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Les facteurs d’adaptabilité des personnels de santé

contributifs à la résilience hospitalière et les leviers


managériaux mobilisés
Marylise Bousser
Dans Projectics / Proyéctica / Projectique 2022/HS (Hors Série), pages 33 à 55
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 2031-9703
ISBN 9782807399501
DOI 10.3917/proj.hs03.0033
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LES FACTEURS D’ADAPTABILITÉ
DES PERSONNELS DE SANTÉ
CONTRIBUTIFS À LA RÉSILIENCE
HOSPITALIÈRE ET LES LEVIERS
MANAGÉRIAUX MOBILISÉS

Marylise Bousser
Médecine interne et Néphrologie, Uneos site Robert Schuman

RÉ SUMÉ
La pandémie de Covid-19 a mis à l’épreuve la résilience hospitalière mais éga-
lement celle des personnels de santé. Cette note de recherche, s’intéresse aux
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facteurs déterminants de leur adaptabilité, mise en évidence et contributive à la
gestion de la crise sanitaire.
Parmi les caractéristiques des personnels de santé, elle étudie et démontre que
leur qualification et leurs pratiques standardisées sont des éléments-clés de leur
adaptabilité. Elle interroge également les éléments contextuels et managériaux
qui concourent à l’engagement des personnels dans leur volonté de s’adapter,
mettant en évidence l’intérêt d’une communication adaptée, d’un management
de soutien et d’un management par le sens satisfaisant aux besoins de sécurité,
d’avenir, de reconnaissance mais aussi d’apprentissage et d’évolution.

Mots clés : Adaptabilité, qualification, standardisation,


résilience organisationnelle, engagement

A B S T R AC T
The adaptability factors of health care staff contributing to hospital resilience
and the managerial tools mobilized

The COVID-19 pandemic has tested the resilience not only of hospitals but also of
their health care personnel. This research note focuses on the determining factors
of the personnel’s adaptability and contributes to the management of the health
crisis.

proyéctica / projectics / projectique – n° Hors-série 33


MARYLISE BOUSSER

Among the characteristics of health personnel, this research note studies and
demonstrates that their qualification and standard practices are key elements of
their adaptability. It also questions the contextual and managerial elements that
contribute to the commitment of staff in their willingness to adapt, highlighting the
importance of appropriate communication, supportive management, and manage-
ment through sense, satisfying the needs of security, the future, and recognition,
as well as those of learning and development.

Keywords: Adaptability, qualification, standard practices,


organizational resilience, commitment

INTRODUCTION
La crise sanitaire, économique et sociétale mondiale qui se poursuit depuis
plus d’un an, est une situation inédite qui menace les populations et touche
l’ensemble des organisations ayant dû se réinventer pour poursuivre leurs
activités. Dans ce contexte sans précédent, les établissements hospitaliers
se sont vus propulsés en première ligne pour lutter contre la pandémie et
secourir la population.
En France, la Covid-19 est venue percuter un système hospitalier déjà
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en crise (Belorgey, 2010 ; Claveranne et Pascal, 2004) et traversé par de
fortes tensions institutionnelles résultant d’une succession de réformes
(Domin, 2015). Les hôpitaux se sont adaptés dans l’urgence pour faire face
à l’afflux de patients en lien avec la pandémie, tout en déployant des straté-
gies de maintien de la continuité des soins. Les acteurs hospitaliers ont dû
innover à marche forcée dans de nombreux domaines pour adapter leurs
organisations (Nobre, 2020). Ces innovations ont mis à l’épreuve l’agilité et
la résilience institutionnelle des établissements de santé dont est pourtant
souvent fait état de la difficulté et des résistances à le réformer (Claveranne
et Pascal, 2004). Cette situation de crise constitue donc une opportunité
exceptionnelle pour tirer des leçons d’une expérience grandeur nature
d’un processus d’innovation organisationnelle et managériale (Nobre,
2020). Il apparaît alors pertinent, d’étudier les phénomènes contributifs à
la résilience hospitalière mise en œuvre pour capitaliser sur l’expérience
accumulée (Nobre, 2020) et proposer des orientations pour les pratiques
managériales des organisations de santé.
La crise de la Covid-19, interroge également la place de l’individu dans
l’organisation. Elle a mis en lumière le rôle de l’acteur, support des struc-
tures (Crozier et Friedberg, 1977) qui donne à l’organisation sa capacité à
agir par l’adaptation et l’innovation interne pour résoudre les problèmes
posés par l’environnement (Crozier et Friedberg, 1977). L’agilité et la rési-
lience hospitalière se sont donc appuyées sur une adaptation du personnel,
contrastant avec la résistance au changement habituellement constatée.

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LES FACTEURS D'ADAPTABILITÉ DES PERSONNEL S DE SANTÉ...

Cette étude trouve en partie son origine dans un constat personnel d’une
adaptabilité hors normes des soignants, au travers de l’ouverture et du
management d’une unité de soins Covid, dans un établissement hospitalier
du Grand Est. Son objectif est de définir les facteurs d’adaptabilité des per-
sonnels de santé mis en évidence par la gestion de la crise sanitaire, afin de
réinvestir cette compréhension dans les pratiques managériales hospita-
lières.
Ou en quoi la résilience hospitalière a mis en évidence des facteurs
d’adaptabilité des personnels de santé hospitaliers ?
Nous faisons deux hypothèses, la première étant que le niveau de qua-
lification des personnels de santé, leur conférant une autonomie et la stan-
dardisation de leurs pratiques reproductibles ont été des facteurs clés de
leur adaptabilité. La seconde hypothèse est que les personnels de santé ont
un potentiel d’adaptation important, mais que leur volonté de le mettre en
œuvre dépend du contexte dans lequel ils évoluent et des leviers managé-
riaux mobilisés.
Ce travail comporte trois phases, la première partie consiste en une
approche conceptuelle du contexte sanitaire et organisationnel des établis-
sements de santé, ainsi que du management de crise et des facteurs d’adap-
tabilité choisis pour l’étude. La seconde partie est consacrée à la recherche
de terrain et à l’exploitation des entretiens exploratoires, semi-directifs,
réalisés auprès des professionnels. Enfin, la troisième partie propose des
préconisations et transferts possibles en innovation managériale et orga-
nisationnelle.
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CADRE THÉORIQUE
Contexte sanitaire de pandémie
L’apparition en Chine, en décembre 2019, du virus de la Covid-19, a été le point
de départ d’une crise sanitaire mondiale. France, une stratégie de réorgani-
sation de l’offre de soins autour d’établissements de santé pivots a d’abord
été mise en œuvre (Anton, 2020). Puis, devant l’avancée de l’épidémie, tous
les hôpitaux ont activé leurs plans blancs, à la demande du ministre de la
Santé. Cette mesure généralisée a entraîné une déprogrammation massive
et une réorganisation de l’offre de soins pour se consacrer en priorité à la
gestion des patients Covid-19, ainsi que la question de l’accès aux soins pour
les patients non-Covid et celles des pertes de chances éventuelles. Dans les
régions les plus touchées, la coordination territoriale s’est faite en réseau.
On a assisté à une remise en question des territoires mais aussi des fron-
tières disciplinaires, organisationnelles, administratives ou de statut (Nobre,
2020). Une coordination et collaboration intra et inter-organisationnelle ont
permis de mutualiser les moyens en lits, équipements et personnels afin de
répondre aux besoins de santé des populations.

