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Fraude et états financiers —

Deuxième partie
par EVERETT E. COLBY, BSBA, CFE, FCGA

Voici le deuxième d’une série de trois articles rédigés par M. Colby sur la détection et la
prévention de la fraude dans les états financiers, qui sera publiée sur le Reper.

Cette série d’articles vise à vous sensibiliser à la façon dont la fraude dans les états
financiers est commise, et pour quelles raisons ainsi qu’aux moyens qui peuvent vous aider
Introduction à la détecter et à la prévenir. La première partie portait sur la façon dont la fraude est
commise et pourquoi. Le présent article vous donnera un aperçu d’une méthode
Théorie de la fraude systématique d’enquête sur une possible fraude dans les états financiers. La sensibilisation
aux signes annonciateurs et aux signaux d’alarme les plus courants, et aux façons de
Prédicat initial détecter ou de prévenir la fraude dans les états financiers dans les circonstances, est
considérée par la plupart des experts dans le domaine comme étant le principal outil pour
Formuler une hypothèse combattre la fraude. La troisième partie portera sur certaines des stratégies les plus
courantes qui sont utilisées pour commettre ce type de fraude et sur des moyens de la
Vérifier l’hypothèse détecter ou de la prévenir.
Retenir ou rejeter l’hypothèse Introduction
Même si, en définitive, c’est la direction qui a la responsabilité de s’assurer que les états
financiers donnent une image fidèle de l’organisation, une responsabilité plus grande
incombe désormais au vérificateur qui doit évaluer le risque de fraude au sein de
l’organisation. En effet, en vertu des chapitres 5130, 5135 et 5136 du Manuel de l’ICCA, le
vérificateur doit dorénavant évaluer la présence de signaux d’alarme et, si tel est le cas,
mettre en œuvre des procédures pour déterminer si une fraude a effectivement été
commise. Ces dispositions s’appliquent aux vérifications d’états financiers et d’autres
informations financières ayant trait aux périodes commencées le 15 décembre 2002 ou
après cette date.

Pour bien s’acquitter de cette responsabilité, le vérificateur doit d’abord être sensibilisé aux
signaux d’alarme courants (qui ont fait l’objet du premier article) et savoir les reconnaître.
Si de tels signaux sont présents, le vérificateur doit alors mettre en œuvre des procédés qui
l’aideront à évaluer si une fraude a effectivement été commise au sein de l’organisation. Le
présent article vous aidera à élaborer une méthode systématique pour appliquer ces
procédés. La théorie de la fraude est un processus reconnu et utilisé par les juricomptables
partout dans le monde. Elle est principalement utilisée dans le cadre d’enquêtes lorsque
l’on soupçonne qu’il y a eu fraude, mais le vérificateur pourra l’adapter et s’en servir pour
évaluer si une fraude dans les états financiers a effectivement été commise au sein de
l’organisation.

Théorie de la fraude
La théorie de la fraude repose sur la formulation d’une hypothèse sur ce qui aurait pu se
passer, à la lumière des faits connus et des données disponibles que vous avez analysées.
Habituellement, les signaux d’alarme présents qui ont amené le vérificateur à appliquer des
procédés additionnels et l’information financière recueillie à ce moment constitueront les
faits connus. Après avoir formulé une hypothèse, vous devez la vérifier pour déterminer
si elle est prouvable. À la lumière des résultats de cette vérification, vous aurez peut-être à
préciser ou à modifier l’hypothèse. Une fois la vérification de l’hypothèse terminée, vous
ferez appel à votre jugement professionnel pour déterminer si vous devez la retenir ou la
rejeter, compte tenu de la preuve disponible.

Prédicat initial
Vous devez avoir une raison pour entreprendre une enquête sur une fraude. C’est ce que l’on
appelle votre prédicat initial. Il peut s’agir des signaux d’alarme que vous avez observés ou
d’une preuve dont vous avez eu connaissance dans le cadre de votre vérification. Des indices,
des plaintes ou des pistes comptables peuvent former le prédicat initial justifiant la tenue
d’une enquête. En présence de signaux d’alarme ou d’autres facteurs qui indiquent la
possibilité d’une fraude dans les états financiers, analysez les données dont vous disposez
avant de formuler une hypothèse sur ce qui aurait pu se passer.

