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La géopolitique a été une « science » qui présentait de grandes théories sur les liens entre le
pouvoir et la géographie. Le père de la géopolitique est l’allemand Ratzel, dans les années 1880-
1890. Il publie une série d’ouvrages influencé par la pensée de Darwin. Provenant de la
biologie, Ratzel s’inspire de Darwin pour modéliser les relations entre Etats : les Etats sont
comparés à des organismes vivants en compétition. C’est la survie du plus fort. Ces Etats ont
besoin d’un espace vital selon Ratzel (Lebensraum). Ratzel cherche à justifier et améliorer la
politique de l’Empire allemand (Deutsches Reich) né en 1871, territoire central sans colonies
hors d’Europe en rivalité avec France et Royaume-Uni. L’Allemagne aurait pour espace vital
l’Europe centrale et orientale. Ces théories seront plus tard reprises par Karl Haushofer,
géopoliticien allemand inspirateur de la politique nazie. Idées comparables : Doctrine Monroe
des Etats-Unis (L’Amérique du Nord est leur espace vital), « étranger proche » des Russes.
L’école anglo-américaine
Aux Etats-Unis l’amiral Alfred Mahan théorise la suprématie maritime. Pour lui, c’est la
domination des mers qui doit permettre la domination finale pour une puissance. C’est à sa suite
que les Etats-Unis ont progressivement développé la 1re flotte militaire mondiale, présente sur
tous les continents. Au XIXe, il se plaçait dans la rivalité avec les puissances européennes dans
le cadre d’une 1er mondialisation des échanges : on comprend que les espaces fluides
(maritimes) sont centraux pour capter les flux. Se placer comme nœud au sein d’un réseau
mondial est vital pour le pouvoir (cf. Londres 1re ville monde, capitale de l’Empire britannique).
Halford Mackinder, homme politique britannique conservateur et géographe, est un des pères
de la géopolitique. Il a vécu entre 2e moitié XIXe et 1947. Pour lui, avec sa théorie du Heartland,
il existe une île-monde (continent eurasien et Afrique) et des îles périphériques (Amérique,
Océanie). Pour dominer le monde selon lui il faut tenir le Heartland, notamment son centre :
une plaine allant de l’Europe centrale à l’ouest de la Chine. Il s’inspire des grandes invasions
mongoles depuis le centre du continent vers ses périphéries. Pour tenir le Heartland il faudrait
tenir l’Europe orientale, puis la suite.
Nicholas Spykman, américain, théorise le Rimland : pour lui il faut tenir non pas le Heartland
mais le Rimland, c’est-à-dire la bordure du continent eurasien. C’est cela qui permet de
contrôler le Heartland, le cœur du continent. Il est inspiré à la fois par Mackinder et par Mahan :
il privilégie le contrôle des pays ayant un lien avec les mers, car plus liés aux échanges
mondiaux. Mackinder, britannique, avait en tête sa rivalité avec l’Empire allemand, continental,
tandis que l’Empire britannique est maritime.
Samuel Huntington (fin XXe siècle) a produit un essai très polémique, Le choc des civilisations,
dans lequel il théorise que du fait de la mondialisation, les civilisations entrent en contact et que
les conflits du XXIe siècle seront façonnés par des solidarités identitaires entre civilisations.
Cette 1re géopolitique était celle des grandes lois par lesquelles la géographie façonne la
conduite des puissances dans l’Histoire.
L’école française de géopolitique
Par un article qu'il publie dans Le Monde, 8 juin 1972, ayant trait à la guerre du Vietnam, Yves
Lacoste propulse le concept de géopolitique sur le devant de la scène. Ce géographe dénonce
l’utilisation de la géographie par les états-majors : ce serait une discipline stratégique
instrumentalisée par le politique. En 1976 il publie l’essai La géographie, ça sert d’abord à
faire la guerre. Yves Lacoste réhabilite ainsi la géopolitique qui redevient une branche du savoir
étudiée à l’université, il fonde l’Institut Français de Géopolitique à Paris VIII et la revue
Hérodote. Cette nouvelle discipline définit la géopolitique comme l’étude des rivalités de
pouvoir sur un territoire. 3 éléments sont étudiés :
-la diachronie : évolution dans le temps
- la diatopie : évolution d’un territoire dans l’espace (évolution des frontières, des moyens de
transport, etc..)
- les représentations : il s’agit de la vision des acteurs géopolitiques, dans toutes ses dimensions
(idéologie, intérêts). Cela permet de sortir du déterminisme géographique et de prendre en
compte la subjectivité des acteurs : sur un même territoire, des acteurs aux visions, cultures,
religions, différentes agiront différemment. De même, les acteurs n’ont jamais accès à toutes
les informations.
Les relations internationales
Branche des sciences politiques, à mi-chemin entre histoire, droit international et philosophie.
Elle cherche à comprendre les relations entre Etats par des concepts.
La théorie réaliste considère que les Etats recherchent avant tout le pouvoir et leur sécurité.
Penseurs : Hans Morgenthau, Raymond Aron, Stephen Waltz.. L’historien Thucydide l’a
notamment inspirée. Pour lui, il y a des causes profondes et des causes immédiates à un conflit.
Les causes profondes rendent le conflit plus probable sur la durée, les causes immédiates le
provoquent (incident diplomatique..) voire le justifient. La théorie du piège de Thucydide
(Graham Allison) considère que lorsqu’une puissance hégémonique voit une puissance
nouvelle s’affirmer elle souhaitera lui faire la guerre par méfiance. Ainsi Athènes a vu l’essor
de Sparte d’un mauvais œil. La rivalité entre USA et Chine y est souvent comparée.
La théorie libérale des relations internationales considère d’autres interactions (commerce, liens
culturels) prennent l’ascendant. Les relations entre Etats ne sont plus un jeu à somme nulle où
chacun ne voit qu’un intérêt au détriment de l’autre. Cette théorie met en valeur
l’interdépendance : de plus en plus de canaux d’échange transnationaux, un déclin de l’usage
de la force progressif. Les libéraux mettent en avant l’importance des opinions publiques et
veulent limiter le pouvoir des Etats. Les deux penseurs Joseph Nye et Robert Keohane ont créé
le concept de soft power dans les années 1990. Il décrit la capacité d’un acteur politique à
influencer d’autres acteurs ou ses représentations par des moyens non coercitifs : culturels,
économiques. Exemple : américanisation culturelle du monde, diffusion de codes sociaux
censés entrainer plus de sympathie pour les Etats-Unis.
La théorie transnationale : elle considère que les échanges transnationaux (ONG, commerce,
culture) deviennent dominants au détriment du rôle historique des Etats.
Séance II La puissance au XXIe siècle
Pour Raymond Aron (XXe siècle) la puissance est la « capacité d’une unité politique d’imposer
sa volonté aux autres unités »
Pour le juriste Serge Sur : capacité positive (celle de faire ou de faire faire à d’autres) et négative
(refuser de faire ou empêcher de faire).