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MARYLISE BOUSSER

Une autre décision gouvernementale a été déterminante. Il s’agit de la


suspension de la tarification à l’activité et de la mise en place d’une com-
pensation financière (Dumez et Minvielle, 2020) donnant une facilité d’accès
momentanée aux ressources (Nobre, 2020) et traduisant le « quoiqu’il en
coûte » du discours présidentiel du 12 mars 2020.
Les décisions nationales de déprogrammation et de levée des contraintes
financières ont permis l’agilité organisationnelle du système hospitalier
(Dumez et Minvielle, 2020).

Contexte hospitalier
Les organisations de santé ont été définies comme des bureaucraties pro-
fessionnelles par Mintzberg (1982). Cette approche met en évidence le rôle
central du corps médical, dans les rapports de pouvoir (Nobre, 2001). Les
hôpitaux sont aussi présentés comme des structures pluralistes au regard
de la diversité des acteurs y exerçant. Mintzberg et Glouberman en 2001,
citent les quatre mondes de l’hôpital : les médecins, les personnels non-
médicaux soignants, les personnels administratifs et les membres de la
direction. Ces différentes catégories d’acteurs ont des logiques de corps qui
diffèrent et les amènent à entrer en opposition (Olivaux, 2018). Ces défini-
tions mettent en évidence la diversité des acteurs et la complexité des jeux
de pouvoir en milieu hospitalier. D’autres auteurs, évoquent l’hôpital comme
un système de production de services (Moidson, 2008 ; Pascal, 2000).
Depuis la loi n° 70-1318 du 31 décembre 1970 portant réforme hospi-
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talière, le service public hospitalier est assuré par des établissements du
secteur public mais aussi par des établissements privés qui peuvent se voir
confier des missions de service public ou bien contribuer à leur accom-
plissement en fonction des besoins de santé de la population (Holcman,
2014). Ces différences de statut impliquent des différences de modalités
de gouvernance interne et de financement. Cependant, quel que soit leur
statut, les établissements hospitaliers sont soumis au contrôle externe
exercé par les tutelles (Nobre, 2001). Ce contrôle externe est à l’origine des
principales réformes hospitalières (Nobre, 2020 ; Pascal, 2000). Son objectif
est de mettre en place des organisations plus efficientes pour atteindre des
objectifs de qualité des soins et de maîtrise des dépenses (Belorgey, 2010 ;
Gheorghiu et Moatty, 2013).
Dans le contexte de crise sanitaire, les établissements hospitaliers se
sont réorganisés parfois de fond en comble (Dumez et Minvielle, 2020) pour
assurer leurs missions. Face à l’afflux des patients en lien avec la pandémie
et pour éviter le plus possible les ruptures ou pertes de chance pour les
autres, ils ont rapidement modifié leurs activités au regard des possibilités
et des besoins de prise en charge. Les circuits et activités ont été réorga-
nisés en fonction des priorisations, évoluant au rythme des vagues de l’épi-
démie, de l’apparition des variants, du déploiement de la vaccination et du
rattrapage de l’activité déprogrammée.

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Concept de l’adaptabilité
L’objet de cette étude étant les facteurs d’adaptabilité des personnels de
santé contributifs à l’agilité et la résilience hospitalière, il convient de définir
la notion d’adaptabilité. Le concept adaptabilité trouve en partie ses origines
dans les travaux de Charles Darwin, pour l’auteur, l’adaptabilité fait par-
tie d’une capacité humaine à survivre en toute situation. Pour cette étude,
nous retiendrons la définition proposée par Raphaëlle Granger en 2020,
« L’adaptabilité est l’aisance d'un individu à évoluer en fonction du contexte, des
événements ou d'un besoin sans se laisser conditionner ou influencer, en res-
tructurant ses propres croyances, modes de fonctionnement et pensée et autres
automatismes habituels ».
Nous abordons ensuite le concept d’agilité et celui de la résilience orga-
nisationnelle.

Concepts de l’agilité et la
résilience organisationnelle
Le terme « agile » décrit des organisations pouvant s’adapter et fonctionner
dans des environnements évoluant rapidement (Overby et al., 2006). Selon
la définition proposée par Charbonnier-Voirin « l'agilité est la capacité d’adap-
tation permanente de l’organisation, permise non seulement par une réaction
rapide au changement, mais également, par un potentiel d’action destiné à anti-
ciper et à saisir les opportunités offertes par le changement, notamment par
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le biais de l’anticipation, de l’innovation et de l’apprentissage » (2011, p 123).
L’agilité comporte donc deux critères qui sont la réponse au changement
et le fait d’appréhender les changements comme des opportunités pour en
tirer profit.
Le concept de résilience concerne à l’origine la physique des matériaux,
on doit en partie son transfert en sciences de l’organisation aux travaux du
chercheur Karl Emmanuel Weick. Nous retiendrons sa définition proposée
en 2003, selon l’auteur, la résilience est la capacité d‘un groupe à éviter des
chocs organisationnels en construisant des systèmes d‘actions et d‘interac-
tions, destinés à préserver les anticipations des différents individus les uns
par rapport aux autres. Dans ses travaux, Weick étudie pour une organi-
sation, sa capacité à maintenir un système d’actions organisé, face à une
situation inhabituelle, dans le but de préserver la vie de l'organisation. La
littérature souligne trois capacités pour que l’organisation soit résiliente :
absorber les chocs, générer de l’innovation et capitaliser les connaissances
et les compétences (Teneau et Koninckx, 2010). Plusieurs facteurs sont déci-
sifs à la résilience organisationnelle et la place dans une approche globale
où l’environnement, les acteurs, les éléments matériels et immatériels
jouent un rôle (Lakhdar, 2020).
Les deux concepts, d’agilité et de résilience organisationnelles se
rejoignent sur la notion d’anticipation, d’innovation et d’apprentissage
d’expérience.

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MARYLISE BOUSSER

Nous abordons ensuite le concept de la construction de sens qui s’arti-


cule avec celui de la résilience et conditionne l’engagement des acteurs
dans la théorie proposée par Weick.

Concept de la construction
de sens selon Weick
Pour Weick, en 1993, la maîtrise des événements perturbateurs nécessite
de développer des comportements adaptatifs qui sont le « sensemaking »,
il le définit en 1995, comme un processus continu, par lequel les individus
rendent rationnelles les actions et situations qu’ils traversent. Le sens est
construit individuellement pendant l’action pour Weick, c’est dans les inte-
ractions que l’acteur trouve des éléments créateurs de sens qui justifient
son engagement (Autissier et Wacheux, 2017). Toujours selon Weick, il y a
trois sources de sens qui sont la culture au sens des valeurs de l’institution,
la stratégie ou discours prévisionnel conditionnant les contrats et apportant
une lisibilité des décisions et la structure formelle qui valide les rôles, les
règles et les procédures (Autissier et Wacheux, 2017). Mais la problématique
de la création de sens pose de nombreuses questions, tant sur les aspira-
tions que sur l’environnement et sur la volonté de participer à sa construction
(Autissier et Wacheux, 2017). Les travaux de Weick, en 1995, montrent qu’il
existe trois types de besoins conditionnant l’engagement des personnes :
les besoins de sécurité, d’avenir et de reconnaissance.
Après avoir revu les éléments du contexte et les concepts mobilisés dans
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cette étude, nous abordons le domaine du management hospitalier.