Une analyse des données devrait comprendre un examen des relations entre les données
financières. Par exemple, si le coût des marchandises vendues semble trop élevé, vous devriez
examiner la relation entre celui-ci et le chiffre d’affaires dans les états financiers. La relation
semble-t-elle cohérente ou observe-t-on des écarts inhabituels? Votre analyse devrait
également inclure une évaluation des contrôles internes habituels pour déterminer s’il y a eu
dérogation. Quels employés participent au processus? Y a-t-il aussi eu des changements dans
le personnel? Après avoir analysé toutes les données disponibles, vous serez alors en mesure
d’évaluer la validité du prédicat initial. S’il ne semble pas valide, vous pouvez
vraisemblablement interrompre votre enquête. Mais s’il semble valide, vous devez pousser
l’enquête plus loin. Vous commencerez votre travail en formulant votre hypothèse (théorie de
la fraude).

Formuler une hypothèse


Votre hypothèse est une supposition de ce qui, à votre avis, aurait pu se passer. L’hypothèse
sera fondée en partie sur votre analyse des données disponibles ainsi que sur le prédicat
initial. Vous ferez également appel à votre jugement professionnel en formulant votre
hypothèse. Celle-ci tiendra compte de ce qui aurait pu se produire et des personnes qui
pourraient être en cause. Elle tiendra également compte des endroits ou des méthodes
possibles de dissimulation, et du moment (passé, présent ou futur) où l’événement aurait pu se
produire. Finalement, l’hypothèse permettra d’évaluer pourquoi le prédicat initial pourrait
s’avérer juste et comment la fraude a pu être commise.

Par exemple, on suppose que vous avez observé des signaux d’alarme au sein de la direction,
qui manifestait une vive inquiétude à l’idée que les résultats de l’exercice écoulé ne puissent
satisfaire aux attentes apparemment irréalistes du marché. En fin d’exercice, toutefois, les
résultats sont conformes aux attentes et vous êtes maintenant sur place pour procéder à votre
vérification. Votre analyse des données initiales montre que le chiffre d’affaires du dernier
trimestre est plus élevé de 35 % que celui du trimestre correspondant de l’an dernier; or,
contrairement à ce à quoi on aurait pu s’attendre, il ne semble pas que le coût des
marchandises vendues ou d’autres frais d’expédition aient augmenté en conséquence. De
plus, vous constatez qu’un nombre anormalement élevé de notes de crédit ont été portées aux
comptes clients du premier trimestre du nouvel exercice. Vous apprenez également que le
premier vice-président des ventes a reçu une gratification de 1 000 000 $ pour avoir atteint
l’objectif visé en ce qui a trait au chiffre d’affaires. Compte tenu des informations limitées
dont vous disposez, vous croyez qu’il y a suffisamment d’éléments pour affirmer qu’une
fraude dans les états financiers a pu être commise. Vous formulez les hypothèses suivantes :
• Il semble que la constatation des produits soit erronée, et que le premier vice-président des
ventes pourrait être en cause.

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• Il semble que les ventes auraient pu être constatées dans les comptes clients de l’exercice
faisant l’objet de la vérification et qu’elles auraient ensuite été annulées au moyen de notes
de crédit dans l’exercice suivant.
• Le prédicat initial semble juste parce qu’il n’y a apparemment aucune raison qui explique
l’augmentation plus importante qu’à l’habitude du chiffre d’affaires au dernier trimestre et
le nombre anormalement élevé de notes de crédit émises au trimestre suivant.
• Il semble que des factures fictives auraient pu être préparées parce qu’aucun élément
probant ne confirme que des marchandises ont été expédiées, aucune augmentation
correspondant à la hausse du chiffre d’affaire n’ayant été observée dans le coût des
marchandises vendues.