La puissance est une interaction avec autrui : pour le néo-réaliste Kenneth Waltz, « un agent
est d’autant plus puissant qu’il affecte les autres plus que ceux-ci ne l’affectent ».
Hégémonie : un pouvoir hégémonique ne peut pas être contesté (ex : Empire français à son
début, Etats-Unis après 1991, l’Allemagne nazie en Europe de l’Ouest en 1941, Empire romain
à son sommet). Du grec « hegemon » (chef militaire)
Soft power : « puissance douce », capacité à influer autrui par la conviction (influence
culturelle, diplomatique, économique..), capacité à attirer la sympathie
Balance of power (équilibre des puissances) : état d’un système international où aucun Etat ne
peut prendre le dessus sur les autres. La théorie prédit que si un Etat essaie de dominer les
autres, les autres formeront une coalition défensive contre lui. Pour certains réalistes un système
d’équilibre des puissances est plus stable qu’un système avec un pouvoir dominant.
L’exemple du Congrès de Vienne (1814-1815) dans l’équilibre des puissances. Entre septembre
1814 et juin 1815 les représentants des puissances européennes se réunissent à Vienne. Ce sont
les vainqueurs de Napoléon Ier et d’autres Etats invités. Y sont discutés l’avenir de l’Europe,
les conditions d’une paix stable mais aussi l’abolition de la « traite négrière). Il rassemble des
centaines de personnes (familles régnantes, diplomates, militaires..). La France est représentée
par son diplomate Talleyrand. Chaque pouvoir tente d’obtenir les meilleurs frontières pour
défendre ses intérêts. On crée des « Etats tampons », Etats artificiels faits pour tenir à l’écart
deux pays pouvant entrer en conflit : la Suisse et la Savoie sont neutres, la Belgique est rattachée
aux Pays-Bas, pour isoler la France. Le royaume de Prusse est le grand rival de l’Autriche pour
unifier les pays germaniques : l’Autriche cherche à empêcher l’hégémonie prussienne en lui
refusant la Saxe. En échange, la Prusse obtient la Rhénanie tout près de la France.
L’Europe du Congrès de Vienne
Prise de note : la guerre des universités (Dessous des cartes). La compétition universitaire est
un enjeu d’influence pour les Etats et de prestige. Cela permet de créer des liens et une
sympathie auprès des étudiants. La Chine exerce une influence par les financements, en
contrôlant ce qui peut être dit dans des universités à l’étranger. Paraître dans le classement de
Shanghaï est ainsi un enjeu de pouvoir.
Prise de note : Centrafrique, le soft power russe (Arte). La Russie envoie ses mercenaires
Wagner pour accroître son influence en Afrique. Elle s’appuie sur un sentiment antifrançais et
s’attire à la fois par la force et par la guerre de l’information une sympathie dans la population
pour pouvoir parvenir à ses fins (lutte contre la France, exploitation des minerais centrafricains).
La lutte contre les rebelles est instrumentalisée par une guerre de l’information (films, médias,
manifestations publiques) pour donner un bon rôle à la Russie.
Le soft power repose aussi sur une puissance plus brute, qui permet de dominer
l’information et orienter l’influence, afin d’obtenir la sympathie.
Le soft power (ou puissance douce) représente les critères non coercitifs de la puissance. Il fut
défini par le géopolitologue Joseph Nye en 1990 comme « l’habileté à séduire et à attirer ». Il
peut y avoir relation asymétrique entre un influencé et un influant. Par le prestige, en créant des
liens, par l’attraction culturelle, l’influant a la capacité d’obtenir des résultats stratégiques en sa
faveur, définir un agenda politique d’autrui.
Sous le règne d'Ivan IV s'accomplit une modernisation de l'Etat, qui est inséparable de la
constitution de l'Empire. La modernisation de l'Etat passe par l'organisation et la rationalisation
de la noblesse de service, qui sert à conquérir de nouveaux territoires et à consolider l'Empire.
En retour, la conquête de nouveaux territoires consolide la noblesse de service.
b) L'expansion vers l'ouest débute en 1558, sous le règne d’Ivan le Terrible, avec la « guerre de
Livonie », première des trois « guerres du Nord » menées contre la Suède et la Pologne-
Lituanie, qui se solderont par la conquête de la Lituanie, de la Biélorussie, de la Courlande, de
la Livonie et de l’Estonie. En 1703, l’inauguration d’une nouvelle capitale de l’Empire russe à
Saint-Pétersbourg constitue le symbole de l’expansion vers l’ouest et de la volonté politique de
la Russie de devenir une puissance européenne. Saint-Pétersbourg est évoquée par Pierre le
Grand comme « la fenêtre sur l’Europe ». L'expansion vers l'ouest se poursuit avec la conquête
de l'Ukraine. Depuis le XIVème siècle, ce vaste « territoire extérieur » (окраина) à l'ouest de
l'Empire russe est placé sous la souveraineté de l'Etat polono-lituanien.
L’expansion de l’Empire russe vers l’Ouest s’achève par les quatre partages de la Pologne à la
fin du XVIIIe – début du XIXe siècles. La Pologne disparaît totalement en tant qu’Etat
indépendant en 1815, écartelé entre la Prusse, l’Autriche-Hongrie et l’Empire russe. En 1793,
l’Ukraine occidentale (région de Lviv) passe sous souveraineté russe, et en 1815, le royaume
de Pologne (Varsovie) est rattaché à l’Empire russe après le Congrès de Vienne. D’autre part,
la Finlande est rattachée à la Russie en 1809, la Bessarabie (actuelle Moldavie) en 1812.
Dans les représentations impérialistes russes, l’Ukraine fait partie de la Russie car les deux sont
héritières de la Rus’ de Kiev. La création d’un Etat ukrainien moderne n’eut lieu qu’à partir de
1917 et la chute de l’Empire russe. Certains Russes attribuent donc la création de l’Ukraine à
l’URSS et donc à la Russie, et considèrent que cela leur donne un droit d’intervention. Avant
la révolution bolchevique il n’y a pas eu en effet d’Etat ukrainien, hormis au XVIIe siècle
l’Hetmanat cosaque, de langue ukrainienne, qui ne recoupe pas les frontières actuelles. Cette
entité politique a conclu le Traité de Pereïaslav en 1654 avec l’Empire russe, ce qui facilita la
conquête russe du territoire au XVIIIe siècle sous Catherine II puis la colonisation russe.