Le management hospitalier en
période de crise sanitaire
Le management est défini par Autissier, Métais et Moutot en 2018, comme
l’ensemble des capacités visant à faire coopérer des personnes entre elles
pour la réalisation d’une finalité sous contrainte de coûts et de temps.
Les premières décisions prévues par le plan blanc des établissements de
santé sont la création d’une cellule de crise et la nomination d’un directeur
médical de crise (Dumez et Minvielle, 2020). Il est nécessaire de profession-
naliser le noyau central (Van der Linde, 2018), avec pour objectif de pou-
voir réagir et d’adapter les décisions aux évolutions rapides de la situation
(Dumez et Minvielle, 2020). Le pilotage institutionnel de crise s’est appuyé
sur les cellules de crise à la double compétence gestionnaire et médicale
(Nobre, 2020). Ce fonctionnement coopératif repose sur des principes valo-
risant la transversalité des savoirs (Van der Linde 2018). Les décisions ont
eu pour but d’augmenter et d’adapter la production de soins de l’établisse-
ment tout en évitant la rupture du seuil capacitaire (Van der Linde, 2018). Les
nombreuses réunions de concertation permettent la réactivité des prises
de décisions. Mais, dans cette période d’incertitude quant à l’évolution du

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virus et face aux recommandations parfois floues des sociétés savantes


(Nobre, 2020), il a fallu exploiter des informations incomplètes et accepter
les incertitudes. La recherche de solutions a conduit à imaginer de nouveaux
dispositifs. Autrement dit, c’est l’innovation institutionnelle qui a permis la
transformation organisationnelle pour s’adapter face à une crise inédite en
s’appuyant sur la concertation et l’expérimentation des acteurs de terrain.
Cette modalité d’innovation, permettant aux acteurs de terrain d’être à l’ori-
gine des transformations du système, se traduit par l’article 51 de la loi de
financement de sécurité de 2018 dont le potentiel a été révélé par la gestion
de la crise sanitaire (Nobre, 2020).
Un autre impératif du fonctionnement en temps de crise est la mise en
œuvre d’une communication multidirectionnelle efficace et adaptée. Elle
permet de faire comprendre la situation et d’informer l’ensemble des agents
du déroulement des actions et des objectifs à atteindre (Van der Linde, 2018).
Le contrôle de gestion a également été contraint d’évoluer, la levée des
contraintes financières a modifié les objectifs de la performance hospi-
talière qui vise à maîtriser l’efficacité et l’efficience des actions engagées
(Dreveton, 2020). Les moyens étant écartés et les objectifs difficiles à fixer,
il s’agit de se focaliser sur les modalités de réalisation de l’action (Dreveton,
2020). Selon le modèle de contrôle organisationnel développé dans les tra-
vaux d’ Ouchi en 1979 et cité par Langevin et Naro en 2003, on constate que
dans ce contexte de crise, le contrôle des comportements et le contrôle des
résultats sont rendus difficiles. Seul le contrôle social qui consiste selon
l’auteur à avoir des salariés dont le profil et les compétences correspondent
aux besoins ou à induire des comportements d'autocontrôle, par l'individu
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lui-même ou par ses pairs a pu être effectif. Ce contrôle social s’appuie sur
la confiance et l’autonomie des acteurs.
Le management hospitalier de crise s’organise donc autour d’une prise
de décisions innovantes et collaboratives transmises par une communica-
tion adaptée et un contrôle de l’activité favorisant l’autonomie.

Le management des ressources


humaines en période de crise
Le plan blanc autorise les directions à mobiliser les moyens de toute nature
sous leurs responsabilités (Van der Linde, 2018), y compris les ressources
humaines. Cette souplesse de gestion a contribué à faciliter les redéploie-
ments de personnels. Le personnel issu des activités déprogrammées a
permis de constituer ou de renforcer les équipes dont l’activité a été dédiée
aux prises en charge Covid. Des renforts extérieurs sont également venus
compléter les rangs de certains établissements.
Au regard de la résilience, dont ont fait preuve les établissements de
santé, ils ont entre autres déployé un management par le sens en veillant à
satisfaire les besoins de sécurité, d’avenir et de reconnaissance des person-
nels correspondant aux facteurs d’engagement de la construction de sens
de Weick vus précédemment.

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MARYLISE BOUSSER

Concernant le besoin de sécurité, la crise a été particulièrement anxio-


gène pour le personnel (Dumez et Minvielle, 2020). Des professionnels ont
été touchés par le virus et certains y ont laissé leur vie. L’approvisionnement
en équipements de protection et les mesures de distanciation ont fortement
mobilisé les directions des établissements. On notera également que la
cohérence entre un individu et le travail qu’il exerce contribue à créer un
sentiment de sécurité psychologique (Morin et Forest, 2007). La cohérence
correspondant au degré d’adhérence, de connectivité, d’équilibre entre le
sujet et le travail (Morin et Cherre, 1999). La cohérence est donc également
contributive à l’engagement. Or, l'objectif de toutes les mesures prises a
été d'assurer la meilleure prise en charge possible pour limiter les effets
de la pandémie en sauvant des vies et en minimisant les séquelles pour
l'ensemble des patients (Nobre, 2020). On constate un alignement entre
la stratégie institutionnelle et les valeurs humanistes des personnels de
santé qui sont la raison du choix de leur profession et ce pour quoi ils ont été
formés (Dumez et Minvielle, 2020).
Le soutien aux équipes, contributif aux besoins de sécurité d’avenir et de
reconnaissance (Autissier et Wacheux, 2017) a également été essentiel.
Après avoir évoqué le contexte et les concepts mobilisés ainsi que les
modalités du management hospitalier et des ressources humaines en
période de crise sanitaire, il convient de s’intéresser aux professionnels de
santé et à leurs caractéristiques choisis pour cette étude.

Première caractéristique choisie


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pour cette étude : la qualification
Les professionnels de santé sont un élément décisif des établissements
sanitaires tant par leur rôle que par leurs effectifs (Chevandier, 2020). Le
système d’intervention des professionnels de santé repose sur la qualifica-
tion (Matillon, 2003) puisque dans le code de la santé publique, l’organisation
juridique des professions de santé est liée à l’obtention d’un diplôme.
Le niveau et la standardisation des qualifications, au sein des bureaucra-
ties professionnelles, tels que les décrit Mintzberg (1982), la socialisation et
le contrôle par les pairs en lien avec les ordres professionnels et les codes
de déontologie qui régissent les pratiques du personnel de santé (Laude et
Tabuteau, 2018) sont des conditions favorables à l’autonomie et au contrôle
social.
La formation initiale, de chaque corps de métier du soin, comporte un
tronc commun permettant d’exercer dans plusieurs spécialités. Cependant,
l’hyperspécialisation de la médecine, réduit le champ du savoir commun
(Claveranne et Pascal, 2004). Une autre caractéristique de la formation ini-
tiale, est l’alternance avec des stages professionnels inclus dans le cursus
(Baur et Noiré, 2004). Cette méthode de formation sensibilise les personnels
au compagnonnage, ou tutorat, utilisé pendant la crise, pour partager les
connaissances et compétences nécessaires à la modification des activités
(Dumez et Minvielle, 2020).

