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Juliette

Hamon 1/5

Défense des droits des femmes, « L’amitié est la plus


sérieuse et la plus sublime de toutes les affections […]
avec des couleurs enflammées »

Introduction
Mary Wollstonecraft nait en 1759 en Grande-Bretagne.
Inspirée des mouvements révolutionnaires, en particulier de
la révolution française et des idées des lumières elle publie
en 1792 son oeuvre la plus connue : A Vindication of the
Rights of Woman, traduit en français Défense des droits des
femmes. C’est un ouvrage fondamental de l’histoire du
féminisme, qui s’inscrit comme un des premiers textes
revendiquant une meilleure éducation des femmes, pour
faire d’elles des êtres indépendants et libres
intellectuellement dans la société du XIXe siècle. L’extrait
étudié est tiré du chapitre intitulé « Observation sur l’état de
dégradation auquel les femmes sont réduites pas différentes
causes », et oppose deux différentes passions : l’amour et
l’amitié. Ce contraste nous amène à nous demander :
Comment l’argumentation de l’autrice met en exergue ses
idées novatrices à propos des relations humaines et de leur
rapport à l’éducation des femmes ? Nous verrons dans un
premier tant l’importance de l’amitié quant à l’amour, puis
nous étudierons la sacralisation néfaste de l’eros, et nous
terminerons sur l’incompatibilité des plaisirs et de la vertu.

Tout d’abord, l’autrice reprend l’éloge de l’amitié.


En effet, quelques pages plus tôt dans le chapitre
« L’opinion reçue d’un caractère sexuel discutée »,
Wollstonecraft affirme que « le lien le plus sacré de la
société est l’amitié ». Elle tire de cette affection
particulières les meilleurs moyens de fortifier l’éducation
des femmes et d’en faire une vraie compagne, et non
« l’humble esclave de son époux ». Mais revenons à notre
extrait. L’autrice ici fait l’éloge de la philia, un amour
électif qui diffère de l’eros, l’amour sensuel et passionnel.
L’amitié est « fondée sur des principes et cimentée dans le
temps », et pourrait offrir au femmes l’opportunité de
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s’élever aux cotés de leurs compagnons en tant qu’égales,
et non en tant qu’épouses dociles.
De plus, l’amitié représente pour l’autrice une porte vers
l’indépendance et la liberté par sa sincérité et sa force. Si
deux personnes ont un tel lien, elles pourront s’aider
mutuellement sans subir les soucis inévitables de l’amour
telles que la jalousie ou la vanité. Si Wollstonecraft attache
autant d’importance à ce principe, c’est parce que les
femmes sont éduquées à plaire, et à aimer et cela les
empêche de pouvoir s’élever intellectuellement et
socialement. Devenir des amies et non des épouses leur
offrirait leur indépendance et les écarterait de ce qui les
retient dans leur ignorance.
De fait, l’autrice établit un parallèle entre l’amitié et
l’amour et dresse un tableau des tous leurs aspects, positif
spour l’amitié et négatifs pour l’amour. Sous cette forme,
son argumentation prend plus de sens même si elle reste
nuancée. Quelques pages avant, l’autrice affirmait tout de
même : « Parler avec peu de respect de l’amour est, je le
sais, un crime de haute trahison contre le sentiment et la
belle sensibilité à la mode; mais il est plus question, ici de
tenir le simple langage de la vérité et de s’adresser à la tête
qu’au coeur ». Cette légère touche de sarcasme souligne la
volonté de l’autrice de trouver une solution quant à
l’éducation des femmes. Dans notre extrait, elle souligne
l’incompatibilité simultanée des deux passions : « elles
s’affaiblissent et se détruisent mutuellement » ou encore :
« on ne peut les éprouver que successivement […] car les
vaines craintes, les jalousies qui, employées à propos,
attisent l’amour sont incompatible avec la tendre confiance,
l’estime sincère de l’amitié ». Ces deux passions doivent
être cultivées et entretenues, mais l’une l’est par la fatuité
quand l’autre l’est par l’estime. L’amitié représente un
rapport d’égalité et d’épanouissement à long terme quand
l’amour est versatile rempli de vanités.
Ainsi, dans cette première partie Wollstonecraft nous
offre son avis très tranché quant à l’amour et indirectement
quant à la manière d’éduquer les femmes à séduire. Les
vanités sont un obstacle à la bonne éducation, et entretenir
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un rapport d’amitié représente une solution à cela, ce qui
nous amène à notre deuxième point.