La guerre de Trente ans dure de 1618 à 1648. Elle se termine par le traité de Westphalie qui
inaugure l’ordre international « westphalien » jusqu’en 1945. L’ordre onusien (régi par l’ONU)
lui succède après la Seconde guerre mondiale. Dans l’ordre westphalien, les Etats-nations « se
reconnaissent mutuellement comme seuls interlocuteurs légitimes ». Il repose sur des relations
interétatiques. Ses principes sont : l’équilibre des puissances, l’inviolabilité de la souveraineté
nationale, la non-ingérence. Cette guerre oppose la maison des Habsbourg (catholiques, ils
possèdent le Saint-empire romain germanique et le Royaume d’Espagne) à une coalition d’Etats
protestants contenant aussi la France catholique. Elle fit 4 à 7 millions de morts, est parfois
qualifiée de guerre civile européenne, et tua 30% de la population allemande.
Cette guerre implique tous les Etats européens sauf l’Angleterre et la Russie. Si l’étincelle de
départ est religieuse le conflit est aussi politique. Contre la dynastie des Habsbourg, la France
entre dans le camp protestant aux côtés de la Suède. Le Saint-Empire romain germanique existe
depuis le Xe siècle et rassemble un territoire allant de la mer du Nord (nord de l’Allemagne
actuel) à la Vénétie en Méditerranée. Il est toutefois très morcelé politiquement. La guerre de
Trente Ans voit le triomphe de l’absolutisme et la fin de l’idée d’empire en Europe. En effet, le
Saint-Empire romain germanique finit très affaibli par la guerre. Les traités de Westphalie en
1648 renforcent les Etats au détriment de l’Empire : tout souverain est pleinement souverain
sur son propre territoire et peut imposer la religion de son choix (cuius regio eius religio). Tous
les Etats du Saint-Empire siègent désormais à la diète (assemblée) et ont droit de regard sur la
conduite de la guerre.
Ces traités de Westphalie inaugurent « l’ordre westphalien » qui a perduré jusqu’en 1945 avant
la création de l’ONU : un ordre international centré sur des Etats souverains sans entité
supérieure.
Séance 5 Où s’arrête l’Europe ?
L’Europe n’est pas à proprement parler un continent, mais une péninsule du continent
eurasien, limitée au sud arbitrairement par la mer Méditerranée et par la chaîne du Caucase et
enfin la rive nord de la mer Caspienne.
C’est en 1458, 5 ans après la Chute de Constantinople aux mains des Turcs musulmans,
qu’un intellectuel italien, Enea Silvio Piccolomini (devenu pape Pie II), écrit un essai, le De
Europa. Dans ce texte, il tente de définir ce qu’est l’Europe et inclut pour la première fois des
critères géographiques, historiques mais aussi culturels, dans un contexte d’urgence. Infatigable
voyageur, italien de Sienne travaillant en Allemagne, Enea Piccolomini est un lettré cultivé et
connaisseur du continent. Il utilise le terme latin « europeus » pour désigner les Européens. Les
non-Européens sont assimilés aux Turcs et des peuples d’Asie. L’Asie sert de figure opposée :
les peuples d’Asie sont décrits comme nomades, ont des mœurs parfois jugées très
négativement. L’Europe se définit par l’héritage chrétien pour lui et par l’héritage humaniste
latin, ainsi que par un espace géographique s’étendant jusqu’au détroit du Bosphore
(Constantinople/Istanbul) marqué par la sédentarité. Cette définition nouvelle de l’Europe va
s’imposer dans tous les cercles intellectuels. L’Europe, à la fois géographique et intellectuelle
est « notre patrie, notre propre maison » pour Pie II.
Quelles autres potentielles définitions ? Sur le plan linguistique l’Europe se définit par
la prédominance des langues indo-européennes à l’exception du basque (pré-indo-européen) et
des langues finno-ougriennes (hongrois, finnois, estonien, same..). L’expansion des peuples
indo-européens depuis la steppe pontique à partir de -3500 av. J.C. environ a unifié
linguistiquement le continent, mais ces peuples ont aussi migré ailleurs : vers le Xinjiang pour
les Tokhariens, vers l’Anatolie pour les Arméniens, Hittites, Louvites, Phrygiens, Asie du Sud
et Asie centrale pour les peuples indo-iraniens. Dans l’Antiquité, les peuples iraniens sont
étendus depuis la Moldavie actuelle jusqu’à l’ouest de la Chine, et même la Mongolie. De plus,
l’Anatolie (aujourd’hui considérée comme non-européenne) a été dans l’Antiquité très
majoritairement de langue indo-européenne. La philosophie grecque est née sur les rives de
l’actuelle Turquie à Milet notamment. La reconstruction par les linguistes de l’origine
commune des langues européennes a émergé à partir du XVIIe siècle dans des cercles
humanistes. Leur parenté avec le sanskrit (langue sacrée de l’Inde) fut démontrée à la fin du
XVIIIe siècle. C’est au milieu du XIXe siècle qu’est reconstruit par August Schleicher le proto-
indo-européen, hypothétique langue originelle. Ces spéculations de mythologie et de
linguistique comparée ont participé à créer l’idée d’une civilisation européenne distincte,
incluant non seulement l’héritage gréco-latin revisité par les humanistes de la Renaissance mais
aussi celte, germain, slave, iranien dans un tout plus large. Elles ont aussi permis aux Européens
de décentrer leur regard de l’héritage gréco-latin, traditionnellement plus prestigieux depuis la
Renaissance. Cette question des origines de l’Europe fait la spécificité de cette civilisation (si
elle existe) : son point de départ trouve son origine dans des peuples nomades de la fin du
Néolithique qui ne possédaient pas l’écriture et ont donc largement divergé avec les millénaires
avant de subir des influences communes qui ont recréé une forme d’unité (christianisation,
héritage culturel pré-chrétien polythéiste, héritage gréco-latin architectural et intellectuel,
Renaissance, Lumières, sécularisation, etc..). C’est donc un espace très pluriel malgré une
certaine unité. En comparaison, la Chine, le monde arabo-musulman, l’Egypte antique, l’Inde,
l’Amérique latine, forment des civilisations plus unies autour d’une langue, un système
d’écriture, une religion. La définition de l’Europe contient une part d’arbitraire : à l’ouest de
l’Oural, des peuples turcs et mongols se sont installés en migrant vers l’ouest sans barrière
géographique dans les plaines d’Asie centrale. Définir l’Europe nécessite de faire des va et vient
entre son actualité et ses origines les plus anciennes, dans une reconstruction a posteriori.