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LES FACTEURS D'ADAPTABILITÉ DES PERSONNEL S DE SANTÉ...

La présence dans les hôpitaux de personnel hautement qualifié que l’on


peut qualifier d’experts, a permis d’organiser rapidement des formations
pour partager les savoirs utiles (Dumez et Minvielle, 2020). Elle a également
permis de rapidement déterminer les conditions d’exercice nécessaires à la
modification des activités.
On constate donc que par leur niveau de qualification et leurs modalités
de formation, les personnels de santé ont des capacités d’adaptation et de
partage de compétences, mais aussi d’autonomie dans la réalisation et
l’organisation de leurs activités.

Deuxième caractéristique choisie pour


l’étude : des pratiques standardisées
La deuxième caractéristique explorée, concerne la standardisation des pra-
tiques de soins. L’une des missions de l’hôpital est l’amélioration de l’état
de santé des patients par une activité de production de soins. Cette activité
répond à une méthodologie normative pour garantir l’obtention et la repro-
ductibilité des résultats (Pascal, 2003). Cette recherche de stabilisation des
processus de soins se traduit par l’élaboration des procédures et des pro-
tocoles permettant de fixer leur déroulement au moyen d’une méthodologie
précise (Pascal, 2003). Cette normalisation, permet aussi de déterminer et
de stabiliser les conditions optimales de la production de soins en termes de
coûts et de critères de performance (Claveranne et Pascal, 2004).
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La standardisation des pratiques de production de soins répond à deux
objectifs. Le premier concerne la qualité des soins. Le second est la norma-
lisation des moyens utilisés dans une démarche de maîtrise des coûts.
Selon Magnon et Dechanoz en 1995, le protocole désigne les techniques
à appliquer ou les consignes à observer dans certaines situations de soins
(cités par Pascal, 2003).
La procédure, désigne la manière spécifique d’accomplir une acti-
vité par un ensemble des règles et de formalités qui doivent être respectées
(Claveranne et Pascal, 2004).
Le protocole et la procédure ont une perspective normative ainsi qu’un
caractère explicite et codifié, ce qui en garantit la transférabilité au sein des
équipes, entre services, entre professionnels, ou encore entre établisse-
ments (Pascal, 2003).
Cette démarche de standardisation est cependant contestée par certains
auteurs qui lui opposent sa rigidité, contraire et la flexibilité des réponses
individualisées (Albert-Cromarias et Dos Santos, 2020). Selon Hamel en
2008, trop standardiser diminue l’implication des acteurs par un phénomène
de dépossession du pouvoir d’initiative. Une autre difficulté, est la vitesse
d’évolution des connaissances médicales et technologiques qui imposent
des remises à jour fréquentes (Pascal, 2003).

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MARYLISE BOUSSER

La standardisation est considérée comme un moyen de maîtrise et de


contrôle (Pascal, 2003) et semble donc contraire à la notion dynamique
d’adaptabilité. Mais elle peut aussi être une source de points de repère pour
les pratiques soignantes et permettre de dépasser les frontières de la spé-
cialisation par la transférabilité des pratiques.
Il apparaît que les deux caractéristiques étudiées peuvent avoir été
contributives à l’adaptabilité des soignants, mais que le contexte et les
leviers managériaux ont également eu un impact important sur l’adaptabi-
lité au travers de l’engagement des professionnels.

ÉTUDE DE TERRAIN
Cette deuxième partie, présente le terrain d’enquête et la méthodologie de
recherche employée. L’objectif étant de confronter le cadre théorique déve-
loppé et la réalité du terrain.

Méthodologie de recherche
Cette étude s’inscrit dans une démarche qualitative, qui est la plus adaptée
à la nature exploratoire de la recherche. En effet, « les données qualitatives
se présentent sous forme de mots plutôt que de chiffres » (Thierard, 2014).
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Elle tente de mieux comprendre, si le niveau de qualification des person-
nels de santé et la standardisation de leurs pratiques, ont été des facteurs
d’adaptabilité contributifs à la résilience hospitalière et en quoi le contexte
et les leviers managériaux identifiés dans le cadre théorique y ont contri-
bué. L’enquête a été réalisée auprès de professionnels, à l’aide d’entretiens
semi-directifs autorisant les questions de relance, pour affiner les réponses
et orienter le sujet interrogé vers les thématiques recherchées sans pour
autant influencer le contenu de ses propos. L’approche mobilisée relève
d’une posture interprétativiste, proposant une image de la réalité à partir
des représentations des acteurs.

Le terrain d’enquête
Nous avons choisi de limiter notre terrain d’enquête à un établissement
privé à but non lucratif du Grand Est, auquel nous appartenons et au sein
duquel nous avons participé activement à la gestion hospitalière de la crise
Covid-19. Cet établissement situé dans une région lourdement impactée par
l’épidémie, a été concerné par les multiples prises en charge des patients
Covid, aussi bien en réanimation, hospitalisation ou suite de soins. Il a éga-
lement pris part au transfert de patients ainsi qu’aux travaux de recherches
médicales. Il a aussi coopéré avec les autres structures de soins de la région
y compris dans le domaine sanitaire et social en organisant des actions de

42 projectique / projectics / proyéctica – n° Hors-série


LES FACTEURS D'ADAPTABILITÉ DES PERSONNEL S DE SANTÉ...

dépistage, cohortes de patients et vaccination. Notre appartenance à l’orga-


nisation nous a permis de mieux appréhender l’environnement organisa-
tionnel et les répercussions de la crise.

L’échantillon
L’échantillon est constitué de dix salariés de plusieurs fonctions, représen-
tatif du travail soignant en milieu hospitalier, dans le but d’explorer le sujet
avec pertinence.

Recueil de données
Le recueil s’est fait à l’aide d’un guide d’entretien comportant des théma-
tiques et questions issues du cadre théorique.
Nous nous sommes attachés, à établir une relation de confiance avec les
personnes interviewées et nous avons attesté de l’anonymat du contenu de
l’enregistrement de leur entretien. Les entretiens se sont déroulés au mois
de juin et juillet 2021, sur une période de sortie du troisième pic épidémique.
Ils ont été enregistrés et retranscrits afin d’en réaliser l’analyse thématique.
La grille d’entretien a été élaborée en lien avec les concepts développés
dans la première partie de la note de recherche. Elle est composée de sept
thèmes principaux, le premier décrit la situation professionnelle de l’inter-
viewé et sa perception de l’adaptation mise en œuvre, les deux suivants
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concernent les facteurs d’adaptabilité étudiés à savoir le niveau de qualifi-
cation et les pratiques standardisées, le quatrième aborde les besoins de la
théorie de Weick qui caractérisent l’engagement, le cinquième concerne le
management de soutien et son influence sur l’adaptabilité, le sixième reprend
la communication et enfin le septième questionne dans un but d’ouverture,
les aides, difficultés et leviers perçus mais non abordés précédemment.
Chacun des intervenants est identifié par une couleur de caractère dif-
férente et un code d’identification. Ce qui a simplifié la reconnaissance des
personnes lors des lectures pour réaliser l’analyse. Les données recueil-
lies ont été catégorisées dans une grille de codage par le biais de mots ou
thématiques clés. Cette analyse nous a permis de dégager les idées fortes
développées dans les réponses et de comptabiliser leurs fréquences de
citation. Les apports conceptuels développés dans notre première partie
nous ont ensuite permis d’orienter notre analyse.

proyéctica / projectics / projectique – n° Hors-série 43


MARYLISE BOUSSER

ANALYSE
Perception de l’adaptation
L’ensemble des acteurs hospitaliers interrogé a dû s’adapter aux évolutions
des conditions d’exercice et des activités hospitalières. « Toutes les pra-
tiques de l’hôpital ont été modifiées ». Mais le niveau d’adaptation demandé
n’a pas été le même pour tous selon six d’entre eux : « tout le monde n’a
pas eu à s’adapter dans les mêmes mesures, certains sont restés sur des
activités en partie connues et des horaires habituels ».

