primes de bienvenue, de départ, etc.) qui
donnent au salarié le sentiment d’appartenir à une catégorie particulière à laquelle il
se sent rattaché. Il est matériellement reconnu. Il faut que la réussite professionnelle
se voit pour le collaborateur au sein de l’entreprise, et que l’entreprise de son côté
puisse s’en targuer pour attirer de nouveaux candidats. L’entreprise donne aux
individus le sentiment qu’en travaillant pour enrichir l'entreprise ils s'enrichissent
eux-mêmes.
Logique du « toujours plus » :
La quête permanente du dépassement de soi.
Logique du toujours plus : management par projet. Objectif 100 et vous faites 110
qui devient le point de départ de l’an d’après, au bout de la deuxième année vous
atteignez 120… exigence du toujours plus… à un moment donné, vous ne pouvez
atteindre les objectifs. Souvent, les personnes se sentent coupables de ne pas en
avoir fait assez. 61
Le système « managinaire » :
Idéal de carrière et force de travail
Bonetti Michel, Gauléjac Vincent de, « Condamnés à réussir », Sociologie du travail, 24 (4), numéro
spécial Les cadres : places et destins, Octobre-décembre 1982, p. 403-416,
https://www.persee.fr/doc/sotra_0038-0296_1982_num_24_4_1900

A partir du moment où l’individu souhaite faire carrière, le désir de réussite le pousse à travailler toujours
plus et toujours mieux.

Personne ne dit qu’on est « obligé de travailler », ce qui est mis en avant, c’est que pour progresser, il
faut beaucoup travailler. Cela permet de réussir le plan de carrière, de rester le meilleur.

« L’exigence passe du niveau économique (productivité) au niveau psychologique (dépassement de soi),


de même que l’instance chargée du contrôle passe de l’organisation (système de contrainte) à l’individu
(idéal du Moi, sur-Moi (p. 422). »

« L’individu va donc chercher à se conformer au modèle de l’entreprise. L’idéal organisationnel prend la


place de l’idéal personnel. Les exigences de l’entreprise deviennent une contrainte inconsciente. (…)
L’entreprise exige que l’individu donne le meilleur de lui-même, qu’il se consacre entièrement à la
réussite, qu’il se sacrifie. Il est "condamné à réussir" (p. 413). »

62
Le système « managinaire » :
Evaluation et naturalisation des « qualités » du personnel (1)
Brunel, Valérie ; Cultiaux, John. Le développement de l'individu managérial, IAG - LSM Working
Papers, 02/77, 2002, 11 pages, http://hdl.handle.net/2078/18232

Cette étude est une description des techniques du pouvoir.


• Mobilité incessante (empêcher les mouvements collectifs de contestation, le
développement de pouvoir locauxs) des cadres, des ingénieurs et des manageurs
et culte de l’excellence, de la réussite.
• Double appel de l’excellence et du service maximal du client.
• Norme du « sur-travail ».
• Politique du « up or out ».
Politique de recrutement : des personnalités-types (grandes écoles, esprit vif et
analytique, personnalité tournée vers la réussite, esprit de rentabilisation maximale,
ambitieux, goût du « challenge ». « Vous avez été choisis, vous faites partie des
meilleurs ». Ces critères d’accomplissement de soi au sein de l'entreprise vont
déterminer les critères d’utilité sociale qui vont être présentés comme des
qualités intrinsèques de la personne. 63
Le système « managinaire » :
Evaluation et naturalisation des « qualités » du personnel (2)

Brunel, Valérie ; Cultiaux, John. Le développement de l'individu managérial, op. cit.

• Politique du « feed-back » : tout le monde conseille tout le monde.


« Elle possède un double rôle : d’une part la régulation interindividuelle, le
désamorçage immédiat des conflits et leur transformation en interaction
constructive, d’autre part l’intériorisation des normes par surveillance de tous
sur tous (p. 6). »

• Evaluation : (1) par projet, (2) biannuel (coach non hiérarchique, collège
d’évaluateurs) : dépersonnalisation du pouvoir et évaluation des manageurs
par les managés. Ici encore, ces évaluations sont vécues comme relativement
objective et incontestable puisqu’elle se fonde sur un faisceau de témoignages.
« La production par le sujet de sa vérité aux regard des utilités de
l’organisation naturalisées en valeurs absolues est l’une des conditions
majeures de son obéissance (p.7). »
• Dispositifs pour discuter de ses aspirations, de ses faiblesses, de ses humeurs
(coachs). 64
Le système « managinaire » :
Evaluation et naturalisation des « qualités » du personnel (3)

Brunel, Valérie ; Cultiaux, John. Le développement de l'individu managérial, op. cit.

• Proposition de formations comportementales (test des 16 personnalité,


préférences en matière d’organisation, de production intellectuelle (échange
ou travail collectif), etc.