La prise de conscience d’une certaine unité européenne tient aussi à la chute de l’Empire
romain, à l’émergence de l’Islam en Méditerranée et à la reconstitution d’un tissu urbain
intracontinental après la chute de Rome, sur des logiques géographiques différentes. Jusqu’à la
chute de l’Empire romain en 476 c’est depuis des siècles que la partie urbanisée, alphabétisée
et développée de l’Europe se trouve exclusivement en Méditerranée. En Europe, l’horizon de
la « civilisation » est donc les rives de la Méditerranée, unifiée progressivement par la
romanisation comme « Mare Nostrum ». Si l’ouest parlait latin, l’est parlait le grec. L’historien
Paul Veyne parle d’ « empire gréco-romain ». L’imaginaire de l’Empire romain était centré sur
la Méditerranée, pas sur l’Europe. Les populations de l’intérieur du continent (Celtes,
Germains) étaient méprisées et perçues comme « barbares », il n’y avait donc pas de
« conscience européenne » ni d’idée de civilisation commune avec eux de manière
préférentielle plutôt qu’avec l’Afrique du Nord romanisée. C’est plus tard, après la conquête
islamique au VIIIe siècle ap. J.C., que l’Islam occupe progressivement toute la rive sud et la
rive orientale de la Méditerranée et introduit une rupture civilisationnelle. La Méditerranée n’est
alors plus le centre d’une civilisation chrétienne gréco-latine mais un espace de séparation entre
deux civilisations antinomiques. La conversion progressive de toute l’Europe au christianisme
(achevée au début du XVe siècle pour les Baltes) et l’urbanisation et le développement de
l’écriture, notamment au sein de la « dorsale européenne » (un espace se structurant en plein
Moyen âge et toujours très développé allant de Londres à l’Italie du Nord en passant par l’ouest
de l’Allemagne) unifient sur les plans religieux et culturel l’intérieur du continent, et a créer de
nouveaux pôles au-delà de l’espace méditerranéen.
Séance VI Métropoles et mondialisation
On peut définir la métropolisation comme le phénomène d’organisation territoriale
renforçant la puissance des métropoles. Les métropoles sont des villes rassemblant des
fonctions de commandement. Depuis plusieurs décennies la métropolisation va de pair avec la
mondialisation. Celle-ci en effet par le commerce mondial renforce les métropoles qui sont les
nœuds d’une vaste toile (« l’archipel métropolitain mondial »).
I/ La métropolisation, un processus planétaire
Quels sont les liens entre urbanisation et métropolisation ?
A) Une planète urbaine
En 2018, 55% de la population mondiale est citadine, soit 4,2 milliards de personnes. En 2007,
la population urbaine est devenue plus nombreuse que la population rurale. Plus que jamais, les
villes sont des centres qui structurent l’espace à différentes échelles.
L’urbanisation a d’abord profité aux plus grandes villes : les villes de plus de 5 millions
d’habitants concentrent 21% de la population urbaine mondiale en 2018, contre 7% en 1950,
les mégapoles à elles seules en rassemblent 13% (3% en 1950).
Dans certains pays, l’urbanisation profite surtout à une seule grande ville, capitale politique
et/ou économique, entraînant une macrocéphalie urbaine (développement disproportionné de la
ville la plus peuplée d’un territoire au détriment des autres villes). Tunis concentre ainsi plus de
50% des citadins tunisiens.
B) La métropolisation, « fille » de la mondialisation
Parallèlement à l’urbanisation, surtout à partir des années 1980, la mondialisation a entraîné
l’apparition d’un nouveau processus : la métropolisation. La Nouvelle Division Internationale
du Travail (NDIT) a permis de délocaliser les fonctions de production dans des pays en
développement où la main-d’œuvre est moins chère pour concentrer dans certaines grandes
villes, appelées « métropoles », les fonctions de commandement.
L’attractivité internationale de ces métropoles repose sur l’avantage métropolitain, c’est-à-dire
sur les possibilités de synergie (interaction entre plusieurs secteurs, qui augmente leur potentiel)
entre les fonctions de commandement (recherche-innovation et économie par exemple). Aussi
concentrent-elles places boursières, sièges sociaux, institutions internationales, équipements
culturels de premier plan. Leur accessibilité aérienne, portuaire ou numérique leur permet une
inscription optimale dans les échanges.
C) Un processus sélectif et évolutif
La métropolisation est un processus sélectif. Elle privilégie les villes qui sont déjà les mieux
dotées et disposent depuis longtemps d’un rayonnement international, comme Londres, Paris
ou New York. La métropolisation entraîne la marginalisation des villes mal articulées aux flux
d’échanges mondiaux.
Dépendant de l’intensité de l’intégration du pays à la mondialisation, la métropolisation est un
processus évolutif. Le nombre de métropoles augmente à mesure que les pays s’ouvrent à la
mondialisation et se développent. C’est pourquoi des métropoles sont apparues récemment dans
les pays émergents (Mumbai, Rio ou Sao Paulo), parallèlement à leur développement qui repose
sur leur intégration à la mondialisation. La métropole joue alors un rôle majeur dans
l’articulation du pays aux flux mondiaux.
Les métropoles polarisent (polarisation : attraction qu’exerce un centre su l’espace plus ou
moins étendu qui l’entoure et qui place la périphérie dans une situation de dépendance) de vastes
régions métropolitaines polycentriques où s’opère un desserrement des activités et de la
population. Les mégalopoles (région urbaine qui s’étend de manière continue sur plusieurs
centaines de kilomètres et qui comprend plusieurs métropoles) américaine, japonaise et
européenne sont des chapelets de métropoles exceptionnels.
Les Etats-Unis et la frontière, un mythe et sa
géopolitique
Festival de Géopolitique de Grenoble
Frédéric Munier
Pourquoi la frontière ?
Frédéric Munier commence son accroche par une anecdote personnelle en évoquant un thème
qui depuis son enfance l’a toujours interrogé depuis qu’il avait regardé une série «Star Trek»
américaine à la télévision, un épisode particulier intitulé « final frontier » et il trouvait étrange
et mystérieux le titre de cet épisode évoquant beaucoup la frontière, un espace indéfini. Le
géographe a pris cet exemple du titre de cet épisode sorti en 1967, pour montrer que le terme
est difficile à traduire, ici pour désigner un espace ultime, « frontier » où nul homme n’a jamais
habité. Cette ultime frontière américaine a un sens multiple, il est polysémique.
Aux États-Unis, pour traduire le mot frontière, il existe deux mots, le mot « border » et
« frontier ». Frédéric Munier propose de réfléchir à partir de l’analyse sémantique des deux
vocables à la fois sur leur signification historique et géopolitique. Le premier vocable analysé,
« border » est un mot difficile à traduire. En anglais, border possède plusieurs significations à
la fois cela peut signifier la frontière administrative ou une démarcation matérielle ou bien une
signification politique.
Le second terme de « frontier » en anglais peut être traduit en français par « front pionner ». Le
conférencier fait référence à une définition de Jacques Lévy dans son dictionnaire géographique
pour lequel la frontière est perçue « comme un espace mobile marquant la limite provisoire de
l’expansion d’une société, ici frontière vue comme un espace plus vaste mis en valeur ». Donc,
ici, la définition ne se limite plus à un espace fixé et définitif mais à un espace transitoire et
mobile qui est lié à la valorisation de l’espace conquis. Cette polysémie en anglais, « border »
et « frontier », qui fait dire à Jacques Levy, que la seule frontière incontestablement
fonctionnelle fut la frontière Nord américaine, c’est-à-dire un front pionnier colossal dynamique
parce que résultant d’un rapport de force très déséquilibré entre les défenseurs, les Indiens et
les assaillants, les Américains. La frontière cesse alors d’être pour un temps une chimère
destructrice, et devient vu du côté des gagnants, des Anglais, des anglo-américains, l’emblème
de l’aventure.