Le niveau de qualification comme


facteur d’adaptabilité
La qualification ressort à l’unanimité comme ayant conditionné l’adaptabi-
lité : « les personnels avaient les compétences et qualifications nécessaires
pour les prises en charge ». Le niveau de qualification a également contri-
bué, pour huit personnes sur les dix interrogées, à une certaine autonomie
dans la réalisation des activités : « pour les soins, on savait faire, on était
autonomes » et pour sept sur dix, il leur a permis de contribuer à déterminer
les conditions de réalisation de l’activité : « On a pu donner notre avis pour
organiser les circuits en service ».
La qualification est entendue par le personnel de santé au sens large
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comprenant la formation et l’expérience. Le niveau de formation initial et
l’expérience sont perçus comme deux notions différentes par sept per-
sonnes : « Il y a deux choses différentes, ce qui tient du diplôme et ce qui tient
de la qualification vraie, de l’expérience », huit personnes sur dix font réfé-
rence à l’expérience professionnelle comme atout à l’adaptabilité : « C’est
plus l’expérience que le diplôme qui m’a armée pour faire face ».
Un manque de personnel infirmier qualifié en réanimation a été signalé
par trois personnes interrogées : « Il n’y avait pas assez d’infirmiers formés
pour venir nous aider ». Selon quatre des personnes interviewées, il y a un
écart significatif entre la formation initiale d’infirmier et les compétences
nécessaires pour exercer en service de réanimation : « Tu ne peux pas
prendre une infirmière d’un service autre et dire qu’elle fait l’affaire, ce
n’est pas possible, c’est dangereux ». Cet écart a été en partie résolu, par la
mobilisation de personnels plus qualifiés issus des blocs opératoires : « Le
personnel du bloc opératoire était qualifié pour venir nous aider », à l’inverse
cinq autres personnes mettent en avant des équipes bien dimensionnées et
des possibilités de rotation dans les secteurs hors réanimation : « On était
en nombre, ils ont laissé plus de personnel qu’en temps normal ».
Ces retours confirment que le niveau de qualification est un facteur clé
de l’adaptabilité. Ils mettent également en évidence que la disponibilité de
ressources humaines qualifiées est un facteur à l’adaptabilité organisa-
tionnelle. La charge de travail, en lien avec la disponibilité des personnels
qualifiés, a été signalée comme une difficulté pouvant impacter le souhait de

44 projectique / projectics / proyéctica – n° Hors-série


LES FACTEURS D'ADAPTABILITÉ DES PERSONNEL S DE SANTÉ...

s’investir et de s’adapter dans l’avenir par trois personnes : « On n’était pas


assez, tous les patients étaient lourds et décompensaient en même temps si
ça recommence, je ne sais pas si je viendrai ».
L’adaptabilité par le transfert et le partage de compétences a également
fait l’unanimité. Sept sur dix confirment l’intérêt formations par des person-
nels experts comme une aide à l’adaptation, en particulier par les équipes
d’hygiène et la communauté médicale : « ça a permis de diminuer le stress ».
Plus que le tutorat, évoqué dans la partie théorique, ils se sont appuyés sur
un partage de connaissances et de compétences généralisé, sept d’entre
eux parlent d’une entre aide et d’un partage de connaissances collectif qui
a contribué à l’adaptation : « c’était vraiment un partage de compétences »,
« Il y avait tout le temps quelqu’un qui était là qui savait, ça a été du collabo-
ratif ». Quatre personnes sur les dix, élargissent la notion de collectif à la
concertation de professionnels hors de l’établissement, comme les sociétés
savantes et les retours des autres établissements.

La standardisation des pratiques


La standardisation des pratiques n’est perçue comme une contrainte par
aucune des personnes interrogées. Pour huit personnes, elle est considérée
comme une aide à l’adaptation : « Ça uniformise les pratiques et facilite les
mouvements de personnel ».
L’absence de standardisation, en lien avec la nouveauté du virus et les
évolutions des recommandations, a été vécue comme une difficulté pour
cinq des dix personnes interrogées : « Au début, il n’y avait pas de protocole,
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c’était compliqué de comprendre ». Une recherche de standardisation des
pratiques a été citée six personnes, comme mise en œuvre par la direction
et l’encadrement pour les consignes concernant les équipements de protec-
tion, les mesures de distanciation : « les cadres, on a tous été mis à contri-
bution pour redéterminer et protocoliser les circuits de nos activités » et
par les équipes médicales cherchant à déterminer les meilleures pratiques
pour les prises en charge patients : « il y a eu beaucoup de discussion et
de concertation autour des recommandations pour déterminer la conduite
à tenir ».
Trois personnels sur les dix interrogés, ont relevé une difficulté due au
manque d’harmonisation des outils informatiques entre le personnel de
bloc opératoire et le service de réanimation : « certains refusaient d’aller en
réanimation ou c’est informatisé ».

L’engagement et les besoins le caractérisant


Le volontariat n’a été que partiel, pour certains personnels l’adaptation a
été imposée : « Ils sont venus, mais leur direction ne leur avait pas laissé le
choix », « quand tu travailles en réa, tu n’as pas le choix, on a dû faire que du
Covid que tu aies envie ou peur, c’est pareil ».
De façon unanime, la sécurité physique est reconnue comme importante.
Neuf personnes parlent également de la peur ressentie : « la première

