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La contribution managériale à la résilience

organisationnelle en période de crise sanitaire


Barbara Adam
Dans Projectics / Proyéctica / Projectique 2022/HS (Hors Série), pages 11 à 32
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 2031-9703
ISBN 9782807399501
DOI 10.3917/proj.hs03.0011
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 06/11/2023 sur www.cairn.info (IP: 102.156.101.7)

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LA CONTRIBUTION
MANAGÉRIALE À LA RÉSILIENCE
ORGANISATIONNELLE EN
PÉRIODE DE CRISE SANITAIRE

Barbara Adam
Cadre supérieure de santé, Hôpital Clinique Claude Bernard

RÉ SUMÉ
Nos établissements hospitaliers évoluent dans un monde de plus en plus com-
plexe et certaines situations inédites comme la crise covid-19 viennent profondé-
ment bouleverser nos organisations. Notre étude a pour objectif de comprendre
comment celles-ci s’adaptent à l’actuelle situation sanitaire et de quelle façon les
managers favorisent le processus de résilience organisationnelle. Ces derniers
ont la responsabilité de donner du sens aux réorganisations afin d’assurer une
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cohérence de fonctionnement ainsi qu’une prise en charge la plus optimale pos-
sible des patients. La construction de sens est possible grâce à la clarté et à la
maîtrise des informations transmises. Ainsi, l’accompagnement managérial par
la communication et la présence sur le terrain jouent un rôle clé dans la mobi-
lisation des équipes et dans le développement des capacités de résilience. Et
celles-ci, lorsqu’elles se manifestent, permettent aux établissements d’absorber
les changements.

Mots clés : Résilience organisationnelle, accompagnement managérial,


communication, construction de sens, confiance, présence

A B S T R AC T
The managerial contribution to organizational resilience in times of health crisis

Our health care facilities are evolving in an increasingly complex world, and certain
unprecedented situations such as the COVID-19 crisis are profoundly disrupting
our organizations. Our study aims to understand how medical institutions adapt
to the current health situation and how managers promote the process of orga-
nizational resilience. The latter are responsible for giving meaning to reorganiza-
tions in order to ensure consistency of operation, as well as the most optimal care

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possible for patients. The building of meaning is rendered possible thanks to the
clarity and control of the information conveyed. Thus, managerial support through
clear communication and presence in the field play a key role in the mobilization of
teams and the development of resilience capacities. As such, when they occur, they
allow institutions to absorb change.

Keywords: Organizational resilience, managerial support,


communication, building of meaning, confidence, presence

INTRODUCTION
Les situations de crise ne sont pas un fait nouveau dans nos établissements
de santé. Nous sommes confrontés depuis les dernières décennies à de
nombreuses menaces sanitaires. Le dernier évènement en date est une
crise sanitaire à échelle planétaire appelée la covid-19. Celle-ci émerge en
janvier 2020 avec la confirmation des premiers cas de covid-19 ainsi que
l’activation du centre de crise sanitaire dans le même temps. La dynamique
épidémique s’accélère durant le mois de mars et le nombre de malades hos-
pitalisés atteint son maximum au milieu du mois d’avril. Sont alors activés
le plan Orsan (Organisation de la réponse du système de santé en situation
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de crises sanitaires exceptionnelles) et le plan blanc maximal, prévoyant
une réorganisation des services de soins. On parle alors de première vague
de coronavirus conduisant les établissements de santé à augmenter leurs
capacités d’accueil et à déprogrammer les soins non essentiels et les opé-
rations non urgentes. Ces réorganisations permettent de doubler en mars
2020 le nombre de lits de réanimation et de convertir des secteurs de soins
en services de cohorting. Ces augmentations de capacitaire en lits intensi-
fient la charge de travail des équipes soignantes qui font face, dans le même
temps, à des tensions en approvisionnement d’équipements complexifiant
davantage encore la situation de crise. Tous ces bouleversements mettent
durablement à l’épreuve la capacité de résilience des organisations hos-
pitalières car cette crise « réunit l’urgence et la déstabilisation. Elle combine
déferlement de difficultés, dérèglements dans le fonctionnement des organisa-
tions, divergences dans les choix fondamentaux » (Van der Linde, 2018). Elle
impacte les structures sanitaires depuis maintenant plus d’un an, avec une
accalmie pendant la période estivale puis une nouvelle recrudescence de
l’épidémie en septembre 2020 pour atteindre à la mi-novembre un nombre
de personnes hospitalisées supérieur au pic de la mi-avril. Il s’agit de la
deuxième vague épidémique. Début 2021, l’irruption des variants entraine
une troisième vague et une nouvelle saturation des réanimations. En juillet
2021, après une période d’embellie de quelques semaines, la propagation du
variant Delta fait craindre une quatrième vague de l’épidémie. L’ensemble
des restructurations induites par chacune des vagues nécessite beaucoup

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de réactivité et d’adaptabilité de la part des équipes médicales et para


médicales mais également des dirigeants et managers qui sont contraints
d’ajuster l’organisation de la production de soins à cette situation sanitaire
hors normes. Ces ajustements bouleversent les routines habituelles et
développent une crainte légitime des acteurs de soin.
La présente recherche est donc née de l’intérêt de comprendre les
mécanismes qui influencent un établissement de santé à pouvoir s’adapter
à des situations inédites mais aussi et surtout les postures managériales
adoptées par l’encadrement pour favoriser la résilience de leur organisa-
tion. Comment les managers peuvent-ils apporter du soutien à leurs col-
laborateurs face à un environnement incertain ? Car manager des équipes
dans la complexité et la contingence en pleine crise sanitaire est bien loin du
style de gestion adopté habituellement.
Ainsi, ce travail de recherche vise à répondre à l’interrogation suivante :
En quoi l’accompagnement managérial des équipes soignantes peut-il
contribuer à rendre résiliente l’organisation hospitalière en période de
crise sanitaire ?
La revue de la littérature nous a permis de mobiliser le concept de
résilience organisationnelle et de nous orienter vers plusieurs hypothèses
de recherche. Ainsi, dans un premier temps, nous présenterons le cadre
théorique pour éclairer notre réflexion. Puis nous exposerons les choix
méthodologiques qui ont guidé la démarche. Enfin, nous présenterons les
résultats de cette recherche ainsi que des préconisations offrant de nou-
velles perspectives à ce travail.
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APPROCHE THÉORIQUE
La résilience organisationnelle
Les organisations hospitalières, déjà confrontées depuis plusieurs décennies
à des enjeux et des défis majeurs en lien avec la succession de nombreuses
réformes, affrontent aujourd’hui et depuis plus d’un an, une crise sanitaire
sans précédent. Cette pandémie les fait évoluer dans un environnement
instable et les contraint à adapter quotidiennement leurs modèles organisa-
tionnels pour concilier la continuité des soins inhérente à leur activité et la
prise en charge des patients covid.
Les changements organisationnels induits par les contraintes environ-
nementales ont été relevés en premier par les théoriciens de la contingence
dans les années 1960, et notamment pour les plus connus par Tom Burns et
George Stalker. Ces derniers ont démontré la variabilité organisationnelle
selon la nature plus ou moins stable de leur environnement. Dans leurs tra-
vaux, ils évoquent les organisations « mécanistes » se développant dans des
environnements stables et les organisations de type « organique » se déve-
loppant dans des environnements instables et incertains. Les premières

