Les géants du numérique, plus puissants que les États?
L’expression «géants du numérique» désigne une douzaine de grandes firmes de l’Internet
d'envergure mondiale, dont les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), les FANG (Facebook, Amazon, Netflix, Google) ou NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber) ; en face, les chinois BATX (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi). Échappent-ils au contrôle des États ou sont-ils à leur service? ● Ce sont des firmes au pouvoir considérable, défiant les États. Elles possèdent une capitalisation totale supérieure à la richesse produite annuellement au Royaume-Uni ou en Inde. Leurs activités sont transnationales, ainsi Facebook avec ses 2,5 milliards d'utilisateurs pour 10 000 salariés seulement. Elle contrôle des informations stratégiques ( data), qu’elles peuvent monnayer au grand dam des États (scandale Cambridge Analytica touchant Facebook en 2018). ● C’est pourquoi il existe une volonté d’encadrement par les autorités publiques. Au départ, dans les années 1990, Internet incarnait l’utopie d’un espace ouvert et libre, sans intervention des États. Mais la volonté de contrôle s’est affirmée dans les années 2000, autant de la part des pays démocratiques que des dictatures: dans le premier cas, les États-Unis avec le vote du Patriot Act (après le 11 septembre 2001), qui oblige toute société de services informatiques à donner accès aux autorités publiques (NSA) à toutes les informations voulues (système Prism). Dans le second cas, la Chine et son système de censure très sophistiqué mobilisant des dizaines de milliers de cyberpoliciers. ● Les géants du numérique ne payent pas les impôts dans les pays où ils sont actifs en vertu du principe «d'établissement permanent». D’où la question de leur taxation discutée à l’échelle de l’OCDE et de l’UE et déjà entrée en vigueur en France en 2019 (3 %). La maîtrise des voies de communications: les nouvelles routes de la soie Il s’agit d’un programme titanesque, le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale (que l’on compare souvent au plan Marshall), avec un budget oscillant autour de 1 000 milliards de dollars et des projets qui courent sur quasiment tous les continents, partagés entre des lignes de transport terrestres ou maritimes. Derrière cette volonté de la Chine d’investir hors de ses frontières et assurer le co-développement se cache l’ambition de façonner une «mondialisation à la chinoise», qui interroge sur les volontés hégémoniques de l’Empire du Milieu. ● Le plan chinois, rebaptisé en 2018 Belt and Road Initiative (BRI) ne cesse d'étendre sa couverture géographique: près de 80 pays concernés, pour 55 % du PIB mondial et 70 % de la population. Des seules infrastructures de transports, le périmètre s'est élargi à la coopération culturelle ou touristique. La phase ultime du plan est de faire circuler des données informatiques d'une zone à une autre via un réseau de fibres optiques. Des banques ont été créées à cet effet comme la Banque d’investissement pour les infrastructures (BA2I). ● Il y a derrière ce plan une dimension de diplomatie économique qui doit permettre à Pékin et à ses entreprises de trouver des relais de croissance hors de Chine: assurer des approvisionnements (énergies, minerais: les ¾ des ressources énergétiques mondiales) et des débouchés (biens manufacturés) à la deuxième économie mondiale. Stategrid, le Gazprom chinois, a ainsi besoin de sortir du pays et investir dans des actifs rentables en Europe. Mais c'est aussi un projet qui exporte le soft power chinois et sa volonté de refondre la gouvernance de la planète. L'étiquette des routes de la soie est idéale pour réunir autour de ce plan, à travers le monde, des représentants de haut niveau des États et des hommes d'affaires. Par ces forums, la Chine diffuse un autre message, plus idéologique: le président chinois veut «vendre» son mode de développement comme une alternative à celui des démocraties occidentales en proie à de nombreux maux. Il vante un État fort, centralisé, capable de prendre des décisions rapidement et de les imposer dans un délai court. ● Enfin, il ne faut pas oublier l'aspect géostratégique de ce projet: la Chine est un pays sans alliance politique et militaire qui veut déployer son influence. Ainsi, l’arrivée des Chinois dans le port de Djibouti, avec des infrastructures économiques et militaires. D’où les craintes suscitées par le projet: l’Inde a ainsi lancé avec la Malaisie et le Japon un contre-projet intitulé «Routes de la liberté», soutenu par les États-Unis.