« Le corrélaire de cet effort de classification est de "ranger les personnes dans


des cases". En identifiant les personnes qui nous entourent au travers de la
typologie, on leur attribue de facto un ensemble de traits corrélés qui ne lui
appartiennent pas forcément, ce qui peut jouer le rôle d’une prophétie auto-
réalisatrice. D’une part, ce jugement fondé sur une théorie implicite de la
personnalité influence ce que l’on perçoit des comportements effectifs de la
personne. D’autre part, il peut aussi influencer la manière dont la personne se
vit et ce qu’elle donne à voir d’elle. (p. 7) »

65
Le système « managinaire » :
Evaluation et naturalisation des « qualités » du personnel (4)
Brunel, Valérie ; Cultiaux, John. Le développement de l'individu managérial, op. cit.

« En effet, l’accession au savoir sur soi s’opère par une description normalisée reposant
sur des outils rationnels (typologies de personnalité, grilles d’évaluations) qui
naturalisent les utilités sociales proposées par l’entreprise. Autrement dit, l’image qui est
donnée de chacun, c’est son positionnement par rapport à une grille de qualités attendues
par l’organisation, lesquelles finissent par être vues comme des qualités absolues,
"naturelles". Le regard sur soi s’origine dans une visée instrumentale de conformisation à
un modèle organisationnel. C’est non seulement le rapport à soi, mais aussi le rapport aux
autres et au réel qui est marqué par une conformisation et une volonté de maîtrise : il
s’agit de gérer les interactions pour étendre sa sphère d’influence.
Nous avons vu que l’activité évaluative, clé de voûte de l’exercice du pouvoir
organisationnel, reposait sur une apparence d’objectivité (principes de la grille
d’évaluation, du jugement sur des faits, du consensus) qui permettait d’accepter une
vérité (organisationnelle) sur soi vue comme neutre et incontestable (p. 9 »
Les auteurs font appel au travail sur les techniques d’influence de Beauvois J. L., Joule R.,
Soumission et idéologies : psychosociologie de la rationalisation, Presses Universitaires de
France, Paris, 1981 (à lire durant votre parcours…)
66
Le système « managinaire » :
Evaluation et naturalisation des « qualités » du personnel (5)
Brunel, Valérie ; Cultiaux, John. Le développement de l'individu managérial, op. cit.

Plus l’individu est conforme, plus il se sent libre !

« Il y aurait ceux qui auraient le potentiel (issu du capital culturel et symbolique)


pour adopter le modèle comportemental de l’homme managérial, et les autres,
voués à des positions subalternes, voire à l’exclusion (p. 10). »

67
Le système « managinaire » :
Le stress comme « carburant » de la performance et l’impératif de
la passion

Dispositif d’évaluation et de mise sous pression :


Exemple notation A, B, C chez American Express. Si objectifs atteints, note la
plus basse C ! Note B (10% des salariés). Note A (1%).

« Dans tous les cas, l'entreprise flexible, le pilotage en temps réel, l'obsession de la
concurrence et le principe d'urgence de la réponse rendent nécessaire une sorte d'état
de stress permanent qui constitue en fait un véritable carburant psychique dans ce
type de système. » Aubert, Nicole. Le management « psychique », International Review of
Community Development / Revue internationale d’action communautaire, (27), 1992, 161–167, p. 164.

Une évidence : Que vaut un individu hyper-compétent s'il n'est pas passionné par ce
qu'il fait ?
Rien bien-sûr. Soyez passionnés jeunes gens ! Soyez aussi bienveillants et souriants
(on vous regarde…) !

68
Le système « managinaire » : un sytème paradoxant (1)
Usage continu de formules paradoxales qui déstabilisent les acteurs de
l’entreprise (recherches de l’Ecole psychologique dite de « Palo Alto »).
« Par exemple : "Vous devez être tournés vers l’extérieur", et on vous reproche
de n’être jamais là quand on a besoin de vous. On nous dit : "La qualité, c’est de
donner des délais de livraison aux clients et s’y tenir" ; mais il y a une directive
écrite selon laquelle le fait de s’engager sur un délai de livraison est une faute
professionnelle. On nous dit : "Vous devez travailler en équipe", mais
l’évaluation des performances est individuelle. On nous dit : "qualité totale",
mais l’entreprise est dominée par le souci de rentabilité financière et les
résultats quantitatifs (p. 33). »
« Cela devient paradoxal à partir du moment où l’entreprise n’est plus en
extériorité par rapport aux individus mais en intériorité. Ils vivent ces
contradictions à l’intérieur d’eux-mêmes : cela se transforme en paradoxe. Je
vous donne deux exemples : "Plus on gagne du temps, moins on en a". Et un
autre qui est plus compliqué à comprendre : "Plus on réussit, plus on est sûr
d’aller à l’échec" (p. 33). »
Vincent de Gaulejac, La société malade de la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial
et harcèlement social, Seuil, Paris, 2005. 69
Le système « managinaire » : un système paradoxant (2)