Frédéric Munier présente ensuite un tableau célèbre évoquant cette vision mythique d’une
frontière repoussée au-delà des confins et ouverte à la conquête. C’est un tableau connu de 1872
représentant Colombia, une allégorie féminine évoquant l’Amérique, le nom rappelant
Christophe Colomb. Colombia est représentée en mouvement en direction vers l’ouest en train
d’accompagner les colons américains le long de cette frontière au-delà d’espaces inconnus.
Cette belle représentation montre tout le mythe de la frontière, un espace de conquête, avec des
colons, des fermiers, des trappeurs, des bucherons, des paysans, accompagnés de leurs familles,
des femmes, des enfants venant de l’est.
L’idée était de représenter à travers cette peinture surtout que ces colons étaient avant tout des
« farmers ». Cette représentation fait partie d’un imaginaire, une idée qui remonte aux premiers
temps de l’histoire américaine avec le troisième président américain, Thomas Jefferson, celui
qui a acheté entre autre le Mississippi, qui se faisait représenter en fermier avec des valeurs de
rudesse, de courage, de travail. Ce tableau illustre donc parfaitement l’idée de la conquête.
Quant à Michel Foucher, il rappelle que les frontières possèdent trois fonctions principales, une
fonction légale (elle définit le droit des délits nationaux), une fonction de contrôle (lien avec les
nationalités, contrôle de ceux qui sortent ou qui entrent sur le territoire) et une fonction fiscale
(par exemple la douane). La frontière est ainsi indispensable de la notion de territoire. La
frontière transforme un espace, une notion proche du milieu car pas encore une notion de limite
et c’est la frontière qui fait passer de l’espace au territoire, une zone appropriée, bornée. Ainsi,
les grands espaces américains, le Far West, avec la mention de frontière sont devenus des
territoires.
Frédéric Munier s’appuie sur un autre ouvrage, celui de Régis Debray « Critique de la
frontière » sorti à un période où la notion de la frontière était très à la mode, pour montrer que
la frontière n’a pas toujours été perçue comme une limite acceptée mais plutôt une « border »
critiquée voire même diabolisée. D’un point de vue étymologique, la frontière vient du latin
sancire qui signifie délimiter, entourer, interdire. Les Etats ont besoin de ces espaces qui soient
fixes au contraire de l’Antiquité c’étaient des eschatia, des espaces aux limites floues, aux
marges des cités grecques antiques les délimitant ainsi entre elles sans que ces territoires à la
marge ne soient revendiqués. La frontière associée à un espace qui délimite, qui étanchéifie
peut-être mais qui permet des échanges. Pour Régis Debray « le mur interdit le passage, la
frontière le régule », la frontière est donc un espace de régulation.
Les EU et la frontière
La conquête américaine, c’est l’histoire d’une relation entre « frontier » le front qui se dérobe,
« border » à la « frontier » qui recule sans cesse et une fois l’espace valorisé, elle laisse place à
la « border ». C’est une histoire très ancienne. Rappel de l’histoire du Mayflower quittant le
Royaume Uni en 1620 dans lequel s’étaient embarqués des Puritains en fait surtout des
sécessionnistes de l’église anglicane et ils avaient décidé de conquérir le Nouvel Israël. Ils se
voyaient comme de nouveaux juifs auxquels Dieu offrait à ces anglicans, à ces puritains un
nouvel Israël en Amérique, une terre qui était donnée à la valorisation et ces gens sur le
Mayflower, le bateau qui les amenait sur le Nouveau Monde, ont signé un pacte, le 11 novembre
1620, le « Mayflower Compact ».
Ce document est perdu depuis mais on a conservé une transcription sur laquelle les Anglais
écrivaient ceci « ayant entrepris pour la gloire de Dieu, pour la propagation de la foi et en
l’honneur de notre roi, un voyage voit implanter une première colonie dans les régions
septentrionales de Virginie …». Pour Frédéric Munier on a une définition qui s’apparente à la
notion de « frontier » c’est-à-dire le désir de s’implanter, de prospérer, se développer, de
s’étendre. Tout démarre en quelque sorte avec cette histoire originelle des premiers pionniers
anglo-saxons.
Après l’indépendance américaine en 1783, les colons devenus des Américains depuis 1776, les
colonies anglaises devenues des colonies américaines avec le traité de Paris; rapidement les
nouveaux Américains décidèrent en 1785 de valoriser l’espace et d’étendre la frontière. Ils ont
institué un système original qu’on appelle le système du Township, c’est un système de division
des espaces disponibles, rapidement conquis, le Mississipi servant de frontière à l’ouest. Ces
espaces conquis sont divisés par le cadastre.
Des lots ensuite sont définis et donnés aux colons, 40 acres en moyenne de superficie permettant
à une famille de quatre à cinq personnes de vivre. C’est ainsi que l’on passe de la frontière,
« frontier » le front que l’on conquiert à un espace délimité, avec des « borderline », des limites
administratives dans lesquels les colons se sont installés avec un espace à valoriser.
Une carte de 1803 montre l’extension du territoire américain vers l’ouest. Elle montre
l’extension qui passe par exemple par des achats, exemple de Napoléon 1er qui a vendu la
Louisiane en 1803 à Thomas Jefferson. La frontière se déplace vers l’ouest, période de l’apogée
de la conquête de l’ouest. Deux explorateurs américains Lewis et Clark passent du centre des
Etats-Unis à l’ouest vers le pacifique en traversant les Rocheuses et ils inaugurent le chemin
qui va permettre aux nouveaux colons de passer d’est en ouest.
La découverte des mines d’or en 1848 a accéléré la conquête vers l’ouest, vers la Californie
enchaînant la ruée vers l’or des populations venues de l’est traversant de bout en bout le pays
tout entier. Les Américains ont constitué de fait leurs frontières de plusieurs manières soit par
la conquête, de espaces vierges ou peu habités, les Indiens ont été pour cela déportés vers
l’ouest, soit par l’achat de terre (achat de la Louisiane en 1803, une partie du Nouveau Mexique
en 1853, l’Alaska à la Russie en 1876) ou soit par l’occupation ou l’annexion comme le Texas
en 1845, soit parfois par les conquêtes comme la guerre avec le Mexique qui a permis aux
Américains d’annexer une grande partie du Mexique, soit un tiers du territoire mexicain,
devenue l’Etat du Nouveau Mexique en 1848.