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sont caractérisées par une formalisation des tâches et une centralisation


des décisions par une hiérarchie clairement identifiée alors que les deu-
xièmes sont au contraire organisées autour du partage des responsabilités
pour favoriser la flexibilité et les capacités d’adaptation. Mais, selon eux, les
organisations ne sont ni totalement mécanistes, ni totalement organiques et
aucune forme d’organisation n’est supérieure à une autre. (Aïm, 2012)
Pour autant, face à une période de turbulence comme la crise covid, les
organisations, quelles qu’elles soient, même celles dites mécanistes comme
les organisations hospitalières, doivent être capables de bien s’ajuster et de
développer des capacités de résilience pour absorber les changements. « La
résilience est une qualité fondamentale des individus, des groupes, des orga-
nisations et des systèmes à répondre efficacement à des changements d’une
ampleur dépassant les niveaux habituels sans pour autant s’engager dans une
longue période de comportement traumatique ». (Lebraty, Lancini, 2009).
Le terme de résilience est utilisé dans de nombreuses disciplines et
l’intérêt porté à ce concept, notamment en période de crise, se démontre
par les nombreuses recherches autour de cette thématique. Ainsi, ce terme
peut avoir des connotations très variées selon le champ de recherche dans
lequel il est utilisé. À l’origine, la résilience est un terme de physique et,
est résilient, le matériau inerte qui conserve sa propriété après avoir subi
un choc. En psychologie, la résilience a été largement étudiée par Boris
Cyrulnik qui la définit comme étant « la capacité à réussir à vivre et à se déve-
lopper de manière acceptable en dépit du stress ou d’une adversité qui comporte
normalement le risque grave d’une issue négative » (Koninckx, Teneau, 2010).
La résilience s’est ensuite étendue dans les champs économique, social et
écologique et son analyse ne concerne pas seulement l’individu mais peut
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être transposée à un groupe voire à une organisation.
Les théoriciens des Organisations à Haute Fiabilité sont les premiers
à avoir évoqué le concept de résilience organisationnelle. Le terme High-
Reliability Organizations (HRO) est apparu dans les années 1980 et le principal
chercheur de ce courant théorique est Karlène Roberts. Les HRO sont carac-
térisées par leur complexité et leur exposition aux risques, à l’incertitude et
l’aléatoire (Bedin, 2016). Les organisations hospitalières, par l’élaboration
de procédures, de chemins cliniques, de modes opératoires, de check-list ou
encore d’exercices de simulations pour résister aux imprévus, sont considé-
rées comme hautement fiables. Karl Weick et Kathleen Sutcliffe résument
les caractéristiques des HRO en un seul mot, celui de « mindfullness » ou
pleine conscience, dans le sens où elles développent la culture de la sécurité
et de la vigilance collective. Et toujours selon Karl Weick, les HRO existent
grâce à l’intelligence collective car pour faire face à un environnement agité
voire à des crises, les organisations ont besoin d’approches innovantes
activées par la flexibilité de ses membres et leur capacité à s’adapter. Le
concept de résilience appliqué aux organisations s’intéresse donc à la capa-
cité d’un groupe à créer de la synergie, de la transversalité et à collaborer
intensivement (Koninckx, Teneau, 2010). S’adapter vite et efficacement à son
environnement est non seulement une question de réactivité mais égale-
ment de proactivité. La résilience organisationnelle semble donc être pour
ces auteurs une nécessité fondamentale dans un contexte de crise et elle

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est possible lorsque certaines étapes sont prises en compte pour s’engager
dans des processus adaptés. La première étape consiste à considérer le
risque et à faire preuve de réalisme ; la deuxième étape consiste à donner du
sens aux évènements rencontrés pour comprendre les perturbations qu’ils
génèrent ; la troisième étape consiste à définir les mécanismes adaptés à
l’anticipation des risques et enfin, la quatrième étape consiste à s’organiser
en trouvant des solutions inventives tout en s’ajustant aux risques (De Bovis,
2009).

La construction de sens ou sense making


En mars 2020, la première vague de la covid-19 a entrainé une forte réac-
tivité de l’ensemble des professionnels de santé et a exigé des structures
qu’elles se réinventent. L’un des principaux moteurs de la restructuration
des organisations a été un objectif commun : la prise en charge des patients,
avec, pour chacun des professionnels, une exacerbation du sens de sa fonc-
tion et de ses missions (Nobre, 2020). Les organisations hospitalières ont
donc été interpellées sur leur finalité, leurs missions et leurs valeurs, et
les individus sur leur vie professionnelle et personnelle (Koninckx, Teneau,
2009). Donner du sens aux évènements ou encore à ses fonctions rappelle
la culture du sens développée par les HRO et largement traitée par Karl
Weick. Pour lui, la construction de sens, traduction du terme anglo-saxon
« sensemaking », relève de l’interaction entre les membres d’une organi-
sation et de leur capacité à créer des liens. Dans son ouvrage Sensemaking
in Organizations rédigé en 1995, il évoque le fait que les individus pensent
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différemment lorsqu’ils sont choqués par une situation nouvelle et problé-
matique venant interrompre leur routine quotidienne. Son analyse du pro-
cessus de construction de sens est donc plus particulièrement orientée vers
les situations de crise, qui selon lui, sont favorables à la coordination inter-
individuelle (Giordano, 2006). L’élaboration collective du sens ou « collective
sensemaking » permet aux individus de parvenir à un consensus sur les
actions prioritaires à entreprendre pour pallier collectivement l’équivocité
perçue d’une situation. « Les évènements nouveaux, extrêmes, surprenants,
en rupture ou en décalage avec les habitudes et attentes des individus sont plus
susceptibles d’attirer leur attention, de signaler que leur environnement est en
train de changer et que leurs cadres de compréhension habituels ne suffisent
pas ou ne peuvent pas s’appliquer automatiquement » (Vidaillet, 2003). Le
processus de « sensemaking » favorise l’engagement dans l’action, dans
l’apprentissage et dans l’acquisition de compétences. Karl Weick intitule
ce mouvement de construction « l’organizing ». La qualité et l’intensité de
« l’organizing » participent à bâtir la résilience d’une entreprise (Autissier,
Vandangeon-Derumez, Vaz, Johnson, 2018). Ce processus se décline en trois
grandes phases : « l’enactement » et son interaction avec l’environnement,
la « selection » et la « retention » (Mouhli, 2018). La première phase d’« enac-
tement » consiste pour l’individu, confronté à un changement équivoque, à
tenter de percevoir et de donner du sens au contexte à travers ses interpré-
tations qu’il compare à celles du collectif. Ce sens vient de l’interaction entre
les individus et de leur capacité à générer une compréhension commune des

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évènements à travers l’action. La deuxième phase de « selection », consiste


pour l’individu à mettre de l’ordre parmi toutes les interprétations possibles
et à choisir celles légitimant au mieux les actions à privilégier. Cette « selec-
tion » résulte du vécu et des expériences passées de l’individu et lui permet
de considérer comme plausibles les éléments retenus. La troisième phase
de « retention » consiste à mémoriser les solutions efficaces afin d’enrichir
les connaissances et compétences de l’individu et de les utiliser pour des
actions futures (Mouhli, 2018).
Toujours selon Karl Weick, il existe quatre facteurs de résilience : «1)
l’improvisation et le bricolage ; 2) les systèmes de rôles virtuels ; 3) la sagesse
comme attitude ; et 4) l’interaction respectueuse. ». Le premier facteur de
résilience suggère que, sous la pression, les individus sont créatifs et inno-
vants. Le second facteur fait référence à la capacité d’adaptation et de com-
préhension permettant aux individus de changer de rôle en fonction de la
spécificité de leur environnement. Le troisième facteur correspond aux apti-
tudes d’appréciation et de communication des individus. Enfin, le quatrième
facteur de résilience se traduit par l’importance de la confiance, du respect
mutuel et de la loyauté entre les membres de l’organisation favorables à
l’émergence de solutions adaptées (Kammoun, Boutiba, 2015). Karl Weick
caractérise ainsi les groupes résilients comme capables d’improvisation, de
sagesse et de partage de l’information pour pouvoir prendre les décisions
qui s’imposent (De Bovis, 2009).
Ses travaux que nous avons souhaité mettre en avant dans ces concepts
théoriques de résilience organisationnelle et de « sensemaking », nous ont
permis de comprendre l’intérêt de la construction de sens par les membres
d’une organisation faisant face à une situation complexe et inhabituelle. Si
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les facteurs de résilience précédemment évoqués contribuent à la mise en
œuvre d’actions collectives dans l’organisation, nous pouvons nous inter-
roger sur la contribution du manager à cette résilience lorsque les routines
sont bouleversées.