Une fois que vous avez formulé votre hypothèse, vous devez la vérifier pour voir s’il n’est
pas nécessaire de l’améliorer ou de la modifier.

Vérifier l’hypothèse
Pour vérifier votre hypothèse, vous devez déterminer où vous risquez de trouver des preuves
et si elles confirment l’intention, et appliquer certains procédés de vérification. Compte tenu
des résultats de vos déterminations et de vos procédés, vous déciderez de retenir, d’améliorer
ou de rejeter votre hypothèse.

Pour déterminer où vous risquez de trouver des preuves, vous devez commencer par identifier
si elles se trouvent dans les comptes ou non. La preuve qui se trouve dans les comptes est
habituellement celle qui est contenue dans les registres comptables ou autres documents de
base. La preuve hors comptes est plus subjective et ne sera habituellement pas disponible
dans les livres et registres comptables de l’organisation. La preuve est-elle directe ou
circonstancielle? Un chèque prétendument faux pourrait constituer une preuve directe. Le fait
qu’une personne ait eu accès au chéquier représenterait une preuve circonstancielle. Vous
voudrez également identifier des témoins potentiels. Qui travaille à cet endroit? Qui aurait pu
avoir connaissance de ce qui a pu se passer?

Le nombre d’occurrences et la présence d’autres irrégularités et de témoins vous aideront à


évaluer si la preuve permet de confirmer l’intention. Pour prouver l’intention, vous devez
tenter d’établir que la personne savait ce qu’elle faisait et qu’elle avait l’intention de le faire.

Finement, vous appliquerez certains procédés de vérification. Les procédés de vérification


effectués dépendront du type de preuve à évaluer et ils seraient du même type que les
procédés de vérification appliqués dans le cadre d’une vérification normale des états
financiers. Ces procédés pourraient inclure la confirmation, l’examen physique, l’observation,
la prise de renseignements, l’examen sommaire, l’inspection, le contrôle au moyen de pièces
justificatives, la reprise de procédés, la reprise de calculs et l’application de procédés
d’examen analytique.

L’examen analytique constitue probablement le procédé de vérification le plus important


que vous pourrez appliquer. Il sert à détecter et à examiner les relations inhabituelles entre les
données financières. Vous chercherez les écarts qui ne sont pas prévus ou encore l’absence de
tels écarts s’ils doivent se produire. Ces écarts représentent-ils des erreurs potentielles?
Comparez la période écoulée à la période précédente; comparez les montants de la période
écoulée aux montants prévus ou inscrits au budget. L’examen analytique vous permet
d’étudier les relations entre différents éléments ainsi que les liens entre l’information
financière et l’information autre que financière appropriée. Pour interpréter vos résultats, vous
devez bien connaître les relations générales — par exemple, que les ventes et les comptes
clients ou les stocks sont liés. En présence de relations inattendues, vous devez pousser
l’enquête plus loin. Il y a trois principaux types de procédés analytiques : l’analyse de
tendances, l’analyse de ratios et les contrôles de vraisemblance.

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L’analyse de tendances porte sur les tendances dans les soldes de comptes. L’analyse
horizontale porte sur la variation des pourcentages d’une année à l’autre ou d’une période à
l’autre. L’analyse verticale porte sur les relations entre postes du même état (résultats).
L’analyse de ratios est l’analyse simultanée d’au moins deux comptes. Elle repose sur la
prémisse selon laquelle les relations entre des comptes donnés demeurent stables dans le
temps. Elle est jugée plus utile que l’analyse de tendances parce qu’elle porte sur des relations
supposément stables entre des comptes, tandis que l’analyse de tendances s’intéresse au
comportement d’un seul compte. Les quatre catégories de ratios les plus courantes sont les
suivantes :
• ratios de liquidité — ratio de liquidité générale, ratio de liquidité relative
• ratios d’activité — rotation des stocks, rotation des comptes clients, jours de crédit clients,
ventes/actif
• ratios de levier financier — emprunts/capitaux propres, couverture des charges financières
• ratios de rentabilité — bénéfice net en pourcentage du chiffre d’affaires, marge brute en
pourcentage du chiffre d’affaires, rendement de l’actif.