L’injonction de faire toujours mieux avec moins :


moins de moyen, moins d’effectifs, moins de
budget, on la retrouve dans d’autres univers que
celui de l’entreprise privée ; dans les hôpitaux, les
universités, les administrations.
Cette transformation des contradictions en
injonctions paradoxales explique deux phénomènes
majeurs : l’exclusion de ceux qui n’arrivent plus à
répondre à cette exigence de performance
permanente ; l’épuisement professionnel, le stress, le
sentiment de harcèlement dans lequel sont les
salariés aujourd’hui dans l’entreprise.
Si on vous demande d’améliorer en permanence vos
performances, vient un moment où l’on passe de la
phase d’une émulation dans la collaboration et à une
phase de course infernale vers le toujours plus, le
toujours mieux. 2015
70
Le système « managinaire » : la lutte des « places »

Phénomène de la lutte « des places » :


« Ce phénomène renvoie chaque individu à lui-même pour batailler afin d’avoir
une existence sociale, du côté de la compétition et du pouvoir, pour avoir les
meilleures places de pouvoir. La lutte commence très jeune : il faut être dans les
meilleures classes, dans les meilleurs lycées après dans les meilleures « prépas »
pour avoir les meilleures écoles, les meilleures sorties de ces grandes écoles, pour
avoir les meilleures places dans les entreprises. Tout cela, pourquoi ? Pour satisfaire
cette exigence d’être champion. Mais l’excellence produit l’exclusion.
C’est l’autre aspect de la lutte des places, l’exclusion de tous ceux qui, à moment
donné, se retrouvent sur la touche, qui ont le sentiment de ne plus avoir d’existence
sociale. Dans le monde d’aujourd’hui, les uns crèvent d’avoir trop de travail et les
autres crèvent de ne plus en avoir (p. 34). »

Vincent de Gaulejac, La société malade de la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial et


harcèlement social, Seuil, Paris, 2005.
71
Le système « managinaire » et le reste de la société (1)
« Aujourd’hui on considère que, pour être efficace, il faut gérer la société
comme une entreprise.
Marcel Mauss, dans son fameux Essai sur le don, montrait que le lien social
était fondé sur la triple obligation de donner, de recevoir et de rendre.
Aujourd’hui, cette exigence est remplacée par la triple obligation d’être
productif, d’être performant et d’être rentable. Chacun doit se vendre,
transformer ses relations aux autres en relations utilitaristes, veiller à cultiver son
"employabilité", optimiser son capital. Les théories du "capital humain" sont
développées par un certain nombre d’économistes et de gestionnaires qui ne se
posent aucune question sur ce que signifie la réduction de l’humain à un
capital, sur ce que cela induit effectivement dans les rapports sociaux. On en
voit quantité d’exemples aujourd’hui. Ainsi, quand on demande à l’Éducation
nationale d’être productive, on lui demande de s’adapter en fait aux besoins de
l’économie, alors que tous les spécialistes de l’éducation montrent que le
développement de l’enfant, de l’humanité, du respect de l’environnement, du
respect de l’autre, la prise en considération de l’altérité sont effectivement des
valeurs totalement antinomiques avec les valeurs véhiculées par l’idéologie
gestionnaire (p. 35). » Vincent de Gaulejac, La société malade de la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir managérial
72
et
harcèlement social, Seuil, Paris, 2005, les caractères gras marquent mon insistance et non celle de l’auteur.
Le système « managinaire » et le reste de la société (2)

Aubert, Nicole. Le management « psychique », International Review of Community Development /


Revue internationale d’action communautaire, (27), 1992, 161–167, https://doi.org/10.7202/1033863ar

« L'entreprise n’est plus seulement le lieu d'accumulation du capital, elle est à


l'origine d'une nouvelle manière d'être dans la société. Elle diffuse ses propres
valeurs et développe un modèle culturel de comportement et une manière de vivre
et de se comporter articulés autour des valeurs d'action, de conquête, de
performance et d'excellence (p. 162). »
Pour se diffuser, la dimension éthique est mise en avant partout, dans tous les
domaines, tout le temps, soyez bienveillants surtout ☺ !
« Les principes éthiques sont très fortement affichés — qualité totale, recherche de
l'excellence, respect de l'individu, service aux clients — et se situent au carrefour
du courant éthique anglo-saxon dérivé de la religion protestante et du courant «
qualité totale » (zéro défaut, zéro panne, etc.) venu du Japon (p. 163). »

Maw Weber, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Plon, Paris, 1905: Fort
couplage de la réalisation et de la réussite matérielles et financières avec le
développement personnel, voire moral, des individus. 73
Le système « managinaire » :
résultats et conséquences (1)
Aubert, Nicole. Le management « psychique », International Review of Community Development / Revue
internationale d’action communautaire, (27), 1992, 161–167, https://doi.org/10.7202/1033863ar

Grands bénéfices en termes économiques et financiers.