proyéctica / projectics / projectique – n° Hors-série 45


MARYLISE BOUSSER

vague, c’était la vague de la peur ». Six personnes font le lien entre leur
engagement ou leur présence au travail et la sécurité : « sans les équipe-
ments, je ne serai pas venue ».
Concernant la cohérence, sept personnes considèrent que leurs acti-
vités sont restées en cohérence avec leur vision de leur profession et leurs
valeurs soignantes : « On a fait notre métier, on est soignant avant tout »,
mais le nombre de décès et les conditions liées à leurs prises en charge ont
été signalés comme une difficulté ou charge psychologique par neufs per-
sonnels sur dix : « Tous ces décès sans personne, c’était émotionnellement
plus difficile que physiquement », « On a beaucoup de retours, du personnel
qui ont des souvenirs de mettre des corps dans des sacs, ce sont des images
fortes qui leur restent en tête ».
À propos du besoin d’avenir, aucun des personnels interrogés n’a exprimé
de crainte pour la pérennité des emplois, mais concernant l’avenir de façon
plus général, huit personnes interrogées sur dix indiquent qu’il a été une
source d’anxiété face à l’inconnu de l’avenir et la mondialisation du phéno-
mène : « Ça fait peur pour l’avenir surtout avec les variants ». Cette crainte
pour l’avenir a été un moteur pour l’action et l’adaptation pour huit des per-
sonnes interrogées : « une force commune, on devait faire quelque chose »,
« C’était mondial, il fallait faire quelque chose, on devait participer ».
Pour le besoin de reconnaissance, tous les interviewés ont ressenti une
différence entre la reconnaissance habituelle pour leur travail et celle qui
leur a été manifestée pendant la crise : « On s’est sentis importants ». Tous
citent l’élan de reconnaissance populaire comme valorisant : « Ça fait du
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bien, enfin on a été reconnus ».
La reconnaissance de la hiérarchie, a été reconnue par huit personnes
sur dix également : « Les cadres et la direction nous ont fait sentir qu’on était
importants ». Elle a été perçue comme une aide par quatre interviewés : « Ce
sont quand même des choses qui remontent le moral ». Mais elle a été jugée
insuffisante par quatre personnes : « Ils savent qu’on a fait de notre mieux,
mais ils n’ont pas su le manifester », et considérée, non pas comme une aide,
mais un du pour deux personnes sur les dix interrogées : « Avec tout ce qu’on
a fait, c’était normal d’avoir des remerciements de la direction ». De même,
les mesures financières mises en place par les tutelles avec le Ségur de
la santé ne sont pas perçues comme une reconnaissance adaptée par cinq
personnes sur dix : « Même avec l’augmentation le salaire reste faible pour
le travail réalisé ».
La disponibilité et la présence dans les secteurs des cadres et de la
direction ont été perçues, par six personnes sur dix, comme une reconnais-
sance de leur travail et de leur utilité ou au moins une aide : « Ils étaient
vraiment avec nous en salle de soins parce que ce qu’on faisait, était impor-
tant », « Voir la direction en service demander si on va bien et ce qu’il nous
faut, c’était bien ».

46 projectique / projectics / proyéctica – n° Hors-série


LES FACTEURS D'ADAPTABILITÉ DES PERSONNEL S DE SANTÉ...

Management de soutien
Neuf personnes ont noté les actions de soutien mises à leur disposition et
huit d’entre eux reconnaissent leur utilité : « Moi, j’ai échangé avec la psy-
chologue régulièrement en service, ça aide ». Deux personnes évoquent
une problématique pour en bénéficier pendant le temps de travail : « On ne
pouvait pas s’absenter pour faire une séance et après, je ne voulais pas y
repenser ».

Communication
Pour les dix interviewés, la communication a été un facteur clé de leur
adaptation : « La communication, c’est primordial en temps de crise encore
plus, donc c’était une aide, il fallait savoir les consignes, dire les difficultés,
informer et écouter ». Tant pour la communication des informations : « C’est
essentiel pour connaître les consignes », que par l’écoute : « Je pense qu'ils
avaient énormément besoin d'être écoutés ».
Huit personnes sur dix pensent avoir été suffisamment informées sur les
décisions et les mesures à mettre en œuvre : « On savait ce qu’on attendait
de nous et des équipes ». Deux cadres évoquent la difficulté de mettre en
place la transmission des informations à tous les membres des équipes :
« Il y avait toujours quelqu’un qui n’avait pas eu l’information et qui rede-
mandait malgré les pancartes, les annonces sur l’application et le groupe
WhatsApp ».
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Facteurs et leviers émergeants par
rapport au cadre conceptuel mobilisé
L’attrait et l’intérêt liés à la nouveauté, quatre personnes ont évoqué l’intérêt
de la nouveauté et l’intérêt intellectuel comme facteur décisif à leur adap-
tabilité : « J’étais volontaire à la première vague parce que c’était nouveau
après c’était moins intéressant » , « Intellectuellement, c’était intéressant,
on a pu mettre en place des études, il y a eu des publications ».
L’esprit et le travail d’équipe sont cités par huit personnes sur dix comme
un facteur déterminant pour l’adaptation : « Ce qui a le plus aidé à s’adapter
en service, c’est la cohésion de l’équipe ».
La proximité et la disponibilité des responsables sont également citées
par six personnes sur dix : « On était avec eux donc facilement accessibles et
ils savaient qu’on était là pour eux ». Elle ressort également de cette étude
comme un facteur déterminant d’adaptabilité au travers de son utilité dans
la communication, le soutien et la reconnaissance manifestés aux équipes.

proyéctica / projectics / projectique – n° Hors-série 47


MARYLISE BOUSSER

DISCUSSION
Nous allons à présent tenter d’apporter des éléments de réponse à notre
problématique qui était : quels sont les facteurs d’adaptabilité, des person-
nels de santé, contributifs à la résilience hospitalière ? Pour y répondre,
nous vérifierons nos deux hypothèses. La première étant que le niveau de
qualification et la standardisation des pratiques sont des facteurs clés de
l’adaptation des personnels de santé. La seconde, que le contexte et les
leviers managériaux mobilisés conditionnent la volonté d’adaptation des
personnels de santé.

Niveau de qualification comme


facteur d’adaptabilité
Le niveau de qualification des personnels de santé a été confirmé comme un
facteur de leur adaptabilité. Il leur a permis de s’adapter aux modifications
de leur exercice professionnel par des changements de lieu de travail, de
profil de patients et de modalités d’accueil des patients.
La standardisation des qualifications et le tronc commun enseigné lors
des formations qualifiantes, ont facilité les redéploiements rapides des
personnels et permis la création d’équipes dédiées aux nouvelles prises en
charge nécessaires à la poursuite et à l’adaptation de l’activité hospitalière.
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Notons aussi, que dans le contexte de pénurie de personnel de santé, cette
recomposition des équipes nécessaire à l’adaptation de l’activité, n’a été
rendue possible que par la disponibilité des agents liée à la déprogramma-
tion massive. En plus de l’enseignement initial, « la qualification s’acquiert
par l’expérience, l’apprentissage et la formation » (Schlesser, 2020, p 40).
Dans ce domaine, la diversité des profils et des parcours professionnels
spécialisés, existant en milieu hospitalier par suite de l’hyperspécialisation
médicale, a permis de créer des équipes multiples avec des connaissances
et compétences variées. Cette variété de profils professionnels a permis
des échanges contributifs au partage de connaissances et de compétences.
Une intelligence de groupe a permis la mise à niveau des qualifications des
équipes pour s’adapter aux activités. Cette intelligence, peut être qualifiée
d’intelligence collective au sens de la définition proposée par Pierre Lévy en
1994, comme étant la capacité d’une communauté à faire converger intel-
ligence et connaissances pour avancer vers un but commun (Frimousse et
Peretti, 2017).
La présence, parmi les effectifs, de personnels experts spécialisés dans
des domaines précis et capables de transmettre rapidement des recom-
mandations permettant d’adapter les activités, a aussi été un élément faci-
litateur de l’adaptabilité. Dans ce domaine, les hygiénistes et les médecins,
considérés comme experts et très qualifiés, ont facilité la mise en place
d’une dynamique de formation et de partage des savoirs. Ils ont aussi par-
ticipé activement à la recherche de solutions, par la consultation de leurs

48 projectique / projectics / proyéctica – n° Hors-série


LES FACTEURS D'ADAPTABILITÉ DES PERSONNEL S DE SANTÉ...

pairs et la mise en place d’une veille concernant les savoirs et nouveautés


médicales.
L’autonomie dans la réalisation des activités ainsi que la capacité à en
déterminer les modalités de réalisation, conférées par le haut niveau de for-
mation, ont également été confirmées. En particulier auprès des personnels
« experts » concertés par les directions. La levée des contraintes financières
ayant contribué pour sa part, à la prise en compte et la satisfaction rapide de
leurs demandes de moyens auprès des directions.
Le contrôle social a pu avoir lieu au travers d’une recherche de com-
paraison avec les recommandations issues des sociétés savantes et des
autres établissements.
Une difficulté persiste, en lien avec le niveau de formation du diplôme
infirmier, qui n’est pas adapté au travail en service de réanimation. D’où
un vécu plus difficile dans ce secteur, compensé en partie sur la première
vague, par la disponibilité de personnels d’un niveau de qualification supé-
rieur, issue de l’arrêt des activités des blocs opératoires.