Les contrôles de vraisemblance font appel à certaines données d’exploitation, données


financières et données externes pour prédire les soldes de comptes. Ils sont aussi très efficaces
parce que l’information financière est rapprochée des données d’exploitation pertinentes. En
présence d’une activité frauduleuse, il est probable que les résultats d’exploitation ne
coïncideront pas avec les résultats financiers.

Après avoir dégagé vos preuves et effectué l’analyse, vous devriez préparer un tableau
montrant les liens entre les personnes et les preuves recueillies. Vous pourrez ainsi identifier
les preuves disponibles, à quel endroit elles se trouvent et quelles personnes pourraient en
avoir connaissance. Examinez et analysez la preuve que vous avez vérifiée. Est-elle suffisante
pour vous permettre de poursuivre votre travail? Si la réponse est oui, vous terminerez
l’enquête. Si la réponse est non, vous interromprez votre analyse, ou réviserez votre
hypothèse pour la vérifier à nouveau.

Retenir ou rejeter l’hypothèse


À la lumière des résultats de votre vérification, vous aurez décidé de mener votre enquête à
terme ou de l’interrompre. Si vous décidez de mener l’enquête à terme, vous examineriez des
documents, effectueriez des entrevues, et appliqueriez les autres procédés de vérification qui
pourraient être nécessaires. Habituellement, l’examen de documents précède les entrevues.
L’examen des documents fournit généralement des preuves circonstancielles plutôt que des
preuves directes. Quand vous menez votre enquête, il est possible que vous soyez submergé
de documents et d’autres informations. Pour vous faciliter le travail, vous devez en tout temps
savoir ce que vous cherchez à prouver. Ramenez un cas complexe à ses éléments essentiels
pour vous simplifier la tâche et y voir clair. Assurez-vous de toujours garder votre hypothèse
à l’esprit et de ne pas simplement recueillir des preuves pour le simple plaisir. Vous
interrogeriez les personnes que vous avez identifiées lors de la vérification de votre
hypothèse. Il vous faudrait évaluer la preuve circonstancielle obtenue durant l’examen des
documents. Vous tenteriez d’évaluer pourquoi les documents auraient pu comporter des
irrégularités, comment elles ont pu se produire et qui a participé à la préparation de la
documentation. Les autres procédés de vérification que vous appliqueriez seraient déterminés
en fonction de la preuve obtenue lors de l’examen des documents et des entrevues. Les
procédés seraient ciblés et ne viseraient pas à montrer si quelque chose aurait pu se produire,
mais plutôt à fournir des preuves additionnelles à l’appui de ce qui, selon vous, s’est produit.
Une fois l’enquête achevée, vous retiendrez ou rejetterez votre hypothèse.

Cet article est le deuxième d’une série de trois sur la détection et la prévention de la fraude
dans les états financiers qui sera publiée sur le Reper. Dans le troisième article, M. Colby

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traitera des types de fraude dans les états financiers que l’on rencontre le plus souvent et des
moyens de les détecter ou de les prévenir.

Praticien exerçant en cabinet, Everett Colby, BSBA, CFE, FCGA, est propriétaire de l’un des
bureaux de Porter Hétu International, l’un des 30 premiers cabinets comptables en
importance du Canada selon le magazine The Bottom Line. M. Colby est également
propriétaire de North American Forensic Accountants and Fraud Investigators Inc., un
cabinet de juricomptabilité. Il est membre du conseil d’administration de CGA-Ontario,
président du Comité d’étude de la politique fiscale et budgétaire de CGA-Canada et membre
à vie de l’International Association of Certified Fraud Examiners. M. Colby anime
régulièrement des ateliers, au Canada et à l’étranger, sur des sujets comme la fraude, le
blanchiment d’argent, les sanctions civiles et l’éthique dans le milieu d’affaires actuel.

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