Manager le sens par la communication


Comme déjà évoqué, les profonds changements induits par la crise sani-
taire voire les transformations radicales pour certains secteurs de soins,
ont impacté de façon importante l’ensemble des acteurs des organisations
hospitalières. Ils interrogent les références, les connaissances communes
et les pratiques managériales.
Selon Karl Weick, ces changements appellent des actes de leadership
parce qu’ils remettent en question la nature des activités, des missions, des
responsabilités et de l’autorité au sein de l’organisation. Les dirigeants et
les managers ont la responsabilité de donner du sens à ses réorganisations
souvent brutales afin de réunir les meilleures conditions pour assurer une
cohérence de fonctionnement ainsi qu’une prise en charge la plus optimale
possible des patients. Karl Weick les nomme des « sense-giver », person-
nages clés pour lever l’état de confusion en veillant à donner les moyens à
leurs collaborateurs de développer l’interprétation qu’ils font de la situation

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(Mouhli K. 2018). Les priorités ne résident plus dans la recherche de la per-


formance et de la rentabilité mais dans l’accompagnement des décisions
prises au sein des établissements, des recommandations des autorités
sanitaires ou encore des sociétés savantes. Cet accompagnement implique
pour les managers la capacité à partager avec leurs équipes la dimension
du « pourquoi » en plus des angles du « quoi » et du « comment » au moyen
de la communication la plus simple et transparente possible. Les compé-
tences ainsi déployées sont également liées à la compréhension des enjeux
globaux qui peuvent dépasser le cadre strict des missions des acteurs de
terrain. La construction du sens est possible grâce à la clarté, à la maîtrise
et à l’homogénéité des informations transmises.
Cette communication joue donc un rôle clé dans la mobilisation des
équipes et les managers sont ceux qui assurent le lien entre les décisions
prises institutionnellement et leur mise en place dans toute l’organisation.
En situation de crise, ces prises de décision s’appuient sur cinq principes
d’action (Van Der Linde, 2018) dont le premier consiste à changer d’approche,
de paires de lunettes pour se libérer des habitus. En effet, les modèles de
gestion donnant satisfaction dans une situation stable sont probablement
moins performants dans un contexte nouveau et prendre du recul pour voir
l’évènement sanitaire d’un autre point de vue permet d’asseoir un raison-
nement adapté et un management approprié. Les quatre autres principes
sont le partage de l’information, la promotion de l’intelligence collective, le
changement des paradigmes managériaux et enfin la communication effi-
cace. Bien que la communication soit essentielle en situation normale, elle
devient indispensable en situation de crise.
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La communication a toujours occupé une place très importante dans
toutes les cultures et civilisations. Mais ce concept est excessivement déva-
lorisé (Wolton, 2018). Selon cet auteur, l’information, dominée par l’économie
et la puissance des Gafa, est d’autant plus valorisée que la communication
est dévalorisée. Le message délivré est préféré à la relation, au rapport à
l’autre. La masse d’informations et leur vitesse de circulation, notamment
par une communication technique, peut accentuer le risque d’incommuni-
cation que l’on pourrait traduire par risque d’incompréhension. On n’a pas
toujours le même vocabulaire, les mêmes interprétations, le même discer-
nement ou encore les mêmes sentiments. Pour réussir à donner du sens
aux informations transmises, il faut retrouver la communication humaine
et les rapports humains. Ce constat s’approche du processus interactionnel
de « l’organizing » weickien. Dans The Social Psychology of Organizing (1979),
Karl Weick n’évoque pas spécifiquement la communication, mais aborde le
« double interact » comme notion de communication fondant « l’organizing »
(Giordano, 2006). Ainsi, il n’y a d’organisation que d’« individus en interac-
tion qui tentent ensemble, au moyen d’un processus « organisant » de réduire
l’équivoque présente dans leur relation à l’environnement […]. Le processus
« organisant » est un processus de création de signification, d’élaboration de
la connaissance se réalisant par et dans la communication » (Giroux, 1997,
cité par Giordano, 2006). Karl Weick préconise le face-à-face et conseille
de prêter attention aux conversations qui construisent, reconstruisent et
structurent l’organisation. « Il s’agit d’instaurer un dialogue dont l’organisation

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doit être soigneusement orchestrée tout en allouant constamment de l’attention


aux actions des individus et ce, indépendamment des relations hiérarchiques »
(Giordano, 2006). En invitant ses collaborateurs au dialogue, le manager
recherche les points de vue contraires car en gestion de crise, personne
ne maîtrise tout parfaitement et prétendre le contraire dans le but de sécu-
riser son management pourrait compromettre sa crédibilité. Il se doit donc
de favoriser l’échange en étant à l’écoute pour gagner leur confiance mais
aussi pour porter leur voix.
Bref une communication prenant soin de la relation et modifiant la
nature du lien managérial qui devient plus horizontal. Un management plus
collaboratif permet des échanges plus ouverts, favorables à l’élaboration
de solutions créatives. Cette capacité de créativité repose sur plusieurs
conditions : les décisions ne devraient pas être prédéfinies et imposées aux
équipes, les discussions vouées à identifier un plan d’actions devraient être
ouvertes à tous, chaque individu devrait pouvoir apporter sa contribution aux
débats pour enrichir la réflexion commune et enfin, les échanges devraient
être bienveillants pour que chaque individu puisse exposer son point de vue
et ses idées sans se sentir jugé. Même si l’application de ces conditions ne
garantit pas de trouver des solutions à la crise, elle permet de rassurer les
individus en instaurant un climat de confiance et de favoriser leur engage-
ment dans une coordination collective (Karsenty, 2015). L’important est donc
de donner du sens plutôt que de donner des directives, et d’adopter une nouvelle
forme de management en remplaçant les relations de pouvoirs par des valeurs
de confiance, de respect et de reconnaissance. Ces valeurs permettent d’insuf-
fler une dynamique permettant aux professionnels de travailler ensemble
dans des situations inconnues et de s’engager envers l’organisation.
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Ainsi, à travers ce cadre théorique plusieurs hypothèses peuvent être
formulées. En situation de crise :

« La résilience de l’organisation repose sur l’activité de construction


de sens »
« La création de sens se réalise par une communication managériale
claire et transparente »
« La communication entretient la confiance entre le manager et ses
équipes »

MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE
La posture de recherche
Exerçant des fonctions de manager au sein d’une structure impactée par la
crise sanitaire et souhaitant être le plus neutre possible sur notre sujet de
recherche, nous avons fait le choix d’investiguer dans des établissements
avec lesquels nous n’avions aucun lien direct. Notre enquête a pour ambition

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de comprendre les perceptions de la réalité des professionnels interviewés.