Par la suite, le texte offre une critique véhémente de la


sacralisation de l’amour des auteurs romantiques de
l’époque.
En effet, l’autrice pense que l’éducation des femmes
devrait se faire par le développement de leur capacité à
raisonner, ce qui contraste avec les nombreux écrits
romantiques de l’époque qui prônent l’éducation par la
douceur et la docilité, comme le fait Rousseau dans le livre
IV de Emile ou de l’Education. Rousseau représente
d’ailleurs la bête noire de l’autrice quand à l’éducation du
genre féminin. On ressent ce besoin. D’éducation par la
raison dès la première ligne du deuxième paragraphe quand
elle écrit « l’amour tel que nous l’a dépeint la plume
brûlante du génie n’existe point sur Terre ou réside
seulement dans ces imaginations exaltées ». Cette phrase
sarcastique révèle l’ampleur de la conformation à
l’éducation à l’amour et des dangers qu’il en résulte, la
« plume brulante », est moquée et l’autrice argumente en
brisant d’une manière prosaïque les stéréotypes fiévreux
autour de l’amour idéal. On retrouve d’ailleurs tout le long
de l’extrait un champ sémantique de l’exaltation qui mène à
la douloureuse brulure : «attisent »; « plume brûlante »;
« imaginations exaltées »; « l’exagération »; « sa chute »;
« les liqueurs qui exaltent »; « imagination ardente » et les
« couleurs enflammées ». Cette métaphore filée vise à
critiquer le romantisme qui s’oppose à la raison, prônée par
l’autrice comme solution à l’éducation des femmes.
De plus, Wollstonecraft explique que cette idéalisation
est un « dangereux tableaux » qui mène à de nombreux
défauts par son apparence trompeuse. L’exaltation
hyperbolique de l’amour amène à confondre sentiment et
sensualité et « se sépare de la dignité la vertu », essentielle
pour l’autrice. Pour pouvoir s’élever intellectuellement, il
faut être un être digne et raisonnable et ne pas se perdre
dans l’inconsistance et la jalousie. L’autrice craint que la
femme se cantonne dans son rôle de séductrice, et qu’elles
« cultive[nt] leur gout pour la parure » comme le conseillait
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le docteur Gregory. L’émancipation se trouve dans la
capacité des femmes à éviter les pièges que nous tend
l’amour par son apparence trompeuse.
Ainsi, dans cette deuxième partie l’autrice critique
fermement la vision romantique de l’amour, dans la
continuité de son éloge pour l’amitié et des bienfaits qu’il
en résulte. Pour pouvoir s’éduquer corretement, il faut
éviter les chemins de la frivolité et de la volupté.

Enfin, l’opposition entre l’amour et l’amitié amène à


établir un parallèle entre le plaisir et la vertu.
La vertu et le plaisir représentent la continuité de
l’argumentation de l’autrice. Quand la vertu doit être
« austère, sinon sérieuse », le plaisir est représenté par
« une coupe enchanteresse » pourtant « « frelatée ».
L’autrice critique la mauvaise interprétation de la vertu,
souvent associée à la beauté à tort, ce qui la « [précipite]
insidieusement sa chute par un respect simulé ». La vertu
est sincère pure, et ne se cache pas derrière une parure, et
c’est là que débute le contraste avec le plaisir, éphémère et
volatile au même titre que l’était l’amour plus haut dans le
texte. Et elle continue d’ailleurs sa critique en affirmant «
le plaisir et la vertu ne sont pas unis dans cette vie aussi
étroitement que quelques écrivains éloquents ont essayé de
la prouver ». La construction de la phrase est presque
identique à « l’amour tel que nous l’a dépeint la plume
brûlante du génie n’existe point sur terre », les « écrivains
éloquents » et le « génie » se rejoignent dans cette critique
du romantisme.
Le dernier paragraphe est marquée par la métaphore
filée entre le plaisir et la nourriture, ou le premier est
représenté comme corrompu et trompeur telles « les
liqueurs qui exaltent ces esprits » ou les « friandises qui
flattent son palais » ( ici le « son » désigne l’homme ). La
vertu est un bienfait pour l’homme même si il ne s’en rend
pas forcément compte, elle apporte « une satisfaction calme
et tranquille » quand le plaisir peut s’apparenter à un
délicieux poison. Wollstonecraft souligne que souvent, les
hommes préfèrent ignorer ce qui est bien pour eux au profit
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de plaisir instantanés qui les détruisent peu à peu. Cette
métaphore entre la vertu et le plaisir, et la nourriture s’étend
à l’amour et à l’amitié, et à ce que chaque passion
individuellement a à nous offrir.
La dernière phrase de l’extrait conclut toute
l’argumentation de l’autrice : « une imagination ardente
peint l’amour, comme tous les autres objets, avec des
couleurs enflammées ». Cela peut signifier que l’on est
souvent aveuglés par nos désirs compulsifs, et que ce qui
semble être le plus exaltant peut vite devenir une source de
corruption intérieure, une perte de la vertu et de la
« satisfaction calme et tranquille » qu’elle peut nous offrir.

Conclusion

Mary Wollstonecraft, dans cet extrait, met en exergue


les différence entre l’amour et l’amitié, et le plaisir et la
vertu. Son argumentation prend la forme d’un chiasme qui
tente de faire appel à la raison et de désacraliser l’amour
comme le dépeignent les auteurs romantiques de l’époque.
Pour offrir une éducation correcte aux femmes, il faut
arrêter de les éduquer à plaire, et plutôt leur apprendre à
devenir de véritables compagnes, égales de leurs maris. Il
faut se détacher de la volupté inconsistante, et accepter la
vertu même dans son apparence austère, car elle est fiable
sur la durée à l’image de l’amitié.

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