La standardisation des pratiques


comme facteur d’adaptabilité
La standardisation des pratiques a également été confirmée comme un fac-
teur d’adaptabilité des personnels, en particulier pour l’harmonisation des
pratiques et la transférabilité des techniques, aidant aux transferts massifs
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des personnels ayant besoin de trouver des repères professionnels. Cette
standardisation, a été recherchée tout au long des épisodes de la crise. Aussi
bien pour fixer les parcours patients et les conditions matérielles d’accueil
que pour déterminer les modalités médicales de leur prise en charge. Elle a
dépassé le cadre institutionnel dans sa dimension médicale puisque la pro-
tocolisation des soins dédiés à la pathologie Covid s’est faite en concertation
avec les études et recommandations nationales. Notons que cette démarche
de standardisation, a été facilitée par une communication des informations
libérée du fait de la non concurrentialité économique et médicale de l’acti-
vité et du besoin de transférabilité des connaissances pour impliquer le plus
d’acteurs médicaux possibles.

Les leviers managériaux


favorisant l’adaptabilité
La prise en compte des trois besoins conditionnant l’engagement définis par
Weick, s’est confirmée pour chacun de ses éléments comme des facteurs
déterminants dont la satisfaction contribue à l’engagement du personnel
dans l’adaptation.
Le besoin de sécurité physique, conditionné en partie par la disponibilité
des équipements de protection et la révision des conditions matérielles

proyéctica / projectics / projectique – n° Hors-série 49


MARYLISE BOUSSER

d’accueil des patients, a été un élément clé conditionnant la présence et la


peur des personnels. De même, la cohésion au sens de la définition pro-
posée par Morin et Cherre en 1999, a été confirmée comme contributive à la
sécurité physique et psychologique et donc à l’engagement des personnels
dans leur volonté de s’adapter. En effet, les valeurs mises en avant par les
personnels interrogés et le sens donné à leurs métiers correspondaient en
grande partie à la demande des autorités et de leur direction. On notera, que
le nombre de fins de vies et les conditions de leur prise en charge ont été
un frein à l’engagement d’une partie du personnel, confirmant par là même
l’importance du besoin de cohérence dans l’engagement.
Le besoin d’avenir aussi a été un facteur significatif, non pas par la peur
de la pérennité des emplois, mais par la crainte de la dégradation des condi-
tions de travail en lien avec la charge de travail et la durée exceptionnelle de
la crise. Une autre dimension du besoin d’avenir a été décisive pour l’enga-
gement des personnels par son côté moteur, elle concerne la volonté d’agir
contre le virus pour une amélioration de l’avenir sanitaire et social général.
La reconnaissance au travail a également été identifiée comme un levier
de l’adaptabilité. Mais il existe un écart significatif entre son niveau perçu
comme mis en œuvre par la hiérarchie et celui ressenti par les personnels.
Pour sa part, la reconnaissance extérieure a été une aide, particulièrement
sur les deux premières vagues, mais le constat de son érosion au fil du
temps s’il n’a pas influé, selon les dires des interviewés, leur engagement a
été perçu comme agissant sur le moral général dans un contexte de fatigue
déjà présent.
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Le management de soutien contribuant aux besoins de sécurité, de
reconnaissance et d’avenir a également été confirmé comme un levier à
l’adaptabilité reconnu et apprécié des personnels. Le nombre des actions
engagées est représentatif de l’ampleur de la crise et des moyens engagés
caractérisant la levée des contraintes financières.
La communication est validée comme indispensable à l’adaptabilité.
Aussi bien dans la compréhension et la construction du sens de l’action que
dans le management de soutien, en particulier par l’écoute. Elle permet la
coordination de la stratégie pour communiquer les informations et les faire
remonter mais aussi l’expression de la reconnaissance et du soutien.

Facteurs émergeants
Un élément émergeant non pris en compte dans le cadre conceptuel de
l’étude et conditionnant l’engagement des personnels est l’attrait de la
nouveauté et l’intérêt intellectuel. L’étude montre qu’il a conditionné une
volonté de participation et de recherche de solutions en particulier dans le
domaine médical. On le retrouve également dans les travaux de Morin et
Forest, en 2007, sous la notion d’apprentissage et de développement citée
par les auteurs comme l’une des caractéristiques d’un travail qui a du sens.
Un second facteur clé émergeant de l’adaptabilité, mis en évidence par
cette étude est l’intelligence collective qui contribue à l’adaptabilité des

50 projectique / projectics / proyéctica – n° Hors-série


LES FACTEURS D'ADAPTABILITÉ DES PERSONNEL S DE SANTÉ...

équipes par des échanges et une mise en commun des savoirs vers un
objectif commun.
La troisième caractéristique non prévue concerne l’esprit ou le travail en
équipe, il a participé à l’intelligence collective et fait partie des valeurs fon-
damentales des personnels soignants ce qui en fait un élément significatif
de la cohérence nécessaire au travail, mais aussi du soutien ressenti par les
personnels.
Le temps a également été défini comme un facteur clé de l’adaptabilité.
Par son manque pour s’adapter et se préparer aux évolutions, mais égale-
ment par sa notion de durée contributive à la perte de l’intérêt citée précé-
demment, mais aussi à la lassitude et la fatigue des personnes engagées.

PRÉCONISATIONS
L’adaptabilité a été conditionnée à la disponibilité des personnels en particu-
lier parce que les services Covid étaient consommateurs de personnels, par
le temps dédié à l’équipement des professionnels, mais aussi du fait de la
lourdeur des soins et en raison du besoin de répit des personnels engagés.
La déprogrammation a été essentielle à la capacité de trouver rapidement
des effectifs disponibles. Cette mesure sera à reconduire en cas de surve-
nue ultérieure d’une crise de cette ampleur, mais comme nous l’a enseigné
la pandémie que nous vivons, la durée des crises peut être variable et son
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étendue également, pour faciliter le dimensionnement des équipes dédiées
et la continuité des activités, il convient de ne pas laisser le contexte de
pénurie perdurer. Il contribue à l’épuisement des ressources et aux diffi-
cultés à apporter des réponses médicales à l’ensemble de la population.
L’épuisement des personnels vécu sur la troisième vague est significatif dans
ce domaine en particulier au sein de l’équipe de réanimation. Des politiques
d’attractivité sont donc à envisager au niveau national et institutionnel.
Le niveau de qualification, la présence de personnels experts, les
démarches de formation et de participation à la recherche médicale, carac-
térisant l’hôpital ont montré leur importance pour disposer de personnels
autonomes, réactifs et capables d’auto-détermination dans leurs conditions
de travail. Elles sont également déterminantes pour fonctionner en réseau
avec des interlocuteurs et référents extérieurs à l’institution et à l’impli-
cation dans des protocoles de recherche, mais aussi à la transmission en
interne de connaissances. Toutes ces caractéristiques sont des éléments
contributifs à l’adaptabilité collective. Il est donc souhaitable de maintenir
cette dynamique de formation et de recherche, mais aussi de recrutement
de personnels experts.
La problématique de l’inadéquation du niveau de formation, lié au diplôme
d’infirmier, avec le niveau attendu en service de réanimation, devrait faire
l’objet d’une réflexion des instances nationales, au niveau institutionnel, une