Nous avons interagi de façon empathique avec eux afin de recueillir des don-
nées sur le champ que nous souhaitions étudier. Chacun d’entre eux a vécu
différemment la situation de crise, ce qui nous a permis de construire notre
interprétation des processus de résilience tels qu’ils se les sont représentés.
Les connaissances obtenues l’ont été par cette interprétation des entretiens
réalisés et à l’aide des données empiriques préconçues par notre revue de
littérature. Ainsi, notre posture épistémologique de chercheur relève plutôt
du paradigme interprétativiste.

La démarche méthodologique
Dans le cadre de notre recherche, la principale méthodologie retenue a été
l’étude de cas qualitative, l’objectif étant d’obtenir des explications signifi-
catives sur le processus de résilience organisationnelle en collectant des
données auprès de structures sanitaires impactées par la crise et de com-
prendre en profondeur la thématique étudiée. Si la recherche qualitative
englobe toutes formes de recherche sur le terrain, nous avons retenu la
technique de l’entretien semi-directif comme mode de collecte principal des
données. Celle-ci vise à interroger les participants en face-à-face à l’aide
d’un guide d’entretien comprenant des questions ouvertes regroupées par
thématiques centrales issues du cadre théorique. Les informations, en
général riches et détaillées, ainsi récoltées, permettent de corroborer ou de
compléter la théorie préalablement exposée.
En complément des entretiens semi-directifs, nous avons également
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eu recours à une enquête sous la forme d’une échelle d’attitude afin de
connaître l’opinion des répondants en mesurant l’intensité de leur appro-
bation à plusieurs affirmations en lien avec nos thèmes. La variante choisie
a été l’échelle de Likert, de la catégorie des échelles ordinales et du nom
du psychologue américain Rensis Likert, renommé pour ses apports dans
les comportements humains au sein des organisations. Nous l’avons conçue
avec 5 échelons, soit un nombre impair, pour permettre à la personne inter-
rogée d’indiquer son degré d’accord ou de désaccord en lui laissant la pos-
sibilité de ne pas se positionner.
L’association des entretiens semi-directifs et de l’enquête d’affirmations
a permis de multiplier les sources de données et de réaliser ainsi une trian-
gulation des méthodes pour augmenter la fiabilité et la validité de l’étude.

La collecte des données


Pour mener à bien notre recherche, nous avons entrepris de mener nos
entretiens et notre enquête dans différents établissements hospitaliers à
caractère public ou privé, en France et à l’étranger. Cette orientation inter-
nationale nous a paru pertinente dans la mesure où cette pandémie affecte
indifféremment chaque pays et où aucune population n’est épargnée. Nous
avons par ailleurs pu observer une grande solidarité européenne lors de

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transferts transfrontaliers de patients hospitalisés en réanimation. Ces éva-


cuations sanitaires de la région Grand Est vers l’Allemagne, le Luxembourg
ou encore la Suisse ont permis, notamment lors de la première vague, de
désengorger les services de réanimation saturés.
Pour gagner une compréhension riche de la thématique de recherche,
nous avons interviewé des dirigeants et des managers au sein de chaque
structure et réalisé notre enquête d’affirmations auprès de leur personnel
soignant. Les entretiens se sont déroulés sur une période de cinq semaines,
soit du 5 mai au 7 juin 2021. Au total, neuf entretiens pour onze interviewés ont
été réalisés en présentiel auprès de trois directeurs des soins, trois cadres
de pôle, quatre cadres de santé et un biologiste. Les entretiens ont été enre-
gistrés numériquement après avoir obtenu l’accord des interviewés et après
leur avoir garanti l’anonymat des données. Ils ont ensuite été retranscrits
dans leur intégralité afin de permettre l’analyse de leur contenu. Lors des
entretiens, les questionnaires ont été remis à chaque interviewé afin qu’il les
diffuse auprès des équipes soignantes. Cet échantillonnage était raisonné
non probabiliste puisque les répondants ont été sélectionnés en fonction de
leurs caractéristiques et de l’objectif de l’étude. Nous avons récupéré un
total de quatre-vingt-sept questionnaires sur les cinq établissements.

La méthode d’analyse
La méthode d’analyse utilisée pour les entretiens est une méthode de codage
manuel de leur contenu avec une catégorisation par thématique. Les thèmes
ont ensuite été décomposés en sous-thèmes et en catégories illustrées par
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des verbatims, incluant également la fréquence des propos recueillis. Afin
de hiérarchiser cette catégorisation, nous avons créé un graphique en rayons
de soleil. Le cercle intérieur du graphique représente les quatre grandes
thématiques issues des entretiens, le cercle intermédiaire correspond aux
sous-thèmes et le cercle extérieur aux catégories. Cette représentation
graphique nous a permis de visualiser la proportion de chaque segment et
de faciliter notre analyse. L’exploitation des résultats des questionnaires à
destination des soignants a été réalisée grâce à une analyse graphique des
taux d’approbation pour chacune des affirmations.

ANALYSE
Résultats
Les impacts de la crise sanitaire
La première thématique mise en avant lors des entretiens concerne les
impacts de la crise sanitaire sur les organisations des établissements
concernés. Trois types de répercussions ont ainsi été évoqués lors des

20 projectique / projectics / proyéctica – n° Hors-série


L A CONTRIBUTION MANAGÉRIALE À L A RÉSILIENCE ORGANISATIONNELLE...

entretiens : les impacts organisationnels, les impacts au niveau des res-


sources humaines et les impacts financiers. Chacun des onze interviewés a
explicité les réorganisations en termes de fonctionnement, d’aménagement
architecturaux, de transformation et « d’upgradation » de ses unités de soins
pour répondre à l’afflux des patients covid. Chaque établissement, quels que
soient son origine, sa taille ou encore son statut a dû ajuster ses capacités
d’accueil, modifier ses flux logistiques et hiérarchiser voire interrompre ses
activités notamment lors de la première vague.

I2 : « Il y a une explosion du nombre de lits et donc du nombre d'unités. On


a transformé les 2 unités de soins continus en réanimation, on a trans-
formé le secteur de neurochirurgie et un local vide au niveau de l’imagerie
en soins continus. »

La crise sanitaire a également eu un impact sur les ressources humaines


avec un redéploiement des personnels soignants pour une prise en charge la
plus optimale possible des patients. Tous s’accordent à dire que la redistri-
bution des personnels a été facilitée par la baisse de l’activité programmée
lors de la première vague. Là encore, les onze interviewés sont unanimes en
exposant les situations de renfort entre les unités de soins, entre certains
établissements appartenant ou non à une même entité et les affectations de
ressources extérieures venues en appui des équipes tels que les étudiants,
les réservistes, les retraités.

I1 : « On a aussi utilisé les écoles, les instituts de formation, des retraités.