En 1890, la totalité du territoire a été conquise. Tout le territoire a été ensuite rapidement
cadastré. C’est la fin de la « frontier », il n’y a plus de frontière. Tout l’espace est devenu un
territoire. Est-ce que cela veut dire, fin de la « frontier », que c’est la fin des frontières ? Non,
mais par contre il y a beaucoup de « borders » avec la création des Etats américains. Les Etats
avaient été bornés dans les années 1850 mais ils n’étaient devenus des Etats américains qu’à
partir de 1890.
Pour devenir un Etat, il fallait qu’il y ait au moins 60 000 colons. En dessous de 60 000 colons,
un « border » délimite un espace quasi vide ; à partir de 60 000, cette zone pouvait acter,
demander au congrès américain de devenir un Etat. Le Wyoming, le Montana, l’Oregon étaient
des espaces quasi vides jusqu’à la fin du XIXe siècle et ne sont devenus des Etats qu’à la fin du
siècle, à l’inverse de la Californie, qui dès 1850, avec la ruée vers l’or, est devenue rapidement
un Etat.
La fin de la « frontier » comme espace pionnier ne signifie pas la fin des frontières, au contraire,
les frontières ont été enracinées, elles deviennent des « borders ». D’autres frontières
s’imposent comme les grandes frontières officielles, les Etats-Unis sont divisés en grands
espaces comme les espaces Est-Ouest, Centre-Ouest, Midwest, etc. Il existe d’autres types de
frontières moins administratives comme les belts, les ceintures, qui constituent des frontières
de différents types, comme la corn belt, la ceinture du maïs, la wheat belt, la ceinture du blé, la
Bible Belt, la ceinture de la bible au sud-est des Etats-Unis.
On constate que Les Etats-Unis sont ainsi organisés avec une multitude de frontières. Ces
frontières-là sont définies bien après la « frontier ». L’Alaska, par exemple, dans le discours
des gens qui habitent Anchorage aujourd’hui s’imaginent être de nouveaux colons, de nouveaux
trappeurs et donc s’imaginent l’Alaska comme une nouvelle frontière terrestre.
La frontière est devenue le creuset des valeurs américaines, une thèse développée vers 1893 au
moment de la fin de la « frontier ». John O’Sullivan, journaliste américain, pose pour la
première fois dans un article publié en 1845 dans un magazine, l’idée de destinée manifeste :
« c’est notre destinée manifeste de nous déployer sur le continent conquis par la Providence
pour le libre développement de notre grandissante multitude ». Il justifie l’expansion par la
volonté divine, la « Providence », c’est Dieu qui a donné cet espace à conquérir aux Américains
pour qu’ils le valorisent.
Cette thèse en 1845 va servir aux présidents américains qui vont se succéder au cours du XIXe
siècle pour justifier la poursuite de la conquête avec l’annexion de l’Oregon jusqu’à Georges
Bush qui a emprunté cette même thèse pour légitimer sa politique.
Autre personnage important pour justifier la frontière dans l’espace et l’histoire des Etats-Unis,
c’est Frederick Jackson Turner dans son livre publié en 1893 « la frontière américaine» dans
lequel il explique que les valeurs américaines ont été forgées par la frontière et en particulier
dans le Far West. La force, l’acuité, le sens pratique des Américains, leur énergie,
l’individualisme, toutes ces valeurs relevées par Jackson seraient attribuées à la frontière. Il va
jusqu’à dire que c’est la frontière qui aurait démocratisé les Etats-Unis.
Il explique également que les treize provinces originaires ont été développées rapidement et de
grands propriétaires assez riches, pas tout à fait démocrates, aux côtés des gens du peuple assez
pauvres ont servi d’agents démocratiques et ils auraient donc démocratisé les Etats-Unis. C’est
une thèse très discutée aujourd’hui parmi les historiens. Ce que ne savait par Turner, c’est que
les Etats-Unis avaient conquis plus de terre entre 1845 et 1890, puis Turner ne parle que
d’hommes, comme si la frontière n’avait polarisé que des individus arrivés en masse mais isolés
alors que beaucoup de communautés religieuses ou des communautés nationales comme les
Italiens, les Irlandais, sont partis nombreux.
La théorie de Turner se résume au fait que la frontière n’aurait forgé que des individus et non
pas des groupes. Turner invente donc le mythe de la frontière forgée par des hommes courageux,
les cowboys, les trappeurs, tout cet ensemble a forgé dans l’imaginaire américain le mythe de
la « frontier ».
Le mythe de la frontière et le soft power
La littérature et le cinéma se sont emparés à leur tour du mythe de la frontière assez rapidement
à la fin du XIXe siècle en développant le genre du western incarnant des individus courageux,
une frontière qui marque la limite entre la civilisation et la barbarie (les Indiens), la lutte contre
la nature sauvage bien évoquée dans le film de Jeremiah Johnson qui illustre le mythe du
cowboy solitaire.
Toute l’histoire du film repose sur cet antagonisme entre le trappeur, les Indiens et un colonel
qui a pour objectif de casser cette frontière et de se battre contre les Indiens. Le trappeur, le
héros du film, cherche à maintenir cette frontière et se range du coup du côté des Indiens car
cette frontière est perçue comme un espace de liberté et vouloir la briser, c’est briser cet élan
américain. Autre figure assez connue, la publicité pour une marque de cigarettes entre 1860 à
1973, Malboro, montrant sur une affiche un homme, un cowboy fumant sa cigarette,
instrumentalise la frontière évoquant la liberté.
La frontière devenue un mythe constitutif des Etats-Unis est entrée dans le discours politique
jusqu’à nos jours. Deux exemples pour montrer que la frontière est aussi un objet politique avec
le célèbre discours de John F. Kennedy et celui tenue par Georges W. Bush en 1990. Le thème
de campagne pour les élections présidentielles au début des années soixante de J.F.Kennedy a
été « la nouvelle frontière ».
Plusieurs discours portent ce thème mais c’est dans celui prononcé le jour de la convention des
démocrates au moment de son investiture que J. F. Kennedy reprend toute la sémantique sur la
frontière, sur l’idée d’être des pionniers et des espaces à conquérir lorsqu’il dit « je vous
demande à tous d’être les pionniers de cette nouvelle frontière… ». Il pense à la conquête de
l’espace, à conquérir les questions qui sont celles de la pauvreté, de la guerre froide, et de rester
la première puissance mondiale.
Puis, c’est l’extension de la « frontier » vers le Pacifique, vers Amérique latine et l’espace
caraïbe. Les Etats-Unis dans cet espace caribéen n’ont cessé par ailleurs d’intervenir à la suite
des mesures prises par Theodore Roosevelt avec la doctrine du « Big Stick », une politique
étrangère visant à faire assumer aux Etats-Unis dans cette zone une place de véritable police
internationale. Plus tard, au cours du XXe siècle, les Etats-Unis ont défendu et étendu leur
« frontier » pour défendre « le monde libre » durant la guerre froide.
Dans les années quatre-vingt-dix, les Etats-Unis ont tenu un discours un peu différent.