proyéctica / projectics / projectique – n° Hors-série 51


MARYLISE BOUSSER

réflexion est également à mener pour disposer de plus de personnes ayant


la qualification nécessaire à ce secteur d’activité.
L’intelligence collective ayant fait preuve d’une efficacité significative.
Elle est à encourager au quotidien par des démarches transversales de
concertation et d’échange de savoirs comme des groupes de travail sur des
thématiques particulières, ou des lieux de travail regroupant plusieurs dis-
ciplines. Dans un même esprit, l’enrichissement des parcours profession-
nels par la diversité des expériences professionnelles est à favoriser pour.
Il faudrait trouver un équilibre entre les profils très spécialisés centrés sur
une seule spécialité et d’autres moins spécialisés mais plus diversifiés, ainsi
le niveau collectif des connaissances et compétences serait varié et spécia-
lisé. Bien sûr, l’adhésion des personnes dans leurs souhaits de formation
et d’évolution est à prendre en considération au travers de la réalisation
des entretiens professionnels, mais l’encouragement et la facilitation de
l’accès à la formation et aux changements de services reste à la charge des
directions.
La standardisation des pratiques et des outils de travail est également
une donnée importante pour la transférabilité des savoirs et des person-
nels, il convient d’harmoniser le plus possible, sur des délais réduits, les
pratiques et outils institutionnels. En particulier, l’informatisation des outils
dont la non-harmonisation a montré son caractère bloquant à l’adaptabilité
des personnes.
L’ensemble des leviers managériaux cités dans le cadre théorique a
montré son efficacité, toutes les actions menées l’ont principalement été en
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proximité de terrain et en grande partie portées par les cadres, il convient
donc de tenir compte de l’importance de leur présence sur le terrain dans
l’attribution de leur périmètre de travail et la réalisation de leur fiche de
poste.
Nous pouvons donc conclure que nos deux hypothèses de départ sont
vérifiées. Le niveau de qualification des personnels de santé et leurs pra-
tiques standardisées sont des facteurs clés de leur adaptabilité. Cependant,
leur volonté d’engagement dans cette voie dépend des éléments contextuels
et de la mise en œuvre d’un management permettant de donner du sens au
changement. Dans ce domaine, les besoins de sécurité, d’avenir et de recon-
naissance mais aussi d’intérêt ou d’apprentissage des personnels doivent
être pris en compte. De plus une communication adéquate et des effectifs
suffisants en nombre sont des conditions de réussite. L’esprit d’équipe et
l’intelligence collective sont les facteurs émergents mis en évidence par
cette étude comme déterminant à l’adaptabilité des professionnels de santé.

LIMITES DE L’ENQUÊTE
La principale limite de l’étude, est la réalisation de l’enquête de terrain
dans un seul établissement, de statut privé à but non lucratif, avec un

52 projectique / projectics / proyéctica – n° Hors-série


LES FACTEURS D'ADAPTABILITÉ DES PERSONNEL S DE SANTÉ...

positionnement fort de la direction face à la communauté médicale, ne per-


mettant pas la généralisation des résultats.
La seconde et la spécificité du contexte pandémique, les conditions
exceptionnelles qui y sont liées ne permettent pas de préjuger de la repro-
ductivité des résultats dans un autre contexte.
Des études variant les statuts des terrains d’enquête et les contextes
pourront être envisagées.

CONCLUSION
Le sujet de cette étude a émergé pendant les deux premières vagues de
l’épidémie, face au constat d’une adaptation hors norme et sans résistance
des personnels de santé, avec des délais de préparation quasi-inexistants.
Cette étude, se veut une contribution à la compréhension du vécu de la
crise sanitaire, pour améliorer la gestion managériale hospitalière, par
une meilleure connaissance des facteurs d’adaptabilité des personnels de
santé. Très vite, au travers des lectures effectuées, nous avons constaté
que si certains de ces facteurs appartenaient au personnel, d’autres leviers
de l’adaptabilité concernaient le contexte, l’organisation et les modalités
de management des personnels. Ces leviers contextuels et managériaux
influençant la volonté et l’engagement des agents. L’étude de terrain a eu
lieu en sortie de troisième pic épidémique dans un contexte de déprogram-
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mation moins intensive, mais un vécu de lassitude qui a modifié le contexte,
ce qui nous a permis d’évoquer les évolutions au travers les trois premiers
épisodes sanitaires.
Ce travail nous a permis de confirmer que le niveau de qualification est
un facteur d’adaptabilité des personnels de santé en particulier par la stan-
dardisation des qualifications et la présence de personnels experts dans les
effectifs. De même, la standardisation des pratiques est un facteur déter-
minant de l’adaptabilité. Dans le contexte d’incertitudes lié à la pandémie,
elle a été recherchée par les personnels. Le fonctionnement en équipe des
personnels de santé s’est révélé comme un troisième facteur clé de leur
adaptabilité.
Concernant les facteurs contextuels et managériaux, l’étude a permis
de confirmer l’utilité des leviers managériaux que sont la communication et
le management de soutien. Mais elle permet d’y rajouter la mise en œuvre
d’une dynamique permettant l’intelligence collective, comme levier mana-
gérial émergeant.
Le management par le sens, en veillant à satisfaire les besoins déter-
minant l’engagement de la théorie de Weick est également confirmé, mais
le modèle de Weick est enrichi par l’inclusion de la cohérence au besoin de
sécurité et par la mise en évidence d’un besoin supplémentaire pouvant être
défini comme le besoin d’apprentissage ou d’intérêt.

proyéctica / projectics / projectique – n° Hors-série 53


MARYLISE BOUSSER

La résilience hospitalière, qui a permis de faire face à la crise sanitaire,


a été citée par de nombreux auteurs. Au cœur de cette résilience, le mana-
gement par le sens a fait preuve de son efficacité. Cependant, si le patient et
la santé publique sans contraintes financières ont fait l’objet de création de
sens, le retour à la normalité sera un nouveau défi pour conserver du sens
ou tout simplement retrouver le sens d’avant la crise.

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Marylise Bousser est cadre infirmier à Uneos, établissement hospitalier à


but non lucratif, en service de Médecine interne et Néphrologie. Elle a égale-
ment exercé cette fonction en service de Rhumatologie, consultation d’anes-
thésie et en secteur Covid. Titulaire du diplôme d’état en soins infirmiers, elle
suit actuellement un master 2 en management des organisations sanitaires
et sociales au sein de l’IAE de Metz.
boussermarylise@ ​yahoo​.fr

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