On a utilisé et redéployé la compétence IADE aussi sur les secteurs de
soins critiques. »
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Cette mobilisation massive n’a pour autant pas pu être pérennisée lors
des vagues suivantes puisqu’il a fallu concilier la prise en charge des patients
covid avec celle des patients non-covid admis dans le cadre d’une activité
programmée ou urgente. Ce besoin en effectifs soignants était surtout pré-
gnant pour les établissements déjà en difficulté et déficitaires en ressources
humaines. En effet, deux des interviewés nous ont fait part de la situation
de pénurie de professionnels paramédicaux dans leurs structures et plus
largement à l’échelle régionale, impactant très largement leurs activités.
La mutualisation des effectifs et les réaffectations des personnels sur
des secteurs d’activité très spécifiques comme les urgences et les réanima-
tions ont très vite posé la problématique des compétences professionnelles
nécessaires pour répondre aux besoins de prise en charge des patients. Huit
interviewés sur les onze, ont évoqué une gestion des ressources humaines
très complexe avec la difficulté de positionner des professionnels compé-
tents mais également volontaires dans les unités dédiées. Pour répondre à
cette problématique, des actions de formations accélérées ont été mises en
place dans trois des cinq établissements consultés.

I1 : « Et puis l’établissement a aussi fait le choix de former sur un timing


très serré de quelques jours de formation en e-learning des agents

proyéctica / projectics / projectique – n° Hors-série 21


BARBAR A ADAM

travaillant dans des secteurs lambda pour pouvoir travailler en soins


critiques. »

À l’affirmation « La crise sanitaire a contribué au développement de nouvelles


compétences » énoncée dans le questionnaire aux soignants, 69 % d’entre
eux ont répondu positivement. Les soignants dont l’opinion est en complet
désaccord avec cette affirmation sont issus des deux établissements n’ayant
pas proposé de temps de formation, ce qui laisse supposer que les établis-
sements ayant adapté leur offre de formation pour continuer à former les
professionnels, ont contribué à les préparer à prendre en charge ce type de
profil de malade.
Enfin, le dernier impact de la crise sanitaire recensé lors des entretiens
est un impact financier. Celui-ci n’a été évoqué que par un seul interviewé
issu d’un établissement privé à but lucratif. La limitation de l’activité médi-
cale et chirurgicale aux actes urgents et la diminution de l’afflux des patients
non-covid en lien avec le confinement et les restrictions de circulation ont
impacté économiquement et financièrement l’établissement.

I8 : « Mais, il y a eu des pertes à tous les niveaux, des pertes de patients,


des pertes financières, on est dans le privé, il y a des praticiens libéraux,
il ne faut pas se mentir, il faut de l’activité pour payer les soignants, la
structure… ».

La résilience organisationnelle
Les changements organisationnels induits par la crise sanitaire ont boule-
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versé tous les modes de travail. Pour autant, les cinq établissements inves-
tigués verbalisent des comportements résilients et une collaboration sous
la forme de solidarité et de partenariats. Selon les interviewés, les équipes
se sont ajustées très rapidement pour faire face à l’urgence. Directeurs,
managers, soignants et autres acteurs ont fait preuve d’adaptabilité en étant
capables d’adopter et d’accepter ces changements. Quatre des interviewés
évoquent également le terme de flexibilité pour désigner les nombreux
efforts réalisés par les équipes. Ils ont consenti à l’annulation de leurs
congés, effectué des heures supplémentaires, accepté des réaffectations
en dehors de leur spécialité, ils se sont approprié de nouvelles procédures
et certains ont développé de nouvelles compétences. Tous les interviewés
sont unanimes, cette crise a entraîné une mobilisation sans précédent. I9 :
« Oui quand je vois tous les schémas par lesquels nous sommes passés, tous les
flux qui ont été modifiés, une équipe qui s’est adaptée au quotidien, je pense qu’on
a fait preuve de résilience. »
La créativité des équipes a contribué à cette adaptabilité et à cette flexi-
bilité. Sept interviewés sur onze évoquent les initiatives venues du terrain.
Les managers ont laissé davantage d’autonomie aux soignants qui ont pu
participer aux processus de décision en proposant des solutions parfois
innovantes. Certaines de ces initiatives ont été validées par la hiérarchie
et les directives descendantes dites « top down », qui auraient pu dans ces
circonstances générer des réactions de résistance, ont, pour partie, fait

22 projectique / projectics / proyéctica – n° Hors-série


L A CONTRIBUTION MANAGÉRIALE À L A RÉSILIENCE ORGANISATIONNELLE...

place à une approche ascendante dite « bottom-up ». I8 : « je pense qu’une


bonne initiative est une initiative qui est dans la ligne directrice des décisions
prises. C’est-à-dire que là, en l’occurrence, on prenait des décisions en cellule
de crise et après on laissait une certaine autonomie ou une possibilité d’initiative
de mise en œuvre sur le terrain. ». Néanmoins, cette notion de créativité est
plus nuancée par les soignants qui ont une opinion très partagée pour l’affir-
mation « La crise sanitaire a renforcé votre créativité pour trouver des solutions
innovantes ». Ainsi, 32 % d’entre eux sont sans opinion et 11 % ont une opinion
négative. D’ailleurs, pour un des interviewés, le contexte de crise n’est pas
favorable à la prise d’initiative, celle-ci pouvant représenter une prise de
risque.
Un deuxième sous-thème émerge également dans cette thématique de
résilience organisationnelle, il s’agit de la collaboration. Celle-ci se traduit
par une forte solidarité entre professionnels. Deux interviewés utilisent l’ex-
pression « solidarité institutionnelle » pour évoquer la dynamique d’équipe
qui a renforcé le collectif et le travail en cohésion autour d’un objectif
commun : la gestion de la situation covid au sein de l’établissement.
I1 : « Je pense que ça a renforcé le collectif. Donc cet aspect crise sanitaire a
fait qu’ils ont œuvré dans le même objectif. Ça a augmenté le sens commun du
travail ». 63 % des soignants ont abondé dans ce sens en répondant positive-
ment à l’affirmation « La crise sanitaire a renforcé la collaboration et le respect
mutuel entre les différents professionnels ».
Cette collaboration s’est également déclinée par des partenariats entre
certains établissements d’un même territoire et plus largement entre les
régions et au-delà des frontières. Ce partenariat s’est traduit par des ren-
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forts en ressources humaines entre les structures, par des approvisionne-
ments en matériel et médicaments mais également par des transferts de
patients. Au niveau régional, il s’agissait également de temps d’échanges
réguliers et de partage d’informations entre établissements d’un même
territoire. Ainsi, un des interviewés mentionne l’efficacité des réunions de
groupement hospitalier de territoire (GHT) et le rôle de coordination de
l’établissement support dans le pilotage des capacités de prise en charge
de chaque structure, y compris des structures privées. Ces coopération et
coordination ont permis une meilleure lisibilité de l’évolution de la crise et
ont contribué à renforcer les liens entre établissements.

L’accompagnement managérial
L’analyse des entretiens permet d’avancer une troisième thématique, celle
de l’accompagnement managérial. Celle-ci se décompose en deux sous-
thèmes, la communication et la posture managériale. Tous les interviewés
se sont accordés à dire que la communication est un élément indispensable
en période de crise et que celle-ci est devenue une priorité au sein de leurs
organisations. Les deux principaux objectifs révélés par l’enquête sont la
diffusion de l’information et la création de sens. Il a été nécessaire d’infor-
mer en temps réel les professionnels sur la situation, son évolution et les
décisions impactant les pratiques et le fonctionnement des unités de soins.

proyéctica / projectics / projectique – n° Hors-série 23


BARBAR A ADAM

I7 : « Donner du sens est indispensable. Le bon sens dans ce que l’on fait
au quotidien, c’est indispensable. Que ce soit en période de crise ou non,
moi je ne considère pas travailler sans donner de sens à ce qu’on fait. »

Cette notion de sens est accompagnée de celle de transparence, évoquée


à de nombreuses reprises lors des interviews. Un management transpa-
rent permet aux collaborateurs de connaître l’orientation empruntée par la
direction, notamment lors des cellules de crise, de comprendre et de mieux
appréhender les dispositions prises.