Puisqu’ils ont gagné la guerre froide, le discours désormais s’oriente vers l’idée de la fin de la
frontière. Kenichi Ohmae parle ainsi de la fin de l’histoire puisqu’il y a plus de guerre froide
donc plus de frontière pour les Etats-Unis. La « frontier » en fait devient mondiale dans un
monde globalisé selon les Etats-Unis.
Se développe ainsi l’idée que les frontières disparaissent, que l’on casse les frontières par la
globalisation. La « frontier » devient mondiale et se dilate dans l’espace mondial. Sur le plan
géopolitique, cela se traduit pour les Etats-Unis par l’affirmation de leur hyperpuissance. Dans
les années 2000, on est passé du discours de la « frontier » perdue aux Etats-Unis, de dire que
la frontière s’est dilatée à l’espace mondial à la fois économiquement, le commerce mondial,
les Etats-Unis sont le moteur durant cette période et puis géopolitiquement.
Assiste-t-on à un retournement avec l’actuel président des Etats-Unis, Donald Trump, qui prône
le retour de la « border », à la Frontière physique ? Le retour à la « border » se manifeste par le
projet de réaliser plus de 3300 km de murs entre Mexique et EU. Dans la réalité, lorsqu’on
observe les statistiques, il y a de moins en moins de sans-papiers qui sont arrêtés et par contre
plus de Mexicains qui retournent chez eux au Mexique que de Mexicains qui viennent aux
Etats-Unis. La réalité aujourd’hui, ce n’est pas une immigration massive de Mexicains, c’est
plutôt le contraire, les flux se sont inversés.
Revenant sur les frontières nationales, le président Trump est en train d’ouvrir une porte
significative à la Chine, acquise au libre-échange et donc il n’est pas sûr que son retour à la
puissance de l’ « America First » ne favorise pas assez paradoxalement la puissance américaine.
C’est sur cette dernière réflexion que se termine cette conférence efficace et rigoureuse,
fortement applaudie, qui ravira autant les étudiants préparant les concours de l’enseignement
supérieur que le public curieux de connaître les grandes lignes de force de la géopolitique
américaine.
Séance IX :
Idéologies et géopolitique : l’itinéraire d’un courant
de pensée, les néo-conservateurs étatsuniens
Les néo-conservateurs sont un courant de pensée politique étatsunien très controversé
qui est passé sous les feux des projecteurs du monde entier lors de la guerre en Irak en 2003.
Le président républicain George W. Bush était en effet entouré de proches conseillers
néoconservateurs et reprenait leurs concepts. Ce courant est devenu synonyme
d’interventionnisme, de politique étrangère impérialiste, et des objectifs de promotion de la
démocratie à l’étranger peu importe le coût humain. Toutefois, on situe sa naissance en 1965
avec la genèse de la revue The Public Interest, et ce courant n’a pas toujours promu une
politique étrangère musclée ni la défense d’Israël. Comment en est-il venu là ? D’abord
constitué comme un club d’intellectuels au sein du Parti démocrate en conflit avec ses éléments
les plus à gauche, ils se sont tournés à partir des années 1970 vers le Parti républicain et se sont
fondus dans le mouvement conservateur sous Ronald Reagan qui leur fait un large accueil dans
son administration.
Quelques mois avant l’invasion de l’Irak le 26 février 2003 George W. Bush disait lors
d’un discours « Ici, à l’American Enterprise Institute, se trouvent certains des plus brillants
cerveaux de notre pays. C’est parce que vous faites un si bon travail que mon administration a
recruté vingt d’entre vous. », s’exprimant devant des experts de l’AEI, un centre de recherche
néoconservateur de Washington où ont travaillé Irving Kristol, Richard Perle, Jeane
Kirkpatrick, Paul Wolfowitz et autres figures du mouvement. Le discours de Bush, largement
destiné à justifier l’intervention imminente en Irak, est empreint de références au
néoconservatisme. L’exagération de la menace, de son urgence comme de sa gravité, est un
leitmotiv des néoconservateurs depuis les années 1970, tout comme l’analogie implicite avec
la politique « d’apaisement » d’Adolf Hitler par les démocraties dans l’entre-deux-guerres,
soulignée par une mention de Winston Churchill un peu plus loin dans le discours. La leçon du
Vietnam pour eux n’a jamais remplacé celle de Munich. Plus tôt on combat les dictatures plus
on démontre sa force, plus on garantit la sécurité de l’Amérique et la paix du monde. Dans son
discours il espérait des « dominos démocratiques » : rendre le monde sûr par l’extension de la
démocratie. Tout ceci fut un échec : Saddam Hussein ne finançait pas le terrorisme, n’avait pas
d’armes de destruction massive et la destruction de son régime mena au chaos et réveilla les
divisions ethniques et religieuses de l’Irak. Si ce courant fut donc voué aux gémonies à partir
de la guerre en Irak, à ses débuts il ne s’intéressait pas à la politique étrangère et son grand
fondateur, Irving Kristol, était lui-même contre l’interventionnisme.
I/ Les débuts du néoconservatisme
Né à gauche dans les années 1960 parmi des étudiants juifs du City College of New
York, il est passé d’un courant d’intellectuels et de sociologues à un courant mêlé aux jeux de
pouvoir centré à Washington D.C. et classé à droite. Trois grandes périodes se dégagent, de
1965 à 1972, puis jusqu’à la fin de la guerre froide, et enfin une période marquée par le
« moment unipolaire » des Etats-Unis à partir de 1992 lorsque leur ennemi soviétique est mort
et que les Etats-Unis se retrouvent seule hyperpuissance capable de remodeler le monde.
Les premiers se sont rencontrés au sein de l’alcôve n°1, espace de débat au sein du City
College of New York, occupé par les marxistes antistaliniens (parmi eux Irving Kristol
l’inspirateur du courant, Nathan Glazer, Daniel Bell, Seymour Martin Lipset..). Dans ce terreau
va prendre racine l’anticommunisme virulent de ces précurseurs du néoconservatisme. L’anti-
stalinisme des débuts va en faire de farouches opposants aux dictatures et au communisme
qu’ils considèrent connaître mieux que d’autres. Certains se rassemblent au sein de l’ADA créée
en 1947 (Americans for Democratic Action), une gauche anticommuniste. L’historien influent
Arthur Schlesinger écrit en 1949 un livre, Le Centre vital, où il fait l’éloge de la société libérale
et démocratique sur des bases religieuses au nom de la faiblesse de l’homme, limité par le pêché
originel. Les néo-conservateurs font alors partie des « libéraux de guerre froide », une étiquette
large qui rassemble la gauche anticommuniste.