Publicité chez IBM : « IBM, le chemin le plus court entre moi et ce que je veux
devenir ».
« Le problème se pose quand, pour une raison quelconque — baisse de performance,
difficultés personnelles, restructuration, etc. — la personne ne convient plus vraiment
à l'entreprise, quand elle commence à plafonner, quand on exige d'elle plus qu'elle ne
peut donner ou quand elle ne parvient pas à conserver le mode d'investissement très
passionnel qui lui est demandé. Habituée à fonctionner de façon très "intense", à
s'investir et à recevoir énormément, la personne, tout à coup, ne reçoit plus les
récompenses et les gratifications auxquelles elle était accoutumée et se trouve
brutalement privée de cet étayage narcissique (p. 166). »

74
Le système « managinaire » :
résultats et conséquences (2)
Aubert, Nicole. Le management « psychique », International Review of Community Development / Revue
internationale d’action communautaire, (27), 1992, 161–167.

« Burn-out » (effondrement) : « les personnes munies d’un Idéal du Moi très élevé
qu'elles ont investi dans une cause, un métier, une entreprise auxquels elles
croyaient : lorsque ces idéaux se révèlent impossibles à atteindre ou qu'ils ne
répondent plus aux attentes, l'individu se retrouve « pompé », vidé, consumé par cet
immense don de soi dont il perçoit tout à coup l'inutilité et la vanité (p. 166). »
Morts brutales par excès de travail qui défraient la chronique au Japon (phénomène
« Karoshi ») : arrêt cardiaque, AVC ou suicide.
« Beaucoup de médecins du travail commencent à tirer très sérieusement la sonnette
d'alarme et c'est une des grandes questions auxquelles le management des
entreprises sera désormais confronté : concilier performance économique et
équilibre individuel (p. 166-167). »
À vous de participer à l’invention de cette conciliation, d’inventer le monde de
demain chères élèves centraliennes, centraliens !

75
Quelques mots-clés du management contemporain

• Concertation. • Bienveillance.
• Délibération. • Confiance.
• Horizontalité. • Libération.
• Démocratie. • Autonomie.
• Agilité. • Bonheur.
• Fluidité. • Bien-être.
• Créativité • Amour.

76
Travaux de la sociologue Agnès Vandevelde-Rougale :
effets du langage managérial au formatage des émotions et
des intelligences

L’intériorisation du langage managérial


(productivité, performance, rentabilité…)
limite les capacités réflexives, empêche
l’expression de certaines idées, mais aussi
façonne l’expression des émotions et des
manières avec lesquelles la personne
appréhende son ressenti.
Lecture du passage du livre (le cas de Eryn) :
extrait court du passage plus long (p. 62-77,
édition 2021).
Forme de violence secondaire en se référant
aux travaux de la psychiatre et psychanalyste
Piera Aulagnier (La violence de
l’interprétation, du pictogramme à l’énoncé,
(2021 ; 2017 pour la 1er édition)
Presses Universitaires de France, Paris, 1975).
77
Violences primaire et secondaire (Piera Aulagnier)

Violence primaire est « l’action psychique par laquelle on impose à la psyché


d’un autre un choix, une pensée ou une action qui sont motivés par le désir de
celui qui l’impose mais qui s’étayent sur un objet qui répond pour l’autre à la
catégorie du nécessaire » (Aulagnier, 1975, p. 40) : les parents qui imposent au
bébé des aliments indispensables à sa survie (par ex), les parents détiennent le
« vrai » par rapport à l’enfant, imposent des limites : cette violence « primaire » est
nécessaire à sa structuration psychique et à son intégration sociale, elle lui impose
de repères identificatoires.

Psyché : Ensemble des aspects conscients et inconscients du comportement


individuel, par opposition à ce qui est supposé comme « purement » organique.

La violence secondaire va à l’encontre du sujet, elle réussit, comme nous l’avons


vu dans le recours au feedback et aux évaluations des cadres (travaux de Brunel et
Cultiaux, Le développement de l’individu managérial, 2002) à naturaliser les
utilités sociales proposées par l’entreprise. La violence secondaire « réussit à
s’approprier abusivement les qualificatifs de nécessaire et de naturel, ceux-là
mêmes qu’après coup le sujet reconnaît comme propres à la violence primaire
dont est issu son Je » (Aulagnier, 1975, p. 39). 78

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