I2 : « Cette communication en termes d'information c'est hyper impor-


tant… globalement je suis assez transparente pour que les équipes com-
prennent et finalement acceptent, adhèrent à des choses auxquelles on
aurait pu penser qu’on n'y arriverait jamais. »

Ainsi, l’affirmation « Une communication claire et transparente permet de


donner du sens aux évènements », reçoit une approbation forte de 97 % des
soignants. D’ailleurs, 92 % des soignants pensent que la communication joue
un rôle clé dans la mobilisation des équipes et 95 % d’entre eux estiment
qu’une bonne compréhension des évènements permet de s’adapter plus
facilement aux changements. Le sens, la transparence ont donc un impact
direct sur l’implication des professionnels. Les interviewés ont également
évoqué l’ensemble des dispositifs de communication utilisés auprès de
leurs équipes et ceux-ci sont nombreux et de formats très variés. D’ailleurs,
certains ont fait part de leur souhait de pérenniser les outils mis en place.
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I3 : « Je pense que ce n’est pas une seule forme de communication qui est
efficace, mais l’ensemble de toutes. Les formes de communication sont
toutes complémentaires. ».

Cette communication transparente invite à la confiance pour plus de la


moitié des interviewés.
Et créer un climat de confiance, c’est également être à l’écoute de
ses collaborateurs et leur manifester du respect. Les soignants ayant
répondu au questionnaire sont majoritairement en accord avec l’affirmation
« L’encadrement est à l’écoute de ses équipes et favorise un climat de confiance »
(74 %). La relation de confiance entre managers et collaborateurs semble
donc nécessaire pour construire collectivement du sens face à cette crise
sanitaire et amplifier l’engagement et le partenariat inter-organisationnel.
Cet engagement se traduit par une adhésion forte de 91 % des soignants à
l’affirmation « La confiance rend les professionnels solidaires dans leur enga-
gement quotidien ». La notion de réciprocité de la confiance interpersonnelle
est également abordée. Chacun a besoin de la confiance de l’autre et d’avoir
confiance en l’autre pour pouvoir s’investir dans les organisations mises en
place. Cette réciprocité réduit les incertitudes et augmente la coopération
au sein des équipes.

I2 : « Je me suis rapidement rendu compte qu’au travers de cette confiance


et cette honnêteté, on peut obtenir beaucoup d'une équipe vraiment, parce

24 projectique / projectics / proyéctica – n° Hors-série


L A CONTRIBUTION MANAGÉRIALE À L A RÉSILIENCE ORGANISATIONNELLE...

que oui il faut qu'il y ait de la communication dans les 2 sens, du respect
et de la confiance. »

Lors des entretiens, ont également été évoquées des notions de valeurs
et de management en cohérence avec ces valeurs. Celles citées à plusieurs
reprises sont la bienveillance et l’humanité. D’ailleurs, l’ensemble des inter-
viewés ont souligné le faible taux d’absentéisme au sein des équipes pendant
cette période de crise et leur forte implication malgré la fatigue induite par la
succession de vagues sur une période de plus d’un an. L’attention portée aux
professionnels engendre selon eux un engagement vis-à-vis de l’institution.

I9 : « Quand on reste soi-même, quand on reste à l’écoute, quand on reste


avec des valeurs qui sont bienveillantes, quand on est présent, qu’on
montre qu’on sait de quoi on parle, qu’on sait se remettre en question, eh
bien finalement, c’est adaptable à toute situation. Je pense que si on reste
humain, et qu’on n’essaye pas de jouer un rôle, on peut y arriver. »

Nous retrouvons également cette notion de bienveillance dans le sous-


thème « posture managériale ». Mais la principale catégorie évocatrice de
ce sous-thème est « la présence », évoquée par huit interviewés sur onze.
Quel que soit le profil de ces derniers, chacun a estimé indispensable la
notion de proximité sur le terrain. Le management de proximité est habituel-
lement dévolu au cadre de proximité, responsable de la gestion des équipes
opérationnelles. Pour autant, les cadres de pôles et les directeurs de soins
interviewés mentionnent leur présence régulière auprès des professionnels
afin de mieux appréhender les problématiques de terrain. La communica-
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tion descendante et ascendante prend ici tout son sens.

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I2 : « Le fait d'être un peu plus en proximité permet la compréhension
des problématiques, permet de pouvoir les faire remonter et d'obtenir des
choses. J’aurais peut-être eu un argumentaire moindre si je n’avais pas
été en proximité comme ça de nos équipes. ».

Cette présence sur le terrain favorise également le soutien des équipes.


Six interviewés ont évoqué un ensemble de dispositifs mis en œuvre pour
améliorer le quotidien des équipes et atténuer leur stress. Ainsi, certains
d’entre eux ont individualisé leur accompagnement, d’autres ont proposé du
soutien psychologique ou encore des aides logistiques, comme la mise à
disposition de logements ou de transports pour répondre à leurs difficultés.

I9 : « Il y a énormément de choses qui ont été mises en place, il y avait une


hotline si vous aviez besoin d’une aide psychologique ou autre, il y a eu des
ateliers de relaxation… »

Ce soutien traduit l’empathie des managers. Cette empathie est explicitée


par un des interviewés qui mentionne son leadership transformationnel.

proyéctica / projectics / projectique – n° Hors-série 25


BARBAR A ADAM

I5 : « Ça m’a renforcé dans qui j’étais et ce en quoi je croyais. Un leader-


ship transformationnel, bienveillant, qui amène les gens plus haut que
soi-même. »

Un autre interviewé parle d’exemplarité, ce qui le rapproche de ce style


de leadership qui inspire le respect et la confiance à son équipe. Un troi-
sième interviewé, évoque quant à lui le leadership situationnel et sa capa-
cité à s’adapter à chaque situation. Dans tous les cas, l’accompagnement
managérial est la thématique la plus représentative des interviews, ce qui
est confirmé par une opinion positive de 96 % des soignants à l’affirmation
« L’encadrement a un rôle central dans l’accompagnement des équipes confron-
tées à une réorganisation. »

Les opportunités de la crise


Les trois questions formulées dans notre complément d’enquête ont mis
en avant une quatrième et dernière thématique, celle des opportunités
révélées par la crise. Les multiples changements organisationnels ont per-
mis de décloisonner les services et de créer des liens entre les différents
acteurs. I8 : « La communication, la présence et surtout le lien avec les équipes,
entre les équipes soignantes et les équipes de direction, les équipes support
etc. ça il faut vraiment que ça perdure. On tire effectivement de la crise une
expérience positive ». Un autre interviewé parle d’effet catalyseur de la crise
sur la dynamique d’équipe et la coordination entre les soignants. Tous sou-
haitent que ces relations interservices et inter personnes soient maintenues
voire consolidées. La crise a également contribué à développer et pérenni-
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ser de nouveaux modes de fonctionnement comme la création d’un poste
transversal au sein d’un service pour décharger le cadre et les soignants
des fonctions logistiques. I1 : « Par exemple au début de la crise sanitaire, j’ai
saisi l’opportunité d’un retour d’un agent suite à congé longue maladie, en lui
demandant d’essayer des fonctions logistiques. Et aujourd’hui on a pérennisé le
poste. ». Pour deux interviewés dont les établissements ont un nouveau pro-
jet immobilier, la crise les a sensibilisés aux contraintes architecturales et
aux configurations des installations nécessaires dans ce genre de situation.
Cette crise a permis une prise de recul sur les organisations existantes
et celles développées durant cette période. Les interviewés expriment la
nécessité de réaliser des retours d’expérience afin de mieux percevoir les
interrogations profondes soulevées par cette situation et de réfléchir à des
pistes d’amélioration. I4 : « La dernière séance de travail de la direction des
soins a permis la mise en place d’un colloque mensuel de tous les cadres pour
définir comment intégrer tous ces bénéfices dans la future vision des soins. ».
Une autre opportunité pour quatre interviewés est de pouvoir anticiper les
crises futures en préparant les équipes à faire face à une nouvelle situation
dégradée. I9 : « Il faut faire des listes préétablies de professionnels volontaires
pour aller aux urgences, en réa et avec un maintien des acquis pour que quand
ces gens-là arrivent dans les services, ils soient prêts et que ce ne soient pas
de nouveau l’inconnu. C’est anticiper. » Enfin, à la question « Diriez-vous que
vos organisations sont résilientes ? », 100 % des interviewés ont répondu