Deux phénomènes intellectuels vont faire passer progressivement ces personnalités à
droite. Tout d’abord, la naissance en 1955 d’un courant conservateur structuré autour de la revue
National Review offre une future maison pour ces intellectuels. D’autre part, la naissance à
Berkeley (université californienne) du Free Speech Movement en 1964 effraye ces
personnalités qui considèrent que ce mouvement créant la New Left porte en lui un danger pour
la démocratie et l’autorité des institutions. Le FSM s’est battue en plusieurs années
successivement pour les droits civiques des Afro-américains, mais aussi contre la guerre au
Vietnam, contre l’autorité de l’université.. Les futurs néo-conservateurs comme Nathan Glazer
ne pensaient pas la liberté de parole menacée sur le campus. Ils sont accusés d’être des
« nouveaux conservateurs » en 1965 dans le cadre de la création de leur revue The Public
Interest créée par Irving Kristol. Le leitmotiv de leur revue laisse poindre les futures orientations
de politique étrangère. L’avant-propos de Daniel Bell et Irving Kristol prône comme principe
le rejet de toute idéologie, ce qui doit se comprendre dans le cadre à la fois de la Guerre froide
mais aussi de la lutte contre les totalitarismes et les ambitions de la New Left. L’idéologie
mènerait tout droit au régime autoritaire voire totalitaire (à l’époque le communisme,
aujourd’hui islamisme, wokisme..). C’est aussi en réponse au programme de Great Society,
ensemble de programmes sociaux lancés par le président Lyndon B. Johnson en 1964 puis en
1965 faisant de l’Etat fédéral un transformateur de la société vers plus de justice sociale,
« raciale », à la sortie de la ségrégation, via l’expertise d’agences gouvernementales.
II/ Le néo-conservatisme et la politique étrangère
Si on voit dès le départ les principales obsessions des néo-conservateurs (lutte
anticommuniste, suprématie de la démocratie et du libéralisme, lutte contre les idéologies..), les
premiers s’intéressent peu à la politique étrangère. Toutefois, la guerre des six jours en Israël
en 1967 fait basculer la revue Commentary (revue intellectuelle juive) vers le conservatisme et
le Parti républicain. Son rédacteur en chef, Norman Podhoretz, est l’un des principaux chefs de
file du courant, Irving Kristol en est aussi issu.
Une nouvelle étape a lieu en 1980 après un déjeuner avec le président sortant
(démocrate) Jimmy Carter, jugé trop conciliant avec l’URSS. Ils vont rejoindre le président
Reagan à Washington entrant en poste début 1981. Sa vision rejoint la leur sur tous leurs
fondamentaux en politique étrangère : défense de la démocratie, droits de l’homme, affirmation
de la puissance militaire américaine, soutien à Israël et distance avec le système multilatéral de
l’ONU. Plusieurs d’entre eux sont ainsi crédités d’avoir impulsé la politique des deux
administrations Reagan (1981 à 1989) qui, par une concurrence agressive sur le plan militaire
et technologique et le soutien aux adversaires de l’URSS en Afghanistan, aurait poussé l’URSS
à la banqueroute, avec la chute du mur de Berlin en 1989. Jeane Kirkpatrick, Richard Perle,
Elliott Abrams, Max Kampelman sont crédités par ce propre courant d’avoir abouti à cette
réussite.
Après la chute de l’URSS en 1991, c’est le « moment unipolaire » américain : les Etats-
Unis sont la seule hyperpuissance au monde, et les néo-conservateurs considèrent que c’est le
moment ou jamais pour elle de façonner le monde. C’est le projet du think tank Project for the
New American Century (PNAC). En 2001 ils ont une place très importante dans la politique
étrangère du nouveau président républicain George W. Bush, malgré leur statut minoritaire dans
l’ensemble à Washington D.C. Pour eux, les attentats du 11 septembre marquent la « quatrième
guerre mondiale » (en comptant la Guerre froide), comme l’expliquent Elliott Cohen, James
Woolsey et Norman Podhoretz, celle-ci ayant pour ennemi l’islamisme voire « l’islamo-
fascisme » tel qu’ils le nomment.
Séance 10 Guerres d’hier et d’aujourd’hui : la guerre hybride et la guerre
informationnelle
La guerre hybride repose sur la combinaison ou la fusion d’instruments de puissance
conventionnels (armée régulière) et non conventionnels et de méthodes subversives. L’objectif
est d’exploiter les vulnérabilités de l’adversaire et de réaliser des synergies en employant ces
outils de façon coordonnée.
« La notion de guerre hybride aide à définir des conflits actuels qui combinent intimidation
stratégique de la part d’Etats disposant d’armes de destruction massive, des opérations
interarmées impliquant aussi des unités spéciales et des mercenaires, et des manœuvres de
désinformation à grande échelle », écrit Thomas Gomart, le directeur de l’Institut français des
relations internationales (IFRI), dans Guerres invisibles (Tallandier, 2021).
Le débat stratégique autour de la guerre hybride est le dernier en date mettant l'accent
sur la porosité des modes de guerre. L'expression hybrid warfare est apparue pour la première
fois aux États-Unis en 1998 et fut popularisée par Frank G. Hoffman à partir de 2005 dans une
série d'articles, pour faire contrepoids au déterminisme technologique qui marqua à l'époque les
débats autour de la Quadrennial Defense Review. Le concept acquit un certain écho au sein de
la communauté spécialisée, notamment à la suite de la guerre du Liban en 2006, confirmant,
selon Hoffman, qu'un acteur non étatique puisse combiner la létalité d'une force régulière avec
le fanatisme et la longévité d'une force irrégulière. Pour Joseph Henrotin, « à ce stade, le
concept est encore perçu comme devant montrer l'accroissement de la puissance de feu des
combattants irréguliers ». Le débat sur la guerre hybride resta cependant essentiellement
confiné au cercle restreint des experts militaires et perdit fortement en importance à partir de
2011, à la suite de la fin de l'engagement des États-Unis en Irak et du début du retrait des troupes
d'Afghanistan.
Cependant, après l'agression militaire russe en Ukraine en 2014, le concept connut, tout
spécialement outre-Atlantique, une renaissance, dépassant cette fois largement le cercle fermé
des milieux militaires. Depuis, le terme sert à caractériser un certain nombre de pratiques
militaires et non militaires, considérées comme coordonnées et centralisées, cherchant à
déstabiliser une société adverse dans son ensemble.
Le débat stratégique sur la guerre hybride en Allemagne
Dès juin 2014, des responsables politiques allemands ont recours à ce terme pour
qualifier l'approche militaire russe en Ukraine. Au sein du gouvernement fédéral, c'est le
ministre des Affaires étrangères Frank-Walter Steinmeier qui l'emploie pour la première fois
dans un rapport gouvernemental. La ministre de la Défense Ursula von der Leyen en fera un
argument de poids dans diverses allocutions publiques, notamment lors de débats
parlementaires sur le budget des armées ou lors de la conférence de Munich sur la sécurité de
2015. Le concept acquerra par ailleurs une place prépondérante au sein du nouveau Livre blanc
sur la politique de sécurité et l'avenir de la Bundeswehr de juillet 2016.