26 projectique / projectics / proyéctica – n° Hors-série


L A CONTRIBUTION MANAGÉRIALE À L A RÉSILIENCE ORGANISATIONNELLE...

par l’affirmative en réitérant les facteurs de résilience déjà formulés au


préalable.

Discussion
Au regard de notre cadre conceptuel et des résultats de nos entretiens et
questionnaires, nous pouvons confirmer nos trois hypothèses exposées à
l’issue de notre cadre conceptuel.
Le contexte de la crise sanitaire a mis en première ligne les managers
dans leur rôle de communicant. Cette activité n’est pourtant pas inédite
puisque Henry Mintzberg évoquait déjà que « manager consiste en grande
partie en un travail de collecte et de traitement des informations, passant essen-
tiellement par l’écoute, l’observation, le feeling et, bien sûr, la discussion. »
(Mintzberg, 2009). Selon lui, manager par l’information permet d’encourager
les collaborateurs et d’orienter leur comportement au service de l’organisa-
tion. Le manager est le « centre nerveux » de ses unités et le « pollinisateur »
des informations. Et, toujours selon Henry Mintzberg, pour les transmettre
efficacement, il doit éviter de se comporter comme une passoire, un bar-
rage, une éponge, un tuyau d’arrosage ou encore une perfusion.
En situation de crise, les managers des organisations hospitalières
ont plus que jamais besoin de bien communiquer pour motiver, fédérer et
impliquer les équipes. Les collaborateurs ont besoin d’être informés de ce
qui se passe, aussi bien au sein de leur établissement qu’à l’extérieur. Ils
ont besoin de points de repère. La maîtrise de l’information est donc une
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question stratégique car son absence, son manque de structuration ou
encore sa surabondance peuvent conduire à la désorientation, au désinves-
tissement et à un manque de performance. Cela implique des compétences
managériales en communication en lien avec des techniques et des outils
de communication. Les outils utilisés peuvent être de différentes natures
et regroupés en deux catégories distinctes : la communication inerte et la
communication interactive. La communication inerte concerne les journaux
internes ou newsletters en version papier ou dématérialisés dans les intra-
nets, les notes de service, les mails, les tableaux d’affichage et les cahiers
de transmissions. La communication interactive quant à elle se fait par l’in-
termédiaire d’entretiens individuels ou collectifs, formels ou informels, de
réunions ou encore de pause-café pour de l’information plus spontanée et
officieuse. Quels outils favoriser en période de crise ? Le choix d’un outil est-il
plus pertinent qu’un autre ? Faut-il privilégier la communication orale ou la
communication écrite ou encore l’association des deux comme le suggérait
un des interviewés dans notre enquête ? « Les managers assimilent souvent,
à tort, la communication et ses outils. Or le meilleur kit de communication ne
sera efficace que commenté et discuté. » (Jézéquel, Gérard, 2019). Pour ces
auteurs, la communication managériale repose sur la qualité du dialogue et
de l’échange et, même si les technologies numériques offrent de nouvelles
opportunités de communication, le recours à certains outils, notamment
les mails, conduit à délivrer de l’information sans l’accompagner. Il n’existe
pas d’outil de communication prêt à l’emploi, le choix de l’outil dépend avant

proyéctica / projectics / projectique – n° Hors-série 27


BARBAR A ADAM

tout du message à délivrer, du public visé et des objectifs ciblés. Ainsi, le


manager se doit d’adapter son mode de communication selon les besoins de
la situation ou des interlocuteurs.
L’accompagnement de l’information requiert également des compé-
tences communicationnelles en termes de savoir-être, en complément
des savoirs techniques, notamment dans les situations de communication
interactive. Désigné en anglais par le terme de « soft skills », dites aussi
compétences douces, ce savoir-être se traduit par des qualités d’écoute,
d’empathie et de bienveillance, qualificatifs retrouvés lors de nos entretiens.
« Les soft skills pourraient être également appréhendées comme la somme
des compétences interpersonnelles participant à la communication efficace, à
une attitude positive, indispensables pour la carrière professionnelle dans le
domaine du travail en équipe. » (Tessier, 2021). Cette notion de « soft skills »
nous rappelle celle des interactions respectueuses de Karl Weick, évoquée
dans notre cadre conceptuel et représentant l’un des quatre facteurs de
résilience. L’implication proxémique du management en situation de crise
est essentielle pour favoriser les interactions les plus respectueuses pos-
sibles. Cette notion de proximité est un élément émergent de notre enquête.
À l’instar de certains concepts de management, il n’existe pas de définition
universelle du management de proximité, mais sa connotation la plus fré-
quente dans les discours relatifs à l’encadrement de santé est celle d’un
management visant à être proche de ses collaborateurs. Être proche signifie
ici être présent sur le terrain. Cette présence, qu’il s’agisse de la direction,
du top management ou du management de proximité, joue un rôle capital
dans la détermination des besoins des collaborateurs, dans la prise en
compte de leur réalité mais aussi dans la multiplication des interventions
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de communication.
Ainsi, maîtriser les outils de communication verbale ou non verbale,
utiliser une posture managériale en mobilisant des compétences compor-
tementales et maintenir une proximité avec ses collaborateurs, sont trois
caractéristiques permettant de retrouver une véritable dimension humaine
au sein de l’organisation et de valoriser le sens du collectif.

Pistes d’action
Le retour d’expérience
Lors des entretiens, les interviewés ont exprimé le besoin de prendre du
recul pour analyser les évènements et identifier les forces et les faiblesses
des organisations mises en œuvre. Ainsi, notre première préconisation
serait de proposer des réunions de retour d’expérience afin de dresser un
bilan du déroulement de la gestion opérationnelle de crise et de poursuivre
la construction collective de sens. « Le retour d’expérience peut se définir
comme un travail d’analyse rétrospective d’une action passée afin de concevoir
l’action à venir. Il permet de capitaliser l’expérience individuelle et collective en
favorisant le partage des bonnes pratiques. » (Godé, 2011). Cet exercice permet
d’apprendre de ses erreurs, de prendre conscience de l’inefficacité d’une

28 projectique / projectics / proyéctica – n° Hors-série


L A CONTRIBUTION MANAGÉRIALE À L A RÉSILIENCE ORGANISATIONNELLE...

décision ou d’une procédure mais également de reconnaître les réussites,


les solutions innovantes ou encore les actions positives qui ont émergé de la
crise. Il a pour vocation de tirer des enseignements en analysant l’efficience
globale du dispositif de crise. L’analyse critique collective, rendue possible
par les débats, joue un rôle déterminant dans le processus d’apprentissage
organisationnel. Ce concept de « learning organization » décrit par Peter
Senge se définit comme « un lieu où les personnes améliorent constamment
leur aptitude à créer les résultats qu’elles désirent vraiment, où les nouveaux
modèles communicatifs sont encouragés, où on laisse libre cours à l’aspira-
tion collective et où les personnes apprennent continuellement à apprendre
ensemble. ». (Casse, Caroly, 2017). Favoriser les échanges entre les colla-
borateurs et avec la hiérarchie, permet de passer d’un processus d’appren-
tissage organisationnel à celui d’une organisation apprenante. Aussi, pour y
parvenir, ces réunions de retour d’expérience doivent être structurées, pré-
parées, animées par des managers investis et formés et surtout soutenues
par la direction afin d’inscrire l’organisation dans une démarche positive et
d’adapter le mieux possible son fonctionnement à son environnement.

Les espaces d’échanges


L’animation de rencontres par le manager devrait également être quo-
tidienne auprès des équipes, autant en période de crise qu’en dehors.
Travailler au plus près du terrain permet de mieux communiquer de façon
opérationnelle avec les collaborateurs et de détecter les signaux qui pour-
raient conduire à leur désengagement. Ainsi, notre deuxième préconisation
serait orientée vers la mise en place d’espaces d’échanges quotidiens au
cœur des unités de soins. Ces espaces prendraient la forme de réunions
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d’équipe de quelques minutes au cours desquelles seraient passés en revue
les situations concrètes de travail et les problèmes concernant l’unité. Pour
chaque problème rencontré, les membres de l’équipe pourraient imaginer
ensemble des pistes d’amélioration sous l’impulsion du manager qui favo-
riserait les initiatives tout en se positionnant en soutien. Le manager devrait
être persuadé que les solutions issues du groupe seraient plus pertinentes
que celles qu’il aurait pu trouver seul. Cela permettrait d’autonomiser
les collaborateurs en les rendant acteurs de la résolution de problème et
de positionner le manager en tant que facilitateur. Ces quelques minutes
quotidiennes d’échange entre le manager et ses effectifs deviendraient un
rituel et un signe de reconnaissance du collectif et des individus qui se sen-
tiraient plus impliqués au quotidien. Concrètement, la tenue de ces réunions
se tiendrait en position debout afin de permettre de focaliser l’attention et
d’empêcher qu’elles s’éternisent.
Pour animer ces réunions, le manager utiliserait un tableau sur lequel
serait affiché un outil de type A3 issu du Lean Management. « Le A3 est un
document qui présente de manière visuelle et synthétique le déroulement d’un
projet, et regroupe tous les éléments nécessaires à sa compréhension. C’est
un outil de management, de communication et de suivi. Son format standard
conduit ses utilisateurs à rester dans le cadre des priorités définies, en évitant
ainsi la dispersion des énergies. » (Demetrescoux, 2019). La philosophie du
Lean repose sur des actions concrètes, simples et le Lean Management peut

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s’appliquer à tout type d’entreprise y compris les établissements sanitaires.


Cette feuille A3 encore appelée feuille de résolution de problème recenserait
la formulation claire des problématiques soulevées lors des échanges, les
actions retenues, le planning de réalisation avec ses acteurs et des indica-
teurs clés définis collectivement. Elle serait complétée à chaque réunion et
resterait affichée dans la salle de soins afin que l’équipe puisse visualiser les
sujets abordés et l’état d’avancement des actions. Ces espaces reposeraient
ainsi sur l’intelligence collective définie comme « l’ensemble des capacités
de compréhension, de réflexion, de décision et d’action d’un collectif de travail
restreint issu de l’interaction entre ses membres et mis en œuvre pour faire face
à une situation donnée présente ou à venir complexe ». (Lyonnet, 2015).

CONCLUSION
Les établissements hospitaliers ont été confrontés, et le seront encore à
l’avenir, à l’impérieux besoin de gérer les situations de crise. Il importe donc
de connaître les approches managériales favorables au développement de
réponses opérationnelles et d’une résilience organisationnelle.
Grâce aux récits recueillis auprès de directeurs et de managers de cinq
structures sanitaires différentes, nous avons pu identifier trois principaux
comportements résilients : l’adaptabilité, la flexibilité et la créativité.
Ceux-ci ont été accompagnés d’une forte collaboration entre les différents
professionnels se traduisant par une solidarité interpersonnelle et un par-
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tenariat inter établissement. L’accompagnement managérial par l’intermé-
diaire d’une communication transparente, emprunte de sens, associée à une
présence bienveillante, influence positivement cette résilience collective.
Toutefois, ces constats ne doivent pas être considérés au-delà de leur carac-
tère exploratoire car, même s’ils semblent confirmer notre cadre concep-
tuel, particulièrement les travaux de Karl Weick portant sur le processus de
« sensemaking », ils sont emprunts d’une forte subjectivité, chacun ayant sa
propre interprétation des évènements liés à la crise sanitaire. Néanmoins,
ils nous ont permis de faire quelques propositions managériales concernant
le retour d’expérience et la mise en œuvre d’espaces d’échanges afin de
valoriser les actions menées en crise et d’appliquer un management effi-
cient privilégiant l’intelligence collaborative.
« Après cette crise, le management hospitalier passera demain nécessai-
rement par l’écoute de ceux qui soignent, leur intégration effective dans les
processus de décisions stratégiques, leur reconnaissance sociale et salariale et
une réforme de la structure des emplois hospitaliers pour réduire le nombre de
postes supports au profit du médical et du soignant. » (Husson, 2020). L’impact
de la crise sanitaire sur les ressources humaines en termes de réaffectation
et de mutualisation impose une réflexion sur ces emplois hospitaliers et plus
particulièrement sur les compétences nécessaires au regard des spécifi-
cités de prise en charge et des réorganisations de service. La mise en adé-
quation des besoins en effectifs avec les compétences requises s’est révélée

30 projectique / projectics / proyéctica – n° Hors-série


L A CONTRIBUTION MANAGÉRIALE À L A RÉSILIENCE ORGANISATIONNELLE...

complexe pour plus d’un interviewé lors de notre enquête. Ces derniers ont
pu percevoir de manière objective les écarts entre les compétences pro-
fessionnelles présentes et celles demandées, notamment pour des unités
très spécialisées comme les réanimations ou les services d’urgence. Or une
organisation apprenante se doit d’être dotée d’un système de management
des compétences favorisant l’actualisation et le développement des compé-
tences présentes. Une des missions du manager n’est-elle pas de s’assurer
du niveau de compétence de ses collaborateurs et de les faire progresser en
permanence ? Les leçons de la crise ont permis d’identifier les activités en
tension et d’inventorier les compétences critiques. La résilience organisa-
tionnelle est bien cette capacité de réagir face à l’adversité des situations,
mais en anticipant les besoins à venir, les managers contribueront à la moti-
vation et la fidélisation des équipes.

RÉFÉRENCES
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Barbara Adam, diplômée de l’IFCS du CHU de Nancy en 2008, a successi-


vement exercé des fonctions de cadre de santé en bloc opératoire, puis de
responsable de filière dans des secteurs d’hospitalisation conventionnelle.
Sa formation en Master 2 MOSSS en 2020/2021 à l’IAE de Metz correspond à
une démarche d’évolution professionnelle et lui a permis de consolider ses
compétences en management des organisations notamment en gestion de
projet, en pilotage stratégique et en conduite du changement.
barbara.adam@​elsan​.care
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